Introduction
p. 161-164
Texte intégral
1La déférence des lettrés médiévaux à l’égard du rhéteur Cicéron est le fruit d’un long héritage, puisant ses sources au Ier siècle. De son vivant, l’auteur a dû faire face à plusieurs critiques attaquant son style, alors qualifié d’asianiste en raison de l’abondance d’artifices qu’il déploie1. Ce n’est qu’avec les enseignements de Quintilien que Cicéron devient le modèle privilégié de l’éloquence latine. En effet, le qualificatif de magister eloquentiae apparaît dès l’Institutio oratoria2. La dimension professorale de la formule relaye la manière dont Cicéron a pris l’habitude de se présenter à l’écrit. Le lecteur, dans la peau d’un élève, est guidé par l’autorité d’un spécialiste du discours. Cicéron assume dans ses prologues une ambition pédagogique, qu’il met en œuvre par une présentation de la rhétorique ordonnée en thèmes et exemplifiée3.
2La présentation de Cicéron en magister est pérenne et on la retrouve, par exemple, sous la plume de Cassiodore au VIe siècle4. Toutefois, c’est un autre qualificatif, tout aussi prestigieux, qui connaîtra la plus grande diffusion au cours du Moyen Âge : celui d’auctor. Ici encore, la formule n’est pas neuve. Lucain, dans la Pharsale, décrit déjà Cicéron comme le Romani maximus auctor eloquii5. Si, durant la période classique, le mot se référait de façon générale au compositeur d’un livre, le Moyen Âge lui accorde progressivement un sens plus précis : celui qui a acquis un pouvoir d’autorité sur sa discipline6. L’évolution sémantique est à comprendre en lien avec une mutation didactique et argumentative. Dès l’Antiquité tardive, se sont multipliées les œuvres assemblant les dires des auteurs jugés classiques dans le but de les relayer, de les commenter ou de les confronter. C’est à ce titre que l’on voit Cicéron associé à l’art rhétorique chez Boèce ou chez Martianus Capella7. La sélection de références pertinentes pour chaque thématique incite à la constitution de canons disciplinaires. Or la pertinence d’une telle sélection s’auto-argumente continuellement : peu à peu, la transmission continue des citations témoigne de leur valeur8.
3Au premier abord, la place de Cicéron dans ce canon est facile à déterminer : il est la figure tutélaire de l’éloquence. Mais à quelle référence se rapporte-t-on ? La déférence qui lui est due dans les derniers siècles du Moyen Âge manifeste plus le respect d’une tradition de classification des savoirs qu’une réelle soumission aux normes du rhéteur. Dans un contexte communal, où la parole politique est une expression de la participation civique, on pourrait s’attendre à un usage renouvelé de la figure antique. Mais un tel présupposé minimise deux contraintes conditionnant les représentations de Cicéron aux XIIIe et XIVe siècles : d’une part, la relativisation de sa place parmi les autorités et, d’autre part, l’irruption inattendue de données biographiques le concernant.
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