Préambule
La transmission médiévale des œuvres de Cicéron : panorama général
p. 23-26
Texte intégral
1Bien que le texte classique le plus répandu au sein des manuscrits médiévaux soit l’Énéide de Virgile, les œuvres de Cicéron tiennent une place de choix au palmarès du nombre de copies conservées1. Les données sont à manier avec prudence : l’enthousiasme supposé du public doit être nuancé en distinguant disponibilité du texte et lecture effective. Remettre les œuvres de Cicéron en contexte pousse à relativiser leur poids – de même que celui de l’ensemble des auteurs classiques –, en regard des textes chrétiens. Ces derniers prédominent nettement au sein des inventaires de bibliothèques médiévales2. En outre, le recours aux textes n’est pas cumulatif dans le temps : une œuvre copiée n’est pas nécessairement réinvestie par la génération suivante.
2La figure 1 présente la répartition chronologique des manuscrits appartenant au recensement3. Ceux-ci sont majoritairement anonymes et ne présentent que rarement une datation par colophon. De ce fait, à de rares exceptions près, leur datation est fonction de données codicologiques et paléographiques. Environ un quart des manuscrits sont attribuables à deux siècles de rédaction (fig. 1).
3La diachronie montre une copie irrégulière de ces textes au cours du Moyen Âge. On ne peut pas en déduire des périodes de « succès » opposées à des périodes de « déclin » : les données concernant la copie des manuscrits sont à pondérer de considérations relatives à leur conservation. D’une part, les objets parvenus jusqu’à nous ne représentent qu’une partie, difficilement évaluable, de la production totale des copies4. Par ailleurs, tous les textes n’ont pas eu la même chance de survie : ils sont inégaux par leur âge (plus un manuscrit est ancien, plus il a couru le risque de disparaître) et par leur contenu (les œuvres courtes disparaissent plus facilement que les longs écrits, dont il peut persister des fragments). Enfin, un manuscrit ayant connu un grand succès est plus susceptible d’avoir disparu, victime de son usure5. Il faut donc lire avec nuance les grandes inégalités quantitatives visibles entre haut Moyen Âge et bas Moyen Âge.
4La période antérieure au IXe siècle est quasi vierge de copies des textes de Cicéron. Ce vide n’est pas surprenant, le nombre global de manuscrits conservés pour cette période étant restreint6. Il faut attendre le IXe siècle et la « Renaissance carolingienne » pour voir le rétablissement de la tradition classique. L’élaboration du trivium et du quadrivium comme canons disciplinaires place alors les classiques latins au cœur des manuels et impose Cicéron comme maître de rhétorique7.
5Le nombre de copies baisse au Xe siècle, augmente nettement au cours du XIe siècle, avant d’atteindre un véritable pic au XIIe siècle. Jusqu’ici, à nouveau, le profil historique des manuscrits de Cicéron ne diffère pas de celui relevé pour les autres classiques latins. L’essor des écoles urbaines provoque une grande progression du nombre de livres en circulation : on atteint alors un premier seuil dans la copie des textes 8. Cet engouement s’atténue durant les décennies suivantes, si l’on se fie au nombre de manuscrits conservés pour le XIIIe siècle. Faut-il y voir un désintérêt pour Cicéron ? Selon Robert Black, oui. En observant le contenu de bibliothèques florentines à visée scolaire, il a mis en avant un effondrement de l’étude des classiques latins dans l’Italie du Duecento. Cela reflèterait, selon lui, une chute de la production de manuscrits classiques commune à toute l’Europe, bien que particulièrement marquée dans les écoles italiennes9.
6Pourquoi y aurait-il un intérêt moindre pour Cicéron dans l’Italie du XIIIe siècle ? Pourquoi, à l’inverse, observe-t-on au siècle suivant un dynamisme inédit de sa copie ? Que conserve-t-on de Cicéron et sous quelle forme ?
Notes de bas de page
1 Comparetti 1872 ; Vernet 1982. Quelques autres classiques latins ont bénéficié d’une étude systématique de leur réception médiévale, dont Salluste. Cf. Bolaffi 1949, p. 241‑257 ; Munk Olsen 1986 ; Rouziès 2004.
2 Reynolds 1983, p. xv‑xvi.
3 968 datations sont représentées dans la figure 1, car quatre manuscrits du corpus sont formés par l’association de deux copies attribuées à des périodes distinctes.
4 Le taux de survie des documents est difficile à déterminer. Eltjo Buringh, en utilisant des inventaires anglais, estime le taux de perte à environ 30% par siècle et par bibliothèque pour le bas Moyen Âge. Cf. Buringh 2011, p. 194.
5 Il s’agit du paradoxe relevé par Eligius Dekkers et Anselm Hoste : les textes les plus répandus dans l’Antiquité et les plus souvent cités au haut Moyen Âge ne nous sont parvenus qu’en peu d’exemplaires, en comparaison d’ouvrages moins célèbres. Les auteurs expliquent ce phénomène par l’usure qu’engendre la lecture d’un manuscrit : Dekkers – Hoste 1980 ; Munk Olsen 1986.
6 La plupart des manuscrits d’auteurs classiques conservés pour cette période a été rédigée en Italie. Birger Munk Olsen a comparé le nombre de ces manuscrits à celui des copies d’auteurs chrétiens fourni par Lowe dans les Codices latini antiquiores : le rapport, bien modeste, l’amène à conclure que les manuscrits classiques n’ont pas été copiés à grande échelle avant le IXe siècle. Cf. Munk Olsen 1990, p. 84.
7 Deux tiers des manuscrits d’auteurs classiques du IXe siècle sont d’origine française : Reynolds 1983, p. xxix.
8 Pour cette période, la majorité des manuscrits a une provenance bénédictine, bien que la primauté des scriptoria décline, en lien avec la promotion des écoles cathédrales. Cf. Munk Olsen 1996, p. 8.
9 Black 2001, p. 192.
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