Introduction
p. 17-22
Texte intégral
1L’abondance des œuvres attribuées à Cicéron aujourd’hui disponibles en fait l’un des auteurs les plus prolifiques de la littérature latine. Thématiques philosophiques, rhétoriques, sociales ou encore politiques enrichissent un corpus de discours, genre principal pour lequel l’auteur est célèbre. La structure actuelle de son œuvre invite à penser le personnage en sénateur et en avocat, homme d’action éloigné de la préciosité poétique – à laquelle il s’est pourtant exercé dans les Aratea, restés peu populaires1. Parallèlement, les correspondances de Cicéron nous permettent de donner une profondeur historique à l’individu, de décrire ses choix et de saisir ses réseaux. Or ses Epistulae n’ont été redécouvertes que tardivement, à partir du XIVe siècle2. Que connaissaient alors les lecteurs des engagements politiques du sénateur ? À travers quels mots et quelles affirmations Cicéron était-il transmis, conservé, reçu ?
2La transmission des manuscrits peut être entendue, dans un premier temps, comme duplication des œuvres. Elle renvoie aux conditions matérielles de la réitération des textes : les modalités de leur (re)production et l’objet qui en est le fruit. Cette transmission peut être présumée à l’aune de copies médiévales aujourd’hui connues, en prenant en considération leurs variations quantitatives et thématiques au cours du temps. Cette estimation n’est pas pleine connaissance, puisque ces sources sont partiales : les inventaires ne donnent à voir que des objets qui ont été jugés dignes de conservation et, plus modestement, qui ont été épargnés par l’usure et par les incendies au cours des siècles. Ce sont, en outre, des sources partielles, certaines copies ayant été mutilées ou modifiées à des dates inconnues. Un espace communal ne saurait être isolé parmi ces données. En effet, non seulement les rédacteurs et les lieux de copie des manuscrits sont rarement connus avec précision pour les XIIIe et XIVe siècles, mais leur élucidation livre un instantané statique qui ne rend pas compte de la forte mobilité des personnes et des biens animant le monde intellectuel de la période.
3La transmission peut également être pensée à travers les ambitions de ses acteurs. Or ici encore, nos connaissances sont bien maigres. Pourquoi le copiste privilégie-t-il un auteur plutôt qu’un autre ? Connaître les commanditaires des manuscrits offrirait quelques éléments de réponse mais les documents restent souvent muets. Au mieux, pouvons-nous nous tourner vers ceux qui achètent ou possèdent les textes et en laissent un témoignage comptable ; mais l’inventaire, le testament ou l’acte d’achat ne disent rien des pratiques de lecture. Ces sources laissent transparaître, souvent, les capacités financières des propriétaires, voire leur formation professionnelle, mais rarement leurs goûts. La conservation ne se donne pas toujours les mêmes buts et il est nécessaire, pour les détailler, de distinguer la transmission du manuscrit et celle de l’œuvre : les copies ne se valent pas, économiquement tout comme d’un point de vue philologique.
4Quels étaient les textes cicéroniens couramment disponibles aux XIIIe et XIVe siècles ? Comme pour la plupart des auteurs classiques latins, le recensement des copies est malaisé en raison de la multiplicité des espaces de production et des milieux de diffusion. La prolifération des manuscrits, conjuguée à leur éparpillement, rend une étude exhaustive fastidieuse3. Elle était au cœur du projet de Catalogus codicum classicorum latinorum lancé par Robert Sweeney à la fin des années 1960, rapidement abandonné4. Plusieurs recensements philologiques de manuscrits classiques existent pour la fin du Moyen Âge ; pour l’historien, ils présentent le défaut de n’indiquer que les témoins trouvant une place privilégiée au sein des stemmata5. En l’absence d’une étude systématique des copies d’œuvres cicéroniennes, je propose ici un relevé de manuscrits n’ambitionnant pas l’exhaustivité mais la meilleure représentativité possible6. Le relevé obtenu liste 964 manuscrits, lesquels contiennent 2207 copies distinctes d’œuvres de Cicéron7. Les informations relatives à ces documents sont disparates. Les lieux de rédaction des manuscrits sont par exemple rarement connus. Leur production ne peut, de ce fait, être envisagée dans un premier temps qu’à l’échelle occidentale.
Notes de bas de page
1 Le texte est la traduction latine d’un poème astronomique et météorologique d’Aratos de Soles (IIIe siècle av. n. è.). Les critiques à l’égard des poèmes cicéroniens ont été vives dès l’Antiquité et la moitié des Aratea est déjà perdue au Moyen Âge. Le texte circule de façon autonome par rapport aux autres œuvres de Cicéron. Il est généralement associé aux traductions d’Aratos par Germanicus et Aviénus, aux Poetica astronomica d’Hyginus ainsi qu’à des opuscules sur l’astronomie, l’astrologie ou la météorologie. Cf. Soubiran 1972, p. 8, 106 ; Dehon 2003.
2 Sabbadini 1905, p. 26‑27.
3 Faisant l’inventaire des classiques latins copiés entre les IXe et XIIe siècles, Birger Munk Olsen relève près de 600 manuscrits et fragments contenant des traités philosophiques et rhétoriques, des correspondances ou des discours de Cicéron. S’y ajoutent près de 85 manuscrits présentant les Aratea ou des poésies attribuées à Cicéron, ainsi qu’une quarantaine de documents contenant des Synonyma et Differentiae mises sous son nom. Aucun recensement prétendant à l’exhaustivité n’a été produit pour le Bas Moyen Âge. Cf. Buttenwieser 1930, p. 23 ; Buttenwieser 1942 ; Munk Olsen 1982-2014, I, p. 93‑250 ; Leonardi – Munk Olsen 1995, p. 186. John Ward recense 405 manuscrits ou fragments du seul De inventione et quelques 610 manuscrits de la Rhetorica ad Herennium rédigés avant le XVIe siècle, tandis que Michael Winterbottom relève près de 700 copies du De officiis pour la même période. Cf. Winterbottom 1993 ; Ward 2013b, p. 165‑166.
4 Sweeney 1968 ; Sweeney 1971.
5 L’ouvrage de Leighton Durham Reynolds, Texts and transmission, fait ici figure de référence : Reynolds 1983, p. 54‑142.
6 Plusieurs outils s’avèrent utiles afin d’établir un panorama des copies aujourd’hui disponibles. Divers inventaires des manuscrits latins restreignent la liste des documents présentés par bibliothèque ou par fonds. Cf. Mazzatinti et al. 1890-2013 ; Thomas 1896 ; De Ricci 1922 ; Wilson – De Ricci 1935 ; Pellegrin 1975-2010 ; Munk Olsen 1982-2014 ; Jeger 2016. Il faut y ajouter des inventaires numériques, tels ceux de la Bibliothèque Nationale de France, de la Biblioteca Ambrosiana, de la Bodleian Library, de la British Library ou de la Bayerische Staatsbibliothek. Ces derniers peuvent encore être complétés par les portails de recherche en ligne mis en œuvre par différents États, dont les projet Manus online, recensant les manuscrits des bibliothèques italiennes, ou Manuscripta Mediaevalia, collectant la description des manuscrits allemands. Un inventaire faisant le relevé spécifique des textes de Cicéron a été produit pour la bibliothèque universitaire de Leyde : Gumbert 1996. Ces données sont à compléter, pour la période postérieure à 1300, par les volumes du projet Iter Italicum, lesquels dressent une liste des manuscrits latins présents dans les collections non cataloguées des bibliothèques européennes. Cf. Kristeller 1963-1996. Pour permettre les comparaisons diachroniques et des œuvres entre elles, n’ont pas été pris en compte les recensements spécifiques à un texte cicéronien, tout comme les inventaires par période. Le panorama a été complété par le relevé des manuscrits décrits dans les fichiers manuels de la section latine de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (UPR 841).
7 La liste des manuscrits intégrés au recensement est disponible dans l’annexe 5.
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