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Chapitre 4. Techniques de construction

p. 89-119


Texte intégral

1Les données analysées dans ce chapitre, au sujet de la construction et du décor des édifices, sont issues du corpus de monuments. Cette étude se fera d’un point de vue technique. L’objectif est d’obtenir pour un type d’édifice une synthèse des techniques de construction, d’essayer d’en dégager les caractéristiques, par province au sein de l’Afrique et à l’échelle du monde romain. La réflexion portera également sur l’origine des matériaux. Ces observations constituent un préalable à une restitution des édifices. Au-delà des matériaux employés et des différents parements mis en œuvre dans la construction des fontaines monumentales, les bassins font l’objet d’une analyse particulière, en ce qu’ils constituent un élément essentiel de la fontaine et qu’ils présentent des particularités d’aménagement en Afrique qui les distinguent d’autres régions. Les vestiges du décor des édifices, sculpture architecturale et matériaux précieux, font l’objet d’un premier bilan technique.

1. Gros œuvre : matériaux et techniques

2Les techniques de construction d’époque romaine sur le sol africain n’ont pas fait l’objet d’une synthèse1. Les études publiées le sont généralement à l’occasion de la monographie d’un édifice ou d’une ville. Il est vrai que l’Afrique recouvre des réalités géologiques et culturelles très diverses et qu’il est difficile d’esquisser des généralités sur les matériaux utilisés ou les techniques de construction en dehors d’un cadre régional. C’est pourquoi j’ai choisi de présenter les données issues du catalogue par province, en soulignant pour chaque site, en fonction des publications disponibles, la cohérence des matériaux et des techniques mis en œuvre dans la construction des fontaines2.

Approche régionale

Maurétanie tingitane

3Le nymphée de Sala [cat. 1], daté du règne de Trajan, est en très grande partie construit en briques cuites, majoritairement de forme triangulaire (fig. 14). Le niveau supérieur I était surmonté d’une maçonnerie en petit appareil de moellons de grès dont on distingue encore quelques assises régulières. Au Maroc3, les maçonneries en briques sont en usage dès l’époque romaine, au moins à partir de la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C., dans les espaces de chauffage des établissements thermaux : c’est d’ailleurs dans ce seul cas de figure qu’on les rencontre à Volubilis. L’utilisation de la brique dans les parements est en revanche très rare et plutôt attestée au tournant des IIe et IIIe siècle, à l’instar de Thamusida et Banasa.

Fig. 14 – Sala, nymphée, vue générale vers le nord-est (2010).

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4Les autres édifices de cette province sont ceux de Volubilis. É. Lenoir a bien montré dans l’étude des Thermes du nord qu’il était tout à fait impossible d’établir des phases chronologiques de construction fondées sur l’emploi d’un type de matériau, comme cela avait été suggéré auparavant par l’étude des carrières4. Pour les trois fontaines du site, il semble que le calcaire gris du Zerhoun est le matériau principalement employé5 mais les importantes restaurations et, pour la fontaine du marché, les remplois probables rendent l’analyse difficile. La fontaine située près des Thermes du nord [cat. 2] présente une technique assez analogue à celle du premier état de l’établissement thermal, un « blocage parementé de petits moellons ébauchés, de dimensions hétérogènes, disposés à la main et sommairement alignés, calés par des éclats de pierres » selon la description d’É. Lenoir6. De la même façon, des blocs taillés de calcaire sont employés dans les chaînages d’angle. Les similitudes des techniques de construction pourraient conforter une contemporanéité avec les thermes et la branche de l’aqueduc qui les dessert mais ne suffisent pas à préciser une datation absolue.

Maurétanie césarienne

5Deux sites représentent cette province dans le corpus. À Caesarea, j’ai répertorié trois édifices. Le nymphée « caserne » [cat. 6] était construit en moellons qui constituaient certainement le parement du mur rempli de blocage, si l’on en croit l’épaisseur qui atteignait 1,50 m. L’abside du nymphée du théâtre [cat. 8] était également construite en moellons (cf. fig. 28) assez régulièrement assisés et l’épaisseur du mur était en blocage. La voûte, dont on aperçoit la naissance, était construite avec ces mêmes moellons. Les deux bassins inscrits dans l’abside étaient en revanche aménagés en briques jointes par une épaisse couche de mortier entre chaque assise. Le dernier édifice est le Nymphée du plateau sud [cat. 7], construit en blocage parementé d’opus reticulatum dont les carreaux de tuf mesuraient 7 cm de côté pour une longueur de 13 cm. À propos de cette technique, P. Leveau notait qu’elle était employée dans des chambres funéraires de Caesarea, par exemple au tombeau nº 2. Le mode de construction de l’opus reticulatum correspondrait à la deuxième période d’utilisation de cet appareil définie par G. Lugli, c’est-à-dire avant 55 av. J.-C.7

6Le second site, celui de Tipasa, accueille l’un des nymphées les plus grands et les mieux étudiés d’Afrique [cat. 9]. Son mode de construction a été examiné en détail. La maçonnerie du podium semi-circulaire est en opus incertum renforcé sur sa face postérieure, entre 1,50 et 1,75 m au-dessus des fondations, par une bande continue de trois rangées de briques (fig. 15). Une telle ceinture augmentait la résistance aux déformations centrifuges et aux affaissements. Cette rangée de briques constituait une assise de réglage, juste avant d’atteindre le niveau II où l’horizontalité était nécessaire au système hydraulique. Cette dernière est également atteinte sur la face antérieure par des assises identiques de briques qui traversaient donc, sans doute, toute l’épaisseur de la paroi8. Le mur en hémicycle venait buter sur deux massifs en maçonnerie et pierre de taille. Sur le massif nord-ouest, le mieux conservé, on observe que la maçonnerie était constituée par des briques qui venaient s’engager en chaînage dans l’opus incertum, comme les trois assises de pierre de taille. Le mur semi-circulaire en opus incertum s’élevait au-dessus de la partie postérieure de la terrasse II et formait un mur de fond épais de 1,42 m pour celle-ci. À ses extrémités nord, il est entièrement construit en opus testaceum sur sa face antérieure9. P. Aupert proposait quelques rapprochements dans les techniques de construction10. Pour les parties en opus incertum, il comparait le nymphée au baptistère rond de Cuicul, datable de la fin du IVe ou du début du Ve siècle11 et surtout à la cathédrale de Tipasa, datable du début du IVe siècle12. Selon lui, la relative régularité des moellons interdirait une datation du nymphée au-delà du IVe siècle. Il ne propose pas de comparaison pour l’alternance avec les briques mais des études postérieures nous permettent d’établir des rapprochements.

Fig. 15 – Tipasa, nymphée, vue arrière avec les piliers qui supportaient le canal d’arrivée d’eau (2010).

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Numidie

7Plusieurs fontaines ont été inventoriées à Cuicul ; trois d’entre elles sont construites en opus quadratum. Le château d’eau du forum sud est construit en blocs de grand appareil de calcaire (cf. fig. 123), de même que la fontaine conique [cat. 13] et l’hémicycle-fontaine (cf. fig. 126) intégré au portique nord du forum sud. En revanche, la fontaine de la Tétrarchie, comme celle au dieu Océan13 un peu plus loin, était composée d’un squelette de grand appareil en pierres de taille avec remplissage de briques, selon le même mode que l’opus africanum : on voit même sur les faces latérales une haste composée de plusieurs blocs de grand appareil (fig. 16), tandis qu’à l’arrière le parement est intégralement en opus testaceum. La façade de la fontaine est intégralement construite en blocs de grand appareil qui étaient soigneusement taillés, une attention plus grande étant rendue nécessaire par la courbure du massif composé de plusieurs blocs. On notera également que les joints verticaux ne sont pas superposés mais en quinconce. La construction de cette dernière fontaine datée de 295 par l’épigraphie [ins. 7] autorise le placement d’un jalon chronologique pour l’emploi de la brique.

8Étudiant les techniques de construction des maisons du quartier central, M. Blanchard-Lemée avait noté, à propos de la Maison de l’Âne, que l’emploi des arases de briques dans les parements intervenait dans la phase postérieure à la construction de la cella du temple de Vénus Genetrix et au groupe des pièces entourant le péristyle qui présentaient la même technique que cette cella. Au moment où la maison a inclus le temple, celui-ci était peut-être fermé, voire même partiellement détruit14. La technique serait employée ici à la fin du IVe ou au début du Ve siècle, lors de la seconde phase de décoration de la maison, alors qu’elle s’étendait vers le nord15. Cette datation est cohérente avec celle proposée pour le nymphée de Tipasa qui présente les mêmes arases de briques dans les murs de petit appareil. Cette technique, opus uittatum mixtum ou opus listatum lorsque les arases sont traversantes16, est utilisée dès la seconde moitié du Ier siècle av. J.-C. en Italie ; en Afrique, on la retrouve employée dans plusieurs édifices du programme sévérien de Lepcis Magna, parfois dans un seul monument sur un site, comme à Caesarea aux Thermes de l’ouest. De fait, il est difficile de dater une construction à partir de l’emploi de l’opus listatum, par ailleurs très diffusé au-delà du IVe siècle17.

9Les deux monuments de Lambèse sont totalement détruits et on ne peut que se fonder sur les études précédentes pour en décrire les techniques de construction. M. Janon indique qu’un mortier très fin subsistant sur le dallage assurait la liaison entre le soubassement et les pierres de taille du septizonium [cat. 16], suggérant dès lors une construction en grand appareil. À propos du nymphée de la groma [cat. 17], F. Rakob proposait une construction en opus africanum. Il est impossible de proposer des commentaires plus détaillés. La fontaine de Rusicade [cat. 19] n’est également connue que par des descriptions et des plans anciens : elle devait être construite en blocs de grand appareil si l’on en croit le relevé d’A. Delamare (cf. fig. 45).

Fig. 16 – Cuicul, fontaine de la Tétrarchie, vue latérale vers le nord (2010).

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10Deux édifices font usage de la brique. Le nymphée de Cirta était construit en blocage selon S. Gsell mais les témoignages de M. Christofle rapportent l’utilisation de briques, confortant ainsi les relevés d’A. Delamare qui montrent un parement de briques avec remplissage d’opus caementicium (fig. 17). À Timgad, la fontaine de Liberalis [cat. 20] présente un massif central circulaire avec parement d’opus testaceum rempli de blocage18. Assez rare en Afrique, notamment dans le cas de parements entiers de murs, la brique est bien attestée à Timgad et Lambèse en raison de l’activité de la IIIe Légion Auguste, ainsi que l’indiquent les timbres19. Par ailleurs, le commerce de briques entre la péninsule italique et l’Afrique ne s’arrêtait pas aux sites côtiers et atteignait des sites plus loin dans les terres, le long de la vallée de la Medjerda et jusqu’à Cirta. Une production locale est également attestée, à Timgad comme à Cirta, par la présence de fours et de marques de fabrication20.

Fig. 17 – Cirta, nymphée, dessin d’une vue des ruines (Delamare 1850, pl. 138, fig. 11).

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11La fontaine des Grands Thermes sud [cat. 21] à Timgad présentait un massif en blocs de grand appareil comblé par du blocage (fig. 18). C’est le système de construction qu’on retrouve pour la plupart des autres petites fontaines du site et de Cuicul21.

Proconsulaire / Tripolitaine

12La diversité des techniques et leur association se retrouvent en Proconsulaire. La totalité de la structure de la fontaine peut être construite en grand appareil. La fontaine d’Althiburos est aménagée en pierres de taille minutieusement appareillées (cf. fig. 29), de même qu’à Pheradi Maius les arcades comme le mur de fond sont en blocs de calcaire de grand appareil (fig. 11). La fontaine de Flavius Tullus à Sabratha [cat. 34] est constituée d’un massif en blocs de pierre calcaire. D’autres fontaines sont intégralement construites en petit appareil de moellons. À Hippone, l’abside de la fontaine au nord du forum [cat. 26] est construite en blocage avec parement de petit appareil. À des échelles plus importantes, le nymphée de Siagu (fig. 19) et celui de Sabratha [cat. 33] sont également construits en petit appareil.

Fig. 18 – Timgad, fontaine des Grands Thermes sud, vue du massif et du bassin vers le sud-est (2010).

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13Les deux techniques peuvent se compléter. La fontaine de Thuburbo Maius [cat. 45] et le nymphée de Sufes sont constitués d’un noyau de blocage, dans ce dernier cas avec des galets provenant de l’oued proche, parementés de blocs de grand appareil très soignés (cf. fig. 66). Les canaux de circulation de l’eau conservés en élévation sur les deux niveaux inférieurs étaient couverts d’une voûte en moyen appareil de moellons rectangulaires. Dans d’autres cas, le soubassement de l’édifice est constitué de grand appareil et surmonté d’une élévation en blocage. C’est le type de construction que J.-P. Cèbe suggérait pour la fontaine au sud-ouest du forum à Sbeitla (cf. fig. 72) et qu’on pourrait envisager pour les deux autres fontaines du site [cat. 42-43] ; quelques vestiges de moellons sont visibles sur la fontaine nord. De la même façon, le nymphée de Simitthus était constitué de deux assises de grand appareil surmontées de blocage encore visible, en place et effondré dans le bassin, sur les photographies anciennes et le croquis de C. Saumagne [cat. 38].

14Les fontaines de Dougga présentent des similitudes dans leur mode de construction. Le lacus de Terentius [cat. 48] et la fontaine du théâtre [cat. 49] étaient constitués d’un soubassement en blocage avec parement d’orthostates compris entre deux assises moulurées s’étendant sur toute la largeur de la façade. Il faut noter qu’on retrouve ce même type d’aménagement ailleurs sur le site, au sanctuaire des Victoires de Caracalla dont le mur de fond de la cella présentait un soubassement composé d’une série d’orthostates surmontant une plinthe et recouverte d’une corniche, tandis que son élévation se poursuivait en petit appareil22. De la même façon, au-dessus du soubassement de la fontaine, la structure est en petit appareil de moellons avec un chaînage d’angle en moyen appareil, au lacus (cf. fig. 67) comme pour la fontaine semi-circulaire (cf. fig. 97). Cette dernière était intégralement construite en moellons, assez régulièrement parementés, même si l’arrachement des arcs et culs-de-four des niches peut laisser supposer qu’ils étaient réalisés en grand appareil.

Fig. 19 – Siagu, le nymphée au début du XXe siècle (?) (

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© INHA, Fonds Poinssot, 106, 100, 02).

15Il faut enfin mentionner l’utilisation de la brique, essentiellement dans le sud-ouest de la Proconsulaire (Tripolitaine) mais également sur un site côtier, Hippone. La fontaine à la Gorgone [cat. 25] était parementée en opus testaceum, probablement autour d’un cœur en blocage (fig. 20). Les autres fontaines attestant l’usage de la brique cuite se trouvent à Lepcis Magna, même si les techniques employées sont diverses au sein des édifices23. Le Grand Nymphée se composait d’un imposant massif de maçonnerie en blocage recouvert d’opus uittatum mixtum, lequel était parementé d’une façade en opus quadratum isodome imparfait (cf. fig. 42). Le Petit Nymphée était construit en blocage avec parement de briques (fig. 21), technique caractéristique de celles mises en œuvre dans le reste des constructions du programme sévérien et employée plus généralement dans les thermes et les fontaines du site24. Le Nymphée à l’Hercule [cat. 29] se composait dans la partie inférieure d’opus africanum tandis que toute la partie supérieure était appareillée de briques sur une maçonnerie en blocage (fig. 22). De la même façon, le lacus du théâtre [cat. 30] était constitué d’un podium composé d’éléments de calcaire en remploi et de blocage ; au-dessus, l’exèdre était construite en opus testaceum composé de briques principalement bessales.

Fig. 20 – Hippo Regius, fontaine à la Gorgone (Delestre 2005, p. 123

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© D.R.).

16L’usage de la brique est attesté à Hippone dans les Grands Thermes du nord à l’époque sévérienne. Les bipedales provenaient de l’atelier de Claudius Felix à Salerne. De manière générale, Y. Thébert a noté l’association assez fréquente entre édifices balnéaires africains et production provenant d’Italie25. L’influence des techniques édilitaires italiennes à Hippone a également été notée par H. Dessales dans l’emploi de l’opus reticulatum26 pour la construction de l’aqueduc27 un siècle auparavant. Pour la fontaine à la Gorgone, il faudrait vérifier la présence de marques de fabrication et connaître la dimension des briques pour essayer d’en déterminer l’origine. À Lepcis Magna, J. B. Ward-Perkins avait noté la relative rareté de l’usage des briques en dehors des constructions du complexe sévérien dans lequel elles étaient fréquemment utilisées avec du blocage, en particulier pour le Petit et le Grand Nymphée mais également le forum et la basilique28. Leur usage est, dans tous les cas, bien documenté dans les aménagements de chauffage des thermes, pour des raisons évidentes de résistance à la chaleur, déjà dans la première moitié du IIe siècle, probablement en rapport avec la restructuration du réseau hydraulique due à Servilius Candidus. Les élévations intégralement en briques sont utilisées pour la première fois dans trois fontaines, le lacus du théâtre, le Nymphée à l’Hercule et le nymphée à l’ouest du chalcidicum29. Pour la quasi totalité des fontaines mentionnées à Lepcis Magna, les briques étaient des bessales triangulaires. Dans le cas du nymphée ouest du chalcidicum30, les briques de section trapézoïdale ne trouvent de comparaison ni à Lepcis Magna (celles du Nymphée à l’Hercule sont de section triangulaire), ni en Tripolitaine mais sont à rechercher dans le Latium. F. Tomasello suggère que ce matériel pourrait avoir été importé d’une aire de production occidentale ou produite par un atelier de potiers occidentalisés à placer dans un contexte nord-africain, étant donné les découvertes similaires faites à Thélepte et la longueur moyenne des briques (37 cm) qui correspondrait au bras local. L’utilisation simultanée et non homogène de briques de section trapézoïdale et rectangulaire laisse envisager, à Lepcis Magna dans le courant du IIe siècle, l’utilisation d’une technique allogène et une de ses phases d’expérimentation qui n’aurait toutefois pas été suivie, en raison de l’absence de matériau argileux à proximité et de la grande disponibilité de matériau lapidaire local31. On rappellera d’ailleurs que dans la construction des thermes d’Antonin à Carthage, A. Lézine précisait que des « plaquettes » de pierre taillées en forme de briques étaient utilisées pour les voûtes, caniveaux et revêtements des parois, les constructeurs ayant adapté une technique de construction originaire du Latium mais sans en employer le matériau32.

Fig. 21 – Lepcis Magna, petit nymphée transformé en église, élévation, plan et coupe (Ward-Perkins – Goodchild 1953, fig. 33, p. 82

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© D.R.).

Fig. 22 – Lepcis Magna, nymphée à l’Hercule, vue générale (cl. J. B. Ward-Perkins, 1946

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© British School at Rome, nº wplib-46. XVII.26).

Les captages de source

17Plusieurs captages de sources sont aménagés de telle sorte qu’ils constituent de véritables monuments, situés en milieu urbain ; je les désigne sous le terme de captages monumentalisés. Il s’agit de captages de résurgences ou de galeries drainantes33 dont le ou les bassins sont mis en valeur par une architecture monumentale.

18La forme la plus simple de ces aménagements consiste en un grand bassin à l’air libre qui recueillait les eaux. À Mila, l’eau devait arriver dans un important bassin carré limité par un mur courbe construit en blocs de grand appareil à joint vifs toujours conservé (fig. 4). À Sua, l’eau sortait des barbacanes par des ouvertures constituées de montants en blocs de moyen appareil couverts d’un linteau (fig. 23), avant de se déverser dans un bassin trapézoïdal d’une surface de 105 m2 environ construit en opus africanum avec des moellons calcaires de grande taille (60 × 25 cm environ). On rencontre le même type de construction à Vreu, à une vingtaine de kilomètres de Sua, pour le captage de la source Aïn Ouraou construit en petit et grand appareil et dont une ouverture au débouché d’une galerie est couverte d’un linteau sur des montants en moellons de grandes dimensions34. À Bulla Regia, ce sont deux grands bassins qui composaient le nymphée, en fait le captage monumental d’une source qui sourdait à cet endroit (fig. 24). Les dimensions sont colossales : le premier bassin mesurait 56,60 × 25,30 m et le second 60,60 × 40,10 m (fig. 25). Nous savons seulement que le premier bassin était construit en pierres de taille, grand appareil dont on peut encore observer les vestiges de nos jours et qui a été en partie remployé à l’époque française pour l’aménagement du captage moderne.

Fig. 23 – Sua, captage de l’Aïn Menzel, ouverture sur la chambre de captage nº 3 (2010).

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19Il existe également des aménagements comportant une partie couverte en plus d’un bassin à l’air libre. À Thubursicum Bure [cat. 46], le premier bassin de réception des eaux devait se trouver dans une salle voûtée, puis un second bassin à l’air libre mettait les eaux à disposition du public. Un témoignage mentionne des pierres de taille dans la construction. À Sicca Veneria, la source d’Aïn el Kef se composait de deux chambres d’eau rectangulaires dont les voûtes reposaient sur des piliers maçonnés de grand appareil. Le reste de l’élévation était monté en moellons. L’eau sortait ensuite par un arc en grand appareil (cf. fig. 71), toujours visible aujourd’hui, avant d’être recueillie dans un bassin à l’air libre.

20Les éléments et l’architecture de ces captages sont assez typiques des autres exemplaires connus du monde romain. Le nymphée de Glanum constitue un excellent point de comparaison. Ce dernier recueillait les eaux d’une source issue d’une émergence karstique qui sourdait à une dizaine de mètres à l’ouest. Une chambre de captage souterraine est située en amont et un bassin non couvert en aval. La première est composée au sud, au nord et à l’est de murs en grand et moyen appareil posés à sec, percés à leur bases de barbacanes-drains, tandis que le mur ouest, constitué d’un blocage monté à sec, est complètement perméable sur toute sa surface, permettant l’écoulement des eaux. Le bassin ouvert forme un quadrilatère asymétrique accessible par une volée de marche pour le puisage de l’eau35. Parmi les publications récentes, l’exemple du captage de l’aqueduc de Bellegarde à Laval est également caractéristique : une chambre captait les eaux avant de les réunir dans un bassin à l’air libre d’où partait le conduit de l’aqueduc36.

21Il faut également mentionner en Afrique le captage des eaux du Djebel Zaghouan pour l’alimentation de l’aqueduc de Carthage : l’eau qui sourdait à travers les fissures du rocher suivait son parcours naturel jusqu’au bassin collecteur bilobé où elle était alors canalisée37. À Oudhna, parmi les sources qui alimentaient les différentes branches de l’aqueduc, celle d’Aïn Alalgiya se composait d’une chambre de captage construite en blocs de grand appareil de grès et au lieu-dit Kef Grhab, un bassin en maçonnerie renforcé aux angles de pierres de grès de grand appareil recueillait les eaux de suintement des sources et pourrait indiquer l’emplacement d’un captage38.

Fig. 24 – Bulla Regia, plan du nymphée par H. Saladin d’après Winkler (Saladin 1893, fig. 45).

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Fig. 25 – Bulla Regia, perspective restituée du nymphée et de l’arc, d’après le croquis de Winkler.

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22Pour préserver la porosité de l’aquifère et permettre à l’eau d’arriver par les barbacanes ménagées dans les parois, le fond des conduits ne devait pas être étanche, ce qui explique l’absence de traces de béton de tuileau39 et les constructions à joints vifs de la plupart des captages, comme j’ai pu l’observer en détail au captage de l’Aïn Menzel à Sua.

Quelques particularités d’assemblage

23La fontaine de Liberalis à Timgad [cat. 20] conserve des marques d’assemblage40 sur le corps de moulure de son massif central. Ce système de numérotation est bien connu pour l’époque grecque41 : il était fréquent sur les tambours de colonnes pour lesquels les marques étaient indiquées sur le lit d’attente. À Lepcis Magna, dans le cadre du grand programme sévérien, les blocs étaient, la plupart du temps, taillés à une telle proximité du lieu d’assemblage qu’il n’y avait aucun besoin de noter l’ordre des pièces terminées. Une exception est à noter pour les blocs de corniche, au sommet de l’abside de la basilique sévérienne, qui étaient taillés au sol puis assemblés : l’ordre d’assemblage était indiqué par des lettres grecques Α|Α, Β|Β, Γ|Γ, etc. gravées sur le lit de pose des blocs adjacents, de chaque côté du joint42. Ce système de numérotation par lettres rappelle celui de trois colonnes ioniques retrouvées à l’agora grecque d’Athènes, où la même lettre était gravée sur des lits jointifs43. Un système de numérotation par barres verticales successives a longtemps été employé simultanément et jusqu’à l’époque romaine44 : c’est de cette manière qu’est indiqué l’ordre d’assemblage des blocs à Timgad, en chiffres romains de 1 à 15.

24Deux originalités sont toutefois à noter pour la fontaine de Liberalis. En premier lieu, la numérotation se faisait non par deux chiffres semblables de part et d’autre du joint mais à cheval sur les deux blocs pour les chiffres de 1 à 9, par une série de barres horizontales (fig. 26), et en miroir de chaque côté du joint pour les chiffres de 10 à 15 (fig. 27), sans utiliser le V, soit X|X, IX|XI, IIX|XII, etc. En second lieu, il est assez étonnant que ces marques soient gravées sur la moulure même et par conséquent qu’elles soient visibles. Doit-on y voir l’indice d’un remploi qui ne serait pas incohérent avec la datation de la fontaine au milieu du IIIe siècle ? Cela est difficile à croire. En effet, la moulure est composée de dix-sept blocs – en apparence pas tous dotés d’une marque d’assemblage – dont les joints ne sont pas placés aux angles de l’octogone : il faudrait donc que la moulure ait été récupérée d’un monument de mêmes forme et dimensions. Il est plus probable qu’elle a été conçue spécifiquement pour l’édifice : si l’on admet que l’eau s’écoulait sur celle-ci, alors les marques se trouvaient dissimulées mais l’eau pouvait également tomber par-devant, à travers des bouches, et la masquer en partie. Quoi qu’il en soit, la moulure est assez grossière et ce détail n’a peut-être pas attiré l’attention des constructeurs.

Fig. 26 – Timgad, fontaine de Liberalis, marque d’assemblage, IIIIIII, chiffre 7, à cheval sur les deux blocs (2010).

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Fig. 27 – Timgad, fontaine de Liberalis, marque d’assemblage, IIIX, chiffre 13, en miroir à la limite d’un bloc (2010).

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25La présence de mortaises indique que des crampons métalliques étaient utilisés dans la construction de deux monuments45. À Timgad, des mortaises trapézoïdales sur le lit d’attente des blocs épigraphiés de la fontaine de Liberalis [cat. 20] permettaient de les assembler par des crampons. À Dougga, ce sont les orthostates de la fontaine du théâtre [cat. 49] qui étaient maintenues entre elles par un crampon à double queue d’aronde.

26On note, également, la présence de trous de louve dans les blocs formant le dallage de soubassement de la fontaine de Mactar (cf. fig. 144) et dans ceux du massif du château d’eau du forum sud de Cuicul, à l’arrière des bassins A, B et C [cat. 12].

Fig. 28 – Caesarea, fontaine du théâtre, vue du bassin ouest (2010).

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2. Les bassins

Les bassins de décantation

27Je nomme bassins « de décantation » les réservoirs intermédiaires situés entre l’arrivée d’eau dans l’édifice et les bassins de puisage. Contrairement à ces derniers, les bassins de décantation n’étaient pas accessibles aux usagers car situés en hauteur ou au second plan46. Leur présence n’est pas systématique, l’eau pouvait être directement déversée d’une bouche vers le bassin de puisage. On relève néanmoins leur existence dans plusieurs édifices.

28À Volubilis, les deux fontaines près des Thermes du nord présentaient un bassin de décantation. La fontaine au sud-ouest [cat. 2] disposait d’un bassin semi-circulaire recouvert de mortier. La fontaine double [cat. 3] se composait d’un premier bassin, dans lequel débouchait la branche de l’aqueduc, puis de deux bassins semi-circulaires : les restaurations n’autorisent pas d’identification précise de leur aménagement intérieur. De même, le bassin semi-circulaire conservé sur la fontaine des thermes du capitole [cat. 4] devait être un bassin de décantation qui a été restauré : le bassin de puisage prenait alors place en avant. À Caesarea, la grande abside de la fontaine du théâtre [cat. 8] constituait, peut-être, un bassin de décantation, avant que l’eau ne se déverse dans les deux bassins semi-circulaires à l’avant. Le fond de cette abside était recouvert de mortier de tuileau mais la communication avec les bassins de puisage est difficile à préciser en l’état (fig. 28). Les bassins A, B et C du château d’eau du forum sud de Cuicul [cat. 12] devaient également jouer le rôle de bassins intermédiaires. À Sbeitla, deux fontaines [cat. 41-42] présentaient probablement le même type de bassins intermédiaires, formés de plaques placées entre les ressauts du massif principal, d’où l’eau se déversait dans un grand bassin de puisage à l’avant (cf. fig. 72). Pour la fontaine nord [cat. 43], en revanche, j’ai proposé d’identifier le bassin conservé à un bassin de décantation depuis lequel l’eau se déversait dans un bassin de puisage restitué à l’avant47.

29Dans tous les cas présentés, et pour ceux qui sont suffisamment bien conservés, on note que les bassins de décantation étaient recouverts de mortier de tuileau mais ne faisaient pas l’objet d’une attention particulière dans leur aménagement : si le jet ou la nappe d’eau qui s’écoulait vers le bassin de puisage pouvait être mis en valeur, le fond des bassins intermédiaires n’était pas visible, non plus que leur paroi. L’attention est surtout portée sur le bassin de puisage, élément directement accessible au passant et point de contact entre l’usager et le monument.

Les bassins de puisage

Techniques de construction du parapet

30Je distingue les bassins de puisage48 du reste de la fontaine car ils forment, dans ce type d’édifice monumental, un élément propre de la construction, contrairement aux petites fontaines de rues dont le bassin constitue le corps même de la fontaine. En Afrique, les parapets des bassins sont, dans leur quasi-totalité, composés de plaques posées de chant et encastrées dans les rainures de petits piliers intermédiaires49.

31L’encastrement vertical pouvait se faire de deux façons : la plaque pouvait présenter une languette qui s’insérait dans la rainure d’un pilier, comme pour la fontaine de la Tétrarchie à Cuicul [cat. 15] et celle d’Althiburos (fig. 29), ou, plus fréquemment, s’emboîtait sur toute son épaisseur, à Tipasa (fig. 30), Mactar et à la fontaine des Grands Thermes sud de Timgad.

32Leur lien avec le sol environnant diffère mais, dans leur grande majorité, les parapets étaient également encastrés dans une rainure au sol. À Chemtou (fig. 31) et à Cuicul dans l’hémicycle-fontaine (cf. fig. 126), le parapet du bassin était posé sur une plinthe, bloc rainuré qui reposait sur le sol, de même que pour la fontaine hexagonale de Dougga (fig. 32). Plus simplement, le parapet pouvait être construit sur le dallage même de la rue. C’est, probablement, le cas de la fontaine de la Tétrarchie à Cuicul [cat. 15] et celui de la fontaine des Grands Thermes sud de Timgad. Il en est de même du grand bassin trapézoïdal ajouté à l’avant du nymphée de Lepcis Magna mais la balustrade existait (cf. fig. 141), en fait, avant que cette partie ne soit transformée en bassin : c’est l’ajout d’un mur de petit appareil à l’arrière qui a assuré l’étanchéité. Le bassin pouvait également être installé sur un dallage spécialement préparé pour lui, dans la continuité mais distinct du dallage de la voie publique. C’est le cas des trois fontaines de Sbeitla [cat. 41-43] dont l’exemple le plus clair est celui de la fontaine près de la basilique de Servus (fig. 33) pour laquelle on voit bien la distinction entre le dallage de la plate-forme et celui constituant le fond du bassin. De même, à Tipasa [cat. 9], le parapet était installé directement sur la plate-forme sur laquelle prenait place le nymphée, selon le même principe qu’au nymphée de la groma à Lambèse [cat. 17] dont la destruction laisse voir les marques d’encastrement dans le soubassement (fig. 34). À Mactar, une grande dalle constituait le fond de chacun des deux bassins latéraux : rainurée sur tout son pourtour, elle accueillait des plaques posées de chant et encastrées verticalement dans des piliers (fig. 35). C’est possiblement le cas du château d’eau du forum sud [cat. 12] de Cuicul si l’on en croit la différence d’orientation des dalles, obliques sur la grande place et perpendiculaires à l’édifice dans l’espace G qui était peut-être un bassin.

33Lorsque le monument est détruit ou, au contraire, très bien conservé, il est difficile de déterminer si le parapet était encastré ou reposait simplement sur le sol. Grâce aux descriptions anciennes, on sait ou l’on peut supposer que le système de plaques et piliers était employé : c’est le cas du nymphée de Cirta [cat. 11] et du septizonium de Lambèse [cat. 16] ; le nymphée « caserne » de Caesarea [cat. 6] disposait d’un bassin constitué de plaques hautes de 1,40 m mais on ne sait pas si elles s’inséraient dans des piliers. Dans tous les cas, on ne connaît pas leur mode de liaison au sol. Lorsque le bassin est intégralement conservé, il est difficile de déterminer quel est son lien avec le sol, ainsi à Althiburos [cat. 22], pour la fontaine de Liberalis à Timgad [cat. 20] et la fontaine conique de Cuicul [cat. 13] (fig. 36). On peut observer pour ces deux derniers exemples que les plaques et les piliers reposaient sur le sol environnant : il faut supposer qu’ils n’étaient pas encastrés. Néanmoins, il n’est pas impossible qu’un tenon moins large que la plaque posée de chant s’encastrait dans une rainure qui se trouve de fait cachée par la largeur de cette plaque de parapet. La fontaine à la Gorgone à Hippone [cat. 25] présente sur certaines photographies des plaques sculptées de motifs (fig. 20), comme celles du Nymphée à l’Hercule de Lepcis Magna (cf. fig. 142). Elles étaient certainement encastrées et maintenues par des piliers.

Fig. 29 – Althiburos, fontaine vue vers le sud (2010).

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Fig. 30 – Tipasa, nymphée, vue du bassin latéral b3, niveau I (2010).

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34Parmi les exemples suffisamment bien conservés, un cas de parapet construit en petit appareil a été relevé, celui de la fontaine du théâtre de Caesarea [cat. 8]. La mauvaise conservation du monument empêche d’observer en détail la construction du bassin mais il semblerait que le « parapet » de moellons soit en fait le massif de la fontaine (fig. 28) : en effet, le fond des deux petits bassins semi-circulaires pourrait être constitué par le niveau supérieur de ce massif et les deux grands linteaux délimiteraient ces bassins à l’avant, constituant en même temps l’appui du parapet.

Fig. 31 – Simitthus, croquis du nymphée (Saumagne 1932-1933, p. 509

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© D.R.).

Fig. 32 – Dougga, fontaine hexagonale, vue du soubassement vers le sud-est (2009).

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35Quelques bassins étaient construits en grand appareil. Deux exemples proviennent de Tripolitaine, le Grand Nymphée de Lepcis Magna [cat. 27] dont le bassin semi-circulaire était fermé, à l’avant, par un parapet en blocs de grand appareil dans lequel étaient percées des bouches ; la fontaine de Flavius Tullus à Sabratha [cat. 34] pourvue, à l’avant, d’un bassin rectangulaire composé de deux assises de blocs d’un module identique à ceux utilisés pour le massif. Les trois autres exemples viennent de Tingitane, plus précisément de Volubilis : les deux fontaines près des Thermes du nord présentaient un parapet formé de grandes plaques de calcaire gris posées de chant. Une partie des plaques de la fontaine double [cat. 3] a disparu et l’on peut observer qu’il n’y avait pas de rainure d’encastrement au sol. Les plaques du bassin de l’autre fontaine [cat. 2] étaient maintenues entre elles par des crampons (fig. 37). Les bassins aménagés au pied de l’arc de triomphe de Volubilis [cat. 5] étaient composés de deux assises sur la façade sud (fig. 38) mais d’une plaque – en deux morceaux – pour le bassin subsistant sur la façade nord. Ce mode de construction rappelle celui des fontaines de rue de Pompéi dont le bassin était constitué de quatre plaques dressées, maintenues entre elles par des crampons de fer scellés au plomb50, technique qui se diffuse en Italie et dans les provinces, comme dans certaines domus de Brescia ou de Vérone, ou encore dans la Maison au Dauphin de Vaison-la-Romaine51.

Fig. 33 – Sufetula, fontaine près de la basilique de Servus, détail du dallage du bassin de puisage et des bassins de décantation à l’arrière (2010).

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L’étanchéité du bassin

36Les bassins de puisage devaient être conçus de façon à être étanches. Le fond du bassin est le premier élément à examiner. Lorsque le parapet est directement installé sur le dallage de la rue, c’est ce dernier qui compose le fond du bassin. Nous l’avons vu, précédemment, à Timgad [cat. 21] et Cuicul [cat. 15] mais, aussi, au grand bassin trapézoïdal à l’avant du nymphée de Lepcis Magna [cat. 27], même s’il ne s’agissait pas, dans ce dernier cas, du dallage de la voie publique. Il n’y a pas de trace visible de mortier de tuileau aujourd’hui, au moins pour les deux exemples d’Algérie : le sol, très compact, pouvait être suffisamment étanche52 ou quelques joints de mortier, désormais disparus, le complétaient peut-être.

Fig. 34 – Lambèse, Nymphée de la groma, vue de la plate-forme, dans les années 1970 ? (

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© CCJ, Aix-en-Provence).

Fig. 35 – Mactar, fontaine, vue du bassin de puisage B (2009).

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37Lorsque le bassin était constitué par un dallage spécifiquement aménagé, on peut supposer que l’emploi de mortier de tuileau était généralisé lors de sa mise en place. Les traces très ténues de mortier de tuileau visibles sur la fontaine nord [cat. 43] et sur celle au sud-ouest du forum de Sbeitla [cat. 41] laissent penser qu’on avait pris soin de rendre étanche le dallage de fond de bassin ; ce devait donc être le cas de la troisième fontaine [cat. 42]. À Tipasa [cat. 9], le dallage dans lequel étaient encastrés les parapets des bassins reposait sur deux niveaux de fondation, il était donc solidement installé et devait avoir été conçu pour assurer l’étanchéité. Il en est de même à Thuburbo Maius [cat. 45], si le dallage à l’avant du massif recevait bien un bassin selon ma restitution (pl. IIa). À Lepcis Magna, le bassin semi-circulaire du Grand Nymphée [cat. 27] reposait sur un radier de 1,30 m d’épaisseur : la fondation était recouverte d’une couche de mortier de tuileau et d’une fine couche de mortier sur lesquelles reposaient les plaques de réglage recevant le dallage de fond du bassin. À Hippone, le fond du bassin antérieur de la fontaine du forum [cat. 26] était établi sur un béton de tuileau recouvert de briques cuites sur lesquelles étaient installées les dalles de marbre. On peut supposer qu’une préparation semblable était faite pour les bassins bien conservés pour lesquels on ne peut pas vérifier l’aménagement, à Althiburos [cat. 22] et Lambèse [cat. 16-17]. La fontaine conique de Cuicul [cat. 13] était non seulement installée sur une plate-forme mais le fond de son bassin était recouvert de dalles : le radier de pose devait être composé de mortier de tuileau (fig. 36). Le socle de la fontaine hexagonale de Dougga [cat. 50] constituait le fond du bassin de puisage : composé de blocs de remploi et d’un amalgame de gros moellons, il devait probablement être recouvert de mortier de tuileau, s’il n’était pas composé d’un dallage (fig. 32).

38Moins fréquemment, le fond du bassin pouvait simplement être recouvert de mortier de tuileau, sans dallage. C’est ce qu’indiquaient les inventeurs pour le bassin de la fontaine de Liberalis à Timgad [cat. 20]. Les descriptions anciennes indiquent, également, que le bassin du nymphée « caserne » de Caesarea [cat. 6] était recouvert de mortier de tuileau, potentiel support d’une mosaïque. Dans le cas de parapets construits en grand appareil, les photographies laissent voir une couche de mortier de tuileau dans tout l’intérieur du bassin de la fontaine de Flavius Tullus [cat. 34] et du nymphée de Sabratha [cat. 33]. J’ai pu en observer des traces importantes dans les fontaines de Volubilis [cat. 2-3], au fond comme sur les parois internes (fig. 37).

39La présence de ce mortier de tuileau sur les parois des bassins amène au second point de l’analyse, l’étanchéité des parapets. Deux exemples bien étudiés suffiront à illustrer le mode opératoire. À Mactar, malgré le fond monolithe des bassins (fig. 35), l’étanchéité était assurée par un épais bourrelet à la jonction avec les dalles et par une mince couche de mortier de tuileau enduisant tout l’intérieur. À Tipasa [cat. 9], la jonction entre plaques et piliers mais aussi avec le dallage était assurée par un comblement de mortier de tuileau qui garantissait l’étanchéité du bassin. C’est la technique la plus répandue qu’on peut appliquer à tous les exemples de bassins à plaques et piliers présentés précédemment53. À Tipasa, toujours, la jonction de deux plaques était assurée soit par tenon et mortaise, soit par simple juxtaposition, avec une liaison au mortier de tuileau.

Fig. 36 – Cuicul, fontaine conique, détail du bassin (2010).

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Fig. 37 – Volubilis, fontaine à bassin unique, vue du bassin de puisage. Noter la mortaise pour l’agrafe sur le bassin et l’enduit de mortier de tuileau sur la paroi (2009).

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Fig. 38 – Volubilis, arc de triomphe, pilier nord, face est (2009).

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Une exception africaine ?

Le système d’encastrement

40L’utilisation de ce type de parapet se retrouve dans de nombreux autres aménagements africains destinés au stockage54. Il pouvait s’agir de bassins destinés à recueillir de l’eau, dont plusieurs vestiges sont mentionnés par J. Birebent, à Guelaa Trab (région de Khenchela), Nerqueb (nord de l’Aurès), Henchir Rached (région de Chelghoum Laïd, anciennement Châteaudun-du-Rhumel) et près de Batna55 ; il faut y ajouter quelques exemples de Numidie du sud, à Kasrou, Chennaoura et dans la vallée de l’Oued el Ksar56. On le trouve attesté dans les huileries, comme l’indiquent des rainures avec des vestiges de piliers et parfois de plaques à proximité, dans des espaces aux fonctions indéterminées : ils pouvaient être destinés soit au stockage d’huile ou d’olives, soit au foulage des fruits ou plutôt de la pulpe après pressage57. Le même aménagement dans les huileries de Volubilis servait à délimiter l’aire de manutention placée à côté ou entre deux maies58. On le rencontrait également dans la construction des chancels, pour fermer ou délimiter des espaces dans les églises. À titre d’exemples, on citera à Sbeitla l’église I, dite de Bellator, où les chancels des deux chœurs étaient construits de piliers de pierre et de plaques en bois, puis en pierre dans un second état59, de même que dans le chœur oriental de la basilique IV60 et celui de la basilique II, dite de Vitalis, qui comportait un ensemble de clôtures dans la nef61. On citera un aménagement similaire dans le chœur de l’église installée dans le septizonium de Cincari62 (cf. fig. 99)63 et dans le chœur de la basilique II, dite de Candidus, à Haïdra64, dont il est rappelé le rapprochement avec les bassins africains, comme celui de la Maison de Vénus à Mactar65. Dans le sanctuaire de l’Aqua Septimiana Felix à Timgad, la piscine au centre du portique était entourée d’une balustrade en bronze supportée par des piliers à pommeaux, auquel fait écho une inscription66. Le bassin était en contrebas du niveau de circulation et la balustrade était un garde-corps qui protégeait de la chute. Les piliers n’étaient pas rainurés mais présentaient une encoche : les balustres de bronze devaient être accrochés par deux tenons dans leur partie supérieure67.

41P. Morizot suggérait que ces plaques aient pu être préfabriquées : les piliers auraient tous été disposés puis les plaques glissées verticalement dans les rainures68. Toutefois, il précise que ces plaques se seraient coincées en raison de leur poids et l’on ajoutera que les piliers n’étaient pas nécessairement rainurés jusqu’à leur sommet, notamment à Tipasa (fig. 30) et Mactar (fig. 35). L’auteur proposait alors que les piliers et les plaques aient été disposés les uns après les autres, ces dernières par un glissement latéral horizontal facilité par l’utilisation de résidus d’huilerie, telle l’amurca, qui servaient au graissage des essieux. Cependant, on rappellera la présence presque systématique de mortier de tuileau dans les joints des bassins, à l’intérieur même des rainures et pas uniquement sous la forme de bourrelets. Aussi, il faut supposer qu’une épaisse couche de mortier frais suffisait à faire coulisser les plaques. La rationalisation du travail lui semblait tout à fait vraisemblable, malgré les différences de largeur des plaques d’un ouvrage à l’autre, mais il faut ajouter une différence de hauteur (cf. tab. 3). Cet aménagement aurait nécessité des tailleurs habiles et une carrière de pierre adéquate à proximité : l’Aurès et ses abords disposaient de stratifications naturelles facilitant un tel débitage, ce qui pourrait expliquer la présence des grands réservoirs construits de cette façon. Les cités les plus riches auraient pu faire venir des plaques d’une certaine distance69 : on objectera que les bassins, avec toutes les précautions à prendre sur la caractérisation des pierres, étaient construits dans le même matériau, généralement local, que le corps des fontaines.

42Sur les différentes techniques d’assemblage, en particulier le système de tenon et mortaise, et plus précisément de feuillure et parfois de languette, dans le cas qui nous intéresse, les structures en bois apportent des éléments éclairants. Les types d’assemblage sont nombreux et J.-P. Adam suggérait de trouver l’origine de la plupart d’entre eux dans les chantiers navals70. Dans un domaine proche, on mentionnera les caissons en bois à fonction de coffrage pour les structures subaquatiques en mortier hydraulique71. La découverte de telles ossatures dans le port construit par Hérode à Césarée Maritime illustre leur complexe mode d’assemblage : le bordage des côtés est fixé à la poutre de quille d’angle par des tenons retenus à l’aide de chevilles en bois dans des mortaises, tandis que les planches de fond sont encastrées sur feuillure ou sur des mortaises découpées pour recevoir les tenons coupés dans les extrémités des planches72. D’autres ports ont utilisé ce système de tenons et mortaises maintenus avec des chevilles de bois mais sans qu’on retrouve les modes opératoires de la construction navale de façon aussi importante : c’est le cas en Afrique et de manière significative à Carthage73. Dans ce dernier cas, les archéologues supposaient que les coffrages avaient été préfabriqués, étant donné la précision nécessaire à l’encastrement des différents éléments qui n’aurait pas été possible par une construction en sections74 ; à Césarée Maritime, C. Brandon précise que les madriers ont été construits un à un et non préfabriqués, au vu des différentes découpes de planches aux jonctions75. Le système d’assemblage est également employé associant seuil de pierre et palissade de bois. Les exemples des boutiques d’Olbia76, Pompéi et Herculanum77 montrent des seuils avec une rainure, sur une partie de leur longueur seulement, qui accueillait une paroi fixe. Elle permettait l’encastrement de planches de bois, disposant d’une languette, elles-mêmes encastrées les unes dans les autres : de section triangulaire allongée, le sommet constituait une sorte de languette qui venait s’insérer dans la feuillure taillée dans la base de ce triangle.

43Le même système d’assemblage, cette fois préfabriqué, se rencontre pour les briques utilisées dans les parois des pièces chaudes des thermes. Les exemples sont bien connus dans plusieurs édifices de Tingitane. Certaines briques présentaient deux encoches sur chacun de leurs côtés qui, une fois les éléments empilés, créaient une feuillure verticale ; une brique plate avec une languette sur chaque bord venait alors s’y encastrer78. Il est révélateur de noter qu’une technique proche d’encastrement était connue en Afrique avant l’époque romaine : à Kerkouane, les briques losangées comportaient sur une tranche une languette de 1 à 2 cm d’épaisseur et une rainure large de 2 cm et épaisse de 1 cm sur les trois autres côtés ; un système semblable est connu sur des briques hexagonales utilisées dans une tombe punique d’Hadrumetum. À Kerkouane, ces briques servaient, vraisemblablement, à composer des dallages et non des parements de murs. Si la brique cuite est bien attestée dans l’ensemble du monde méditerranéen au IIIe siècle av. J.-C., il faut souligner son originalité morphologique dans le monde punique, par exemple à Kerkouane, dont le système d’encastrement ne semble pas être connu en Mésopotamie, en Palestine, ni même dans le monde grec79.

44Le rapprochement entre les techniques de l’architecte et celles du charpentier ont également été relevées dans le monde phénicien et punique. À Kerkouane, plusieurs éléments de pierre présentaient des entailles larges et profondes qui devaient être destinées à accueillir des blocs munis de languettes, s’encastrant ainsi les uns dans les autres. L’emploi de cette technique, connue principalement pour les margelles de certains puits, a aussi été relevé à Carthage et Byblos80.

45Une autre origine de ces aménagements de bassins peut être recherchée dans l’architecture des fontaines plus anciennes. Sur les techniques de construction, en particulier d’Asie Mineure, peu d’informations sont données par les derniers catalogues en date, notamment celui de C. Dorl-Klingenschmid81. Dans les quelques pages consacrées aux bassins82, elle rappelle que la division du parapet en plaques et piliers provient des fontaines à cour d’époque hellénistique dans lesquelles les parties du parapet élargies, formant des piliers, servaient de support aux colonnes qui soutenaient le toit de l’édifice83. L’évolution des fontaines amenant à un massif précédé d’un bassin84 rendait obsolètes ces piliers, le long du parapet, qui n’avaient plus alors qu’une fonction décorative. Il y a eu, selon elle, fusion entre l’aspect pratique et décoratif jusqu’à la période antonine, alors qu’à partir de l’époque sévérienne l’accent fut mis sur ces piliers85, réduisant ainsi la partie fonctionnelle des bassins au seul espace offert par les plaques de parapet.

46Cette hypothèse d’une disparition progressive du rôle fonctionnel des bassins est réfutée par J. Richard86. En outre, on constate, à partir de quelques exemples, que des bassins à plaques juxtaposées ou à plaques et piliers coexistent. On rencontre des bassins à plaques juxtaposées au nymphée de Bassus87 et au nymphée de Trajan88 à Éphèse à la fin du Ier et au début du IIe siècle, plus tard au nymphée de l’agora haute de Sagalassos89 et au nymphée F2 de Pergé90 ; on trouve également des bassins à plaques et piliers au nymphée de Milet91 à la fin du Ier siècle, au nymphée aux Tritons à Hiérapolis au IIIe siècle et à la fontaine du stade d’Éphèse92 vers la fin du IVe ou la première moitié du Ve siècle. Il faut noter que ces piliers diffèrent quelque peu des exemples africains : assez larges, ils présentent souvent une moulure dans la partie inférieure et toute la largeur de la plaque y est insérée ; par ailleurs, le pilier n’est pas encastré dans le sol mais seulement posé et scellé. Le nymphée de Laodicée du Lycos illustre l’emploi des deux types d’aménagements : dans le premier état, les parapets étaient composés d’une file de blocs de poros doublée à l’avant par des plaques dressées de chant, maintenues par des piliers en marbre dans lesquels elles s’encastraient, le tout posé sur un socle à ressauts qui indiquent l’emplacement de ces piliers93. Dans le second état, des niches ont été aménagées dans les parapets, puis dans un troisième état, deux bassins ont été installés à l’avant dont il ne reste que les rainures au sol : à l’ouest, on dispose du même système qu’en Afrique, formé de plaques et piliers carrés intermédiaires ; au nord, le parapet du nouveau bassin se composait uniquement de plaques dressées, car aucun emplacement pour des piliers n’est visible, qui ont pu être fixées à la base par des scellements métalliques enfoncés dans de petites mortaises visibles le long de la rainure94.

47Il faut se tourner vers l’architecture domestique pour rencontrer à une époque assez haute des agencements similaires, murets rythmés par des colonnes ou péristyles fermés par des cloisons encastrées. À Pompéi, la Maison du Ménandre (I 10, 4/14-17) et celle de la Nef Europa (I 15, 395 présentaient, dans leur péristyle, un mur-bahut qu’on retrouve partout dans l’empire, tant dans la péninsule italique qu’en Gaule96. Parfois, le mur-bahut était assez haut, masquant la vue du jardin depuis le péristyle, comme dans la Villa des Mystères97. Soulignons qu’on rencontrait le même type d’aménagement en Grèce, à la Maison des Tritons à Délos, par exemple, diffusé vers l’Italie en même temps que le péristyle. Au fil du temps, le portique s’est fermé avec l’introduction d’éléments entre les colonnes98 : la Maison dite « à la Pergola » de la rue Chanzy-Libergier à Reims présente les vestiges de trois bases de colonnes reliées entre elles par des plaques posées de chant et maçonnées99 ; des cloisons de bois dans le portique pouvaient, également, compléter ou remplacer une cloison maçonnée : à Pompéi, le portique de la Maison de l’Éphèbe (I 7, 10- 12/19) a été fermé dans son dernier état par des cloisons vitrées insérées dans des rainures peu profondes pratiquées dans la moitié inférieure des colonnes, tandis qu’à Aregenua (Vieux-la-Romaine, Calvados), à la fin du IIe siècle, le portique de la Domus au Grand Péristyle était fermé par des cloisons placées dans des feuillures assez profondes, visibles dans les bases et les chapiteaux des colonnes, et dans de petits poteaux intermédiaires100. Plus tard encore, au IVe siècle, la balustrade autour du bassin de la Villa de Welschbillig était composée d’hermès dans lesquels s’encastraient des balustres ajourés101.

48P. Morizot estimait que la technique d’encastrement de plaques et piliers était « pratiquement inconnue hors d’Afrique ». Pour être une caractéristique des bassins de fontaines en Afrique, les exemples d’encastrement que j’ai cités, dans différents contextes, montrent que le système constructif n’est pas moins connu ailleurs. Il est toutefois difficile d’en préciser l’origine : « pétrification » d’une technique d’assemblage du bois ou évolution d’une forme architecturale employée dans les fountain-houses et les portiques grecs et italiques ? Mode d’assemblage originaire du monde phénicien et punique ou inspiré des constructions grecques importées en Occident ?

49En Afrique, la technique est diffusée à l’époque romaine, en Algérie et en Tunisie, pour ce qui concerne les fontaines du présent corpus mais son emploi dans divers réservoirs et dans de petites structures comme les huileries, certaines fontaines ou bassins102, nécessiterait un recensement de plus grande ampleur.

Le dallage des bassins

50À propos de l’aménagement des bassins et de leur étanchéité, les données font souvent défaut dans les publications. En Italie103, les plus anciens impluuia étaient constitués de dalles en terre cuite ou de pierres assemblées à vif, seule technique connue pour assurer l’étanchéité avant l’introduction du mortier au IIIe siècle av. J.-C. À Pompéi, les premiers bassins domestiques construits à la fin de ce siècle se caractérisent par de grandes dalles de tuf volcanique de Nocera assemblées à vif sur le fond et les margelles. En fonction du terrain, on pouvait également avoir recours à l’argile pour ses propriétés imperméables, comme à Argentomagus104. Les bassins les plus grands étaient excavés et non construits en élévation, les parois étaient le plus souvent élevées dans une maçonnerie de moellons liés au mortier, l’usage de la terre cuite étant très ponctuel à Pompéi mais fortement diffusé dans la région de Rome pour les bassins des complexes flaviens et ceux d’Ostie.

51Dès son apparition, le béton de tuileau a été largement utilisé pour les bassins, en premier lieu les impluuia. Il est bien postérieur à l’emploi des plaques de tuf qui ont été recouvertes dans de nombreux cas. C’est lui qui assurait l’étanchéité des parements et du fond. La liaison des plaques de bassin au mortier de tuileau, pour assurer l’étanchéité, est la technique qui était employée dans les fontaines de rue de Pompéi105 : le fond du bassin était constitué de dalles de pierre semblables à celles de la chaussée sur laquelle la fontaine empiétait. Il était revêtu de plaques de céramique posées sur une chape de mortier, l’étanchéité étant assurée par un glacis de mortier remontant le long des parois. Horizontalement et verticalement, elle était assurée par un cordon prisonnier de mortier, d’une part entre les plaques et le fond du bassin, d’autre part entre chacune des plaques verticales. Le même système est en vigueur au bassin d’Argentomagus que j’ai cité. Dans les bassins pompéiens, des fragments d’amphores ou de briquettes pouvaient également être insérés dans le mortier de tuileau pour en renforcer l’étanchéité106 : nous en avons une attestation dans le bassin de la fontaine du forum à Hippone [cat. 26]. En Orient, les bassins du nymphée de l’agora haute à Sagalassos107 et du nymphée E de Palmyre108 étaient tous deux recouverts de mortier de tuileau. Ces vestiges de mortier posent la question du revêtement et du décor des bassins.

52Comme je l’ai noté précédemment pour l’Afrique, on retrouve fréquemment un revêtement de dalles de calcaire. À Lutèce, le bassin de la fontaine en façade des thermes était recouvert d’un dallage de plaques calcaires qui ont été en grande partie arrachées109. À la villa de Welschbillig, le fond du bassin était constitué de dalles de grès posées sur une chape de béton couvrant les pilots sur lesquels il était installé110. L’observation vaut également pour les thermes : à Barzan, les piscines du frigidarium étaient revêtues de dalles de calcaire d’une assez grande dureté, posées sur un béton de tuileau. Le fond des cuves s’appuyait sur un puissant radier qui ne se retrouve pas dans le reste de la pièce froide111. À Haïdra, nous avons pu faire des observations similaires dans les piscines froides conservées112. Hors d’un contexte hydraulique, ce type de dallage scellé au mortier se retrouve dans les huileries mais la fonction de ces espaces (stockage, foulage, aire de manutention ?) reste imprécise113. La présence du tuileau est un trait caractéristique de la couche de finition des dallages antiques. Sur un niveau de béton préalablement lissé, l’artisan disposait une couche de mortier de tuileau fin qui lui permettait de placer ses dalles, progressivement, et qui lui assurait une prise rapide du support, une bonne adhérence aux dalles et une bonne durabilité du sol (bonne résistance aux conditions d’humidité et de chaleur, indispensable dans les salles thermales)114.

3. Éléments décoratifs

Revêtements des façades

53Plusieurs fontaines présentaient un décor de placage de marbre sur leur structure. À Sala [cat. 1], toute l’ossature en briques en était recouverte, les pans des deux octogones comme les niches. De même, à Hippone, la fontaine du forum [cat. 26] était plaquée de marbre sur ses murs, ses marches et son bassin. Le nymphée « caserne » à Caesarea [cat. 6] était recouvert de placages sur la structure en moellons, de même que le massif en briques de la fontaine de Liberalis à Timgad [cat. 20]. À Chemtou [cat. 38], ce sont les substructions en pierre de taille qui devaient être recouvertes de placages de marbre, d’après les traces de crampons qui ont été repérées. La fontaine de Rusicade [cat. 19] aurait, également, été recouverte de marbre si l’on en croit les études anciennes. Lepcis Magna constitue le meilleur exemple de la richesse du décor et la variété des marbres employés. Le Grand Nymphée [cat. 27] était recouvert de placages sur l’ensemble des murs en opus quadratum, de même que les faces latérales du Nymphée à l’Hercule [cat. 29], les parois internes et le front du podium du lacus du théâtre [cat. 30], décoration décrite dans l’inscription [ins. 27], marmoribus et columnis itemque cupidinibus.

54L’épigraphie apporte, en effet, des informations sur le décor115. À Lambèse, c’est l’inscription [ins. 9] se référant au septizonium [cat. 16] mentionnant la restauration marmoribus, musaeo et omni cultu qui laisse supposer qu’un placage de marbre décorait l’édifice. Il en était de même à Abbir Maius, où une inscription [ins. 18] précise qu’une fontaine a été décorée marmoribus et opere musaeo. Les statues sont associées à la décoration de marbre dans l’inscription de Sabratha [ins. 30], où les fontaines de Flavius Tullus ont été décorées crustis et statuis marmoreis. La mention du matériau de construction, opere quadrato à Abbir Maius [ins. 18] et quadrato lapide à Gens Suburburum Colonorum116, la pierre de taille, rappelle la mention de Pline à propos de l’aqueduc de Nicomédie117 ou celle, plus tardive, de la Passion de sainte Marciane, à propos d’une possible fontaine118. Ces références, si elles renseignent sur la réalité de la construction, doivent être considérées avec précaution, le matériau, par sa provenance, mettant en valeur toute une construction119.

55La façade, toutefois, n’était pas systématiquement décorée, ou, du moins, pas de marbre. À Dougga, le nymphée semi-circulaire [cat. 47] était recouvert d’un enduit, encore perceptible sur le cul-de-four, mais aucune trace de scellement de plaques de marbre n’est visible. À Tipasa [cat. 9], le mur de fond était recouvert de dalles de gneiss, encore en place dans le mortier de tuileau, dont la couleur blanc jaunâtre devait évoquer le marbre une fois le matériau poli. Les fragments récupérés par J. Baradez ressemblant au Carrare « verde alpi » n’appartenaient peut-être pas au décor du nymphée. Le gneiss, également utilisé pour les colonnes du decumanus, comme le tuf, employé pour les chapiteaux et les pierres de taille du massif, étaient disponibles dans la proximité immédiate de la ville et moins coûteux que le marbre. C’est donc l’économie qui l’a emporté sur le choix du matériau, sans pour autant sacrifier à la solidité120. C’est d’ailleurs la résistance de la pierre qui a prévalu dans le choix du calcaire pour les piédroits en grand appareil de la fontaine des thermes de Lutèce : le type de calcaire employé, du banc franc, n’a été répéré que dans ce secteur précis des thermes, certainement en raison de sa grande résistance qui lui permettait ainsi d’être exposé aux intempéries121.

Sculpture architecturale

56Divers éléments architecturaux, complets ou fragmentaires, ont été découverts dans les fontaines, lors des dégagements ou à proximité. Je n’aborde pas les formes du décor, les influences, les ateliers, ce qui nécessiterait une analyse approfondie, dépassant les limites de cet ouvrage122.

57Des éléments de colonnades composant la façade des édifices ont été identifiés. À Tipasa [cat. 9], quatre bases différentes, ont été découvertes en place ; elles devaient accueillir les colonnes monolithes taillées dans un calcaire bleuâtre veiné provenant des carrières proches du massif du Chenoua. Un chapiteau de type corinthisant a également été retrouvé. À Chemtou [cat. 38], les socles qui supportaient les bases de colonnes ont été repérés en place, distants de 1,25 m les uns des autres (fig. 39). Au-dessus étaient placés des bases, sans doute attiques, des fûts, dont plusieurs fragments ont été découverts, et des chapiteaux composites en marbre blanc, dont un a été retrouvé, ainsi qu’un chapiteau de pilastre qui devait se situer à l’angle avec les ailes latérales ; des fragments importants de l’entablement sont également connus. À Sbeitla, six bases attiques ont été retrouvées dans la fontaine au sud-ouest du forum, dont quatre en place dans les angles (cf. fig. 159), de même que des fûts monolithes lisses en pierre grise extraite des carrières proches. Un seul des chapiteaux, probablement corinthien, a été retrouvé remployé dans l’habitation de l’ultime phase d’occupation. Sept éléments de frise architravée épigraphiée, en remploi, ont été mis au jour. Sur le même site, dans la fontaine près de la basilique de Servus, un chapiteau corinthien a également été découvert [cat. 42], mais aussi un fragment d’architrave avec perles et pirouettes, tous en calcaire jaune. La fontaine nord [cat. 43] comportait deux portiques encadrant une cour : plusieurs bases de type ionique attique sont conservées. Divers éléments ont été retrouvés à proximité du lacus de Terentius à Dougga [cat. 48] : six bases en calcaire et deux fragments de la partie inférieure des fûts. L’entablement se composait d’une frise architravée épigraphiée [ins. 47], dont douze fragments ont été retrouvés, et d’une corniche dont un fragment légèrement incurvé indique qu’il devait appartenir à la fontaine. La colonnade devait par conséquent prendre place en avant de la partie semi-circulaire et l’entablement en suivait la forme courbe. C’est, potentiellement, un agencement semblable qu’il faut restituer à Thuburbo Maius [cat. 45], où un fragment d’architrave et un autre, courbe, de la frise épigraphiée [ins. 41] sont conservés in situ, ainsi qu’un chapiteau corinthien à deux couronnes d’acanthe.

Fig. 39 – Simitthus, plan des fouilles du forum avec le nymphée indiqué « exèdre monumentale » (Winkler 1883).

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58Le Grand Nymphée de Lepcis Magna était décoré de colonnes en cipolin au premier niveau et en granit rouge au second. Les huit colonnes de chaque ordre, surmontées de chapiteaux corinthiens, supportaient un entablement à ressauts aux corbeaux richement sculptés. Les ailes latérales étaient décorées selon le même agencement de colonnes dont les piédestaux continus étaient en calcaire (cf. fig. 55). Le lacus du théâtre [cat. 30] laisse voir des traces au niveau du podium indiquant la présence de quatre colonnes, dont plusieurs fragments ont été retrouvés, en marbre blanc et à fût cannelé. Deux chapiteaux composites en calcaire jaune et une base en marbre blanc-gris de Proconnèse ont également été retrouvés. L’étude architecturale a conclu à la présence d’un entablement à ressauts ; par ailleurs, un chapiteau corinthien en marbre de Proconnèse formant un angle a pu être replacé comme support à l’une des extrémités de l’entablement (cf. fig. 50). À Sufes [cat. 40], j’ai inventorié un fragment d’entablement, comprenant apparemment une frise et une corniche, et un fragment d’architrave à ressaut, dont l’ordre serait une combinaison de ionique et de corinthien (fig. 40). Une base en calcaire jaune a été repérée, dont l’appartenance à l’édifice est douteuse. Pour ce qui concerne les colonnes, un fragment de fût de colonnette en marbre rouge à veines jaunâtres et plusieurs fragments de fûts, certains bien conservés, en calcaire blanc et jaune, de dimensions diverses, sont conservés sur place. Deux chapiteaux appartenaient peut-être à l’édifice, l’un à deux couronnes de feuilles lisses, l’autre à deux couronnes de feuilles d’acanthe d’un traitement peu soigné. Il faut envisager deux ordres superposés au moins, voire trois si l’on considère les dimensions des différents éléments qu’on a des difficultés à faire concorder. À Cincari [cat. 24], c’est la forme du bloc de frise architravée épigraphiée [ins. 21], présentant une saillie d’une vingtaine de centimètres, qui incite à penser qu’elle appartenait à une façade à édicules dont les pilastres encadraient les sept absides du monument123.

Fig. 40 – Sufes, nymphée, fragment d’entablement (2010).

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Fig. 41 – Calama, fronton avec dédicace à Neptune (AGER, Ma 1915

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© Musée du Louvre, distr. RMN-Grand Palais / Pierre et Maurice Chuzeville).

59D’autres éléments plus simples montrent, malgré tout, un souci de décoration certain. À Mactar [cat. 31], un fronton au cadre sommairement mouluré devait être supporté par un pilastre surmonté du chapiteau corinthien et du bloc d’architrave-frise, creusé dans sa partie inférieure pour former le haut de la niche centrale. Il faut citer en exemple le fronton en marbre découvert en 1843, vers la partie supérieure de la rue d’Announa à Guelma124 (fig. 41) : long de 1,18 m et haut 68 cm, le tympan porte une dédicace à Neptune, par Flavius Anicius Privatus, prêtre du dieu et ancien magistrat municipal125. La plus grande partie de l’inscription est gravée dans un cartel, tenu par deux Tritons, dont le corps se termine en queue de poisson. Le cintre de la niche est orné d’un vase d’où sortent deux ceps de vigne. Ce fronton, porté sans doute par deux colonnes, formait le devant d’un édicule qui devait abriter soit une statue de Neptune, dieu des sources, soit une fontaine. Plus sommaire encore, l’arcade centrale du nymphée de Pheradi Maius [cat. 32] était décorée sur chacun de ses piliers d’une demi-colonne et d’un demi-chapiteau corinthien à feuilles lisses (cf. fig. 147), mais également sur les piliers encadrant la niche postérieure.

60On note donc dans la sculpture architecturale différents agencements qui seront étudiés en détail plus loin126. À propos des matériaux, il faut remarquer l’emploi du calcaire ou du grès, d’une part, et du marbre, d’autre part. À Tipasa, je l’ai déjà noté à propos des placages, les colonnes sont taillées dans un calcaire bleu veiné qui devait ressembler au marbre une fois poli. D’autres éléments, colonnes et entablements, sont simplement en calcaire mais on trouve, généralement, l’association des deux matériaux. Au Grand Nymphée de Lepcis Magna, les éléments des deux ordres sont taillés dans divers marbres blancs et colorés mais les piédestaux des ailes latérales sont en calcaire. À Sufes seul un fragment de colonnette en marbre est connu, les autres blocs étaient tous taillés dans le calcaire. Pour des édifices – ou des budgets – plus modestes, à Mactar ou Pheradi Maius, les éléments sculptés l’étaient simplement dans le calcaire.

Décor des bassins

61Nous l’avons vu précédemment, la plupart des bassins étaient composés de plaques et de dalles de calcaire pour le parapet et le fond. Celles-ci étaient généralement soignées et bien appareillées, ce qui incite à penser qu’elles n’étaient pas le support d’un décor particulier. Dans les faits, très peu de traces de revêtements décoratifs sont connues pour les bassins des fontaines publiques. Le bassin haut du lacus de Terentius à Dougga [cat. 48] était recouvert d’une mosaïque blanche mais il ne s’agissait pas d’un bassin de puisage et ce revêtement était destiné à être vu par les passants qui s’approchaient de la fontaine127. À Caesarea, le bassin du nymphée « caserne » [cat. 6] était, peut-être, revêtu de mosaïque dont l’emploi a été déduit de la présence de mortier de tuileau. J’ai signalé trois autres cas similaires, deux à Sabratha et un à Volubilis. Il faut se demander, lorsqu’aucun vestige de placage ou de mosaïque ne subsiste, si le bassin était décoré ou simplement revêtu d’un mortier hydraulique, recouvert d’un enduit plus fin. Dans les deux inscriptions que j’ai évoquées plus haut, à Lambèse et Abbir Maius, la mention opere musaeo indique la présence de mosaïque qui pouvait décorer le bassin, si l’on considère que le placage dont il est question dans les mêmes textes était réservé à la façade.

62Un exemple, seulement, de l’utilisation de placage de marbre dans un bassin est assuré : celui du Grand Nymphée de Lepcis Magna qui était recouvert de marbre blanc sur toute la surface de la vasque, les parois et la margelle. Il faut noter qu’il ne s’agissait pas précisément d’un bassin « de puisage » puisqu’on ne tirait pas l’eau par-dessus le parapet mais qu’elle était délivrée par des bouches à l’avant de ce dernier. Ainsi, la fonctionnalité du bassin n’était pas entravée par le placage, décor qui, de cette façon, n’était pas sujet à une usure trop rapide.

63Dans le décor de la fontaine monumentale publique, l’attention portée au bassin de puisage est moindre. La fonctionnalité est le critère premier de son aménagement et lorsqu’un décor existe, il n’entrave en rien la donnée pratique du puisage. Sur cet aspect décoratif, il faut distinguer, d’une part, les bassins des fontaines monumentales et, d’autre part, les fontaines et bassins domestiques qui présentent presque tous un décor, un enduit peint ou plus fréquemment un dallage de marbre à Pompéi, ou bien une mosaïque dans les bassins de faible profondeur, surtout en Afrique mais aussi en Gaule128.

Conclusion

64Quelques remarques sont à formuler à l’issue de cette présentation des modes de construction. Nous noterons que la provenance de la pierre est généralement locale, ce qui n’a rien d’étonnant au regard des habitudes romaines129 : le calcaire employé à Tipasa provient du Chenoua, des carrières locales sont exploitées à Sbeitla. Il faudrait pouvoir mener des enquêtes détaillées pour chaque site mais elles confirmeraient cette tendance130. De la même façon, une étude des marbres et de leur provenance serait nécessaire à l’échelle d’un site. Le marbre n’est pas systématiquement utilisé, tant s’en faut : le calcaire pouvait être poli et présenter ainsi un caractère décoratif mais parfois aucun indice ne rappelle la présence d’un placage. Plus généralement, lorsque les marbres étaient utilisés, les substituts aux pierres les plus précieuses étaient fréquemment employés. Les investigations menées à Cuicul montrent que les marbres provenaient de tout le bassin méditerranéen mais en quantité limitée et que les marbres locaux remplaçaient les pierres de renom : ainsi le marbre jaune de Kristel, près d’Oran, à défaut du marbre de Chemtou, et le marbre blanc de Filfila en guise du Carrare ou du Pentélique131. L’exemple des thermes de Barzan confirme cette analyse pour une autre province : le décor était quasi exclusivement composé de marbres pyrénéens. L’approvisionnement du chantier devait être facilité par la proximité des sites d’extraction avec la Garonne et son affluent le Salat. Comme pour beaucoup d’autres édifices d’Aquitaine, la préférence accordée aux matériaux régionaux répondait davantage à un impératif économique qu’à un choix purement esthétique132.

65Les techniques de construction sont très diverses et répondent à la fois aux traditions régionales et à l’évolution des techniques au fil des siècles. L’absence de synthèse sur la construction en Afrique romaine empêche de proposer des datations à partir des parements mis en œuvre ou des matériaux employés. Dans tous les cas, le mode de construction n’est ni associé à une typologie architecturale, ni conditionné par des exigences techniques particulières comme l’étanchéité ou la résistance à la pression hydrique133. Concernant la construction des bassins, le système de plaques encastrées dans des piliers est très répandu en Afrique. L’aménagement est généralement soigné, tant dans l’agencement de la balustrade que des dalles de fond de bassin : un décor de placage ou de mosaïque était très rare, même si les éventuelles traces de mortier hydraulique peuvent, dans certains cas, laisser supposer l’existence d’un décor aujourd’hui disparu.

66L’organisation du chantier est difficile à appréhender : elle peut se faire à l’échelle d’un monument, d’un quartier, parfois d’un site. Des études approfondies permettraient de dégager certaines tendances, comme cela a pu être fait à Lepcis Magna pour le nymphée du chalcidicum134 et pour le programme sévérien135, ou encore à Volubilis pour le quartier de l’arc de Caracalla136. J’ai relevé des similitudes de construction pour les fontaines de Dougga, de Sbeitla et de Cuicul. Sur un type de monument, certaines caractéristiques ont également été mises en évidence, à l’instar des thermes, par Y. Thébert137, et des fontaines, à Lepcis Magna et dans sa région138. Les analyses devront être poursuivies, orientées par les rapprochements qui sont suggérés entre la construction des aqueducs, des fontaines et les aménagements ou remaniements de certains ensembles architecturaux à cette occasion139.

Notes de bas de page

1 Sur la construction romaine, essentiellement pour Rome et la péninsule italique, on se reportera à Adam 2017 (Campanie), mais aussi à Lugli 1957 (Latium) et Giuliani 2012. Pour l’Afrique, la question des matériaux et des techniques est abordée par Lézine 1965, notamment pour Carthage et Thuburbo Maius ; voir aussi la synthèse de Rakob 1982 et l’étude récente de Camporeale 2016. On consultera pour le Maroc les études de Camporeale 2008 concernant Thamusida. Sur l’opus africanum, en particulier à Bulla Regia, voir Hanoune 1990 et 2009, avec la bibliographie antérieure, notamment des manuels de référence en architecture romaine dont Adam 2017, p. 131-132 et Fantar 1984, p. 335-344.

2 À propos de l’architecture balnéaire africaine, la partition régionale au niveau technique, comme pour les plans et les circulations, a été soulignée par Thébert 2003, p. 471 passim.

3 Camporeale 2008, p. 146.

4 Lenoir 1986, p. 187-189, avec la bibliographie antérieure, notamment Étienne 1960, p. 112.

5 Sur la distinction entre le calcaire et le grès extraits du massif du Zerhoun, Camporeale – Papi – Passalacqua 2008, p. 297-298.

6 Lenoir 1986, p. 189.

7 Leveau 1970, p. 147 ; Lugli 1957, p. 506. À propos des techniques de construction à Caesarea et Tipasa, plutôt pour les enceintes, on renverra à P.-M. Duval 1946, p. 36-37 et 95-99.

8 Aupert 1974, p. 29-30.

9 Aupert 1974, p. 32-36.

10 Aupert 1974, p. 78-79.

11 Gui – Duval – Caillet 1992, Djemila 1, p. 94-96.

12 Gui – Duval – Caillet 1992, Tipasa 1, p. 21-24.

13 Ballu 1926, p. 107 ; Allais 1938, p. 52, fig. 7 et 13 ; Leschi 1950, p. 30 ; Romanelli 1970, p. 193, fig. 146a ; Letzner 1999, no 423, p. 507.

14 Blanchard-Lemée 1975, p. 46-47.

15 Blanchard-Lemée 1975, p. 128.

16 Righini 2005, p. 845-846 sur la différence entre ces deux appellations qui renvoie à Giuliani 2012, p. 233 et Adam 2017, p. 153-156, ce dernier utilisant opus vittatum mixtum pour opus listatum selon elle.

17 Righini 2005, p. 869 sqq.

18 À moins que la brique n’occupe toute l’épaisseur. L’état des vestiges ne permet pas de se prononcer, mais la présence de mortier entre les briques est attestée.

19 Thébert 2000, p. 347-348 et n. 22.

20 Thébert 2000, p. 354.

21 Voir corpus, p. 319-324.

22 Golvin – Khanoussi 2005, p. 60-61, fig. 55-57.

23 Tomasello 2005, p. 195 sq.

24 Ward-Perkins 1993, p. 91.

25 Thébert 2000, p. 348-349 passim ; voir aussi Thébert 2003, p. 470-471.

26 Medri 2001, en particulier p. 30-36 sur la réceptivité des régions africaines, très tôt entrées en contact avec Rome, par le biais des échanges commerciaux, à cette technique de construction (cf. p. 39 pour un recensement des attestations en Afrique).

27 Dessales 2010, p. 498-499.

28 Ward-Perkins 1993, p. 91.

29 Tomasello 2005, p. 197.

30 Sur ce nymphée, Tomasello 2005, p. 127-155.

31 Tomasello 2005, p. 197-199.

32 Lézine 1969, p. 30.

33 Sur le fonctionnement hydraulique de ces captages, voir infra p. 175-178.

34 Peyras – Maurin 1974, p. 9 et fig. 4 bis.

35 Fabre – Mathieu 2009, p. 66-73.

36 Fabre 2011.

37 Rakob 1974, p. 60-62.

38 Chouchane – Texier 2004, p. 193 et 197.

39 Leveau 2008b, p. 309 à propos d’Alba-la-Romaine.

40 DMAGR 1, p. 123. Le terme désigne un ou un ensemble de signe(s), lettre(s), chiffre(s) ou mot(s) gravé(s) sur le bloc pour guider le travail de mise ou de remise en place.

41 Martin 1965, p. 225-231 ; Orlandos 1968, p. 84-87 ; Hellmann 2002, p. 88-89. Pour le monde romain, voir les quelques lignes d’Adam 2017, p. 54.

42 Ward-Perkins 1993, p. 100 et pl. 48c.

43 Hellmann 2002, p. 90 et n. 33 avec un autre exemple à Aï Khanoum.

44 Un système alphanumérique de barres et lettres est attesté sur la corniche d’une colonnade corinthienne de Beyrouth : Seyrig 1946-1948.

45 Pour les crampons sur les parapets les bassins, voir infra p. 105-106.

46 Réservoir, s.v. dans DMAGR 3, p. 93.

47 Lamare 2017.

48 Bassin de puisage, s.v. dans DMAGR 3, p. 94.

49 Sur cette technique, voir Morizot 1996 et les remarques d’Aupert 1974, p. 79-80.

50 Adam 2017, p. 279-281.

51 Dessales 2013, p. 65.

52 L’emploi du mortier de chaux est très rare dans la construction de voies publiques. Celles-ci étaient, toutefois, constituées d’une épaisseur totale de 1 à 1,50 m et étaient suffisamment compactes pour que les dalles ne se déplacent pas, comme l’indiquent les ornières qui se sont formées, et pour que l’eau ruisselle et soit rejetée sur les bordures, en témoignent les fossés et les caniveaux qui les longent (Adam 2017, p. 301-302). En Afrique, la voie Carthage-Théveste se composait de quatre couches très minces – grosses pierres brutes, lit de mortier, lit de cailloux et pierres irrégulières – ne dépassant pas une épaisseur de 67 cm. La voie de Théveste à Lambèse était d’une composition semblable (Salama 1951, p. 71-72).

53 Adam 2017, p. 281 et fig. 621 présente non une « fontaine » mais un bassin tardif près du temple de Caelestis à Dougga (Golvin – Khanoussi 2005, p. 179-180).

54 Morizot 1996, p. 916, n. 3 dont je reprends une partie des références.

55 Birebent 1962, p. 181, 300, 438 et 320. Parmi les références données par Morizot, il n’y a guère que ces trois exemples, auxquels j’ai ajouté celui de Batna, pour lesquels la description que donne Birebent est assez claire pour identifier l’emploi de la technique de plaques et piliers. Le dépouillement n’est pas exhaustif.

56 Morizot 1996, p. 917-920.

57 Hitchner 1990, p. 252-253 et fig. 14.

58 Akerraz – Lenoir 1981-1982, p. 76 et pl. X.

59 Duval 1971, p. 33-43.

60 Duval 1971, p. 356-357.

61 Duval 1971, p. 179-210.

62 Duval – Lamare 2012, p. 268 et fig. 12. La liste que je donne n’est, évidemment, pas exhaustive.

63 Le dispositif est suggéré par les hachures.

64 Baratte et al. 2011, p. 54-59.

65 Baratte et al. 2011, p. 127-128.

66 AE, 1948, 111. Leschi 1947, p. 90-91 ; Lassus 1981, p. 107-117 avec photographies, notamment fig. 81 ; Laporte 2018.

67 Barrière, s.v. dans DMAGR 2, p. 19. Il aurait pu s’agir de simples barres de métal (ferrae uirgae) ou d’une grille (clathri, transennae) mais le terme employé dans l’inscription, canceli, n’incite pas à proposer cette restitution (cf. DMAGR 2, p. 50).

68 Morizot 1996, p. 918-922.

69 Morizot 1996, p. 922.

70 Adam 2017, p. 104-105.

71 Giuliani 2012, p. 173-175 et fig. 7-8 présente des schémas-types de coffrage pour fondations subaquatiques dont la construction est semblable aux bassins africains à plaques et piliers encastrés.

72 Brandon 1997, p. 21 et fig. 8-12.

73 Yorke – Davidson 1985, cité par Brandon 1997, p. 27, n. 10.

74 Yorke – Davidson 1985, p. 162.

75 Brandon 1997, p. 20-21.

76 Bouet 1994-1995, p. 29-39, restitution fig. 36 et 46.

77 Monteix 2010, p. 57-59, restitution fig. 22.

78 Camporeale 2008, p. 188-191, fig. 6-11, types 6.5, 6.6 et 6.7.

79 Fantar 1984, p. 278-282 qui mentionne un système d’encastrement semblable signalé sur des tuiles de l’oppidum d’Ensérune (n. 65).

80 Fantar 1984, p. 358.

81 Ce manque d’étude technique des fontaines monumentales est soulevé par Richard 2012.

82 Dorl-Klingenschmid 2001, p. 105-107.

83 Comme pour la fontaine hellénistique de Sagalassos (Dorl-Klingenschmid 2001, nº 97, p. 237-238).

84 Supra chap. 3.

85 Se référant au nymphée de Laodicée du Lycos (Des Gagniers et al. 1969 ; Dorl-Klingenschmid 2001, nº 57, p. 211-212).

86 Richard 2012, p. 119-120. Nous abordons en détail le fonctionnement des bassins infra chap. 5.

87 Dorl-Klingenschmid 2001, nº 24, p. 186-187.

88 Dorl-Klingenschmid 2001, nº 26, p. 188-189.

89 Dorl-Klingenschmid 2001, nº 99, p. 239-240.

90 Dorl-Klingenschmid 2001, nº 86, p. 229-230.

91 Hülsen 1919, p. 11-15, pl. 13, 16 ; Dorl-Klingenschmid 2001, nº 64, p. 215-216.

92 Dorl-Klingenschmid 2001, nº 28, p. 190-191.

93 Des Gagniers et al. 1969, p. 18-23, fig. 46.

94 Des Gagniers et al. 1969, p. 23-28, fig. 47, p. IX-XIII.

95 Jashemski 1993, nº 64, p. 47 et fig. 53 ; nº 106, p. 61 et fig. 69.

96 Chassillan 2011, p. 57-59.

97 Jashemski 1993, nº 575, p. 282-283, fig. 313.

98 Chassillan 2011, p. 59-64.

99 Chassillan 2011, nº 225, p. 345-346.

100 Vipard 2001-2002, p. 41-42.

101 Wrede 1972, p. 30-34, fig. 8, 9, 11.

102 À propos d’un probable bassin identifié dans l’angle nord-ouest du temple sud du capitole de Sbeitla, voir Lamare 2017, p. 105-106.

103 Dessales 2013, p. 64-68.

104 Bourgeois 1992, p. 66-67.

105 Adam 2017, p. 279-281.

106 Dessales 2013, p. 71-72.

107 Waelkens et al. 1997, p. 145-147 : le bassin était originellement enduit de mortier de tuileau, puis a été recouvert de dalles.

108 Bounni – Saliby 1965, p. 137.

109 Bouet – Saragoza 2007, p. 28 et fig. 10.

110 Wrede 1972, p. 18-19 et fig. 5.

111 Bouet 2003b, p. 190.

112 L’étude est en cours, en collaboration avec E. Rocca et F. Bejaoui.

113 Hitchner 1990, p. 252.

114 Coutelas 2009, p. 97-98.

115 À propos des formules employées pour désigner les matériaux de construction dans les inscriptions africaines, voir Saastamoinen 2010, p. 181-184.

116 AE, 1913, 225 = AE, 1916, 2 = ILAlg, II-3, 7583. L’inscription évoque la restauration d’une fons à Aziz ben Tellis (AAA, 17.214), autour d’une source appelée Caput Amsagae : il s’agit vraisemblablement d’un captage de source monumentalisé. Le montant de 600 000 sesterces est très élevé, il s’agit d’une des plus importantes évergésies attestées en Afrique (Duncan-Jones 1974, p. 75-78 et nº 37b, p. 91 ; Mansouri 2012, p. 712-713).

117 Traian. Plin. epist. 10, 37, 2.

118 Passio sanctae Marcianae, III, 2 (Fialon éd. 2014, p. 44-45).

119 Voir Pont 2010, p. 228-234 pour la mention des matériaux dans les inscriptions d’Asie Mineure, et infra chap. 6 sur les sources littéraires, épigraphiques et la restitution du décor des fontaines.

120 Aupert 1974, p. 42-44.

121 Bouet – Saragoza 2007, p. 26-28.

122 Je renvoie aux travaux de N. Ferchiou et P. Pensabene, mais aussi à Bessière 2006.

123 Duval – Lamare 2012, p. 258-259.

124 AGER, inv. Ma 1915 ; Delamare 1850, pl. 179, fig. 1 et 2 ; Grellois 1851-1852, pl. 4, nº 8 ; Fröhner 1869, nº 50, p. 78-79 ; Gsell 1912, p. 163 ; Michon 1918, inv. 1915, p. 111 ; Seefried Brouillet 1994, nº 74, p. 104-105 ; AAA, 9.146, nº 7.

125 CIL, VIII, 5297 ; ILAlg, I, 184 ; Petitmengin 1967, nº 22a, p. 199 ; Wesch-Klein 1990, nº 3, p. 76.

126 L’agencement de ces éléments et l’architecture des façades seront traités lors de l’étude de l’élévation, infra chap. 6.

127 Infra chap. 7.

128 Dessales 2013, p. 72-75 ; pour l’Afrique, cf. le catalogue de Bullo – Ghedini 2003, 2.

129 Adam 2017, p. 23-24.

130 Les études menées à Haïdra montrent que les carrières de calcaire en périphérie immédiate ont servi à la construction des principaux monuments de la ville : Rocca 2012, 1, p. 417-418.

131 Antonelli et al. 2010. Une étude semblable a été menée pour Volubilis dans le cadre du European MEDISTONE project.

132 R. Mazeran dans Bouet 2003b, p. 215-219.

133 Tomasello 2005, p. 195.

134 Tomasello 2004 ; Buscemi – Tomasello – Trapani 2006.

135 Ward-Perkins 1993.

136 Camporeale – Papi – Passalacqua 2008, avec une attention portée sur l’économie du chantier.

137 Thébert 2003, p. 465-473.

138 Tomasello 2005, p. 195-200.

139 Infra chap. 5 et 7.

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