Chapitre XIV. La société ecclésiastique romaine sous l’influence de la révolution
p. 321-331
Texte intégral
1Après l’exposé des controverses théologiques, il convient de décrire concrètement le déroulement des faits et des prises de position romaines qui s’ensuivirent, c’est-à-dire comment les thèses antijansénistes et la volonté politique de mise en œuvre de la primauté de juridiction furent manifestées par les brefs pontificaux. Mais également comment cette ligne théologique ne put empêcher le pape de se heurter à la violence révolutionnaire. Une description du milieu romain s’impose pour éclairer les influences et les pressions parfois contradictoires subies par Pie VI ; elle sera suivie d’un relevé des brefs et des réactions diverses du Saint-Siège. La question des serments sera traitée pour elle-même du fait de sa spécificité et de ses enjeux. La politique religieuse du pape ne peut être de plus séparée de sa diplomatie, ce qui conduit à considérer l’ensemble des événements de l’hiver 1792-1793, qui marquent un basculement événementiel et psychologique déterminant pour Pie VI et sa Curie.
2La Révolution trouble-t-elle véritablement la vie romaine dès 1789 ? Ce n’est pas l’impression que donne le parcours du Diario Romano. Les visites du pape dans la ville sont toujours aussi régulières : le 26 octobre 1790, Pie VI se promène à la villa Giulia avec son neveu le cardinal Braschi et avec le cardinal Gerdil1. Un autre jour, il rend visite à l’atelier du sculpteur Valadier. Non seulement le souverain pontife continue de s’occuper de ses Musées, mais il se fait encore constructeur : le Diario mentionne comme un événement important de la Rome pontificale le déplacement de la statue de Pasquino, près de la place Navone2 : Pie VI a acheté un terrain à l’extrémité sud-ouest de la célèbre place, et débute en 1791, sous les ordres de l’architecte Cosimo Morelli, la construction du dernier palais qu’un pape ait édifié3. Autre œuvre de la même période : la mise en place devant le palais du Montecitorio de l’obélisque qui servait d’aiguille au cadran solaire du Champ-de-Mars dans la Rome antique. Pie VI se rendra chaque année encore au mois de mai dans les Marais Pontins pour surveiller de près l’avancement des travaux d’assèchement4. Il signera en décembre 1791 deux Motu proprio de réformes économiques, l’un concernant le commerce dans la Légation de Bologne, l’autre les manufactures dans les États5.
3Les affaires de France sont à peine évoquées durant l’hiver : le journal mentionne simplement que le cardinal de Bernis a été très longuement reçu par le pape dans la matinée du 24 décembre 17906. Le lundi 24 janvier 1791, Pie VI reçoit l’évêque d’Apt7. Deux congrégations spéciales de cardinaux sont mentionnées, les jeudi 10 mars et 17 mars : deux séances du Saint-Office sont déjà répertoriées8, la seconde portant sur l’excommunication des premiers évêques constitutionnels. Mais la presse ne donne pas ces détails. Au mois d’avril, la Révolution apparaît dans le cours des événements de deux façons. Le dimanche 10 avril d’abord, durant une liturgie dans la chapelle Sixtine, Pie VI annonce la béatification prochaine de la carmélite française Marie de l’Incarnation9. Le décret de béatification Quo tempore e Galliarum regno10, adressé aux archevêques de Paris et de Rouen, ne manque pas de confier la situation déplorable du pays à la nouvelle sainte. Elle a œuvré pour la splendeur de la religion, pour la piété des ministres, contre les hérésies, fidèle au souverain pontife. Autant de vertus dont l’exemple mérite d’être mis en évidence dans les circonstances présentes, qui voient le pape privé de sa juridiction sur la nouvelle Église de France11. Le mardi 12 avril, le cardinal de Bernis offre une grande réception à l’ambassade en cet honneur12. Nous sommes la veille de la signature du bref Chari-tas, qui paraît le mercredi 13 avril. Ce n’était que le début d’une grande semaine : depuis le mois précédent, autre événement pour la ville de Rome, on attend l’arrivée des deux tantes de Louis XVI. Madame Marie-Adélaïde est née en 1732, Madame Marie-Thérèse-Victoire en 1733. Les deux filles de Louis XV et de Marie Leczinska, qui habitaient un château près de Meudon, sont victimes d’une émeute féminine le 18 février 1791. Prises de panique, elles s’enfuient déguisées dans la nuit, avec leurs premières dames, madame de Narbonne et madame de Chastellux. Plusieurs fois arrêtées, protégées par des interventions du roi, elles mettent un mois pour rejoindre Turin, d’où elles informent le cardinal de Bernis qui s’empresse de les inviter à rejoindre Rome13. Le samedi 16 avril, la veille des Rameaux, de Bernis et le chevalier d’Azara se portent à leur rencontre. Les cardinaux de Zelada et Braschi viennent les complimenter, et le cortège entre dans Rome par la Porta del Popolo, pour rejoindre l’ambassade de France au palais de Carolis, sur le Corso. Bernis leur abandonne le second étage en entier et loue des logements dans le quartier pour recevoir le personnel supplémentaire. Le dimanche, après les offices, il y a réception au Vatican avec un rinfresco offert par le secrétaire d’État, le cardinal neveu et le cardinal Garampi. Les deux princesses peuvent monter dans les appartements pontificaux pour y être reçues par le pape. Les honneurs et les festivités ne s’arrêtent point là : le lundi, le pape se rend en personne à l’ambassade ! Le Diario relève qu’abandonnant toute étiquette, les princesses descendent à la rencontre du Saint-Père dans l’escalier. Soixante-dix palefreniers portent ses présents, et les hôtes royales sont confiées à l’attention de la princesse Santacroce. Le mardi, visite à Saint-Pierre ; le mercredi, honneur encore exceptionnel, le pape célèbre la messe à Saint-Pierre pour elles. Il faut ensuite suivre les offices pontificaux de la semaine sainte14. C’est à la suite de la présentation du Jeudi saint que le Diario annonce la publication du bref Charitas15 : le jour où l’Église célèbre l’institution du Sacerdoce et de l’Eucharistie par le Christ, le pape fait savoir que les évêques constitutionnels de France sont suspendus et privés de toute juridiction. Le mercredi 27 avril, les princesses sont reçues par le chevalier d’Azara et rencontrent le roi de Naples, de passage à Rome.
4Ainsi, cette arrivée des princesses de France à Rome sert de révélateur conscient et assumé d’une attention de la cour romaine à l’ancien ordre des choses en France. Bernis peut se flatter d’être encore le deuxième personnage de Rome16 ; ses liens avec la cour d’Espagne sont manifestés. Garampi est aux côtés de Zelada et du cardinal neveu pour les réceptions officielles : elles illustrent bien le rôle de chacun dans la Curie de Pie VI.
5Le Diario estero, de son côté, reste prudent et parle peu de la France.
6Depuis 1790, Bernis se plaint à Montmorin de ce que son train de vie est devenu plus sobre, car il ne reçoit plus les revenus de son archevêché d’Albi17. Perdant sa place d’ambassadeur de la cour de France fin mars par des lettres de rappel, il reste dans son palais et garde son rôle dans la société romaine. Il lui est possible de préserver une part de son train de vie grâce à une pension versée par la cour de Madrid, obtenue par les bonnes grâces d’Azara18 et du comte de Floridablanca19, ancien ambassadeur à Rome, que Bernis a connu lors du conclave de 1774, et devenu depuis secrétaire d’Etat de Charles IV. La pension est officiellement accordée au titre des services rendus depuis la suppression de la Compagnie de Jésus, et des services encore attendus du diplomate. Pie VI est donc bien entouré ; la pression de l’Espagne ne doit pas être sous-estimée. Bernis va subir quelques contrariétés en 1792 : son château familial de Saint-Marcel-de-l’Ardèche est pillé et brûlé, Floridablanca est disgrâcié par la cour de Madrid, et enfin l’Assemblée Législative le porte sur la liste des émigrés.
7A Rome, il lui faut demeurer au centre du dispositif de l’émigration qui prend peu à peu de l’importance. Dès le printemps 1791 arrivent la famille Polignac, Madame Vigée-Lebrun, les ducs de Choiseul, de Vaudreuil et de Laval, monsieur Duvivier, époux d’une nièce de Voltaire et donc vieille connaissance du cardinal. Parmi les ecclésiastiques, l’évêque d’Apt est arrivé très tôt20 ; l’évêque d’Evreux, Mgr de Narbonne, arrive avec les princesses de France, étant leur aumônier. Il mourra le 12 novembre 179221. L’évêque titulaire de Pergame, aumônier de Madame Adélaïde, est également présent22. D’autres suivront : les évêques de Perpignan Mgr de Leyris, de Carcassonne Mgr de Vintimille, et de Vence Mgr Pisani de La Gaude23, tous arrivés fin 1791 après l’occupation de Nice, qui provoque un repli des émigrés vers les États Pontificaux. Bernis entend garder un rôle diplomatique : nous le voyons le 3 juillet 1791 écrire au pape pour lui conseiller de lancer un appel au calme en direction des catholiques révoltés du Midi de la France : il estime que ce n’est pas le moment d’entrer dans une guerre sainte. L’Église ne peut vaincre que par la vertu24. Mais le cardinal n’est plus seul, et le paysage politique de l’émigration se complique. Le comte de Provence veut être reconnu comme régent de France du fait de l’absence de liberté de Louis XVI. Or le baron de Breteuil25 défend les intérêts du roi. Bernis tente de jouer un rôle de médiateur dans ce débat, gardant toujours le parti du roi et une distance certaine vis-à-vis du futur Louis XVIII. C’est sans doute sur les conseils du cardinal que Pie VI adoptera une retenue constante, se gardant de tout geste ou parole de reconnaissance à l’égard de Provence.
8Les tensions à Rome s’accroissent surtout du fait des interventions intempestives de l’abbé Maury26. Ce grand orateur de la Constituante a pris le chemin de l’exil en octobre 1791. Il s’arrête à Coblence, et écrit au cardinal secrétaire d’État le 7 novembre qu’il tente de rapprocher « Coblentz et les Tuileries », et qu’il intervient auprès de l’électeur de Mayence contre le congrès d’Ems, en faveur des droits du Saint-Siège27. Natif de Valréas, dans le comtat Venaissin, et donc sujet du pape, il annonce sa venue prochaine à Rome28. Ce personnage est porteur des espoirs du parti « romain » en France, puisque l’abbé Pey l’avait recommandé à Garampi pour recevoir le chapeau de cardinal à la place de Loménie29. Placé au cœur des controverses par son caractère emporté et son style académique, il apporte son tempérament avec lui dans Rome. Il est manifeste que Bernis ne l’aime pas : d’une part peut-être par jalousie à l’égard de sa place dans la Rome pontificale, plus sûrement encore au titre de ses idées ecclésiastiques et politiques. Bernis est un bon gallican, noble, gardien de l’indépendance de l’Église de son pays, tout romain qu’il est30. Il sert le roi tout en étant loin des nouvelles querelles de partis. Maury, lui, est un orateur de la Constituante, un élu de modeste origine, un défenseur sans retenue des droits de l’Église. Reconnu comme vaniteux et bavard, il avait reçu le surnom de « Jupiter de la politique royaliste »31. Son arrivée à Rome en décembre 1791 est aussi le fruit du désir des émigrés de Coblence et de celui de Provence d’avoir un ambassadeur plus assuré auprès du pape que Bernis, et ce dernier en est bien conscient. Pas question pour lui de loger à l’ambassade : c’est Zelada qui le loge en face du palais du Gesù où demeure le secrétaire d’État (qui dirige le collège et les biens de la Compagnie depuis l’extinction de celle-ci). Son portrait, dit-on, se répand dans Rome, il se fait voir et parle beaucoup32. Il se promène un jour en habit laïc dans la ville, ce qui lui attire des ennuis33. Y-a-t-il un jeu de Zelada qui protège manifestement Maury au nom de Pie VI ? La Curie va-t-elle basculer en défaveur du cardinal de Bernis ? Maury n’a pas que des amis à Paris, l’épiscopat lui est plutôt hostile, et l’abbé de Salamon envoie des piques contre lui dans son courrier34. Aussi peut-il gêner la Curie dans ses négociations. Il introduit de l’agitation parmi les émigrés de Rome, alors que le pape veut de l’ordre, pour la tranquillité de sa ville. Enfin, Pie VI reste attaché à son cardinal électeur, dont les conseils lui sont bien utiles dans la situation engendrée par la déclaration du schisme constitutionnel. Quand l’homme était à Paris, il paraissait important. Une fois à Rome, il semble que la Curie change d’opinion. Ainsi, Maury ne reste à Rome que quelques mois. Il est nommé et ordonné évêque in partibus de Nicée le 24 avril 179235, et envoyé en qualité de nonce extraordinaire auprès de la diète de Francfort (Léopold II est mort le 1er mars 1792, et il faut élire empereur son successeur François II). Cette mission, pour honorifique qu’elle puisse paraître, est aussi un magnifique piège, puisque la situation diplomatique du Saint-Siège la rend impossible à tenir sans se ridiculiser auprès des électeurs du Saint-Empire, ce qui se produit effectivement36. Après son retour de Francfort, Pie VI fait attendre le prélat avant de lui conférer la pourpre le 21 février 179437, pour le nommer ensuite évêque de Montefiascone et Corneto, où il succède au cardinal Garampi. C’est encore un honneur, mais surtout un éloignement de Rome. Le prélat sera libre de parler tant qu’il veut sans troubler personne... Il ne siège à Rome que dans des congrégations de peu d’importance (il reçoit le titre de la Trinité-des-Monts). Une lettre du 12 septembre 1797 de Maury au comte d’Antraigues donne une idée de la haine que les deux cardinaux français se portaient :
« Ce vieux, ce vieux bel esprit, ou cette vieille bouquetière de Parnasse, ce vieux courtisan, ce vieux ministre, ce vieux compatriote jaloux, ce vieux libertin gâté par ses catins, ses cuisiniers, ses parasites, escorté comme vous le voyez de tous les démons qui peuvent rendre un ennemi digne d’attention, s’en est allé dans l’autre monde avec cette vessie pleine de vers qu’il portait depuis 80 ans en guise de tête sur ses épaules. Il m’a soumis durant trente mois consécutifs à des épreuves un peu plus sérieuses que les coups d’épingles qui vous mettent de mauvaise humeur et qu’il y a de la folie à se flatter d’éviter quand on a vos talents, votre célébrité et votre influence dans une grande et malheureuse affaire »38.
9Voilà qui campe nettement les relations et nous laisse deviner une part de l’ambiance régnant dans la colonie des exilés français de Rome. Trois partis sont en présence : le parti de Bernis et de son consul Digne, c’est-à-dire des émigrés résignés et fidèles ; le parti de Maury, à savoir celui des royalistes, comploteurs contre la Révolution, des réseaux de d’Antraigues et des émigrés du Rhin ; enfin un parti favorable à la Révolution, à ne pas oublier, car il existe bien en 1791 autour de l’Académie de France, ce milieu des jeunes artistes qui vont bientôt faire parler d’eux, et que les sbires pontificaux surveillent de près. Mais au départ, Bernis les protège encore et les couvre de ses deniers.
10Pour étendre notre regard sur le milieu de l’émigration à Rome, l’étude de René Picheloup39 nous permet de dresser le tableau de la situation en 1791 et 1792. Une première période, avant l’automne 1792, ne voit qu’un faible nombre d’arrivées d’émigrés ecclésiastiques. Nous sommes avant les lois de déportation et les massacres de septembre. Ne viennent à Rome que des ecclésiastiques français qui y ont des relations, des nobles souvent, qui ont pris peur dans leur pays. Outre les évêques déjà nommés, il faut citer l’abbé Jean de Castellane-Adhemar, vicaire à Aix, ainsi que le supérieur du séminaire de Nantes. Ces prêtres sont reçus en vertu de passeports toujours délivrés par le secrétaire d’État en personne. L’accueil est confié à Mgr Lorenzo Caleppi qui, en décembre 1791, prend la direction d’une nouvelle institution, « l’opera pia dell’ospitalità francese »40. Caleppi conduit lui-même les Français à leur logement : des monastères, des maisons de cardinaux (Garampi propose huit places pour accueillir des Français41). On ne se doute pas alors du flux qui viendra bientôt : un courrier de l’automne 1792 dit même qu’il n’y aura plus d’arrivants. Au début de 1792, René Picheloup relève les noms de 62 prêtres et 9 religieuses à Rome42. Caleppi écrit qu’avant octobre 1792, il y avait 200 réfugiés dans les États Pontificaux. Une lettre fait état de la volonté du pape de ne jamais dépasser les 300 réfugiés dans la ville de Rome, pour ne pas troubler l’ordre public43. On veille aux idées des arrivants (méfiance envers les « démocrates »), on leur fait écrire leurs souvenirs sur les événements de France, moyen d’information pour la Curie, qui contribue à créer une culture de l’émigré.
11Il convient en outre, pour camper le tableau de la Rome pontificale, d’analyser les réseaux de clientèle : ainsi vit la Curie du xviiie siècle, et la Révolution n’a aucune raison d’interrompre le processus. Pourquoi Garampi est-il un homme indispensable ? Il est présent dans les congrégations, mais surtout par son réseau de protégés : César Brancadoro, envoyé comme supérieur des Missions de Hollande le 25 juillet 1790, est nommé nonce à Bruxelles le 28 août 1792 ; Caleppi est un ancien auditeur de la nonciature à Vienne du temps du séjour de Garampi44 : il devient le personnage central qui gère l’émigration française. Bartolomeo Pacca, nonce à Cologne, est aussi un de ses protégés45. Et surtout, Garampi est indispensable par sa connaissance parfaite de la diplomatie et de l’histoire, grâce à ses voyages, ses nonciatures de Varsovie et de Vienne, et le riche réseau de correspondance qu’il entretient dans toute l’Europe. Il est au courant des événements, des publications érudites et scientifiques. Il connaît les réalités locales et sait répondre aux courants réformistes, puisqu’il a géré la crise ouverte par Fébronius. Ajoutons qu’il est le pendant impérial de la diplomatie pontificale, si influencée par Bernis et Azara qui incarnent l’influence des Bourbons, prépondérante depuis Clément XIV. Son seul défaut sera son âge : il meurt dès le 4 mai 1792. Le cardinal Antonelli prendra manifestement en charge sa clientèle46. Avec Gerdil, c’est désormais seule la théologie qui assiste Pie VI, et non plus l’expérience d’un diplomate. Albani s’en trouve peut-être plus libre d’agir comme chef du parti zelante.
12Albani recevra chez lui les prêtres des Missions Étrangères de Paris47. Gerdil, en bon religieux, se tient plus à l’écart des réseaux. Mais il est en relation étroite avec un émigré d’importance, le vicaire général du diocèse de Digne, l’abbé Pierre d’Hesmivy d’Auribeau48. Cet homme sera chargé par Gerdil, sur la demande de Pie VI, de recueillir les témoignages pour constituer le martyrologe de l’Église de France49. Il est aussi le traducteur officiel des grands textes, notamment de l’Oraison funèbre de Sa Majesté le roi Louis XVI... prononcée en latin par Mgr Leardi en présence de NTSP le pape Pie VI50, et du Discours aux romains sur les prodiges par lesquels le Seigneur a manifesté sa toute puissance pour la défense et la gloire de son Église dans ces derniers temps, par M Marotti51. Il traduira plus tard l’oraison funèbre du cardinal Gerdil52.
13C’est dans ce décor ainsi planté que travaillent Pie VI et les congrégations particulières. L’examen des brefs pontificaux adressés à l’Église de France va permettre à présent de comprendre la mise en œuvre des options théologiques romaines.
Notes de bas de page
1 Diario Romano no 1652, du 30 octobre 1790. Pour la description de la vie romaine, voir M. Andrieux, La vie quotidienne dans la Rome pontificale au xviiie siècle, Paris, 1962 ; M. Caravale, A. Caracciolo, Lo Stato Pontificio da Martino V a Pio IX, in Storia d’Italia XIV, Turin, 1978, p. 557 sv. ; V. E. Giuntella, « Roma nel Settencento », in Storia di Roma, vol. XV, Bologne, 1971 ; H. Gross, Roma nel Settecento, Rome-Bari, 1990.
2 Diario no 1692 du 19 mars 1791. Cette information est donnée neuf jours après la signature de Quod aliquantum !
3 Le palais Braschi abrite aujourd’hui le Museo di Roma. Manfred F. Fischer, « Studien zur Planungs und Baugeschichte des Palazzo Braschi in Rom », in Römisches Jahrbuch für Kunstgeschichte 12 (1969), p. 95-136.
4 Voir p. 46.
5 Motu proprio Intenta la Santità Sua du 7 décembre 1791, in Bullarii, tome VI, pars III, p. 2408-2419, et Volendo la Santità Sua, du 10 décembre 1791, in Bullarii, tome VI, pars III, p. 2420-2430.c
6 Diario no 1670, du 1er janvier 1791.
7 Diario no 1678, du 29 janvier 1791. Il s’agit de Mgr Laurent-Michel Eon de Cely, qui quitte son diocèse dès le 24 août 1789 (Theiner, II, p. 44). Né en septembre 1735 à Bayeux, sacré évêque d’Apt le 10 janvier 1778, il sera démissionaire en 1801, et meurt le 6 décembre 1815 à Marseille. DHGE 18 (1977), p. 287 ; R. Picheloup, op. cit., p. 163.
8 Diario no 1692, du 19 mars 1791, et no 1694, du 26 mars 1791. Voir p. 89.
9 Barbe Acarie (1566-1618), née Avrillot, épouse d’un conseiller au Parlement, qui tenait un salon très important dans le Paris dévôt, où vint essentiellement le cardinal Pierre de Bérulle. Devenue veuve, elle entra au Carmel de Pontoise. Voir J. Dajens, Bérulle et les origines de la restauration catholique (1575-1611), Paris, 1952 ; DHGE 1 (1912), p. 254-259 (E. de Broglie).
10 ACTA, I, p. 195-198 ; Guillon, I, p. 80-91 (latin-français). Le carmel de Pontoise conserve dans ses archives un Historique de la cause de béatification de Marie de l’Incarnation (1622-1791), rédigé par le dernier postulateur de la cause à Rome, l’abbé de Chatenois. Ce dernier raconte la liturgie de la béatification.
11 « Quapropter, eversam nunc funditus Ecclesiae disciplinam, ejus regimen civili imperio mancipatum, sancta episcoporum iura coarcta, pastores sedibus deturbatos, supremamque Romani Pontificis iurisdictionem, tamquam peregrinam, e Galliis eliminatam ipsa nunc e caelo despiciens, tantam Ecclesiasticae rei perturbationem vehementer aversari videtur, ac proposito suarum virtutum exemplo, errantes cives, ut in viam tandem redeant, commonere. Huic igitur publica veneratione tributa, sperare in Domino fas est, ut Galli ad eam colendam, virtustesque ipsius imitandas excitati, fructum uberrimum charitatis eius in patriam, impetrata religionis integritate, percipiant ». ACTA, I, p. 197.
12 Diario no 1700, du 16 avril 1791.
13 R. Vaillot, Le cardinal de Bernis, Paris, 1985, p. 314.
14 Sur cette semaine de réception, voir Diario no 1702, du 23 avril 1791 ; L. Vicchi, Les français à Rome pendant la Convention 1792-1795, Rome, 1892, p. lxx ; R. Vaillot, op. cit., p. 315-316.
15 Diario no 1702, du 23 avril 1791, p. 31.
16 F. Masson, Le cardinal de Bernis depuis son ministère, Paris, 1884, p. 429. Le cardinal Herzan, ambassadeur de l’Empereur auprès du pape, est plus rarement évoqué par le Diario.
17 Le 15 octobre 1790, le directoire du département du Tarn a sommé Bernis de choisir entre son poste de Rome ou son ministère à Albi. Le 6 février 1791, le même directoire demande l’élection d’un évêque : Jean-Joachim Gausserand est élu à Castres le 13 mars (ce curé d’Albi était député aux Etats généraux). Bernis enverra une lettre pastorale de protestation à la fin du mois d’avril, mais sa diffusion sera interdite par le département. Cf. R. Vaillot, op. cit., p. 310-311.
18 José Nicolas de Azara y Perera, 1730-1804. Il arrive à Rome en 1766 comme agent général et procureur du roi d’Espagne à la cour de Rome. Il y restera 34 ans. Il devient ministre plénipotentiaire le 21 décembre 1784. De mars 1798 à août 1799, il est ambassadeur à Paris, puis de 1801 à 1803. En mauvais termes avec le ministre Godoy, il meurt à Paris avant d’avoir rejoint son pays. Voir D. Ozanam, Les diplomates espagnols du xviiie siècle, Madrid-Bordeaux, 1998, p. 168-169.
19 José Monino y Redondo, comte de Floridablanca 1728-1808. Nommé ministre par interim à la cour de Rome en avril 1772, il traite donc le dossier de la suppression des Jésuites. Il quitte Rome en 1776, étant nommé premier secrétaire d’Etat à Madrid. Il reste à ce poste jusqu’en 1792, avant de subir un procès politique dont il sortira lavé de tous soupçons. Voir D. Ozanam, Les diplomates espagnols du xviiie siècle, Madrid-Bordeaux, 1998, p. 357-358.
20 Sur l’émigration de l’épiscopat français, voir : B. de Brye, « La révolution française et l’émigration de l’épiscopat gallican : historiographie d’une absence », in Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine 1993/IV, p. 604-628 ; C. Dumoulin, « Les mouvements migratoires de l’épiscopat pendant la Révolution française (1789-1801) », in L’évêque dans l’histoire de l’Église, Presses de l’Université Catholique d’Angers, 1984, p. 139-149.
21 François de Narbonne-Lara, né en 1722 dans le Lot-et-Garonne, évêque de Gap, sacré le 25 mars 1764. DHGE 18 (1977), p. 426.
22 Joseph Green de Saint-Marsault, né à Limoges en 1727, évêque titulaire de Pergame et auxiliaire de l’évêque de Meaux, sacré le 8 août 1779, mort à Rome le 2 septembre 1818. DHGE 18 (1977), p. 326.
23 Antoine-Félix de Leyris d’Esponchez, né le 20 décembre 1750 à Alès, sacré évêque de Perpignan le 4 janvier 1789 à Paris, député aux Etats-Généraux, mort près d’Udino le 13 juillet 1801. DHGE 18 (1977), p. 391.
François-Marie de Vintimille, né le 6 janvier 1751 à Marseille, sacré évêque de Carcassonne le 12 octobre 1788, non démissionaire en 1801, mort le 6 août 1822 à Paris. DHGE 18 (1977), p. 522.
Charles-François Pisani de La Gaude, né le 4 mars 1743 à Aix-en-Provence, sacré évêque de Vence le 8 février 1784, démissionaire en 1801, sera évêque de Namur en 1804, mort à Namur le 23 février 1826. DHGE 18 (1977), p. 450.
24 R. Vaillot, op. cit., p. 317.
25 Louis-Auguste Le Tonnelier, baron de Breteuil (1730-1807), Gouverneur de la Maison du Roi de 1783 à 1789, il se retire à Hambourg où Louis XVI lui donne en 1790, puis révoque, des pouvoirs pour négocier avec les puissances. DBF 7 (1956), p. 239-240, (M. Prevost). Sur son rôle dans la contre-révolution, voir J. Godechot, La Contre-Révolution, Paris, 1961.
26 Voir la notice biographique dans la prosopographie des cardinaux. Sur Maury comme un des chefs de la droite contre-révolutionnaire à l’Assemblée Constituante, voir J. Godechot, La Contre-Révolution doctrine et action 1789-1804, Paris, 1961, p. 33-35, et T. Tackett, Par la volonté du peuple, Paris, 1997, p. 217 sv.
27 L. Vicchi, op. cit., p. 6 ; Ricard, Correspondance diplomatique et mémoires inédits du cardinal Maury, p. 517-519. Ricard base son étude sur les papiers personnels du cardinal Maury, retrouvés dans les archives de la famille au château de Beauregard, près d’Orange. Sur le séjour de Maury à Coblence, nous disposons également des renseignements fournis par le nonce à Cologne, Mgr Pacca, assez louangeur sur la fidélité de l’abbé à l’égard du Saint-Siège. Voir ASV, Segr. Stato, Colonia, 289, courriers d’octobre et novembre 1791.
28 Zelada lui écrivait le 24 août 1791 : « Rome sera toujours pour vous un endroit où vous jouirez en paix de la considération qui vous est due à tant de titres. Soyez bien sûr que le pape vous y verra avec transport et qu’il fera son possible pour constater le très grand cas qu’il fait de vos talents, et pour vous dédommager des efforts que vous avez faits pour soutenir la religion, et les droits ecclésiastiques et temporels du Saint-Siège ». Ricard, op. cit., p. 10.
29 Pey à Garampi, lettre du 11 novembre 1791, ASV, Fondo Garampi 284, f. 130-131. « On applaudit généralement aux actes des consistoires au sujet du cardinal apostat qui est méprisé même par les constitutionels, et on a lu avec une égale satisfaction ce que Sa Sainteté ajoute qu’il réserve la place à Virum egregium suo tempore nominandum parce qu’on a cru y voir m. l’abbé maury qui s’est acquis une estime générale dans tous le Royaume. Les enragés ont été forcés de rendre hommage à ses talens, à sa droiture, comme à son courage et il est certainement en état de rendre encore de grands service à la religion ».
30 Bernis écrit à Montmorin le 25 août 1789 : « Je pense sur cet objet comme Bossuet lui-même... Le séjour de vingt ans à Rome ne m’a pas rendu ultramontain. Je suis Français jusques au fond du cœur ». AE, Rome, 911.
31 R. Vaillot, op. cit., p. 318. Plus élogieux, Louis XVI lui dit un jour en 1790 : « Mr l’abbé, vous avez le courage des Ambroise et l’éloquence des Chrysostome ». Ricard, op. cit., p. lviii.
32 Le journal L’Ami du Roi explique que le pape a fait mettre le portrait de Maury dans son appartement, de même pour Mesdames à l’ambassade (donc chez Bernis !). Numéro du jeudi 17 novembre 1791, p. 4.
33 Ricard, op. cit., p. 24.
34 Par exemple le 29 août 1791, Salamon écrit à Zélada : « Notre cher abbé (Maury) a le plus rare talent et est le plus grand homme à la tribune, mais dans la société il se ressent un peu de sa naissance et du défaut d’éducation : il manifeste souvent des petites glorioles et qui devaient être au-dessous d’une personne de son mérite ; mais ce n’est pas à 47 ans qu’on change d’habitude. Ce petit défaut de jactance lui attire quelquefois des plaisanteries ». In E. de Richemont, Correspondance secrète de l’abbé de Salamon, Paris, 1898, p. 14
35 Il est ordonné le 1er mai 1792 par de Zelada, entouré de Mgr Pisani de La Gaude et de Mgr Leyris d’Esponchez, évêque de Perpignan.
36 Voir plus loin, chapitre XVII.
37 Ricard, qui défend beaucoup Maury, parle d’un création cardinalice in petto dès septembre 1791. Il est vrai que le consistoire de démission de Loménie parle d’une réservation in pettore pour un autre personnage, mais relevons que cette réservation ne fut pas enregistrée et retenue comme telle (nous en aurions la trace dans la Hierarchia Catholica) et que Pie VI fit attendre Maury trois ans.
38 Archives Nationales, AP 418. Document aimablement communiqué par Mr l’abbé Bernard de Brye.
39 R. Picheloup, Les ecclésiastiques français émigrés ou déportés dans l’Etat Pontifical, 1792-1800, Toulouse, 1972.
40 Une lettre de Caleppi à Zelada le remercie pour sa nomination le 23 décembre 1791. ASV, Segr. Stato, Emigrati Riv. Francese, 27, f. 8 ; R. Picheloup, op. cit., p. 15-22.
41 ASV, Segr. Stato, Emigrati Riv. Francese, 27, f.18.
42 R. Picheloup, op. cit., p. 20.
43 ASV, Segr. Stato, Emigrati Riv. Francese, 25, f. 492.
44 U. Dell’Orto, La nunziatura a Vienna di Giuseppe Garampi 1776-1785, Cité du Vatican, 1995, p. 48.
45 ASV, Segr. Stato, Colonia, 203, f. 153, courrier du 24 mai 1792.
46 Pour preuve, une lettre de Antonelli à Brancadoro du 22 novembre 1794, dans laquelle il le remercie de le reconnaître comme son cardinal padrone. ACEP, Lettere, 266, f. 637-639.
47 B. Plongeron, « Église et Révolution d’après les prêtres émigrés à Rome et à Londres (1792-1802) », in Histoire, économie et Société VIII/1, 1989, p. 75-100. Cf. Archives des MEP, Rome, Procure, 219, p. 551 : Le père Descouvières « habite Strada Felice, près du palais du cardinal Albani ».
48 Né à Digne le 25 février 1756, oratorien en 1772, chanoine et archidiacre du diocèse de Digne en 1782, puis vicaire général. Il est en 1792 à Rome, se réfugie à Florence en 1798, est conclaviste du cardinal Caraffa à Venise. Pie VII le nomme chanoine à Rome, il enseigne la littérature française à l’Université de Pise de 1812 à 1814. Il rentre à Paris sous la Restauration et y meurt en décembre 1843. DHGE 5 (1931), p. 748 (U. Rouzies). Voir également L. Fiorani, in Ricerche per la Storia Religiosa di Roma 9 (1992), p. 100.
49 P. d’Hesmivy d’Auribeau, Mémoires pour servir à l’histoire de la persécution française, Rome, Salvioni, 1794-1795, 2 vol. (BNF : RES 8-LD3-165).
50 Rome, Lazarinni, 1793, 50 p.
51 Rome, 1794, 176 p.
52 Eloge funèbre de son Eminence le cardinal Gerdil, Rome, 1802, 165 p.
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