Annexes
p. 289-363
Texte intégral
A – Les récits de la Nativité et de sa célébration des Évangiles à sainte Brigitte de Suède et Giovanni Dominici
1. L’évangile de Matthieu (1er s.)
1L’évangile de Matthieu présente les doutes de Joseph vis-à-vis de la grossesse de Marie puis la naissance de l’Enfant. On n’y trouve aucune mention des sages-femmes, ajout proprement apocryphe. La naissance de Jésus est suivie du voyage puis de la visite des mages. Le Voyage des mages trouve sa place dans l’étude de la Nativité, puisqu’il en constitue longtemps une scène secondaire. Lorsque cette scène secondaire cesse d’être représentée dans la Nativité, cette dernière n’en garde pas moins l’étoile si caractéristique qui guide les mages jusqu’à la grotte où naît Jésus, et qui provient justement du seul récit de Matthieu (chapitre 2).
1: 18-25 | Les doutes |
Christi autem generatio sic erat cum esset desponsata mater eius Maria Ioseph, antequam convenirent inventa est in utero habens de Spiritu Sancto. Ioseph autem vir eius cum esset iustus et nollet eam traducere, voluit occulte dimittere eam. Haec autem eo cogitante ecce angelus Domini in somnis apparuit ei dicens “Ioseph fili David noli timere accipere Mariam coniugem tuam quod enim in ea natum est de Spiritu Sancto est pariet autem filium et vocabis nomen eius Iesum ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum” Hoc autem totum factum est ut adimpleretur id quod dictum est a Domino per prophetam dicentem | Or telle fut la genèse de Jésus Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph: or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. Joseph, son mari, qui était un homme juste et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. Alors qu’il avait formé ce dessein, voici que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme: car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint; elle enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.» Or tout ceci advint pour que s’accomplît cet oracle prophétique du Seigneur: |
ecce virgo in utero habebit et pariet filium et vocabunt nomen eius Emmanuhel quod est interpretatum Nobiscum Deus. | Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous.» Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui sa femme; et il ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils, et il l’appela du nom de Jésus. |
2: 1 | La naissance |
Cum ergo natus esset Iesus in Bethleem Iudaeae in diebus Herodis regis | Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode |
2: 1-11 | Le Voyage et l’Adoration des Mages |
ecce magi ab oriente venerunt Hierosolymam dicentes “ubi est qui natus est rex Iudaeorum vidimus enim stellam eius in oriente et venimus adorare eum1[…]” | voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem en disant: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu, en effet, son astre à son lever et sommes venus lui rendre hommage.» |
2Matthieu ne fait pas à proprement parler le récit de la naissance de Jésus, il se contente de la mentionner une fois advenue (cum ergo natus esset). En revanche, il raconte l’histoire des rois mages qui viennent rendre hommage au roi des Juifs et il est le seul évangéliste à le faire. Dans la bouche des mages apparaît pour la première fois le terme désignant le rapport à l’enfant Jésus nouveau-né, adorare. Venimus adorare eum (Mt 2: 9) annoncent-ils à Hérode, avant de se rendre dans la grotte et de mettre leur parole à exécution (procidentes adoraverunt eum). Du point de vue iconographique, c’est à la scène qui suit la Nativité dans les cycles de l’Enfance3, à savoir l’Adoration des mages, qu’il revient de visualiser ces paroles par la posture qui leur correspond (chapitre 2).
2. L’évangile de Luc (1er s.)
3La naissance du Christ n’est ensuite mentionnée que par Luc, auteur du troisième des quatre évangiles du Nouveau Testament. Contrairement à Matthieu qui rapportait le doute de Joseph, Luc est l’évangéliste de l’Annonciation, celui qui raconte comment l’Incarnation de Jésus se joue dans le dialogue entre l’ange Gabriel et la jeune Vierge Marie (Lc 1: 31-38), dans l’instant où elle accepte l’annonce (Fiat secundum verbum tuum, Lc 1: 38). Dans le premier chapitre de son évangile, Luc alterne les récits de la conception de Jean-Baptiste et de Jésus. L’annonce de la naissance du premier (1: 5-25) précède l’Annonciation de la conception du second (1: 26-38); s’ensuivent la Visitation de Marie à Élisabeth (1: 39-56), la Nativité puis la Circoncision de Jean-Baptiste (1: 57-79). Ces différents épisodes, dont la fortune figurative est immense, préparent le deuxième chapitre qui s’ouvre avec la Nativité de Jésus. Après le voyage de Nazareth à Bethléem (2: 1-5), Luc décrit les circonstances de la naissance proprement dite (6-7), puis de l’Annonce aux Bergers (8-14) et de leur visite au nouveau-né (15-20).
2: 1-5 | Le recensement |
Factum est autem in diebus illis exiit edictum a Cesare Augusto | Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinus était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta en Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem – parce qu’il était de la maison et de la lignée de David –, afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. |
2: 6-8 | La naissance |
Factum est autem cum essent ibi impleti sunt dies ut pareret | Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où elle devait enfanter. Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’ils manquaient de place dans la salle. |
2: 8-20 | Les bergers |
Et pastores erant in regione eadem vigilantes et custodientes vigilias noctis supra gregem suum. | Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté; et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit: «Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple: aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche.» Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre paix aux hommes objets de sa complaisance!» Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux: «Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître.» Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. Ayant vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant; et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur. Puis les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, suivant ce qui leur avait été annoncé.4 |
4Chez Matthieu comme chez Luc, le récit de la naissance est très succinct. Luc le développe néanmoins légèrement plus que son prédécesseur, mentionnant pour la première fois la crèche, destinée à un immense succès figuratif. Par ailleurs, les deux textes sont concurrents plus que concordants, puisque le premier ne rapporte que la visite des mages tandis que le second ne rapporte que celle des bergers. Ces derniers deviennent très vite des personnages incontournables de la Nativité. Leur position et leur statut varient en revanche grandement du Duecento au Quattrocento (chapitre 4). Des deux évangiles canoniques émergent donc les figures de Marie et Jésus, des mages et des bergers, la présence de la troupe d’anges et l’indication du lieu qui abrite l’Enfant, la crèche dont l’histoire figurative est traitée au Ch. 6. Ces éléments ne suffisent pas à rendre compte de l’ensemble des motifs qui constituent une Nativité. Pour trouver l’origine des sages-femmes ou encore de l’étable, il faut se plonger dans les évangiles apocryphes.
3. Le Protévangile de Jacques (IIe s.)
5Tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge, les évangiles apocryphes et les diverses récritures des évangiles canoniques allongent amplement le temps du récit et construisent un espace plus complexe, accueillant plusieurs scènes (songe de Joseph, bain de l’Enfant) qui permettent de répondre aux deux exigences mentionnées plus haut: le besoin des chrétiens de connaître l’histoire de leur Dieu et le besoin des théologiens d’affirmer la doctrine5, une affirmation qui passe aussi bien, voire mieux, par les images que par les textes. C’est en particulier le cas des sages-femmes, dont la présence est à l’origine destinée à certifier la virginité de Marie y compris après l’accouchement (chapitre 5).
6Le Protévangile de Jacques (milieu du IIe s.) est l’évangile apocryphe le plus détaillé pour ce qui concerne la Nativité et les scènes de l’Enfance du Christ6. Il n’a pas beaucoup circulé en tant que tel en Europe occidentale mais il mérite d’être cité ici car il a servi de base aux apocryphes postérieurs, en particulier au Pseudo-Matthieu, son principal véhicule de diffusion7.
Les doutes 13-17: 2 |
Son sixième mois [de grossesse] arriva, et voici que Joseph revint des chantiers; il entra dans la maison et s’aperçut qu’elle était enceinte. Et il se frappa le visage et se jeta à terre sur son sac et il pleura amèrement, disant: «Quel front lèverai-je devant le Seigneur Dieu? Quelle prière lui adresserai-je? Je l’ai reçue vierge du temple du Seigneur et je ne l’ai pas gardée. Qui m’a trahi? Qui a commis ce crime sous mon toit? Qui m’a ravi la vierge et l’a souillée? L’histoire d’Adam se répète-t-elle à mon sujet? Car tandis qu’Adam faisait sa prière de louange, le serpent s’approcha et surprit Ève seule; il la séduisit et la souilla. La même disgrâce me frappe.» Et Joseph se releva de son sac et appela Marie: «Toi la choyée de Dieu, qu’as-tu fait là? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu? Pourquoi t’es-tu déshonorée, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints et as reçu nourriture de la main d’un ange?» Et elle pleura amèrement, disant: «Je suis pure et je ne connais pas d’homme.» Et Joseph lui dit: «D’où vient le fruit de ton sein?» Et elle répondit: «Aussi vrai que vit le Seigneur mon Dieu, j’ignore d’où il vient.» Et Joseph, rempli de frayeur, se tint coi, et il se demandait ce qu’il devait faire d’elle. «Si je garde le secret sur sa faute, se disait-il, je contreviendrai à la loi du Seigneur. Mais si je la dénonce aux fils d’Israël, et que son enfant vienne d’un ange, ce dont j’ai bien peur, alors je livre à la peine capitale un sang innocent. Que ferai-je d’elle? Je la répudierai en secret.» |
dit aux fils d’Israël et tu n’as pas incliné ta tête sous la puissante main qui eût béni ta postérité!» Et Joseph garda le silence.Le grand-prêtre reprit: «Rends-nous la jeune fille que tu avais reçue du temple du Seigneur.» Joseph fondit en larmes. |
La naissance 17: 3 – 18: 1 |
Ils étaient à mi-chemin, quand Marie lui dit: «Joseph, aide-moi à descendre de l’âne. L’enfant, en moi, me presse et va naître.» Il lui fit mettre pied à terre et lui dit: «Où t’emmener? où abriter ta pudeur? L’endroit est à découvert.» Mais il trouva là une grotte, l’y conduisit et la confia à la garde de ses fils. |
La sidération de Joseph et du cosmos 18: 1 – 18: 3 |
Puis il partit chercher une sage-femme juive dans le pays de Bethléem. Il en trouva une qui descendait de la montagne et il l’amena. |
Les sages-femmes 19-20: 4 |
Et je vis une femme qui descendait de la montagne et elle m’interpella: «Eh, l’homme, où vas-tu?» Je répondis: «Je vais chercher une sage-femme juive. – Es-tu d’Israël? me demanda-t-elle encore. – Oui», lui dis-je. Elle reprit: «Et qui est donc en train d’accoucher dans la grotte?» |
7Le Protévangile de Jacques offre un récit incomparablement plus détaillé que les évangiles canoniques, introduisant une dizaine d’épisodes nouveaux:
l’épreuve de l’eau et l’exil au désert imposés par le grand-prêtre à Joseph et Marie pour mettre à l’épreuve leur bonne foi;
le voyage vers Bethléem à dos d’âne;
la vision des deux peuples par Marie, l’un souriant l’autre pleurant, qui préfigurent les chrétiens reconnaissant l’avènement du nouveau Dieu en Jésus par opposition au peuple des Juifs qui ne le reconnaîtrait pas;
la mention de la grotte comme lieu où s’abrite Marie pour accoucher;
la recherche d’une sage-femme par Joseph;
la description par Joseph de la sidération du cosmos, qui rend compte de la nature extraordinaire de la naissance de Jésus;
le dialogue entre Joseph et la sage-femme à propos de la virginité de Marie;
le miracle lumineux dans l’instant de la naissance, qui a la même fonction que la description de la sidération du cosmos;
Jésus venant téter seul sa Mère, nouvelle manifestation de sa puissance surhumaine;
l’incrédulité de Salomé et le miracle de sa main brûlée puis guérie, dernière mise à l’épreuve de la virginité de Marie.
8Face à la prolifération de détails versant dans l’anecdotique et le familier, dont le Protévangile de Jacques est la source première, des textes savants s’emploient à corriger les excès des apocryphes. Le dernier épisode de Salomé, «né dans un contexte polémique où il fallait affirmer avant tout la virginité de Marie […] par tous les moyens9 », est ainsi sévèrement critiqué, en particulier par saint Jérôme (IVe s.). Son Contra Helvidium met l’accent sur la nature exceptionnelle de l’accouchement de Marie, en rappelant qu’elle accouche non seulement sans douleur, mais aussi parfaitement seule:
Nulla ibi obstetrix, nulla muliercularum sedulitas intercessit. Ipsa [Maria] pannis involvit infantem ipsa et mater et obstetrix fuit10. | Aucune sage-femme n’intervint, ni aucun empressement féminin. Marie enveloppa elle-même l’enfant dans les langes, elle fut elle-même mère et sage-femme. |
9Le rejet des sages-femmes est un sujet sensible, que l’on retrouve y compris dans des textes poétiques, comme le rappelle P. Dronke dans son article «La maternité de Marie dans la poésie médiévale» . Le Natus ante saecula du poète Notker le Bègue (IXe s.), par exemple, raconte que:
Nec gregum magistris defuit lumen, | La lumière ne manqua pas aux pasteurs, |
10Notker, qui connaît saint Jérôme, présente tout d’abord les anges comme milites dei puis, dans un second temps, comme des présences douces qui remplacent les sages-femmes des apocryphes, «refl [étant ainsi] le paradoxe de l’incarnation, […] du Kosmokrator au corps fragile de l’enfant12.» Le Protévangile de Jacques ne se borne pas à enrichir le récit de personnages et d’épisodes secondaires mais en vient à modifier le statut des protagonistes. D’après M. Craveri, «la novità del Protovangelo consiste proprio in questo spostamento di interesse da Gesù, che era stato fino allora il protagonista della letteratura neotestamentaria, a Maria, e di riflesso anche a Giuseppe, che acquistano rilievo di personaggi principali13.» Joseph semble bien le personnage principal du récit, qui s’attarde sur ses gestes, ses déplacements, ses actions et ses paroles, intériorisées ou dialoguées. On apprend qu’il est âgé, tel qu’on le voit dans les Nativités, qu’il a déjà plusieurs enfants. Jacques, le rédacteur de l’apocryphe, serait d’ailleurs le fils de Joseph14. Ce dernier devient même le narrateur au moment de décrire le cosmos sidéré par la naissance du Seigneur. Le temps s’arrête, le cours du temps est interrompu pour marquer la fin de la grossesse de Marie et la venue au monde de Jésus, le passage de l’utérus maternel à l’air libre. L’énumération d’affirmations-négations se révèle un artifice rhétorique efficace pour rendre la qualité surnaturelle de l’événement ( «ceux qui mâchaient ne mâchaient pas et ceux qui prenaient de la nourriture ne la prenaient pas et ceux qui la portaient à la bouche ne l’y portaient pas»). Enfin, le Protévangile de Jacques accompagne l’accouchement de Marie d’un phénomène lumineux surnaturel, motif repris et amplifié d’apocryphe en apocryphe. La lumière apparaît lorsque la sage-femme et Joseph approchent de la grotte. Au fur et à mesure qu’elle diminue, elle laisse apparaître Jésus nouveau-né ( «Et peu à peu cette lumière s’adoucit pour laisser apparaître un petit enfant.»).
4. L’évangile du Pseudo-Matthieu (VIIe-VIIIe s.)
11Le Pseudo-Matthieu, qui reprend abondamment le Protévangile de Jacques, jouit d’un prestige d’autant plus grand que sa traduction latine a longtemps été attribuée à saint Jerôme. C’est sous cette forme qu’il connaît sa plus grande diffusion dans l’Europe latine15.
10-13 : 1 | Les doutes |
Cum haec agerentur, Ioseph in Capharnaum maritima erat in opere occupatus, erat enim faber ligni, ubi moratus est mensibus novem. Reversus itaque in domum suam invenit praegnantem et totus contremuit, et positus in angustia exclamavit et dixit : « Domine, domine, accipe spiritum meum, quoniam melius est mihi mori magis quam vivere. » Cui dixerunt illae virgines quae cum Maria erant : « Nos scimus quia vir numquam tetigit eam. Nos scimus quia integritas et virginitas in ea immaculata perseverans custodita est.… Nam si suspicionem nostram tibi vis ut pandamus, istam gravidam non fecit nisi angelus Dei. » … [Ioseph] cogitabat occultare se et dimittere eam. | Pendant que cela [l’Annonciation] se passait, Joseph était à Capharnaüm maritime, occupé à son travail, car il était charpentier, et il y demeura neuf mois. Rentré donc dans sa maison, il trouva (Marie) enceinte et se mit à trembler de tous ses membres ; plein d’angoisse il s’écria et dit : « Seigneur, Seigneur, reçois mon esprit, car il vaut mieux pour moi mourir que vivre ! » |
Cumque ordinasset in nocte exsurgeret ut fugiens abitaret, ecce ipsa nocte apparuit ei in somnis angelus domini dicens… Exsurgens autem Ioseph a somno gratias egit deo suo et locutus est Mariae et virginibus quae erant cum ea et enarravit visum, et consolatus est super Mariam dicens : « Peccavi quoniam suspicionem aliquam habui in te. » | Il avait donc pris la décision de se lever de nuit et de s’enfuir. Mais voici que cette nuit même un ange du Seigneur lui apparut dans son sommeil, disant […] Quand Joseph se leva de son sommeil, il rendit grâces à son Dieu, et il parla à Marie et aux vierges qui étaient avec elle et raconta sa vision. Et il reconnut ses torts envers Marie en disant : « J’ai péché, car j’ai eu un mauvais soupçon à ton sujet. » |
Factum est autem ut hic rumor exiret quod Maria esset gravida, et comprehensa a ministris templi et Ioseph, perducti sunt ad pontificem… Tunc congregata est omnis multitudo quae dinumerari non poterat et adducta est etiam Maria ad templum domini. […] | Or il arriva que la rumeur se répandit que Marie était enceinte. Et elle fut saisie par les serviteurs du Temple de même que Joseph, et ensemble ils furent conduits au grand prêtre […] Alors toute la multitude se réunit, si nombreuse qu’on ne pouvait la compter, et Marie aussi fut amenée au temple du Seigneur. […] |
Vocatus est autem et Ioseph ad altare sursum et data est ei potationis aqua, quam qui gustasset mentiens et septies circuisset altare dabat deus | Or on appela Joseph à l’autel en haut, et on lui donna l’eau de la boisson. Quand celui qui avait menti y goûtait et faisait sept fois le tour de l’autel, |
signum aliquod in facie eius. Cum ergo bibisset securus Ioseph et girasset septies, nullum signum peccati apparuit in eo. Tunc sanctificaverunt eum omnes sacerdotes omnes et ministri et populi […] | Dieu faisait apparaître quelque signe sur son visage. Lors donc que Joseph eut bu avec confiance et eut fait sept fois le tour, aucun signe de péché n’apparut en lui. Alors tous les prêtres, les serviteurs (du Temple) et le peuple le déclarèrent pur […] |
Et vocantes Mariam dixerunt ei […] Et accessit ad altare domini et accepit aquam potationis et gustavit ciruivit septies, et non est inventum nec signum nec vestigium alicuius peccati in ea. […] | Et appelant Marie, ils lui dirent […] Et elle s’approcha de l’autel du Seigneur, prit l’eau de la boisson, y goûta et fit sept fois le tour (de l’autel) ; et il ne se trouva en elle ni signe ni trace de quelque péché. […] |
Coeperunt inter se populi varia loquacitate turbari. Alius dicebat sanctitatem, alius vero mala conscientia accusabat. Tunc Maria videns suspicionem populi quod non ex integro fuisset purgata, omnibus audientibus clara voce dixit : « […] virum nunquam cognovi, sed neque cognoscere ab ineunte aetate mea ante definivi. […] » | La foule commença à s’agiter dans une grande confusion de paroles. L’un parlait de sainteté, l’autre au contraire par mauvaise conscience l’accusait. Alors Marie, voyant que le peuple la soupçonnait de ne pas être intégralement justifiée, dit d’une voix claire à tous ceux qui écoutaient : « […] jamais je n’ai connu d’homme, et même j’ai pris la décision dès ma prime jeunesse de ne pas en connaître. […] » |
Tunc omnes osculabantur genua eius rogantes eam ut daret malis suspicionibus eorum indulgentiam […] « Sit nomen domini benedictum, qui manifestavit sanctitatem suam universae plebi Israel. » […] | Alors tous embrassèrent ses genoux en la priant de leur pardonner leurs méchants soupçons […] « Béni soit le nom du Seigneur, car il a manifesté sa sainteté à tout le peuple d’Israël. » [… récit du recensement et vision des deux peuples par Marie] |
13 : 2 | La naissance |
Iussit stare iumentum, et praecepit descendere de animali Mariam et ingredi in speluncam in qua semper tenebrae erant, quia lucen diei penitus non habebat. Sed in ingressu Mariae coepit tota spelunca splendorem habere nimium, et quasi sol inesset, ita tota coepit fulgorem lucis ostendere, et quasi esset ibi hora diei sexta, ita eadem speluncam lux divina illustrabat. Quae lux non defecit nec in die nec in nocte, quamdiu ibi Maria peperit masculum, quem | Il fit arrêter la monture et ordonna à Marie de descendre de la bête et d’entrer dans une grotte où régnait une obscurité permanente, car elle était totalement privée de la lumière du jour. Mais à l’entrée de Marie toute la grotte se mit à briller d’une grande clarté ; comme si le soleil y eut été, ainsi elle commença tout entière à produire une lumière éclatante, et comme s’il y eût été midi, ainsi une lumière divine éclairait cette grotte. Cette lumière ne s’éteignit ni le jour ni la nuit aussi longtemps que Marie y enfanta un fils que des anges entourèrent pendant sa naissance ; et, une fois qu’il fut |
circumdederunt nascentem angeli, et natum super pedes suos statim adoraverunt eum dicentes : « Gloria in excelsis Deo et in terra pax hominibus bonae voluntatis. » | né et aussitôt debout sur ses pieds, ils l’adorèrent en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » |
13 : 3-5 | Les sages-femmes |
Et inveniens Ioseph Mariam cum infante quem genuerat dixit ad eam : « Ego Zahelem tibi obstetricem adduxi quae ecce foris ante speluncam stat, quia prae splendore nimio huc non potest introire. » Audiens Maria subrisit. Ioseph autem dixit ad eam : « Noli subridere, sed cauta esto ut inspiciat te, ne forte indigeas medicina eius. » Et iussit eam Maria introire ad se. Cumque permisisset se Maria scrutari, clamavit voce magna obstetrix et dixit : « Domine magne, miserere. Adhuc hoc numquam hoc auditum nec in suspicione habitum est ut mamillae plenae sint lactis et natus masculus virginem suam matrem ostendat. Nulla pollutio sanguinis facta est in nascente, nullus dolor in pariente apparuit. Virgo peperit et postquam peperit virgo esse perdurat. » | Et Joseph, trouvant Marie avec l’enfant qu’elle avait mis au monde, lui dit : « Je t’ai amené la sage-femme Zahel, qui se tient à l’extérieur de la grotte, car elle ne peut pas y entrer à cause de la trop grande clarté. » À ces mots, Marie sourit. Mais Joseph lui dit : « Ne souris pas, mais prends soin qu’elle puisse t’examiner, pour voir si tu n’as pas besoin du secours de sa médecine. » Et Marie l’invita à entrer auprès d’elle. Et quand Marie lui eut permis de l’examiner, la sage-femme cria à haute-voix et dit : « Seigneur grand, pitié ! Jamais encore on n’a entendu ni même soupçonné que des seins soient remplis de lait et que le fils qui vient de naître manifeste la virginité de sa mère. Nulle souillure de sang ne s’est montrée chez le nouveau-né, nulle douleur n’est apparue chez l’accouchée. La vierge a enfanté et après l’enfantement elle continue d’être vierge. » |
Audiens hanc vocem alia obstetrix nomine Salome dixit : « Plane hoc ego non credam nisi forte probavero. » Et ingressa Salome ad Mariam dixit ei : « Patere tu conspici a me ut cognoscam si verba Zahel vera sunt quae indicavit mihi. » Cumque permisisset Maria conspectum suum statim ut manum suam dexteram ab aspectione eius abstraxit, aruit manus et prae dolore coepit vehementissime angustiari et clamare flens et dicens : « Domine, tu nosti quia semper te timui, et omnes pauperes sine tribulatione acceptionis curavi. A vidua et orphano nihil accepi | Entendant ces paroles, une autre sage-femme nommée Salomé dit : « Certes, moi je n’y croirai pas, à moins que je ne l’aie constaté moi-même. » Et s’étant approchée de Marie, Salomé lui dit : « Admets que je t’examine, afin que je sache si les paroles que Zahel m’a adressées sont vraies. » Après que Marie lui eut permis de l’examiner, aussitôt qu’elle eut retiré sa main droite au terme de l’examen, celle-ci se dessécha, et Salomé se mit à être oppressée de douleur et à s’écrier en pleurant : « Seigneur, tu sais que j’ai toujours craint et que j’ai soigné tous les pauvres sans me soucier de la rétribution. De la veuve et de l’orphelin je n’ai rien accepté, et |
et inopem a me vacuum numquam dimisi. Et ecce misera facta sum propter incredulitatem meam, quia ausa fui temptare virginem tuam, quae peperit lumen et post hunc partum virgo permansit. » | jamais je n’ai laissé partir l’indigent les mains vides. Et voici que je suis devenue malheureuse à cause de mon incrédulité, parce que j’ai osé mettre à l’épreuve ta vierge, qui a enfanté la lumière et est restée vierge après cet enfantement. » |
Et cum haec diceret, apparuit iuxta illam iuvenis splendidus dicens : « Accede ad infantem et adora eum et continge de manu tua, et ipse te salvabit, quia hic est salvator omnium sperantium in se. » Et confestim accessit Salome adorans infantem ac tetigit fimbrias pannorum in quibus erat infans, et statim salvata est manus ejus. Exiens autem foras clamare coepit et dicere magnalia virtutum quae viderat et quae passa fuerat, et quemadmodum curata fuerat, ita ut ad praedicationem eius multi crederent. | Et pendant qu’elle parlait ainsi, un jeune homme resplendissant de lumière apparut auprès d’elle et dit : « Approche-toi de l’enfant et adore-le, touche-le de ta main et il te guérira, car il est le Sauveur de tous ceux qui espèrent en lui. » Et à l’instant même Salomé s’approcha en adorant l’enfant et elle toucha le bord des langes dans lesquels l’enfant était enveloppé. Et aussitôt sa main fut guérie. Alors, sortant au-dehors, elle se mit à crier et à raconter les miracles qu’elle avait vus, ce qu’elle avait souffert et comment elle avait été guérie, en sorte que beaucoup reçurent la foi par sa prédication. |
13 : 6-7 | Les bergers |
Nam et pastores ovium asserebant se angelos vidisse in media nocte hymnum dicentes deo, et ab ipsis audisse quod natus esset salvator hominum qui est Christus dominus in quo restituetur salus Israel. | Des bergers de brebis affirmaient aussi qu’ils avaient vu, au milieu de la nuit, des anges chantant des hymnes à Dieu, et qu’ils avaient appris de leur bouche que le Sauveur des hommes était né, qui est le Christ Seigneur, en qui sera rétabli le salut d’Israël. |
Sed et stella ingens a vespere usque ad matutinum splendebat. Haec stella indicabat nativitatem Christi qui restauraret sicut promiserat non solum Israel sed et omnes gentes. | De plus, du soir au matin, une très grande étoile resplendissait. Cette étoile annonçait la naissance du Christ qui, selon la promesse, viendrait restaurer non seulement Israël mais toutes les nations. |
14 | L’adoration par les bêtes |
Tertia autem die nativitatis domini egressa est Maria de spelunca et ingressa est in stabulum et posuit puerum in praesepio, et bos et asinus genua flectentes adoraverunt eum. Tunc adimpletum est quod dictum est per Esaiam prophetam dicentem : « Agnovit bos possessorem suum et asinus praesepium domini sui. [Isaïe, | Or, deux jours après la naissance du Seigneur, Marie sortit de la grotte, entra dans une étable et déposa l’enfant dans une crèche, et le bœuf et l’âne, ployant les genoux, l’adorèrent. Alors fut accomplie la parole du prophète Ésaïe : « Le bœuf a connu son propriétaire et l’âne la crèche de son maître. » |
1 : 3] » Et ipsa animalia in medio eum habentes incessanter adorabant eum. Tunc adimpletum est quod dictum est per Abacuc prophetam dicentem : « In medio duorum animalium innotesceris. [Habac. 3 : 2] » In eodem autem loco commoratus est Ioseph et Maria cum infante tribus diebus. | Et ces animaux, qui l’avaient au milieu d’eux, l’adoraient sans cesse. Alors fut accomplie la parole du prophète Habacuc disant : « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux. » Joseph et Marie, avec l’enfant, demeurèrent en ce même lieu pendant trois jours16. |
12Malgré la structure d’ensemble, fort proche de celle du Protévangile de Jacques, l’évangile du Pseudo-Matthieu apporte néanmoins un grand nombre de nouveautés et d’épisodes étoffés :
le groupe de vierges témoignant de l’innocence de Marie ;
l’épreuve de l’eau, après laquelle Joseph et Marie ne doivent plus se rendre au désert comme dans le Protévangile de Jacques mais faire sept fois le tour de l’autel. Cette épreuve, imposée aux deux époux, est surtout destinée à valoriser l’innocence de Marie dont la virginité est ensuite validée par un double témoignage ;
les phénomènes lumineux surnaturels prennent une place nettement plus grande et sont décrits avec insistance ;
la première sage-femme – croyante - reçoit le nom de Zahel pour faire pendant à Salomé l’incrédule ;
les bergers aperçoivent l’étoile, manifestation lumineuse associée à la naissance du Christ et motif qui résulte de la fusion des deux évangiles canoniques où Matthieu racontait que les mages étaient guidés par une étoile tandis que Luc décrivait les bergers sans mentionner d’astre ;
le Pseudo-Matthieu introduit deux données, de temps et de lieu, tout à fait nouvelles : Marie accouche dans une grotte qu’elle quitte au bout de quarante-huit heures pour s’installer dans une étable. Il s’agit là de la première mention de ce lieu qui va devenir un topos pictural ;
enfin, cet apocryphe est le premier qui mentionne la présence de deux animaux auprès de Jésus, un âne et un bœuf, dont il justifie la présence par deux citations vétéro-testamentaires (Isaïe et Habacuc).
13En somme, les apports du Pseudo-Matthieu sont décisifs en matière d’iconographie dans la mesure où l’étoile des bergers, l’étable et les animaux constituent des éléments fondamentaux de l’histoire picturale de la Nativité. Si l’articulation de la crèche et de la grotte mérite d’abord analyse, celle de la grotte et de l’étable donne lieu à de véritables expérimentations figuratives où l’architecture, par l’usage de la ruine et de l’antique, renvoie à la valeur théologique de la naissance du Christ (chapitre 6). Dans ce même sixième et dernier chapitre, la présence de l’âne et du bœuf est expliquée dans ses diverses dimensions, symbolique et anthropologique.
5. L’évangile de l’Enfance arabo-syriaque (VIe-VIIe s.)
14L’évangile de l’Enfance arabo-syriaque (VIe-VIIe s.) conte la vie de Jésus jusqu’à l’âge de douze ans. Il commence d’emblée avec sa naissance, négligeant les épisodes précédents tels l’annonciation, la visitation ou encore les doutes de Joseph17:
Préambule (1) |
Jésus parla, étant au berceau, et […] dit à sa mère: «Je suis Jésus, le fils de Dieu, le Verbe, que vous avez enfanté, comme vous l’avait annoncé l’ange Gabriel, et mon Père m’a envoyé pour sauver le monde.» |
La naissance (2) |
L’an 309 d’Alexandre, Auguste ordonna que chaque individu fût enregistré dans son pays. <Joseph> se leva donc; il prit Marie sa fiancée et partit pour Jérusalem. Il arriva à Bethléem, pour se faire inscrire, dans son village, avec toute sa famille. Lorsqu’ils atteignirent la grotte, Marie dit à Joseph: «Voici que le temps de mes couches est venu; il m’est impossible d’aller jusqu’au village. Entrons plutôt dans cette grotte.» À ce moment, le soleil se couchait. |
La sage-femme (2-3) |
Joseph, de son côté, partit en hâte pour amener à Marie une femme qui l’assisterait. Sur ces entrefaites, il aperçut une vieille femme hébraïque, originaire de Jérusalem. Il lui dit: «Venez ici, benoîte femme. Entrez dans cette grotte: il y a là une femme qui est sur le point d’enfanter.» La vieille femme, accompagnée de Joseph, arriva à la caverne, quand le soleil était déjà couché. Ils y pénétrèrent: elle était remplie de lumières plus belles que les lampes et les flambeaux, plus intenses que la clarté du soleil. L’enfant, enveloppé de langes, suçait, posé sur la crèche, le lait de sainte Marie sa mère. Tandis que les deux (survenants) s’étonnaient de cette lumière, la vieille femme dit à sainte Marie: «Êtes-vous la mère de ce nouveau-né?» Sainte Marie dit: «Oui.» La vieille femme (lui) dit: «Vous ne ressemblez pas aux filles d’Ève.» Sainte Marie dit: «Comme mon fils est incomparable parmi les enfants, ainsi sa mère est incomparable parmi les femmes.» <…18> La vieille femme répondit en ces termes: «O ma Dame, je suis venue sans arrière-pensée, pour obtenir une récompense.» Notre Dame sainte Marie lui dit: «Posez vos deux mains sur l’enfant.» Elle les posa et aussitôt elle fut guérie. Et elle sortit en disant: «Dorénavant, je serai la servante et l’esclave de cet enfant tous les jours de ma vie.» |
Les bergers (4) |
À ce moment arrivèrent les bergers. Ils allumèrent un feu et se livrèrent à une grande joie. Et les armées célestes leur apparurent louant et glorifiant Dieu – qu’il soit nommé avec respect – et les bergers aussi <louèrent Dieu>. Et la grotte, à ce moment, semblait un temple sublime, car les voix célestes et terrestres glorifiaient et magnifiaient la naissance du Seigneur Christ. Quant à la vieille femme israélite, lorsqu’elle eut vécu ces miracles éclatants, elle rendit grâces à Dieu et dit: «Je vous remercie, ô Dieu, Dieu d’Israël, de ce que mes yeux ont vu la naissance du Sauveur du monde19.» |
15Beaucoup d’éléments semblent sans doute désormais familiers au lecteur, en particulier l’insistance sur les phénomènes lumineux. L’auteur scande attentivement les moments du récit: Marie entre dans la grotte au soleil couchant, Joseph revient avec la sage-femme une fois le soleil couché, moment propice à valoriser la lumière surnaturelle qui envahit la grotte, «plus intense […] que la clarté du soleil» . L’Évangile arabo-syriaque de l’enfance n’en apporte pas moins le détail inédit de Jésus parlant à sa mère depuis la crèche, Marie se défendant elle-même vis-à-vis des questions de la sage-femme (Comme mon fils est incomparable parmi les enfants, ainsi sa mère est incomparable parmi les femmes) et une insistance nouvelle sur le chœur angélique qui transforme la grotte en un temple rempli de chants. Il n’existe pratiquement pas de Nativité dénuée d’anges20 ; ces créatures ont un rôle souvent discret mais tout à fait central, puisque leur nature comme leur présence attestent la qualité extraordinaire de la naissance de Jésus. Par contraste, aucun ange n’assiste aux Nativités de Marie, de Jean-Baptiste ou d’autres saints encore (chapitre 5).
6. L’évangile arménien de l’Enfance (590 env.)
16L’évangile arménien de l’Enfance introduit deux éléments nouveaux dans les très nombreux épisodes qu’il a en commun avec le Protévangile de Jacques et le Pseudo-Matthieu: un dialogue fourni entre Joseph et Marie, la participation d’Ève, la première femme, à l’épisode des sages-femmes. Seuls ces deux passages sont par conséquent mentionnés ici, les autres étant trop proches des textes déjà cités, et n’apportant pas de nouveautés pour l’analyse picturale:
Le vif dialogue entre Joseph et Marie (6: 4-10) |
«O âme digne de pleurs et de gémissements, qui êtes maintenant tombée dans l’égarement, dites-moi quelle est l’action défendue que vous avez commise. Pourquoi avez-vous oublié le Seigneur votre Dieu, qui vous a formée dans le sein de votre mère, vous que vos parents ont obtenue de |
Dieu à force de larmes et de pleurs et qu’ils lui ont offerte religieusement et selon la loi; qui fûtes nourrie et élevée dans le temple, qui entendiez perpétuellement les louanges du Seigneur et le chant des anges; qui prêtiez une oreille attentive à la lecture des Livres et en écoutiez les paroles. […] Pourquoi ne dites-vous mot, ou refusez-vous de répondre? Ô malheureuse et infortunée, pourquoi êtes-vous tombée dans un tel désordre, vous êtes devenue un objet d’opprobre universel, parmi les hommes, les femmes et tout le genre humain?» Et Marie, baissant la tête en silence, pleurait et sanglotait. Elle dit: «Ne me jugez pas à la légère et ne suspectez pas injurieusement ma virginité, car je suis pure de tout péché, et je ne connais absolument aucun homme.»Joseph dit: «Alors expliquez-moi d’où vient votre grossesse.» |
Et Marie s’étant levée se prosterna la face contre terre, et parla en ces termes: «Dieu de mes pères! Dieu d’Israël! Regardez, dans votre miséricorde, les tourments de votre servante et l’affliction de mon âme. Ne me livrez pas, Seigneur, à la honte et aux blâmes du vulgaire. […] Au même moment, un ange lui adressa la parole, disant: «Ne craignez pas, car voici que je suis avec vous pour vous sauver de toutes vos tribulations. Prenez donc courage et réjouissez-vous.» Ayant ainsi parlé, l’ange la quitta. Et Marie, s’étant levée, remerciait le Seigneur. |
Naissance (8: 5-7) |
Et ils cheminaient (ainsi) par une très froide journée […] Et comme ils arrivaient à un endroit désolé, qui avait été autrefois la ville royale (et qui) s’appelle Bethléem, […] Marie dit à Joseph: «Descendez-moi vite de la monture; l’enfant me fait souffrir.» […] |
Joseph témoin de la sidération du cosmos (8: 8) |
Et comme il marchait, il vit que la terre s’était haussée et que le ciel s’était abaissé, et il éleva les mains comme pour toucher l’endroit où ils se rejoignaient. Il aperçut autour (de lui) les éléments, qui demeuraient engourdis et hébétés; les vents et l’air du ciel, devenus immobiles, avaient suspendu leur cours; les oiseaux (et) les volatiles avaient arrêté leur essor. Et regardant à terre, il vit une jarre nouvellement (fabriquée): là se tenait un potier qui avait pétri de l’argile, faisant le geste de joindre en l’air ses deux |
mains, qui ne se rapprochaient pas. Tous les autres avaient le regard arrêté en haut. Il vit aussi des troupeaux que l’on conduisait: ils n’avançaient, ni ne marchaient, ni ne paissaient. Le berger brandissait sa houlette et ne pouvait frapper les moutons, mais il tendait la main levée très haut. Il regarda encore un torrent dans un ravin, et vit que des chameaux qui paissaient (là) avaient posé leurs lèvres sur le bord du ravin et ne mangeaient point. Ainsi, à l’heure de l’enfantement de la vierge sainte, tous les éléments demeuraient comme figés dans leur attitude. |
Joseph rencontre Ève, la première mère, et la mène auprès de Marie (8: 9-11) |
Joseph regarda au loin et vit une femme qui venait de la montagne, avec une large toile jetée sur l’épaule. Il alla à sa rencontre et ils se saluèrent. |
Ève et Salomé au chevet de Marie et Jésus (9: 1-7) |
Et lorsque Joseph et notre première mère virent cela, ils se prosternèrent la face contre terre, et remerciant Dieu à haute voix, ils le glorifiaient et disaient: «Soyez béni, Seigneur Dieu de nos pères, Dieu d’Israël, qui avez aujourd’hui, par votre avènement, opéré la rédemption de l’homme; qui m’avez rétablie à nouveau et relevée de ma chute et qui m’avez réintégrée dans mon ancienne dignité. Maintenant mon âme se sent fière et mon espérance (en) Dieu mon Sauveur a tressailli.» |
Et notre première mère entra dans la caverne, elle prit l’enfant dans ses bras et se mit à le caresser et à l’embrasser avec tendresse, et elle bénissait Dieu, car l’enfant était excellemment beau à voir, brillant et resplendissant et les traits épanouis. Et l’ayant enveloppé de langes, elle le déposa dans l’auge des bœufs. Et notre première mère Ève sortit de la caverne. Tout à coup, elle vit une femme nommée Salomé [… incrédulité de Salomé] |
Adoration des bergers (10: 1-2) |
[annonciation de l’ange]… les bergers, au nombre de quinze, se rendirent en hâte à l’endroit indiqué. Et apercevant Jésus, ils se prosternèrent devant lui et l’adorèrent. […] |
Adoration des mages (11: 1-16) |
[…] Car lorsque l’ange du Seigneur eut annoncé à la Vierge Marie la nouvelle qui la rendait mère, […] au même instant, il s’en fut, de par l’Esprit-Saint, les avertir d’aller adorer l’enfant nouveau-né. […] |
17Dans cet apocryphe, le trait le plus singulier est la substitution d’Ève à Zahel dans le rôle de la première femme que Joseph croise sur sa route et à qui il demande de lui venir en aide. Contrairement à Salomé qui apparaît dans la suite du récit, Ève croit immédiatement en la virginité miraculeuse de Marie. Il n’existe pas, à ma connaissance, de représentation figurée d’Ève auprès de Marie. Sa convocation au moment de la Nativité, dont elle explicite elle-même le sens ( «je suis venue pour voir de mes yeux ma rédemption qui s’est opérée»), peut toutefois se rapprocher de la présence d’Adam à la Crucifixion, relativement fréquente en peinture (les ossements d’Adam – crâne, tibias – sont alors représentés au pied du Golgotha sur lequel est plantée la croix de la crucifixion)22. Marie est la nouvelle Ève comme Jésus est le nouvel Adam, la première mettant au monde le second qui rachète le péché dont les deux ancêtres portent la culpabilité.
18Par ailleurs, l’évangile arménien de l’Enfance offre une version quasi féérique des miracles lumineux puisqu’il mentionne à deux reprises une «colonne de vapeur ardente» venant s’adjoindre à l’intense luminosité qui accompagne la naissance de Jésus. L’épisode où Jésus vient prendre le sein tout seul est également étoffé dans la mesure où cet apocryphe précise que l’Enfant est aussi capable de retourner à sa place et de s’asseoir. Enfin, le dialogue entre Joseph et Marie est particulièrement développé, par l’expression de la totale incompréhension de Joseph d’abord, puis de la profonde tristesse des deux conjoints, dissipée après que chacun reçoit la vision d’un ange.
19Les doutes de Joseph servent à valoriser le personnage de Marie et le mystère de sa grossesse, mais ils témoignent tout autant de la difficulté, y compris pour les théologiens, de cerner son statut de «père» et d’ «époux» . Ils reviennent néanmoins, et avec insistance, d’un texte à l’autre parce qu’ils offrent l’occasion de verbaliser les doutes que tout esprit logique conçoit face au mystère de la grossesse mariale. Voici un autre texte qui leur fait une large place, contemporain de l’Évangile arménien de l’enfance. Il s’agit d’une Homélie africaine (VIe s.), faussement attribuée à saint Augustin, et rédigée sur un ton plus véhément:
§ 4, 5, 6 | «Anxior, gemo, doleo, curro» |
Nescit interea Joseph Mariae sponsus, quid cum ea egerit angelus. Subito Joseph intuitu familiari et licentia maritali aspicit Mariam conjugem suam: vidit in ea tumescentes venas in gutture, et attenuari faciem, postremum vidit eam gressibus gravari; intellexit Mariae uterum gravidari. Turbatur Joseph homo justus, quod Mariam quam de templo Domini acceperat, et nondum cognoverat, gravidam sentiebat, et quam non meruerat in conjugii honore, jam haberet in confusione; secumque diu aestuans ac disputans, dicit: «Unde hoc contigit? quid evenit? Non cognovi, non tetigi; si non tetigi, non violavi; si non violavi, non gravidavi. Heu! heu! quid contigit? quid, putas, evenit? per quem Maria sic cecidit? quem sibi plus quam me adulantem invenit? ego enim cum licentiam haberem maritalem, ante thorum nuptiarum puellarem non vexavi pudorem. Timui, multumque-pertimui, quod in illo Mosaico libro Legis sententiali est verbo praefixum: | Pendant ce temps là, Joseph, l’époux de Marie, ne sait pas ce que l’ange était venu faire auprès d’elle. D’emblée Joseph observe Marie, sa femme, avec le regard familier que lui consent son statut marital: il voit que les veines de son cou grossissent et que son visage pâlit, après quoi il voit que marcher lui pèse; il comprend que le ventre de Marie a été fécondé. Joseph, homme juste, est troublé de voir que Marie, qu’il a reçue du temple du Seigneur, et qu’il n’avait pas encore connue, est enceinte, hors du cadre du mariage et pour sa confusion. En proie à une vive agitation et à un grand débat intérieur, il dit: «Comment cela est-il arrivé? Que s’est-il passé? Je ne l’ai pas connue, ni touchée; si je ne l’ai pas touchée, alors je ne l’ai pas déflorée; si je ne l’ai pas déflorée, je ne l’ai pas fécondée. Hélas! Hélas! Que s’est-il passé? Que penses-tu qu’il soit arrivé? Par la faute de qui |
quod quaecumque virgo paternam domum foedaverit adulterio, morienda lapidibus subjacebit: similiter et vir qui pudoris vestimentum patri non detulerit, coramque testibus replicaverit, pudorisque signaculum non demonstraverit, moriendum et ipsi cum virgine erit. […] | Marie a-t-elle ainsi cédé? Qui a-t-elle rencontré qui l’ait flattée plus que moi? Moi, bien que doté du statut marital, je n’ai pas offensé sa pudeur de jeune fille avant le trône nuptial. J’ai craint, j’ai beaucoup craint, ce qui est enregistré dans le livre des sentences mosaïques […] |
20Ici, l’agitation de Joseph, sponsus se projetant dans le rôle de mari, ce qui explique probablement l’attribution à Augustin, dans le droit fil de l’exaltation de la virginité dans le mariage, est rendue avec efficacité par les déductions successives (Non cognovi, non tetigi; si non tetigi, non violavi; si non violavi, non gravidavi), les énumérations (Anxior, gemo, doleo, curro, consilium quaero, nec plenum invenio) et surtout la multiplication des questions. La difficile question du statut de Joseph et ses évolutions dans le temps sont abordées au Ch. 624.
7. Le Liber de Infantia Salvatoris (IXe-Xe s.)
21Le dernier apocryphe de l’Enfance qui comporte un récit de la naissance de Jésus, le Liber de Infantia Salvatoris (ci-après LIS), est, pour la majeure partie, une copie du Protévangile de Jacques (Annexe 3) et du Pseudo-Matthieu (Annexe 4). Il a connu une remarquable diffusion en Europe occidentale après l’an mil et on y reconnaît, bien plus que dans les textes des siècles antérieurs, des détails qui le rapprochent de l’iconographie de la Nativité dans les siècles que j’étudie25. M. Erbetta, l’éditeur de Vangeli Apocrifi 1981, publie deux versions du LIS. Je cite ici la première car la seconde est quasiment identique au texte du Pseudo-Mathieu et présente donc un intérêt moindre. Or, c’est justement cette deuxième version que C. Dimier-Paupert a publiée en 2006 (Livre Enfance Sauveur 2006) dans une édition bilingue (latin-français). Il n’existe, à ma connaissance, pas de traduction française de la première version, c’est pourquoi je cite le LIS en italien et en propose une traduction:
22Le LIS est en plusieurs points différent des apocryphes précédents. Une attention particulière y est portée aux objets: c’est le premier texte où il est question d’un «lettuccio» (un petit lit, un brancard) sur lequel repose Marie et d’un «seggiolone» (un siège, une chaise) apporté par une sage-femme pour l’aider à accoucher. Le premier est systématiquement présent jusqu’au premier tiers du Trecento. Le récit du LIS fait une ample place aux phénomènes lumineux dont les manifestations scandent chaque moment du texte et avec une variété jamais atteinte auparavant dans les apocryphes: la lumière rayonne depuis le visage même de Marie et depuis les yeux de Jésus qui croisent ceux de la sage-femme. C. Frugoni a bien analysé l’efficacité avec laquelle Giotto montre, dans la chapelle Scrovegni de Padoue (1304-06), l’intensité du regard du nouveau-né, parfaitement éveillé et conscient de son destin, par opposition au regard flou de Marie nouvelle-née dans sa Nativité au sein du même cycle de fresques27 (chapitre 5). La manifestation lumineuse devient, dans le LIS, le signe même de la naissance de Dieu. Le miracle de l’instant est rendu, dans le texte, par un recours à la synesthésie – trait poétique qui ne se trouve que dans le LIS: à la stimulation de la vue par la lumière s’ajoutent celle de l’ouïe par l’irruption du chœur céleste, du toucher et de l’odorat par l’évocation de la texture et du parfum de la lumière.
23Une bonne partie du récit, y compris la description des phénomènes lumineux, a pour narratrice la sage-femme. Elle est en effet la mieux placée, au vu de ses compétences professionnelles, pour certifier la virginité de Marie et les qualités physiologiques extraordinaires de Jésus nouveau-né. Le LIS est le premier texte où les gestes et les postures de Marie sont décrits. La sage-femme l’observe dans un premier temps absorbée en prière puis, après la naissance, la voit se pencher pour adorer «celui qu’elle avait mis au monde »28 – première mention de l’adoration de Jésus par Marie. Enfin, elle l’examine et atteste qu’elle n’a pas perdu de sang en accouchant. Marie subit donc son accouchement plus qu’elle ne le vit, dans un état de transe et de prière. On voit, au Ch. 3, combien la version de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède (1303-1373) doit au récit du LIS et dans quelle mesure son texte interagit avec l’iconographie de la scène, en particulier pour la posture d’adoration de Marie et la propreté de l’Enfant. En effet, la sage-femme apporte, en y insistant grandement, de nombreuses précisions sur l’aspect exceptionnel de Jésus qui naît, contrairement à tout autre enfant, propre, dénué de poids et sans pleurer:
l’enfant scintille de pureté ( «il fanciullo rifulgeva […] tutto puro»)
n’a pas le poids d’un nouveau-né ( «egli non pesava come invece pesa un neonato»)
n’a aucune tache ( «non aveva alcuna macchia»)
son corps est propre, léger et beau ( «il suo corpo era tutto nitido, leggero da sollevare, splendido allo sguardo»)
il ne pleure pas ( «non piangeva come di solito piangono i pargoli nascendo»)
encore une fois, son corps est sans tache, contrairement aux autres nouveaux-nés ( «aveva il corpo mondo non macchiato con il sudiciume, come succede con gli altri uomini quando nascono»)
24La sage-femme, dans la posture du témoin, a le rôle d’ammonitrice, c’est-à-dire qu’elle indique au lecteur les sentiments – stupéfaction et crainte – à éprouver face à une tel miracle ( «Comment raconter? Que puis-je dire?»).
25Enfin, la version de la Nativité du LIS souligne la pauvreté de la sainte Famille ainsi que la sollicitude et la familiarité de Joseph avec l’Enfant (c’est lui qui l’enveloppe dans les langes et le pose dans la crèche), deux éléments repris, entre le XIIIe et le XIVe s., par les écrits franciscains sur le sujet. Noël est, aux yeux de saint François, festum festorum, la fête entre toutes les fêtes: il organise d’ailleurs en 1223, à Greccio, une mise en scène de la crèche lors de laquelle l’Enfant Jésus apparaît miraculeusement grâce à la ferveur des prières du poverello (chapitre 1).
26Les textes franciscains offrent un exemple parmi d’autres de l’interprétation et du commentaire de la vie du Christ en accord avec la piété et la dévotion de l’Italie médiévale. À son tour, Jacques de Voragine (1226/1228 – 1298), appartenant à l’autre grand ordre mendiant né au XIIIe s., les dominicains, produit un récit de la Nativité – qui fait référence à de nombreuses reprises au LIS – dans son grand œuvre, la Légende dorée, qui connut un succès fulgurant et bénéficia, durant les derniers siècles du Moyen Âge, de la plus large diffusion après la Bible29.
8. La Légende dorée de Jacques de Voragine (XIIIe s.)
27La Légende dorée, dont la rédaction occupe son auteur depuis les années 1260 jusqu’à sa mort, est une compilation qui réunit, dans l’ordre du calendrier, vies des saints (sanctoral) et fêtes du temporal (Avent, Noël, Épiphanie, Carême, Pâques, Ascension, Pentecôte). Ce texte a pour caractéristique d’offrir pour chaque fête une synthèse des récits déjà existants (évangiles canoniques, apocryphes, écrits patristiques, hagiographiques) agencés de façon didactique. Le passage sur les sages-femmes, par exemple, n’est pas inséré tout de suite après l’instant de la naissance comme dans les apocryphes, mais intervient dans la série des arguments qui, destinés à prouver la qualité miraculeuse de la naissance, sont disposés de façon hiérarchique et non pas chronologique. Il en va de même pour la présence du bœuf et de l’âne, ou encore pour la visite des bergers, qui sont extraits du déroulement chronologique pour être utilisés à des fins argumentatives:
Ce dernier [Jacques] relève que la naissance du Christ ‘arriva de façon merveilleuse’, ce merveilleux que, d’une part, et contrairement aux lectures hostiles d’auteurs anciens, il tient à distinguer du miracle. D’autre part, il utilise à plein sa méthode du dénombrement pour faire valoir l’importance de la Nativité. Par exemple, il donne cinq preuves de la virginité conservée par Marie après la naissance de Jésus. Dans la deuxième, il combine et distingue le merveilleux et le miraculeux. (…) L’étude de l’homme à travers le grand modèle qu’a été le Christ incarné permet aussi de dénombrer les différentes composantes de la vie et de situer l’homme sur cette échelle30.
VI. De Nativitate Domini 1-26 | 1. Situation et déroulement |
Natiuitas domini nostri Ihesu Christi secundum carnem, ut quidam aiunt, completis ab Adam V milibus CCXXVIII annis uel secundum alios VI milibus uel secundum Eusebium Cesariensem in chronicis suis V milibus CIC tempore Octauiani imperatoris facta est. Computatio tamen VI milium annorum inuenta fuit a Methodio potius mistice quam chronice. Veniente autem ipso filio dei in carnem, tanta pace uniuersus mundus gaudebat ut toti orbi unicus Romanorum imperator pacifice presideret. Hic dictus est Octauianus a prima impositione, Cesar a Iulio Cesare cuius fuit nepos, Augustus ab augmento rei publice, imperator a dignitatis honore, qui ad differentiam aliorum regum fuit primo hoc nomine insignitus. Nam sicut nasci uoluit ut nobis pacem pectoris et pacem eternitatis tribueret, sic uoluit ut nihilominus ortum suum pax temporis illustraret. | La nativité de notre Seigneur selon la chair se produisit, d’après certains, 5228 ans après Adam, ou, selon d’autres, 6000 ans après, ou encore, selon la chronique d’Eusèbe de Césarée, 5199 ans après, au temps de l’empereur Octavien. Mais Méthode a établi le chiffre de 6000 ans de façon plus mystique que chronologique. Au moment où le Fils de Dieu a pris chair, l’univers entier jouissait d’une telle paix que l’empereur des Romains gouvernait seul et pacifiquement la totalité du monde. Il était appelé Octavien de son nom originel, César du nom de son oncle Jules César, Auguste pour avoir augmenté la République, empereur pour l’honneur de son rang, car il fut le premier à être distingué des autres rois par cette dénomination. Et, de même que le Seigneur voulut naître pour nous accorder la paix du cœur et la paix de l’éternité, il a voulu aussi que la paix du temps donne du lustre à sa naissance. |
Cesar igitur Augustus uniuerso presidens orbi scire uoluit quot prouincie, quot ciuitates, quot castra, quot uille, quot homines in toto orbe essent iussitque, ut dicitur in hystoriis scholasticis, ut omnes homines ad urbem unde trahebant originem pergerent et quilibet denarium argenteum, qui ualebat decem nummos usuales unde et denarius dicebatur, presidi prouincie tradens se subditum Romano imperio profiteretur. […] | Or César Auguste, qui gouvernait l’univers entier, voulut savoir combien de provinces, combien de cités, combien de châteaux, combien de villages, combien d’hommes existaient dans le monde entier ; selon l’Histoire scolastique, il ordonna que tous les hommes se rendissent à leur cité d’origine pour y payer au gouverneur de la province un denier d’argent (le denier valait dix liards ordinaires ; c’est pourquoi on l’appelait denier) ; ainsi chacun se reconnaissait comme sujet de l’Empire romain, puisque la monnaie portait l’image et l’inscription du nom de César. […] |
Ioseph autem cum esset de genere Dauid a Nazareth in Betlehem profectus est. Cum autem beate Marie tempus pariendi instaret et ipse de suo reditu nesciret, eam secum assumpsit | Joseph, puisqu’il appartenait à la race de David, vint de Nazareth à Bethléem. Le terme de la grossesse de Marie approchait et Joseph ne savait quand il pourrait rentrer chez lui ; il l’emmena avec lui et la conduisit à |
et in Betlehem secum duxit nolens thesaurum sibi a deo commissum in aliena manu dimittere, sed ipse per se uolens illum cura peruigili custodire. Cum ergo Betlehem appropinquasset, ut frater Bartholomeus in sua compilatione testatur et de libro infantie saluatoris sumptum est, uidit uirgo partem populi gaudentem et partem gementem. Quod sibi angelus exponens ait : « Pars populi gaudens est populus gentilis qui in semine Abrahe eternam benedictionem accipiet. Pars autem gemens est plebs Iudaica a deo suis meritis reprobata ». | Bethléem, parce qu’il ne voulait pas abandonner à quiconque le trésor que Dieu lui avait confié et qu’il désirait en assurer lui-même la garde avec un soin vigilant. Alors qu’ils approchaient de Bethléem (comme en témoigne le frère Barthélémy dans sa compilation, et selon le Livre de l’enfance du Sauveur), la Vierge vit qu’une partie du peuple se réjouissait, tandis que l’autre se lamentait. Un ange lui expliqua pourquoi : « La partie du peuple qui se réjouit, c’est le peuple païen, qui recevra la bénédiction éternelle dans la race d’Abraham ; la partie qui gémit, c’est le peuple juif, condamné par Dieu en raison de sa propre faute. » |
Cum igitur ambo Betlehem aduenissent, et quia pauperes erant et quia omnia hospitia alii qui propter hoc ipsum uenerant occupauerant, nullum hospitium habere potuerunt. Deuerterunt ergo in communi transitu qui, ut dicitur in hystoriis scholasticis, erat inter duas domos operimentum habens. Qui deuersorium dicitur, sub quo ciues ad colloquendum uel ad conuescendum in diebus otii uel pro aeris intemperie deuertebant. Vbi forte Ioseph presepe boui et asino fecerat uel, secundum quosdam, rustici cum ad forum ueniebant animalia sua ibidem ligabant et ideo presepe ibi constructum erat. | Ils arrivèrent donc tous deux à Bethléem ; mais ils étaient pauvres, et bien d’autres, qui étaient arrivés là pour la même raison, occupaient toutes les auberges. C’est pourquoi ils ne purent trouver de logement. Ils s’installèrent alors dans un passage public, qui, selon l’Histoire scolastique, se trouvait entre deux maisons. Ce passage couvert, qu’on appelait « caravansérail », offrait un abri aux gens qui s’y rassemblaient pour converser ou pour déjeuner, les jours de repos, ou quand il faisait mauvais temps. C’est là, sans doute, que Joseph avait fait une mangeoire pour son bœuf et son âne ; ou bien, selon d’autres, les paysans, quand ils venaient au marché, y attachaient leurs bêtes et on y avait construit une mangeoire. |
27-28 | La naissance |
In ipsa igitur nocte media diei dominice beata uirgo filium suum peperit et in presepio super fenum reclinauit. Quod fenum, ut habetur in hystoriis schoasticis, beata Helena postmodum Romam detulit, a cuius feni comestione bos et asinus ut dicitur abstinebant. | Cette même nuit, veille d’un dimanche, à minuit, la Vierge enfanta son fils et le déposa dans la mangeoire sur du foin. Ce foin, dont le bœuf et l’âne, dit-on, s’étaient abstenus, fut ensuite apporté à Rome par sainte Hélène, d’après l’Histoire scolastique. |
29-67 | 2. L’événement comme miracle |
Notandum autem quod natiuitas Christi fuit mirabiliter facta, multipliciter ostensa et utiliter exhibita. Fuit mirabiliter facta ex parte generantis, tum ex parte geniti, tum ex parte modi generandi. […] | Il faut noter que la naissance du Christ arriva de façon merveilleuse, qu’elle fut manifestée de façon multiple, et utilement montrée. Elle advint de façon merveilleuse quant à la mère, quant à l’enfant né d’elle et quant au mode de génération. […] |
a. La Virginité de la mère | |
Ex parte generantis quia ipsa fuit uirgo ante partum et uirgo post partum. Et hoc scilicet quod uirgo manens peperit quinque modis ostensum est. | En effet la mère fut vierge avant et après l’accouchement. Qu’elle soit demeurée vierge, cinq preuves l’attestent. |
Primo per prophetiam Ysaie VII : ‘Ecce uirgo concipiet etc’ | Il y a d’abord la prophétie d’Isaïe : Voici qu’une vierge concevra [Isaïe 7, 14]… |
Secundo per figuram, hoc enim figuratum fuit et per uirgam Aaron que sine omni humano studio floruit et per portam Ezechielis que semper clausa permansit. | La deuxième preuve se fait par figure : l’événement est préfiguré par la verge d’Aaron qui fleurit sans aucun effort humain et par la porte d’Ezéchiel qui demeura toujours close. |
Tertio per custodiam, Ioseph enim, ex eo quod ipsam custodiuit, testis sue uirginitatis extitit. | La troisième preuve est apportée par la garde assurée par Joseph, témoin de sa virginité. |
Quarto per experientiam. Cum enim, ut in compilatione Bartholomei habetur et de libro infantie saluatoris sumptum fuisse uidetur, pariendi tempus instaret, Ioseph licet deum de uirgine nasciturum non dubitaret, morem tamen gerens patrie obstetrices uocauit, quarum una uocabatur Zebel et altera Salome. Zebel igitur considerans et inquirens et ipsam uirginem inueniens exclamauit uirginem peperisse. Salome autem dum non crederet, sed hoc similiter probare uellet, continuo aruit manus eius. Iussu tamen angeli sibi apparentis puerum tetigit et continuo auit manus eius. Iussu tamen angeli sibi apparentis puerum tetigit et continuo sanitatem recepit. | La quatrième preuve relève de la vérification, comme l’indique Barthélémy dans sa compilation, qui semble dériver du Livre de l’enfance du Sauveur. Quand le temps de l’accouchement de Marie approcha, Joseph appela deux sages-femmes, dont l’une s’appelait Zébel et l’autre Salomé : ce n’était pas qu’il doutât que la Vierge dût enfanter Dieu, mais il observa les usages du pays. Zébel observa, considéra Marie et, la voyant vierge, proclama qu’une vierge avait enfanté. Mais Salomé ne crut pas et voulut éprouver la chose ; immédiatement sa main se dessécha. Pourtant, sur l’injonction d’un ange qui lui apparut, elle toucha l’enfant et fut tout de suite guérie. |
Quinto per miraculi euidentiam. Rome enim, ut testatur Innocentius | La cinquième preuve se trouve dans l’évidence du miracle : comme l’atteste le pape Innocent III, il y eut |
papa tertius, duodecim annis pax fuit ; igitur Romani templum pacis pucherrimum construxerunt et ibi statuam Romuli posuerunt. Consulentes autem Apollinem quantum duraret, acceperunt responsum quousque uirgo pareret. Hoc audientes dixerunt : « Ergo in eternum durabit ». Impossibile enim credebant quod unquam pareret uirgo. | à Rome une paix de douze ans ; les Romains construisirent un très beau temple de la Paix et y placèrent une statue de Romulus. Ceux qui consultèrent Apollon pour savoir combien de temps cette paix durerait reçurent comme réponse qu’elle durerait jusqu’à ce qu’une vierge enfante. En entendant cet oracle, ils dirent : « Elle durera donc toujours. » Car ils croyaient qu’il était impossible qu’une vierge enfantât. |
Vnde in foribus templi titulum hunc scripserunt : ‘Templum pacis eternum’. Sed in ipsa nocte qua uirgo peperit templum funditus corruit et ibi est modo ecclesia Sancte Marie Noue. | C’est pourquoi ils inscrivirent sur les portes du temple : « Temple éternel de la paix. » Mais la nuit même où la Vierge enfanta, le temple s’écroula de fond en comble, et c’est sur son emplacement que fut construite depuis l’église de Sainte-Marie-la-Nouvelle. |
b. La nature double de l’enfant | |
Secundo fuit mirabiliter facta ex parte geniti. Nam, sicut dicit Bernardus, in eadem persona eternum, antiquum et nouum mirabiliter conuenerunt : eternum id est diuinitas, antiquum id est caro ab Adam transducta, nouum id est anima de nouo creata. Iterum, sicut idem dicit, hodie tres mixturas, tria opera fecit deus ita mirabiliter singularia ut talia nec facta sint nec amplius facienda sint. Coniuncta quidem sunt ad inuicem deus et homo, mater et uirgo, fides et cor humanum. | Deuxièmement, la naissance fut merveilleuse quant à l’enfant qui naquit. En effet, comme le dit Bernard, dans la même personne ont été miraculeusement réunis l’éternel, l’ancien et le nouveau. L’éternel, c’est la divinité, l’ancien, c’est la chair transmise depuis Adam, le nouveau, c’est une âme nouvellement créée. En outre, comme Bernard le dit : « En ce jour Dieu a accompli trois mélanges, trois œuvres si merveilleusement singulières, que rien de semblable n’a jamais été fait ni ne sera fait. Il s’agit de la conjonction de Dieu et de l’homme, de la mère et de la vierge, de la foi et du cœur humain. |
Prima ualde mirabilis quia coniuncta sunt limus et deus, maiestas et infirmitas, tanta uilitas et tanta sublimitas. Nihil enim deo sublimius et nihil limo uilius. | La première conjonction est assurément merveilleuse, puisqu’ont été conjoints le limon et Dieu, la majesté et la faiblesse, tant de bassesse et tant de sublimité ! Car rien n’est plus sublime que Dieu, et rien n’est plus vil que le limon. |
Secunda nihilominus ualde mirabilis ; a seculo enim non est auditum quod uirgo esset que peperit, quod mater esset que uirgo permansit. | La seconde conjonction n’est pas moins merveilleuse. Depuis le début du monde, on n’avait pas entendu dire qu’une vierge puisse enfanter ou qu’une mère puisse demeurer vierge. |
Tertia est prima et secunda inferior, sed non minus fortis ; mirum enim quomodo cor humanum fidem hiis duobus accomodauit, quomodo credi potuit quod deus homo esset et quod uirgo manserit que peperisset. Hec Bernardus. | La troisième merveille est inférieure à la première et à la deuxième, mais elle demeure puissante, car il est admirable que le cœur humain ait pu accorder foi aux deux merveilles précédentes. Comment a-t-on pu croire que Dieu était homme et que fût demeurée vierge celle qui avait enfanté ? » Tels sont les propos de Bernard [Sermo in vigilia nativitas domini, III, 7]. |
c. Le mode de génération | |
Tertio fuit mirabiliter facta ex parte modi generandi. Eius enim partus fuit supra naturam ex eo quod uirgo concepit, supra rationem ex eo quod deum genuit, supra humanam conditionem ex eo quod sine dolore peperit, supra consuetudinem ex eo quod de spiritu sancto concepit. Non enim genuit uirgo ex humano semine, sed mistico spiramine. Nam spiritus sanctus de castissimis et purissimis sanguinibus uirginis accepit unde corpus illud formauit. Et sic quartum modum mirabilem faciendi hominem deus ostendit. Nam, sicut dicit Anselmus, quatuor modis deus potest hominem facere, scilicet sine homine et femina, sicut fecit Adam, de homine sine femina, sicut fecit Euam, de homine et femina, sicut communis probat usus, de femina sine homine, sicut hodie mirabiliter factum est. | En troisième lieu, cette naissance fut merveilleuse quant au mode de génération. L’enfantement dépassa la nature, car une vierge conçut. Il dépassa la raison, car ce fut Dieu qu’elle engendra. Il dépassa la condition humaine, car elle donna naissance sans douleur. Il dépassa les normes, car elle conçut du Saint-Esprit : la Vierge, en effet, n’engendra pas à partir de la semence humaine, mais à partir d’un souffle mystique. Car le Saint-Esprit prit ce qu’il avait de plus pur et de plus chaste dans le sang de la Vierge pour en former ce corps. Et ainsi Dieu manifesta une quatrième merveilleuse façon de créer l’homme. Car, comme le dit Anselme : « Dieu peut créer l’homme de quatre façons : sans homme ni femme, comme il le fit pour Adam ; par l’homme sans femme, comme il le fit pour Ève ; par l’homme et par la femme, selon la manière commune ; et par la femme sans l’homme, comme cela s’est fait miraculeusement en ce jour [Cur Deus homo, II, 8]. » |
68-132 | 3. Manifestation de la merveille de la nativité |
Secundo eius natiuitas fuit hodie multipliciter ostensa. Ostensa est enim per omnes gradus creaturarum. Est enim quedam creatura que | Cette nativité a été manifestée de multiples façons en ce jour. Elle a été manifestée au travers des différents degrés des créatures. Il y a certaines créatures qui ne possèdent que l’existence ; de telles choses sont de simples corps matériels D’autres possèdent l’existence et la |
tantum habet esse, sicut pure corporea ; quedam que habet esse et uiuere, sicut uegetabilia ; quedam que habet esse, uiuere et sentire, sicut animalia ; quedam que habet esse, uiuere, sentire et discernere, sicut homo ; quedam que habet esse, uiuere, sentire, discernere et intelligere, sicut angelus. Per has omnes creaturas hodie Christi natiuitas est ostensa. | vie, comme les végétaux. D’autres possèdent l’existence, la vie et la sensation, comme les animaux. D’autres ont l’existence, la vie, la sensation et la raison, comme l’homme. D’autres enfin possèdent l’existence, la vie, la sensation, la raison et l’intellection, comme l’ange. Or, en ce jour, la nativité du Christ a été manifestée par toutes ces créatures31. |
Prima autem creatura, scilicet pure corporea, triplex est, scilicet opaca, transparens siue peruia et lucida. | Le premier type de créature, c’est-à-dire les corps purement matériels, se divise en trois : les corps opaques, les corps transparents ou translucides et les corps lumineux. |
Primo ergo ostensa est per pure corpoream opacam, sicut per destructionem templi Romanorum, ut supra dictum est, et per ruinam statue Romuli dei Romanorum, que tunc cecidit et comminuta est, et per ruinam etiam aliarum statuarum que tunc in aliis locis plurimis ceciderunt. Legitur enim in hystoria scholastica quod Ieremias propheta in Egyptum descendens post mortem Godolie regibus Egypti signum dedit quod eorum ydola corruerent cum uirgo filium parturiret. Quapropter sacerdotes ydolorum ymaginem uirginis puerum in gremio baiulantis in secreto loco templi statuerunt et eam ibi adorabant. | Or la Nativité a d’abord été manifestée par les corps purement matériels opaques par exemple par la destruction du temple de Rome, comme on l’a vu plus haut, par la chute de la statue de Romulus, dieu des Romains, qui tomba alors et fut détruite, et par la chute d’autres statues qui sont alors tombées en de nombreux autres lieux. On lit en effet, dans l’Histoire scolastique, que le prophète Jérémie, descendant en Égypte après la mort de Godolias, apprit aux rois du pays que leurs idoles s’écrouleraient quand une vierge enfanterait un fils. C’est pourquoi les prêtres des idoles placèrent dans un coin secret de leur temple la statue d’une vierge à l’enfant et l’adorèrent […] |
Secundo per pure corpoream transparentem et peruiam. Nam in ipsa nocte obscuritas aeris in claritatem diei uersa est. Rome etiam, ut testatur Orosius et Innocentius papa tertius, | En deuxième lieu, l’événement s’est fait connaître par les corps purement matériels transparents et translucides. En effet, en cette nuit, l’obscurité de l’air fut transformée en la clarté du jour. Et aussi à Rome (comme l’attestent Orose et Innocent III), une fontaine d’eau s’est transformée en |
fons aque in liquorem olei uersus est et erumpens usque in Tyberim profluxit et tota die illa largissime emanauit et ibi est modo Sancta Maria trans Tyberim. […] | une fontaine d’huile, qui s’écoula jusque dans le Tibre en flots abondants qui se répandirent tout ce jour-là. Et c’est là que se trouve actuellement Sainte-Marie-du-Trastévère. […] |
Tertio per pure corpoream lucidam, sicut per corpora supercelestia. Nam in ipsa die natiuitatis, secundum aliquorum relationem, ut ait Chrysostomus, magis super quendam montem orantibus stella quedam iuxta eos apparuit que formam pueri pulcherrimi habebat et in eius capite crux splendebat. […] In ipsa etiam | En troisième lieu, l’événement a été publié par les corps purement matériels lumineux, comme les corps célestes. En effet, le jour de la Nativité, selon le récit des anciens, comme le dit Jean Chrysostome, aux mages qui priaient sur une montagne, apparut une étoile, juste au-dessus d’eux. Cette étoile avait la forme d’un très bel enfant, sur la tête duquel brillait une étoile [sic, croix].… Ce même |
die tres soles in oriente apparuerunt qui paulatim in unum corpus solare redacti sunt. […] | jour aussi, trois soleils apparurent à l’orient, qui peu à peu se fondirent en un seul corps solaire.… |
Sibylla in camera imperatoris oraculis insisteret, in die media circulus aureus apparuit circa solem et in medio circuli uirgo pulcherrima stans super aram puerum gestans in gremio. […] Dixitque ei [imperatoris] Sibylla : « Hic puer maior te est et ideo ipsum adora. » Eadem camera in honore sancte Marie dedicata est unde usque hodie dicitur Sancta Maria Ara Celi. […] | La Sibylle, dans la chambre de l’empereur, se livrait à ses oracles, lorsqu’à midi un cercle d’or apparut autour du soleil, avec, au centre de ce cercle, une vierge très belle, debout sur un autel, portant un enfant dans ses bras. […] la Sibylle ajouta : « Cet enfant est plus grand que toi et tu dois l’adorer. » Cette chambre impériale fut dédiée à sainte Marie ; c’est pourquoi on appelle cette église, encore aujourd’hui, Sainte-Marie-del’Autel-du-Ciel (Aracoeli)32 […] |
Secundo ostensa est et manifestata per creaturam que habet esse et uiuere, sicut plante et arbores. In hac enim nocte, ut Bartholomeus in sua compilatione testatur, uinee Engadi, que proferunt balsamum, floruerunt, fructum protulerunt et liquorem dederunt. | Ensuite, la Nativité a été montrée et manifestée par les créatures qui possèdent l’existence et la vie, comme les plantes et les arbres. En cette nuit, comme en témoigne Barthélémy dans sa compilation, les vignes d’Engadi, qui produisent le baume, fleurirent, portèrent des fruits et donnèrent la liqueur balsamique. |
Tertio per creaturam que habet esse, uiuere et sentire, sicut sunt animalia. Proficiscens enim Ioseph in Betlehem cum Maria pregnante duxit secum bouem, forte ut ipsum uenderet et censum pro se et pro uirgine solueret et de residuo uiuerent, et unum asinum, forte ut uirgo super eum ueheretur. Bos igitur et asinus miraculose dominum cognoscentes flexis genibus ipsum adorauerunt. […] | Troisièmement, la Nativité a été manifestée par les créatures qui possèdent l’existence, la vie et la sensation, comme les animaux. En partant pour Bethléem avec Marie enceinte, Joseph emmena avec lui un bœuf, sans doute pour le vendre, afin d’acquitter la capitation pour lui et pour la Vierge et de vivre sur le reste de la somme ; il emmena aussi un âne, sans doute pour transporter la Vierge. Or, de façon surnaturelle, le bœuf et l’âne reconnurent le Seigneur et l’adorèrent en fléchissant les genoux. […] |
Quarto per creaturam que habet esse, uiuere, sentire et discernere, ut est homo, sicut per pastores. Nam in ipsa hora pastores super gregem suum uigilabant sicut bis in anno in longioribus et breuioribus noctibus anni conseruerant. Mos enim fuit antiquitus gentilibus in utroque solstitio, scilicet estiuali circa festum Iohannis baptiste et hiemali circa natiuitatem domini, uigilas noctis custodire ob solis uenerationem. Qui forte mos etiam apud Iudeos ex usu cohabitantium inoleuerat. Ipsis igitur angelus domini apparens et saluatorem natum annuntiauit et quo inueniretur signum dedit. Factaque est cum eo multitudo angelorum | Quatrièmement, la manifestation se fit par les créatures qui possèdent l’existence, la vie, la sensation et la raison, comme l’homme. Ce fut le cas des bergers. À l’instant de la Nativité, ils veillaient sur leurs troupeaux, comme c’était la coutume deux fois l’an, pour la nuit la plus longue et pour la nuit la plus courte de l’année. C’était en effet une ancienne coutume, chez les Gentils, que d’observer ces veilles à chacun des deux solstices, celui d’été, autour de la fête de la saint Jean Baptiste, et celui d’hiver, autour de Noël, par vénération envers le soleil. Et cette coutume s’était sans doute développée chez les juifs par l’effet des contacts entre populations. Or un ange du Seigneur apparut aux bergers, leur annonça la naissance du Sauveur et où ils en trouveraient le signe. Une foule d’anges se joignirent |
dicentium : « Gloria in altissimis deo etc. ». Pastores ergo uenientes totum sicut angelorum dixerat inuenerunt. | à lui pour chanter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux… [Luc 2 : 14] » Les bergers vinrent donc et ils trouvèrent tout ce que l’ange avait annoncé. |
Sic iterum manifestata est per Cesarem Augustum […] | Cette naissance fut aussi manifestée par César Auguste […] |
133-172 | 4. Les quatre utilités de cette nativité |
Tertio eius natiuitas est nobis utiliter exhibita. Primo ad demonis confusionem. […] | Notre troisième considération porte sur l’utilité de cette manifestation. Elle vaut d’abord parce qu’elle confond les démons […] |
Secundo ad uenie impetrationem […] | Deuxièmement, cette manifestation est utile pour l’obtention du pardon. […] |
Tertio ad infirmitatum curationem. […] | La troisième utilité touche à la guérison de nos maux. […] |
Quarto ad superbie humiliationem. [… ]33 | La quatrième utilité de cette manifestation consiste en l’humiliation de l’orgueil34. […] |
28Depuis la concision de l’évangile de Matthieu jusqu’à l’édifice rationnel de Jacques de Voragine, on mesure l’intérêt sans cesse renouvelé que suscite la Nativité du Christ dès l’Antiquité et tout au long du Moyen Âge. La prolifération des épisodes apocryphes participe des débats sur les enjeux théologiques liés à cet événement primordial de la vie du Christ : les sages-femmes comme garantes de la virginité de la Vierge après l’accouchement (chapitre 5), par exemple, ou encore la présence de l’âne et du bœuf comme symboles des deux peuples, païen et juif, illustrant les deux attitudes opposées, acceptation et refus, face à la venue d’un Dieu nouveau (chapitre 6). Manifestation concrète de l’Incarnation de Dieu, la venue au monde de Jésus est d’abord une naissance, c’est-à-dire un événement ponctuel dans le temps. La nécessité de la décrire en détail, dans le but d’en affirmer les fondements théologiques, la transforme en récit narratif, aussi bien dans les textes que dans les images, enchâssant, dans la dynamique même du récit, ces enjeux théologiques et les formes dévotionnelles de leur reconnaissance, comme l’a si bien étudié A. Boureau (Introduction générale)35.
9. Occurrences du lexique de l’adoration dans les textes en Annexes 1 à 8
Texte | Adorateur | Citation |
Év. Matthieu (Annexe 1) | Mages | Venimus adorare eum |
Pr. Jacques (Annexe 3) | Salomé | Je l’adorerai |
Ps. Mathieu (Annexe 4) | Anges | Angeli natum adoraverunt |
Év. arménien enfance (Annexe 6) | la troupe vue par Marie avant d’accoucher Salomé | Les troupes […] attendent […] pour venir adorer l’enfant nouveau-né. elle adora l’enfant |
Liber de infantia salvatoris (Annexe 7) | Marie Sage-femme | Elle adora celui dont elle vit qu’elle l’avait engendré |
Légende dorée (Annexe 8) | Les prêtres païens | Les prêtres des idoles placèrent dans un coin secret de leur temple la statue d’une vierge à l’enfant et l’adorèrent. |
10. Le récit de Noël à Greccio dans la Vita Prima de Thomas de Celano (XIIIe s.)
29Voici le récit de la célébration de Noël à Greccio par saint François d’Assise en 1223, qui se situe en toute dernière position de la Vita prima (chapitre XXX: 84-87, 1228-29), auquel je fais suivre immédiatement l’extrait du Traité des miracles (1247-52) décrivant une nouvelle fois les vertus curatives du foin de la crèche de Greccio déjà mentionnées dans le chapitre de la Vita prima. Ces textes sont analysés en détail au Ch. 1, au paragraphe «Les Vitae de Thomas de Celano» .
11. Le récit du Noël à Greccio dans la Legenda Maior de Bonaventure (XIIIe s.)
30La version de la célébration de Noël à Greccio par saint François d’Assise d’après Bonaventure est abrégée et amendée par rapport à celle de Thomas de Celano dans la Vita Prima. La version de Greccio dans la Legenda maior est analysée en détail au Ch. 1, au paragraphe « La Legenda maior de Bonaventure (1262-1263) ».
10/7 Contigit autem anno tertio ante obitum suum, ut memoriam nativitatis pueri Iseu ad devotionem excitandam apud castrum Graecii disponeret agere, cum quando maiore solemnitate valeret. Ne vero hoc novitati posset adscribi, a Summo Pontifice petita et obtenta licentia, fecit | 10/7 Il arriva, trois ans avant sa mort, qu’il décida de faire mémoire de la nativité de l’enfant Jésus afin de réveiller sa dévotion au bourg fortifié de Greccio, avec la plus grande solennité possible. Une fois demandée et obtenue la permission de la part du souverain pontife pour que cela ne pût être mis sur le compte de la nouveauté, il fit |
praeparari praesepium, apportari foenum, bovem et asinum ad locum adduci. Advocantur fratres, adveniunt populi, personat silva voces, et venerabilis illa nox luminibus copiosis et claris laudibusque ‘sonoris’ et consonis et splendens efficitur et solemnis. Stabat vir Dei coram praesepio pietate repletus, respersus lacrimis et gaudio superfusus. Celebrantur missarum solemnia super praesepe, levita Christi Francisco sacrum Evangelium decantante. Praedicat deinde populo circumstanti de nativitate pauperis Regis, quem, cum nominare vellet, puerum de Bethlehem prae amoris teneritudine nuncupabat. – Miles autem quidam virtuosus et verax, qui, propter Christi amorem saeculari relicta militia, viro Dei magna fuit familiaritate coniunctus, dominus ‘Ioannes’ de Graecio, se vidisse asseruit puerulum quemdam valde formosum in illo praesepio dormientem, quem beatus pater Franciscus, ambobus complexans brachiis, excitare videbatur a somno. – Hanc quidem devoti militis visionem non solum videntis sanctitas credibilem facit, sed et designata veritas comprobat, et miracula subsecuta confirmant. Nam exemplum Francisci consideratum a mundo, excitativum est cordium in fide Christi torpentium, et foenum praesepii reservatum a populo mirabiliter sanativum ‘brutorum’ languentium et aliarum repulsivum pestium diversarum, glorificante Deo per omnia servum suum sanctaeque orationis efficaciam evidentibus miraculorum prodigis demonstrante42. | préparer une crèche, apporter du foin et amener un bœuf et un âne au lieu. Les frères sont convoqués, les habitants arrivent, la forêt résonne de voix et cette nuit, vénérable par ses lumières abondantes et claires, ses louanges sonores et harmonieuses, devient splendide et solennelle. L’homme de Dieu se tenait debout devant la crèche, rempli de piété, inondé de larmes et débordant par la joie. Les solennités de la messe sont célébrées sur la mangeoire, tandis que François, ministre du Christ, chante le saint Évangile. Il prêche ensuite au peuple présent sur la nativité du pauvre Roi qu’il appelait, quand il voulait le nommer, «l’enfant de Bethléem» en raison de la tendresse de son amour. D’autre part le seigneur Jean de Greccio, un chevalier vertueux et véridique qui, ayant abandonné la milice du siècle pour l’amour du Christ, fut uni à l’homme de Dieu par une grande amitié, affirma avoir vu un petit enfant fort beau qui dormait dans cette mangeoire, que le bienheureux père François, entourant de ses deux bras, semblait réveiller du sommeil. Non seulement, certes, la sainteté du témoin rend crédible cette vision du chevalier dévot, mais en apporte aussi la preuve la vérité qui s’y trouvait indiquée et en apportent confirmation les miracles qui suivirent. De fait, au regard du monde, l’exemple de François réveilla les cœurs de ceux qui s’étaient endormis dans leur foi au Christ; et conservé par le peuple, le foin de la crèche guérit merveilleusement les bêtes languissantes et en défendit d’autres de diverses pestes: Dieu glorifiait son serviteur en toutes choses et démontrait par les prodiges évidents de ses miracles l’efficacité de sa sainte prière. |
12. La « Nativité dans le cœur » dans les Révélations de sainte Brigitte de Suède (XIVe s.)
31Le texte de la Révélation VI, 88 n’est pas à proprement parler le récit de la vision de la Nativité que sainte Brigitte reçoit à Bethléem (Annexe 13), c’en est plus tôt une forme de préparation, dans la mesure où il décrit la sensation de présence de l’Enfant dans son cœur que la sainte ressent durant une célébration antérieure de Noël.
VI, 88 | |
Nocte Natalis Domini tam mirabilis et magna aduenit sponse Christi exultacio cordis, vt vix se pre leticia tenere posset, et in eodem momento sensit in corde motum sensibilem admirabilem, quasi si in corde esset puer viuus et voluens se et reuoluens. Cumque motus iste duraret, ostendit patri spirituali suo et aliquibus amicis spiritualibus suis, ne forte esset illusio. Qui visu et tactu probantes veritatem admirabantur. Itaque iterum eodem die in summa missa apparuit mater Dei et dixit sponse : « Filia, miraris de motu, quem sentis in corde tuo. Scias, quod non est illusio sed ostensio quedam similitudinis dulcedinis mee et misericordie michi facte. Nam sicut tu ignoras, quomodo tam subito tibi cordis exultacio et motus aduenit, sic aduentus filii mei in me mirabilis fuit et festinus. Nam quando ego consensi angelo nuncianti michi concepcionem filii Dei, statim sensi in me mirabile quoddam et viuidum. Et cum nasceretur ex me, indicibili exultacione et mirabili festinantia clauso meo virginali vtero prodiebat. Ideo, filia, non timeas illusionem sed gratulare, quia motus iste, | Durant la nuit de Noël, une liesse si prodigieuse et si grande s’empara du cœur de l’épouse du Christ qu’elle pouvait à peine retenir son allégresse. Dans ce même moment, elle ressentit dans son cœur un mouvement sensible et merveilleux, comme si dans son cœur se trouvait un enfant qui se tournait et se retournait. Comme ledit mouvement se prolongeait, elle s’en ouvrit à son père spirituel et à ses autres amis spirituels, craignant que ce ne fût une tromperie, mais ils s’émerveillaient de sa véridicité dont ils s’assuraient par la vue et le toucher. Ce même jour, durant la messe solennelle, la mère de Dieu apparut à nouveau et dit à l’épouse : « Ma fille, tu t’étonnes du mouvement que tu ressens dans ton cœur. Sache qu’il ne s’agit pas d’une tromperie mais de la manifestation d’une sorte de réitération de la douceur et de la miséricorde que j’ai reçues. Car, tu ne le sais pas mais, de la même manière que la liesse et le mouvement se sont manifestés subitement dans ton cœur, la venue de mon fils en moi s’est manifestée aussi prodigieusement que promptement. Lorsque je consentis à l’ange qui m’annonçait la conception du fils de Dieu, aussitôt je ressentis en moi quelque chose de prodigieux et de vivant. Plus tard, au moment où il naissait de moi, il quittait mon sein vierge et fermé dans une liesse indicible et avec une rapidité prodigieuse. Voilà, ma fille, pourquoi tu ne dois pas suspecter une tromperie mais t’en féliciter, |
quem tu sentis, signum aduentus filii mei est in cor tuum. […] Motus vero iste cordis tui perseuerabit tecum et augebitur iuxta capacitatem cordis tui. | car ce mouvement que tu ressens est le signe de la venue de mon fils dans ton cœur. […] Ce mouvement dans ton cœur ne te quittera pas, il augmentera au contraire aussi longtemps que ton cœur pourra le contenir43. |
13. La révélation de Bethléem sur la Nativité (1372) dans les Révélations de sainte Brigitte de Suède
32Cette Révélation, reçue par sainte Brigitte de Suède alors même qu’elle se trouve à Bethléem en pèlerinage, et durant laquelle la Vierge Marie lui décrit le déroulement véritable de son accouchement, est volontiers convoquée en histoire de l’art pour expliquer la présence d’une Vierge Marie agenouillée lors de la Nativité (le texte affirme en effet que Marie accouche dans cette position). Le Ch. 3, où le texte est analysé en détail, s’efforce de montrer que les représentations de Marie agenouillée dans la Nativité existent depuis des décennies déjà lorsque la Révélation est écrite, et propose donc d’interpréter ce texte comme une caisse d’enregistrement d’un changement iconographique préexistant, plutôt que comme son moteur44.
Reuelacio VII, 21 | La révélation d’août 1372 à Bethléem |
Cum essem ad presepe domini in Bethleem vidi quandam virginem pregnantem pulcherrimam valde indutam albo mantello et subtili tunica per quam ab extra eius carnes virgineas clare cernebam. Cuius uterus plenus et multum tumidus erat quia iam parata erat ad pariendum. Cum qua senex quidam honestissimus erat et secum habebant ambo unum bovem et asinum. Qui cum intrassent speluncam senex ille ligatis boue et asino ad presepe exiuit extra et portauit ad virginem candelam accensam fixitque eam in muro, et exiuit extra ne partui personaliter interesset. Virgo igitur | Lorsque j’étais dans la crèche du Seigneur à Bethléem, je vis une Vierge enceinte très belle, toute revêtue d’un manteau blanc et d’une tunique fine, à travers laquelle je voyais nettement de l’extérieur sa chair virginale. Son ventre était plein et très gonflé parce qu’elle était tout près d’accoucher. Avec elle se trouvait un vieillard très respectable, et ils avaient tous deux avec eux un bœuf et un âne. Alors qu’ils étaient entrés dans une grotte, le vieillard, ayant lié le bœuf et l’âne à la crèche, sortit et apporta à la Vierge une bougie allumée qu’il accrocha au mur, puis il sortit afin de ne pas être présent durant |
illa tunc discal ciauit calciamenta pedum suorum et discooperuit mantellum album quo operiebatur, amouitque velum de capite suo et iuxta se reposuit ea, remanens in sola tunica, capillis pulcerrimis quasi de auro extensis super spatulas. Que tunc duos panniculos lineos et duos laneos mundissimos et subtiles extraxit, quos secum portabat inuoluendum nasciturum infantem, et duos alios paruulos lineos ad cooperiendum et ligandum caput illius, ipsosque posuit iuxta se vt eis vteretur tempore debito. | l’accouchement. La Vierge donc ôta alors de ses pieds ses chaussures, quitta le manteau blanc qui la recouvrait, ôta le voile de sa tête et les déposa à côté d’elle ne gardant sur elle que sa seule tunique, ses cheveux magnifiques, pareils à de l’or, se déployant sur ses épaules. Elle sortit alors deux petits carrés de lin et deux de laine très propres et fins, qu’elle apportait avec elle pour envelopper l’enfant à naître, ainsi que deux autres petits tissus de lin pour couvrir et pour enserrer sa tête, et elle les posa tous à côté d’elle afin de s’en servir en temps utile. |
mirabilis et suauitatis et magne dulcedinis. Et statim venter virginis qui ante partum tumidissimus erat retraxit se, et videbatur tunc corpus eius mirabilis pulcritudinis et delicatum. | d’une suavité admirable et d’une grande douceur. Aussitôt le ventre de la Vierge, qui avant l’accouchement était très gonflé, se rétracta, et alors son corps paraissait d’une beauté merveilleuse et délicate. |
Cum igitur virgo sensit se iam peperisse statim inclinato capite et iunctis manibus cum magna honestate et reuerentia adorauit puerum et dixit illi : Bene veneris deus meus, dominus meus et filius meus, et tunc puer plorans et quasi tremens pre frigore et duricia pauimenti vbi iacebat, voluebat se paululum et extendebat membra querens inuenire refrigerium et matris fauorem, quem tunc mater suscepit in manibus et strinxit eum ad pectus suum et cum maxilla et pectore calefaciebat eum cum magna leticia et tenera compassione materna. Que tunc sedens in terra posuit filium suum in gremio, et recepit cum digitis subtiliter vmbiculum eius, qui statim abscisus est, nec inde aliquis liquor aut sanguinis exiuit. Et statim cepit eum diligenter inuoluere. Primo in panniculis lineis et postea in laneis et stringens corpusculum tybias et brachia eius cum facia, que suta erat in quatuor partibus superioris panniculi lanei. Postea vero inuoluit ligando in capite pueri illos duos panniculos lineos quos ad hoc paratos habebat. | Quand la Vierge sentit qu’elle avait déjà accouché, aussitôt, la tête inclinée et les mains jointes avec grande dévotion et révérence, elle adora l’enfant et lui dit : « Bienvenu mon Dieu, mon maître et mon fils », et alors l’enfant, pleurant et tremblant presque à cause du froid et de la dureté du sol où il gisait, gigotait un peu et étendait ses membres cherchant quelque soulagement et l’affection de sa mère. Alors sa mère le prit dans ses mains et le serra sur son cœur, et elle le réchauffait contre sa joue et sa poitrine avec grand bonheur et une tendre compassion maternelle. Et alors, s’asseyant par terre, elle posa son fils sur son giron et prit délicatement avec ses doigts le cordon de l’enfant qui aussitôt fut coupé, sans qu’il en sorte ni sang ni aucun liquide. Et aussitôt elle commença à l’envelopper avec soin. D’abord dans les tissus de lin, puis dans les tissus de laine, serrant le petit corps, ses jambes et ses bras avec une bande de tissu, qui était cousue en quatre points sur le tissu de laine du dessus. Ensuite, elle enroula les deux morceaux de lin qu’elle avait préparés pour cet usage en enserrant la tête de l’enfant. |
Hiis igitur completis intrauit senex, et prosternens se ad terram genibus flexis adorando eum plorabat pre gaudio. Nec tunc in partu virgo illa imutabatur colore vel infirmitate, nec in ea defecit fortitudo aliqua corporalis sicut in aliis mulieribus parientibus fieri solet, nisi quod venter eius tumidus retraxit se ad priorem statum, in quo erat ante quam puerum conciperet. Tunc autem surrexit illa habens puerum in | Ces choses étant accomplies, le vieillard entra, et se prosternant à terre, les genoux fléchis, adorant l’enfant, il pleurait de joie. La Vierge n’avait pas changé de couleur durant l’accouchement ou à cause d’une quelconque infirmité, ni son corps n’avait rien perdu de sa force comme il arrive d’habitude aux autres femmes parturientes, si ce n’est que son ventre gonflé revint à son état précédent d’avant la conception de l’enfant. |
vlnis suis, et simul ambo scilicet ipsa et Ioseph posuerunt eum in presepio, et flexis genibus adorabant eum cum gaudio immenso et leticia. | Alors elle se leva, tenant son enfant dans ses bras, et Joseph et elle, tous deux en même temps, le placèrent dans la crèche, et l’adoraient à genoux avec immense joie et bonheur. |
Reuelacio VII, 22 | La confirmation par la Vierge en personne |
Postea iterum in eodem loco apparuit michi virgo Maria dicens : Filia mea diu est quod promiseram tibi in Roma, quod ostenderem tibi hic in Bethleem modum partus mei. Et licet aliquid ostendi tibi in Neapoli super hoc scilicet qualiter stabam quando peperi filium meum, tamen scias certissime quod ego sic steti et tali modo peperi sicut nunc vidistis flexis genibus orando sola in stabulo, peperi enim eum cum tanta exultacione et leticia anime, quod non sensi aliquod grauamen quando ipse exibat de corpore meo, nec dolorem aliquem. Sed statim inuolui eum panniculis mundis, quos diu antea preparaueram. Que quando vidit Ioseph miratus est cum magno gaudio et leticia, et eo quod sic sine adiutorio peperam, verum quod magna multitudo gentium in Bethleem circa descriptionem occupata erat. Ideo tantum ipsi attendebant ad illud, quod non potuerunt inter eos mirabilia dei diuulgari. Et ideo scias veraciter, quod quamuis homines secundum humanum sensum conantur asserere, quod filius meus nascebatur per modum communem, veritas tamen est et absque aliquo dubio, quod ipse natus est sicut ego alias dixi tibi et sicut tu nunc vidisti. | Après cela, dans ce même lieu, la Vierge Marie m’apparut à nouveau, disant : Ma fille, il y a longtemps que je t’avais promis, à Rome, que je te montrerais ici à Bethléem comment j’avais accouché. Et bien que je t’aie montré à Naples quelque chose à ce sujet, à savoir comment je me tenais lorsque je mis au monde mon fils, sache néanmoins avec certitude que je me tins de la sorte et que j’enfantai ainsi, comme tu viens de le voir, à genoux, priant seule dans l’étable, je l’ai en effet mis au monde avec tant d’exaltation et de joie que je n’ai ressenti aucune peine quand il sortait de mon corps, ni aucune douleur. Mais immédiatement je l’enveloppai avec des linges propres que j’avais préparés longtemps à l’avance. |
14. L’Épître de Giovanni Dominici sur la Nativité (XVe s.)
33L’analyse du texte très structuré du prêcheur dominicain à Santa Maria Novella de Florence sur la Nativité est menée au Ch. 3, dans le contexte de l’Observance et de l’engouement pour sainte Brigitte de Suède. Giovanni Dominici interpelle de façon récurrente ses auditeurs pour les inviter, par un comportement mêlé de contrition et de vertu, à « devenir » chacun des éléments de la crèche et se rapprocher de Jésus Nouveau-né.
Épître 29 | |
Per questo festiva la Chiesa tal solennità ogni anno, per invitare l’aghiaciate menti a ripigliare el suo sommo bene del quale ha parte ciascuno che crede, il quale altra porta non ha da entrare nell’anima se non la fede, la quale ci mena insino al tugurio dell’umile presepio dove non giace altri che Iesù, Iesù amore, Iesù diletto, Iesù bambino, Iesù piccino. O Iesù, Iesù, Iesù, sempre amor Iesù. Ora t’insegna e priega Idio per me ch’io il faccio meglio ch’io non so dire, d’essere di quegli (che) venghino a Iesù : per vera ubidienza e negamento di propria volontà, diventi angelo e gridi gloria in excelsis Deo ; per contemplazione di lui, Iesù diletto, diventi stella e chiami e’ magi erranti a Cristo ; per somma purità, con ciascun’altra perfezione, sarai-Maria e sì bacerai, abbraccerai, vestirai, ciberai, adorerai e sopra a lui ti disfarai come cera al fuoco dello amore ignito. Ardi con Iosef e starai in un cantuccio a vedere tutti i secreti santi. Vedra’ lo ignudo gambettare nel fieno, rinchiudere nelle fasce. O ti potrai tu tenere (che) non ti avventi ad abbracciarlo, ch’ha degnato tu sia padre chiamato ? Oh, beato a me s’io diventassi degno per somma contrizione e dolore dei difetti miei d’essere una di quelle fasciuole o pannicegli dove fusse inviluppato ! Oh, per | C’est pourquoi chaque année l’Église célébrait cette fête, afin d’inviter les esprits glacés à se ressaisir du bien le plus précieux, qui revient à tous ceux qui croient, et qui n’a pas d’autre porte pour entrer dans l’âme que la foi. La foi nous conduit jusqu’au taudis de l’humble crèche où n’est autre que Jésus, Jésus amour, Jésus chéri, Jésus enfant, Jésus tout-petit. Ô Jésus, Jésus, Jésus, toujours amour Jésus. Apprends à présent et prie Dieu pour moi car je sais le faire mieux que je ne sais le dire, pour compter parmi ceux (qui) viennent à Jésus : au moyen de la véritable obéissance et de la négation de ta propre volonté, tu deviens ange et tu t’écries gloria in excelsis Deo ; au moyen de sa contemplation, Jésus chéri, tu deviens étoile et tu appelles les mages errants et les conduit au Christ ; au moyen de la pureté la plus haute, ainsi que toutes les autres perfections, tu seras Marie et comme elle tu baiseras, embrasseras, habilleras, nourriras, adoreras et, penché au-dessus de lui, tu fondras comme la cire auprès du feu allumé par l’amour. Tout comme Joseph tu brûles et tu te tiendras dans un coin pour voir tous les secrets saints. Tu le verras nu gambader dans le foin, tu le verras langé. Sauras-tu te retenir de te précipiter pour l’embrasser, alors qu’il a accepté que tu sois appelé père ? Ah, bienheureux je serais si je devenais digne, au moyen de la plus haute contrition et pétri des douleurs de mes défauts, si je devenais l’un de ces petits langes dans lesquels il |
esercizio di vigilanza di vita attiva diventassi bue ch’io el potessi leccare overo per vera pazienzia e desiderio di tribulazioni per amor di lui io diventassi un asinello con la croce in le spalle, per poterlo col fiato della voce in altri riscaldare ! Oh, almeno per vera cognizione di me medesimo mi conoscessi fieno sopra el quale si riposasse el fiore de paradiso ! O voi tutti beati Betlemiti, larghi limosinieri di Cristo riceventi, o santa grotta di solitudine amanti, o mangiatoia di vera religione, come godete, di Iesù rinnovate ! Beati pastori, giusti governatori dell’anime a voi commesse, gli angeli della ubidienza vi menano a Cristo nato ; e voi tutti desideranti della stella predicanti, sarete condotti a vedere l’amore, fuoco nel ghiaccio per riscaldare l’afreddate menti. Sù, menti, sù non più dormite, sù levatevi a Cristo il qual è venuto a chiamarvi46. | est enveloppé ! Ah, si au moyen de l’exercice de vigilance de la vie active je devenais bœuf de sorte que je le puisse lécher, ou encore si au moyen de la vraie patience et du désir d’endurer par amour de lui je devenais un petit âne portant la croix sur mon dos, pour pouvoir avec le souffle de ma voix raviver sa présence en autrui ! Ah, si au moins au moyen d’une véritable connaissance de moi-même je me découvrais foin sur lequel se reposerait la fleur du paradis ! Ah, vous tous habitants de Bethléem, recevant du Christ des aumônes généreuses, aimant la sainte grotte de solitude, ô mangeoire de vraie religion, comme vous jouissez, ayant retrouvé Jésus ! Bienheureux bergers, justes gouverneurs des âmes qui s’en remettent à vous, les anges de l’obéissance vous conduisent au Christ nouveau-né ; et vous tous désirant l’étoile et prêchant, vous serez conduits à voir l’amour, feu dans la glace pour réchauffer les esprits refroidis. Debout, esprits, debout ne dormez plus, debout levez-vous vers le Christ qui est venu vous appeler47. |
B – Série et tableaux descriptifs des Nativités
15. Série ouverte des Nativités italiennes peintes sur retable, à mosaïque ou à fresque entre 1250 et 1450
34Le chiffre dans la colonne N.H. (pour Natività Hypotheses) permet d’accéder à la reproduction de l’œuvre en ligne sur https://.nativita.hypotheses.org, onglet « Série NH/NH Series ». Lorsque l’œuvre est reproduite dans le présent livre, le numéro de figure (noir et blanc) ou de planche (couleur) suit.
35Pour chacune des images recensées, si elle est référencée dans l’Index of Medieval Art (I.M.A.) de Princeton (https://ima.princeton.edu/), j’indique dans l’avant-dernière colonne du tableau ci-dessous soit son « System Number » à cinq ou six chiffres si elle dispose d’une fiche dans la version en ligne de l’Index, soit son « Code Number », composé de lettres et de chiffres, si elle dispose d’une fiche papier mais pas d’une fiche en ligne.
36En entrant le «System Number» dans l’onglet «Search – Search Type – Search by System Number» sur le site de l’Index (https://theindex.princeton.edu), le lecteur peut accéder directement à la fiche de l’œuvre dans l’Index, comprenant datation, attribution, indexation des sujets représentés, bibliographie ainsi qu’une ou plusieurs reproductions.
37Le fichier papier de l’Index est consultable dans cinq institutions: à l’université de Princeton, à la Dumbarton Oaks Library de Washington, au Getty Research Institute de Los Angeles pour les États-Unis; à la Rijksuniversiteit d’Utrecht et à la Bibliothèque Vaticane de Rome pour l’Europe. Le fichier papier s’arrête à l’année 1991, au moment du basculement vers la version informatique.
16. Série des triptyques portatifs comportant une Nativité
38Pour chaque triptyque, lorsque ces données sont disponibles, sa datation, son auteur, son lieu de conservation, et ses dimensions sont indiquées. Les dimensions moyennes de ce type d’objet sont d’une cinquantaine de centimètres de côté.
39Les datations et les attributions de ces triptyques portatifs sont discutées et constamment révisées, et celles retenues ici (parfois en conservant plusieurs hypothèses) sont donc à prendre avec prudence, comme des indications relatives plutôt que comme des données arrêtées. Seuls quatre exemplaires sont signés et/ou datés: le triptyque du Louvre, daté de 1333 (NH 319), celui de Berlin, daté et signé par Taddeo Gaddi en 1334 (NH 442), le retable de Londres, signé et daté de la main de Bernardo Daddi en 1338 (NH 466), et enfin, le triptyque signé et daté par Giusto de’ Menabuoi en 1367 (fig. 32 et fig. 33, NH 550) respectivement TP 16, TP 17, TP 24 et TP 40 dans le tableau ci-dessous.
17. Iconographie des triptyques portatifs
40Le succès de ce type de triptyque aussi bien que les écarts par rapport à lui méritent d’être observés. Voici donc, pour chacun de ces triptyques, la distribution de ses thèmes iconographiques:
41Légende:
AC | Arma Christi |
AdM | Adoration des mages |
An | Annonciation |
BC | Baptême du Christ |
BN | Banquets de saint Nicolas de Bari |
Cm | Cimaise double avec Annonciation (Gabriel d’un côté et |
CP | Crucifixion de saint Pierre |
Cr | Crucifixion |
CV | Couronnement de la Vierge |
DC | Dérision du Christ |
Dorm | Dormition de la Vierge |
EL | Saint Antoine abbé enterre saint Paul ermite avec l’aide de deux lions |
Fl | Flagellation |
L | Lamentation sur le Christ mort |
Nat | Nativité |
ND | Saint Nicolas fournit une dote aux filles d’un noble désargenté |
NMSC | Noces mystiques de sainte Catherine |
PrT | Présentation au Temple |
RC | Résurrection du Christ |
RVM | Rencontre des trois vivants et des trois morts |
SPSA | Saint Paul ermite et saint Antoine abbé |
Sts | Saints |
VE | Vierge à l’Enfant |
VH | Vierge d’humilité |
VM | Vierge de Miséricorde |
18. Changements iconographiques des bergers dans les Nativités des triptyques
42Le tableau suivant récapitule les mouvements des bergers dans la Nativité des triptyques portatifs. Les motifs nouveaux commencent par y cohabiter avec les plus anciens, avant de se substituer à eux, puis ils sont eux-mêmes mis en concurrence avec d’autres motifs nouveaux, et ainsi de suite.
19. Vierge d’humilité et Vierge adorante. Variations iconographiques de la figure de Marie dans les Nativités des triptyques portatifs
43Légende:
1ère donnée: Position du corps | 2ème donnée: Geste |
AC: ajuste sur l’Enfant une couverture | |
Al: Allongée | B: donne un baiser à Jésus |
As: Assise au sol | C: place Jésus dans la crèche |
Ag: Agenouillée | E: serre Jésus contre elle |
Ac: Accoudée au sol | L: allaite Jésus |
M: lui caresse le menton | |
R: regarde Jésus | |
SF: tend Jésus à une sage-femme | |
P: adopte une attitude de prière (mains jointes ou croisées sur la poitrine) |
Notes de bas de page
1 Je souligne les occurrences du champ lexical et sémantique d’adorare.
2 Biblia 1983, p. 1527-1528. Cette édition critique de la Bible en latin est le fait de philologues allemands; fidèle au latin, elle ne présente aucune ponctuation, mais uniquement des alinéas. J’introduis une ponctuation pour signaler les débuts et fins de phrase et j’ajoute les guillemets de citation; Bible 2007, p. 1640.
3 Il n’existe pas de canon rigide du cycle de l’Enfance dans la peinture italienne, les scènes les plus fréquentes en sont l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, l’Adoration des mages, la Fuite en Égypte, la Présentation au Temple, le Massacre des Innocents et Jésus parmi les docteurs. Quelques études qui ont pour objet le cycle dans son ensemble: Ceccanti 2005; Moraldi 1989; Pérez-Higuera 1996, sans compter les deux références que constituent Réau 1955-58 et Schiller 1971.
4 Biblia 1983, p. 1608-1609; Bible 2007, p. 1724-1725.
5 Sur la «narrativisation» du récit biblique, voir Boureau 1993, présenté ici dans l’Introduction générale.
6 «A buon diritto il Protovangelo di Giacomo viene di consueto collocato al primo posto nel gruppo dei Vangeli apocrifi della Natività di Maria e dell’Infanzia di Gesù, non solo per la maggior ricchezza di particolari con cui esso offre il racconto della nascita di Gesù, preceduto da un’ampia leggenda sulla vita della Madonna, e per la freschezza e l’ingenuità della narrazione, che in alcuni punti raggiunge i confini della vera poesia, ma soprattutto perché esso ha costituito il modello di numerose altre composizioni del genere.», Vangeli apocrifi 1990, p. 5. Texte original en grec; bibliographie complète dans Vangeli apocrifi 1981, p. 7-9.
7 Toubert 1996, p. 328.
8 Évangiles apocryphes 1983, p. 76-82. Le texte original en grec se trouve dans Évangiles apocryphes 1911, p. 35-42. Je souligne les différents épisodes nouveaux par rapport aux évangiles canoniques.
9 Payan 2006, p. 28.
10 PL 23 1883, p. 192. Ma traduction.
11 Dronke 2009, p. 179-180. Le texte du Natus ante saecula se trouve dans Ed. W. von den Steinen, Notker der Dichter und seine geistige Welt, Editionsband, Berne, 1948, p. 12. Ma traduction.
12 Dronke 2009, p. 179.
13 Vangeli Apocrifi 1990, p. 6.
14 Sur ce point, Payan 2006 (p. 29) reprend l’hypothèse mentionnée dans Pseudo-Matthieu 1997, p. 277.
15 Bibliographie complète dans Vangeli apocrifi 1981, p. 44. L’auteur n’a pas été identifié, mais le texte lui-même commence par une affirmation selon laquelle il aurait été écrit par Matthieu l’évangéliste en hébreu, puis traduit en latin par saint Jérôme.
16 Pseudo-Mathieu 1997, p. 381-431 (français pages paires, latin pages impaires).
17 Bibliographie complète dans Vangeli apocrifi 1981, p. 102, où on lit également: «l’apocrifo dovrebbe chiamarsi piuttosto il […] Vangelo siriaco dell’Infanzia. Peeters ha dimostrato definitivamente che il testo arabo, reso noto la prima volta da H. Sike nel 1697, non è che una versione-recensione del siriaco.»
18 Le texte est lacunaire mais, au vu de la suite du récit qui parle de guérison ( «elle fut guérie»), on peut déduire qu’il manque le passage où la vieille femme (ici à la fois Zahel et Salomé) éprouve de sa main la virginité de Marie, avant de voir sa main brûler.
19 Évangiles apocryphes 1914, p. 2-7.
20 Le tableau de Giovanni di Francesco da Rimini, datant de 1445 env. et conservé au Louvre à Paris (fig. 35, NH 771) en est l’un des rares exemples.
21 Évangiles apocryphes 1914, p. 104-142.
22 Par exemple Giotto, Crucifixion (1304-06, Padoue, Chapelle Scrovegni); Simone Martini, Descente de croix (1336 env., Anvers, Musée Royal des Beaux Arts); Lippo Memmi, Crucifixion (1340 env., Paris, Louvre); Beato Angelico, Crucifixion (1441-42, Florence, San Marco, cellules 23, 37, 38); Andrea Mantegna, Crucifixion (1456-59, Paris, Louvre); Bernardino Butinone et Bernardo Zenale, Crucifixion (1485, Treviglio, Collégiale San Martino); Luca Signorelli, Crucifixion (1495-1500, Florence, Offices). Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon travail de Master 2: «La temporalité de la Crucifixion dans la peinture toscane (1250-1450)», sous la direction de Mme N. Laneyrie-Dagen, Université Paris 1, soutenu en 2007.
23 PL 39 1865, Sermo CXCV, p. 2108-2110. Ma traduction.
24 Une question traitée en particulier dans Payan 2006.
25 «L’importanza di questo testo, nella forma originale e soprattutto nelle più eleganti trascrizioni dell’età carolingia, è notevole, poiché esso ha largamente ispirato poeti e artisti dal X secolo fino al XIV e al XV: […] la Legenda aurea di Iacopo da Varagine, nel XIII, dagli affreschi che decorano le pareti di cattedrali e monasteri di tutta Europa a preziose miniature di codici del Rinascimento», Vangeli apocrifi 1990, p. 63. Bibliographie complète dans Vangeli apocrifi 1981, p. 206.
26 Vangeli apocrifi 1981, p. 209-212.
27 Frugoni 2008, p. 155-157.
28 L’expression, dans sa formule latine «ipsum quem genuit adoravit», orne le fronton du retable de Ghirlandaio, peint vers 1482-85 pour Santa Trìnita de Florence (NH 903).
29 Voir l’introduction d’A. Boureau à Jacques de Voragine 2004, p. XXXVII.
30 Le Goff 2011, p. 89-90. Sur le «système narratif» de Jacques de Voragine dans l’ensemble de la Légende dorée, Boureau 1984.
31 « Cette division de la réalité (ce qui a existence, vie, sens, raison, intelligence), souvent utilisée dans la théologie scolastique, remonte à Jean Scot Érigène, qui la nomme quinquiformis universitatis conditae modus. », Jacques de Voragine 2004, p. 1083, n. 18.
32 Sur ce point, dans la peinture flamande, Rogier Van der Weyden, Triptyque Bladelin, 1445-48 env. (Berlin, Staatliche Museen) : le panneau central présente une adoration de l’Enfant par Marie, Joseph et le commanditaire ; le volet gauche donne à voir l’apparition de la sybille à l’empereur romain au Capitole et donc, l’origine légendaire de l’Ara Coeli ; le volet droit l’apparition miraculeuse de l’Enfant aux mages sous forme d’étoile, telle qu’on a pu la voir, dans le corpus italien, dans les fresques de Taddeo Gaddi à Santa Croce (Ch. 4). Chacun des trois panneaux du triptyque est centré sur un groupe en adoration, de la vision de la Vierge à l’Enfant sur le Capitole, de l’Enfant lui-même, de l’Apparition de l’Enfant-Étoile (de gauche à droite), les trois événements étant simultanés, d’après la Légende dorée, et montrés par Van der Weyden dans l’instant de leur reconnaissance par les fidèles, aussi bien au Ier s. qu’au XVe s ; Rothstein 2001.
33 Jacopo da Varazze 1998, p. 63-74. Je souligne.
34 Jacques de Voragine 2004, p. 49-58. Je souligne.
35 Boureau 1984 ; Boureau 1993.
36 «[79] sacerdotes ydolorum ymaginem uirginis puerum in gremio baiulantis in secreto loco templi statuerunt et eam ibi adorabant. [… 97-98] Dixitque ei Sibylla: «Hic puer maior te est et ideo ipsum adora.» [… 114] Bos igitur et asinus miraculose dominum cognoscentes flexis genibus ipsum adoruerunt.», Iacopo da Varazze 2007, vol. I, p. 80-83.
37 Dans cette phrase, Thomas de Celano adopte « une formule intermédiaire entre la sequela Christi […] et l’imitatio Christi […] Il infléchit donc légèrement la volonté de François qui, quant à elle, était dans le droit fil de la vie apostolique : suivre les pas du Christ. », D. Poirel, dans François d’Assise 2010, p. 569, n. 3. Le paragraphe 13 du Psaume XV de l’Officium Passionis allait bien dans ce sens également (sequimini sanctissima precepta eius) (chapitre 1).
38 D’après D. Poirel, traductrice du texte, locus désigne « non seulement le bourg de Greccio en général, mais l’ermitage des frères en particulier, qui se tenait à quelque distance du bourg. », François d’Assise 2010, p. 570, n. 7.
39 Levita est le mot latin pour « diacre », second des ordres cléricaux après la prêtrise. D. Poirel, dans François d’Assise 2010, p. 571, n. 3.
40 Legendae s. Francisci 1926-1941, p. 63-65, Fasciculus I : Thomas de Celano, Vita prima s. Francisci assisiensis. Traduction du latin de D. Poirel, dans François d’Assise 2010, p. 569-573.
41 Legendae s. Francisci 1926-1941, Fasciculus III : Thomas de Celano, Tractatus de miraculis, p. 280-281. Traduction du latin de D. Poirel, dans François d’Assise 2010, p. 1762-1763.
42 Legendae s. Francisci 1926-1941, p. 604-605, Fasciculus V: Doctoris seraphici s. Bonaventurae, Legenda Maior s. Francisci. Traduction du latin de M. Ozilou, dans François d’Assise 2010, p. 2338-2339.
43 Brigitte de Suède VI 1991, p. 247-248. Je traduis.
44 Sur ce point, je me permets également de renvoyer à voir mon article à paraître où je replace le texte brigittin dans la lignée des représentations de Marie en adoration dans les Nativités peintes dès les premières années du Trecento, et dans la continuité des Méditations de la vie du Christ, également datées au début du siècle et où la posture d’adoration est déjà formulée, comme ont permis de l’attester les enquêtes philologiques récentes de S. McNamer, Puma à paraître, Les mots et les images.
45 Je remercie mesdames A. Fontes et G. Besson pour la relecture de ma traduction. Tout erreur est de mon fait.
46 Epistola 29, paragraphes 159-160, citée dans Giovanni Dominici 1970, p. 41.
47 Je traduis.
48 Si la case est cochée, les deux demi-lunettes des deux panneaux latéraux comprennent l’Annonciation (Gabriel à gauche, Marie à droite). S’il s’agit d’une autre scène, elle est indiquée par son code.
49 Sur le revers des panneaux latéraux: Adoration des mages.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002