Chapitre 3. La nativité selon les visions de Sainte Brigitte de Suède
p. 117-156
Texte intégral
1Après avoir retracé la genèse du motif de l’adoration, dans la gestuelle de dévotion devenue caractéristique de la peinture hagiographique franciscaine dès le Duecento (dans le chapitre 1) et dans les passages entre Adoration des mages et Nativité jusqu’à l’étude de la série dans la série des triptyques portatifs (Annexe 16), observatoire privilégié de l’épanouissement du motif au Trecento (dans le chapitre 2), on présente ici un autre sous-groupe dans la série générale des Nativités de 1250 à 1450. Dans un laps de temps allant des années 1370 aux années 1430 en effet, sont produites une dizaine de scènes qui, plus encore que des Nativités, sont des Visions de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède en prière. Parce qu’elles cumulent la figure de la sainte en bordure d’image, en adoration, et les protagonistes de la scène autour de Jésus, en adoration également, elle a longtemps été considérée comme le lieu de basculement iconographique de la Nativité, de scène narrative à scène d’adoration. Les acquis des chapitres précédents montrent qu’il faut plutôt insérer cette production dans un temps plus long où l’adoration est déjà présente dans l’iconographie de la Nativité depuis des décennies. Il n’en reste pas moins que cet ensemble des Visions de sainte Brigitte documente une installation et une diffusion toujours plus grande du motif. Surtout, pour la première fois de manière aussi explicite, ces images donnent à voir le sens dévotionnel et anthropologique de l’adoration dans la peinture elle-même: la sainte au bord de l’image imite la posture des protagonistes au centre de l’image, ils lui donnent l’exemple d’une attitude dévotionnelle exemplaire envers l’Enfant, en même temps que la scène elle-même est présentée comme une récompense que sainte Brigitte de Suède reçoit pour sa prière bien menée. La composition peinte se fait ici caisse d’enregistrement d’un cercle vertueux de la dévotion. Cette production, limitée en nombre, et dont il ne faut pas exagérer la portée en termes d’histoire iconographique, marque néanmoins un tournant, dans le sens qu’elle permet de documenter le moment (à partir des années 1370 et jusqu’au premier Quattrocento) où sa présence elle-même n’est plus optionnelle comme c’est le cas tout au long du premier Trecento. Si le motif de l’adoration continue de varier dans les Nativités et d’évoluer, il en devient bien constitutif. Un constat général qu’il n’est possible de dresser qu’au terme des chapitres suivants, consacrés à étayer ce changement: le motif des bergers se transforme (chapitre 4), passant d’une présence périphérique, centrée sur l’Annonce qu’ils reçoivent, à un rôle de premier plan et centré sur leur performance de l’adoration; par un mouvement de vases communicants, le motif des sages-femmes (chapitre 5), longtemps au premier plan, disparaît de l’image parce que, centré sur le Bain de l’Enfant, il représentait une action concurrente à la pratique de l’adoration. Le chapitre 6, enfin, explique l’émergence même de l’Adoration de l’Enfant par sa Mère, centrée sur une représentation nouvelle de l’Enfant nu au sol, posé sur un pan du manteau de Marie, en fonction de laquelle sont transformées les représentations de la crèche, qui devient temple de l’adoration, ainsi que les animaux et Joseph, dont les postures et l’emplacement se font les relais de cette gestuelle dévotionnelle vis-à-vis de l’Enfant.
2Née en Suède dans une famille proche du pouvoir royal, Brigitte de Suède (1303-1373) a été à la fois une mystique et la fondatrice d’un ordre féminin, l’Ordo Sanctissimi Salvatoris, couramment appelé ordre des Brigittines. Elle s’est également battue pour le retour du pape en Italie à l’époque de l’exil avignonnais. Elle est canonisée moins de vingt ans après sa mort, en 1391, après un procès de canonisation mené par son dernier confesseur et secrétaire, Alfonso Pecha da Vadaterra1. Elle fait, dans un premier temps de sa vie, un bon mariage et met au monde huit enfants, entre 1319 et 1337. En 1342, elle et son mari entreprennent un pèlerinage à pied depuis la Suède jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle. Son mari, fort éprouvé par ce long voyage, s’éteint deux ans après leur retour en Suède (1344). Commence alors pour Brigitte une vie consacrée à son engagement religieux et politique: elle reçoit à partir de ce moment des révélations – 700 en trente ans –, s’entoure de plusieurs confesseurs qui rendent publiques ces révélations et en assurent la diffusion2. Durant la fin des années 1340, elle séjourne longuement au monastère cistercien d’Alvastra, où son mari a fini ses jours3, puis elle se rend à Rome en 1349 en vue du jubilé de 1350 et y demeure jusqu’à sa mort en 13734.
3Dans le courant des années 1350, elle reçoit une révélation de Marie lui annonçant que le jour où elle se rendra en Terre Sainte, elle recevra de sa part une nouvelle révélation sur les véritables circonstances de la naissance de Jésus. Brigitte se rend à Bethléem plus de vingt ans après, en 1372, où elle reçoit effectivement la révélation promise par Marie. Le texte de sa vision à Bethléem (Annexe 13) apporte sur la Nativité des détails inédits dans les textes étudiés jusqu’ici. Il a la particularité d’avoir été exploité tout de suite après sa mort pour la réalisation de plusieurs retables et fresques de la Nativité incluant la figure de Brigitte de Suède et plusieurs détails du texte. Les toutes premières Visions de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède ont d’ailleurs vu le jour durant la campagne de promotion pour la canonisation5. L’objet de ce chapitre est de présenter le texte de la révélation, puis les occurrences de Nativités composées comme autant de Visions de la Nativité selon sainte Brigitte. Ces quelques images particulières, sont à distinguer des Nativités, Adorations de l’Enfant ou Adorations des Bergers dont on explique généralement l’iconographie par la révélation de Brigitte alors qu’elles n’ont en réalité pas de rapport direct avec elle, se bornant à présenter la Vierge à genoux, motif largement antécédent à 1372, comme je l’ai démontré dans les chapitres précédents. Les Visions de la Nativité selon sainte Brigitte ont au contraire un ensemble de traits distinctifs uniques, tels que la présence de la sainte recevant la vision en bordure de l’image, et une série d’attributs conférés à Marie et Joseph, spécifiques au récit de la sainte.
La «Nativité dans le cœur6»
4Avant le texte qui relate la vision de la Nativité proprement dite – les révélations VII, 21 et VII, 22 (Annexe 13) –, une autre révélation (VI, 88, Annexe 12) aborde cette question; elle ne comporte pas de date précise mais peut raisonnablement être considérée comme antérieure7. Dans la droite ligne de tout ce qui a déjà été dit sur la motivation de saint François à mettre en acte le souvenir (memoriam agere) de Noël, c’est-à-dire à réveiller la conscience du sacrifice du Christ dans les cœurs refroidis des chrétiens oublieux de leur Dieu, cette révélation présente Brigitte de Suède en dévote exemplaire, dans le cœur de qui Jésus demeure bien vivant (Annexe 12).
5Un soir de Noël, la dévotion de Brigitte est si ardente qu’un prodige se produit dont le récit est prudemment ordonnancé pour paraître irréfutable: d’abord il est décrit – Brigitte a la sensation d’une «grossesse dans son cœur» – mais, immédiatement, il éveille son soupçon (ne forte esset illusio). Elle s’en remet alors à des individus dont la parole a de l’autorité, son directeur de conscience et des amis spirituels, c’est-à-dire particulièrement dévots. Une fois qu’ils ont certifié la véracité de cette grossesse dans le cœur (visu et tactu probantes veritatem), se manifeste une apparition de la Vierge expliquant le sens du miracle. L’apparition est elle-même garantie par le fait qu’elle advient durant la messe (in summa missa apparuit mater Dei). Aux dires de Marie donc, Brigitte de Suède expérimente une quedam similitudo – le même terme qu’on trouvait déjà sous la plume de Thomas de Celano dans la version du Noël à Greccio de la Vita brevior –, une forme de réplique des sensations que Marie a éprouvées lors de l’Annonciation et de la Nativité. Similitudo signifie ici à la fois la ressemblance et la non-identité, la même différence hiérarchique qui existe entre un original et une copie. Par conséquent, le soupçon est levé: Brigitte, loin d’être la victime d’une illusio, une sensation trompeuse dont l’origine serait diabolique, reçoit une gratification pour la qualité et la ferveur de sa dévotion. La sensation intérieure, organique, de Brigitte est le signe de la venue du Christ dans son cœur (signum adventus filii mei in cor tuum). Dans le récit de la crèche à Greccio, ce signum s’était extériorisé dans la vision miraculeuse de Giovanni Vellita. Dans le cas de Brigitte, ce signum est secret et intériorisé, pour mieux évoquer la ressemblance avec l’Annonciation où la conception advient à l’abri des regards, dans le corps de Marie. La vertu de François et de Brigitte cependant est la même, elle réside dans la chaleur de leur cœur entendue comme foyer de croyance capable de ne jamais s’éteindre. Le message de François à Greccio était avant tout que la foi s’alimente par la dévotion, et ici Marie invite Brigitte à entretenir sa ferveur (Motus perseuerabit tecum et augebitur iuxta capacitatem cordis tui). Le cœur, comme siège de la foi, a la même capacité que l’utérus à grossir – la capacitas, dont le sens existe toujours dans l’italien capienza (contenance) – et accompagner la croissance de l’Enfant, devenu ici Incarnation de la foi vivante.
6La révélation du miracle de Noël dans le cœur de Brigitte est aussi l’occasion d’une première description, très rapide, de l’accouchement de Marie (indicibili exultacione et mirabili festinantia clauso meo virginali vtero prodiebat) où apparaissent deux qualités, la liesse et la rapidité fulgurante, reprises et développées dans le récit de la vision de la Nativité reçue à Bethléem par la suite et qui est donc réparti en deux révélations successives. Dans la première (VII, 21), Brigitte prend la parole pour décrire l’accouchement tel qu’elle l’a vu à Bethléem lors de son pèlerinage; dans la seconde (VII, 22), Marie en personne prend la parole pour confirmer et insister sur ces points cruciaux (Annexe 13).
7La Révélation VII, 21 est tout entière scandée par les verbes de perception (cum essem ad presepe vidi, vidi ego, ego non poteram aduertere nec discernere, vidi, vidi, audivi) par l’intermédiaire desquels Brigitte de Suède partage avec ses lecteurs le témoignage dont elle garantit la véridicité. D’après son récit, la vision de l’accouchement de la Vierge qu’elle a eue lors de son pèlerinage à Bethléem se divise en quatre moments: les préparatifs, l’accouchement miraculeux, les soins prodigués au Nouveau-né, l’adoration de Joseph. Après cette vision rapportée à la première personne, Brigitte a une seconde révélation durant laquelle la Vierge en personne vient lui certifier l’authenticité du contenu de la vision (in eodem loco apparuit michi virgo Maria dicens, scias certissime quod ego sic steti et tali modo peperi sicut nunc vidistis, scias veraciter ipse natus est sicut ego alias dixi tibi et sicut tu nunc vidisti). La révélation VII, 22, en plus de garantir la véracité de la vision, fournit sa clé de lecture. Il s’agit d’établir les modalités précises de l’accouchement de Marie (modus pariendi), car tout le vocabulaire de ce paragraphe de confirmation tourne autour de cet enjeu:
– ostendi tibi qualiter stabam quando peperi filium meum;
– scias certissime quod ego tali modo peperi flexis genibus orando sola in stabulo, peperi cum leticia, non sensi grauamen nec dolorem;
– sine adiutorio peperam;
– scias veraciter quod quamvis homines conantur asserere, quod
filius meus nascebatur per modum communem, veritas tamen est et absque aliquo dubio quod ipse natus est sicut vidisti.
8Les formulations sont, certes, didactiques voire insistantes, la clarté du modus pariendi n’en est toutefois que plus grande: Marie accouche à genoux, en priant, seule, avec bonheur, sans douleur et sans aide. Le point fondamental est d’établir sa qualité extraordinaire car cet accouchement, de bout en bout miraculeux, ne saurait advenir per modum communem, comme pour toutes les autres femmes. Le paradoxe de la révélation VII, 21 est le suivant: les enjeux théologiques sous-jacents à sa rédaction apparaissent d’autant plus clairement qu’il s’agit d’un texte dicté par une femme qui, ayant vécu elle-même huit accouchements, le truffe de détails pragmatiques, issus d’une connaissance expérimentale de l’accouche-ment (son déroulement, les gestes, pratiques et usages qui l’accompagnent).
9Le texte commence ainsi par rapporter que Marie, organisée et prévoyante (posuit iuxta se ut eis uteretur tempore debito), a préparé une layette pour le Nouveau-né, des langes en lin à porter à même la peau, d’autres en laine à mettre par-dessus pour protéger l’Enfant du froid, et d’autres encore en lin pour protéger la petite tête fragile dans la nuit d’hiver. Chacun de ces objets est à nouveau mentionné, dans le même ordre, au moment où Marie s’en sert ensuite pour langer le Nouveau-né. Brigitte décrit ses gestes avec précision aussi bien pour ce qui concerne l’anatomie que la couture (primo in panniculis lineis et postea in laneis et stringens corpusculum tybias et brachia eius cum facia, que suta erat in quatuor partibus superioris panniculi lanei. Postea vero involuit ligando in capite pueri illos duos panniculos). Ce n’est sans doute pas un hasard si aucun des récits de la Nativité précédents, depuis les évangiles jusqu’à la Légende dorée, tous écrits par des hommes, ne mentionne ce genre de détail (Annexes 1 à 11). Or, seules des femmes entourent les parturientes au Moyen Âge, ce qui explique pourquoi ces détails n’apparaissent que dans ce texte dicté par une femme; le texte d’ailleurs souligne, à ce sujet, que Joseph s’éclipse le moment venu (exiuit extra ne partui personaliter interesset)8. Ces précisions pragmatiques n’altèrent en rien la conscience des enjeux théologiques qui dictent à Brigitte de Suède la nécessité de produire une nouvelle version du récit de la Nativité. Sa révélation présente à la fois des éléments inédits et des éléments présents dans les précédents récits, réaménagés ou altérés.
10La révélation commence par un portrait de Marie se dévêtant avant d’accoucher (discalciauit, discooperuit, amouitque velum, remanens in sola tunica, capillis pulcerrimis quasi de auro extensis super spatulas), parfaitement inédit. L’intérêt de ce découvrement est de permettre à Brigitte d’observer en détail les phénomènes miraculeux qui vont affecter physiologiquement Marie pendant et après l’accouchement (indutam subtili tunica per quam ab extra eius carnes virgineas clare cernebam), en particulier la rétractation immédiate de son ventre (statim venter virginis qui ante partum tumidissimus erat retraxit se, nisi quod venter eius tumidus retraxit se ad priorem statum, in quo erat antequam puerum conciperet).
11La nouveauté sans doute la plus importante que sainte Brigitte introduit dans le récit de la Nativité est le déplacement du moment de la première adoration de Jésus par Marie puisqu’elle présente une version de la Nativité dans laquelle la Vierge accouche directement à genoux. Une fois les préparatifs achevés, Marie se place en effet en position de prière, le visage levé vers le ciel et vers l’orient (virgo genuflexa est cum magna reverentia ponens se ad orationem, et dorsum versus presepe tenebat, faciem vero ad celum leuatam versus orientem). L’adoption de la posture ad orationem favorise l’accès à un état d’extase et d’ivresse (erectis manibus et oculis in celum intentis, stabat quasi in exstasi contemplationis suspensa, inebriata diuina dulcedine). Plongée dans cet état, Marie subit l’accouchement plutôt qu’elle ne le vit tant il advient de façon instantanée. Brigitte superpose donc deux moments jusque-là disjoints, l’accouchement et l’adoration, et écrit une version de la Nativité où ils se confondent: la naissance advient durant la prière, l’instant même de la théophanie se fait dans le cadre spirituel d’une adoration.
12Cette superposition permet de souligner la qualité miraculeuse de la mise au monde de Jésus9. Le texte insiste sur l’instantanéité de la naissance (ilico in momento et ictu oculi peperit filium, tam subitus et momentaneus erat ille modus pariendi), mais il s’agit là précisément de ce que Brigitte tient à démontrer. Le modus pariendi de Marie est tellement hors norme que Marie ne s’aperçoit de rien tandis que Brigitte, pourtant spectatrice extérieure, a du mal à comprendre ce qui se passe (vidi tunc ego moueri iacentem in vtero eius, ego non poteram aduertere nec discernere quo vel in quo membro pariebat). L’enjeu est de prouver, plus encore que d’affirmer, le caractère unique, parce que divin et donc miraculeux, de la Nativité: ce que Brigitte souligne par tous les moyens, à commencer par le fait que Marie échappe à la souffrance promise à toutes les parturientes depuis Ève.
13La mystique reprend par ailleurs le motif, présent depuis les évangiles apocryphes (Annexes 4, 5 et 7), du rayonnement lumineux exceptionnel de Jésus, qu’elle a préparé au premier paragraphe, où elle décrit Joseph apportant une bougie pour illuminer la grotte (cum intrassent speluncam senex ille portavit ad virginem candelam accensam fixitque eam in muro). Cette lumière, allumée de main d’homme se voit annihilée – c’est le verbe employé dans la Révélation – par la lumière surnaturelle émanant de Jésus (a quo tanta lux ineffabilis et splendor exibat, quod sol non esset ei comparabilis, neque candela illa quam posuerat senex quoquo modo lumen reddebat, quia splendor ille diuinus splendorem materialem candele totaliter annichilauerat).
14Un autre motif distingue la naissance de Jésus de celle des autres, la propreté du Nouveau-né. Brigitte ne néglige pas d’y insister avec deux superlatifs (vidi illum gloriosum infantem nudum et nitidissimum. Cuius carnes mundissime erant ab omni sorde et immundicia). Un détail inédit, enfin, à savoir le fait que Marie coupe le cordon de son fils, permet de revenir sur le fait que cette naissance advient sans la moindre effusion de liquide (recepit cum digitis subtiliter vmbilicum eius, qui statim abscisus est, nec inde aliquis liquor aut sanguinis exiuit). Par la propreté, la naissance de Jésus échappe à la souillure de la chair, liée à la malédiction du péché dont Marie est exempte. Propreté et lumière sont toutes deux surnaturelles et se valorisent l’une l’autre: gages de la nature divine de l’événement, elles sont la double manifestation visible du miracle et de son unicité en même temps qu’elles certifient la pureté virginale du corps maternel qui a enfanté. La question de la propreté, en somme, est polysémique: elle touche à la double nature de Jésus, qui pâtit dans sa chair, mais n’est pas souillé (son corps demeure vierge); elle touche au statut théologique de Marie; elle favorise, enfin, le développement d’autant plus affectif qu’il est totalement asexué, de son culte. Le rapport charnel que la Mère entretient avec son Fils se trouve à la fois valorisé par les gestes d’affection (puer plorans et quasi tremens pre frigore et duricia pavimenti vbi iacebat, extendebat membra querens inuenire refrigerium et matris fauorem) et transcendé par le geste d’adoration.
15Les bêtes, enfin, sont reléguées à l’arrière-plan: mentionnées d’emblée en tant que présence obligée dans toute Nativité (secum habebant ambo unum bovem et asinum), le récit leur ôte ensuite toute fonction narrative, et donc les oublie. Les textes et les images d’inspiration franciscaine se préoccupaient de dire pour qui avait lieu la Nativité; Brigitte au contraire se préoccupe de fournir les preuves attestant la nature entièrement miraculeuse de l’événement. Le rôle de l’adoration en devient, par conséquent, structurant. Hormis le premier paragraphe de la révélation qui commence par la description de Marie (quaedam virgo pregnans pulcherrima), les trois autres commencent tous par une adoration et le texte se termine par une quatrième et dernière adoration (Annexe 13):
- le deuxième paragraphe s’ouvre avec Marie agenouillée, les mains et le regard tendus vers le ciel, prête à entrer en extase (virgo genuflexa est; erectis manibus et oculis in celum intentis);
- le troisième commence au moment où elle s’aperçoit qu’elle a accouché et se recueille en prière, c’est-à-dire qu’elle reste à genoux mais baisse les yeux et les mains, désormais dirigés vers le nouveau-né à terre (Cum sensit se iam peperisse statim inclinato capite et iunctis manibus cum magna honestate et reuerentia adorauit puerum);
- le quatrième s’ouvre par l’adoration de Joseph (intrauit senex, et prosternens se ad terram genibus flexis adorando eum plorabat pre gaudio) et se clôt par une dernière adoration conjointe des parents (simul ambo scilicet ipsa et Ioseph posuerunt eum in presepio, et flexis genibus adorabant eum cum gaudio immenso et leticia).
16Les Révélations de Brigitte de Suède (1372) présentent le récit de la Nativité comme une révélation reçue de la Vierge. Sainte Brigitte prétend y apporter un récit à la fois inédit et pourtant authentique, parce que délivré et certifié par Marie, de la Nativité. Elle s’appuie sur les apocryphes pour reprendre certains détails, en même temps qu’elle les réfute très clairement pour d’autres10. Le soin que Brigitte met à proclamer la parfaite propreté de Jésus dès sa naissance oppose une fin de non recevoir à la présence des sages-femmes. Leur fonction, qui était de certifier la virginité de Marie, est transférée dans la révélation brigittine à la fois aux objets (quandam virginem valde indutam albo mantello) et aux miracles qui affectent le corps de Marie, tel que la rétractation instantanée de son ventre à l’état antérieur à la grossesse, sans intervention extérieure11. Dans la révélation brigittine, Marie accouche dos à la crèche, agenouillée et l’accent est mis non plus sur la paupertas mais sur la leticia et le gaudium éprouvés par elle et Joseph. Deux éléments semblent particulièrement représentatifs de la dévotion du Trecento dans les deux textes: la place des sentiments, en particulier maternels (calefaciebat eum cum tenera compassione materna, lit-on dans la révélation brigittine) d’une part, de l’autre le rôle structurant conféré à l’adoration. Chez Brigitte de Suède, le nombre d’adorations est élevé et le geste, par sa répétition même, devient garant de la nature extraordinaire de la naissance de Dieu. Dans les Révélations VII, 21-24, on en dénombre six successives: 1) Marie, 2) à nouveau Marie, 3) Joseph, 4) Marie et Joseph ensemble, 5) les bergers, 6) les mages12.
17Brigitte assume directement la responsabilité de sa vision et parle à la première personne: une nouveauté qui apparaît également dans les images, produites dès 1373, illustrant la Nativité comme vision, et intégrant Brigitte de Suède dans la composition. La scène se trouve ainsi personnalisée, avec la mystique agenouillée à l’orée de la grotte, en position de spectatrice. Les pages qui suivent présentent ces Visions de la Nativité selon sainte Brigitte et tentent de les replacer dans leur contexte de commande et de destination, d’abord dans le mouvement du procès de canonisation, entre 1373 et 1391, puis dans le cadre de l’entretien du culte dont la sainte fait l’objet dans le milieu Observant toscan du premier Quattrocento.
L’invention picturale de la Nativité brigittine
18H. Cornell a, le premier, tenté d’établir une liste des Visions de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède, à l’échelle de l’Europe13. Pour ce qui est de la peinture italienne, il recense quatre images:
- un retable dans l’église de Sant’Antonio fuori le mura à Naples, mentionné par Niccolò Orsini, aux alentours de 1380, dans son témoignage au procès de canonisation de Brigitte de Suède;
- une fresque sur le revers de façade de Santa Maria Novella à Florence, approximativement estimée de la fin du XIVe siècle;
- un retable de Turino Vanni, daté de la première décennie du XVe siècle, conservé au Musée San Matteo de Pise;
- un retable conservé à la Pinacothèque du Vatican, alors attribué à Sano di Pietro et daté aux alentours de 145014.
19Dès 1947, F. Antal rétablit l’attribution et la datation du panneau du Vatican à Niccolò di Tommaso (NH 1108) et en corrige la datation aux années 1370. Il signale, en outre, les deux autres versions de la Vision de la Nativité selon sainte Brigitte de Niccolò di Tommaso, très semblables, conservées aux États-Unis (pl. V, NH 584 et fig. 21)15. Il s’agit d’un triptyque portatif conservé au Museum of Art de Philadelphie (pl. V, NH 584) qui correspond peut-être au retable mentionné dans le témoignage pour le procès de canonisation, et d’un fragment de retable, très abîmé, conservé à New Haven au sein de la Yale University Art Gallery (fig. 21). H. Aili et J. Svanberg ont publié une somme en deux volumes16 dans laquelle ils recensent l’ensemble des premières images brigittines: images de la sainte elle-même, illustrations des manuscrits de ses Révélations, mais aussi Visions de la Nativité, dont la fresque de Santa Maria Novella, déjà citée, attribuée cette fois correctement à Pietro di Miniato, avec une datation aux années 1390 (fig. 22, NH 677)17. Les Visions de la Nativité brigittines, avec leurs datations corrigées, y forment un ensemble de cinq images:
- les trois retables de Niccolò di Tommaso (NH 1108, Pl. V, NH 584, fig. 21);
- la fresque du revers de façade de Santa Maria Novella à Florence (fig. 22, NH 677);
- le retable du Museo San Matteo à Pise (NH 669);
20Sur la genèse des trois retables de Niccolò di Tommaso à Naples, peut-être du vivant même de Brigitte de Suède, à son retour de Terre Sainte, l’étude la plus à jour est celle d’A. Creutzburg18, tandis que F. Wolf a tout récemment consacré un article à l’ensemble de ces images, auxquelles vient s’adjoindre une sixième image, un panneau du Maestro della Dormitio di Terni du début du XVe siècle dont le lieu de conservation actuel demeure inconnu (fig. 25)19. Ces six images sont analysées dans les pages qui suivent du point de vue de la représentation de l’adoration en leur sein, ainsi que plusieurs autres occurrences contemporaines de Visions de la Nativité.
Les retables de Niccolò di Tommaso: un retable pour Grégoire XI?
21Pour son pèlerinage en Terre Sainte en avril 1372, Brigitte de Suède part de Naples. Elle reçoit sa double révélation quatre mois plus tard, en août 1372, alors qu’elle se trouve à Bethléem. De retour en février 1373 à Naples, elle est l’hôte de la reine Jeanne durant quelques semaines. Le peintre toscan Niccolò di Tommaso se trouve à Naples durant cette période, afin d’exécuter plusieurs commissions pour la reine Jeanne et ses proches20. Il reçoit, durant ce séjour napolitain qui dure jusqu’en octobre 1375, la commande de plusieurs retables illustrant la Vision de la Nativité brigittine21. Or, les actes du procès de canonisation signalent la présence de telles images dans quatre églises de la cité parthénopéenne, nommément Santa Maria del Carmelo, San Giorgio Maggiore, Sant’Eligio et Sant’Antonio fuori le mura22. Si aucune ne demeure aujourd’hui dans ces emplacements originaux, il existe donc néanmoins trois retables de la Vision de la Nativité, attribuables à Niccolò di Tommaso, dont l’un au moins pourrait coïncider avec cette liste.
22Le premier, conservé au Vatican (NH 1108), est un petit panneau rectangulaire qui comporte en son centre la Nativité et, dans le coin inférieur droit, Brigitte recevant la vision. Elle a déposé son bâton de pèlerine contre la paroi rocheuse derrière elle et s’est agenouillée, les mains jointes en prière, un rosaire glissé entre les doigts. Les rayons dorés qui entourent sa tête la présentent comme bienheureuse, à distinguer de l’auréole proprement dite dont elle est dotée dans les images postérieures à sa canonisation en 1391. Sans doute ce retable était-il, au moment de sa commande, pensé comme un instrument de publicité en faveur de la canonisation de Brigitte. Les rayons dorés de bienheureuse permettent en tout cas d’affirmer que le retable a été peint après la mort de Brigitte, survenue le 23 juillet 1373, date qui devient dès lors un terminus post quem.
23Une note de Catherine de Suède, l’une des filles de Brigitte, au pied d’une lettre d’Alfonso de Jaén, son secrétaire et confesseur, écrite en 1378, affirme que le pape Grégoire XI en personne avait une image de Brigitte de Suède dans sa chambre23. Dans la mesure où l’on n’a enregistré aucun déplacement pour le retable de Niccolò di Tommaso qui se trouve aujourd’hui encore au Vatican, il est possible qu’il s’agisse du même et qu’il ait été offert au pape ou que sa commande par le pape ait été fortement encouragée par l’entourage de Brigitte, de la même manière que son entourage s’est attaché à diffuser des volumes enluminés des Révélations dans les cours les plus prestigieuses d’Europe durant le procès de canonisation24.
24Dans cette composition, Marie et Jésus sont inscrits chacun dans une mandorle, qui évoque la lumière surnaturelle du texte brigittin. Pour éclairer la grotte, Joseph apporte une bougie, que Niccolò représente avec sa flamme rouge au centre de la paroi au fond de la grotte. Cette maigre lumière se trouve bientôt annihilée par l’intense luminosité qui se dégage de Jésus et de sa mère. Le phylactère qui relie Dieu le Père et Jésus (HIC EST FILIUS MEUS) dessine l’axe central de l’image et traduit par là-même le cœur de la révélation, c’est-à-dire l’affirmation de la nature divine de cette naissance. Couronné et inscrit dans une étoile dorée d’où émanent de nombreux rayons, Dieu le Père est la source de la lumière distribuée dans tout le panneau. La foule des anges, certains jouant de la musique, d’autres priant, véhicule également la lumière extraordinaire qui marque la venue du Seigneur sur terre. Les deux bergers en haut à droite, réveillés dans la nuit par l’ange annonciateur, portent la main à leur front, éblouis par ce déploiement de lumière.
25Niccolò di Tommaso traduit avec une grande fidélité plusieurs moments du texte de la révélation en insérant des détails inédits jusque-là dans la tradition iconographique de la Nativité, y compris dans ses propres versions de la scène réalisées hors du contexte brigittin (NH 545)25. Les deux langes posés au sol entre Marie et Jésus évoquent les langes de lin et de laine (panniculos lineos et laneos): l’un petit, blanc, encore roulé, l’autre plus grand, blanc d’un côté et rouge de l’autre, presque entièrement déroulé.
26Marie est vêtue d’une simple tunique blanche dont le peintre ne montre pas cependant la transparence (tunica per quam ab extra eius carnes virgineas clare cernebam). En signe d’humilité, Marie ôte ses chaussures (discalcavit calciamenta pedum suorum), que l’on voit derrière elle, de couleur noire26. Deux grands tissus, l’un bleu marine bordé d’or et l’autre rouge, renvoient aux vêtements et au voile qu’elle a quittés: les couleurs ne correspondent pas au blanc du texte (discooperuit mantellum album quo operiebatur, amovitque velum de capite suo et iuxta se reposuit ea, remanens in sola tunica) mais à la tradition picturale figurant la venue du ciel sur la chair, comme l’a analysée G. Didi-Huberman27. Le dépouillement vestimentaire de la Vierge renvoie, comme les mandorles, à la spiritualisation du rapport Mère-Fils qui transforme la mère en figure de l’adoration. Les deux mandorles isolent le couple du reste de la composition et soulignent leur rapport symbolique, qui ne doit plus grand chose au contact corporel suggéré par les objets jonchant le sol. La similitude de couleur dorée entre les cheveux de Marie et la mandorle n’empêche pas de discerner l’ondoiement de sa chevelure le long de son dos (capillis pulcerrimis quasi de auro extensis super spatulas) telle que la décrit la révélation. Niccolò di Tommaso complète sa transposition du texte en plaçant devant Marie un phylactère qui accompagne la valeur dévotionnelle de son geste d’adoration (BENE VENERIS DEUS MEUS, DOMINUS MEUS ET FILIUS MEUS). Deux autres détails trouvent leur place dans l’image de Niccolò di Tommaso, à savoir le chœur des anges (Audivi etiam tunc cantus angelorum mirabilis suavitatis et magne dulcedinis) et la figure de Joseph en père adorant, cependant représenté dans une attitude plus sobre que ne l’indique la révélation (intravit senex, et prosternens se ad terram genibus flexis adorando eum plorabat pre gaudio), non agenouillé mais légèrement penché en avant.
Les retables de Niccolò di Tommaso: le triptyque de Niccolò Orsini à Sant’Antonio à Naples?
27Les deux autres Visions de la Nativité brigittines de Niccolò di Tommaso sont proches de cette première image du Vatican. L’une, conservée à Philadelphie (pl. V, NH 584), occupe le panneau central d’un triptyque portatif bien conservé, appartenant donc à la catégorie des objets de dévotion privée analysés au chapitre précédent28. Contrairement à l’organisation la plus fréquente dans ces triptyques (Nativité dans le volet gauche, Vierge à l’Enfant dans le panneau central et Crucifixion dans le volet droit) que Niccolò di Tommaso suivait encore dans un tryptique réalisé quelques années (NH 545) avant de recevoir la commande des images brigittines pour le procès de canonisation, la Nativité y occupe la place d’honneur – le panneau central –, tandis qu’une Annonciation occupe les demi-lunettes des volets, une Crucifixion le volet droit et quatre saints le volet gauche: au premier rang, saint Nicolas de Bari et saint Jacques, au second rang, saint Antoine Abbé et sainte Catherine d’Alexandrie.
28Deux de ces saints permettent d’émettre une hypothèse quant à la destination originelle du triptyque. En 1371, Niccolò di Tommaso signe et date un triptyque dans lequel saint Antoine abbé occupe le panneau principal29. Ce retable se trouvait dans l’église Saint-Antoine-hors-les-murs de Naples, que la reine Jeanne avait fait construire et pour laquelle elle l’avait commandité. Quoique le comte de Nola – c’est le titre de Niccolò Orsini – n’indique pas dans son témoignage au procès de canonisation les noms du commanditaire ni du peintre du retable contenant la Vision de la Nativité selon sainte Brigitte présent dans cette église, il peut s’agir du triptyque de Niccolò di Tommaso aujourd’hui à Philadelphie. Le lien entre Niccolò Orsini et le triptyque de Philadelphie pourrait être assez étroit dans la mesure où son beau-père, Raimondo del Balzo, avait commandité à Niccolò di Tommaso des fresques pour son château à Casaluce encore visibles aujourd’hui30. Niccolò Orsini a ainsi pu connaître Niccolò di Tommaso lorsque ce dernier travaillait dans la demeure de son beau-père. Enfin, Orsini avait personnellement connu et aidé Brigitte de Suède, et la présence de son saint patron (saint Nicolas de Bari) au premier rang du volet gauche pourrait indiquer un lien direct entre lui et le triptyque, puisqu’il était fréquent qu’un commanditaire fasse représenter son saint patron31.
29La composition de la Nativité de Philadelphie (pl. V, NH 584) est très proche de celle du Vatican (NH 1108): une petite bougie allumée est posée contre le mur au fond de la grotte; Marie et Jésus se trouvent inscrits dans une mandorle dorée; les objets qui jonchent le sol sont identiques, à savoir deux petites chaussures noires et pointues, deux vêtements, l’un bleu bordé d’or et l’autre rouge, deux langes, l’un grand et déroulé, l’autre petit et enroulé; Joseph, vêtu de rose, croise ses mains sur sa poitrine, regarde Jésus et se penche en avant pour l’adorer. Brigitte a les yeux mi-clos de la vision mystique, par ailleurs, comme dans le panneau du Vatican, elle perçoit la scène depuis l’extérieur de la grotte, agenouillée et en prière, son bâton de pèlerine posé derrière elle, et la tête entourée de rayons dorés.
30La forme même du panneau central, un rectangle en hauteur, induit quelques changements par rapport à la composition du Vatican qui avait la forme d’un rectangle en largeur. L’étroitesse du panneau de Philadelphie conduit Niccolò di Tommaso à supprimer les éléments à l’extérieur de la grotte – l’Annonce aux bergers et la flore stylisée qui évoquait un locus amœnus –, à comprimer les animaux et la crèche contre le bord gauche et, de l’autre côté, à superposer les figures de Brigitte et de Joseph aux premier et second plan. Les paroles de Dieu le Père et de Marie sont les mêmes que dans le panneau du Vatican, en particulier la forme du phylactère de cette dernière, mais s’y ajoutent celles des séraphins, qui se détachent contre la paroi de la grotte (GLORIA IN EXCELSIS DEO et ET IN TERRA PAX HOMINIBUS, Luc 2, 14).
Les retables de Niccolò di Tommaso: le retable de New Haven (Yale University Art Gallery)
31La troisième Nativité peinte par Niccolò di Tommaso, aujourd’hui conservée à New Haven dans la collection de l’université de Yale (fig. 21), est fort endommagée, mais pas assez pour qu’il ne soit pas possible d’y reconnaître de nombreux traits communs avec les deux panneaux précédents: la robe blanche de Marie, ses cheveux blonds déliés, son inscription dans une mandorle, la forme de son phylactère32. Les objets à ses pieds sont toujours les mêmes quoique leur disposition soit modifiée; Joseph arbore toujours sa robe rose, on devine qu’il se penche vers l’avant et que ses mains sont croisées sur sa poitrine. Il est isolé de la scène par un muret qui le désigne comme spectateur de l’adoration du Fils par la Mère. Joseph et Brigitte se trouvent dans une position similaire mais pas identique: Brigitte, également isolée mais à l’extérieur de la grotte, dans le coin inférieur droit de l’image, voit avec les yeux de la foi ce dont Joseph est le témoin direct. La bougie, si elle est présente, n’est plus visible aujourd’hui mais surtout, les animaux, la crèche et les anges ont changé de position. L’âne et le bœuf ne se tiennent plus derrière Marie, comme l’indiquait le texte brigittin ( [Maria] dorsum versus presepe tenebat), mais entre Marie et Joseph, à l’arrière-plan au fond de la grotte, dont la profondeur est ainsi exploitée pour distinguer les différents plans de la vision. Les anges qui, par leur disposition, viennent doubler le contour rocheux de la grotte tendent tous leurs mains en prière vers Jésus. Dans la Nativité de New Haven, Niccolò di Tommaso accentue ainsi résolument les indices iconographiques d’adoration de l’enfant.
32Dans l’ensemble, les trois panneaux de Niccolò di Tommaso présentent de nombreuses ressemblances, qu’il s’agisse de la posture des personnages ou de la présence d’objets inédits ailleurs tels que les souliers de la Vierge, ses vêtements au sol, les langes pour l’Enfant ou encore le bâton de pèlerine de Brigitte. La datation la plus plausible pour ces trois panneaux se situe entre le décès de Brigitte le 23 juillet 1373 et octobre 1375, date à laquelle Niccolò di Tommaso reparaît dans les registres de son arte à Florence33. C’est grâce à E. Skaug qu’on peut fixer ce terminus ante quem puisqu’il a démontré que, tant qu’il travaillait à Florence et Pistoia, Niccolò di Tommaso employait toute une batterie de poinçons qu’il partageait avec plusieurs collègues d’atelier toscans34. Or, aucun des trois retables de la Nativité ne comporte le moindre poinçon, trahissant le fait que Niccolò n’avait pu emporter en voyage tout son matériel, tandis que ses collègues demeurés en Toscane continuent à les employer pour décorer leurs retables35. La production des œuvres dénuées de poinçon se situerait par conséquent durant la période où Niccolò est absent de Florence36.
La Nativité avec sainte Brigitte dans l’Observance toscane
33Après les retables de Niccolò di Tommaso, correspondant à la période de la campagne de promotion pour la canonisation de Brigitte de Suède, on ne trouve que des Visions de la Nativité dans lesquelles, désormais canonisée, la sainte arbore une auréole et non plus des rayons dorés, réservés aux bienheureux dans l’attente de leur canonisation effective. Toutes postérieures à octobre 139137, date de la canonisation, ces images attestent d’une dévotion persistante vis-à-vis de la mystique suédoise, en particulier en Toscane et dans les cercles liés à l’Observance. Dans ce contexte, je présente dans un premier temps une fresque de Pietro di Miniato (fig. 22, NH 677) parce que ce peintre semble avoir travaillé en connaissant au moins l’un des retables de Niccolò di Tommaso. Ensuite, je présente un groupe de trois retables (fig. 23, fig. 24, fig. 25) liés à Pise et à Chiara Gambacorta, fondatrice du premier monastère dominicain observant et active promotrice de la dévotion à sainte Brigitte de Suède, y compris par la commande de retables.
Pietro di Miniato (Florence, Santa Maria Novella)
34Sur le revers de façade de Santa Maria Novella à Florence se trouve une petite fresque, située entre le portail central et la porte latérale droite de l’église (fig. 22, NH 677), un retable en trompe-l’œil ( «finta pala ad affresco38 ») caractéristique du goût gothique tardif incluant une Annonciation au registre principal et trois petites scènes – Nativité, Adoration des Mages et Baptême du Christ – formant une prédelle au-dessous. Cette fresque, dont les parties décoratives encore visibles suggèrent qu’il ne s’agit que du fragment d’un ensemble, a survécu parce qu’elle était cachée derrière un autel à partir du XVIe s39. Le sens de lecture des scènes de la prédelle de droite à gauche trouvait certainement son explication dans l’agencement global d’origine mais malheureusement aucun indice ne permet de formuler une hypothèse de reconstruction de cet ensemble40. L’œuvre est attribuée à Pietro di Miniato, peintre florentin actif à cheval sur la fin du Trecento et le début du Quattrocento, en particulier à Prato, pour le fameux marchand Francesco di Marco Datini41.
35Cette fresque comporte plusieurs similitudes avec le retable de Niccolò di Tommaso aujourd’hui à New Haven (fig. 21): les figures de Marie et Jésus, les anges les mains en avant notamment, peut-être l’âne et le bœuf en adoration au fond de la grotte. Cependant il ne s’agit pas d’une simple réplique, les objets aux pieds de Marie et de Jésus sont moins nombreux. On retrouve les deux langes – le petit, enroulé, de couleur blanche et le grand, au revers rouge, déroulé –; ce qui pourrait être un habit ou voile rouge occupe le sol au tout premier plan sans que l’on puisse dire s’il en couvre un autre, les chaussures en revanche ont disparu. Par ailleurs, seule Marie est entourée d’une mandorle d’or, Jésus n’étant entouré que de rayons. La suppression de sa mandorle vient sans doute d’un souci de composition. Le corps de Jésus se détache bien sur le sol gris-bleu de la grotte, il aurait été noyé dans une masse jaune-doré si le peintre avait ajouté une mandorle entre celle de Marie et le manteau de Joseph.
36Brigitte, représentée presque de face, arbore son auréole de sainte, parfaitement identique à celles de Marie et de Joseph. En position d’adoration, elle a un chapelet autour du poignet gauche et le regard tourné vers Marie. Son chapelet indique qu’elle est en prière et c’est durant cette prière qu’elle a sa vision. Rarement la dimension dévotionnelle (imago) d’une image narrative (historia) est aussi explicitement désignée qu’avec cette adjonction du chapelet au poignet de la dévote en train de pratiquer le geste de l’adoration et de recevoir une vision, récompense de sa fervente prière.
37Comme dans les retables de Niccolò di Tommaso de Philadelphie et du Vatican (pl. V, NH 584, NH 1108), Pietro di Miniato ménage à l’arrière-plan un espace pour la scène des bergers qui a la particularité d’être à la fois Annonce et Adoration. L’un des deux bergers s’est en effet agenouillé dans la position de l’hommage vassalique, avec un seul genou à terre, les mains levées et unies en prière, formant ainsi, dans le lointain, une figure symétrique de celle de Marie au premier plan. Pietro di Miniato a peut-être eu l’occasion de voir le retable de Niccolò di Tommaso, dont on peut se demander si Niccolò l’a rapporté avec lui à Florence pour quelque commanditaire toscan, et s’en serait abondamment inspiré. Afin d’avancer une datation plus précise de cette fresque, pour laquelle on n’a pour l’instant que le terminus post quem de 1391 grâce à l’auréole de la sainte, il faut tenter d’expliquer la présence de Brigitte de Suède sur les murs de Santa Maria Novella.
Le notaire, le marchand et le dominicain
38Plusieurs lettres du notaire Lapo Mazzei à son ami Francesco Datini nous éclairent. Lapo, en effet, est un lecteur attentif des Révélations de sainte Brigitte. Dès 1395, il fait l’éloge de la mystique suédoise dans une lettre adressée à Datini au moyen d’une comparaison éloquente avec saint François:
E prima ch’io ne dica mio parere, vi farò questo preambulo, nell’amore di Cristo che tanto amo e quella sua serva Brisida, ch’io leggo, che trovarete tosto tosto darà gran sole e gran lume al mondo e alla fede, ch’era come spenta; e forse molto maggiore che non fe la povertà e la ubbidienza e le stimate di san Francesco42.
Mais laissez qu’avant que je vous donne mon avis, je fasse ce préambule, dans l’amour du Christ que j’aime tant et de sa servante Brigitte, dont je lis les écrits, et dont vous verrez assez tôt qu’elle apportera grand soleil et grande lumière au monde et à la foi, qui se trouvait comme éteinte; et peut-être [une lumière] bien plus grande que n’apportent la pauvreté et l’obéissance et les stigmates de saint François.
39Entre 1399 et 1406, de plus, Giovanni Dominici, fervent promoteur de l’Observance, prêche à Santa Maria Novella où Lapo Mazzei assiste à ses prêches. Dans une lettre à Datini du début de l’année 1400, voici comment le notaire décrit les talents oratoires du dominicain: «Nous étions tous en pleurs ou bien stupéfaits face à la vérité éclantante qu’il sait faire voir à autrui, tout comme sainte Brigitte43 ». Le 15 décembre de cette même année 1400, dans une autre lettre, Mazzei revient sur la qualité des prêches de Dominici, en particulier sur la Nativité: «le bienheureux frère Giovanni Dominici prêche ici souvent et il dit des choses de cette sainte nativité de Dieu à nous sortir l’âme vivante du corps et tout le monde le suit44 » . Il y eut également un contact direct entre Datini et Dominici puisqu’on conserve des lettres entre les deux hommes45. Dans sa lettre, Lapo Mazzei rend en quelques mots à peine l’intensité des prêches de Dominici avec deux hyperboles ( «trae l’anima viva, tutto il mondo»). Pour illustrer la justesse de cette description, voici plusieurs textes de Giovanni Dominici, une lauda et des fragments d’une epistola sur la Nativité:
Dì, Maria dolce, con quanto disìo / Dis, douce Marie, avec combien de désir
miravi il tuo figliuol, Cristo mio Dio. / tu regardais ton fils, le Christ mon Dieu.
Quando tu il partoristi senza pena, / Quand tu le mis au monde sans souffrir,
la prima cosa, credo, che facesti, / la première chose, je crois, que tu fis, tu l’adorasti, o di grazia piena / tu l’adoras, ô pleine de grâce
poi sopra il fien nel presepio il ponesti; / ensuite sur le foin de la crèche tu le posas;
con pochi e pover panni lo involgesti, / avec quelques langes misérables tu l’enveloppas,
maravigliando e godendo, cred’io46 / t’émerveillant et te réjouissant, je le crois
40Dans cette lauda en hendécasyllabes, Dominici parle à la première personne ( «credo, cred’io») et s’adresse à la Vierge en décrivant ses gestes ( «miravi, partoristi, facesti, adorasti, ponesti, involgesti»). Plusieurs points sont communs aux vers du prêcheur et à la révélation brigittine. Dominici prenant soin de préciser que Marie accouche sans douleur et qu’immédiatement elle adore son Fils par exemple. Ou bien encore il décrit le plaisir qu’elle ressent face à Jésus ( «con quanto disìo, godendo»); Brigitte la décrivait presqu’en extase et enivrée (quasi in exstasi, quasi inebriata) au moment de l’accouchement puis pleine de joie et d’exultation (gaudio et leticia) ensuite.
41Les autres fragments de Giovanni Dominici sur la Nativité sont en prose, au premier chef son épître 29 (Annexe 14). Au début et à la fin du récit revient la métaphore, désormais familière, du Christ à ranimer dans les cœurs refroidis ( «l’aghiaciate menti, fuoco nel ghiaccio per riscaldare l’afreddate menti»), qui rappelle le processus similaire enclenché par la vision de Giovanni Vellita à Greccio47. Dominici, bien conscient que Jésus n’est pas en mesure d’entrer dans l’âme si ce n’est par la porte de la foi ( «altra porta non ha da entrare nell’anima se non la fede»), déploie tous les moyens rhétoriques à sa disposition pour susciter la ferveur de la foi chez ses auditeurs. Il recourt volontiers aux énumérations ( «Iesù amore, Iesù diletto, Iesù bambino, Iesù piccino; bacerai, abbraccerai, vestirai, ciberai, adorerai»). Cette deuxième énumération culmine, au moment suprême d’identification avec Marie, sur une métaphore filée de la glace et du feu ( «sopra a lui ti disfarai come cera al fuoco dello amore ignito»). Quoi que ses déclarations de modestie laissent croire ( «ch’io il faccio meglio ch’io non so dire»), le prêcheur confère à son texte une structure très claire et répétitive, qui le rend fort efficace. La pratique d’une vertu chrétienne et/ou de la pénitence permet au fidèle de se transformer successivement en chacun des éléments constitutifs de la Nativité, chaque métamorphose étant récompensée par une forme de contact avec Jésus, comme le résume le tableau ci-dessous:
Moyen | Métamorphose | Effet |
Per vera ubidienza e negamento di propria volontà/Au moyen de la véritable obéissance et de la négation de la volonté | diventi angelo/tu deviens ange | e gridi gloria/et tu t’écries gloria |
Per contemplazione di lui/au moyen de sa contemplation | diventi stella/tu deviens étoile | e chiami e’ magi erranti/ et tu appelles les mages errants |
Per somma purità/au moyen de la pureté la plus haute | sarai Maria/tu seras Marie | e sì bacerai, abbraccerai/ et comme elle tu baiseras, embrasseras |
Per somma contrizione e dolore dei difetti miei/ au moyen de la contrition la plus haute et pétri des douleurs de mes défauts | diventassi degno d’essere una di quelle fasciuole o pannicegli/si je devenais l’un de ces petits langes | dove fusse inviluppato/ dans lesquels il est enveloppé |
Per esercizio di vigilanza di vita attiva/au moyen de l’exercice de la vigilance de vie active | diventassi bue/ si je devenais bœuf | ch’io el potessi leccare/ de sorte que je le puisse lécher |
Per vera pazienza e desiderio di tribulazioni per amor di lui/au moyen de la vraie patience et du désir de souffrir par amour de lui | diventassi un asinello con la croce in le spalle/ si je devenais un petit âne portant la croix sur mon dos | per poterlo col fiato della voce in altri riscaldare/ afin de pouvoir avec le souffle de ma voix réchauffer sa présence en autrui |
Per vera cognizione di me medesimo/au moyen d’une véritable connaissance de moi-même | mi conoscessi fieno/ si je me découvrais foin | sopra el quale si riposasse el fiore de paradiso/sur lequel se reposerait la fleur du paradis |
42Au détour d’une question (Sauras-tu te retenir de te précipiter pour l’embrasser?, «O ti potrai tu tenere (che) non ti avventi ad abbracciarlo?»), placée au centre de l’énumération, Dominici bascule de la deuxième personne à la première, de l’invitation-promesse qu’il fait à son auditeur à l’expression d’un désir qui s’applique avant tout à lui-même. Il recourt au même procédé dans cet autre texte:
Se siete tali quanto potete qual fu Maria, adoratevelo, abracciatevelo, strignetevelo, baciatelo, nascondetelo, (vegalo Iosef, ma non lo tocchi), ponetelo al petto di carità pieno, solo a lui lasciate succiare il vostro amore. Tutto l’amore sia tuo, o diletto Cristo: fascerotti con gli stracci delle mie lagrimanti orazioni, per dolere de’ peccati: legherotti le manine perchè non ti vendichi, o giudice offeso di me, falso peccatore; incatenerotti di tal fascie i piedi, acciò non fugga per orrore delle miserie grandi; terrotti e non ti lascierò, d’amore scoppierò se da me ti difendi; con salmi e inni ti dirò, io ti lusingherò: convien che tu t’arrendi. Così Iesù mi morrò e teco ne verrò dove tu più t’ostendi. Deh, state intorno a questo nato e vedrete ogni via che tenere dovete48.
Si vous parvenez à vous comporter comme Marie, adorez-le, embrassez-le, étreignez-le, baisez-le, cachez-le, (que Joseph le voie, mais qu’il ne le touche pas), pressez-le contre votre poitrine pleine de charité, ne laissez sucer votre amour par personne d’autre que lui. Que tout l’amour soit tien, ô Christ bien-aimé: je t’envelopperai avec les lambeaux de mes oraisons pleines de pleurs, pour souffrir des péchés: je t’attacherai les mains afin que tu ne te venges pas, ô juge offensé par moi, mauvais pécheur; je t’enchaînerai les pieds avec des tissus de sorte que tu ne t’enfuies pas par horreur des immenses misères; je te tiendrai et ne te lâcherai pas, j’éclaterai d’amour si tu essaies de m’échapper; je te dirai des psaumes et des hymnes, je te louerai: il faut que tu te rendes. Ainsi Jésus je me mourrai et je viendrai avec toi là où tu te montres le plus. Allez, tenez-vous autour de ce nouveau-né et vous verrez le chemin que vous devez suivre.
43La première énumération, une suite d’impératifs adressée aux auditeurs, est centrée sur l’expression d’une immense affection, jalouse au point d’inciter à cacher l’objet aimé. On reconnaît un thème favori de la rigueur observante dans l’invitation à réserver l’exclusivité de son amour à Dieu, en dédaignant toute forme d’amour humain. Dans le passage à la première personne, le prêcheur annonce à Jésus, par une série de verbes au futur, comment il lui imposera son amour. Cet amour véhément doit marquer les esprits des fidèles qui se voient à nouveau interpellés en conclusion de cette déclaration au Christ49.
Giovanni Dominici, la famille Alberti et le monastère brigittin du Paradiso
44L’attention, voire la passion, de Dominici pour la fête ( «solennità») de la Nativité n’est pas son seul point en commun avec sainte Brigitte. En effet, en 1392, juste après la canonisation prononcée le 7 octobre 1391, Antonio degli Alberti, un laïc appartenant au cercle des Observants florentins, fait une donation pour transformer en monastère brigittin l’église de Santa Maria del Paradiso, située juste en dehors de la ville, «in Pian di Ripoli »50. Le moment où les Brigittines prennent possession des lieux coïncide avec la condamnation à l’exil d’Antonio degli Alberti en janvier 1401. À compter du bannissement, Giovanni Dominici se fait le défenseur du monastère brigittin du Paradiso in Pian di Ripoli, soutenu par Francesco Datini, en même temps qu’il devient le tuteur de Bartolomea degli Alberti, l’épouse d’Antonio, pour qui il rédige la Regola di governo di cura familiare51. Dans ce guide pour la conduite de sa maison et l’éducation de ses enfants, il fait à Bartolomea degli Alberti plusieurs recommandations: «La première étant d’avoir des peintures dans ta demeure de saints enfants ou bien de jeunes vierges, dans lesquelles ton fils, encore tout petit, se réjouisse de reconnaître son semblable et ainsi conquis, par des actions et des gestes plaisants aux yeux d’un enfant. Et ce que je dis pour les peintures vaut pour les sculptures52 » . Par ces paroles, Dominici se montre convaincu de la nécessité et de l’efficacité des images religieuses et, quoiqu’elles concernent la maison et non l’église, N. Debby s’appuie sur elles pour avancer l’hypothèse que le prêcheur dominicain est lié, de manière directe ou indirecte, à la commande de la fresque de Santa Maria Novella.
45Dans les différents échanges épistolaires entre Dominici, Datini et Mazzei, il ne semble pas rester de trace écrite d’une éventuelle commande, mais on sait que Pietro di Miniato a travaillé chez le marchand de Prato juste avant 140853. Dans la mesure où tous ces personnages sont liés, rien n’empêche de suggérer en effet que Pietro di Miniato a peint la fresque avec la Vision de la Nativité brigittine dans ce contexte, de sorte que l’on pourrait probablement proposer pour la fresque une datation correspondant à la présence de Dominici à Santa Maria Novella, en 1400-1405 env. Il existe en tout cas une lettre attestant que Giovanni Dominici avait déjà sollicité Francesco Datini pour l’achat d’objets liturgiques54. Enfin, s’il était à l’origine de cette commande, Giovanni Dominici ne serait pas le seul observant à se préoccuper de se procurer une image contenant sainte Brigitte. Chiara Gambacorta, prieure du premier monastère féminin observant, c’est-à-dire San Domenico de Pise, promeut avec constance le culte brigittin, y compris par des commandes artistiques dont plusieurs nous sont parvenues.
Pise, San Domenico et Chiara Gambacorta
46Chiara Gambacorta (1362-1419) est la fille de Pietro Gambacorta, seigneur de Pise de 1369 à 1392, assassiné en 1393. Pietro Gambacorta a probablement connu personnellement Brigitte de Suède dans la mesure où il effectue le même pèlerinage qu’elle en Terre Sainte en 1372, en compagnie d’Alfonso de Jaén, confesseur et rédacteur des Révélations55. Il garde en tout cas contact avec Alfonso puisqu’il fait appel à lui quelques années plus tard pour sa fille Chiara. Mariée très jeune, à douze ans, et contre son gré, elle se retrouve veuve trois ans plus tard. Son père voudrait la remarier mais elle refuse obstinément et demande à devenir religieuse. C’est alors que Pietro Gambacorta charge Alfonso de Jaén de la convaincre d’accepter un second mariage. Ce dernier semble en fait avoir plutôt encouragé Chiara dans sa vocation: il lui parle beaucoup de Brigitte de Suède et lui offre même probablement ses Révélations56. Pietro finit par accepter la vocation de sa fille. Il finance la construction d’un monastère dans sa ville de Pise, San Domenico, dont Chiara devient la première prieure57. Au sein de son monastère, qui possède des reliques de la sainte suédoise, Chiara s’emploie à promouvoir ardemment le culte de Brigitte58. A. Roberts a consacré une monographie à Chiara Gambacorta, religieuse réformatrice et commanditaire d’œuvres d’art, ainsi qu’à son monastère, où elle tente de reconstituer le patrimoine figuratif du monastère59. Il ressort que le monastère abritait un scriptorium dans lequel les moniales écrivaient et enluminaient des manuscrits, et également que l’église était particulièrement riche en images peintes et sculptées, plusieurs de ces œuvres comprenant la Vision de la Nativité selon sainte Brigitte60.
47En suffrage de l’âme de Manno degli Agli († 1400), marchand travaillant à Pise pour Francesco Datini, on célébrait à San Domenico des messes les jours de la Sainte-Madeleine, de la Sainte-Brigitte, de la Saint-Jean-Baptiste et de la Saint-Dominique: les quatre saints peints au registre principal du retable sur l’autel principal de l’église de San Domenico, daté d’avril 1404, 1405 more pisano61. Œuvre de Giovanni di Pietro di Napoli et de Martino di Bartolomeo pour la partie qui nous intéresse, aujourd’hui conservé au Musée San Matteo de Pise, il a pour sujet principal une Vierge à l’Enfant, avec à sa droite, les saints Dominique et Madeleine et à sa gauche, les saints Jean l’Évangéliste et Brigitte. Saint Jean-Baptiste et saint Étienne sont représentés dans deux médaillons au-dessus de la première rangée de saints. La prédelle, composée de cinq petits panneaux, tous conservés à Berlin, comporte cinq scènes illustrant des épisodes de la vie de sainte Brigitte: de gauche à droite, Brigitte écrivant sous la dictée d’un ange, Brigitte écrivant sous la dictée de Jésus et de Marie, la Vision de la Nativité à Bethléem (fig. 23), son Apparition en rêve à une princesse suédoise et enfin le Sauvetage miraculeux des pèlerins62. Il s’agit probablement du retable mentionné par Chiara Gambacorta en personne dans un document de 1406 où elle enregistre un don d’argent au couvent de la part de sa tante Monna Giovanna63. Si la donatrice est bien Monna Giovanna, cela explique d’autant mieux la présence de ses deux saints patrons, Jean-Baptiste et Jean l’Évangéliste.
48La Vision de la Nativité occupe le panneau central de la prédelle. Marie, au centre de l’image, vêtue de blanc, se tient agenouillée, les mains jointes en prière. Les rayons dorés réservés à Dieu le Père et à Jésus soulignent leur lien de filiation divin. Jésus, presque assis, bénit sa Mère de la main droite. Les deux grands tissus au sol sont les vêtements que Marie a quittés avant d’accoucher et leurs couleurs, un rouge et un bleu, permettent de les identifier comme tels. De chaque côté de ce noyau central qui inclut les animaux, Joseph et Brigitte de Suède se tiennent en adoration. Pour la première fois, Joseph n’est pas simplement penché en avant avec un genou fléchi, il a ici un genou à terre et tient dans sa main gauche la bougie que la lumière surnaturelle de Jésus annihile. Tout comme Marie et Joseph, la mystique est de profil et auréolée. La partie gauche du panneau est occupée par l’Annonce aux bergers. L’apparition divine planant dans le ciel et située tout en haut à droite de la composition fonctionne comme une instance légitimante pour toute la vision et la version de la Nativité qui en forme le contenu.
49En 1394-95, Martino di Bartolomeo avait déjà peint une Vision de la Nativité selon Brigitte dans une initiale enluminée d’un manuscrit lucquois64. En effet, il est possible qu’un culte de la sainte suédoise ait existé à Lucques comme il existait à Florence et à Pise puisque l’église Sant’Agostino possédait des reliques de la sainte. Dans cette composition en hauteur – elle s’inscrit dans la boucle d’un P majscule –, par opposition à la forme horizontale et allongée du panneau de prédelle, le peintre place Dieu le Père au sommet, et ses rayons dorés rejoignent ceux de son Fils. Dieu est entouré de deux anges qui jouent de la musique pour célébrer la naissance. L’Annonce aux bergers est présente mais à peine visible, le profil de l’ange et ses deux bras se détachent contre le bord de la lettre P tandis que seules les têtes des bergers dépassent derrière la grotte. Brigitte, Marie et Joseph, adoptent la même position, formant un cercle d’adorateurs autour de Jésus. Enfin, Martino di Bartolomeo place au premier plan la paire de petits souliers noirs de Marie et les deux langes roulés. Il semble, en somme, que ce peintre connaissait l’ensemble des détails de la Vision de la Nativité selon sainte Brigitte mais qu’il n’en représentait qu’une partie à chaque fois: les anges, les souliers et les langes de l’enluminure ne reviennent pas dans le panneau de prédelle tandis que les vêtements de Marie n’apparaissent que dans ce second (fig. 23). A. M. Roberts mentionne un document suggérant que Martino di Bartolomeo n’est pas le seul peintre à avoir illustré la Vision de la Nativité pour San Domenico65. Si la Nativité qui y est évoquée correspond probablement au panneau de prédelle de Martino di Bartolomeo (fig. 23), la «Natività di Gesù con santa e il Padre» (avec la sainte et Dieu le Père) pourrait bien correspondre au panneau aujourd’hui attribué à Turino Vanni (NH 669), conservé au musée San Matteo de Pise.
Un autre panneau pour San Domenico?
50Quoiqu’il ne soit à l’évidence pas de la même main, il a probablement été effectué à une date très proche de la prédelle de Martino de Bartolomeo (fig. 23) car plusieurs éléments de ressemblance sont frappants: Joseph tenant sa longue bougie à la main, la forme et l’emplacement de la crèche et des deux animaux, la position du corps de Jésus avec le genou droit replié et la main droite levée, la forme des bâtiments au second plan. La disposition des personnages principaux est la même, sainte Brigitte se tenant derrière Marie.
51La Nativité de Turino Vanni (NH 669) est, de toutes les Visions selon sainte Brigitte, la plus grande en termes de dimensions, ce qui permet un véritable déploiement de la composition. L’image est divisée en deux étages. Dans la moitié supérieure, à gauche, se trouve la ville dans le lointain, au centre Dieu le Père inscrit dans une mandorle soutenue par quatre anges, au-dessus d’un second groupe de quatre anges musiciens et, à droite, l’Annonce aux bergers. Le chœur angélique est l’occasion pour Turino Vanni de représenter également des instruments de musique: une flûte, une viole et un luth, le quatrième ange étant occupé à chanter. Les bergers lèvent leur visage et leurs mains vers l’ange annonciateur inscrit dans un cercle de feu qui se détache sur le ciel très noir de la nuit de Noël.
52Dans la moitié inférieure du tableau, deux rideaux de roche isolent Brigitte et Joseph du centre de la grotte habitée par Marie, Jésus, l’âne et le bœuf. À la différence des précédentes Visions de la Nativité, ici Dieu le Père émet des rayons d’or vers Marie et Jésus eux-mêmes entourés de rayons dorés mais également vers Brigitte et Joseph. La paire de chausses noires et le lange blanc roulé aux pieds des protagonistes suggèrent que le peintre a peut-être certaines des Nativités brigittines antérieures, mais l’objet le plus étonnant est sans nul doute le manteau de la Vierge, placé au tout premier plan, gonflé d’air, comme s’il était encore habité par le corps de Marie qui vient de le quitter.
53D’après A. Roberts, ce panneau a probablement pour commanditaire Chiara Gambacorta66. Il est probable effectivement qu’il n’a jamais quitté Pise et qu’il a conflué, comme plusieurs autres œuvres, de San Domenico au Musée. On pourrait donc proposer l’année où Chiara devient prieure de San Domenico et où commencent les commandes artistiques pour le monastère, 1395, comme terminus post quem67. Il serait même probable que la prieure ait pris une part active dans la détermination de l’iconographie de la scène68. Par ce retable, destiné à la partie de l’église de San Domenico ouverte aux laïcs, Chiara revendiquerait la capacité de la sainte suédoise à recevoir des visions et instruire les fidèles grâce à elles. Quant au terminus ante quem du panneau de Turino Vanni, A. Roberts propose 140469. Un concours de circonstances lié au premier jubilé du monastère (1382-1432) ouvre peut-être une autre piste.
54En 1432, le corps de Chiara Gambacorta († 1419) est exhumé et ses restes transférés dans une urne afin de permettre le culte de ses reliques. À cette occasion, les moniales de San Domenico font construire, autour de la tombe de Chiara, une niche puis la font décorer à fresque par Turino Vanni l’année suivante, en 143370. Par ailleurs, les poinçons des auréoles de la Vision de la Nativité de Turino Vanni sont les mêmes que ceux de la Présentation au Temple d’Alvaro Pirez datant de 1430 env. et conservée au Metropolitan Museum of Art de New York71. Alvaro Pirez, né au Portugal (Evora), a travaillé, durant le premier tiers du Quattrocento, entre Prato, Volterra et Pise. Un retable signé de lui est conservé, encore aujourd’hui, à Pise dans l’église de Santa Croce in Fossabanda72. Les deux peintres ont donc peut-être partagé des outils au sein d’un même atelier à Pise. Il faut ainsi se demander si la Vision de la Nativité de Turino Vanni ne serait pas une commande de la même période que les fresques, c’est-à-dire 1432-33, non pas de Chiara Gambacorta en personne mais de la communauté des moniales voulant lui rendre hommage.
Le panneau tronqué
55Un autre panneau (fig. 24) me semble devoir être mis en lien avec la Vision de la Nativité de Turino Vanni. Ce fragment de panneau qui a été découpé et tronqué, est recensé par F. Bisogni et G. Kaftal en 1978, indiquant que ni son auteur ni son emplacement actuel ne sont connus73. Ils proposent un auteur bolonais pour ce panneau, s’inscrivant ainsi dans la lignée de R. Longhi et de F. Zeri qui l’attribuaient à Vitale da Bologna, avec une datation entre 1330 et 1361, date de mort du peintre. Cette datation paraît doublement improbable, d’une part parce que Brigitte ne reçoit sa vision qu’en 1372, et d’autre part parce qu’elle est ici auréolée, donc canonisée, ce qui situerait d’emblée la composition après 1391.
56On retrouve dans ce panneau le manteau à l’encolure si caractéristique de Turino Vanni, encore gonflée par la présence du corps marial qui vient de le quitter. Le retour d’un motif aussi singulier encourage à supposer un lien entre les deux œuvres: s’agirait-il du même peintre? Ou bien peut-être plutôt d’un autre qui aurait vu la Vision de la Nativité de Turino Vanni et qui lui aurait emprunté ce motif? Ou encore l’inverse, Turino Vanni aurait vu ce retable aujourd’hui tronqué, apprécié le motif du manteau et décidé de le reprendre en lui attribuant une place plus grande au tout premier plan de sa propre Vision? Le fait que les deux partagent ce détail si singulier me conduit à proposer d’étendre au panneau tronqué le même terminus ante quem au début des années 1430 que pour celui de Turino Vanni.
57Une observation détaillée de ce panneau, et sa comparaison avec la prédelle de Martino di Bartolomeo ainsi que le retable de Turino Vanni conduisent à écarter, par ailleurs, l’hypothèse que l’un de ces deux derniers peintres puisse être l’auteur du panneau tronqué. Les traits des visages des hommes comme des animaux ne correspondent pas d’un panneau à l’autre. Le peintre n’a pas utilisé de poinçon pour travailler les auréoles, un détail qui, s’il avait été présent, aurait pu permettre de circonscrire une aire géographique et chronologique de production. Au contraire, le peintre a simplement rayé le disque des auréoles de nombreuses stries. Cela signifie-t-il que le peintre ne possédait pas de poinçon ou bien qu’il a peint ce retable loin de son atelier d’origine, durant un déplacement? Plusieurs autres questions se posent: qu’est-ce qui occupait la partie tronquée du retable? La frondaison de l’arbre dont le tronc semble représenté au centre de l’image, un autre berger tourné vers un ange annonciateur, Dieu le Père? S’agit-il du fragment d’un polyptyque? Serait-ce alors le panneau principal ou un panneau latéral? L’absence d’informations concernant les dimensions de ce fragment rend encore plus difficile de déterminer sa place dans un ensemble original plus complexe. La proximité d’ensemble entre cette composition et celles de Martino di Bartolomeo (fig. 23) et de Turino Vanni (NH 669), et le retour de détails comme le manteau gonflé et la position caractéristique des jambes de l’Enfant Jésus – la droite légèrement repliée – conduisent à supposer prudemment que ce panneau était lié à l’origine à Pise et au milieu de Chiara Gambacorta.
Le panneau ombrien
58La photothèque Federico Zeri compte encore une autre Vision de la Nativité (fig. 25). Il s’agit d’un petit panneau divisé en deux registres, très probablement destiné à la dévotion privée. Dans le registre supérieur, la Vision de sainte Brigitte à Bethléem, dans le registre inférieur, une Pietà avec un frère et un évêque. F. Zeri l’attribue au Maestro della Dormitio di Terni, un peintre actif durant le dernier tiers du Trecento et la première décennie du Quattrocento, principalement à Spoleto et dans l’Ombrie méridionale74.
59Brigitte auréolée – le terminus post quem est ainsi fixé à 1391, après sa canonisation – se tient sur la gauche et croise les mains sur la poitrine. Le mouvement même de ses doigts, très délicat, est représentatif du niveau de raffinement de l’ensemble du panneau, en particulier comparé aux images pisanes. Les corps sont nettement plus souples, ceux de Brigitte et Marie tout spécialement, les regards plus intenses, depuis celui que l’âne lance au bœuf jusqu’au regard vif de Jésus dirigé vers sa Mère, accompagné d’un sourire et du geste de bénédiction. La robe à motifs et les cheveux tressés de Marie s’éloignent résolument du texte de la révélation brigittine, tous les objets y renvoient en revanche très clairement: de droite à gauche, deux langes de taille différente à moitié enroulés, deux vêtements brodés, et les chaussures de Marie, qui sont ici deux bottines hautes, croisées l’une sur l’autre. Le traitement de la lumière surnaturelle est sobre, seuls quelques rayons descendent depuis Dieu le Père et traversent la colombe du Saint Esprit jusqu’à l’Enfant. Quatre anges occupent le ciel de la grotte en jouant tandis que l’Annonce aux bergers se déroule au-dessus de la grotte, contre le bord gauche du panneau75.
60Dans le registre inférieur se tiennent deux saints recueillis autour d’une Pietà. Celui de gauche pourrait avoir été ermite – il est tonsuré – et avoir appartenu au clergé régulier, avant de devenir évêque puisqu’il tient une crosse à la main, comme saint Martin par exemple. Celui de droite à l’inverse appartiendrait au clergé séculier, serait lui aussi évêque puisqu’il tient une crosse et est coiffé d’une mitre. De plus, il pourrait s’agir d’un martyr dans la mesure où il tient une pierre dans la main gauche et que ses mains comme son front sont marqués de poinçons. Il ne peut s’agir de figures de commanditaires dans la mesure où les deux hommes sont canonisés – ils portent tous deux une auréole – et qu’ils sont placés dans un rapport d’isocéphalie avec la Vierge, ce qui leur confère un statut hiérarchique élevé76. Étant donné le terminus post quem de la canonisation et les dates d’activité du Maestro della Dormitio di Terni, il faut situer ce panneau entre 1391 et 1410 env. E. Skaug présente des modèles similaires mais jamais identiques aux poinçons employés dans ce panneau77. Les noms qui reviennent le plus souvent à côté des modèles de poinçons les plus proches de ceux de ce panneau sont Bartolomeo Bulgarini, Niccolò di Ser Sozzo et Niccolò di Tommaso, tous actifs entre Sienne et Florence autour de 1375. Par ailleurs, l’auréole de Jésus est différente, elle présente un poinçon simple marqué en creux par un seul point en son centre, comme les exécute Turino Vanni, ce qui confirmerait la datation 1390-1410 proposée pour ce panneau.
61Enfin, un fragment de fresque particulièrement abîmé d’un anonyme ombrien (daté 1370-90), conservé aujourd’hui à la Galleria Nazionale dell’Umbria me semblerait pouvoir être une autre Vision de la Nativité selon sainte Brigitte. La fresque vient du monastère féminin cistercien de Santa Giuliana de Pérouse, fondé au Duecento78. On y distingue la figure agenouillée de Marie sur la gauche. Jésus au sol et Joseph sur la droite sont largement effacés mais on les devine encore. Il en va de même pour le chœur des anges au-dessus d’eux, au milieu desquels se tient Dieu le Père. Le chœur des anges en particulier rappelle celui de Niccolò di Tommaso (fig. 21) dans le panneau de New Haven. La crèche, montée sur des petits pieds en bois est encore visible, les animaux pratiquement plus. La fresque est trop amputée des deux côtés pour que l’on puisse formuler une hypothèse sur l’emplacement de Brigitte, à gauche ou à droite, et sur son statut, béatifiée ou canonisée. On distingue encore bien un lange roulé devant Marie et la masse foncée de l’un de ses habits à ses pieds, deux indices qui caractérisent les Visions de la Nativité brigittines. Ajouté au panneau du Maestro della Dormitio di Terni (fig. 25), ce serait là le deuxième témoin d’une dévotion ombrienne envers Brigitte de Suède79. Sur une période d’un demi-siècle environ (1373-1433), on dénombrerait ainsi une dizaine de Visions de la Nativité, témoins dans un premier temps de l’engagement de ses proches dans son procès de canonisation, puis du succès de cette entreprise et de la dévotion fervente que lui vouent les adeptes, laïcs et religieux, du mouvement de l’Observance:
Tab. 6 – Série des Nativités brigittines en Italie.
Date | Peintre | Lieu de conservation |
1373-75 | Niccolò di Tommaso | Vatican, Pinacothèque NH 1108 |
1373-75 | Niccolò di Tommaso | Philadelphie, Museum of Art Pl. V, NH 584 |
1373-75 | Niccolò di Tommaso | New Haven, Yale University Art Gallery fig. 21 |
années 1370- 1390 (?) | Anonyme ombrien | Pérouse, Galleria Nazionale dell’Umbria |
1394-95 env. | Martino di Bartolomeo | Lucques, Opera del Duomo, enluminure |
1400-1405 | Pietro di Miniato | Florence, Santa Maria Novella fig. 22 NH 677 |
1395-1433 | Turino Vanni | Pise, Museo San Matteo NH 669 |
1404 | Martino di Bartolomeo | Berlin, Gemäldegalerie fig. 23 |
1395-1433 | Anonyme pisan? | Empl. inc. fig. 24 |
1391-1410 | Maestro della Dormitio di Terni | Empl. inc. fig. 25 |
62Avec sa révélation, Brigitte de Suède apporte une version du récit de la Nativité où l’effusion de sentiments, si prégnante dans un texte tel que les Méditations de la vie du Christ, par exemple80, cède la place à la représentation du lien Mère-Fils dans sa dimension la plus spirituelle. L’ensemble particulier que constituent les Visions de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède présente des caractéristiques tout à fait singulières: Jésus et Marie n’entrent plus en contact physiquement l’un avec l’autre, le rapport de dévotion prime désormais dans leur figuration. À propos de la figuration du meurtre d’Abel par Caïn, M. Schapiro avait pointé avec justesse que
quand la Genèse nous dit que Caïn tua Abel, on ne peut guère illustrer l’histoire sans montrer comment le meurtre fut perpétré. Or, le texte ne mentionne pas l’arme, et les artistes en furent réduits à inventer le modus operandi81.
63Le passage du texte à l’image est au moins aussi complexe dans le cas de la Nativité selon sainte Brigitte. Le texte mentionne bien le modus pariendi de Marie mais ce qu’il dit défie la pudeur et ne peut être représenté: Brigitte voit en effet le corps nu de Marie à travers sa tunique transparente, le ventre de Marie se rétracte instantanément après l’accouchement. Les peintres se trouvent de fait assignés à doter le modus pariendi d’un motif figuratif, sans passer par le corps de Marie. Les objets sont alors chargés de véhiculer ce message. L’une des caractéristiques des Visions de la Nativité réside dans la présence des vêtements et des chaussures de Marie ainsi que des langes, en lin et en laine, pour l’Enfant, qui jonchent le sol entre et/ou autour du couple Mère-Fils. Tandis qu’ils sont fixés dans leurs mandorles, offerts pour l’éternité à la dévotion des fidèles, leur part charnelle et temporelle se trouve déléguée à leurs enveloppes textiles. L’autre caractéristique qui distingue la Vision de la Nativité est l’inclusion de la silhouette de sainte Brigitte de Suède. Représentée dans les bords de l’image en adoration, elle a un rapport très différent à la vision de celui que pouvait avoir François d’Assise dans la célébration du Noël à Greccio. La mise en scène personnalisée de François à Greccio donne lieu à la création d’une scène picturale nouvelle et pose la question de son intégration dans une liturgie dont l’Église revendique la gestion exclusive: les rapports institutionnels entre les mendiants et la hiérarchie ecclésiale sont en jeu dans toutes les images de Noël à Greccio (chapitre 1).
64Parce qu’elle demeure extérieure à ce qu’elle voit avec les yeux de la foi, sans interférer directement, Brigitte peut conférer à sa vision le statut d’un témoignage objectif et authentique, et trouver ainsi sa place dans la Nativité même, quoique cantonnée aux espaces marginaux de la composition. Son intervention ne concerne pas la remémoration liturgique de la scène mais son déroulement effectif, où l’intégration de nouveaux objets sert à mettre en évidence la nature de bout en bout miraculeuse de l’événement. On trouve là un fonctionnement des images du Trecento proche du tableau de la Nativité suscité dans l’imaginaire du dévot par les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola où
le sujet, spectateur interne, est présent dans la scène de la Nativité, mais comme petit esclave sans rôle effectif dans le drame sacré. […] La jouissance du petit spectateur de la souffrance familiale évoque l’étonnement heureux de Paul commentant la révélation de Damas: «En tout dernier lieu, Il m’est apparu à moi, l’avorton.» (I Cor. 15, 8) Mais dans l’exercice, moi, l’avorton, je fais apparaître Dieu, lui-même tout petit. Le choix de la position interne et marginale du sujet dans le tableau s’appuie sur la tradition, ancienne en christianisme, qui représente le dévot en esclave ou servante du Christ (servus, ancilla) […] Comment produire cette entrée dans le tableau, élective et heureuse? Par un travail systématique de l’imagination, dont Ignace donne le protocole minutieux.82
65Les Nativités avec et selon sainte Brigitte de Suède, réalisées au tournant des Trecento et Quattrocento, semblent bien documenter les progrès accomplis dans la transcription visuelle des pratiques relevant de la devotio moderna. Travaillant sur les effets de cadre et de seuils83, les peintres plaçant sainte Brigitte en bordure de l’image désignent par là-même le centre de la composition comme une image au second degré, fruit des révélations reçues par la mystique. Il s’agit, au sens propre, d’une citation visuelle de sainte Brigitte ou, pour le dire autrement, le contenu au centre de l’image est signé en bas et en marge de la composition, par son auteure, ici entendue comme auteure du contenu spirituel et non pas comme la main du peintre auteure de sa réalisation matérielle.
66La place et la fonction de l’adoration, à l’extérieur comme à l’intérieur de la grotte se voient ainsi nouvellement justifiées et renforcées: à l’extérieur parce que le geste d’adoration opéré par sainte Brigitte est renforcé par les attributs du bâton de pèlerine et surtout par le rosaire qu’elle tient en main soulignant la survenue de sa vision durant sa prière, à l’intérieur parce que l’adoration opérée par Marie est elle-même signe de rapt mystique durant lequel la théophanie advient de façon miraculeuse. Ce degré de personnalisation de la Nativité demeure exceptionnel, néanmoins il témoigne de la tendance générale de la scène à devenir une Adoration. Sans recourir à l’élément figuratif exogène qu’est la sainte dans l’image, ce sont avant tout les bergers qui, de protagonistes d’une scène secondaire narrative, l’Annonce, sont désormais représentés par les peintres en adorateurs. Le chapitre suivant (chapitre 4) propose de retracer l’histoire de ce changement, d’en repérer d’abord les premières occurrences, puis d’en dessiner, autant que possible, une géographie, et d’expliquer enfin la prédilection pour le placement de cette figure archétypale du pauvre qu’est le berger, au premier plan en position de dévot idéal.
Notes de bas de page
1 Il existe de nombreuses biographies de sainte Brigitte de Suède: Cecchetti 1961, p. 439-530; Morris 1999; Almazán 2000. Deux colloques organisés à Saint-Jacques-de-Compostelle, où la sainte effectue un pèlerinage au début des années 1340, ont préparé (en 2000) puis célébré (en 2003), le septième centenaire de sa naissance. Ce regain d’intérêt s’explique également par la floraison des women studies qui, pour ce qui concerne le Moyen Âge, ont fait la part belle aux mystiques, dont Brigitte est une illustre représentante. L’intérêt qu’elle suscite se justifie par la richesse de sa personnalité, à la fois pèlerine, femme politique, mystique et écrivaine.
2 Les Révélations de sainte Brigitte se divisent en 9 livres. L’édition critique du texte latin des Révélations a été publiée à Stockholm entre 1956 et 2002: Brigitte de Suède Extrav. 1956; Brigitte de Suède I 1978; Brigitte de Suède II 2001; Brigitte de Suède III 1998; Brigitte de Suède IV 1992; Brigitte de Suède V 1971; Brigitte de Suède VI 1991; Brigitte de Suède VII 1967; Brigitte de Suède VIII 2002.
3 Son séjour prolongé dans un monastère masculin ne va pas sans heurts, Puma 2010, p. 335-336, et la n. 19.
4 Elle ne revient plus dans sa terre natale, fait de Rome sa nouvelle patrie, et rayonne à partir de la ville éternelle pour effectuer divers pèlerinages dans toute la péninsule. En 1999, Jean-Paul II l’a d’ailleurs élevée au rang de sainte patronne de l’Europe. À Rome, elle a longtemps été l’hôte de Francesca Papazzurri, une riche romaine qui vivait sur l’actuelle Place Farnèse. La demeure où Brigitte s’est éteinte a été transformée en chapelle, encore visible aujourd’hui sur la place; De Angelis 1991.
5 Dès 1377, Alfonso de Jaén – le dernier des quatre confesseurs-secrétaires qui ont assisté Brigitte de Suède – a terminé l’édition d’une version des Révélations que Catherine – fille de Brigitte et future sainte Catherine de Suède – remet au pape Grégoire XI; le processus de canonisation est entamé; Brigitte de Suède I 1978, p. 13. Sur la collaboration entre la sainte et son confesseur, Puma 2010; sur les collaborations femmes-hommes de ce type plus largement, Coakley 2006.
6 L’expression est de P. Boucheron que je remercie pour la précision de sa lecture et la richesse de ses suggestions critiques qui ont guidé les réélaborations successives de ce texte.
7 Les différents volumes successifs rassemblent les Révélations dans l’ordre chronologique.
8 Sur l’accouchement au Moyen Âge, Alexandre Bidon – Closson 1985, p. 53-62, mais aussi Laurent 1989, L’Estrange 2010, Salvat 1980, Weiss Rouanet 1995.
9 L’accouchement à genoux est une position parmi d’autres (assise, accroupie, allongée, à quatre pattes, etc.) encore pratiquée aujourd’hui, mais elle n’est pas retenue ici pour ce qu’elle a de plausible ou de vraisemblable dans un accouchement qui suppose un travail, la gestion de la douleur et une expulsion. Elle ne vaut, dans le texte de Brigitte, que comme position de prière; Frydman – Szejer 2010.
10 Brigitte de Suède et/ou son secrétaire, semblent avoir en particulier puisé à la version de la Nativité du Liber de Infantia Salvatoris, la version la plus tardive et la plus populaire des récits apocryphes en Italie. On trouve dans le Liber de Infantia Salvatoris (Annexe 7) la première mention de Marie priant – mais pas spécifiquement à genoux – au moment de l’accouchement de même que l’insistance sur la propreté de l’Enfant. Sur les possibles sources de la vision de la sainte, Halborg 1993.
11 Sur l’enjeu de la virginité, Boureau 1990. Pour resituer la qualité singulière de cette nativité dans une perspective historique longue sur les récits légendaires de naissances extraordinaires, Aubert 2004; Boardman 2004; Drewermann 1992.
12 Autant que dans les Méditations de la vie du Christ (premier tiers du XIVe siècle) mais dans un ordre différent: 1) les animaux, 2) Marie, 3) Joseph, 4) les anges, 5) les bergers, 6) les mages. Sur l’adoration dans les Méditations, spécifiquement dans l’épisode de la Nativité, je me permets de renvoyer à Puma à paraître, où je les mets en perspective avec les apports brigittins.
13 Cornell 1924, p. 15-16.
14 Acta et processus 1924-1931, p. 233.
15 Antal 1960, p. 286.
16 Aili – Svanberg 2003.
17 Aili – Svanberg 2003, p. 93-101. Pour une étude à l’échelle européenne, du XIVe au XVIIe siècle, des représentations du Nouveau Testament (Passion, Annonciation et Nativité) en lien avec les Révélations, Franco 2005.
18 Creutzburg 2011; également Skaug 2001, avec des apports décisifs.
19 Wolf 2017.
20 D’après E. Skaug, il se pourrait même que le peintre et la mystique se soient rencontrés à la cour napolitaine. Cette rencontre, aussi séduisante puisse-t-elle paraître, n’est pas indispensable pour que Niccolò di Tommaso soit mis en contact avec le récit de la révélation, Skaug 2001, p. 202; Skaug 2004; Creutzburg 2011 formule la même hypothèse.
21 Pour une chronologie détaillée des activités de Niccolò di Tommaso, Skaug 2001, p. 202.
22 Ibid., p. 209, n. 35.
23 Lettre du 15 janvier 1378 à l’archevêque d’Uppsala, citée en suédois dans Svanberg 1997, p. 133; Skaug 2001, p. 202 pour sa traduction anglaise.
24 Aili – Svanberg 2003, p. 96. «Alfonso […] provided lavishly illuminated editions to influential subscribers such as the German Emperor, the King of France, and the Queens of Spain, Sicily and Cyprus – the latter two had known Bridget personally during her lifetime. Four of these editions are preserved, in Warsaw, New York, Palermo, and Turin.», Skaug 2001, p. 208-209, n. 34, également p. 202. Sur ces manuscrits enluminés, Nordenfalk 1961; Aili – Svanberg 2003, p. 15-87.
25 Niccolò di Tommaso, Triptyque de la Vierge à l’Enfant avec Nativité (volet g.) et Crucifixion (volet d.), 1360 env., détrempe et or sur bois, Paris, Galerie Sarti, Annexes 16 et 17, TP 38.
26 «La culture chrétienne et les sociétés médiévales connaissent de nombreux usages symboliques du soulier et il est courant, par exemple, de se déchausser en signe d’humilité, comme le fit Moïse devant le Buisson Ardent.», Schmitt 2002, p. 240.
27 Didi Huberman 2007; sur les usages médiévaux de la couleur plus généralement, Castelnuovo et al. 1996-2001; Pastoureau 1986.
28 Niccolò di Tommaso, Triptyque de la Vision de la Nativité selon sainte Brigitte de Suède, 1373-75, Philadelphie, Museum of Art, Annexes 16 et 17, TP 46.
29 Niccolò di Tommaso, Saint Antoine abbé et quatre saints, signé et daté 1371, Naples, Museo Nazionale di Capodimonte, reproduit dans Skaug 2001, p. 196.
30 Ces fresques sont reproduites et commentées dans Aili – Svanberg 2003, I, p. 90-91 du volume de texte et p. 98-103 du volume d’images.
31 Niccolò Orsini et Brigitte de Suède se sont connus plusieurs années avant la mort de cette dernière puisque, d’après la déposition de Niccolò Orsini au procès de canonisation, il lui a servi d’interprète lors d’une rencontre avec le pape Urbain V († 1370), Acta et processus 1924-31, p. 232-233. Les contacts se poursuivent entre eux et Brigitte conserve sa confiance au comte de Nola puisqu’entre 1371 et 1372 ce dernier remet au pape Grégoire XI, successeur d’Urbain V, une lettre de Brigitte où cette dernière prie le pape de quitter Avignon et de rentrer à Rome, Acta et processus 1924-31, p. 320; Jönsson 1989, p. 49-50. C. Strehlke suggère lui aussi que Niccolò Orsini était le propriétaire du triptyque, Strehlke 2004, p. 345.
32 Une reproduction de son état avant nettoyage dans Aili – Svanberg 2003, I, p. 100.
33 Svanberg affirme que, dans le panneau de Philadelphie, Brigitte paraît plus âgée que dans celui du Vatican, une distinction qui ne me paraît pas évidente. De cette observation, il déduit que le panneau du Vatican a été peint le premier et celui de Philadephie ensuite, suivi enfin par celui de New Haven, en s’appuyant sur un argument qui n’en est pas un: «As to the chronological order of the three paintings, it appears more likely that the artist started by depicting Birgitta in an idealised fashion […] and only later developed the realism and accuracy», Aili – Svanberg 2003, I, p. 99.
34 Il existe deux catalogues de poinçons, Frinta 1998 et Skaug 1994, qui permettent d’effectuer ce type de repérage.
35 Skaug 2001, p. 197 sq, où l’on trouve également des précisions sur les méthodes de décoration de substitution auxquelles Niccolò recourt en l’absence de ses poinçons.
36 La seule hypothèse – forcément fragile puisqu’elle s’appuie elle-même sur d’autres hypothèses – que l’on puisse formuler quant à la chronologie des trois retables de Niccolò situerait le retable de Philadelphie (pl. V, NH 584) avant celui du Vatican (NH 1108), sans que l’on puisse se prononcer sur celui de New Haven (fig. 21). En effet, si l’on accepte l’hypothèse que le retable de Philadelphie est celui de Sant’Antonio à Naples, il remonterait au séjour napolitain de Niccolò. Si l’on se fie à E. Skaug qui suppose pour Niccolò di Tommaso une étape romaine sur le chemin du retour entre Naples et Florence, le retable du Vatican pourrait avoir été peint à Rome. Mais tout ceci ne tient pas compte du fait que les retables étaient couramment produits dans une ville puis acheminés dans une autre, donc il se pourrait très bien qu’un retable pour un commanditaire romain ait été fabriqué à Naples.
37 Boniface IX proclame sa canonisation dans la bulle du 7 octobre 1391.
38 Neri-Lusanna 1985, p. 302.
39 Baldini 1981.
40 Verdon 2003, p. 95.
41 «Per tutti gli incarichi commissionatigli dal Datini e dai suoi esecutori testamentari si veda Guasti 1871, Appendice, pp. 422-428», Neri Lusanna 1985, p. 313, n. 8, et «A ribadire la sua consuetudine col Datini va ricordato che proprio Pietro di Miniato fu chiamato con Arrigo di Niccolò a fornire uno schizzo delle fattezze del mercante perché questo servisse da modello allo scultore della lastra tombale del sacello del mercante (Piattoli 1929-1930, p. 118).», Ibid., n. 9. Également Verdon 2003, p. 95; Debby 2004, p. 513; Cavaciocchi 2010 sur Datini et les peintres plus généralement.
42 Lettre du 13 novembre 1395, Lapo Mazzei 1880, p. 118; les lettres sont rassemblées aux p. 117-122. Je traduis.
43 Je traduis l’original: «Tutti o piagnavamo o stavamo stupefatti alla chiara verità che mostra altrui, come fa santa Brisida.», Lapo Mazzei 1880, p. 227-228. «Il Mazzei […] di fronte alle infiammate prediche di Giovanni Dominici, esce con una espressione che testimonia nello stesso tempo l’apprezzamento delle proposizioni del domenicano e l’assunzione della ‘visionaria’ svedese a criterio di misura.», Rusconi 1979, p. 115.
44 Je traduis l’original: «Qua predica spesso il beato fra Giovanni Dominici e dice cose di questa santa natività di Dio che ci trae l’anima viva dal corpo e tutto il mondo gli va dietro.», Lapo Mazzei 1880, p. 316.
45 De Dominici à Datini dans Rusconi 1979, p. 109; de Datini à Dominici dans Francesco Datini 1934.
46 Cité dans Debby 2004, p. 521. Je traduis. N. B. Debby a abondamment écrit sur Giovanni Dominici et sur la prédication florentine du Quattrocento: Debby 2001; Debby 2002; Debby 2007.
47 La Vita de Thomas de Celano, § 86 (Annexe 10).
48 Epistola 29, paragraphes 83-84, citée dans Giovanni Dominici 1970, p. 41-42, je souligne. Je traduis.
49 Dans un autre fragment, Dominici s’adresse aux «attive converse», c’est-à-dire aux laïques qui consacraient leur vie à l’Église, et formule un prêche de même nature: «Voi altre, attive religiose, state come il bue e l’asino, animali di molta fatica, di poca spesa e molta utilità, di fatica molta e pazienza assai, di niuna malizia e grande semplicità; e tali e non altrimenti debbono essere l’attive converse e altre operatrici nell’operare. Or vi odorate questo dolce fiore tra voi nato, leccatelo, giucatevi con esso, fategli versi de’ vostri dolci canti; sì fatti mugghi e ragghi gli sono molto cari, dati per amore.», Epistola 29, paragraphe 83, citée dans Giovanni Dominici 1970, p. 42. Je traduis: «Vous autres, religieuses actives, tenez-vous comme le bœuf et l’âne, animaux qui travaillent beaucoup, dépensent peu et sont très utiles, qui travaillent énormément et ont une grande patience, aucune malice et une grande simplicité; et c’est ainsi et pas autrement que se doivent d’être les actives converses et les autres ouvrières lorsqu’elles oeuvrent. Sentez cette douce fleur qui est née parmi vous, léchez-la, jouez avec elle, récitez-lui vos doux chants; des mugissements et des braiements de cette sorte lui sont très chers, parce qu’ils sont donnés par amour». Pour un catalogue de la production du prêcheur, Giovanni Dominici 2008.
50 Il s’agit des bâtiments et du jardin qui servaient de cadre au Paradiso degli Alberti, récit que Giovanni Gherardi da Prato écrit entre 1425 et 1426 mais qu’il situe en 1389, trois ans à peine donc avant la reconversion des lieux en monastère, Giovanni Da Prato 1975; également son commentaire dans Marietti 1994. Sur la transformation du lieu en couvent brigittin: «Dove la via Chiantigiana s’incontra con via del Paradiso sorge la chiesa dei Santi Salvatore e Brigida al Paradiso, dal nome di un’antica villa degli Alberti, accanto alla quale nacque il convento di monaci e monache dell’ordine di Santa Brigida. Fondato da Antonio Alberti nel 1390 [sic, 1392], il convento fu spesso al centro di polemiche a causa della convivenza dei due sessi all’interno dello stesso edificio. […] Attualmente rimangono parte dell’antica chiesa e un piccolo chiostro con resti d’affreschi del primo Quattrocento, attribuiti ad Ambrogio di Baldese e a Nicolò di Pietro Gerini. In via del Paradiso si trova la cappella di Santa Brigida al Paradiso degli Alberti, interamente affrescata nel Trecento.», A. Bernacchioni, dans Paolucci 1999, p. 241-242; également Gregori – Rocchi 1985; Debby 2004, p. 516 sq.
51 Francesco Datini 1934, p. 102, n. 10 et 11. En lien avec ce monastère, je signale par ailleurs l’existence d’un triptyque signé Neri di Bicci et daté de 1462, à propos duquel le peintre note dans ses fameuses Ricordanze, qu’il l’exécute «per una monaca del Paradiso» . Ce retable n’entre pas dans le décompte des Visions de la Nativité cependant car la Nativité n’y est pas traitée en lien avec le texte de la révélation, et Brigitte pas incluse dans la scène, mais la sainte se trouve bien en revanche dans le panneau principal (la Vierge donnant sa ceinture à saint Thomas), Freuler 1991, p. 247-249.
52 Je traduis l’original: «La prima si è d’avere dipinture in casa di santi fanciulli o vergini giovinette, nelle quali il tuo figliuolo, ancor nelle fascie, si diletti come simile e dal simile rapito, con atti e segni grati alla infanzia. E come dico di pinture così dico di scolture» ., Giovanni Dominici 1927, p. 101; sur les femmes, l’art et la religion, Schmitt 2004.
53 Neri Lusanna 1985, p. 301.
54 Dans une lettre du 18 juillet 1401, il lui demande de financer l’achat d’un calice pour le monastère du Corpus Christi à Venise, Giovanni Dominici 1969, p. 195-196.
55 Roberts 2008, p. 90.
56 Zucchelli 1914, p. 373.
57 Duval 2009; Duval 2010; Duval 2015.
58 Document d’archive cité par Roberts 2008, p. 335, Appendix 6. Il s’agit du recensement des reliques effectué en 1557, conservé à Pise, Archivio di Stato, Carteggio Centofanti, n. 36. D’après Kieckhefer 1984, p. 45-46, Chiara faisait tenir des prêches sur sainte Brigitte par des collègues masculins autorisés à prendre la parole en public.
59 Roberts 2008. L. Pisani a effectué un très riche compte-rendu de cette monographie dans Predella, la revue en ligne du Département d’Histoire de l’Art de l’Université de Pise: http://predella.arte.unipi.it/predella24/.
60 Roberts 2008, p. 242 sq. «Considerando come, trattandosi di un monastero femminile, all’interno della struttura non fossero permesse né sepolture di laici né cappelle gentilizie, o ancora come le monache non avvertissero il bisogno di un numero elevato di altari, non avendo, a differenza di molti frati, l’obbligo di officiare, colpisce ancora di più la quantità di opere d’arte realizzate per l’edificio pisano.», Pisani 2008, Ibid. Sur le rôle des femmes au couvent dans la production artistique, Hamburger 2000; Thomas 2003 et comme créatrices au sens large, Matter – Coakley 1994.
61 Zucchelli 1914, p. 243. Datini était régulièrement sollicité par Chiara Gambacorta, durant les années 1390 et 1400, pour des prêts ou des dons en faveur de son monastère, Chiara Gambacorta 1870, p. 7-8, 10-15.
62 D’après M. Boskovits, la figure centrale de la Vierge et les deux saints à sa droite sont de la main de Pietro di Giovanni tandis que les deux saints à sa gauche dont Brigitte et la prédelle sont de la main de Martino di Bartolomeo, Boskovits 1988, p. 106.
63 Zucchelli 1914, p. 197-198.
64 Martino di Bartolomeo, Vision de la Nativité selon sainte Brigitte, 1394-95, Lucques, Museo dell’Opera del Duomo, ms. choral n. 7, f. 46, reproduction dans A. Labriola, dans Filieri 1998, p. 211.
65 «Quadri ricevuti dal Cappellano Soldaini, dalla casa di Ritiro di S. Domenico: […] Un quadro in Tavola rappresenta la Natività di Gesu, con altra santa, e in gloria il Padre Eterno del 1300, della scolo [sic, scola] di Giotto. […] Un gradino d’altare, che fu poi ridotti [sic, ridotto] in tre quadretti, rappresentante due Fatti di Sta Brigida ed uno la nascita di Gesu, l’autore del 1300», Roberts 2008, p. 311.
66 Ibid., p. 91-94.
67 «It appears from documents and from surviving works of art that after Chiara took the reins in 1395, the convent began to commission works of art. Images began to fill the spaces of the convent, some of them addressed to the sisters and some addressed to the public.», Roberts 2008, p. 71.
68 Ibid., p. 93-94.
69 «The shared details of the two works [la prédelle de Martino di Bartolomeo et le panneau de Vanni], yet the greater complexity and symmetry of the Vanni picture, suggest that it may have been one of the models consulted by Martino di Bartolomeo when he painted the predella for the altarpiece dated April 1404. If so, the painting attributed to Turino Vanni would have had to be in San Domenico before 1404.», Ibid., p. 93.
70 Pisani 2008. A. Roberts, qui ne semble pas prendre en compte Burresi – Caleca 2003, propose une attribution à Bicci di Lorenzo, Roberts 2008, p. 101-103.
71 La qualité de la reproduction permet d’effectuer des zooms d’une remarquable précision sur les auréoles des personnages: http://www.metmuseum.org/Collections/search-the-collections/110001746?rpp=20&pg=1&ft=alvaro+pirez&pos=1.
72 Duval 2010.
73 Bisogni – Kaftal 1978, p. 180 et la Fototeca Zeri [en ligne] le mentionnent; Akestam 2002; Aili – Svanberg 2003; Verdon 2003; Debby 2004; Franco 2005; Roberts 2008 ne le mentionnent pas.
74 Une attribution que ne remet pas en question Creutzburg 2011.
75 Cette disposition de la scène de l’Annonce offre peut-être un exemple de ce à quoi pouvait ressembler le panneau anonyme (fig. 24) que j’ai associé au milieu de Chiara Gambacorta, avant qu’il soit tronqué.
76 Je remercie M. Perbellini pour l’identification des attributs de ces deux personnages.
77 Les poinçons des auréoles du registre supérieur sont des cercles d’or marqués de cinq points en creux plus un point en creux au centre, les modèles les plus proches dans Skaug 1994, p. 269-270 (II) et tableau 8.6 (I).
78 Santi 1989, p. 87, avec reproduction de l’œuvre.
79 Il existe deux autres Nativités avec Brigitte après 1450: une fresque (1459, Antonio da Monteregale, Castelnuovo di Ceva (Piémont), Chapelle de San Maurizio) et un panneau de prédelle (1500-10, élève de Perugino, Manchester, Manchester City Art Gallery), Raineri 1974, p. 47-48; Bisogni – Kaftal 1985, p. 179-180.
80 Un point que je développe dans Puma à paraître; l’attribution des Méditations de la vie du Christ est toujours débattue: depuis le Pseudo-Bonaventure jusqu’à la proposition la plus récente, Jacques de San Gimignano (Falvay – Toth 2014), en passant par Jean de Caulibus (Johannes de Caulibus 1997, Besseyre – Dalarun 2009), attribution qui a la faveur de nombreux chercheurs au XXe siècle, à l’exception notable d’I. Ragusa qui plaide prudemment pour un auteur anonyme (Ragusa 1997).
81 Schapiro 2011, p. 41.
82 Boureau 1993, p. 50.
83 Genette 1982; Genette 1987; Schmitt 2002, en particulier Ch. «Visions».
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