Chapitre 5. Le temps des musiciens
p. 315-370
Texte intégral
1La crinière d’un lion comme image de l’apparat monarchique : Auguste et son forum, Trajan et sa colonne, le Roi-Soleil et son château à nul autre pareil… tous ces trésors de l’architecture occidentale réduits à quelques poils, par un trait d’esprit de P. Veyne. Ces monuments fabuleux, qui ont impressionné du temps de leur construction et continuent à émerveiller touristes et curieux, n’étaient pas faits, selon l’historien, pour assurer la propagande de leur commanditaire. Ils n’étaient que la matérialisation de l’évidence de leur supériorité, comme la crinière fait, sans conteste, du lion le roi des animaux. La propagande veut convaincre, elle vise à emporter l’adhésion par un conditionnement des esprits. Au contraire, l’apparat est l’émanation naturelle d’un pouvoir établi. L’apparat ne cherche pas l’assentiment d’un public déjà convaincu : il est, simplement, parce qu’il doit être, en raison de la position dominante de son ordonnateur2.
2Ce questionnement de P. Veyne sur la nature exacte de l’expression du pouvoir s’inscrit dans une réflexion sur la lisibilité et la visibilité des œuvres d’art. L’architecture, la statuaire, la numismatique sont convoquées afin de préciser le sens de la diffusion du message impérial. Or, par définition, la musique n’est pas plus lisible que visible. Elle est l’art de l’instant, de la prestation fugace et de ce qui ne se représente pas. Elle ne réapparaît pas à l’occasion de fouilles, pas plus qu’elle n’affleure aux oreilles du chercheur muré dans le silence de sa bibliothèque. C’est pourquoi la musique n’est pas prise en compte par P. Veyne : son lion est un animal muet.
3Il est temps désormais de l’entendre rugir. C’est peu dire que le cri de l’animal participe de sa puissance. Plus que sa crinière, peut-être, il impose naturellement sa domination comme une évidence. Or pas plus que le lion ne se tait, la cité ne vit en silence. Les sonorités qui l’animaient n’étaient pas déconnectées de la réalité politique, bien au contraire. Inscrites dans la vie de la cité, elles en connaissaient les mutations, les évolutions, les révolutions. L’objectif de ce chapitre est d’introduire dans l’étude une dimension diachronique. L’utilisation de l’épigraphie comme source principale a engagé l’analyse sur un temps long, du IIe s. a.C. au IIIe s. p. C. Ignorer les évolutions politiques qui ont jalonné ces siècles reviendrait à nier l’insertion des musiciens de métier dans les sociétés qui les englobaient.
4La prise en considération de ces évolutions politiques implique une connaissance des phénomènes locaux qui n’est pas toujours aisée. S’il n’est de bonne épigraphie que locale, il est parfois difficile d’insérer les musiciens dans un contexte civique mal connu3. Cependant, il est un phénomène général qui a concerné, de près ou de loin, la totalité des cités de l’empire et au premier chef la mieux documentée d’entre elles, Rome : le passage de la République au Principat. C’est sous le règne d’Auguste que s’est mis en place l’essentiel du nouveau mode de fonctionnement politique de la cité, des codes moraux, sociaux et économiques d’un régime en pleine évolution, si ce n’est révolution4. C’est pourquoi l’essentiel de ce chapitre sera avant tout consacré au règne du premier des Principes, de celui sous qui les pratiques se fixèrent.
5La création d’un nouveau discours artistique à l’avènement d’Auguste, participant à la diffusion de l’image du prince et de la pensée impériale, a été magistralement démontrée par P. Zanker il y a maintenant plus de vingt-cinq ans. Son approche était uniquement plastique : comme chez P. Veyne, la dimension sonore était exclue de l’étude, quand bien même il prétendait à une vision générale de la pratique culturelle augustéenne5. De la même manière, K. Galinsky n’a pas accordé de véritable place à la musique dans son étude sur la culture augustéenne6. Une prestation musicale comme le chant du carmen saeculare lors des jeux séculaires de 17 a.C. ne semble trouver sa place dans l’étude qu’en raison du nom prestigieux de son compositeur, Horace, et du fait que nous disposions du texte chanté. L’historien peut alors projeter sa quête de sens sur un support littéraire7. De même, si le théâtre est utilisé pour la démonstration, c’est que le sens des mots joués sur scène pouvait servir de medium à la diffusion du message impérial. La musique n’est pas plus présente dans un ouvrage récent sur la transmission de l’idéologie impériale dans l’Occident romain, qui fait la part belle à la période augustéenne : les supports figurés sont abondamment questionnés, à la recherche d’un sens précis et selon plusieurs thématiques, mais de musique, point8.
6Doit-on en conclure que la musique était inapte à traduire l’apparat d’un règne ? Je postule au contraire que la musique participait de son apparat quotidien, qu’elle s’imposait au citoyen comme la représentation sonore de la puissance publique. Le cornicen qui appelait aux comices judiciaires était, le temps de sa prestation, l’incarnation du magistrat. Les aenatores, qui jouaient dans les processions triomphales ou ludiques, signifiaient bruyamment la gloire et la puissance, aussi éphémères soient-elles, de celui qu’ils célébraient, général ou ordonnateur. Les tibicines qui aidaient un sacrifiant de la religion publique à la perfection de l’orthodoxie rituelle captaient une partie de son aura. Ils étaient, le temps de leur prestation, dépositaires d’une partie de la puissance publique. Ils étaient le cri du lion.
7Peu importe alors qu’il ne nous soit pas possible de connaître les mélodies qu’ils jouaient : seule compte la réalité de leur performance, l’efficacité de leur pratique. La musique mérite sa place dans les études consacrées à l’expression du pouvoir politique, pour peu que l’on cesse de l’envisager sous l’angle du contenu, afin de se concentrer sur celui de la pratique. Plus que le message de la musique, c’est son expression qui nous intéresse. C’est pourquoi, avec une infinie modestie par rapport à l’œuvre de P. Zanker, il s’agit ici de compléter sa démarche, en abordant la question du pouvoir des sons. Peut-on, de la même manière que les images ont participé à l’installation et l’acceptation du régime augustéen, tenter de saisir si la musique et les musiciens ont été utilisés pour l’accomplissement du règne du Princeps ?
1. Les musiciens et la mutation augustéenne
1.1. Des conditions favorables
1.1.1. Le siècle d’Apollon
8Le retour à la paix civile, rendu possible par l’avènement d’Octave-Auguste comme seul et incontesté responsable des destinées de la Cité offrit aux musiciens des conditions favorables pour l’exercice de leur métier. Dans les écrits de la toute fin de la République, les musiciens sont avant tout associés à la guerre civile et à la discorde. Les instrumentistes militaires prennent donc le devant de la scène. Ainsi, des instruments de tout type sont présents dans l’œuvre de Lucain, mais ce sont alors des instruments guerriers, synonymes du déchirement entre citoyens, de la lutte fratricide, du sang ami répandu pour de mauvaises raisons9. La description réalisée par Dion Cassius de la bataille de Philippes est, à ce titre, particulièrement frappante : les troupes d’Octave et de Brutus se répondent par les mêmes signaux musicaux et amplifient ainsi le caractère dramatique de cet affrontement10.
9Le retour à la paix est l’occasion d’entendre à nouveau résonner les placidae tubae que mentionne Stace11. Cette expression pourrait être considérée comme un oxymore à la fin des guerres civiles, tant les tubae étaient alors synonymes de guerre12. Il n’est donc guère surprenant que ce soit à elles qu’Ovide fasse référence lorsqu’il appelle de ses vœux une paix perpétuelle : leur conversion complète en instrument pacifique ne serait-elle pas le meilleur gage de la fin des affrontements ? « Puisse le soldat ne porter d’armes que pour s’opposer aux armes et puisse la sauvage tuba ne se faire entendre que pour les processions »13. Ce souhait du poète accompagne la référence à la dédicace de l’ara Pacis, le 30 janvier 9 a.C., un temps fort du discours augustéen par l’architecture, qu’Ovide met directement en relation avec la victoire finale d’Auguste en 31 a.C. : que « ta belle chevelure ceinte des lauriers d’Actium, ô Paix, soit présente et répande toujours de la douceur sur le monde entier »14.
10L’importance prise par la bataille d’Actium dans le discours augustéen est sans doute pour partie à l’origine d’une considération accrue pour les instruments de musique, si ce n’est pour les musiciens. L’association de la victoire à la divinité Apollon met au premier plan les instruments à cordes, attributs du dieu15. Lorsque Properce décrit l’aide apportée par la divinité à Auguste, Apollon pose sa lyre afin de pouvoir lancer ses flèches contre les bateaux d’Antoine et Cléopâtre. La fin de la bataille signifie pour lui le retour à la poésie : le dieu repose alors son carquois pour se saisir à nouveau de son instrument de prédilection16. La statue d’Apollon placée dans le nouveau temple construit sur le Palatin et dédié à la divinité en 29 a.C. officialise l’iconographie de l’Apollon citharède17. La diffusion de cette image, depuis le temple palatin jusque dans les provinces, créa un climat favorable à l’épanouissement social des musiciens en général, et des musiciens jouant sur des instruments à cordes en particulier ; ces derniers devenaient autant de rappels vivants de la présence d’Apollon palatin dans la cité augustéenne18. Ce que C. Vendries a appelé avec bonheur une « atmosphère apollinienne » a ainsi créé les conditions d’une présence accrue des musiciens dans l’espace urbain19.
1.1.2. L’accroissement de la visibilité sociale
1.1.2.1. Des prestations plus fréquentes
11L’idée d’une augmentation de la place occupée par les musiciens dans la vie de la cité au début de l’époque impériale est étayée par plusieurs arguments. Il s’agit d’une part de l’accroissement du nombre de jeux donnés par la cité. À la fin de la République il existait 76 jours de jeux à Rome ; en 354, le calendrier en comptait 17520. Le phénomène commence dès le règne du premier Prince : Auguste en atteste dans les Res Gestae, par l’énumération des jeux auxquels il fit procéder, en son nom propre, au nom de membres de sa famille ou d’autres magistrats21. Ces nombreux combats de gladiateurs, jeux scéniques, spectacles d’athlètes, courses de chevaux que le premier princeps se targue d’avoir organisé nécessitaient la participation de musiciens. Selon leur spécialité, ils animaient les processions conduisant au lieu du spectacle, permettaient que le sacrifice ouvrant les jeux soit réalisé tel que l’orthopraxie rituelle l’exigeait, ou jouaient sur scène22.
12Ces manifestations ponctuelles mentionnées par Auguste dans son testament n’étaient toutefois pas toutes appelées à s’inscrire dans la durée. Des célébrations liées au Princeps se sont en revanche surimposées, de façon pérenne, aux fastes républicains23. Directement issus de la nouvelle organisation politique, ces dernières commémoraient des évènements de la vie privée d’Auguste - comme les fêtes données en l’honneur de son anniversaire, le 23 septembre - ou les grandes dates du règne, tels les jeux augustaux du 5 octobre célébrant son retour des provinces orientales en 19 a.C. Leur fréquence annuelle assurait aux musiciens professionnels de nouveaux débouchés pour leurs prestations.
13La conséquence de cette évolution des fastes sur la pratique musicale est double. Elle est d’abord numérique : pour satisfaire les nouvelles exigences de la cité en matière de prestations musicales, il fallait un personnel plus nombreux. On doit donc considérer que le nombre de musiciens dans la cité a dû connaître, sous Auguste, une augmentation dont on ne peut que supposer l’existence à défaut de pouvoir la chiffrer24. Le corollaire de cet accroissement numérique, seconde conséquence à envisager, était l’augmentation de leur visibilité dans l’espace de la capitale. Plus encore que sous la République, les musiciens de la période augustéenne ont dû être considérés comme des acteurs nécessaires du fonctionnement de la cité.
1.1.2.2. Processions et divagations urbaines
14La pratique rituelle de la procession est particulièrement importante dans cette perspective25. Les jeux étaient précédés d’un déplacement rituel qui voyait les ordonnateurs de la cérémonie, les prêtres et divers participants se déplacer du temple de la divinité en l’honneur de qui les jeux étaient donnés, jusqu’au lieu de la prestation. Cette pompa ludicra avait pour but d’emmener les imagines de la divinité dans le cirque ou le théâtre où elles seraient ensuite honorées26. La musique jouée dans le cadre de ces déplacements était l’occasion pour les musiciens de sillonner la ville et, comme nous l’avons démontré, de renforcer la mémoire culturelle qui unissait les habitants de la cité. Or la constitution de ce socle de connaissance commune, favorable au vivre ensemble, était d’une importance primordiale dans la Rome divisée par les guerres civiles que récupéra Auguste dans le dernier quart du Ier siècle a.C. S’il n’est pas question d’affirmer que la multiplication des jeux eut pour raison cette constitution d’une culture acoustique commune, elle en fut l’un des effets.
15Par ailleurs, ces processions musicales venaient ainsi renforcer chaque année la plus importante des manifestations musicales se déroulant dans le tissu urbain, la grande procession des tibicines célébrant leur retour d’exil de Tibur27. La durée de cette procession excédait largement celle des autres déplacements en musique, puisqu’elle était de trois jours selon Tite Live28. Durant cette période, les tibicines étaient autorisés à arpenter les rues de la cité en un cortège que toutes les sources qualifient de bruyant et bigarré. Les musiciens portaient des robes de femme et des masques rappelant les conditions rocambolesques de leur retour dans la cité. Ils venaient, ainsi accoutrés, jouer en tous lieux durant les trois jours de licence que la cité leur accordait29. Au sein de cette séquence débridée, J.-M. Flambard a proposé de distinguer une journée particulière, vouée à une procession organisée, commémorant, par son parcours urbain, le retour des tibicines de Tibur30. Le point de départ de la pérégrination aurait été la Porta Esquilina, par laquelle on entrait dans la cité en revenant de Tibur. Le but final de la procession aurait été le grand temple de Minerve sur l’Aventin, la fête dans son ensemble étant placée sous le patronage de cette divinité31. Sur le parcours, les musiciens auraient cherché à rallier autant de temples à Minerve qu’il était possible, chacun d’entre eux faisant l’objet d’une station et de rites. Ainsi, depuis la Porta Esquilina, ils se seraient rendus au temple de Minerve Medica situé non loin32. Ils auraient ensuite emprunté le cliuus suburanus et seraient passés devant le sacellum républicain à Minerua Capta. La suite du parcours traversait le forum romain, ce qui leur donnait alors l’occasion de perturber la vie civique et les affaires, ainsi que le rapporte Valère Maxime. Leur cheminement aurait ensuite franchi le Vélabre, le forum boarium, avant d’aboutir au temple de Minerve sur l’Aventin.
16Cette proposition de restitution est hypothétique, ne serait-ce qu’en raison du présupposé qui la fonde et que J.-M. Flambard ne discute jamais, selon lequel la procession aurait, dans son parcours, une dimension commémorative. Son tracé serait donc nécessairement signifiant. Au contraire, Ovide, par l’utilisation du verbe uagari, laisse entendre une organisation bien moindre, une liberté plus grande33. La reconstruction de J.-M. Flambard est néanmoins intéressante par sa tentative d’insertion précise des musiciens dans l’espace urbain. Lors de cette cérémonie, et si l’on accepte le point de départ de l’auteur, les tibicines auraient été amenés à traverser une bonne partie de la cité de part en part. Aussi bien Tite Live qu’Ovide et Valère Maxime attestent par leurs écrits que cette pratique était encore en vigueur à leur époque. Sous le règne d’Auguste, donc, les tibicines parcouraient la Ville trois jours par an, perpétuant la tradition. L’augmentation de leur nombre à cette époque devait rendre encore plus frappante leur présence dans la cité.
1.2. Les musiciens de la Rome augustéenne : un dialogue dynamique
17Plus encore que le simple constat d’une augmentation numérique ou symbolique de la présence des musiciens dans la cité, les sources permettent d’interroger la nature des relations qu’entretenaient ce groupe professionnel et les autorités. La notion de « dialogue dynamique », telle qu’elle a été utilisée par F. Hurlet dans un travail sur les modalités de diffusion et de réception de l’image et de l’idéologie impériale en Occident, est un outil précieux34. L’existence d’un dialogue entre le centre du pouvoir et sa périphérie est l’un des apports principaux de l’historiographie de ces dernières années : on retiendra notamment la démonstration de P. Zanker considérant les représentations figurées du pouvoir impérial comme un mode de communication entre le prince et les Romains, ainsi que celle de P. Le Roux sur la communication entre Romains et pérégrins35. Ces deux études, tout comme celle de F. Hurlet, considéraient une communication à petite échelle, au sens géographique. Nous voudrions tenter d’appliquer ce concept à plus grande échelle, en nous concentrant sur les communications entre le pouvoir impérial, avant tout augustéen, et un groupe professionnel comme celui des musiciens.
1.2.1. La reconnaissance de l’utilité publique, essai de chronologie
18La reconnaissance de l’utilité publique d’un groupe professionnel, une notion pertinente pour les musiciens romains, relève d’une décision prise par la cité. Elle se manifeste par des signes, notamment épigraphiques, qui doivent être intégrés dans une chronologie. Les sources nous donnent la possibilité d’une enquête diachronique, à propos de deux types de musiciens au service des cités, les tibicines et les aenatores.
1.2.1.1. Des tibicines aux tibicines qui sacris publicis praesto sunt
19Tous les tibicines de Rome préposés aux cultes publics que l’on rencontre dans l’épigraphie appartiennent à une inscription associative36. Mais la proposition ne peut pas être renversée : toutes les associations de tibicines connues à Rome ne font pas état du service des sacra publica37. Ce constat appelle un commentaire simple : les tibicines appartenaient à deux collèges différents, selon qu’ils étaient des desservants religieux ou non38.
20Néanmoins, cette interprétation peut être affinée si l’on prend en compte la chronologie39. Les inscriptions relatives au collège des tibicines qui sacris publicis praesto sunt couvrent une période étendue, du Ier s. a.C., datation imprécise fondée sur l’orthographe ancienne du terme teib (icines)40, à l’année 200, clairement certifiée par la datation consulaire sur une dédicace à Caracalla41. Entre ces deux extrêmes, doit être située une inscription romaine du début du Ier s. p. C. et une autre, tiburtine datant probablement de la même époque42, tandis qu’une troisième ne peut avoir été réalisée avant le règne conjoint de Marc Aurèle et Lucius Verus, entre 161 et 169, dans la mesure où il s’agit d’une dédicace à la domus Augustorum43. Soit au moins trois siècles durant lesquels l’existence d’un collegium tibicinum Romanorum qui sacris publicis praesto sunt est avérée.
21Si l’on prend en considération les inscriptions relatives au simple collegium tibicinum Romanorum, sans référence au service de la religion publique, le constat est inverse : ces documents sont remarquablement concentrés dans le temps. Ils peuvent tous être datés avec plus ou moins de précision du Ier siècle a.C., que ce soit pour des raisons orthographiques44, paléographiques ou de nature du monument45. Une seule inscription relève de manière plus précise de l’époque de Sylla, en raison du contexte de la sépulture dans laquelle elle a été découverte46.
22Ainsi prise en compte, la chronologie de ces inscriptions pointe une modification d’importance concernant le collège des tibicines de Rome, autour de la fin du Ier s. a.C.. Dorénavant le collège des tibicines est systématiquement désigné par l’expression collegium tibicinum qui sacris publicis praesto sunt. En d’autres termes, l’expression de l’utilité publique du collège, en raison de sa participation aux rites de la religion publique a prévalu à partir du règne d’Auguste. Elle se matérialise par une terminologie particulière et qui devient exclusive au moins durant les deux siècles qui ont suivi.
23Cette transformation dans l’épigraphie associative, synonyme de l’officialisation de leur position de desservants de la religion publique, ne surprend pas dans sa chronologie. Il est probable que l’instauration de la lex Iulia de collegiis, confirmée par Auguste en 7 a.C. et dont témoigne l’inscription du collège des symphoniaci, ait fourni l’occasion de ce témoignage de reconnaissance officielle47. Au moment de la confirmation de la loi césarienne par Auguste, le collège des tibicines a dû être dissout, comme l’ensemble des collèges professionnels romains. Les tibicines ont alors déposé une demande d’autorisation en bonne et due forme au Sénat. Il est fort probable que les sénateurs ont très rapidement accordé à ces musiciens le droit de se constituer en association légale, peut-être immédiatement après la dissolution de la précédente association.
24En effet, Suétone précise que les dissolutions césarienne et augustéenne ne concernèrent pas les collèges très anciens et déjà légalement constitués48. Le critère de l’ancienneté devrait inclure les tibicines parmi les associations alors épargnées, rendant caduc le raisonnement : selon Plutarque, leur regroupement en collège remonterait au règne de Numa, une datation tout aussi invérifiable que synonyme assuré d’une grande ancienneté49. Les fabri tignarii fournissent une comparaison utile. En effet, ces ouvriers appartenaient aussi aux premiers collèges attribués à Numa. Pourtant les fastes de leur collège permettent de situer la date de sa fondation en 7 a.C.50. Etant exclu qu’il s’agisse de la première fondation de ce collège, dont les membres étaient nécessaires à la vie de la cité, cette date est nécessairement celle de sa refondation, très probablement à la suite de la nouvelle exigence augustéenne, ce qui signifie donc que cette structure a été touchée par la dissolution. L’hypothèse la plus probable est donc la suivante : tous les collèges ont effectivement été dissouts sous Auguste, mais certains, légalement constitués et parmi les plus anciens, collegia antiquitus constituta pour reprendre Suétone, ont reçu l’autorisation de se refonder immédiatement, dont celui des tibicines. Ainsi nous proposons de situer aux toutes dernières années du Ier s. a.C., après 7 a.C. en tous cas, la reconnaissance officielle du rôle des tibicines au service de la religion publique.
25La perspective diachronique doit conduire à nuancer une des conclusions du chapitre précédent : il est possible que cette transformation dans la perception des tibicines par la cité ait eu des conséquences sur le recrutement du collège. Les inscriptions antérieures à la reconnaissance des tibicines par la cité correspondent à dix-huit hommes51. Sur ce total, quinze sont affranchis, soit une écrasante majorité52. Au contraire, sur les inscriptions postérieures à la reconnaissance des tibicines en tant que desservants des cultes publics, aucun des huit musiciens n’est affranchi de manière certaine et cinq sont ingénus, probables ou assurés53. La reconnaissance officielle par la cité du rôle des tibicines dans les sacra publica, matérialisée par l’expression qui sacris publicis praesto sunt, a donc peut être entraîné une modification dans le recrutement du collège : les plébéiens ingénus, attirés par cette position qui pouvait paraître socialement valorisante, auraient alors intégré le collège et une spécialité musicale jusqu’alors laissée davantage aux affranchis.
1.2.1.2. L’octroi du blé public aux aenatores
26L’octroi du blé public aux membres du collège des aenatores de Rome est la matérialisation, pour ces musiciens, de leur reconnaissance en tant que desservants de la cité54. Une telle inscription collective d’un groupe professionnel sur les listes des bénéficiaires, ne pouvait résulter, selon C. Virlouvet, que d’une intervention impériale55. Est-il possible d’en déterminer l’auteur ?
27Les deux inscriptions qui témoignent du bénéfice des frumentationes ne sont pas précisément datables56. Elles doivent cependant être situées dans la dernière moitié du IIe s. ou le IIIe s. p. C. L’inscription de P. Octavius Marcellinus, hypothétique membre d’un collège de tubicines bénéficiaire des frumentationes, date quant à elle probablement du règne conjoint de Marc Aurèle et Lucius Verus, entre 161 et 16957. C’est donc cette dernière la plus ancienne qui donne un terminus ante quem pour l’inscription des aenatores sur les listes des bénéficiaires du blé public.
28Les plus spectaculaires révisions des listes des bénéficiaires eurent lieu sous Auguste, en 2 a.C. et probablement en 8 p. C, ramenant progressivement leur nombre à 15000058. Ce nombre semble en revanche être resté stable durant les décennies postérieures59. C’est pourquoi, bien qu’ayant conscience du fait que les successeurs d’Auguste ont pu apporter des modifications à la marge à la liste des des ayants droit, je propose de voir en Auguste le responsable de cette officialisation des relations entre les aenatores et la cité. Le contexte précédemment évoqué, aussi bien pour les musiciens en général que pour les tibicines en particulier, incite à voir le règne d’Auguste comme un temps fort pour l’insertion des musiciens dans la cité. Les aenatores, régulièrement appelés à participer aux processions des rites civiques, auraient ainsi vu leur activité récompensée par le privilège frumentaire. Il s’agit peut-être là de la matérialisation de la « sollicitude » d’Auguste évoquée par Suétone envers « toutes les catégories de gens qui prêtaient un concours quelconque aux spectacles publics »60.
29Cette hypothèse de datation pourrait toutefois paraître bien légère si elle ne trouvait par ailleurs un étai solide en un monument découvert il y a quelques années sur les pentes du Palatin, qui insère les aenatores dans une relation de don contre-don avec Auguste et ses descendants.
1.2.2. Don contre-don, la base de la Meta Sudans
30Durant les fouilles conduites entre 1986 et 2003 sur le versant nord-est du Palatin et dans la dépression qui sépare la colline du Colisée, là où se trouvaient les restes de la fontaine flavienne dite de la Meta Sudans jusqu’à l’arasement de la zone par les autorités fascistes, un ensemble monumental particulièrement important pour l’histoire des musiciens a été découvert61. Il s’agit d’un édicule sur podium abritant une base de grande taille62. Ce petit bâtiment était adossé à un mur tardorépublicain en tuf, rénové et recouvert d’une épaisse couche d’enduit blanc à l’époque augustéenne, qui correspondait sans doute au mur d’enceinte d’un temple : l’édicule et la base qu’il contenait se situait à l’intérieur de l’espace délimité par le mur et non sur la rue63. La base, maçonnée, était recouverte de trois plaques de marbre de Luni aujourd’hui conservées et exposées aux thermes de Dioclétien. Elles furent découvertes à proximité immédiate, brisées en de nombreux fragments mais conservées dans leur quasi-intégralité. Une inscription y était gravée, sur quatre colonnes, chacune d’elles désignant l’emplacement d’une statue64. L’inscription était adressée à Auguste, Claude, Néron et Agrippine, de la part des aenatores, tubicines, liticines, cornicines, Romani. La dernière partie du texte – quatrième colonne correspondant à la dédicace à Agrippine – avait été stuquée dans la phase finale du monument. Par ailleurs, à l’extérieur de l’édicule, les archéologues ont découvert une autre base, destinée à supporter une statue en bronze de taille supérieure au réel, dont des fragments ont été conservés65. La base était recouverte d’une feuille de bronze, gravée en des termes très proches des plaques de marbre, et dédiée à Tibère66.
31À l’évidence ces deux monuments correspondent à un ensemble unifié, dont l’histoire commence sous Auguste : ce prince a été le premier interlocuteur des dédicants, les aenatores67. La dédicace en son honneur comporte des critères de datation : Auguste était alors grand pontife et dans sa onzième puissance tribunitienne, ce qui permet de faire remonter la gravure à l’année 12 a.C., plus précisément entre le 6 mars et le 30 juin. Ce texte avait dû être gravé dans un premier temps sur une base indépendante, à l’identique de celle de Tibère. Dans un second temps il fut transposé sur une base unique créée pour la dynastie julio-claudienne68.
32La localisation de l’ensemble est importante : ces monuments ont été retrouvés dans une zone « centralissima dell’Urbe », pour reprendre l’expression de V. Morizio69. Découvertes aux pieds de l’arc de Constantin, les bases se trouvaient aux confins de quatre, voire cinq des quatorze régions augustéennes postérieures à la réorganisation de la cité par le prince en 7 a.C. : la deuxième, troisième, quatrième, dixième et peut-être aussi la première région se rejoignaient à quelques mètres du monument des aenatores70.
33Tant en raison de la nature honorifique des monuments que de leur localisation, ils avaient dû faire l’objet d’une autorisation préalable : l’hommage était réglé et inscrit dans des relations codifiées. Par sa localisation à l’intérieur de l’enceinte d’un temple, le monument des aenatores s’insère dans la catégorie complexe des biens privés situés dans des espaces consacrés71. Bien que les situations paraissent éminemment différentes selon les cas de figure, l’installation d’une base dans l’enceinte d’un temple était soumise à une autorisation. Dans les sanctuaires du culte public, la gestion de l’espace consacré était l’affaire des responsables de la cité72. Toutefois, la nature même de l’objet considéré, une base avec statue de l’empereur, ainsi que la localisation à Rome, conduit à supposer que c’est directement de l’autorité impériale que devait relever cette autorisation. La procédure décrite par C. Rose pour l’érection d’un groupe statuaire comportant des portraits impériaux fait reposer dans les mains du princeps la décision finale73. C’est donc sans doute à Auguste lui-même que les aenatores ont dû, en 12 a.C., la possibilité d’exprimer leur loyalisme en un espace aussi chargé de sens.
34Les dédicaces à Auguste n’étaient évidemment pas chose rare, même si l’on ne pense qu’à celles réalisées par des hommes de métier74. Néanmoins l’importance matérielle de l’hommage, la qualité de sa localisation suscitent le questionnement dès lors qu’on les met en relation avec l’identité des dédicants. Comment expliquer, car il s’agit assurément d’une donnée qui doit être interprétée, que de simples musiciens aient reçu de la part de l’empereur l’autorisation d’inscrire dans un espace particulièrement signifiant de la topographie urbaine la marque de leur fidélité à la familia impériale ? Que des privés, seuls ou en groupe, manifestent leur soutien au Princeps est une réalité connue et aisément compréhensible. Mais pour comprendre le monument dont il est ici question dans toute sa complexité, il faut renverser la perspective et s’interroger non sur les raisons du soutien des musiciens à Auguste, mais sur celles d’Auguste aux musiciens.
1.2.2.1. Les sons de l’Empire
35Puisqu’à l’origine de ce monument était Auguste, c’est sur l’état de la zone à la fin du Ier siècle a.C. temps d’ancrage du pouvoir augustéen, qu’il faut faire porter l’analyse. Plusieurs années après la découverte de la base des musiciens, les archéologues de l’université de La Sapienza mirent au jour, à quelques mètres de la fontaine flavienne et six mètres en contrebas, une autre fontaine clairement datable de l’époque augustéenne75 (fig. 7). La vasque d’environ douze mètres de long suivait une orientation parallèle à celle de la base des aenatores. Les deux monuments étaient situés de part et d’autre de la uia qui conduisait de la dépression dite du Colisée au forum. Bien qu’étant d’une taille inférieure à la fontaine flavienne, cette première meta n’en était pas moins imposante. Les reconstitutions des archéologues supposent que l’eau s’échappait d’une érection de pierre d’environ seize mètres de hauteur76. Il s’agissait donc d’un véritable repère dans le paysage urbain.
36Une analyse précise du monument et d’un fragment du parapet originel découvert non loin permet de préciser la sémantique qui y était associée. Ainsi, la vasque n’était pas symétrique par rapport à l’axe central marqué par la grande élévation de pierre : plus large à l’est, elle allait en se rétrécissant vers l’ouest, rendant la planimétrie générale légèrement trapézoïdale. Selon l’interprétation de G. Pardini, cette forme aurait été choisie volontairement afin de rappeler visuellement l’apparence de la proue d’un navire77. L’hypothèse pourrait paraître arbitraire si elle ne trouvait un support dans le fragment de parapet originel découvert lors de la fouille. Ce bloc curviligne en travertin, très abîmé par l’incendie de 64, conserve en effet la représentation en relief d’un triangle au sein duquel s’inscrit un rond, faisant penser à la figuration d’un œil apotropaïque tel que les monnaies montrent régulièrement sur la proue des navires. La conjonction de ces deux éléments, planimétrie générale et décoration du parapet, permet donc d’avancer que la partie basse de la fontaine, sa vasque, avait volontairement été construite à l’image d’une proue de navire. Dans le discours architectonique et iconographique augustéen, l’image du navire est un rappel évident de la bataille d’Actium qui, en septembre 31 a.C., vit la victoire d’Octavien sur son dernier opposant Marc Antoine.
37La partie supérieure de la fontaine confirme encore cette analyse. Les éléments que les archéologues ont retrouvés leur permettent en effet d’affirmer que l’eau sortait d’une élévation conique non figurative, une grande érection de pierre ronde à la base et s’amincissant jusqu’au sommet, forme pour laquelle ils supposent deux parallèles : les metae qui ornaient la partie centrale de la piste du cirque et, plus pertinent étant donné le contexte de découverte, le bétile apollinien, image aniconique symbole du dieu, qui apparaît sur l’une des plaques de terre cuite appartenant au temple d’Apollon Palatin78. Sur ce document, deux jeunes filles viennent orner de bandelettes le bétile auquel sont accrochés une lyre et un carquois. Ces deux attributs sont évidemment ceux d’Apollon, et plus particulièrement de l’Apollon d’Actium sollicité par Octavien avant la bataille. On les retrouve sous la plume de Properce qui décrit le passage de l’Apollon guerrier à l’Apollon poète : « Apollon vainqueur réclame désormais la cithare et dépouille ses armes pour des danses paisibles »79. Ainsi, là où la vasque représentait les navires ayant vaincu pour Auguste à Actium, la partie en élévation clarifiait, si besoin était le discours en l’insérant dans la série des références à Apollon. L’ensemble du monument était donc porteur d’un discours marqué par une référence militaire précise.
38Bien que les commémorations de la bataille d’Actium soit l’un des topos de la communication visuelle augustéenne, le fait que cette fontaine en particulier y fasse écho se comprend aisément. En effet, sa localisation en faisait un espace particulièrement riche dans la sémantique urbaine. La fontaine bordait sur sa droite la route qui menait au forum, c’est-à-dire la uia qui accueillait la procession triomphale lorsqu’elle quittait le circus maximus pour rejoindre la uia sacra et, à terme, le temple de Jupiter Capitolin. La Meta augustéenne était donc, par sa localisation, sa forme et sa décoration, un rappel permanent de la victoire militaire d’Auguste et du triomphe qui s’en était suivi en 29 a.C.
39Or on a vu précédemment que les aenatores, et plus particulièrement les tubicines dont le nom vient en tête de l’inscription considérée, étaient des musiciens caractéristiques de la pompa triumphalis, au point d’en devenir les symboles iconographiques80. Les reliefs Medinaceli confirment que le triomphe d’août 29 ne fit pas exception puisqu’ils figurent des tubicines, ouvrant probablement la procession à l’instar des autres reliefs historiques. La base offerte par ces musiciens à la familia impériale était donc située immédiatement en face d’un monument qui, par sa nature et sa localisation était une commémoration perpétuelle d’un événement auquel ils avaient participés.
40Mais plus encore que la simple pompa triumphalis, l’analyse des chapitres précédents a permis de montrer que les sons des musiciens jouant sur les grands aérophones de bronze devaient être associés, dans la mémoire culturelle des Romains, aux sons de l’imperium. Le classicum, sonné sur ces instruments, était le symbole acoustique du commandement aux armées, que les Romains purent entendre dans les camps tant qu’ils y furent appelés, mais aussi de retour dans l’Vrbs à travers l’appel aux comices centuriates et la dramatisation de la justice. Les musiciens qui le jouaient, les aenatores, symbolisaient donc, par leur performance, une partie de cet imperium sur lequel Octavien-Auguste put fonder son autorité. Soutenir les aenatores, leur jeu et leur visibilité sociale, était pour Auguste un moyen de contribuer à la diffusion du versant acoustique de son pouvoir de commandement. Bien qu’il ne soit pas possible de dater avec précision le début de l’utilisation consciente par Auguste de la mémoire culturelle associée aux sons du commandement, on peut supposer que l’unique triomphe qu’il célébra put lui en fournir l’occasion. 29 a.C. marque peut-être le début d’un dialogue dynamique entre Auguste et les musiciens, qui ne trouva une matérialisation que quelques années plus tard pour les aenatores, via la base de la Meta Sudans.
41La découverte de la fontaine monumentale augustéenne ne fut pas une surprise pour les archéologues, la localisation de la fontaine flavienne tout comme son nom ayant suggéré de longue date qu’elle marquait le croisement d’au moins quatre des quatorze régions définies par Auguste en 7 a.C.81. Il est donc probable qu’il faille dater de cette même année sa construction, ce que confirme la mise au jour d’un petit espace cultuel accolé à la fontaine. Les quatre murs bas en blocs de tuf qui ont été découverts étaient certainement un sacellum voué au culte compitalice rénové la même année par le Princeps (fig. 7)82. L’ensemble fontaine et sacellum fut construit dans un même mouvement afin de témoigner matériellement de ces deux réformes administrative et religieuse concomitantes.
42Refondateur de la cité, nouveau Romulus, le Prince marquait le territoire urbain de son empreinte. La simplicité formelle de la partie sommitale de la fontaine augustéenne, simple érection de pierre, pourrait ainsi être interprétée comme une référence aux cippes du premier pomoerium romuléen, qu’elle rappellerait en cet endroit que F. Coarelli a qualifié de « centre idéal du système »83. Une telle hypothèse n’est pas exclusive et ne doit donc pas conduire à revenir sur la dimension apollinienne de la fontaine, la forme pouvant être porteuse d’une double référence. Elle prend un sens tout particulier dans un environnement qui semble accorder une place particulière au discours augustéen sur l’antiquité et la religion.
1.2.2.2. Beau comme l’antique
1.2.2.2.1. Le son du passé
43Les quelques mois qui suivirent la mort de Lépide et l’élection d’Auguste en tant que grand pontife en 12 a.C., année d’érection de la première base des musiciens, furent marqués par d’importantes modifications dans le fonctionnement de la vie religieuse publique : restauration du flaminat de Jupiter, transformation d’une partie de la demeure du prince en un espace public abritant un autel ou un petit temple de Vesta et transfert des livres sibyllins dans le temple d’Apollon Palatinus84.
44Néanmoins, Auguste n’attendit pas d’être grand pontife pour entreprendre ce qu’il est convenu d’appeler la « restauration » religieuse de la Cité, une politique envers les cultes publics qui n’était que le versant religieux d’une tendance générale au conservatisme et à la volonté de fonder le régime en apparence plus sur la continuité que sur la rupture85. Cette politique de revivification de la religion traditionnelle, dont J. Scheid a montré toutes les relectures historiographiques, se traduisit essentiellement par la restauration de lieux de cultes et de quelques liturgies anciennes oubliées86. Les transformations de l’année 12 a.C., pour importantes qu’elles aient été, n’étaient que le parachèvement d’une tendance de fond entamée bien des années auparavant. Ainsi, en 32 a.C., lorsqu’il déclara la guerre à Cléopâtre, Octavien fit accomplir un rite, abandonné depuis la guerre contre Numance, au cours duquel les festiales jetaient une lance en direction du territoire ennemi. Il y prit part lui-même, vingt ans avant son accession au grand pontificat, afin de pouvoir procéder à un triomphe à l’antique, après avoir déposé les dépouilles opimes dans le temple de Jupiter Feretrius, qu’il avait justement fait restaurer87. De même, la revivification du culte de Dea dia, à travers le collège des Arvales, est antérieure à l’année 12, probablement entre les années 29-28 et 21 a.C.88.
45La célébration des jeux séculaires en 17 a.C. est à placer dans la même veine de rénovation de pratiques anciennes. Il s’agissait pour le Princeps d’inaugurer un nouveau siècle en se fondant sur le respect de la religion publique traditionnelle. Or on a vu que les aenatores participèrent à la célébration de ces jeux, notamment par l’appel à la participation le 30 mai89. Un fragment d’inscription découvert à proximité de la base de la Meta Sudans peut, avec prudence toutefois étant donné son état de conservation très fragmentaire, témoigner d’un lien entre la participation de ces musiciens aux jeux séculaires et l’autorisation qu’ils reçurent de la part d’Auguste d’exprimer leur hommage en cet espace à la symbolique importante. Le texte est le suivant : - -| - - -] dies lu[- - - | - - -] ded[- - - |- - -]90. V. Morizio, dans la publication de la fouille, a suggéré le développement suivant : [- - - aenatores, tubicines, liticines, cornicines Romani qui] dies lu[dorum concelebrant - - - | - - -] ded[icauerunt - - - ?].91 Le développement de LU en lu (dorum) est probable et il faut peut-être le préciser de la manière suivante : [- - - aenatores, tubicines, liticines, cornicines Romani qui] dies lu[dorum saecularium concelebrant - - - | - - -] ded[icauerunt - - - ?]. Les aenatores avaient trouvé dans les ludi saeculares un deuxième temps fort, après le triomphe de 29 a.C. dans leur dialogue dynamique avec les autorités impériales.
46Par delà le cas des jeux séculaires, la faveur dont jouirent les aenatores d’exprimer leur loyalisme envers l’empereur dans cette zone centrale de la cité, au cœur d’un dispositif architectural particulièrement signifiant, peut être lue à l’aune de la restauration augustéenne. Les aenatores étaient des participants immémoriaux des rites de la cité. Strabon fait remonter aux rois étrusques leur apparition dans la vie de Rome : « On avait apporté de Tarquinia, avec les ornements du triomphe et les insignes des consuls, les faisceaux, les haches, les trompettes, les cérémonies religieuses, l’art divinatoire et tout l’accompagnement musical des manifestations publiques romaines »92. L’iconographie étrusque, rassemblée notamment par R. Lambrechts dans son étude sur les magistratures, faisait la part belle aux joueurs de tuba, de cornu et de lituus, particulièrement dans les représentations de cortèges de magistrats93. Les aenatores étaient donc associés dans la mémoire romaine à la célébration du pouvoir, dans ses aspects religieux et politiques. Ils étaient de ces « figures symboliques auxquelles s’arrime le souvenir » marqueur de la continuité de l’État sur lesquelles pouvaient s’appuyer le discours augustéen94.
47Ainsi, autant que la reconnaissance de leur participation à ces rites, Auguste a-t-il peut-être cherché à capter cet héritage symbolique en associant avec force les aenatores à son règne. J. Scheid donne entre autres comme clé de lecture des réformes religieuses augustéennes l’immédiateté de leur effet : elles montraient spectaculairement le retour à la tradition95. Les aenatores étaient des hommes à même d’incarner la légitimité du pouvoir augustéen par l’ancienneté de leur propre pratique, et spectaculaires, ils l’étaient par essence. Associés à la pratique rituelle du règne d’Auguste, ils devenaient des représentants sonores de l’antiquité d’un pouvoir augustéen fondé sur la continuité et la restauration de la Cité.
48Deux arguments abondent particulièrement dans ce sens : la dénomination du groupe des dédicants et la localisation précise du monument étudié.
1.2.2.2.2. Les liticines, musiciens fossiles ?
49Les dédicants ayant réalisé ce monument se désignent de la manière suivante : ils sont les aenatores, tubicines, liticines, cornicines Romani. Cette terminologie suscite plusieurs questionnements. Le premier concerne la nature des liens qui unissaient ces musiciens. Le terme collegium n’apparaît pas ; pour autant on peut avancer que ces hommes étaient unis par une structure de type associatif. Le fait qu’un groupe désigné par le nom de la profession au nominatif pluriel corresponde en réalité à une association est banal96. Tous les problèmes ne sont toutefois pas résolus, notamment quant à la composition du groupe. Faut-il considérer que ce monument fut réalisé à l’initiative de quatre collèges différents, celui des aenatores, celui des tubicines, celui des liticines et enfin celui des cornicines ? Au contraire, faut-il penser à un collège unique dans lequel étaient inscrits les différents musiciens ?
50Le très faible nombre d’inscriptions concernant ce genre d’association à Rome ne permet pas de trancher. L’existence d’un collège d’aenatores est connue, on l’a vu, par les deux inscriptions de bénéficiaires du blé public97. Une inscription votive à Minerve découverte sur le Palatin était peut-être l’œuvre d’un collège de cornicines98. Un monument aujourd’hui perdu est relatif à un certain M. Iulius Victor, membre du collège des liticines et cornicines99. Enfin il convient peut-être de rajouter à ce maigre corpus le collège de tubicen, dont témoignerait éventuellement l’inscription de l’ancien prétorien P. Octavius Marcellinus, bénéficiaire du blé public100. Insérer une perspective diachronique dans cet ensemble limité relève de la gageure : le texte le plus ancien est probablement celui du collège des cornicines, en raison de l’orthographe conlegium. Il peut cependant avoir été contemporain des inscriptions de la Meta Sudans, cette orthographe disparaissant progressivement sous Auguste. Le monument funéraire de M. Iulius Victor est rattaché sans plus de précision à l’époque impériale par Mommsen. La perte de l’inscription rend impossible toute contestation. Enfin, les hypothétiques tubicines auraient fait graver leur inscription au plus tôt en 161 p.C., et les aenatores soit à la même époque, soit au IIIe s. p. C. Il est déraisonnable, de chercher une évolution dans ce trop maigre ensemble et l’on doit se contenter de constater que le terme aenator était employé d’un bout à l’autre de l’arc chronologique, tant à la fin du Ier s. a.C. qu’au IIIe s. p. C. La manière la plus générale de désigner ces musiciens, en rapport avec le matériau dont était composé tous ces instruments, a traversé les âges101.
51Une analyse fine de l’inscription de la Meta Sudans permet en revanche une argumentation plus solide. Comme l’a justement fait remarquer C.-G. Alexandrescu, une marque de ponctuation encore très reconnaissable sépare les mots aenatores et tubicines102. Si de telles marques séparent tous les mots de la dédicace, il n’y en a pas entre les autres termes désignant les dédicants : tubicines cornicines liticines romani s’enchaînent d’une traite. Dans une inscription aussi soignée que celle qui nous occupe, une telle différence peut difficilement passer pour une étourderie du lapicide. Elle conduit bien plus aisément à voir dans ce signe de ponctuation partielle une tentative de définition fournie par les musiciens eux-mêmes. Aenatores est donc bien à comprendre comme un terme générique, à développer par les spécialités musicales mentionnées ensuite. Ces musiciens souhaitaient que les passants – et l’empereur – sachent avec précision qui était à l’origine du monument. Il faudrait donc comprendre cette définition exacte des musiciens comme une volonté pédagogique.
52Au sein de ce développement, un mot attire l’attention, celui de liticen. Comme nous l’avons écrit précédemment, ce terme est d’une extrême rareté épigraphique puisqu’une seule inscription en atteste103. Il est donc particulièrement étonnant de le voir surgir dans le contexte très signifiant du monument de la Meta Sudans. Pourquoi avoir fait état de cette spécialité musicale qui n’était pas considérée par les musiciens comme un métier ? L’histoire de l’instrument, le lituus ouvre une piste à la réflexion. En effet, plus encore que les autres instruments en bronze, le lituus est associé au passé : son ancienneté dépasse l’existence même de la cité. Ainsi Cicéron, lorsqu’il fait l’étymologie du bâton augural de Romulus appelé lui aussi le lituus, signale que c’est d’après l’instrument de musique que le bâton augural aurait pris son nom, et non l’inverse104.
53Comme pour les aenatores dans leur ensemble, c’est en Étrurie qu’il faut aller chercher l’origine de cet instrument. Ainsi que l’ont montré les travaux de J.-R. Jannot, le lituus était particulièrement représenté dans l’iconographie étrusque105. Il était associé aux magistratures, et plus particulièrement à leur versant civil, là où le cornu incarnait la dimension militaire106. À Rome, à l’époque républicaine, l’instrument ne cessa pas d’être utilisé, sans pour autant que le terme servant à désigner son praticien ne soit mentionné. En conséquence de quoi, la mention du terme lituus dans l’inscription de la Meta Sudans était tout sauf anodine. Associé à l’image d’un passé lointain, le lituus s’inscrivait à plein dans la politique augustéenne de référence à la tradition. Ne mentionner que le tubicen, son musicien réel, aurait masqué sa visibilité. Par l’utilisation du terme liticen, les commanditaires de l’inscription mettaient au contraire leur ancienneté au cœur de leur identité. Ils intégraient ainsi parfaitement le discours impérial en se désignant comme les agents sonores du passé romain. De mauvaise réputation dans la première moitié du Ier siècle a.C., l’Étrurie connut en effet au début du règne d’Auguste une singulière revalorisation, sous l’influence notamment de Mécène107. Il n’est donc pas hors de propos d’émettre l’hypothèse qu’une captation de la mémoire étrusque à travers ses symboles musicaux ait été à l’ordre du jour sous Auguste. L’autorisation accordée aux musiciens d’élever ces bases statuaires avait peut-être même été conditionnée par cette utilisation rare et pour tout dire archaïsante du terme liticen.
1.2.2.2.3. Un cadre ancestral
54L’importance de la zone dans laquelle les deux bases inscrites ont été découvertes a déjà été soulignée. Néanmoins, une prise en compte plus fine de la topographie fournit des arguments allant dans le sens de la démonstration.
55L’édicule abritant la grande base maçonnée était adossé à un mur refait à l’époque tardo-républicaine, probablement au IIe s. a.C., qui servait d’enceinte à un temple. Les bases étaient situées à l’intérieur de l’enceinte et non sur la rue, ce qui pourrait être considéré comme une minoration de leur importance : elles n’avaient pas la visibilité conférée par une localisation dans un espace ouvert (fig. 7). Néanmoins ce que les aenatores perdaient en visibilité, ils le gagnaient en symbolique.
56Les fouilles conduites autour de la Meta Sudans en direction du Palatin ont mis au jour deux éléments importants. Il s’agit d’une part d’une série continue de dépôts votifs, entre le VIIIe et le IIIe s. a.C., attestant la très grande ancienneté de la consécration religieuse de cet espace. D’autre part, les archéologues ont retrouvé le fronton d’un temple correspondant à la réfection claudienne d’un ancien bâtiment, finalement abattu en 68. Ces deux éléments permettent donc d’affirmer la permanence de la sacralité de cet espace entre le VIIIe s. a.C. et 68 p.C.108.
57L’hypothèse d’identification proposée par C. Panella tient compte de cette très grande ancienneté : elle suggère que le mur servait d’enceinte aux curiae ueteres109. Le temple serait alors une réfection claudienne d’un très vieil espace consacré110. Les curiae ueteres étaient un espace sacré collectif pour les curies les plus anciennes de la Cité, qu’il n’était pas possible d’invoquer dans les curiae nouae après que Rome a accueilli les habitants d’Albe la Longue111. Ce lieu avait continué à servir, jusqu’à la fin de la République, pour un ensemble de rites concernant la totalité du peuple romain, même si l’essentiel de la population devait alors ignorer à quelle curie il était rattaché112. Ainsi, les curiae ueteres correspondaient à un espace dans lequel les aenatores avaient pu être appelés à jouer depuis l’époque archaïque et jusqu’au règne d’Auguste, donnant une justification à la présence de leurs bases en ce lieu.
58On voit combien la localisation conforte l’hypothèse : l’insertion des aenatores dans cet espace marqué par son extrême ancienneté formerait un tout cohérent propre à renforcer le discours augustéen. Acteurs quotidiens des rites civiques et religieux, ces musiciens étaient par ailleurs les vecteurs d’un discours adapté à la volonté impériale. Ils étaient les représentants sonores d’une ancienneté que le régime augustéen souhaitait associer à son fonctionnement, afin d’en asseoir la légitimité.
1.2.2.2.4. Les tibicines, agents de la tradition
59L’argument de la restauration religieuse est, de même, particulièrement bien adapté pour expliquer la chronologie de la reconnaissance officielle des tibicines en tant que desservants des cultes publics à l’époque augustéenne. On a vu que leur rôle dans la cité était suffisamment important pour qu’ils fassent partie des premiers collèges autorisés à se fonder. Des passages de Tite Live et d’Ovide, deux auteurs contemporains à la mise en place du discours augustéen, insistent également sur cette ancienneté de la profession. Selon Tite Live, les tibicines qui disposaient du droit de célébrer un banquet dans le temple de Jupiter détenaient ce privilège « de toute antiquité »113. Pour Ovide, c’est la célébration des quinquatries mineures, avec sa pérégrination urbaine, qui était marquée par le sceau de l’ancienneté, notamment en raison du fait que les tibicines parcouraient alors la ville en entonnant « de joyeux couplets sur des airs anciens »114.
60À ce titre il n’est sans doute pas anodin que les tibicines se soient imposés comme des personnages fondamentaux pour la représentation des sacrifices réalisés lors des cultes compitalices sur les autels d’époque augustéenne, successivement à la réforme de l’an 7 a.C.115. Si tous ces autels ne représentent pas un sacrifice – on pense notamment au célèbre autel du Belvédère ou encore à l’autel rond situé Piazzetta dei Lari à Ostie –, en revanche tous les autels qui figurent un sacrifice montrent un tibicen en train de jouer lors de la praefatio116. Tous ces reliefs présentent une composition très proche, à tel point que l’on a pu un temps penser qu’ils étaient issus d’un même atelier officiel117. Le(s) sacrifiant(s) et un personnel plus ou moins abondant, intégrant parfois aussi la future victime du sacrifice, un taureau comme le requérait le genius Augusti, sont regroupés autour d’un autel où le vin et l’encens sont en train d’être répandus. Un musicien, joueur de tibia, est systématiquement représenté derrière l’autel, de profil, en train de jouer, le regard tourné vers le principal sacrifiant. La scène peut être plus ou moins peuplée, mais la configuration minimale, comme c’est le cas sur l’autel de la salle des Muses est la suivante : un sacrifiant, accompagné d’un musicien.
61À ma connaissance deux hypothèses ont été formulées pour expliquer cette présence récurrente des tibicines. I. Scott Ryberg s’est contentée de l’insérer dans une histoire des formes iconographiques : le musicien serait là pour boucher un trou. Sa représentation aurait servi aux sculpteurs du premier état impérial à combler un vide qu’ils ne savaient comment remplir, mettant en place une tradition iconographique qui perdura au moins jusqu’au IIIe siècle118. M. Hano a pour sa part insisté sur le caractère festif : les tibicines signifiaient qu’il s’agissait d’un temps de fête dans la cité119. Nul n’est besoin de revenir ici sur la nécessité rituelle de la présence des musiciens, qui dépasse largement la dimension festive, au sens contemporain du moins. Les tibicines étaient des participants de l’orthopraxie du rite120. La représentation de leur action sur les autels compitalices augustéens était donc un reflet de la réalité rituelle et si étonnement il doit y avoir quant à leur présence sur ces reliefs, c’est bien sur sa systématicité.
62Je propose d’interpréter cette dernière comme le signe de la volonté, de la part des commanditaires de ces monuments, de signifier la perfection du rite qu’ils avaient accompli, tout en utilisant un vocabulaire iconographique qui satisfaisait aux exigences du temps. Pour aboutir à ce raisonnement il convient de considérer l’identité des commanditaires et du public des autels compitalices. Ces monuments étaient réalisés à leurs frais par les uicomagistri, c’est-à-dire les responsables annuels du culte, dont on ne sait comment ils étaient désignés ou élus121. Certains autels conservent leurs noms et permettent de préciser leur condition sociale122. Les uicomagistri étaient dans leur grande majorité des affranchis : sur les 86 noms de magistrats qui nous sont parvenus, quatre correspondent à des ingénus, deux autres à de probables ingénus et treize sont des incerti123. Aucun des noms ne correspond à des hommes connus par ailleurs, que ce soit par les sources narratives ou par l’épigraphie, ce qui a conduit J. Bert Lott à conclure que les affranchis qui s’emparèrent de ces fonctions créées par la réforme de l’an 7 a.C. n’étaient pas les plus influents124. Par l’accession à cette responsabilité, les uicomagistri qui procédaient au culte des Lares compitalices et du genius Augusti trouvaient une opportunité, probablement unique dans leur vie, d’occuper un rôle dans la vie publique. À l’image des nombreux sévirs augustaux qui figèrent dans la pierre les jeux qu’ils donnèrent pour le culte impérial, tel C. Lusius Storax, les uicomagistri romains voyaient dans la célébration des rites compitalices l’occasion d’asseoir leur notabilité de quartier. L’autel qui en dérivait conservait la mémoire de l’importance de leurs actes et de sa bonne réalisation. Le sérieux et la dignité de tous les participants à la praefatio de l’autel du uicus Aesculeti est à ce titre remarquable. Qui aurait voulu gâcher ce moment par un rite qui n’aurait pas scrupuleusement suivi les prescriptions de la religion traditionnelle ? Indispensable à l’orthopraxie, le tibicen était présent lors de la réalisation du sacrifice, mais ce que sa représentation systématique signifie est l’insistance des uicomagistri, peu rompus aux actes publics, sur l’exactitude avec laquelle le rite avait été réalisé. Sur les autels compitalices d’époque augustéenne, le tibicen est le signe de l’exactitude rituelle, de la performance exacte, de la réussite, enfin, d’un moment unique pour les uicomagistri.
63Le public de ce discours iconographique de perfection rituelle était, au sens le plus pratique, les habitants du quartier appelés à passer régulièrement devant le monument. Mais on ne peut toutefois s’arrêter là car, in fine, c’est bien l’empereur lui-même, à travers son génie, qui était concerné par ces rites. La revivification des cultes compitalices correspondait à une initiative impériale permettant d’instaurer des relations concrètes et régulières entre l’empereur et la population. En ce sens, les autels témoignent aussi d’une relation socialement verticale, ce que manifeste clairement le fait que l’on sacrifiait au genius de l’empereur, sur ordre de ce dernier.
64Or A. Alföldi, dans la lignée des travaux de P. Zanker, a montré que les motifs utilisés sur ces monuments reprenaient les nouveaux codes du vocabulaire iconographique augustéen, comme les lauriers que l’on trouve sur les autels de la salle des Muses, du uicus Aesculeti ou celui dit de Soriano125. Ce végétal, synonyme de fête de longue date, avait progressivement acquis une signification particulière à la fin de la République et au début du Principat, liée à la victoire. Pour les Romains du temps, les lauriers étaient associés à l’empereur, de même que la couronne de chêne que l’on retrouve sur les autels compitalices126. La présence de ces éléments végétaux, clés du nouveau vocabulaire iconographique, signifiait leur compréhension et leur acceptation par les uicomagistri. Selon un raisonnement analogue, je propose de voir dans les tibicines des autels compitalices un autre de ces codes iconographiques de la période augustéenne. Les tibicines, agents immémoriaux de la perfection rituelle, incarnaient la stabilité retrouvée de la Cité sous le règne d’Auguste. Ils garantissaient la bonne communication entre les dieux et les citoyens, selon les pratiques ancestrales, qui pouvait assurer la continuité du régime. Leur présence systématique sur les reliefs des autels compitalices témoigne probablement de leur entrée dans le cercle des repères iconographiques symbolisant la nouvelle ère ouverte par Auguste.
65Comme les aenatores, les tibicines ont donc bénéficié du contexte général de la politique augustéenne. Par l’ancienneté de leur pratique, ces musiciens permettaient au nouveau régime de se placer dans la tradition. Les aenatores et les tibicines assuraient une forme de stabilité dans les rites de la cité : figures éternelles de son fonctionnement, ils étaient les outils d’un discours conservateur et apaisant, adapté à la volonté impériale.
66Ce faisant, ces musiciens semblent avoir joui d’une considération particulière de la part des autorités civiques. La reconnaissance officielle du collège des tibicines qui sacris publicis praesto sunt, l’octroi du blé public aux aenatores, les grandes bases de la Meta Sudans sont autant d’éléments d’un dialogue dynamique entretenu par ces catégories de musiciens avec le pouvoir impérial127. Les années qui se sont écoulées entre 17 a.C. et 8 p.C., soit entre les jeux séculaires et la deuxième révision des listes de bénéficiaires du blé public, furent à ce titre une période d’intenses échanges, avec l’accession d’Auguste au pontificat suprême comme moment clé.
1.2.2.2.5. Un cas à part, les tubicines sacrorum publicorum populi Romani Quiritium
67Trois inscriptions italiennes relatives à des tubicines se détachent des autres inscriptions de musiciens. Q. Atatinus Modestus était tubicen sacrorum, Arrius Salanus tubicen sacrorum populi Romani et Q. Decius Saturninus était tubicen sacrorum populi Romani Quiritium128. Ces inscriptions présentent toutefois un grand nombre de points communs qui permettent de penser que ces trois hommes exerçaient en réalité la même charge, dont Decius Saturninus livre la dénomination la plus complète.
68Ces trois hommes appartenaient au même horizon géographique. Aquinum, Formiae et Aueia étaient trois cités d’Italie centrale ; Aquinum et Formiae, notamment, n’étaient séparées que de quelques kilomètres. Par ailleurs ces individus ont vécu à la même époque : Arrius Salanus est mort au plus tard en 30 p.C. et plus probablement à la toute fin du règne d’Auguste, exactement comme Q. Decius Saturninus. Atatinus Modestus vécut sans doute quelques années plus tard, son épitaphe ayant été rédigée vers le milieu du Ier s. p. C. Enfin, ces trois hommes partageaient aussi un horizon social. Tous trois appartenaient à l’ordre équestre et avaient exercé des charges de même niveau : Atatinus Modestus et Decius Saturninus avaient été préfets des ouvriers ; Decius Saturninus partageait aussi avec Arrius Salanus une responsabilité de remplacement du souverain et des princes de la famille impériale aux magistratures locales.
69Le niveau social de ces hommes les distingue très nettement de tous les autres musiciens129. La raison ressort clairement de l’étude des cursus offerts par ces inscriptions. Ainsi dans le cursus de Decius Saturninus la mention de la charge de tubicen sacrorum arrive après celle du pontificat mineur à Rome ; dans celui d’Atatinus Modestus, elle précède le flaminat de Rome à Aueia. Il n’y a donc aucun doute quant au fait que cette responsabilité de tubicen du peuple romain doit être classée parmi les charges religieuses. Il s’agissait d’un sacerdoce et non d’une responsabilité musicale.
70Aulu Gelle fait mention de ce sacerdoce. Il reprend les écrits du juriste d’époque augustéenne M. Antistius Labeo, sur les conditions de choix des vestales : les tubicines sacrorum bénéficiaient d’une dispense pour leur fille, tout comme les flamines, augures, quindecemuiri et septemuiri epulones, ainsi que les Saliens130. Ce passage confirme par ailleurs que cette catégorie de tubicines n’était pas considérée avec mépris, puisque les jeunes femmes dont les pères se livraient à un sordidus negotium étaient exclues d’office.
71Festus fait lui aussi référence à ce sacerdoce dans sa définition des tubicines : il s’agit de prêtres qui réalisaient des rites à frais publics pour la lustration des trompettes131. La cérémonie ainsi désignée est le tubilustrium, à laquelle un développement a été consacré dans un précédent chapitre132. Le sens de cette cérémonie était de préparer la cité pour la saison de la guerre. Elle avait un pendant, l’armilustrium du mois d’octobre, qui mettait un terme à cette phase de l’année. Les tubicines sacrorum populi Romani participaient donc à ensemble de rites anciens, qui semblent totalement inadaptés à une époque où l’idée de la saison guerrière n’avait plus grand sens. Dans ces conditions, la concentration des inscriptions à une époque immédiatement postaugustéenne pose question. Comme d’autres sacerdoces anciens, il est possible que le tubicinat du peuple romain et des Quirites, formulation par ailleurs marquée par le temps, ait fait l’objet d’une réactivation sous le premier des princes, à une période du règne que l’on ne peut préciser133. Il aurait alors été ajouté parmi les sacerdoces équestres. Ainsi, le fait qu’il soit inclus par M. Antistius Labeo dans sa liste d’exceptions peut tout autant être interprété comme un signe de son ancienneté que de son actualité à l’époque de la réflexion du juriste. Ces « musiciens » un peu particulier participaient donc eux aussi sans doute à l’entreprise de rénovation par l’ancien de la religion publique à l’époque augustéenne.
72Avec les tubicines sacrorum populi Romani, la figure du musicien atteint donc à la fois son apogée et ses limites. Un apogée social, assurément, puisque le terme tubicen est porté par des membres de l’ordre équestre, même si la précision apportée par la suite de la titulature, populi Romani Quiritium, les distinguait sans nuance de la plèbe des musiciens, qu’ils n’ont pas remplacé. Les aenatores connaissent donc, notamment avec cette prêtrise une forme d’âge d’or : la sémantique musicale se diffusait à divers niveaux dans la société.
73Mais en même temps elle en signifiait les limites, notamment chronologiques. Le fait que ce sacerdoce ne soit plus rempli après Claude incite à penser à un échec, de même que le spectre social réduit dans lequel ses détenteurs se recrutaient : les chevaliers ne se sont pas emparés de cette prêtrise, peut être en raison de la mécompréhension de sa signification rituelle. Malgré ce qui ressemble à un échec, la revivification du tubicinat, les musiciens ont continué malgré tout à tirer les bénéfices de la stimulation augustéenne dans les décennies suivantes.
2. Diffusion du modèle dans l’espace et le temps
74Après la mort du Princeps, le nombre de jeux continua à augmenter ; les musiciens ne désertèrent donc pas plus les planches que les rues ou les temples. Le mouvement initié sous Auguste accordant une visibilité physique et sociale aux musiciens se perpétua, entre autres grâce à leur participation au culte impérial naissant.
2.1. Les expressions du loyalisme
2.1.1. La Meda Sudans, encore
2.1.1.1. Une chronologie fidèle
75L’ensemble architectural de la Meta Sudans ne s’est pas, lui non plus, figé à la disparition d’Auguste. Bien au contraire, la forme du monument a continué à évoluer, au gré des mutations de la dynastie julio-claudienne. Suite à l’érection de la base en l’honneur d’Auguste, une seconde fut posée, supportant la statue de Tibère. Le texte gravé sur la plaque de bronze ne permet qu’une datation imprécise : Tibère avait reçu la deuxième acclamation impératorienne, ce qui situe la gravure après l’été 8 a.C. ; en revanche, il n’avait pas encore été adopté par Auguste, ce qui fixe l’année 4 p.C. comme terminus ante quem134. V. Morizio suggère la date de 7 a.C., qui correspond à un point culminant de la carrière de Tibère avant son adoption : il célébra la même année des jeux votifs pour Auguste et son triomphe sur la Germanie. Il convient de souligner, plus que ne l’a fait V. Morizio, que ce temps important dans la carrière politique de Tibère lui avait fourni l’occasion de sceller ses relations avec les aenatores, à travers ces deux célébrations. Ces liens justifient la réalisation de la base alors même que Tibère n’était pas encore le successeur officiel d’Auguste.
76Puis, à l’avènement de Claude, une nouvelle base fut très rapidement inaugurée, entre le 1er et le 24 janvier 42. L’inscription d’Auguste y fut recopiée et sa statue transférée, l’ancienne base étant certainement détruite. La nouvelle base, plus petite que celle qui nous est parvenue, pouvait toutefois supporter deux ou trois statues : outre celle des deux empereurs, une de Messaline ou, plus probablement de Germanicus135. Le monument resta ainsi jusqu’à sa rénovation, à la fin de l’année 55 ou en 56, date à laquelle il fut une nouvelle fois rallongé, afin d’accueillir les dédicaces à Néron et Agrippine, ainsi que leurs statues. Suite à la mort d’Agrippine, son inscription fut stuquée et la partie droite de la base resta inoccupée. L’adjectif Romani, qui était initialement gravé sous la dédicace à Agrippine, fut rajouté en une ligne supplémentaire sous la dédicace à Claude. Finalement, la totalité du monument fit les frais du réaménagement de cette zone, suite à l’incendie de 64.
77Les conclusions concernant la chronologie de cette base ont été tirées par V. Morizio : par ses différentes étapes, l’ensemble de la Meta Sudans reflète parfaitement les mutations de la famille julio-claudienne. Des changements d’empereurs à la disgrâce d’Agrippine, chaque évolution à la tête du régime a été enregistrée par les aenatores et traduite dans le monument. Il n’y a que Caligula qui n’apparaisse pas, ce que peut évidemment expliquer la damnation de sa mémoire, qu’il subit de fait sinon de droit. Par ailleurs, rien ne permet d’exclure l’hypothèse selon laquelle il aurait disposé, de son vivant, d’une base en son honneur, placée à côté de celles d’Auguste et de Tibère ; la base aurait été enlevée à sa disparition136.
2.1.1.2. Une forme originale
78Mais toute l’originalité du monument ne réside pas dans sa chronologie. La forme qu’il a prise est particulièrement intéressante en ce qu’elle reflète elle aussi les grandes orientations politiques de son temps. À la juxtaposition de bases distinctes sous Auguste (et peut-être Caligula) succède une base unique sous Claude. La réalisation de cette grande base permit de faire figurer côte à côte le prince régnant et le premier Princeps. Elle était la traduction manifeste d’une recherche de légitimité de la part du petit-fils de Livie, passant par la création d’un lien puissant et direct l’unissant à Auguste. Par cette base collective, se trouvait mise en scène la réalité efficace d’une famille véritablement julio-claudienne, sans les détours des stemmata impériaux. Le rôle de Claude en tant qu’organisateur de la dynastie, qui a bien été montré notamment à partir des inscriptions et des cycles statuaires italiens, se trouve confirmé dans ce monument137. La réalisation d’une base unique intégrant le fondateur du régime marquait la volonté de Claude de s’appuyer sur le glorieux ancêtre pour légitimer son pouvoir. Elle correspond donc à une démarche tournée vers le passé, et se démarque en cela de l’épigraphie dynastique augustéenne et tibérienne, caractérisée par l’avenir – insistance sur les descendants et donc successeurs potentiels –.
79Or il est frappant de constater combien cette démarche intervient tôt dans le règne de Claude : moins d’un an après son accession au pouvoir, la base des aenatores met symboliquement en scène l’unité des julio-claudiens. Une fois encore, l’espace dans lequel cette base était insérée fournit une clé d’explication à cette promptitude. Si notre hypothèse de départ est exacte alors tout, dans le lieu de la dédicace comme dans les dédicants, s’apparentait depuis Auguste à une recherche de légitimation par le passé. La démarche claudienne, fondée sur le rapport immédiat au premier Princeps, correspond à une même utilisation du passé que celle d’Auguste. Claude ne pouvait donc probablement pas rêver de meilleur marchepied pour étayer sa démonstration que de cet espace voué à la captation de l’enracinement par l’histoire.
80À ce titre, le fait que l’inscription gravée sur la base d’Auguste soit reprise sur le monument claudien telle qu’en son état de l’année 12, sans chercher à l’actualiser par une prise en compte de l’évolution de la titulature impériale dans les 26 années suivantes, doit être souligné. L’Auguste des aenatores n’a pas évolué après son accession au grand pontificat, permettant à Claude, par cette fossilisation d’un passé pas si lointain, de donner à sa démarche une épaisseur historique supplémentaire.
81Il est possible de lire dans le même sens le fait que Tibère ne soit pas intégré à la base collective. Il semble en effet que cette réalité corresponde bien plus à une exclusion qu’à la distinction d’un homme à qui l’on avait laissé une base individuelle. Dans la perspective de mise en image d’une dynastie, Tibère représentait pour Claude un intermédiaire qui ne facilitait pas la clarification du lien entre l’empereur régnant et le fondateur du régime. Le rapprochement direct de Claude et d’Auguste était plus parlant que leur mise en relation par l’intermédiaire d’un homme qui, tel qu’il était présenté sur cette inscription antérieure à l’adoption, n’était pas même encore un Iulius. Tibère entraînait trop Claude du côté des Claudii pour qu’il permette une explicitation claire de la légitimité de la famille régnante.
82La réalisation rapide de ce cycle statuaire et épigraphique a fourni un modèle à diffuser dans les cités de l’empire. C. Panella a ainsi repéré des monuments italiens qui s’inscrivent eux aussi dans cette démarche de démonstration de l’unité de la dynastie julio-claudienne138. À Lanuvium, Veleia ou Otricoli ont été retrouvés des ensembles statuaires qui affirmaient de la même manière le lien direct entre le fondateur du régime et l’empereur régnant, Claude. Si le degré d’emprunt au monument des aenatores ne peut être mesuré avec une grande efficacité en l’état des découvertes, la rapidité avec laquelle les aenatores ont relayé le message impérial peut toutefois suggérer que les musiciens furent des diffuseurs zélés du discours dynastique claudien et de probables modèles pour des communautés ou des groupes constitués en rapport moins direct avec les autorités impériales.
83Cette mise en scène de la dynastie julio-claudienne a été reprise par Néron lors de la réfection de la base à laquelle il fit procéder, avec la même célérité que son père adoptif139. L’ordre des statues sur la base, reflétée par l’organisation du texte, mérite qu’on y prête attention : Auguste, Néron, Claude, Agrippine. Il ne suit pas l’ordre chronologique mais rapproche l’empereur régnant du fondateur du régime. On peut comprendre cet arrangement avec l’ordre de la succession dynastique comme la volonté renouvelée, de la part de Néron, de capter la légitimité augustéenne. Le monument représentait ainsi un raccourci de la dynastie julio-claudienne par la juxtaposition du premier et du dernier régnant140. Le discours dynastique mis en place par Claude a donc été repris, dans ses grandes lignes, par son successeur. Néron n’a pas exclu Claude, comme celui-ci l’avait fait pour Tibère : son jeune âge notamment rendait nécessaire la référence à son père adoptif. En revanche, Claude n’avait pas l’auctoritas dont jouissait Auguste et qu’ont cherché à capter quasiment tous les empereurs du Haut-Empire : il fut donc prié de céder sa place à Néron.
84Par sa richesse, le monument de la Meta Sudans ouvre la voie à une interprétation plus approfondie que bien d’autres documents concernant les musiciens. Les aenatores, placés au cœur d’un espace à la symbolique marquée, ont donné tous les signes d’un loyalisme zélé envers la dynastie julio-claudienne. Ils semblent avoir volontairement et totalement intégré le rôle de porte-parole du discours impérial esquissé sous Auguste. Les bases qu’ils ont érigées en l’honneur de la dynastie julio-claudienne éclairent ainsi d’autres documents.
2.1.2. Des hommages réguliers
85Les aenatores ne sont pas les seuls musiciens à avoir rendu des hommages appuyés à la puissance impériale par l’intermédiaire de dédicaces ou de statues. À Rome même, les tibicines préposés aux cultes publics firent rédiger une dédicace au numen de la maison des Augustes, à la Victoire et au genius de leur association141. L’inscription, aujourd’hui perdue, était gravée sur un support dont on ignore la nature. Elle avait été réalisée par l’intermédiaire d’un magistrat quinquennal de l’association, qui occupait cette charge pour la deuxième fois. La composition du groupe des bénéficiaires de l’inscription est hétérogène, mais elle associe dans un même hommage la domus impériale et les musiciens, laissant entendre que le bonheur de la première conditionne celui des seconds.
86Quelques années plus tard, en 200, ces mêmes instrumentistes préposés aux sacra publica sont à l’origine d’une inscription en l’honneur de Caracalla142. C. Praecilius Serenus et Ti. Claudius Titianus, tous les deux magistrats quinquennaux de l’association, ont fait réaliser sur un support inconnu une inscription de grande taille, respectant tous les codes des dédicaces à un membre de la famille impériale. Caracalla, dans sa troisième puissance tribunitienne n’était alors âgé que de douze ans, mais était déjà associé au pouvoir par son père. Par l’intermédiaire de Caracalla, c’est donc Septime Sévère qui est en même temps concerné par cette dédicace : sa titulature complètement énoncée occupe en réalité plus de lignes que celle de son fils, sujet théorique de l’hommage. Plus que le monument précédent, il est possible que cette inscription ait été gravée sur une base, servant de support à une statue de Caracalla. La même année, on trouve des aenatores à l’œuvre à Cassinum, dans le Latium. Le collège, en tant qu’entité, fit graver sur une grande base qui servait certainement de support à une statue en pied, une inscription en l’honneur de Septime Sévère143.
87Rome n’était donc pas la seule ville dans laquelle des musiciens en rapport avec le fonctionnement de la cité exprimaient leur loyalisme vis-à-vis de l’empereur régnant. Bien au contraire, on trouve à Pouzzoles un ensemble de documents qui peut être comparé aux documents de la Meta Sudans. Il s’agit de trois bases de grande taille et de très grande qualité, réalisées par le collège des scabillarii de la cité144. L’une d’entre elles avait été réalisée sur fonds propres par l’un des magistrats de l’association, C. Iulius Fortunatus, trouvant vraisemblablement dans cette dépense un moyen d’assurer son prestige local145. Ces trois bases ont été découvertes dans le collège de l’association. Elles supportaient certainement les statues des membres de la famille impériale à qui elles étaient dédiées. La plus ancienne fut réalisée en l’honneur d’Antonin dans sa deuxième puissance tribunitienne, c’est-à-dire en 139. La seconde, rédigée sur le même modèle, fut adressée à Faustine et Antonin l’année suivante, en 140. Enfin, la plus récente est relative à Marc Aurèle, alors dans sa quinzième puissance tribunitienne, soit en 161.
88La comparaison avec le monument de la Meta Sudans se justifie pour deux raisons. Il s’agit d’une part d’un ensemble continu de dédicaces en rapport avec la dynastie impériale. Tant la qualité du support que celle de la gravure ou encore la rigueur dans l’énonciation des titulatures font de ces bases des expressions claires du respect des scabillarii vis-à-vis de l’autorité impériale. La chronologie de deux de ces hommages est par ailleurs, comme pour les aenatores de Rome, particulièrement intéressante. En effet, tant la dédicace à Antonin que celle à Marc Aurèle se situent dans la première année de leur accession au pouvoir. Par ces monuments de belle qualité, les scabillarii de Pouzzoles s’empressaient donc de signifier leur reconnaissance à l’empereur nouvellement désigné. Cet enthousiasme, comme les fonds investis dans la réalisation de ces hommages étaient les expressions manifestes de leur loyalisme envers la domus impériale.
89Si le règne d’Auguste marqua un temps fort dans la création de liens serrés entre les musiciens des cités et l’autorité impériale, sa disparition n’y mit pas un terme. À Rome comme en Italie, des monuments épars ou concentrés viennent signifier la continuité de l’adhésion des musiciens au régime. Il est probable que cette continuité fut en partie entretenue par le rôle important pris par les musiciens dans la célébration du culte impérial.
2.2. Les musiciens et le culte impérial
90La mise en place d’un culte aux empereurs défunts est l’une des grandes innovations de la période impériale en matière de religion publique, préparée par Auguste lui-même. La lecture morale qu’en donnèrent les auteurs chrétiens conduisit à une focalisation, dans l’historiographie traditionnelle, sur sa mise en place et sa scandaleuse signification146. Néanmoins, dans son essence, le culte rendu aux empereurs divinisé ne différait pas de la religion traditionnelle. Les empereurs défunts et consacrés par le Sénat recevaient des lieux de cultes, un personnel et un calendrier de célébrations. Les musiciens furent insérés dans cette pratique rituelle.
2.2.1. La Meta Sudans, toujours
91Une des principales raisons de l’importance de l’hommage rendu par les aenatores à la famille impériale grâce au monument de la Meta Sudans est la richesse symbolique de l’espace dans lequel il s’insère. En effet, non seulement les curiae ueteres étaient un espace vénérable et poli par les ans, mais il avait de plus eu l’honneur d’abriter la naissance d’Auguste. C’est du moins ce que rapporte Servius, dans son commentaire sur l’Énéide147. Suétone ne mentionne pas les curiae ueteres, mais confirme que le Princeps était né sur le Palatin, dans la partie dite « aux têtes de bœufs »148.
92La maison qui avait abrité la naissance d’Auguste ne fit pas l’objet d’un culte de son vivant. Elle fut transformée en sacrarium, après la mort de l’empereur, en 22 ou 23. Livie fut à l’origine de cette modification ; elle instaura aussi les ludi Palatini, afin de célébrer la dédicace du bâtiment, qui coïncidait en outre avec la date de son union à Auguste149. Néanmoins, il ne s’agissait alors que d’un espace de dévotion privée : la consécration du lieu en templum d’Auguste divinisé, synonyme d’insertion dans la religion publique eut lieu « assez longtemps après sa mort », si l’on suit Suétone, et plus précisément en 42, sous Claude. C’est pourquoi il est possible d’envisager que le temple dont on a retrouvé le fronton inscrit à proximité des bases des aenatores corresponde au templum d’Auguste divinisé, bâti par Claude, sur l’emplacement du sacrarium de Livie et à proximité des curiae ueteres150.
93Dans l’hypothèse d’une telle identification, les aenatores auraient été aux premières loges pour participer aux cérémonies du culte impérial. Eux qui, à travers leurs hommages, se trouvaient présents dans cet espace depuis 12 a.C., disposaient alors d’un emplacement particulièrement efficace pour participer à une dévotion impériale dont les rites ne devaient pas manquer de susciter leur présence. Par ailleurs, la popularité de ce temple, avant sa destruction par le feu, donnait au monument des aenatores une visibilité singulière. Ainsi, la densité des relations entre les aenatores et Auguste trouva après la mort de ce dernier une continuité particulièrement éloquente dans la zone de la Meta Sudans.
2.2.2. Musiciens et augustales
94Le rôle de ces musiciens dans le culte impérial est par ailleurs mis en lumière grâce à d’autres inscriptions italiennes. Un texte de Trebula Suffenas, dans le Latium, éclaire sous un autre jour les relations entre un tubicen et le culte impérial151. Il s’agit d’un document datant de l’année 14, qui mentionne l’action d’un groupe d’individus au sein de la cité. Le 23 août, ces hommes ont procédé à la dédicace d’un bâtiment, une schola, qu’ils venaient de faire construire en commun. Ils l’ont ornée des images des Césars, c’est-à-dire à cette date probablement Tibère et Germanicus. Puis ils ont fait donner à la population de la cité une collation de crustulum et mulsum, pratique courante dans les cités d’Italie centrale, dont il s’agit toutefois de la première mention. Les noms de treize hommes apparaissent au fil de l’inscription. Tous étaient des affranchis, que leur condition légale soit clairement affirmée dans leur séquence onomastique, dans la majorité des cas, ou que les sonorités hellénophones de leur cognomen poussent à en faire d’anciens esclaves.
95La nature de cette association n’est pas précisée dans l’inscription : on doit se contenter, pour tenter de la définir, de ses pratiques et de son personnel. Or sur ce point, les éléments convergent : tout pousse à faire de ces hommes des desservants du culte impérial et probablement, étant donné leur nombre, des Augustales152. Les Augustales avaient pour responsabilité la réalisation du culte impérial. Le choix d’orner leur lieu de réunion de portraits des successeurs potentiels du prince régnant est en cela caractéristique. Par ailleurs, le recrutement du collège plaide lui aussi en la faveur de cette identification. Selon les calculs de R. Duthoy, 92 % des Augustales étaient des affranchis ; les statistiques sont encore plus catégoriques dans cette inscription, où tous étaient d’anciens esclaves. Tous ces éléments permettent donc de supposer qu’à une date précoce la cité de Trebula Suffenas devait disposer d’un collège d’Augustales en charge du culte impérial. Cette inscription, gravée sur une très belle plaque de marbre blanc, commémorait sans doute, étant donnée la date et la référence à la dédicace de la schola, la constitution du collège.
96Or à sa tête, parmi les trois responsables de ce collège se trouvait [- - -] Eros, qui se distinguait de ses collègues par le fait qu’il était tubicen. Avec [- - -] Philodamus et [- - -] Zela, il a procédé à la dédicace de la schola et à sa décoration par des bustes des Césars. Nous avons donc affaire à un musicien, qui non seulement faisait partie du premier collège des Augustales de Trebula Suffenas, mais qui en était également l’un des responsables. Le rôle de l’augustalité dans la situation sociale de ses détenteurs a été mis en avant par R. Duthoy153. Elle était l’un des substituts offerts aux affranchis, en contrepartie de leur mise à l’écart des responsabilités municipales. La nomination à une charge de responsable du culte impérial faisait l’objet d’une décision de la part des décurions de la cité : il s’agissait pour elle de déterminer l’élite des affranchis, les Augustales étant devenus, au fil du Ier s. p. C. comme un deuxième ordo municipal154.
97[- - -] Eros appartenait donc à l’élite des affranchis de sa cité et il avait réussi à se faire appointer parmi les trois premiers responsables du collège d’Augustales de sa cité, signe de son empressement à servir le culte impérial. Par ailleurs, il est possible que ce musicien ait été, huit ans plus tard, sévir de Trebula Suffenas. À cette date, les fastes du collège des sévirs portent à notre connaissance le nom d’un certain M. Etrilius Eros155. Le cognomen pourrait paraître trop courant pour que l’on puisse proposer un rapprochement entre les deux. Cependant, le fait qu’au moins un des Augustales de 14, T. Traebulanus Felix, soit, de manière assurée, sur la liste des sévirs de l’année 23 montre la possibilité de rapprochement entre les deux textes156. Si tel était le cas, notre tubicen aurait eu une forme de carrière à Trebula Suffenas en occupant différentes charges liées au culte impérial157.
98Outre l’intérêt personnel que [M. Etrilius ?] Eros pouvait y trouver en termes de considération sociale, il n’est guère surprenant que ce tubicen ait montré tant d’empressement dans la mise en place et l’accomplissement du culte impérial. Il trouvait là sans doute un moyen de signifier son loyalisme complet vis-à-vis d’un régime et d’un homme qui avaient grandement modifié les conditions de la pratique musicale au service des cités, et ses implications. À Brixia, une inscription que l’on ne peut dater plus précisément que des Ier ou IIe s. p. C. rapporte l’existence d’un lien de patronat entre un sévir Augustal, prêtre municipal chargé de la réalisation du culte à Auguste divinisé, et le collège des aenatores de la cité158. Par cette fidélité à un représentant du culte impérial, plus particulièrement du culte à Auguste, les aenatores de Brescia perpétuaient la relation profonde de ces musiciens avec le Princeps.
2.2.3. Les scabillarii, grands bénéficiaires du culte impérial ?
99Enfin, il est peut-être une autre catégorie de musiciens pour qui le culte impérial avait une signification particulière : les scabillarii. Il a été exposé précédemment en quoi ces musiciens jouant de la tibia en même temps qu’ils frappaient le scabellum de leur pieds devaient leur accroissement et leur reconnaissance à la faveur impériale envers la pantomime159. Ce genre apparu sous Auguste nécessitait un personnel musical abondant, expliquant ainsi la multiplication des scabillarii et leur importance numérique dans le corpus des musiciens civils.
100Or M.-H. Garelli, faisant sienne les conclusions de W. J. Slater, a montré combien c’est son insertion dans le programme des jeux et concours en rapport avec le culte impérial qui valut à la pantomime – et donc aux scabillarii – l’ampleur de leur développement160. L’insertion de la pantomime dans les ludi augustales de 14, deux mois après la mort d’Auguste est importante en ce sens : il s’agit d’un jalon dans l’organisation du culte impérial. De même, les Sebasta de Naples, créés sous Auguste, connurent sous Tibère un développement avec l’ajout, à partir de 18, d’une deuxième partie, conçue comme une célébration du culte impérial161. C’est dans le contexte de ces représentations que devaient intervenir les scabillarii, bien plus que dans le concours lui-même : nous ne connaissons aucune attestation de victoire de danseurs dans le cadre de concours grecs en Italie avant 100 p.C.162. Plus marquante, étant donnée la concordance qu’elle fournit avec la documentation épigraphique, est la création des Eusebeia de Pouzzoles par Antonin, afin d’honorer la mémoire de son père adoptif, l’empereur Hadrien163. Ce fait éclaire en effet singulièrement la série de dédicaces à la famille impériale réalisée par le collège des scabillarii de Pouzzoles164. La richesse et la célérité des hommages rendus par les scabillarii de Pouzzoles à la famille impériale à partir de 139 trouve ici une explication directe : ces musiciens étaient les grands bénéficiaires de la création des Eusebeia.
101La pantomime connut ainsi une place croissante et rapidement incontestée dans la célébration des jeux scéniques relatifs au culte impérial. En Orient, le développement du culte impérial a fait basculer le contenu des jeux scéniques : alors qu’ils n’étaient auparavant joués que marginalement, mimes et pantomimes en sont devenus le principal contenu165. Bien que les ludi scaenici aient été moins fréquents que les jeux du cirque dans les célébrations liées au culte impérial en Occident, ils en étaient néanmoins des éléments récurrents, dans lesquels la pantomime jouait donc un rôle de premier plan166.
2.3. Les musiciens, figures en vue des cités d’Occident ?
102Mis en avant par la période augustéenne, les musiciens au service des cités ont donc vu leur nombre comme leur considération sociale croître au fil des ans. Par leur rôle de service et par les encouragements qu’ils avaient reçus de la part des autorités impériales, ils étaient peut-être devenus, d’une certaine manière, des personnages en vue dans leur cité au sein, évidemment, de la population plébéienne. Leurs inscriptions, notamment celles des collèges, en témoignent à plusieurs niveaux.
2.3.1. De puissants patrons
103Un certain nombre de ces collèges expriment dans leurs inscriptions, leur attachement à un patron. Par le choix d’un patron, les collèges exprimaient leur reconnaissance ou leurs attentes envers un homme (beaucoup plus rarement une femme), qui pouvait leur apporter des bienfaits. C’est pour cette raison que le recrutement des patrons de collèges se fait en partie pour des raisons « fonctionnelles » : pour qu’un patronage soit efficace il fallait que le patron ait un moyen d’accéder aux demandes de son client-collège.
104Pour cette raison, on peut distinguer deux catégories chez les patrons de collèges de musiciens. D’une part ceux qui étaient en rapport avec les prestations musicales ; d’autre part ceux que leur puissance sociale plaçait d’emblée en position de domination. De la première de ces catégories ressortent essentiellement des hommes qui, à un moment où l’autre de leur carrière politique, avaient été en position de donner des jeux. Dans la Rome impériale, cette position est monopolisée par le Princeps167. Mais dans les autres cités, elle était occupée par des membres de l’élite locale. Ainsi à Pompéi, les scabillarii ont participé à la réalisation d’un clipeus en l’honneur de D. Lucretius Valens, membre de l’une des plus puissantes familles pompéiennes, à qui Claude avait conféré le cheval public, et qui avait été adlecté gratuitement parmi les décurions de la cité168. L’inscription qui en témoigne, et dont les scabillarii ne sont pas les seuls auteurs, rappelle par ailleurs l’activité de Lucretius Valens en tant qu’ordonnateur de jeux, une position dans laquelle il a pu être à même de satisfaire les musiciens.
105Dans le cas de deux autres inscriptions italiennes, ce sont des sévirs qui avaient été choisis comme patron par des musiciens. Un anonyme d’Ameria était patron des scabillarii de sa cité169. En tant que sévir, il avait eu la responsabilité de réaliser des jeux pour le culte impérial, auxquels les scabillarii avaient sans doute participé170. Il en va de même pour P. Antonius Callistio, sévir augustal à Brixia et patron du collège des aenatores de la cité171. Sa charge de sévir l’avait placé en position d’ordonnateur de jeux, une situation qui lui avait permis de satisfaire les aenatores.
106Il convient de noter qu’avant l’inflation du nombre de jeux, notamment en rapport avec le culte impérial, les musiciens pouvaient déjà rechercher un patron introduit dans le monde des spectacles, mais que son importance sociale était alors moindre. Ainsi les cantores graeci de Rome avaient pour patron un certain Maecenas, homme né libre, dont le gentilice trahit l’origine étrusque, qui exerçait la charge de dissignator172. Ce terme est polysémique : il peut aussi bien désigner l’ordonnateur des pompes funèbres173 que l’homme chargé de placer les spectateurs lors des représentations174. En raison du rapport de Maecenas avec les scabillarii, il semble plus approprié de supposer ici que Maecenas exerçait au théâtre175. Il était à l’époque d’un rang suffisant pour que les cantores graeci aient fait de lui leur patron.
107À l’opposé de Maecenas, certains individus semblent avoir été choisis par les collèges de musiciens uniquement en raison de leur importance dans la communauté, sans qu’il n’y ait de rapport fonctionnel entre les musiciens et eux. L. Succonius Priscus et M. Septimius Septimianus étaient ainsi des figures marquantes des cités de Spoletium et de Trebiae : IIIIuiri iure dicundo tous les deux, patron de tous les corpora de Spoletium et du municipe (Trebiae) en ce qui concerne Succonius Priscus, ces hommes faisaient partie des patrons obligés pour une association, au vu de leur surface sociale176. À Aquinum, C. Iulius Euphrosius était patron du collège des aenatores, mais aussi IIuir de la cité177. En se plaçant sous la protection de ces puissants patrons, ces musiciens prouvaient qu’ils étaient capables d’avoir accès aux plus hauts responsables de leur cité, ce qui est un des signes de leur importance.
2.3.2. Musiciens et visibilité urbaine : les scholae de collèges
108L’ensemble épigraphique de la Meta Sudans a rappelé l’importance de la localisation précise des inscriptions pour une interprétation pertinente. Un monument ne se comprend pas en soi mais en relation avec son environnement. Malheureusement, la qualité des fouilles anciennes, des comptes rendus ou des éditions ne permet pas toujours un tel travail. En ce qui concerne les musiciens, outre la Meta Sudans, quelques dossiers permettent cependant ce genre d’étude. Bon nombre sont en rapport avec le lieu d’établissement de la schola d’un collège, c’est-à-dire son lieu de rassemblement et de sociabilité178.
109Les interprétations concernant la localisation de ces espaces associatifs peuvent être rassemblées en deux grandes orientations, fondées soit sur le lien entre l’espace et la fonction des individus concernés, soit sur la visibilité dans l’espace urbain, toutes deux se combinant parfois. Une vision « fonctionnaliste » cherche à rapprocher à tout prix le lieu de rassemblement de l’association de l’espace dans lequel les collegiati exerçaient leur métier. À Ostie, la schola du collège des mensores frumentarii s’étendait ainsi entre la via della Foce et le Tibre, soit à proximité immédiate de grands horrea179. À Rome, des negotiantes avaient établi un lieu de réunion et de culte dans des petites pièces intégrées aux horrea Agrippiana, rapprochant ainsi leurs espaces de réunion et de travail180.
110En ce qui concerne les musiciens, cette lecture fonctionnaliste peut être utilisée afin de localiser la schola des cantores. À une époque postérieure au règne de Claude, M. Plaetorius Nicon, magistrat quinquennal du collège des chanteurs, a fait réaliser une base gravée en l’honneur d’Apollon181. Ce monument a été retrouvé sur le Largo Argentina, entre le temple rond et le temple C, conduisant ainsi à deux hypothèses. Soit un temple d’Apollon était situé dans la zone, soit les cantores disposaient, dans un espace proche, d’une schola que le magistrat avait faite orner d’une base statuaire en l’honneur de la divinité de prédilection des chanteurs. La première hypothèse semble improbable : les espaces de culte du Largo Argentina sont anciens et connus. Ils étaient voués aux Lares Permarini, à la Fortune de ce jour, à Feronia et à Junon Curitis ou Juturne182. Au contraire, l’hypothèse d’une schola des cantores située dans cet espace fait sens si l’on considère qu’il n’était pas éloigné du théâtre de Pompée, qui devait accueillir régulièrement leurs prestations183.
111Un regard non attentif aux réalités de la scène musicale pourrait appliquer la même démonstration à propos d’un petit espace lié aux scabillarii de Pouzzoles, situé sous les gradins de l’amphithéâtre flavien de la cité184. Toutefois ce n’est pas à l’amphithéâtre que se produisaient les scabillarii mais au théâtre, ce qui rend caduque l’analogie. Néanmoins, deux points doivent être soulignés. Le premier est que cet espace offrait avant tout aux scabillarii une extraordinaire visibilité dans l’espace urbain. En raison de son immense capacité d’accueil estimée à 40000 places, l’amphithéâtre de Pouzzoles était ponctuellement le monument le plus fréquenté de la cité. Chaque journée de jeux conduisait l’essentiel de la population à défiler entre ses murs, offrant aux scabillarii une importante visibilité sociale. Comme l’a bien remarqué D. Steuernagel, il n’est sans doute pas anodin que toutes les arcades qui ont conservées les traces d’une utilisation par une association appartiennent au flanc sud de l’amphithéâtre185. Cette partie du bâtiment était orientée vers le centre de la cité et était donc celle par laquelle arrivait la population. Elle s’ouvrait notamment sur la uia Domitiana, principal axe de communication est-ouest de Puteoli. Faute de témoignage d’une utilisation des arcades septentrionales de l’édifice, on pourrait supposer qu’elles ne servaient pas à des fins de représentation car elles n’offraient pas les mêmes garanties de visibilité.
112L’espace des musiciens était tout autant voué à être utilisé par eux qu’à être vu par le reste de la cité. Il est donc très probable qu’elle ait servie aux scabillarii à des fins d’autoreprésentation. D. Steuernagel propose ainsi un parallèle entre cette situation inédite et le piazzale delle corporazioni d’Ostie186. Pas plus à Ostie qu’à Pouzzoles les espaces occupés par les collèges n’étaient leur scholae. Ils avaient comme fonction de fournir aux collèges concernés un espace où se montrer et, éventuellement, où traiter leurs affaires. À Ostie comme à Pouzzoles, la proximité de ces pièces et d’un édifice de spectacles conférait à ces collèges une visibilité particulière : les représentations théâtrales ou les jeux étaient des temps forts de leur mise en scène en tant que force vive de la cité. La fréquentation du troisième amphithéâtre le plus grand de l’empire, amenait, les jours de jeux, une partie importante de la population à passer devant la pièce réservée aux musiciens. Son pavement en mosaïque noire et blanche, comprenant notamment la représentation d’une triple couronne de feuilles entourant le nom de Pulver, « amour des scabillarii », démontre une volonté de décoration et de raffinement propre aux espaces de représentations.
113Le deuxième point concerne la nature de l’espace, qui n’était donc pas une schola, ce que confirme la très faible taille du local. Il s’agissait, selon toute probabilité d’un sacellum, petit espace cultuel collectif que les musiciens avaient acquis – ou dont ils avaient obtenu la jouissance – justement en raison de la visibilité urbaine qu’il leur conférait187. Leur lieu de réunion est connu par ailleurs : il s’agit de l’espace où furent retrouvées les bases dédiées à Antonin, Faustine et Marc Aurèle déjà mentionnées. Toutes trois furent découvertes au milieu du XIXe s. sur l’actuelle via Marconi, soit l’ancien decumanus de la colonie, lors de fouilles menées dans un jardin privé188. Les trois bases étaient situées à quelques mètres les unes des autres, devant une pièce aux restes très partiels. La description livrée par G. Minervini en 1855, consécutive à une observation autoptique, rapporte une pièce trapézoïdale, fondée sur l’hypothèse d’un parallélisme entre les murs de droite et de gauche par rapport à l’entrée. L’état de conservation ne permet pas d’estimer la superficie totale du bâtiment. En revanche, on y pénétrait par un seuil en marbre blanc, percé de trous circulaires (deux) et rectangulaires (trois) qui conduisent à penser qu’elle était fermée par une porte en bois189. Ce seuil franchi, le visiteur foulait un pavement en mosaïque blanche, orné de tesselles noires, rouges, jaunes et vertes, formant des méandres. La description n’est malheureusement pas plus fournie concernant cette pièce à la forme irrégulière mais qui semble avoir été richement décorée : des fragments architectoniques ainsi que des restes de colonnes en marbre africain sont mentionnés par les fouilleurs. Tant le pavement que l’élégance de l’architecture et l’exposition des bases aux membres de la famille impériale font de cet espace un lieu de représentation pour les scabillarii. Ce qu’ils cherchaient avant tout à obtenir était une visibilité maximale dans l’espace urbain. Leur schola en était un élément, que le sacellum venait encore enrichir en raison de sa fréquentation. Dans le cas des scabillarii ce n’est donc pas tant une optique fonctionnaliste qui explique la localisation de la schola que la visibilité que cette dernière conférait190. Cette stratégie de visibilité a conduit les musiciens à une dissociation de leur espace de travail et de leur lieu de réunion, une réalité dont il semble qu’elle soit fréquente, à la lecture des études sur la question191.
114Un raisonnement analogue doit peut-être être mené pour leurs voisins, les tibicines de Pouzzoles, qui disposaient d’un espace de réunion situé immédiatement à côté de celui des scabillarii192. La découverte d’une inscription relative à leur association résulte des travaux d’urgence effectués par la surintendance archéologique des provinces de Naples et Caserte suite aux incidents de bradyséisme qui ont touché le centre ancien de Pouzzoles à plusieurs reprises au début des années 1980. L’ancien bâtiment de la Préture fut alors rasé et plusieurs campagnes de fouilles permirent de mettre au jour un espace complexe en partie au moins rattaché au collège des tibicines. En effet, un fragment d’architrave aujourd’hui exposé au musée des champs phlégréens, mentionne la societas tibicines, c’est-à-dire le collège des tibicines193. Une photo de fouilles permet par ailleurs de compléter légèrement le texte conservé actuellement en portant à notre connaissance un fragment comportant la lettre a, à placer à gauche du document. Parmi les multiples possibilités de développement, on peut alors penser à [- - -schol]ae, qui serait cohérent avec l’environnement général de la découverte et, plus particulièrement avec les structures les plus proches194.
115Ces structures n’ont pas fait l’objet d’une publication complète ce qui, étant donnée la complexité de la situation, rend difficile une interprétation d’ensemble et oblige à parler avec une grande prudence195. Elles laissent apparaître un complexe en brique, d’environ 30 mètres sur 50, avec un grand nombre de petites pièces quadrangulaires (de service ?). L’ensemble était organisé autour d’un portique, identifié par les traces de bases de colonnes à intervalle régulier196. Un deuxième niveau, inférieur – dans les fondations du bâtiment contemporain – , comportait notamment une salle voûtée, dont B. Bollmann suggère qu’elle était un lieu de culte197. Il s’agit, selon C. Gialanella, de la partie la plus ancienne du bâtiment198. Elle était reliée au reste de la construction par un escalier de briques. Le bâtiment donnait sur un pavement en calcaire blanc qu’E. Pozzi attribue à un espace public199. On y pénétrait grâce à un petit escalier entouré de deux exèdres, le tout recouvert de marbre200.
116Outre l’inscription faisant état du collège des tibicines et une autre portant le nom d’un certain Rufus, les fouilles ont permis de mettre au jour un mobilier assez important : un grand nombre de fragments de marbre, mais aussi deux éléments architectoniques et un pilier hermaïque avec représentation féminine201. Parmi les fragments architectoniques se trouvent notamment une partie de lunette avec la représentation symétrique de deux Éros tenant une couronne, ainsi qu’un bloc relatif à un arc avec la figuration d’une divinité sur un bige, probablement Selene202. Le pilier, enfin, cassé dans sa partie inférieure, supporte le buste d’une femme portant une coiffure élaborée avec une tresse en diadème qui n’est pas sans rappeler celles des femmes de la famille impériale du IIe s., sans que l’on ne puisse pour autant identifier formellement aucune d’entre elles203. L’ensemble de ces documents, tant la paléographie de l’inscription des tibicines que les fragments de sculpture, sont cohérents avec une datation du IIe s.
117L’ensemble donne donc l’impression d’un bâtiment de belle taille et richement orné, illustrant la bonne insertion sociale et économique des tibicines. Comme pour les scabillarii¸ il faut rajouter à ces critères propres à l’édifice l’importance de leur localisation par rapport à la géographie de la cité. Situés à quelques mètres du decumanus maximus, les deux associations de musiciens montraient et signifiaient leur prestige aux yeux de la population de Puteoli204. La juxtaposition des scholae des scabillarii et des tibicines laisse à penser que ces deux associations avaient des liens : les membres des collèges auraient alors choisi de siéger côte à côte, ce qui permet peut-être de supposer qu’ils avaient des activités en commun, banquets ou cérémonies cultuelles.
118Une autre hypothèse doit toutefois être prise en compte, qui voit dans la zone de découverte des inscriptions de musiciens l’ancien théâtre de Pouzzoles205. L’existence d’un théâtre à Pouzzoles est connue de longue date par plusieurs sources. Aulu Gelle mentionne ainsi une lecture des Annales d’Ennius qui aurait été donnée en sa présence dans ledit théâtre206. On trouve une autre attestation de son existence sur les flasques en verre, dont on suppose qu’elles servaient de souvenir aux visiteurs de la côte phlégréenne : on y lit le mot theatrum ainsi qu’une représentation stylisée de ce dernier207. Enfin, une inscription découverte au début des années 2000 confirme de manière définitive l’existence de cet édifice, et ce dès 11 p.C., grâce à la datation consulaire208.
119Pour autant, C. Dubois fut le premier à suggérer une localisation de cet édifice dans la regio Decatriae, soit dans le quartier situé entre l’amphithéâtre flavien et le macellum, et ce avant même la découverte des inscriptions relatives aux musiciens209. Depuis, cette hypothèse que l’on voit ressortir ponctuellement dans les publications relatives à la topographie de Puteoli, semble avoir trouvé des arguments en sa faveur. Les plus pertinents ont longtemps été ceux fondés sur les inscriptions associatives des tibicines et des scabillarii, suivant la légitimité d’une hypothèse fonctionnaliste : les musiciens auraient situé leur scholae au plus près de leur espace de travail. En dernier lieu les analyses de F. Demma ont apporté des éléments supplémentaires supportant l’hypothèse de localisation du théâtre de Pouzzoles210. En effet, outre les éléments déjà mentionnés, les fouilles avaient mis au jour un certain nombre d’éléments qui, par leur qualité et leur datation, ne semblaient pas selon lui se rapporter à l’édifice des tibicines. Il s’agit d’un ensemble de pièces en marbre blanc : deux bases de colonnes destinées à être collées à une paroi, un chapiteau corinthien et trois fragments d’architrave211. L’unité de style entre les trois catégories d’objets pousse à supposer qu’ils appartenaient originellement au même édifice. Selon F. Demma, tous ont un style caractéristique du début de l’époque augustéenne : les similitudes sont frappantes avec les vestiges du temple d’Apollon Sosianus, inauguré en 32 a.C. À ces objets se rajoute une statue de femme, plus grande que de nature, la tête voilée, dont la position et l’habillement correspondent à la catégorie des « grandes herculanéennes »212. Cette belle statue en marbre du Pentélique a été identifiée par J. Trimble comme étant Vipsania Agrippina, fille d’Agrippa et de Cecilia Attica, épouse de Tibère entre 16 a.C. et sa répudiation en 12 a.C.213. La majorité des statues représentant Vipsania Agrippina sont attribuées aux trois années séparant son décès (20 p.C.) de celui de son fils (23 p.C.), qui semble avoir beaucoup fait pour sa mémoire214. Il est probable que la statue de Pouzzoles soit à inclure dans cette étroite fourchette. L’unité de ces objets, que ce soit dans leur qualité ou dans leur concentration chronologique aux débuts de la période julio-claudienne a conduit à suggérer qu’ils appartenaient à un seul et même édifice, érigé sous Auguste, par un riche commanditaire. C’est dans ces conditions que F. Demma suggère de voir dans ce monument le théâtre tant cherché. La colonie augustéenne se serait dotée d’un théâtre, probablement peu de temps après sa fondation215.
120Bien qu’il ne soit fondé sur la découverte d’aucune structure, ce raisonnement est séduisant. Il renforce sérieusement une hypothèse ancienne et lui donne des arguments supplémentaires. L’étude de J. Trimble sur les statues de type « femmes herculanéennes » en Italie à l’époque julio-claudienne a montré combien ces statues étaient placées uniquement dans des espaces publics. Elles faisaient partie d’un discours iconographique initié par la famille impériale et repris par les élites locales. Vipsania Agrippina aurait donc tout à fait trouvé sa place dans le théâtre de Puteoli, à l’instar des statues herculanéennes éponymes216.
121Toutefois, cette localisation du théâtre ne remporte pas une adhésion totale. P. Amalfitano, bien qu’ayant connaissance des découvertes des années 1980, propose plutôt de le localiser de l’autre côté du forum, là où l’actuelle via Vecchia S. Gennaro a conservé la forme d’un demi-cercle217. Comme à Rome où la via di grotta pinta a fossilisé la forme de la cauea du théâtre de Pompée, l’urbanisme contemporain de Pouzzoles conserverait ainsi les traces de son passé. Par ailleurs, les vestiges d’époque augustéenne ont été découverts à une proximité immédiate de la schola des tibicines, voire directement en elle. Or ces vestiges, pour autant que l’on puisse le reconstituer à partir des différentes notices et avec toute la prudence rendue nécessaire par l’absence d’une véritable publication scientifique, ne ressemblent en rien aux restes formels d’un théâtre. Ne doit-on pas alors par prudence se détacher de l’identification – certes pratique – d’un théâtre dans cet espace ? En l’absence de toute structure formellement rattachable à un théâtre, l’hypothèse ne tient finalement que sur l’idée que des tibicines auraient installé leur schola à proximité du théâtre et, surtout, qu’ils ne pouvaient déjà, à l’époque d’Auguste, avoir une belle schola bien située et richement décorée. En effet, des bases de colonnes, un chapiteau corinthien et des fragments d’architraves en marbre peuvent sans problème être rattachés à un siège de corporation d’époque augustéenne. Pourquoi, dès lors ne pas supposer que l’édifice des tibicines leur appartenait déjà sous Auguste, qu’il connut une réfection ou un agrandissement sous les Antonins, expliquant les vestiges tardifs de décoration, certains éléments monumentaux et de grande qualité ayant été conservé ? L’importance de la période augustéenne pour les musiciens en général et les tibicines en particulier a déjà été montrée ici. La réorganisation de la colonia Iulia Augusta Puteoli sous le premier princeps a pu être un temps particulièrement important pour les tibicines de Pouzzoles, à l’image de ceux de la cité modèle, Rome.
122Resterait à expliquer la présence de la statue de Vispania Agrippina, que l’on s’attendrait à trouver sur un espace public. Or la schola des scabillarii située à proximité immédiate peut fournir une piste de réflexion. En effet, les trois bases offertes à Antonin, Faustine et Marc Aurèle avaient été posées loco dato decreto decurionum, c’est-à-dire après octroi d’une autorisation de construction sur sol public accordé par la cité218. Cette autorisation n’était pas rare et représentait un honneur pour l’individu ou la collectivité qui en bénéficiait. Mais, comme l’a fait remarquer N. Tran, elle pose problème dans le cadre de ces monuments qui étaient intégrés à un espace privé, celui de la schola de l’association219. L’interprétation qu’il donne de ce phénomène est particulièrement intéressante : les scabillarii auraient volontairement mis en scène leur subordination au conseil de la cité afin de montrer leur propre caractère civique. En désignant l’espace collégial comme un lieu placé sous le contrôle des décurions, l’association apparaissait d’autant plus comme une fraction de la cité et construisait ainsi sa propre reconnaissance civique. Peut-être en allait-il de même des tibicines qui, rendant publique une partie du terrain occupé par leur espace de réunion associatif, aurait en retour obtenu le droit de rendre grâce à de puissants patrons selon des modalités particulièrement honorifiques.
123La question du théâtre de Pouzzoles n’est pas simple et, en l’absence de nouveaux éléments, est loin d’être tranchée. On peut toutefois remarquer que le bâtiment des tibicines de Pouzzoles présente un certain nombre de points communs avec un autre édifice, à Brixia, dans lequel a été retrouvée une inscription du collège des aenatores220. Le pilier hermaïque de P. Antonius Callistio était inséré dans un ensemble architectural de très grande taille. Il s’agissait d’un bâtiment, situé sur le decumanus maximus, non loin du forum, qui comprenait deux péristyles, dont un de dix-sept mètres de côté, avec des portiques sur trois côtés et un nymphée sur le quatrième. Le deuxième péristyle ouvrait sur une vingtaine de petites pièces. Un tel ensemble ne peut pas, selon B. Bollmann, être interprété comme une résidence privée221. Le fait que l’on ait retrouvé dans l’enceinte de ce bâtiment, outre l’Hermès des aenatores, un autre hommage de même nature adressé par les praecones à leur patron incite à interpréter cet ensemble comme un lieu accueillant les scholae des desservants mineurs de la cité. Contrairement à Pouzzoles, le rapprochement spatial n’aurait donc pas joué en faveur uniquement de musiciens, mais de manière plus large pour tous ceux qui intervenaient, à un échelon inférieur, dans la vie de Brixia. Ils auraient joui d’un bâtiment de grande ampleur situé à un emplacement central de la cité, signe de leur très bonne insertion sociale.
124Le cas des tibicines de Rome peut enfin être considéré comme un exemple de synthèse entre l’approche fonctionnaliste expliquant la localisation des scholae et celle privilégiant la visibilité sociale. Le lieu de réunion des tibicines de Rome n’a pas fait l’objet de découvertes archéologiques, et c’est donc uniquement à partir du contexte de découverte des inscriptions les mentionnant que se mène la réflexion. Si, de ce fait, il ne semble guère possible de fournir un emplacement exact, la concentration des inscriptions relatives à ce collège dans une zone centrale de la capitale, entre le versant nord-est du Palatin, le forum et le théâtre de Marcellus, conduit B. Bollmann, à la suite de J.-P. Waltzing à supposer qu’un de ces trois espaces centraux devait accueillir les tibicines222. Dans cette hypothèse de localisation, « fonctionnalisme » et quête de visibilité se rejoignent, le cœur de Rome étant à la fois un espace éminemment désirable par son prestige et une zone dans laquelle les tibicines au service de la cité devaient être amenés à donner nombre de leurs prestations.
125Y avait-il un pouvoir des sons ? La musique et les musiciens ont-ils servi, à leur mesure, à l’instauration du nouveau régime ? À ces questions posées en introduction, les sources épigraphiques permettent de répondre par l’affirmative. Les aenatores, les tibicines et les scabillarii, trois spécialités musicales au service de la cité, ont été entraînés, à partir du règne d’Auguste, dans un dialogue dynamique avec les autorités impériales, révélateur de l’intérêt qui leur était porté. Vecteurs d’une image d’ancienneté et de stabilité, les aenatores et les tibicines étaient adaptés au discours d’un régime naissant qui cherchait à fonder sa stabilité sur la restauration de l’ordre ancien, particulièrement religieux, et la perpétuation des traditions ancestrales. Les scabillarii, au contraire, ne pouvaient se targuer de leur ancienneté. Ils devinrent importants avec l’avènement de la pantomime, un genre qui connut les faveurs de la stimulation impériale, notamment par l’intermédiaire du culte aux empereurs divinisés. Les aenatores présentaient par ailleurs l’avantage d’incarner acoustiquement l’imperium sur lequel le nouveau Princeps pouvait s’appuyer. Dans le cas de ces trois spécialités musicales, la fréquence de leurs prestations au service des autorités impériales faisait d’eux des porte-parole de la puissance du Prince. Les musiciens, par les sonorités qu’ils produisaient, étaient des repères puissants de la mémoire culturelle des Romains dont Auguste, et à sa suite les autres empereurs, saisirent toute l’utilité.
126Le monument adressé par les aenatores de Rome en hommage aux julio-claudiens a été particulièrement sollicité dans cette étude. Sa richesse et sa complexité permettent d’éclairer des phénomènes plus généraux. Il nous semble ainsi qu’il insère cette catégorie de musiciens dans un système de don contre-don avec les autorités impériales. L’efficacité symbolique du monument, son adéquation permanente avec le discours officiel des autorités impériales, témoignent d’un loyalisme sans faille justifiant l’octroi à ces musiciens d’un privilège comme l’inscription sur les listes des bénéficiaires des frumentationes. La participation active des aenatores aux commémorations du culte impérial perpétua cette fidélité. Les vitupérations de Juvénal contre ces cornicines qui détiennent le cens équestre et donnent des jeux au lieu d’y participer s’insèrent dans cette temporalité qui vit les aenatores bénéficier particulièrement des temps nouveaux223. Elle reflète, au miroir grossissant de la satire, l’impression des habitants de l’Vrbs de vivre au temps des musiciens.
127Ainsi, le lion romain n’était pas muet. Ses rugissements correspondaient à des sonorités aussi diverses que les bruits de la tuba ou du scabellum, mais il y avait bien, à l’époque impériale, des sons du pouvoir.
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128Partis à la recherche des musiciens au service des cités, qui avons-nous finalement rencontré ? Des hommes, essentiellement, pour qui la maîtrise d’un instrument signifiait non seulement la possibilité d’exercer un métier, comme tous les détenteurs d’une ars, mais aussi celle d’entrer en relation avec la cité dans laquelle ils vivaient. Leur connaissance technique spécifique les distinguait des autres professionnels et des habitants des cités. Mais, contrairement aux autres artisans, leur pratique professionnelle répondait aussi à une nécessité de la vie civique. Le service public de la cité n’avait pas besoin de bouchers ou de cordonniers. En revanche, des tibicines étaient indispensables pour la réalisation des sacrifices, des cornicines pour l’appel aux cérémonies ou les processions ludiques.
129Les liens unissant la cité et les professionnels de la musique pouvaient prendre des formes diverses, de contrats ponctuels, parfois par l’intermédiaire d’un entrepreneur, et dont il est difficile de saisir la trace, à des relations plus structurelles. Les musiciens appartenaient ainsi à ces marges inférieures des apparitores, transformant leur compétence technique en un outil de service civique. Si les conséquences sociales pour les musiciens en tant qu’individus ne sont pas toujours aisées à mesurer, les aenatores, musiciens par excellence au service des cités, jouissaient d’une considération sociale meilleure que les autres musiciens : leur statut légal, leur richesse et leurs relations sociales étaient d’un niveau plus élevé. Tout pousse donc à croire que le service de la cité était, pour les musiciens, un critère de distinction sociale.
130Le règne d’Auguste, avec toutes les modifications qu’il a apporté dans les structures de la cité romaine, fut un temps particulièrement marquant dans l’élaboration de liens forts entre certains musiciens et la cité. Les aenatores et les tibicines furent sollicités et inclus de manière officielle dans le fonctionnement de la vie civique. C’est notamment par l’intermédiaire des collèges professionnels, dont la dénomination témoigne d’une reconnaissance de leur utilité publique, que cette officialisation se manifesta.
131Leurs relations avec la cité furent dès lors inscrites dans un dialogue dynamique, traduit par l’octroi de certains privilèges, notamment le bénéfice des frumentationes pour les aenatores. De leur côté, ces musiciens exprimèrent leur attachement à la famille impériale, inscrivant ainsi dans le temps les bienfaits de la période augustéenne. Selon notre hypothèse, c’est à l’ancienneté de leur participation au fonctionnement de la cité que ces musiciens durent l’instauration de ces liens privilégiés avec la puissance impériale. Incarnations sonores d’une pérennité et d’une stabilité que le nouveau princeps souhaitait mettre en scène, les musiciens devinrent les vecteurs musicaux d’une politique plus générale. Le modèle instauré par les tibicines et les aenatores de Rome connut alors une diffusion dans l’espace et dans le temps. Les cités d’Italie, particulièrement, reproduisirent ce schéma grâce à l’inclusion des musiciens dans le fonctionnement du culte impérial.
Notes de bas de page
2 Veyne 2002, p. 9 et 23-24 : « L’apparat monarchique est une expression de soi qui est impressionnante pour autrui puisque elle semble découler d’une supériorité naturelle qui se suffit ».
3 Le Roux 1982, p. 28. Ainsi des inscriptions provenant de cités peu documentées.
4 Pour une approche historiographique de la dernière décennie d’études augustéennes, voir l’excellente synthèse de Hurlet 2007, qui réexamine notamment les positions concernant la « Révolution romaine » chère à Sir R. Syme (Syme 1967). Voir aussi Rivière 2013.
5 Zanker 1988, particulièrement le chapitre 4, « The Augustean program of culture renewal ».
6 Galinsky 1996. Voir aussi Beacham 2005.
7 P. Veyne avoue cette difficulté à dépasser la quête du sens par les mots : « Nous autres, professeurs, avons tendance à privilégier ce qui “dit” quelque chose, texte ou iconographie, mais l’existence muette de monuments, de cérémonies, de processions, de vêtements d’apparat, de portraits impériaux, contribuait aussi à modeler les esprits » (Veyne 2002, p. 22, le soulignement est de moi). Il semble difficile, qui plus est, d’affirmer que les cérémonies comme les processions étaient muettes, pas plus au propre qu’au figuré.
8 Navarro Caballero, Roddaz 2006.
9 Notamment Lucain, Pharsale, 1, 237 ; 2, 687-691 ; 4, 178-180 ; 7, 476, etc. On trouve un relevé complet des occurrences et un début d’analyse dans Charles 2000.
10 Dion Cassius, Histoire romaine, 47, 43.
11 Stace, Silves, 3, 1, 139-140 : Iam placidae dant signa tubae, iam fortibus ardens fumat harena sacris.
12 Sur le rôle des tubae et des tubicines sur les champs de bataille, voir supra, chap. 1, rubrique 1.2.2.1.
13 Ovide, Fastes, 1, 715-716 (trad. R. Schilling, C.U.F., 1992) : Solat gerat miles, quibus arma coerceat, arma, canteturque fera nil nisi pompa tuba.
14 Ovide, Fastes, 1, 711-712 (trad. R. Schilling, C.U.F., 1992) : Frondibus Actiacis comptos redimita capillos, Pax, aedes et toto mitis in orbe mane.
15 Gagé 1936 ; Gagé 1955 ; Vendries 1999, p. 201-203 ; voir aussi supra chap. 2, rubrique 2.2.2.2.
16 Properce, Élégies, 4, 6, 31-34 : Non ille attulerat crines in colla solutos aut testitudineae carmen inerme lyrae, sed quali aspexit Pelopeum Agamemnona uultu, egessitque auidis Dorica castra rogis ; Id., 69-70 : Bella satis cecini : citharam iam poscit Apollo uictor et ad placidos exuit arma choros.
17 Gros 1993. Voir supra chap. 2, rubrique 2.3.2.2.
18 Voir Vendries 1999, pl. IVb pour la statue d’Apollon citharède d’époque antonine trouvée à Cyrène et pl. VIIIc pour celle découverte dans la cella du temple d’Apollon à Bulla Regia. Sur la diffusion de cette image dans les provinces, cf. supra, chap.2, rubrique 2.3.2.2.
19 Vendries 1999, p. 200.
20 Inglebert 2005b, p. 405 pour le décompte exact.
21 La liste est contenue dans le paragraphe 22 des Res Gestae divi Augusti.
22 Cf. supra chap. 2, notamment rubrique 3.1.2, pour le rôle des différentes catégories de musiciens lors des jeux.
23 Sur ce point, Benoist 1999, particulièrement p. 43 sq. et 215 sq.
24 L’utilisation des inscriptions pour une telle estimation n’est pas possible : bon nombre d’autres facteurs entrent en considération et empêchent l’analyse, tels la diffusion de l’habitude épigraphique au sein des couches inférieures de la population ou encore l’aspect aléatoire des découvertes sur un corpus relativement limité.
25 Voir aussi chap. 2, rubrique 3.2.1.
26 Dupont 1993, p. 197-198.
27 Sur les raisons de cette manifestation, suite à l’exil volontaire des tibicines à Tibur au IVe s. a.C., voir supra, chap.2, rubrique 2.1.2.2.
28 Tite Live, Histoire romaine, 9, 30, 8.
29 Valère Maxime, Faits et dits mémorables, 2, 5, 4 : Tibicinum quoque collegium solet in foro uulgi oculos in se conuertere cum inter publicas priuatasque serias actiones personis texto capite uariaque ueste uelatum concentus edit ; Ovide, Fastes, 6, 13, 653 : Cur uagus incedit tota tibicen in Vrbe ?
30 Flambard 1987a.
31 Ovide, Fastes, 6, 13, 652.
32 Gatti 1993.
33 Ovide, Fastes, 6, 13, 653.
34 Hurlet 2006, notamment p. 49-51.
35 Zanker 2000 et Le Roux 2004.
36 CMC 062, 121, 122, 182, 207, 211, 215, 220, 239, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 251, 252, 253, 254. Voir supra chap. 4, rubrique 3.2.
37 CMC 128, 172, 175, 189, 222, 240, 249, 255.
38 Voir supra, chap. 3, rubrique 1.2.3.
39 Contrairement, pensons-nous, à ce qu’affirme V. Péché 2001, p. 308, selon qui aucune chronologie ne peut être tirée de l’épigraphie du collège des tibicines de Rome.
40 CMC 239, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 252, 253, 254.
41 CMC 062, 182.
42 CMC 207, 211, 215 ; CMC 250. La présence d’une inscription réalisée par un magistrat du collège des tibicines romani qui sacris publicis praesto sunt à Tibur peut s’expliquer par l’origine géographique de ce dernier ou, plus certainement par l’ancienneté des relations entre les deux cités, matérialisée par l’épisode de l’exil de 311.
43 CMC 220.
44 CMC 021 et 044. Il s’agit une nouvelle fois d’une inscription tiburtine.
45 CMC 189 et 222.
46 CMC 128, 172 et 175.
47 CMC 074. Voir aussi chap. 3, rubrique 1.3.1.
48 Suétone, César, 42 : Cuncta collegia praeter antiquitus constituta distraxit. ; id., Auguste, 32 : (…) collegia praeter antica et legitima dissoluit.
49 Plutarque, Numa, 17, cf. supra. Colonna 2005 estime qu’il s’agit d’une datation crédible. Contra : Storchi Marino 1979 et Gabba 1984.
50 CIL, VI, 10299, le vingt-huitième lustre tombe en 129-133. Voir Waltzing 1895, 4, p. 21.
51 Le corpus considéré étant très restreint, tant en nombre d’inscriptions que d’individus, on se contentera évidemment d’énoncer cette hypothèse avec grande prudence.
52 CMC 128, 189, 222, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 252, 253, 254, 255.
53 Ingénus : CMC 062, 122, 211, 207, 182. Incerti : CMC 121, 215, 220.
54 Cf. supra, chap. 4, rubrique 3.2.
55 Virlouvet 2009, p. 64-65.
56 CMC 037 et 042.
57 CMM 195. La datation est donnée par la référence aux deux Augustes, ainsi que par l’origine italienne du musicien, qui fait pencher pour la période antonine plutôt que sévérienne.
58 Virlouvet 1995, p. 193-196.
59 Le chiffre ne crût que faiblement, jusqu’à atteindre environ 200000 bénéficiaires sous le règne de Septime Sévère.
60 Suétone, Auguste, 45 (trad. H. Ailloud, C.U.F., 1931) : Vniversum denique genus operas aliquas publico spectaculo praebentium etiam cura sua dignatus est.
61 La publication de la première partie des fouilles a été réalisée par Panella 1996a. L’analyse qui suit doit ainsi particulièrement aux éléments d’interprétation fournis par Panella 1996b, Morizio 1996a et 1996b.
L’ensemble des fouilles menées par l’équipe de l’Università della Sapienza a été récemment présenté dans Panella 2013. Entre ces deux dates, voir notamment Panella, Zeggio 2004, Zeggio 2005 et infra pour les recherches particulières sur l’identification du sanctuaire et du temple refait par Claude.
62 Taille du podium : 760x260 cm (Panella 1996b, p. 41). Taille de la base : 116x500x90 cm.
63 Panella 1996b, p. 32.
64 CMC 009 -1-.
65 Morizo 1996a, p. 115.
66 CMC 009 -2-. Cette pièce est elle aussi exposée au Musée National Romain, thermes de Dioclétien.
67 On peut trouver un plan représentant la localisation des différents éléments de cette description dans Zeggio, Pardini 2007, p. 6, fig. 6.
68 Morizo 1996b et infra pour la chronologie détaillée de l’évolution du monument.
69 Morizio 1996b, p. 204.
70 Voir le plan dans Zeggio, Pardini, 2007, p. 10, fig. 12 et infra pour l’analyse.
71 Sur la terminologie propre aux espaces de la religion romaine et leur définition juridique, Dubourdieu, Scheid 2000.
72 Granino Cecere, Menella 2008, p. 287.
73 Rose 1997, p. 9-11.
74 Tran 2006, p. 296-305.
75 Zeggio, Pardini 2007 dont je reprends ici l’analyse.
76 Voir la reconstitution dans Zeggio, Pardini 2007, p. 23, fig. 27.
77 Zeggio, Pardini 2007, p. 17-18.
78 Pour une description de cette partie du monument, Panella, Zeggio 2004, p. 68-69. Sur ces plaques de terre cuite, voir Strazzula 1990 en général et plus particulièrement p. 23, fig. 2.
79 Properce, Élégies, 4, 6, 69-70 : (…) citharam iam poscit Apollo uictor et ad placidos exuit arma choros.
80 Cf. supra, chap. 2.
81 Panella, Zeggio 2004, p. 80.
82 Zeggio, Pardini 2007, p. 14.
83 Coarelli 2012, p. 88.
84 On trouve un rappel de ces principales modifications religieuses de l’année 12 dans Hurlet 2006, p. 198.
85 Scheid 2009 pour une mise en place chronologique et une interprétation de cette période intermédiaire sur le plan de la religion publique, entre la fin des guerres civiles et l’accession d’Auguste au grand pontificat.
86 Scheid 1990, p. 681-689.
87 Scullard 1981, p. 31 et Scheid 2009, p. 122.
88 Scheid 1990, p. 690-694.
89 Cf. supra, chap. 2, rubrique 4.1.
90 AE, 1996, 249.
91 Morizio 1996b, p. 209.
92 Strabon, Géographie, 5, 2, 2.
93 Voir les planches de Lambrechts 1959.
94 Assmann 2010, p. 47.
95 Scheid 2009, p. 124 : « Restaurer les devoirs religieux négligés était donc une manière de ramener la situation antérieure. En outre, les initiatives religieuses avaient l’avantage d’être tout de suite visibles, elles étaient spectaculaires ».
96 Tran 2006, p. 9.
97 CMC 037 et 042.
98 CMC 069.
99 CMC 123 et supra chap. 1.
100 CMM 195, voir supra chap. 3, rubrique 1.3.4 pour la discussion sur la nature du collège : de tubicines ou de tibicines ?
101 Morizio 1996a, p. 128-129, suppose qu’un collège unique d’aenatores aurait été divisé à l’époque impériale. Elle n’offre aucune explication ni ne tente de justifier le collegium aenatorium des textes les plus tardifs, CMC 037 et 042.
102 Alexandrescu 2010, p. 80.
103 Sur le lituus et son instrumentiste, voir supra chap. 1, rubrique 1.1.2.1. Notre conclusion dans le cadre de ce chapitre sur l’armée était la suivante : le lituus était joué dans les troupes mais ne faisait pas l’objet d’un grade particulier. Cet instrument devait être joué ponctuellement par d’autres instrumentistes, tubicen ou cornicen. Cette hypothèse est renforcée par l’autre inscription dans laquelle apparaît le terme liticen dans un contexte civil, CMC 123. Le document n’est connu que par la tradition manuscrite, avec de notables variations, cf. Alexandrescu 2010, p. 96-97, n. 737 et pl. 19. M. Iulius Victor y est décrit comme un cornicen et liticen : le lituus n’était pas un instrument de spécialité en soi.
104 Cicéron, De la divination, 1, 17 (éd. Mueller, Teubner, 1915) : Qui quidem Romuli lituus, id est incuruum et leuiter a summo inflexum bacillum, quod ab eius litui, quo canitur, similitudine nomen inuenit, cum situs esset in curia Saliorum, quae est in Palatio, eaque deflagrauisset, inuentus est integer ». Aulu Gelle est moins catégorique et pose la question de l’antécédence de l’un sur l’autre : Nuits Attiques, 5, 8, 8-9 : Et quoniam facta litui mentio est, non praetermittendum est, quod posse quaeri animaduertimus, utrum lituus auguralis a tuba, quae lituus appellatur, an tuba a lituo augurum lituus dicta sit ; utrumque enim pari forma et pariter incuruum est.
105 Jannot 1990, p. 44 ; Jannot 1993, p. 236 ; Jannot 2004, p. 392. Voir aussi Briquel 2012 et Hugot 2012.
106 Voir supra chap. 1, rubrique 1.1.2.1.
107 On se réfèrera bientôt aux travaux de C. Chillet sur la figure de Mécène (De l’Étrurie à Rome, Mécène et la fondation de l’Empire, à paraître dans la BEFAR), ainsi qu’à son programme de recherche sur la Rome étrusque d’Auguste.
108 Panella 1996b, p. 62-65 ; Panciera 1996.
109 Panella 1996b, p. 71 sq. pour une première énonciation d’une hypothèse qui n’a cessé de se renforcer. Voir Panciera 1998b ; Cante, Panciera, Panella, Zeggio 1998 ; Panella, Zeggio 2004, Zeggio 2005b ; Panella, Cante 2006 et en dernier lieu Panella 2013.
110 Pour une autre hypothèse, voir infra, rubrique 2.2.1.
111 Torelli 1993a, p. 347.
112 Sur les curies et le rôle des curions à la fin de la période républicaine et au début du Haut-Empire, voir Scheid, Granino Cecere 1999, p. 91 sq. : « Bref on a l’impression qu’à la fin de la République, les curies se réduisaient à quelques bâtiments et toponymes, à des rites et à des prêtres chargés de ces derniers ».
113 Tite Live, Histoire romaine, 9, 30, 5 (trad. E. Lassère, Paris, 1936) : (…) traditum antiquitus erat.
114 Ovide, Fastes, 6, 692 : (…) et canere ad ueteres uerba iocosa modos.
115 Sur ces représentations, Hano 1986.
116 Il s’agit de l’autel de la salle des Muses des musées du Vatican (Hano 1986, n° 1 et Bert Lott 2004, n° 7), du fragment du cortile ottagono des mêmes musées (Bert Lott 2004, n° 2), de l’autel du uicus Aesculetus (Hano 1986, n° 3 et Bert Lott 2004, n° 26), de l’autel dit de Soriano (Hano 1986, n° 12 et Bert Lott 2004, n° 57), du fragment du Palais des Conservateurs (Hano 1986, n° 13 et Bert Lott 2004, n° 58). Bien qu’il soit postérieur l’autel dit de Manlius (époque tibérienne, Hano 1986, n° 11) peut servir à la réflexion car il présente les mêmes caractéristiques que les précédents. Il en va de même des représentations de sacrifices sur les autels des carrefours sur les peintures pompéiennes : voir Van Andringa 2009, p. 171-177.
117 Zanker 1970.
118 Scott Ryberg 1955, p. 194. Voir l’autel de Claude le Gothique pour la permanence de ce code iconographique.
119 Hano 1986, p. 2361.
120 Cf. supra, chap. 2.
121 Bert Lott 2004, p. 128-170.
122 À titre d’exemple, l’autel du uicus compiti Acili, réalisé en 6-5 a.C. soit pour la deuxième année après la réforme par le Princeps, AE, 1964, 74 a = EDR, 074351 : [Imp (eratore) Caes]are Augusto, pontif (ici) maxs (imo) (sic), trib (unicia) | potes (tate) XVIII, | [Imp (eratore) XIV, L(ucio) Cor]nelio Sulla co (n) s (ulibus), mag (istri) secun (di) | uici compiti Acili [- - -] || [- - -] Licinius M(arciae) Sextiliae l (ibertus) Diogenes || L(ucius) Aelius L(uci) l’ibertus) | Hilarus || M(arcus) Tillius M(arci) l (ibertus) | Silo.
123 Bert Lott 2004, p. 97.
124 Id.
125 Alföldi 1973, part. p. 30-36.
126 Cette dernière fait référence à la couronne civique qui ornait en permanence la porte de sa demeure sur le Palatin, suite à une décision sénatoriale de 27 a. C.
127 Tran 2006 p. 303 concluait son paragraphe sur les dédicaces aux empereurs réalisées par des citoyens, sur la difficulté de saisir une relation d’échange entre les professionnels et l’empereur. Il me semble que les aenatores comme les tibicines en fournissent des exemples appréciables.
128 Respectivement CMC 024, 022 et 087.
129 C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons suivre J.-P. Descoeudres quand il affirme, à partir de ces inscriptions, que « les trompettistes jouant dans les occasions officielles appartenaient depuis la période d’Auguste à l’ordre équestre » (Descoeudres 1996, p. 71).
130 Aulu Gelle, Nuits attiques, 1, 12, 7 : Sponsae quoque pontificis et tubicinis sacrorum filiae uacatio a sacerdotio isto tribui solet.
131 Festus, p. 482, 29 L : Tubicines etiam hi appelantur, qui sacerdotes uiri speciosi publice sacra faciunt, tubarum lustrandarum gratia.
132 Chap. 2, rubrique 2.2.1.2.
133 Étant donné la date des plus anciennes attestations épigraphiques de ce sacerdoce, on pourrait penser à une datation relativement avancée dans le règne d’Auguste. Néanmoins, rien ne dit que Q. Decius Saturninus et Arrius Salanius appartenaient à la première génération de tubicines sacrorum populi romani.
134 CMC 009 -2-.
135 Cogitore 1992, notamment p. 851 sq., a bien montré le rôle de charnière dynastique accordé à Germanicus dans l’épigraphie italienne, particulièrement d’époque claudienne.
136 Morizio 1996b, p. 202.
137 Cogitore 1992.
138 Panella 1996b, p. 44-45.
139 À peine une année s’était écoulée entre la prise de fonctions de Claude et la création de la base unique. Son agrandissement eut de même lieu entre le 13 octobre 55, et le 12 octobre 56, lorsque Néron était dans sa seconde puissance tribunitienne.
140 Morizio 1996b, p. 212.
141 CMC 220.
142 CMC 062 et 182.
143 CMC 067.
144 CMC 072.
145 CMC 072 -3- = CMC 119.
146 Scheid 20012, p. 151-154, ainsi que le cours donné au collège de France en 2007 sur le culte impérial.
147 Servius, Sur l’Énéide, 8, 361 : « “Lautis mugire Carinis”. Carinae sunt aedificia facta in carinarum modum, quae erant circa templum Telluris. Lautas autem dixit aut propter elegantiam aedificiorum, aut propter Augustum, qui natus est in Curiis veteribus et nutritus in Lautis Carinis ».
148 Suétone, Auguste, 5 : Natus est Augustus M. Tullio Cicerone C. Antonio consulibus VIIII Kal. Octob. paulo ante solis exortum regione Palati ad Capita bubula, ubi nunc sacrarium habet, aliquando post quam excessit constitutum.
149 Torelli 1993b.
150 Coarelli 2012, p. 87-103.
151 CMC 093.
152 Sur les Augustales, Duthoy 1978.
153 Duthoy 1974.
154 Duthoy 1974, p. 150.
155 CIL, VI, 29681 ; SupplIt, 4, 42 ; voir commentaire CMC 093.
156 Il est possible, selon le même raisonnement, que [- - -] Auctus, augustalis en 14 soit le Q. Calvisius Auctus de la liste des sévirs.
157 Sur les rapprochements et différences entre Augustales, seuiri Augustales et seuiri, voir Duthoy 1978, qui se distingue de la thèse de von Premerstein, selon qui les distinctions entre les trois groupes étaient marquées, tout en conservant l’idée d’une différenciation subtile.
158 CMC 066.
159 Cf. supra, chap. 3, rubrique 1.3.2.
160 Slater 1995 ; Garelli 2007, p. 401 : « C’est le lien très étroit qui exista dès le début entre la pantomime et le culte impérial qui permit l’extension du genre (comme il permit aussi celui du mime). Le culte impérial, la proximité des artistes et de l’empereur furent des éléments déterminants de l’histoire du genre sur lesquels on n’insiste pas suffisamment ».
161 Garelli 2007, p. 182 et 207-208.
162 Garelli 2007, p. 182.
163 La date de création des Eusebia n’est pas assurée : on trouve un bilan historiographique sur la question dans Caldelli 1993, p. 43-45, particulièrement p. 44, n. 194. L’auteure penche pour l’année 142, tandis que G. Camodeca et M. Clavel-Lévêque supposaient que dès l’année de la mort d’Hadrien, en 138, on avait procédé à la célébration de l’agon en sa mémoire. Cette dernière hypothèse est plus cohérente avec la datation de la première inscription des scabillarii.
164 CMC 072.
165 Price 1984, p. 89.
166 Fishwick 1987, 2-1, p. 574-584 et particulièrement p. 583-584, ainsi que vol. 3-3, p. 342-347.
167 Je ne reviens pas ici sur les dédicaces impériales émises par les associations de musiciens, cf. supra.
168 CMC 196.
169 CMC 073.
170 Duthoy 1978, p. 130 sq.
171 CMC 066.
172 M. L. Caldelli a récemment proposé, de manière convaincante, de reconnaître en ce personnage le grand-père de Mécène, C. Maecenas. Il y aurait là une dimension supplémentaire aux liens entre l’Étrurie, la musique et la période augustéenne énoncés mis en avant dans les pages précédentes. Caldelli 2012, p. 146-155.
173 Horace, Epitres, 1, 7, 6.
174 Plaute, Poenulus, 19 ; Ulpien, Digeste, 3, 2, 4, 1.
175 Cette position ne fait aucun doute pour Caldelli 2012, p. 147-149.
176 CMC 088 et 089.
177 CMC 068.
178 L’étude de ces espaces a été renouvelée par Bollmann 1998. Voir aussi Tran 2006, p. 247-261.
179 Tran 2006, p. 242-243.
180 Tran 2006, p. 253.
181 CMC 173.
182 Coarelli 1981 ; Coarelli 1994, p. 195-198.
183 Degrassi 1962, p. 332-333. On attend avec grande impatience la suite de la réflexion annoncée par M. L. Caldelli sur l’existence d’un « quartier d’artistes » dans cette zone du champ de Mars : Caldelli 2012.
184 CMC 186.
185 Steuernagel 1999.
186 Steuernagel 1999, p. 157.
187 Bollmann 1998, cat. A 56. F. Demma, dans Zevi 2008, p. 30, reprenant une hypothèse de Golvin 1988, p. 181 suggère que ces espaces avaient pu être attribués aux associations qui avaient aidé financièrement à la construction de l’amphithéâtre flavien.
188 La description la plus complète des fouilles est livrée par Minervini 1855. Elle est reprise par Dubois 1907, p. 360 puis Bollmann 1998, cat. A. 53, p. 373 et fig. 66 ; Demma 2007, p. 73 ; Zevi 1993, pl. 13, n° 17 ; CMC 072.
189 Minervini 1855, p. 1.
190 Tran 2006, p. 250.
191 Tran 2006, p. 251 sq., qui synthétise les travaux de B. Bollmann.
192 CMC 204.
193 CMC 204 ; Demma 2008, p. 45.
194 Le texte ainsi développé serait donc [- - - schola]e socii tib[icines].
195 On trouve des informations dans les notices régulièrement fournies par la responsable de la fouille dans Gialanella, Sampaolo 1980 ; Gialanella 1987 ; Gialanella 1988 ; Gialanella 1990 et finalement dans sa synthèse sur la topographie de la cité : Gialanella 1993, p. 90-91. Voir aussi Pozzi 1983 ; Demma 2008 et la tentative de synthèse la plus complète dans Bollmann 1998, p. 371-373.
196 Gialanella 1990, p. 508.
197 Bollmann 1998, p. 372.
198 Gialanella 1993, p. 91.
199 Pozzi 1983, p. 382.
200 Gialanella 1988 ; Gialanella 1993, p. 91 ; voir la photo des restes de cette entrée dans Zevi 1993, p. 276.
201 Pour la mention de l’inscription de Rufus, par ailleurs inédite à ma connaissance, Pozzi 1983, p. 382.
202 Gialanella 1988. Plus récemment, voir les notices et les photos dans Demma 2008, p. 38-39.
203 Pozzi 1983 ; Demma 2008, p. 40 ; Alexandridis 2004, p. 174-179, cat. 154-169 pour la comparaison des coiffures.
204 La volonté des collèges de construire leur espace de réunion le long du decumanus maximus n’est en rien une caractéristique propre aux tibicines et aux scabillarii de Pouzzoles. On se contentera de citer les exemples ostiens de la schola dite du Trajan et de celle des Augustales mentionnés par Gros 20113, p. 380-381. Même remarque, à vertu générale, de la part de Steuernagel 1999, p. 157 : ce dernier n’hésite pas à parler de « point central » concernant la localisation de ces scholae de musiciens.
205 Cette hypothèse a en dernier lieu été formulée de manière claire par F. Demma dans Demma 2008, p. 30-31. On la retrouve précédemment dans Caldelli 2005, p. 78-79 (l’auteur se contente de l’énoncer, sans y adhérer particulièrement) ; Steuernagel 1999, p. 157 ; Gialanella 1993 et, en tout premier lieu, Dubois 1907, p. 193 sq.
206 Aulu Gelle, Nuits attiques, 18, 5, 1-5.
207 L’étude la plus complète de ces documents est celle de Ostrow 1979. On trouvera trois belles illustrations dans Gialanella 1993, p. 96, ainsi que dans Amalfitano 1990, p. 80-81.
208 L’inscription a été éditée par M. L. Caldelli dans une notice au catalogue du musée des champs phlégréens, Zevi 2008, p. 32 : [M. Aemilio Lepi]do T. Statilio Ta[uri c]o(n) [s (ulibus)]. | [- ca. 15 ? – ma]gist (r-) qui in theatro pu[bl (ice ?) - - - fe]cer (unt) | [- ca. 23 -]+e Aug (ust- ?), |[- - -]+ Rufio, | [- - - - - -], | [- - - - - -] || L. Hetereius S[- - -] Hilarus, | Cn. Munat[ius – l.] Philemo, | | C. Popilliu[s – l. Op]tatus, | M. Nonius [- l. - ca. 2 -]uctus.
209 Dubois 1907, p. 193 sq.
210 Demma 2008, p. 31. Je remercie F. Demma de bien avoir voulu me communiquer des éléments de son raisonnement qui n’avaient pas pu apparaître dans cette publication en raison de sa nature synthétique (catalogue de musée).
211 Demma 2008, p. 34-36.
212 Gialanella 1987, p. 74 sq. sur la découverte de la statue. Pour la caractérisation de ce type : Trimble 2000, part. p. 59-61 ; Daehner 2007, part. p. 105.
213 Trimble 2000, p. 59-61 ; Rose 1997, p. 182, cat. 125, 10, fig. 226-227.
214 Voir la notice de C. Valeri dans Zevi 2008, p. 37.
215 Pour l’histoire politique de Pouzzoles sous Auguste, Cébeillac Gervasoni 1993, p. 20-21.
216 Trimble 2000, p. 52-53.
217 Amalfitano 1990, p. 117.
218 CMC 072.
219 Tran 2006, p. 256 et 258-259.
220 CMC 066.
221 Bollmann 1998, p. 426-429.
222 Waltzing 1895, 1, p. 218, n.2 ; Bollmann 1998, p. 258, cat. A 14. Les inscriptions découvertes dans cette zones sont les suivantes : près de l’arc de Constantin, CMC 220 et 121 ; sur le forum romain, CMC 239 ; près du théâtre de Marcellus, CMC 240.
223 Voir supra : Juvénal, Satires, 2, 117-120 et 3, 34-38.
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