Chapitre 2. Les musiciens des rituels civiques
p. 119-222
Texte intégral
Il n’y a pas d’Antiquité sans buccins1.
1La présence de musiciens dans la vie quotidienne institutionnelle des cités romaines est un acquis pour la représentation contemporaine de l’Antique. Il ne viendrait à l’idée d’aucun cinéaste de faire exprimer au peuple romain sa joie ou sa colère sans l’aide d’une armada de trompes, droites ou courbes, mais toujours rutilantes et rugissantes. Les instruments sont là pour souligner les moments importants de l’intrigue, exprimer la puissance et la gloire des protagonistes, les débuts d’une bataille, des jeux ou l’arrivée de l’empereur. Leur nature importe peu, pas plus que leur nombre ni ceux qui les manipulent : ils font simplement partie du décor2. Même l’historiographie la plus rétive à la musique romaine n’est pas parvenue à masquer cette dimension, allant jusqu’à en faire sa principale caractéristique : à Rome, on s’époumonait, on soufflait fort, bref on faisait du bruit à défaut de faire de la musique3.
2Derrière les a priori des epics hollywoodiens ou des réalisateurs de péplums européens, qui ne sauraient évidemment tenir lieu de sources pour l’historien de l’Antiquité, quelle réalité accorder à la présence des musiciens dans le fonctionnement de la vie civique4 ? Poser ce questionnement impose de passer en revue les temps de la vie collective dans lesquels des musiciens intervenaient, ce que permettent avant tout les sources narratives et iconographiques. Il s’agit d’évènements politiques, au sens le plus étymologique, qui ont quasiment toujours une dimension religieuse ce dont nul personne familière avec l’idée de religion civique ne s’étonnera5.
3Les moments musicaux de la vie collective ne sont pas des séquences isolées. Ils se répètent selon des rythmes réguliers et appartiennent aux structures de fonctionnement de la vie civique romaine. L’apparition de musiciens au service de la cité obéit à des règles dont l’itération, sans être immuable, a laissé des traces dans les sources. Processions, sacrifices, jeux, triomphes : le cadre de la performance correspond à ce que Chr. Bruun a appelé, dans une étude consacrée à Ostie, les « rituels civiques »6. Le terme de rituel doit dans ce cas être compris dans une acception large. Il s’agit d’une séquence d’actions réglée par des normes et une historicité qui les distinguent du reste des activités7. Dès lors la porte qu’ils ouvrent sur la connaissance du fonctionnement des cités dépasse la simple description. Non content de fournir le contexte de la pratique musicale civique, je propose ici de voir l’importance que pouvait revêtir la musique dans la mémoire culturelle des habitants des cités de l’Occident romain.
4L’utilisation de la notion de « mémoire culturelle » fait évidemment référence aux travaux de l’égyptologue allemand Jan Assmann. Selon Assmann, la mémoire culturelle correspond à un mode de transmission et de commémoration d’un contenu culturel au sein d’une population, indifféremment de ses composantes sociales. La mémoire culturelle est la convergence d’un rapport au passé, d’une identité et d’une continuité qui fonde une communauté8. Elle se différencie de la « mémoire communicationnelle », qui correspond pour sa part aux souvenirs d’un passé récent que l’homme partage avec ses contemporains. La mémoire culturelle est celle qui se développe sur le temps long et dont le contenu sert de repère structurel à un groupe humain. Pour exister et persister la mémoire culturelle a besoin de moments concrets où elle se met en acte. Il s’agit des rites, définis comme des routines mimétiques ayant acquis un sens au-delà de leur utilité.9 Les rites sont répétés afin d’ancrer la mémoire dans la longue continuité temporelle10. Ils s’adressent à tous et permettent, dans leur itération, un partage des données culturelles à l’échelle de l’ensemble de la communauté. À ce titre les fêtes jouent un rôle de premier plan car elles rassemblent une part importante de la population, qui intègre ou réactive alors sa mémoire culturelle.
5On comprend dès lors en quoi l’horizon d’attente qui se détache derrière les pages qui suivent dépasse la simple contextualisation des performances musicales. Il ne s’agit pas de livrer une nouvelle description de la place de la musique dans la vie quotidienne des Romains, charge dont G. Wille s’est déjà acquitté avec efficacité grâce à un dépouillement des sources de grande ampleur11. En se concentrant sur les temps forts de la vie collective, on cherche à voir comment la musique pouvait informer le rapport entre la cité et les individus qui la peuplaient et, partant, en quoi elle était un élément constitutif de l’identité civique des habitants du monde romain.
1. Au service de la vie institutionnelle
1.1. Rassembler les citoyens
6L’essentiel des sources écrites qui mentionnent le rôle des musiciens dans la vie institutionnelle se concentre sur une fonction particulière : l’appel au rassemblement. Isidore de Séville en donne le témoignage le plus général lorsqu’il s’interroge, dans ses Étymologies, sur le sens du mot classicum. Il évoque alors l’existence de trompes qui ne seraient vouées qu’à l’appel au rassemblement, des « trompes faites pour convoquer »12. Sa réflexion s’appuie sur le vers 637 du septième livre de l’Énéide, bien que celui-ci soit sans rapport avec sa démonstration13. Même si l’argumentation en est maladroite, le témoignage d’Isidore n’est pas isolé. Denys d’Halicarnasse, affirme lui aussi l’utilisation des aérophones pour l’appel aux assemblées populaires sous la royauté : là où les patriciens auraient été convoqués nominalement par un héraut, les plébéiens auraient dû se contenter d’une sonnerie14. Toutefois, l’essentiel des autres documents circonscrit cet usage à un seul type d’assemblées, les comices centuriates.
7Selon Aulu Gelle, le fait que les comices centuriates soient convoqués au son d’instruments de musique est un critère de distinction. Ainsi, alors qu’il cherche à définir les comices calata, rassemblements du peuple en curie afin de célébrer l’inauguration du rex sacrorum et des flamines, Aulu Gelle les distingue des comices centuriates par la manière que l’on a de les constituer. Les citoyens sont appelés – calare est un synonyme désuet de uocare – au premier type de comices par le licteur curiate, tandis qu’ils viennent aux seconds après avoir entendu jouer un cornicen15. Un texte de Varron consacré aux comices centuriates confirme à deux reprises cette fonction du musicien16.
8Si les comices centuriates sont constitués au son des trompes, qu’en était-il des autres assemblées populaires, comices curiates, comices tributes, concilium plebis ? Selon T. Mommsen, les comices curiates seraient annoncés par la tuba ou le lituus17. Cette idée n’est pas irrecevable, mais il faut souligner qu’elle reste une pure spéculation. À ma connaissance, les sources ne livrent sur ce sujet aucun point de départ pour la réflexion. Bien au contraire, Aulu Gelle insiste sur la spécificité que représentait pour les comices centuriates le fait d’être convoqués par un instrument de musique : il y a là un moyen de les distinguer des comices curiates18. Ainsi doit-on sans doute supposer que les autres assemblées populaires n’avaient pas recours à la puissance sonore des musiciens pour appeler le peuple. Comme le suggère Aulu Gelle, c’est à la voix humaine que l’on confiait le soin de porter le message de la convocation : le licteur curiate, mais aussi les praecones. La fonction première de ces appariteurs était de prêter leur voix aux magistrats dont ils dépendaient19. Ils avaient ainsi pour attribution de convoquer les citoyens aux réunions qu’avaient suscitées « leur » magistrat20. Il est à noter toutefois que le praeco n’exclut pas le musicien. La procédure consignée par Varron nécessite les deux modes de communication : d’abord appel par le praeco, puis par le cornicen21.
9Chez Aulu Gelle comme chez Varron, l’attention est toutefois attirée sur un cas très particulier justifiant la réunion des comices centuriates : les procès engageant une peine capitale, et plus précisément encore les procès de perduellio, sur lesquels il faut ici s’arrêter afin de mieux cerner les enjeux. Ce type de procédure correspondait à une catégorie d’accusation et non de crime22. Menée à son terme, elle pouvait aboutir à une sentence capitale que le peuple des citoyens, réuni en comices centuriates, devait approuver par un vote. Or les musiciens ne semblent être intervenus que dans cette dernière étape d’une procédure complexe. L’accusé se voyait dans un premier temps cité à comparaître (étape de la diei dictio), afin qu’on lui signifie les faits qui lui étaient reprochés. Cette citation avait sans doute lieu devant une assemblée populaire (contio)23. Puis l’accusateur organisait la tenue de trois contiones successives, séparées les unes des autres d’au moins une journée. Le peuple y était convoqué afin d’assister à la construction de la peine que le magistrat allait réclamer pour ce crime : il s’agit de la phase de l’anquisitio. L’accusé pouvait produire témoins ou pièces à décharge et chercher à se rallier la cause du peuple en raison de ses mérites ou de la vertu de sa famille24. La suite de la procédure dépendait de la peine fixée lors de la troisième contio. Si le magistrat se contentait d’une amende, un concilium plebis était convoqué afin d’en valider l’application. Si la peine capitale était requise, seuls les comices centuriates pouvaient, par leur vote, lui conférer valeur de jugement définitif.
10La source la plus complète sur cette dernière phase est un passage de Varron, consacré au rôle des praecones dans l’appel aux contiones. Il s’agit d’un texte complexe qui mérite d’être cité en entier tant il est éclairant quant à la procédure et au rôle des musiciens :
§ 90 De quelle façon le héraut, envoyé habituellement auprès des remparts, invitait le peuple à un endroit d’où il pouvait le convoquer à la contio, non seulement devant les consuls et les censeurs, mais encore devant les questeurs, cela est indiqué dans le vieux commentaire sur l’anquisitio du questeur Marcus Sergius, fils de Manius, qui lança une accusation capitale contre Trogus ; il s’y trouve ce passage :
§ 91 “Occupe-toi des auspices et prends-les dans l’aire augurale, puis envoie quelqu’un au préteur ou au consul pour lui demander les auspices. Que le héraut appelle les préteurs pour tenir les comices auprès de toi et qu’il appelle l’accusé du haut des murs ; tel est l’ordre qu’il faut donner. Envoie un cornicen à la porte du particulier et à l’Arx, pour qu’il y fasse une sonnerie. Demande à ton collègue de proclamer les comices du haut des rostres et que les banquiers ferment leurs boutiques. Requiers les sénateurs de se prononcer et commande-leur d’être là ; requiers les magistrats de se prononcer : les consuls, les préteurs, les tribuns de la plèbe et tes collègues, et commande-leur à tous d’être là dans l’aire augurale ; et quand tu les envoies chercher, convoque l’assemblée”.
§ 92 Dans le même commentaire sur l’anquisitio, voici ce qu’il y a dans le chapitre écrit à la fin de l’édit : “De même, en ce qui concerne ceux qui tiennent des censeurs l’adjudication de la sonnerie de trompette pour les comices centuriates, qu’ils prennent soin, le jour où il y aura les comices que le classicus joue alors sur l’Arx, autour des murs et devant la porte de Titus Quinctius Trogus, ce particulier qui est un criminel, et qu’il se trouve sur le Champ de Mars au point du jour”25.
11La complexité du texte réside en partie dans sa construction. La démonstration de Varron s’appuie sur deux citations distinctes : d’une part le commentaire sur l’anquisitio rédigé par un certain Marcus Sergius, fils de Manius (§ 91), au plus tôt en 242 avant notre ère et d’autre part l’édit qui servait de support à son commentaire (§ 92)26. Mais elle dérive bien plus encore du fait que, bien que l’argumentaire de Varron vise à démontrer le rôle des hérauts (praecones) dans l’appel aux contiones, tant le commentaire que l’édit ne font état que des comices centuriates qui servaient de clôture à la procédure de perduellio.
12Les spécialistes du droit ont trouvé diverses réponses à cet écart au sein même de la source. Pour D. Mantovani, contio et comitiatus doivent être distingués dans le commentaire (§ 91), l’édit ne faisant que reprendre l’organisation des comices en fournissant plus de détails (§ 92). La comparaison avec un passage de Festus le conduit à supposer que, dans ce texte, le praeco n’appellait qu’à la contio, tandis que le cornicen n’appellait qu’aux comices27. Il y aurait donc deux assemblées clairement distinctes, séparées d’une durée que l’on ignore. Le savant italien appuie sa réflexion sur un extrait de Plutarque réécrivant un discours de Caius Gracchus. Le tribun énonce les conditions scandaleuses dans lesquelles son frère et ses amis ont été assassinés, sans jugement, au mépris de toutes les règles du mos judiciaire :
Et pourtant c’est chez nous un usage ancestral que, lorsqu’un homme accusé d’un crime capital ne comparaît pas, un trompette se rende à sa porte dès l’aube et l’appelle au son de son instrument, les juges ne pouvant prononcer auparavant leur sentence28.
13Le fait que l’accusé ne comparaisse pas correspond à la formule latine non respondet29. Cette formule implique que le prévenu avait déjà auparavant fait l’objet d’un appel nominatif. Cet appel pourrait correspondre à celui réalisé par le praeco au moment de l’appel à la contio finale, tel qu’on le trouve chez Varron : reum de muris uocet praeco30.
14Une autre hypothèse a été émise par C. Ludovisi, selon laquelle il s’agissait d’une assemblée unique mais qui changeait de nature. Le peuple était convoqué une seule fois pour le vote comitial : dans un premier temps en contio, de manière désordonnée, puis en comices centuriates. La quatrième contio correspondait à l’ultime débat contradictoire, l’échange des derniers arguments entre accusateur et accusé, certainement limité dans le temps car le cadre du rassemblement, le Champ de Mars, ne permettait pas une véritable joute oratoire. Puis la contio aurait été dissoute et immédiatement transformée en comitia centuriata, seuls habilités à voter une condamnation capitale31. L’appel aux comices ne pouvait cependant avoir lieu entre les deux assemblées puisque selon l’édit, il devait être achevé aux premières lueurs du jour (cum primo luci). Les contiones ne se tenaient pas de nuit et il faut donc, si l’on veut conserver l’hypothèse de l’enchaînement des deux assemblées, supposer que les comices avaient été appelés avant la réunion de la contio : puisque les deux assemblées avaient lieu immédiatement à la suite l’une de l’autre, leur appel était concomitant. Dans cette hypothèse, l’action du praeco et celle du cornicen se déroulaient en même temps. Tous deux contribuaient à l’organisation du dies comitialis, l’un par la voix, l’autre par son instrument.
15Quelle que soit l’hypothèse que l’on privilégie, l’important à retenir concernant le musicien est donc que son action était circonscrite à l’appel aux comices centuriates et non utilisée pour toute la procédure. D’un point de vue très pratique, cette partition pourrait paraître étonnante. À l’évidence, la puissance acoustique du cornu excède celle de la voix du praeco, comme en atteste son utilisation sur les champs de bataille pour transmettre les consignes aux porteurs d’enseignes32. Les grands aérophones, tels le cornu ou la tuba étaient parfaitement adaptés à une communication de longue distance et donc à un appel destiné à traverser le tissu urbain : Pollux précise ainsi que la salpinx, équivalent grec de la tuba, jouée avec efficacité, pouvait être entendue à cinquante stades de distance, soit environ dix kilomètres33. Quant au cornu, joué à pleine puissance il pouvait réveiller un voisinage endormi et faire croire à l’alerte d’une catastrophe imminente34. Ces instruments étaient donc bien plus adaptés que la voix à la convocation du peuple en masse, cet inlicium que décrit Varron dans le passage qui suit immédiatement la relation de l’édit35.
16Cependant on ne peut se contenter de cette dimension pratique pour expliquer l’utilisation du cornu exclusivement pour les comices centuriates : la question est aussi juridique. En effet, il semble clair que c’est bien la dimension militaire des comices centuriates qui justifie le jeu d’un cornicen, une des trois catégories d’instrumentistes caractéristiques de l’armée romaine36. Les comices centuriates étaient la forme politique du peuple en armes, ce qu’illustre clairement le fait qu’ils avaient lieu à l’extérieur du pomoerium37. Il est cohérent que les Romains soient appelés à leur devoir politique par l’instrument qui les convoquait aux assemblées militaires, rappel de leur statut de citoyen-soldat38. Ils y étaient normalement appelés par les consuls ou les préteurs, deux catégories de magistrats qui possédaient l’imperium en vertu duquel ils pouvaient faire jouer le classicum39. On pourrait rétorquer que la description que livre Varron de la procédure de perduellio concerne un procès questorien, soit relatif à un magistrat inférieur, théoriquement sans imperium40. Cependant, le commentaire sur l’anquisitio (§ 91) donne la clé de ce problème : il y est très clairement décrit une procédure de prêt d’auspices, en vertu de laquelle un questeur pouvait temporairement bénéficier du pouvoir augural et jouir d’une délégation d’imperium41. Investi de ce pouvoir, il était donc en mesure d’ordonner à un cornicen de procéder à un appel au rassemblement.
17La dimension militaire de la sonnerie ressort aussi nettement du trajet réalisé par le musicien lors des différents appels auxquels il procédait. Une lecture pragmatique de ce parcours permet d’insister sur l’universalité de l’appel : nul Romain ne doit ignorer le drame qui agite une cité sur le point de se séparer de l’un de ses membres, nul ne doit être en mesure d’ignorer son droit à exercer la justice capitale. Pour ce faire, le musicien jouait dans un premier temps sur le toit de la Ville : l’Arx était le promontoire le plus élevé de la colline capitoline. Du sommet du Capitole, aucun obstacle ne venait gêner la propagation du son du cornu. Mais cette lecture concrète peut être complétée par une interprétation plus symbolique. La première sonnerie était jouée au cœur militaire de la cité : sur l’Arx se trouvait la citadelle des premiers temps de Rome, le dernier rempart inexpugnable de la Ville42. À l’époque médio-républicaine à laquelle fut rédigé le commentaire de Marcus Sergius, l’Arx était encore ce centre imprenable43. Les jours de comices centuriates, c’est-à-dire les jours de convocation du peuple en armes, le drapeau rouge flottait sur la citadelle44. Que le cornicen joue sur l’Arx révélait l’identité de l’accusateur. C’était la cité martiale, à travers le préteur revêtu de l’imperium, qui était dans ce rôle. Sur l’Arx se trouvait en outre l’auguraculum mentionné au paragraphe 91 du texte de Varron, templum dans lequel devaient être pris les auspices précédant l’inauguration du rex sacrorum et la réunion des comices centuriates45. Ainsi cette première sonnerie est-elle autant une référence au pouvoir humain qu’à la puissance des dieux : l’action des citoyens ne saurait être juste sans l’assentiment divin. En demandant à un musicien de jouer sur l’Arx, la cité ne cherche-t-elle pas à attirer l’attention des dieux sur l’action qui est en train de se dérouler ?
18Le tour des murailles, étape suivante de l’appel, opérait indubitablement un retour à la cité en tant qu’institution politique humaine. Après les dieux, ce sont les citoyens qui, dans leur ensemble, étaient alertés sur la situation du jour. Faire résonner les instruments du haut des murailles reflétait la volonté d’un appel intra et extra urbem afin qu’aucun ne soit tenu à l’écart du procès : l’inlicium concernait tous les citoyens. L’encerclement de la cité par le musicien créait symboliquement la communauté en donnant à chacun un référent sonore commun.
19Lors de ces deux premiers appels, le rôle du musicien était naturellement tourné vers la publicité des actes : le bruit qu’il émettait était audible par tous, ou du moins par un nombre de citoyens plus important que ceux touchés par la voix du praeco. Ses sons étaient émis au nom du magistrat qui convoquait l’assemblée, dont il rendait concret le pouvoir, et plus particulièrement le ius conuocandi. Le musicien faisait donc partie du dispositif d’autorité dont bénéficiait un magistrat et que l’on voit aussi se manifester à travers une mise en scène de la justice capitale.
1.2. Solenniser la justice : la musique comme dispositif d’autorité
1.2.1. Désigner l’accusé
20La dernière étape du parcours du cornicen dans les textes rapportés par Varron le voit se déplacer jusque devant la porte de l’accusé. Après avoir appelé la communauté aux comices, le musicien devait donc se concentrer sur un seul de ses membres, celui dont il était question de se séparer. La sonnerie était alors l’expression sonore de la procédure de denuntiatio par laquelle un prévenu était informé de sa convocation à une session judiciaire. Cette dernière étape relevait à la fois de la désignation et de l’accusation : la sonnerie désignait personnellement le prévenu aux oreilles de la cité. Seul parmi le reste de la population, il était distingué du reste du corps social par le rituel sonore.
21Une fois effectuées les trois étapes de son parcours, le musicien devait se trouver sur le Champ de Mars dès les premières lueurs du jour. On pourrait bien plus s’attendre à ce que ce soit l’accusé qui soit ainsi convoqué, comme le comprend C. Lovisi46. Si le sens est ambigu, la tournure de la phrase latine ne l’est pas et c’est bien au musicien que s’impose cette obligation47. Le lieu ne surprend pas particulièrement puisque les comices centuriates se tenaient sur le Champ de Mars. En revanche, la nécessité de sa présence à l’aube suppose que le musicien en question avait une fonction à remplir au cours de la journée : pourquoi, sinon, le convoquer expressément ? Ni Varron ni l’édit du questeur ne nous donnent de précision en la matière et l’on s’en trouve réduit aux conjectures. Bien que nous n’en ayons aucune attestation formelle, on suppose que le musicien pouvait avoir la responsabilité d’exprimer l’ouverture de la réunion : une sonnerie marquait le fait que l’assemblée populaire était désormais constituée48. Dans l’étude qu’il a consacrée au praeco, J.-M. David a montré que l’une des fonctions de cet appariteur était d’ouvrir des séquences temporelles et spatiales dans la vie de la cité49. Ses paroles étaient prononcées à l’impératif, au nom de l’auctoritas du magistrat dont il dépendait. La valeur de ces formules était performative et signifiait l’entrée dans la séquence rituelle souhaitée par le magistrat au nom de qui il parlait (assemblée, sacrifice, rite religieux…). De même, son rôle lors des funérailles des grands personnages de la cité, les indictiua funera, permettait l’ouverture de l’espace public qu’était la rue pour le déplacement du corps du défunt. Au cours de cette réflexion, J.-M. David a mentionné combien les musiciens qui étaient alors présents avaient la même fonction, une réflexion qui me semble devoir être soulignée et amplifiée50. Comme les praecones, les musiciens agissant sur ordre des magistrats pour l’appel aux comices centuriates délimitaient un espace-temps. Leurs sonorités d’appel à la constitution des comices centuriates marquaient les prémisses de la réunion dramatique qui aboutissait à la condamnation de l’un des membres du corps social. Il s’agissait donc d’une séquence très particulière, à l’écart de la vie régulière de la communauté. C’est pourquoi l’on peut supposer que le cornicen présent sur le Champ de Mars à l’aube servait à marquer, grâce à son instrument, l’ouverture d’un nouveau temps, celui de la réunion.
22Une autre hypothèse, qui n’exclut toutefois en rien la précédente, consiste à penser que le musicien pouvait souligner l’énonciation de la sentence, à l’image de ce que nous disent les sources pour la proclamation des résultats des jeux51. Cette sonnerie de fin serait le pendant de la sonnerie d’ouverture : le musicien aurait alors clos la séquence particulière que constituait la réunion des comices centuriates votant la mort d’un citoyen.
1.2.2. Mettre en scène la sentence
23Enfin, il est possible de voir une troisième raison pour motiver la présence du cornicen sur le Champ de Mars : l’exécution de la sentence capitale semble avoir nécessité un accompagnement musical. La localisation de ces exécutions sur le Champ de Mars est attestée par quelques sources52. La plus intéressante concerne un des célèbres procès de perduellio de la République, celui intenté contre C. Rabirius pour le meurtre du tribun L. Appuleius Saturninus. Le discours de défense qu’en a livré Cicéron contient une référence au fait que son client, s’il était convaincu de meurtre, devrait être exécuté séance tenante, sur le Champ de Mars53. Pour revenir au texte de Varron, il est donc possible que le cornicen ait été convoqué sur le Champ de Mars pour jouer au moment de l’énonciation de la sentence.
24Bien des années plus tard, dans un contexte très différent, Tacite fait état d’exécutions sous le règne de Tibère, dont celles de deux mages qui auraient participé au complot ourdi par Libo Drusus :
On prit aussi des sénatus-consultes pour chasser d’Italie les astrologues et les mages ; l’un d’eux, L. Pituanius, fut précipité de la roche Tarpéienne ; un autre, P. Marcius, fut conduit par ordre des consuls hors de la porte Esquiline et exécuté après une sonnerie de classicum, selon l’antique usage54.
25On pourrait s’étonner de la différence de traitement entre les deux condamnés : le lieu du supplice n’est pas le même et l’usage de la musique n’est mentionné que pour P. Marcius. Précipiter un condamné de la roche Tarpéienne semble avoir été le rite « régulier » pour l’exécution d’un citoyen romain55. En revanche, l’exécution sur l’Esquilin, en dehors des murailles de la cité, en un espace fréquenté par les morts les plus humbles, était réservée soit aux citoyens des strates sociales inférieures, soit à ceux que l’on souhaitait particulièrement dégrader. Il est possible que l’implication de P. Marcius dans le complot de Libo ait été supérieure à celle de L. Pituanius. Sa condamnation, graduellement ajustée à l’ampleur de son crime, aurait impliqué une humiliation symbolique plus importante. Dès lors, le fait qu’un musicien soit dépêché à son exécution participait peut-être de la formalisation de l’importance de sa condamnation.
26Une autre description d’exécution se trouve dans une des controverses de Sénèque le Rhéteur. Elle concerne le procès pour lèse-majesté de Flaminius (consul en 192 a.C.), accusé d’avoir fait exécuter un condamné à mort lors d’un banquet, afin de satisfaire la curiosité d’une prostituée56. Parmi les fragments de déclamations retenus par Sénèque, se trouve celle de Capito, rhéteur du premier quart du Ier siècle p. C. qui n’est connu que grâce à la mémoire de Sénèque57. Le rhéteur oppose dans son argumentaire la légèreté de Flaminius à la gravité de la justice telle qu’elle doit être légalement rendue, livrant pour l’occasion une scène de la vie judiciaire romaine du début de la période impériale :
[Il] poursuivit en décrivant combien les choses se passaient différemment sur le forum. Le préteur prend place dans le tribunal sous le regard de la province ; les mains du coupable sont liées dans son dos, il se tient là sous le regard intense et réprobateur de tous ; le praeco fait le silence ; on prononce les paroles rituelles ; on sonne le classicum d’un autre endroit. Est-ce là vraiment la description d’un jeu de table ?58.
27À l’évidence cette scène ne correspond pas à la situation décrite par Varron : plusieurs siècles de vie judiciaire romaine se sont écoulés et les procès comitiaux ne sont plus d’actualité. La justice est rendue par des quaestiones perpetuae, présidées par un préteur : c’est à ce dernier que revient l‘application de la sentence dans le passage de Capito59. Un des problèmes posés par ce texte est toutefois celui de sa situation précise dans le déroulement du procès. S’agit-il de l’énoncé de la sentence ou de son application ? Le fait que cette scène soit située in foro devrait plutôt faire pencher vers la première de ces deux phases : le forum était le lieu du tribunal du préteur, espace de la discussion et de la décision judiciaire bien plus que des exécutions60. L’exécution des condamnés in foro fut pratiquée à l’époque républicaine61. On a cependant tendance à estimer que cet espace ne fut progressivement plus utilisé pour l’exécution des sentences, même si Pline et Suétone en attestent encore ponctuellement à l’époque impériale62. En réalité, l’argumentaire de Capito ne prend de sens que s’il oppose terme à terme les situations, soit, dans les deux cas, le moment de l’exécution de la sentence. La référence au forum est un argument rhétorique visant à amplifier, si besoin en était, la gravité de la faute commise par Flaminius. Le banquet et le forum représentent deux pôles opposés, physiques mais aussi moraux, leuitas contre grauitas, ce qu’induit la construction des phrases précédant immédiatement le passage commenté :
Si, par les dieux immortels, tu avais donné un festin sur le forum sous le regard du peuple, un jour ouvré, n’aurais-tu pas amoindri la majesté de notre empire ? Et quelle différence de transporter le festin au forum ou le forum dans un festin ?63
28Situer l’exécution sur le forum revient donc à donner un caractère éminemment plus solennel au rituel et c’est donc bien selon moi un épisode de mise à mort et non d’énonciation de la sentence qu’il faut voir dans ce passage64.
29Bien qu’ils soient issus de contextes variés, ces différents textes permettent donc de penser qu’un musicien jouait lors de l’exécution des sentences capitales. Un musicien, relevant de l’autorité du magistrat qui avait prononcé la sentence, participait à la mise à mort rituelle du condamné par la cité. Le texte de Sénèque le Rhéteur décrit tout un dispositif participant à la gravité de l’instant : une foule austère, le silence du praeco, les paroles du préteur et la musique dont, il est précisé qu’elle est jouée ex altera parte. Cette précision topographique est intéressante, en ce qu’elle donne l’impression d’une véritable mise en scène, comme si le condamné était entouré par les différents acteurs, concourant à faire de son exécution un drame particulièrement organisé.
1.2.3. Un outil au service de la dramatisation
30Il ressort de l’argumentaire de Capito que les musiciens participaient à une forme de dramaturgie de la justice capitale. Le praeco et le musicien entourant le condamné créaient les conditions d’un environnement acoustique particulier, propre à la justice. On retrouve là ce couple au service de la légalité et de la pratique judiciaire : praeco et musicien, chacun servant selon ses possibilités. Contrairement au héraut le musicien ne pouvait exprimer un message ou des formules avec exactitude. Son action permettait donc très probablement de renforcer la solennité du rite. Au même titre que le lieu ou l’attitude des spectateurs, le son proféré par les musiciens soulignait autant qu’il les créait la dignité et la gravité de l’instant.
31La musique était l’un des instruments à la disposition de la Cité, représentée par son magistrat lors des séances judiciaires, pour mettre en scène la grauitas de la procédure. Sénèque le Philosophe y insiste dans son traité sur la colère, tirant sans doute les leçons de l’ouvrage que son père avait rédigé pour lui65. Alors qu’il se met en scène en tant que juge devant prononcer une sentence capitale, il n’oublie pas de faire état de la sonnerie de trompe qu’il lui faudrait faire donner :
C’est pourquoi également, si, magistrat, je dois revêtir une robe sombre et convoquer l’assemblée au son du classicum, je marcherai au tribunal non pas d’une allure furieuse et hostile, mais avec le visage qui convient aux lois ; je prononcerai les paroles solennelles d’une voix douce et grave plutôt que rageuse et j’ordonnerai le supplice d’un ton non pas irrité mais sévère66.
32Dans le cas présent, le classicum auquel fait référence Sénèque n’est que l’un des outils au service de la dramatisation de la justice. Les vêtements du juge en sont un autre, bien qu’il soit difficile de connaître le sens exact de la peruersa uestis que devrait revêtir le juge Sénèque67. Votienus Montanus, un autre rhéteur cité par Sénèque père vient soutenir cette description du philosophe, toujours à propos du même cas de Flaminius68 :
Dis-moi en effet : si, devant procéder à l’exécution selon les rites et les usages vestimentaires prescrits par la loi, il arrive, en plein jour, au tribunal en vêtement de fête, si alors que le classicum doit sonner il fait jouer une symphonia, n’attente-t-il pas à la majesté du peuple romain ?69 .
33L’idée selon laquelle il y aurait un type de vêtement légalement fixé pour rendre la justice capitale n’est pas un point bien éclairé par l’historiographie70. Elle ouvre toutefois à l’idée selon laquelle la cité se serait clairement préoccupée de ces questions de mise en scène de la justice. L’apparence du juge et l’utilisation de l’espace sonore de son tribunal étaient autant d’éléments d’un dispositif d’autorité qui transparaît dans ces citations. Afin de donner sa grauitas à la justice, les Romains jouaient sur une approche multisensorielle : vue et ouïe étaient mobilisées pour faire de l’exécution d’un coupable un temps particulièrement fort et distinct de la vie civique. L’appel aux comices centuriates, du temps où ils furent convoqués pour voter les peines capitales jouait aussi sur cette dimension sensorielle. Puisque le cornicen devait se trouver sur le Champ de Mars aux premières lueurs du jour, ses sonneries exécutées, il faut donc nécessairement supposer qu’elles étaient jouées nuitamment. On doit se représenter l’effet que pouvaient avoir sur les citoyens les sonorités du cornu émises depuis l’Arx, les murailles et la rue du condamné dans une ville encore sombre et endormie. Ces jours là, les citoyens étaient réveillés par le son accusateur et sombre de la justice, réverbérant ad libitum entre les murs des domus.
34Le passage de Votienus Montanus prend tout son sens dans l’opposition entre les termes qui le structure : vêtements solennels contre habits de fête, classicum contre symphonia. Ce dernier mot contient une double connotation : il s’agit d’une musique d’ensemble mais aussi de sonorités harmonieuses, d’une musique de concert71. L’opposition entre ces deux termes n’est pas un cas unique. On la retrouve une fois de plus chez Sénèque le philosophe, qui semble s’être beaucoup inspiré de son père dans ses images musicales. Selon lui un véritable homme, tel que Marcus Caton dont il est alors question, se doit de préférer être réveillé par le classicum dans une tranchée qu’il aura lui-même creusée avec son épée, plutôt que par une symphonia dans une coquette et confortable villa maritime72. Le terme de classicum ressort de ce passage comme étant une sonnerie dont l’efficacité dramatique primait sur l’harmonie. Le classicum représente sous la plume des Sénèque l’image de la virilité romaine, face à l’amollissement oriental de la symphonia73. Déjà abondamment commenté dans les pages consacrées à la musique militaire, le classicum nécessite pourtant à nouveau que l’on s’y arrête afin de préciser sa signification et son importance dans la vie civile.
1.3. Classicum et cornicen
35« Cornicen » et plus encore « classicum » sont les deux termes qui ressortent avec force des textes mentionnant le quotidien musical institutionnel des cités74. Les deux sont régulièrement associés : il paraît difficile de ne pas en déduire que le classicum était une mélodie jouée par un cornicen lors des rites civiques, marquant en cela une différence avec le classicum joué en contexte militaire. En réalité cette affirmation ne peut être maintenue qu’en analysant de près certaines sources contradictoires d’apparence, y compris même dans les textes qui viennent d’être utilisés. En effet dans le discours qu’il prête à Caius Gracchus, Plutarque utilise le mot σαλπιγκτήν, qui correspond au latin tubicen75. Pour autant, plusieurs éléments incitent à la prudence : il s’agit d’un cas isolé et surtout tiré d’un auteur grec. Or comme l’a fait remarquer D. Mantovani, la complexité du champ lexical des instruments de musique rend tout à fait plausible l’emploi d’un mot pour un autre, particulièrement chez un auteur qui n’en était pas familier76. Les aérophones en bronze n’appartenaient pas à la culture musicale grecque et qui plus est le cornu n’avait pas d’équivalent dans l’instrumentarium oriental77. C’est pourquoi il est préférable de se concentrer sur le classicum et le cornicen, dont les rapports aux rites civiques sont incontestables.
36Le classicum a déjà été abordé dans le chapitre précédent, en tant que sonnerie militaire associée au commandement. Son utilisation pour l’appel aux comices centuriates ou lors des procès capitaux est à situer dans le même champ : le classicum ne saurait se comprendre sans l’imperium78. Ce faisant, le classicum était à l’évidence la sonnerie la plus importante de la vie institutionnelle romaine. Les sources à son sujet sont relativement abondantes, même si elles peuvent dans un premier temps paraître contradictoires quant à sa nature même. Pour certains auteurs en effet, le classicum n’était pas une sonnerie mais un objet. Isidore de Séville en fait ainsi un instrument servant à appeler au rassemblement de la population79. Il aurait une origine italienne, selon le commentateur de l’œuvre de Virgile, Servius Honoratus : il s’agirait des trompes dont se servaient les hommes de la cité d’Orta qui auraient par la suite été adoptées par Rome pour l’appel au rassemblement populaire80. Le Pseudo-Acron, commentateur d’Horace, adopte pour sa part une position plus nuancée : le terme servirait à désigner à la fois l’instrument et la sonnerie que l’on émettait grâce à lui81. Il est rejoint dans cette interprétation par Servius Honoratus, dans le commentaire d’un autre vers de l’Énéide que celui précédemment mentionné : « en effet on appelle classicum et l’instrument et la sonnerie. Le classicum est en outre une trompe courbe »82. Dans ce dernier passage le scholiaste va plus loin, puisqu’il fournit une définition de l’instrument portant le nom classicum. Cette description est unique et ne manque donc pas de poser problème. En effet l’instrument que les sources décrivent comme une trompe recourbée n’est autre que le cornu, soit l’instrument qui est le plus souvent associé au classicum dans les témoignages littéraires. Tous ces passages qui font du classicum un instrument suscitent au moins autant de questions qu’ils n’en résolvent. Ils semblent finalement bien moins pertinents que les documents qui, comme pour le domaine militaire, engagent à considérer le classicum comme une mélodie.
37On l’a vu, sous la plume de Sénèque le Rhéteur le classicum est opposé à la symphonia. Dans ce cas, le terme classicum se trouve totalement dématérialisé : il désigne une sonorité, un type de sonnerie et non un instrument. Une telle position se dégage aussi à la lecture de Varron. Ce dernier va même plus loin : le terme classicum sert à désigner la sonnerie et celui de classicus le musicien qui la pratique. Cependant ce dernier ne la pratique pas sur un instrument propre, mais sur le cornu :
Tubicines vient de tuba, la trompette, et de canendo, jouer ; il en est de même pour liticines. Classicus vient de classis ; ils jouent avec le cornu quand ils appellent les classes de citoyens en assemblée aux comices83.
38Ce passage de Varron est fondamental par les précisions qu’il donne quant à l’instrument sur lequel était joué le classicum, qui n’est en rien un instrument lui-même appelé classicum mais bien le cornu. La construction du texte que j’ai retenue est celle proposée par T. Mommsen. Dans cette version, le classicum n’est associé qu’au seul cornu. Ce texte diffère cependant de celui établi par R. G. Kent pour l’édition Loeb, ainsi que de l’édition Teubner proposée par G. Goetz et F. Schoell en 191084. À l’origine de ces différentes lectures se trouve la corruption du manuscrit princeps, obligeant à une interprétation. La version de Kent est celle qui diverge le plus de celle de Mommsen car elle introduit un autre instrument que le cornu :
Classicus vient de classis ; il joue aussi bien avec le cornu que le lituus, par exemple quand ils appellent les citoyens en assemblée aux comices.
39La genèse de cette interprétation remonte à l’édition du texte par A. Spengel, en 1885. Elle pose toutefois doublement problème. D’une part la construction de la phrase n’est pas correcte, avec le passage du singulier canit au pluriel uocant. D’autre part elle introduit la possibilité que le classicum soit joué sur un autre instrument que le cornu. Or le lituus n’est mentionné dans aucune autre source comme étant un instrument servant à l’appel des comices, des contiones ou en rapport avec l’administration de la justice85. Aussi le faire apparaître dans un contexte aussi incertain que la lecture d’un manuscrit corrompu ne me semble pas acceptable.
40A contrario, voir dans le cornu le seul et unique instrument sur lequel était joué le classicum dans un contexte civil permet de mieux comprendre la flexibilité avec laquelle les deux termes semblent avoir été employés. Ainsi le passage de Varron rapportant l’édit du questeur paraît utiliser les deux termes de manière égale : il est d’abord question d’envoyer le cornicen jouer (cornicinem ad priuati ianuam et in Arcem mittas, ubi canat), puis ceux qui tiennent des censeurs l’adjudication du classicum pour les comices centuriates (quod attingat qui de censoribus classicum ad comitia centuriata redemptum habent). Le texte se comprend beaucoup mieux si l’on considère qu’il n’y avait en réalité qu’un seul et unique type d’instrumentiste chargé de jouer dans le contexte des assemblées populaires, le cornicen, pratiquant la sonnerie du classicum86. Il s’agirait là de la seule grande différence entre classicum civil et classicum militaire qui, rappelons-le, pouvait être jouée par les bucinatores en cas d’attaque nocturne ou par l’ensemble des instrumentistes lorsqu’il s’agissait d’une sonnerie d’apparat. La ou les phrases mélodiques composant le classicum devaient donc être suffisamment simples pour qu’elles soient reconnaissables par les citoyens par delà ces changements dans les instrumentistes qui la jouaient.
41Par ailleurs la construction du mot classicum constitue une exception dans l’ensemble du vocabulaire musical. Dans la réflexion proposée par Varron sur l’étymologie des termes relatifs aux instrumentistes, le classicus est un cas à part : là où tibicines, tubicines et liticines dérivent directement du nom de leur instrument, ce qui est chose courante, le classicus tire son nom de la phrase musicale qu’il interprétait87. Cette particularité explique certainement pourquoi Varron a trouvé opportun d’expliquer sur quel instrument était jouée la mélodie. Un cornicen jouant du cornu devenait un classicus s’il entonnait le classicum, ce que souligne un passage d’Hygin dans lequel le fabuliste mentionne les « cornicines du classicum »88. Ce qu’il jouait primait sur l’instrument dans lequel il soufflait. Les raisons d’une telle construction lexicale ne sont pas données par Varron. On peut cependant penser que c’est justement en raison de son importance symbolique et civique que le classicum aurait survécu à travers les âges et aurait informé le vocabulaire.
42L’opposition apparente entre les citations faisant du classicum une mélodie et celles en faisant un instrument est sans doute à résoudre à l’aide du même argument. De la même manière que le terme classicum avait contaminé celui désignant l’instrumentiste, peut-être a-t-il progressivement déteint sur l’instrument en lui-même, à une époque où les auteurs n’étaient plus vraiment certains de la réalité qu’ils désignaient. Il est en effet frappant de constater que tous les auteurs qui définissent le classicum comme un instrument sont largement postérieurs à la période classique. Servius Honoratus est un commentateur du IVe siècle, le Pseudo-Acron un scholiaste du Ve siècle, quant à Isidore de Séville, il rédigea ses Étymologies au VIe siècle. Ces trois auteurs commentent des œuvres ou définissent une réalité éloignée de leur temps : comment comprendre autrement le besoin de Servius Honoratus et du Pseudo-Acron d’expliquer les vers des poètes des siècles précédents, si ce n’est parce que leurs contemporains ne les comprenaient pas ? Ainsi, confrontés à cette question de la définition du classicum, ces auteurs ont répondu par l’ambivalence. Certains textes ne leur permettaient pas de déterminer si classicum désignait une trompe ou une sonnerie : ils en ont déduit que le terme pouvait revêtir les deux significations89. Dans ces conditions, il ne me semble pas qu’il faille voir une évolution instrumentale mais bien plutôt une évolution linguistique : le sens du mot a changé, la réalité qu’il désignait est restée la même.
Conclusion : Le cornicen, instrumentiste des institutions
43Au terme de cette réflexion, le cornu se trouve être le seul instrument dont l’utilisation est attestée dans le cadre de la vie des institutions dans les cités d’Occident. Seul Properce fait mention d’un autre instrument, la bucina, pour l’appel au rassemblement des sénateurs90. Il semble cependant difficile de se fier aux Élégies pour la précision du vocabulaire des instruments de musique, en particulier dans un passage relisant le lointain passé de Rome au filtre d’une inspiration bucolique. Derrière la bucina de Properce il faut sans doute imaginer avec l’auteur les Romains des premiers temps de la cité, se servant des cornes de leurs bœufs comme d’instruments de musique, vision agreste et poétique exempte de précision organologique.
44En définitive, les sources ne nous ont transmis qu’un nombre limité de situations institutionnelles durant lesquelles des musiciens intervenaient. Néanmoins, il s’agissait de temps clés pour la vie de la cité. C’est au cornicen que revenait alors la responsabilité d’animer l’espace urbain. Il exerçait une fonction de convocation, à l’interface entre civil et militaire. Son rôle pratique se doublait aussi d’une mise en scène de la justice, au service de la gravité et d’une forme de dramaturgie de la vie sociale. Il est toutefois un autre cadre pour lequel les sources ont préservé un nombre de témoignages bien plus important de la participation des musiciens, les rites de la religion publique, et plus particulièrement le rite sacrificiel.
2. Le silence bruyant : les musiciens des sacrifices
45Les scènes de sacrifice font partie des rites de la religion romaine les plus souvent figurées dans l’iconographie91. Qu’il soit sanglant ou non le sacrifice a été choisi par les sculpteurs pour représenter la relation entretenue par les hommes avec les divinités. Il en est le point culminant, le temps où ce lien est à son apogée. La codification rituelle, nécessaire à l’efficacité de sa réalisation, a facilité l’ouvrage des sculpteurs de tout niveau92. En tant que rite le sacrifice implique un personnel constant ainsi qu’un ensemble de pratiques et de gestes visant à assurer sa réussite.
46L’un des emblèmes de la représentation sacrificielle est musical : un musicien au moins semble avoir été nécessaire à la réalisation efficace d’un sacrifice romain. Le tibicen est ce musicien indispensable que les sculpteurs ont souvent pérennisé en pleine performance, la plupart du temps derrière l’autel93. Lorsque les contingences matérielles du support obligent le sculpteur à réduire le nombre de personnages qu’il fait figurer autour de l’autel, le tibicen est, avec le sacrifiant, le personnage le plus couramment représenté. Il est parfois accompagné d’un musicien jouant sur un instrument à cordes.
47Les sources épigraphiques sont elles aussi très claires sur le fait que les tibicines servaient à la bonne réalisation des rites. Ainsi lit-on sur quatre inscriptions provenant de Rome et de Tivoli que certains tibicines étaient préposés au culte public, à travers l’expression qui sacris publicis praesto sunt94. Fort logiquement, les joueurs de tibia seront les instrumentistes qui seront les plus étudiés dans les pages qui viennent. Cependant si le temps le plus fort du sacrifice avait lieu au pied des autels, le rite commençait avant par une pompa qui conduisait le personnel et les animaux - en cas de sacrifice sanglant -, au lieu de la cérémonie95.
2.1. Tout commence en musique
48La présence de musiciens lors de la pompa des sacrifices de la religion publique est attestée par des monuments sculptés, essentiellement des grands reliefs historiques. L’extraordinaire cycle Medinaceli, découvert dans le royaume de Naples à la fin du XVIe siècle et aujourd’hui dispersé entre musées et collections privées, permet de suivre la bataille d’Actium, de son déroulement en pleine mer au triomphe qu’elle valut à Octavien en 29 a.C.96. Deux processions sont représentées mais peuvent être clairement distinguées par leur direction respective. De gauche à droite se déroule la pompa triumphalis, à laquelle participent un tubicen et deux tibicines97. En sens inverse une pompa sacrificielle conduit des bovins à l’endroit où ils seront offerts aux dieux98. Entre les animaux deux tubicines sont en train d’accomplir leur office : ils soufflent dans leur instrument minutieusement représenté, le corps légèrement penché en arrière. Leurs joues sont gonflées d’air et leur regard concentré sur l’effort. Tous deux portent une tunique courte et une couronne de laurier sur la tête.
49On trouve une représentation très similaire de tubicines participant à une procession sacrificielle sur un autre grand relief sculpté, découvert à Rome sous le palais de la Chancellerie et actuellement conservé aux musées du Vatican. Cette fois la procession se déroule de gauche à droite et les musiciens, qui précèdent les victimes, portent une toge longue. Pour le reste, le positionnement de leur corps et leur attitude est similaire à celle du relief Medinaceli : le torse légèrement reculé, les musiciens, au nombre de trois, donnent l’impression de souffler puissamment dans leur tuba, qu’ils tiennent d’une seule main.
50C’est enfin la même position et les mêmes critères d’identification que l’on retrouve sur le monument dit des Parthes d’Éphèse, un tubicen en toge soufflant dans son instrument, à proximité des victimes du sacrifice99. Sur un autre document, en revanche, ce sont des cornicines qui sont représentés entre un porc et un bêlier que l’on conduit au lieu de l’abattage d’un suovétaurile. Il s’agit de l’arc de Suse, qui, entre 12 et 8 a.C., commémore l’entrée des quatorze peuples de la Gaule du sud dans le monde romain. L’état de conservation et la qualité de sculpture originelle du relief ne permettent pas d’analyser avec finesse les gestes des musiciens. Ils ne laissent toutefois aucun doute quant à la nature de l’instrument, qui s’enroule autour de leur tête et présente même une hampe centrale pour le premier d’entre eux, pas plus que sur leur habit, une toge longue.
51À la différence de tous les monuments présentés jusqu’alors, la stèle d’Attalus, esclave de M. Nonius, actuellement conservée au musée d’Isernia, ne fait pas partie de la catégorie des grands reliefs historiques100. Il s’agit d’un bloc de pierre de taille relativement modeste, divisé en trois registres. Le registre central est le plus lisible : un suovétaurile y est représenté de manière très condensée. À l’extrême droite de la scène, en arrière-plan, un tubicen est en train de souffler dans son instrument. Là encore l’état de conservation du monument ne permet pas d’aller plus avant mais suffit pour certifier que le musicien est en train de souffler dans une tuba. Les codes iconographiques à l’œuvre dans la grande sculpture impériale se retrouvent parfaitement assimilés sur ce relief d’Italie du nord. On ne peut savoir si l’esclave Attalus, à l’origine de ce monument, a voulu commémorer un sacrifice que son maître M. Nonius avait fait réaliser ou bien s’il a souhaité signifier sa connaissance du plus important des sacrifices de la religion publique romaine. Quoi qu’il en soit, il lui a paru important de faire figurer un tubicen avec les autres éléments relatifs à la pompa. Contrairement à ce qu’écrivit F. Prescendi, ce sont en effet bien les trompes qui accompagnaient les processions, et non la tibia, instrument capital pour la réalisation du rite sacrificel, mais pour la séquence suivante de la praefatio101.
2.2. Le tibicen, acteur essentiel de la praefatio
2.2.1. L’action rituelle du tibicen
52En effet, le tibicen n’intervenait pas à n’importe quel moment du sacrifice. Les autels ou bas-reliefs historiques de la fin de la République ou de la période impériale qui le font figurer insistent sur un temps particulier, celui de la praefatio. Cette séquence se situe entre la pompa et la mise à mort des victimes, dans les cas de sacrifices sanglants. La scène est alors concentrée autour de l’autel. Le sacrifiant procède à une libation, versant sur le foyer quelques gouttes de liquide en récitant les formules appropriées. Il peut aussi faire le sacrifice d’éléments solides, encens, fruits ou gâteaux.
53L’essentiel des représentations montre le tibicen en train de souffler dans son instrument, tandis que le sacrifiant renverse une patère dans le feu allumé. Ils insistent donc sur l’action de ces deux personnages, ainsi que sur la concomitance entre le sacrifice et le jeu du musicien. L’autel dit de Soriano del Cimino et conservé aux musées du Capitole dans le palais des conservateurs, certainement originaire de la ville de Rome et d’époque augustéenne, rend très concrète cette phase du sacrifice102. L’autel, rond et orné de guirlandes, sur lequel est allumé un feu, occupe le centre de la composition. À sa droite, le sacrifiant, en toge, est en train de renverser le contenu d’une patère dans les flammes. Il attire le regard par sa haute stature, qui dépasse de loin la taille des autres hommes. Immédiatement derrière l’autel un tibicen, portant toge et couronne, est en train de jouer. Les doigts de ses mains, en partie en l’air, rendent avec efficacité l’illusion du jeu en cours. À gauche de l’autel la victime, un bœuf, attend paisiblement son heure. Un uictimarius, torse nu et portant le limus le retient sans effort. Il est suivi, à l’extrémité gauche, par un popa portant le marteau fatal. Les têtes des trois desservants et de la victime sont orientées vers le sacrifiant, le dévorant du regard et créant une ligne de convergence qui accroît la majesté de sa pose. La scène semble comme figée à cet instant médian de la praefatio où le mouvement de la pompa s’est éteint tandis que les ruades de la bête que l’on égorge n’envahissent pas encore la scène. Le tibicen remplit alors de sa musique sacrificielle tout l’espace rituel.
54Une des représentations les plus célèbres de cette situation courante est sans doute l’autel augustéen du uicus Aesculeti103. Il figure le culte des lares des carrefours et du genius Augusti par les uicomagistri104. Son originalité est de représenter les quatre magistri en train de renverser dans un même mouvement le contenu de leur patère sur l’autel enflammé. Le caractère officiel de la cérémonie est affirmé par la présence du licteur couronné portant un faisceau, situé à l’arrière-plan, à gauche du groupe des sacrifiants. Bien au centre derrière l’autel, la tête recouverte d’un voile, à l’instar des quatre responsables du sacrifice, le tibicen attire les regards sur ses joues gonflées par l’effort, la majesté de sa concentration et de son art. Il est représenté sur cet autel comme l’élément central de la praefatio.
55La nature du sacrifice ne change rien quant à la présence du tibicen. La colonne Trajane témoigne de la présence de ce musicien lors des sacrifices impliquant toute l’armée, comme lors des grands suovétauriles consécutifs à la lustration d’un camp ou au commencement d’une campagne105. On le retrouve lors des sacrifices aux divinités les plus importantes du Panthéon, Jupiter au premier plan, mais aussi lors de ceux réalisés pour des divinités de moindre importance, comme Valetudo ou encore durant les sacrificés liés au culte impérial106. Ce musicien semble donc avoir été requis pour la réalisation rituelle de tout sacrifice public digne de ce nom. Lorsque Cicéron veut décrire « l’arrogance campanienne » avec laquelle agissent les magistrats de la colonie de Capoue nouvellement constituée, il insiste sur leur attitude au moment des sacrifices publics. Non contents de se faire appeler préteurs plutôt que duumviri, les magistrats procèdent aux sacrifices publics ainsi que le font les consuls de Rome : avec praeco et tibicen.
On voyait de grandes victimes exposées sur le forum, que ces préteurs, du haut du tribunal, comme nous faisons, nous autres consuls, agréaient, de l’avis de leur conseil, et qu’on immolait avec héraut et tibia107.
56Les sources ne nous permettent pas de savoir exactement à quel moment s’achevait la participation du tibicen. Selon Fless, le musicien continuait à jouer lors de la mise à mort des animaux108. Cette position est toutefois contredite par l’un des rares monuments à représenter l’abattage des victimes. Sur le relief de la villa Médicis, appartenant certainement à l’ara pietatis, le musicien ne joue plus (fig. 1)109. Le bœuf à déjà le museau qui touche presque le sol, offrant son cou au uictimarius. Un tibicen couronné de laurier assiste à la scène, les yeux dans le vague. Il est situé immédiatement à droite du desservant qui immobilise la bête, debout, en toge, son instrument replié tenu contre son torse entre ses deux mains. Son rôle est manifestement terminé et il ne fait qu’assister à la fin de la cérémonie. Il passe alors du rôle de minister du culte à celui de simple spectateur, incarnant physiquement la transition entre ces deux temps du rite sacrificiel.
2.2.2. Pourquoi un musicien ?
2.2.2.1. Le paravent sonore
57La présence des tibicines aux côtés du sacrifiant correspond à une nécessité rituelle. Elle est consubstantielle au bon accomplissement du sacrifice et à la perfection de l’orthopraxie rituelle. Elle était une telle évidence que bien peu d’auteurs prennent la peine de nous justifier sa présence. Censorin se contente d’affirmer que la musique plaît aux dieux et les apaise110. Pline est plus disert. Il explique de manière simple la raison pour laquelle le tibicen doit être placé au plus près du sacrifiant : il est entièrement à son service. Son rôle est celui d’un paravent sonore : afin que rien ne vienne troubler le sacrifiant dans sa récitation des formules rituelles, le tibicen l’isole du son de son instrument.
Les plus hauts magistrats ont coutume de réciter des prières propitiatoires, suivant les formules déterminées. Pour éviter qu’aucun des termes ne soit sauté ou interverti, quelqu’un lit d’abord la formule d’après le texte, tandis qu’un autre en surveille l’exactitude et qu’un troisième enfin est commis à faire observer le silence ; pendant ce temps, un joueur de tibia se fait entendre pour qu’aucune autre parole ne puisse être perçue, deux faits remarquables ayant été retenus : chaque fois que des imprécations ont troublé le sacrifice ou que la prière a été mal faite, aussitôt la tête des entrailles ou le cœur ont disparu ou ont été trouvés doubles sans que la victime eut bougé111.
58Il importe donc de noter la différence avec la fonction de la musique dans la liturgie chrétienne, où il est question de beauté, d’adéquation avec le divin, d’aide à la transmission du message religieux. La musique romaine servait, dans le contexte religieux du sacrifice, à masquer les autres bruits ; elle était un agent du silence112. Elle n’était pas, en elle-même, un objet esthétique, mais bien plus un outil du rite. Cette différence entre la musique chrétienne et la musique païenne n’a pas manqué de participer à la grande dévalorisation de la dernière dans l’esprit de certains chercheurs du XIXe siècle imprégnés de théologie chrétienne, tel F.-A. Gevaert113. Ce dernier n’avait manifestement que mépris pour une musique romaine chargée de réduire au silence. Il était à l’évidence difficile pour un musicologue d’envisager que la musique ne soit que l’équivalent du voile recouvrant la tête du sacrifiant : un outil pour la concentration et la réalisation parfaite des gestes114.
2.2.2.2. Le problème de l’absence des tibicines
59S’ils ne la justifient pas, les auteurs sont nombreux à attester cette présence des tibicines près des autels115. Plus notable encore est leur absence : situation exceptionnelle, soulignée comme telle, qui n’est pour nous qu’un moyen supplémentaire de lire en creux leur présence quasi permanente. Suétone rapporte ainsi que le premier sacrifice réalisé par Tibère dans la curie après la mort d’Auguste fut silencieux, sans tibicen116. Il ne s’agissait évidemment pas alors de faire preuve d’impiété, bien au contraire, mais de s’inscrire dans un modèle mythologique, celui de Minos suite à la mort de son fils117.
2.2.2.2.1. La « grève des tibicines », faits et divergences
60L’épisode le plus célèbre de silence rituel, que l’historiographie désigne généralement comme la « grève des flûtistes », se déroule à la période médio-républicaine118. Quatre auteurs ont décrit cet évènement en détail : Ovide, Plutarque, Tite Live et Valère Maxime119. Ils sont en accord sur la trame des événements et divergent à la marge. Les joueurs de tibia, estimant avoir subi une perte, ont un jour massivement quitté Rome. Ils ont trouvé refuge à Tibur. Leur absence a révélé aux Romains leur importance. En effet, sans eux aucune communication rituelle efficace entre les dieux et la cité ne pouvait avoir lieu. Face au refus obstiné des tibicines de réintégrer la Ville, ces derniers furent ramenés par la ruse. Un complice des Romains fit boire les tibicines plus que de raison, puis les plaça, ivres morts, dans un chariot qui les ramena à Rome. Réveillés sur le forum, les musiciens acceptèrent de rester et de reprendre leur fonction. Ils se virent octroyer le droit de procéder à une procession masquée et débridée célébrant leur retour rocambolesque. Cette fête avait lieu lors des Quinquatries mineures, le 13 juin120.
61Les différences entre les auteurs proviennent de l’objectif qu’ils assignent à la narration de cet épisode. Ovide, Plutarque et Valère Maxime insistent davantage sur ses conséquences pour leurs contemporains. Leur démarche est étiologique, tandis que le récit de Tite Live est historique121. Il s’agit avant tout pour eux d’expliquer cette étrange coutume qui voyait, une fois l’an au mois de juin, les tibicines défiler dans les rues de Rome, portant robes et masques122. Varron, pour sa part, se contente de mentionner l’évènement, sans développer son origine123.
62Sur les causes expliquant cet exil volontaire des tibicines, deux versions s’opposent, qui ne sont en rien incompatibles. Selon Ovide il s’agirait d’une forme de protestation qu’un commentateur contemporain qualifierait volontiers de « sociale ». Les musiciens auraient voulu signifier leur désaccord face à une décision limitant à dix le nombre de joueurs de tibia présents dans les cortèges funèbres. Il n’aurait en fait été question que de revenir à ce qu’autorisait la loi des XII Tables, si l’on en croit ce que dit Cicéron124. On aurait ainsi porté atteinte à leur possibilité d’existence en tant que professionnel, ce qui aurait entraîné cette « grève » en réaction.
63Tite Live, repris par Valère Maxime, donne comme raison la décision des censeurs de revenir sur un antique privilège accordé aux tibicines125. Il aurait alors été question de leur interdire de procéder au banquet dans le temple de Jupiter Capitolin, privilège qu’ils détenaient de toute antiquité, selon l’historien126. Plutarque, lui, se contente de mentionner l’abrogation de grands honneurs dus à Numa, sans plus de précision, ce que l’on associerait volontiers au banquet dans le temple de Jupiter Capitolin si, comme l’a fait remarquer J.-P. Waltzing, la chronologie ne l’interdisait, cet édifice étant l’œuvre de Tarquin le Superbe127.
64Dans un cas comme dans l’autre, il est question d’une atteinte à ce que les tibicines avaient acquis par leur pratique musicale, qu’il s’agisse de l’augmentation de leur nombre dans les cortèges funèbres ou de leur privilège de banqueter en présence de Jupiter Capitolin. Ces faits ne sont finalement l’un et l’autre qu’une seule et même manière de souligner l’ancienneté de la pratique musicale des tibicines et l’importance qui leur a été progressivement accordée dans la cité romaine.
65Dans le récit d’Ovide comme dans celui de Plutarque, c’est par l’entremise d’un affranchi complice que les Romains réussissent à faire revenir les tibicines dans la Ville. Celui-ci organise une beuverie puis les oblige à décamper à toute vitesse, les précipite dans un chariot fermé qui les conduit tout droit à Rome, assoupis par les cahots de la route et les vapeurs du vin. Tite Live et Valère Maxime, quant à eux, impliquent la totalité des citoyens de Tibur : ils auraient été sensibles aux arguments des Romains et auraient mis en place le stratagème.
66Une autre divergence concerne la manière dont les musiciens décidèrent finalement de rester à Rome. Selon Ovide un censeur eut idée de les grimer et de les masquer afin qu’ils n’aient pas à subir le blâme d’un retour non autorisé par son collègue qui les avait chassés. Ovide est le seul à suggérer ainsi que l’exil n’aurait pas vraiment été volontaire mais provoqué par la décision d’un des censeurs128. Pour les autres auteurs, les tibicines se laissèrent finalement convaincre de rester en ville et de reprendre leur rôle auprès des autels. Ce sont les magistrats (Plutarque) ou le peuple (Tite Live) qui parvinrent à les convaincre de ne pas repartir. Ils en retirèrent le droit de célébrer une procession commémorant l’épisode et, pour Tite Live et Valère Maxime, furent rétablis dans leurs anciens privilèges.
67La narration de cet épisode est sous-tendue par l’histoire ancestrale des relations entre Rome et Tibur129. Le choix de Tibur comme cité d’exil, ainsi que l’implication de toute cette cité dans l’accomplissement des volontés romaines, selon la version de Tite Live, met en avant la communauté religieuse qui unifiait les deux cités130. Il s’agit non seulement d’une proximité géographique mais aussi d’une proximité rituelle qui a sans doute rendu les Tiburtins sensibles aux arguments des Romains quant à leur nécessité de retrouver rapidement l’entremise des musiciens pour la communication avec les dieux131.
2.2.2.2.2. De tous temps les tibicines ?
68La date à laquelle s’est déroulé cet épisode ne fait pas de doute. Tite Live le situe clairement en 318, soit sous la censure d’Appius Claudius Caecus. Il n’est pour autant pas évident, à partir de ces quatre textes, de déterminer à qui l’on doit la décision ayant provoqué l’exil des tibicines : soit Appius Claudius et son collègue Plautius, soit leurs prédécesseurs de 311, Papirius et Maenius132. Selon R. Palmer, Maenius devait être à l’origine de l’ire des tibicines, Appius Claudius Caecus étant le censeur qui, dans la version d’Ovide, se charge de légitimer le retour des tibicines. Il faudrait donc faire remonter à 318 la décision contrariant les anciens privilèges des tibicines. Ceux-ci auraient attendus 311 pour signifier leur désaccord afin de voir si les magistrats suivants revenaient sur cette décision. Par bien des points cette hypothèse ne paraît pas soutenue par les sources. Il semble donc que l’on puisse s’en dispenser et continuer à penser que la totalité des évènements prirent place en 311133.
69Il est frappant dans ce récit de voir combien les tibicines sont considérés comme un tout. J.-M. Pailler a remarqué que les tibicines s’exilent « en corps constitué », et ceci quelle que soit la version considèrée134. Les textes nous donnent l’impression que tous partent alors qu’il devait en réalité bien rester, dans une ville comme Rome, quelques individus capables de faire sortir des sons de tibiae. Il n’est pas question de remplacer les exilés ou de demander à des amateurs de venir faire les paravents sonores : ceux qui sont partis étaient les seuls aptes ou légitimes à établir la communication entre les dieux et les hommes.
70On peut donc supposer que dès 311 les tibicines étaient engagés dans une forme d’organisation collective, permettant à tous les individus concernés par une même mesure d’agir de concert. Un célèbre texte engage à faire remonter plus encore en amont l’organisation des tibicines. Ces musiciens sont, en effet, les premiers cités dans le passage de Plutarque concernant l’action de Numa pour uniformiser le corps social de la cité.
De toutes ses institutions sociales, la plus admirée est la division du peuple selon les métiers. La ville semblait, je l’ai dit, composée de deux nations, ou plutôt déchirée en deux nations qui ne voulaient en aucune manière s’unifier ni laisser effacer la différence qui les séparait et produisait entre le deux des heurts et des querelles interminables. Or, Numa, considérant que, lorsque des corps sont durs et difficiles, par nature, à mélanger, on les brise et on les divise en morceaux pour les amalgamer et qu’ainsi réduits en petits éléments, ils s’accordent mieux entre eux, résolut de faire de même, de pratiquer de nombreuses coupures dans la masse du peuple et, mettant entre les groupes des différences nouvelles, de faire ainsi disparaître cette première et grande différence, en l’éparpillant entre les plus petites. Il répartit donc le peuple dans les divers métiers d’aulètes, orfèvres, charpentiers, teinturiers, cordonniers, corroyeurs, forgerons et potiers. Quant aux autres métiers, il les réunit tous en un seul bloc et forma de tous une corporation unique135.
71Il n’est évidemment pas question de prendre au pied de la lettre le texte de Plutarque136. Cependant, il renvoie à l’idée que les tibicines étaient si anciennement associés à la vie de la cité qu’une attention particulière de la part de Numa paraissait crédible à ses lecteurs. Pour quelle raison les tibicines auraient-ils pu être ainsi constitués par Numa en un corps à part ? Quels services pouvaient-ils rendre que le plus religieux des rois de Rome aurait souhaité distinguer ? La terreur religieuse qui saisit les prêtres lors de l’exil à Tibur des musiciens sert de réponse : c’est par leur action auprès des autels que les tibicines méritaient, selon le récit étiologique de Plutarque, de se constituer parmi les premiers corps de métier.
72Le tibicen s’impose donc dans les sources comme une figure non seulement indispensable, mais ancestrale de la pratique religieuse romaine. Il était en ceci l’héritier du joueur d’aulos étrusque137.
73Par delà les divergences dans les récits et les interprétations que l’on peut en donner, la seule conclusion à laquelle cet épisode conduit concerne l’importance des tibicines pour l’efficacité rituelle. Que l’épisode se situe dans le calendrier solaire à quelques jours du solstice d’été, soulignant l’importance de la présence des tibicines à un moment fort de l’année astrologique, particulièrement crucial dans les sociétés archaïques indo-européennes ne fait qu’amplifier ce résultat138. Que l’exil des tibicines ait été l’occasion de s’en rendre compte, comme le pense J.-M. Pailler, selon qui toute la narration est à lire sous l’angle de la felix culpa qui permet à une cité déchirée de se retrouver unie après avoir gagné une conscience collective supplémentaire (la nécessité des tibicines), n’importe finalement que peu.
74Sans les tibicines, c’est la totalité du corps social qui se trouvait bloquée puisque toute relation entre les citoyens et les dieux était invalidée par l’incapacité rituelle. Ces musiciens étaient donc détenteurs d’une forme de pouvoir sacré qui rehaussait singulièrement leur valeur sociale. Les tibicines jouant près des autels n’étaient pas de simples musiciens. Ils étaient aussi des desservants religieux précieux et nécessaires139.
2.3. D’autres musiciens ?
2.3.1. Des tubicines près des autels ?
2.3.1.1. L’absence dans les sources
75Du fait que la musique serve à écarter les bruits nuisibles, on pourrait attendre de tous les instruments qu’ils soient présents autour des autels. Les grands aérophones (tuba, cornu) seraient particulièrement attendus en raison de leur puissance acoustique.
76Les aenatores en tant que groupe, sont évoqués dans le commentarium des jeux séculaires célébrés par Auguste en 17 avant notre ère. Pourtant il n’est pas alors question des célébrations à proprement parler mais de l’appel à celles-ci : les aenatores doivent convoquer tous les citoyens aux célébrations trois jours avant les calendes de juin140. Les aenatores ne participent donc pas aux sacrifices mais à la seule préparation de ceux-ci.
77Des cornicines et des bucinatores il n’est jamais question, ni dans les sources, ni dans la littérature contemporaine141. Les tubicines connaissent un sort différent et sont plus volontiers abordés dans le contexte de la musique rituelle142. Leur rôle civil et religieux est mentionné par Calpurnius dans sa première églogue : Numa, le plus religieux des rois, aurait ordonné que « dans le silence des armes, les tubae résonnassent au milieu des cérémonies sacrées et non plus des guerres »143. Il est rejoint par Varron, donnant l’étymologie du mot tuba :
Tubae, trompette, vient de tubus, tube ; c’est le nom que les tubicines des cérémonies religieuses donnent encore aujourd’hui à cet instrument144.
78Enfin, Granius Licianus atteste formellement leur présence près d’un autel. Cet épisode s’inscrit dans sa chronique immédiatement après la mention de la victoire de Marius sur les Cimbres, en 105 avant notre ère :
Et le jour où les jeux sacrés allaient se dérouler, alors que les tubicines jouaient ensemble près de l’autel, des serpents noirs apparurent subitement et se rassemblèrent sans cesse devant l’autel, attaquant de nombreuses personnes de leurs morsures, jusqu’à ce que les tubicines se fussent tus ; et ils ne réapparurent nulle part ailleurs aussi soudainement145.
79Pourtant, de ces trois témoignages, aucun ne semble assez solide pour affirmer un quelconque rôle des tubicines lors des sacrifices. Le dernier passage cité est le plus fragile. En effet, un épisode similaire est narré par Julius Obsequens, lui aussi pour l’année 105, dans la cité de Trebula Mutuesca :
À Trebula Mutuesca, avant le commencement des jeux, pendant que le tibicen jouait, des serpents noirs environnèrent l’autel. Quand il cessa de jouer, ils disparurent. S’étant montrés de nouveau, le lendemain, ils furent tués à coups de pierre par le peuple. Quand on ouvrit les portes du temple, on trouva la statue en bois du dieu Mars la tête en bas. L’armée romaine fut taillée en pièces par les Lusitaniens146.
80La proximité des deux épisodes est frappante : au moment où des musiciens jouent apparaissent des serpents noirs de mauvais augures. À l’évidence, les deux auteurs traitent du même prodige. Tout aussi frappante est cependant la différence entre les deux textes concernant la nature de ces musiciens : tubicines ou tibicines ?
81Outre que le tibicen est l’instrumentiste que l’on attend logiquement à côté d’un autel au moment de la praefatio, la manière dont le texte de Granius Licianus est parvenu jusqu’à nous incite à la plus grande prudence quant à son contenu. Il fut découvert au milieu du XIXe siècle sur un palimpseste de la British Library datant du Ve siècle147. Le document avait aussi servi à la copie d’un traité de grammaire au VIIe siècle, ainsi qu’à la traduction en syriaque des Homélies de Jean Chrysostome, au Xe siècle. Le texte de Granius Licianus ne put être remis en lumière par G. Pertz que grâce à des procédés chimiques qui abîmèrent définitivement la source148. Aussi, faute de pouvoir procéder aujourd’hui à une nouvelle lecture de cet unicum irrémédiablement détruit, il convient de regarder le texte de Granius Licianus avec la plus grande circonspection. Qu’il s’agisse d’une erreur de rédaction de Granius, de copie du moine du Ve siècle ou bien encore de lecture de l’éditeur contemporain, il y a, me semble-t-il, de bonnes chances pour que la version de Julius Obsequens soit plus exacte quant à l’identité du musicien présent auprès de cet autel.
82Le passage de Calpurnius concernant Numa et les tubicines ne nous apprend quant à lui pas autre chose que la participation de ces musiciens aux cérémonies religieuses (sacra). Il s’agit là d’une réalité incontestable, qui sera abondamment illustrée pour les processions, parties intégrante des rites149. Mais il est impossible de tirer plus de ce texte et notamment pas la présence active des tubicines lors des rites sacrificiels.
83Le dernier texte, tiré de Varron, paraît le plus solide. Cependant, une lecture attentive du passage incite à plus de prudence : Tubae ac tubis, quos etiam nunc ita appellant tubicines sacrorum. L’information importante porte sur l’existence de tubicines sacrorum. Toutefois, ce terme de tubicines sacrorum n’est pas anodin et ne doit pas être traduit simplement par « musicien jouant de la tuba dans les cérémonies religieuses ». En effet, l’épigraphie italienne a livré trois occurrences de ces termes, intégrées au sein de cursus de membres de l’ordre équestre150. Or la simple évocation du rang social de ces hommes suffit à les écarter du personnel religieux des sacra quotidiens puisqu’il s’agissait de chevaliers151. Les tubicines sacrorum populi Romani n’étaient pas des musiciens comme les autres ; ils ne jouaient pas lors des sacrifices réguliers de la religion publique152.
84Finalement, un seul document pourrait être en mesure de prouver la participation des tubicines au rite sacrificiel. Il s’agit d’un des bas-reliefs du « monument des Parthes » d’Éphèse, aujourd’hui conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne153. Parmi la grande majorité des scènes de bataille qui composent le monument, il faut en distinguer deux. La première représente la désignation d’Antonin comme successeur d’Hadrien154 ; la seconde conserve une partie de scène de sacrifice. Il est possible que le sacrifice figuré soit la nuncupatio votorum pour le nouveau règne.
85Au premier plan deux desservants, ceints du traditionnel limus, amènent un bœuf sur les lieux du sacrifice155. Derrière l’animal, un tibicen de profil est en train de souffler dans son instrument. Il ne porte pas la barbe, signe de sa jeunesse. Au troisième plan, de profil opposé, un tubicen de grande taille, barbu, est lui aussi en train de souffler dans son instrument qui présente de manière tout à fait inédite une excroissance carrée, immédiatement après l’embouchure. Il porte sur la tête une couronne de laurier.
86Tibicen et tubicen sont donc réunis dans cette scène de sacrifice. Pourtant l’organisation de la scène est assez inhabituelle pour attirer l’attention. L’observation attentive de l’orientation des corps me semble conduire à identifier trois séquences rituelles condensées en ce seul fragment. D’une part les deux victimarii et la bête ; le bœuf est au centre, tête baissée, dépouillé de ses infulae et dorsuale, prêt, donc, à recevoir le coup fatal. Les deux desservants qui l’entourent, leur regard se croisant à son niveau, forment avec lui une séquence. D’autre part, le tibicen, qui ne joue pas près de l’autel, comme dans la quasi-totalité des représentations de ce genre156. Son mouvement est opposé à celui de l’ensemble des participants de la scène. Il ne semble pas vraiment concerné par l’animal en train de baisser la gorge, devant lui. Son regard est au loin, probablement concentré sur le sacrifiant en train de réaliser la libatio157. Enfin le tubicen, seul acteur de cette scène à porter une couronne de laurier, que cet attribut, sa haute taille et sa position de retrait incitent à identifier comme représentant sémantique de la pompa qui a précédé la praefatio. Cette utilisation d’un tubicen comme métonymie de toute la procession ne serait pas un cas unique. On la rencontre notamment sur le panneau du triomphe de Marc Aurèle, situé au musée du Capitole. Là aussi le tubicen, lauré, soufflant dans son instrument, représente la totalité de la pompa, impossible à représenter dans le cadre spatialement limité de ce panneau158. Ainsi les sculpteurs du « monument des Parthes » ont-ils fait le choix de représenter en un espace condensé la pompa, la praefatio et la mise à mort imminente. Contrairement aux apparences, cette scène ne peut donc être utilisée comme argument pour attester la présence des tubicines près des autels lors des sacrifices.
2.3.1.2. A contrario, le tubilustrium ?
87Si rien ne semble rapprocher les tubicines des autels dans les documents évoqués précédemment, il est toutefois permis de douter à la lecture de l’ensemble des témoignages consacrés à la cérémonie religieuse du tubilustrium. Ce terme apparaît à deux reprises dans les Fastes d’Ovide, le 23 mars159 et le 23 mai160. Dans les deux cas, il est question d’une cérémonie consacrée aux tubae, par laquelle ces dernières sont purifiées.
88La nature de ces tubae n’est pas précisée par Ovide, pas plus que par les fasti Maffeiani, qui confirment simplement la date des événements161. Pourtant d’autres sources permettent de préciser cette donnée. Les Fastes de Préneste signalent ainsi à la date du 23 mars :
[Tubil (ustrium)] fêtes de Mars. On appelle ainsi ce jour car les tubae que l’on entend dans les cérémonies religieuses sont purifiées dans l’atrium sutorium162.
89Varron donne les mêmes informations concernant le tubilustrium, qu’il désigne aussi comme étant le quinquatrus, le cinquième jour des Quinquatries en l’honneur de Minerve :
Le jour du tubilustrium porte ce nom, parce que ce jour-là on purifie les tubae des sacrifices dans l’atrium sutorium163.
90Enfin, ces données sont reprises par Festus, qui utilise le terme de tubilustria, au pluriel, rappelant la gémellité de cette cérémonie :
[Les tubilustria] sont ces jours inscrits dans les fastes durant lesquels les instruments appelés tubae sont purifiés dans l’atrium sutorium par le sacrifice d’une agnelle. On dit que ce genre de lustration est originaire d’Arcadie164.
91Trois questionnements découlent de ces citations. Ils concernent l’identification du lieu où se déroulaient ces cérémonies, le sens à leur donner et enfin la nature des instruments concernés.
92L’atrium sutorium dans lequel était censée se dérouler cette cérémonie ne nous est pas connu par l’archéologie. Mommsen a supposé qu’il pouvait s’agir de l’atrium Mineruae prope arcum Seueri ad Comitium car c’est là que se situait la Minerve protectrice des cordonniers165. Par la suite, on a plutôt pensé à un espace qui leur aurait été réservé dans le quartier de l’Argilète, connu pour abriter les activités professionnelles des fabricants de chaussures166. Ce bâtiment aurait été détruit pour la construction du forum transitorium, ce qui expliquerait la disparition de sa mention après le Ier siècle de notre ère167. En réalité, il semble surtout plus que délicat de tenter une quelconque localisation en l’absence de nouveaux éléments168.
93La raison de cette réalisation dans un établissement professionnel – par ailleurs le seul atrium connu dont le nom est en rapport avec une activité professionnelle – ne laisse pas de surprendre. A. Storchi Marino a proposé une hypothèse efficace afin d’expliquer le lien entre les cordonniers et les tubae. Selon elle, ce rapport serait à chercher dans la nature militaire de ces deux éléments : les tubae sont des instruments militaires bien connus et le cuir, rappelle-t-elle, était la base de très nombreuses parties de l’armement de la haute époque169.
94Cette hypothèse prend toute sa force si l’on considère la signification de la cérémonie du tubilustrium. Vouée à Mars, comme le rappellent les Fastes de Préneste, cette cérémonie archaïque est en rapport avec le début de la saison de la guerre dans les temps anciens170. Il s’agissait de purifier les tubae avant que ne commence un nouveau cycle militaire. La répétition de cette cérémonie au mois de mai peut trouver une explication dans le calendrier militaire le plus ancien, basé sur celui de Sparte, où la saison de la guerre commençait aux premières semaines du printemps pour s’arrêter au début des récoltes171.
95La dimension éminemment militaire du tubilustrium doit guider la compréhension des textes mentionnés précédemment. Les sacra dont il est question dans les Fastes de Préneste, ainsi que dans le fragment de Varron, sont peut-être uniquement les rites en rapport avec l’ouverture de la saison de la guerre : sacrifices propitiatoires, nuncupatio votorum, etc. On comprendrait ainsi mieux l’opposition apparente entre ces mentions de la présence des tubae dans les rites et leur absence dans tout autre type de document.
96L’hypothèse est confirmée par l’étude de la cérémonie qui servait de pendant au tubilustrium, l’armilustrium du 19 octobre. Cette cérémonie clôturait le cycle guerrier que le tubilustrium avait inauguré. Elle avait lieu dans un édifice qui lui était réservé et portait son nom. Il était situé sur l’Aventin172. Selon Varron, son nom dérivait peut-être de ludere car « les hommes en armes circulaient, faisant des passes avec des boucliers sacrés »173.
97Or Festus rapporte sans ambiguïté que les tubae étaient jouées durant cette cérémonie :
L’armilustrium était une fête des Romains, qui accomplissaient les rites divins en armes, car on jouait de la tuba pendant qu’on procédait au sacrifice174.
98Les tubae qui étaient jouées lors de l’armilustrium étaient sans doute celles qui avaient été purifiées au mois de mars. Elles accomplissaient le cycle de la guerre. Il me semble ainsi que les allusions à la présence de tubicines dans les rites sacrificiels renvoient uniquement aux tubilustrium et armilustrium, ne permettant en rien d’en déduire une utilisation des tubae près des autels dans les rites non guerriers de la religion publique.
99Finalement, l’étude du cycle tubilustrium/armilustrium n’entre pas en contradiction avec ce que l’on a pu voir précédemment de la place – ou plutôt de l’absence – des tubicines lors du rite sacrificiel. Les quelques citations faisant mention de leur présence lors de ces rites se rapportent tous au tubilustrium ou à l’armilustrium et il est tout à fait vraisemblable d’admettre que lors de ces deux cérémonies les tubae résonnaient au plus près des autels. Pour le reste, rien ne pousse donc à intégrer les tubicines parmi les desservants des sacrifices.
2.3.2. La présence ponctuelle des cordophones
2.3.2.1. La nouvelle amie des temples
100Contrairement aux grands aérophones, les instruments à cordes, lyre et cithare trouvaient une certaine place dans les sacrifices175. Horace mentionne ce qui resta pendant longtemps une nouveauté issue de l’hellénisme, le fait que la lyre résonne désormais dans l’enceinte des temples :
(…) et toi, écaille, savante à résonner sous les sept cordes, toi qui n’avais jadis ni voix ni charme, mais qu’aiment aujourd’hui et la table des riches et les temples (…)176.
101Ce phénomène est corroboré par les sources iconographiques. Ainsi, dès le Ier siècle avant notre ère, le relief de l’autel dit de Domitius Ahenobarbus montre un joueur de lyre (fidicen) associé au tibicen auprès de l’autel177. Les deux musiciens sont représentés à gauche de celui-ci, à côté de Mars. Ils servent de jonction entre la scène de recensement proprement dite et celle du sacrifice : le fidicen, tout en jouant avec l’aide de son plectre, tourne son torse vers le fantassin nouvellement créé par le censeur. C’est vers lui que s’oriente son regard. Au contraire le tibicen, situé immédiatement à côté de son collègue musicien, est pleinement intégré au sacrifice. Sa jambe gauche est en mouvement, aussi pourrait-on penser qu’il appartient, avec son collègue fidicen, à la pompa qui a conduit hommes et animaux auprès de l’autel. Toutefois, le fait que les deux musiciens soient placés du côté gauche de l’autel, avec Mars, tandis que le reste des participants est situé à droite introduit une coupure dans la narration qui doit, à mon sens, faire pencher la balance du côté de la praefatio plutôt que de la pompa. Comme dans les représentations les plus traditionnelles, analysées précédemment, le tibicen participe à la praefatio, tandis que le sacrifiant s’apprête à renverser le contenu de sa patère sur l’autel. Le mouvement de sa jambe peut certainement être interprété comme une volonté de la part du sculpteur de rendre au plus près la réalité d’une pratique musicale qui ne devait pas se contenter d’une immobilité complète. L’effort physique nécessité par la compression de la colonne d’air s’accompagnait certainement de mouvements corporels, ainsi que le font les clarinettistes ou hautboïstes contemporains.
102On retrouve un duo composé d’un tibicen et d’un musicien jouant d’un instrument à cordes, cette fois une cithare, sur l’autel de la villa Borghèse. Ce petit autel rond est daté du milieu du Ier siècle avant notre ère178. Il représente une procession et un sacrifice à une divinité qu’I. Scott Ryberg identifie à Hercule Victor ou Invictus179. La scène se déroule sans discontinuer sur les flancs du monument. La dynamique générale de la scène représentée est la même : au centre est figuré un autel sur lequel le sacrifiant est en train de verser le contenu de sa patère. Il est à droite de l’autel, avec à ses côtés un licteur et les animaux sur le point d’être sacrifiés (bœuf et porc), tenus par les victimarii. Le tibicen est situé à proximité du sacrifiant. Il est en train de jouer et la tension de son corps le fait appartenir de plain-pied au temps du sacrifice en train de se dérouler, à la praefatio. À sa gauche se trouve un cithariste. Contrairement à son collègue il n’est pas tourné vers la scène de sacrifice, mais vers les représentations des divinités à qui s’adresse le rite. Il est d’une taille supérieure à celle du tibicen, ce qu’I. Scott Ryberg interprète de manière technique par une tentative de rendu de la perspective180. Il tient à la main un plectre mais il ne s’en sert pas pour faire résonner les cordes de son instrument. En d’autres termes il ne joue pas, ce en quoi ce document présente une différence notoire par rapport au relief de l’autel dit de Domitius Ahenobarbus et de manière générale par rapport à l’ensemble de la documentation iconographique. Si ce détail conduit à penser qu’il n’est pas pleinement intégré à la scène de praefatio, son instrument semble posé sur le rebord de l’autel, ce qui incite malgré tout à faire de lui une partie prenante de la scène religieuse.
103Ces deux documents figurés sont les premiers, chronologiquement, à témoigner de l’insertion des cordophones dans le rite sacrificiel. Ils sont contemporains d’une inscription de Nemi, dans laquelle des tibicines et des fidicines se sont associés pour réaliser un don à Diane, laissant entendre des liens entre les deux spécialités musicales181. Cette association des tibicines et des fidicines est une manifestation de l’ambiance philhellène de la société romaine à la fin du IIesiècle et au début du Ier siècle a.C., qui perdure dans les décennies suivantes182. Outre la poésie d’Horace, mentionnée précédemment, les sources concernant les jeux séculaires témoignent de la perpétuité de leur utilisation religieuse. L’exceptionnel monnayage de Domitien concernant sa célébration des jeux séculaires en 88 est une source particulièrement riche183. Les fidicines sont représentés aux côtés des tibicines lors de chacune des scènes de sacrifices réalisées durant ces trois journées particulières : le sacrifice aux Moires de la première nuit et à Jupiter Capitolin le premier jour184 ; le sacrifice aux Ilithyes du deuxième jour185 ; l’offrande de gâteaux à Apollon et Diane le troisième jour186 ainsi que le sacrifice d’une truie pleine à Junon le soir de ce troisième et dernier jour187.
104Sur l’ensemble de ces monnaies on trouve le tibicen et le fidicen dans la position caractéristique que l’iconographie rituelle a attribuée aux musiciens : à proximité immédiate de l’autel où se déroule le sacrifice, de préférence derrière lui. La scène d’offrande de gâteaux à Apollon et Diane constitue une exception car l’absence des victimes animales à représenter a laissé au sculpteur une place vide à gauche de l’autel, qu’il a remplie par la figuration des deux musiciens en pied. Cette exception nous permet de constater que, comme dans l’essentiel des représentations iconographiques, les musiciens portent la toga exigua188.
105L’as figurant le sacrifice à Junon comporte lui aussi une exception dans la mesure où il montre les deux musiciens jouant l’un face à l’autre. Il donne à voir l’image d’un véritable duo, impliquant communication entre le tibicen et le fidicen. Néanmoins il s’agit d’une représentation très isolée qui doit à mon sens plus à la liberté de représentation du sculpteur qu’à une réalité musicale.
106On peut se demander si la même hypothèse doit être émise quant à la position respective des deux musiciens sur la première scène de sacrifice mentionnée pour les jeux séculaire. Lors du sacrifice aux Moires, le fidicen est le musicien qui est représenté derrière l’autel, au plus près de celui-ci, dans la position généralement dévolue au tibicen. Faut-il supposer que ce sacrifice impliquait une importance plus grande accordée à l’instrument à cordes ? On peut là encore en douter et imputer la rareté de cette représentation à la liberté du graveur. Si un sacrifice avait attiré la prééminence de la lyre, il se serait sans doute agi de celui adressé à Apollon le troisième jour. Or sur l’as le représentant, on ne peut que constater la pérennité de la représentation traditionnelle : le tibicen est en premier, suivi du fidicen.
107Un as de 204, commémorant la célébration des jeux séculaires par Septime Sévère, atteste la permanence de ce duo lors des sacrifices du début du IIIe siècle189. La position des musiciens diffère légèrement : ils sont rejetés sur les côtés de la scène, le tibicen à gauche et le fidicen à droite. Cet aménagement avec les habitudes de représentation se comprend cependant aisément : c’est Hercule et Liber Pater qui les ont délogés de l’autel190. Pour autant, cette monnaie est une preuve de la pérennité de la présence des fidicines lors des rites sacrificiels, du moins ceux des jeux séculaires.
108Pour les sources épigraphiques, il faut attendre le IIIe siècle pour que soit exprimée la participation des fidicines, à travers une inscription découverte en 1931 sur le forum de César191. Il s’agit d’une dédicace réalisée par un magistrat d’une association, dont le nom complet est alors le collegium fidicinum qui sacris publicis praesto sunt192. Il s’agit de la seule inscription qui contienne de manière certaine une référence au rôle des joueurs de cordophones dans les rites publics193. Une autre inscription, funéraire celle-ci, se contente de signaler l’existence d’un collège de fidicines, sans préciser sa participation aux rites publics194. Elle est datée par la graphie et l’onomastique de la fin du IIe siècle – début du IIIe siècle195. S’agit-il pour autant de deux collèges distincts ? La proximité de la datation et la très grande pauvreté de l’épigraphie collégiale des fidicines incitent à la plus grande prudence. On serait plutôt tenté de penser qu’il s’agissait d’un seul et même collège, l’inscription funéraire ne précisant pas la dimension religieuse du service des fidicines.
109Au IIIe siècle toujours Pomponius Porphyrio, scholiaste d’Horace, commente le texte de la première ode dans les termes suivants :
Personne n’ignore qu’aujourd’hui encore on se sert à Rome des joueurs de lyre (fidicines) aussi bien que des joueurs de tibia (tibicines) pour célébrer des sacrifices196.
110L’interprétation de cette remarque est à double sens. Elle impose par sa tournure la présence des fidicines comme une évidence. Toutefois son existence même dément son objet : si la présence de ces musiciens était aussi évidente, pourquoi commenter le texte d’Horace ?
111La présence des cordophones dans les scènes de sacrifice est à l’image de cette remarque : diffuse et paradoxale. Le fidicen n’est pas un musicien nécessaire au culte comme l’est le joueur de tibia. Jamais l’absence d’un fidicen auprès d’un autel n’a suscité de terreur religieuse. Toutefois, sa présence, pour épisodique qu’elle soit dans nos sources, reste constante.
2.3.2.2. Hypothèses concernant les instruments à cordes
112Les raisons initiales de la présence d’instruments à cordes dans les rites romains ont déjà été évoquées : il s’agit d’un témoignage de l’influence philhellène dans la religion romaine traditionnelle. Cependant peut-on, à partir de la relative rareté des sources abordant cette question, déterminer un schéma d’explication quant à la présence - et l’absence - des fidicines près des autels ?
113La connotation orientale des instruments à cordes a poussé à chercher une explication dans la manière grecque de célébrer les rites, le ritus graecus197. C’est notamment la position de G. Wille, selon qui il faut expliquer la présence du fidicen par l’influence du rite grec198. Les comptes rendus épigraphiques des différents jeux séculaires corroborent cette hypothèse. Les textes de 88 et 204 font effectivement état de célébrations Graeco achiuo ritu ; or ils reprennent à l’évidence le déroulement des jeux augustéens de 17 a.C., qui avaient donc dû eux aussi être célébrés selon le rite grec199.
114Pourtant notre ignorance quant à la réalité véritable de ce que pouvait bien signifier l’exécution d’un rite « à la grecque », ainsi que la lecture décapante de J. Scheid sur ce point, incitent à regarder cette hypothèse avec circonspection200. Selon J. Scheid la célébration d’un sacrifice Graeco ritu est avant tout typiquement romaine. Elle ne doit pas être étendue à toutes les divinités venues de Grèce. Il n’y a pas équivalence entre divinité grecque et rite grec, comme on pourrait le penser en constatant par exemple le rapport entre les divinités célébrées lors des jeux séculaires (les Moires, les Ilithyes, Proserpine et Dis Pater, notamment) et l’exécution de ceux-ci selon le rite grec. Au contraire, une divinité comme Hercule, adorée à Tibur depuis l’époque archaïque, était célébrée Graeco ritu, ce qui n’était pas le cas de Bacchus ou d’Hecate ! La liste des divinités célébrées par le rite grec, outre celles des jeux séculaires, comprenait ainsi uniquement Hercule, Saturne, Apollon et dans une certaine mesure Cérès201. Or nous avons vu que le premier document à témoigner de la présence d’un fidicen, est le bas-relief dit de Domitius Ahenobarbus qui figure le lustrum de clôture du cens, avec un sacrifice réalisé en l’honneur de Mars, soit un dieu n’appartenant pas à la liste des quelques divinités distinguées par le rite grec… C’est pourquoi l’hypothèse du rite grec ne semble pas totalement opératoire pour justifier de la présence ou non d’un fidicen aux côtés du tibicen.
115Une autre hypothèse, défendue par A. Baudot, fait reposer la présence du fidicen sur l’apollinisme, notamment augustéen202. L’Apollon honoré suite à la victoire d’Actium est un Apollon citharède203. Properce et Tibulle ont donné une description suffisamment précise de la statue d’Apollon ornant le temple construit par Auguste sur le Palatin :
Tu me demandes pourquoi j’arrive en retard ? Le grand César a ouvert le portique d’or de Phébus. Il était si grand à voir, alignant les colonnes puniques entre lesquelles se trouvent en foule les filles du vieux Danaos ! Elle m’a paru plus belle assurément que Phébus lui-même, sa statue de marbre ouvrant la bouche pour chanter, avec sa lyre silencieuse (…)204.
Phoebus, montre-toi favorable : dans ton temple entre un nouveau prêtre ; viens donc à nous avec ta cithare et tes vers : maintenant fait vibrer sous tes doigts tes cordes harmonieuses ; maintenant, je t’en conjure, approprie les paroles à l’hymne que je vais chanter205.
116Le même discours se trouve figuré sur un relief actuellement conservé au Staatliche Museum zu Berlin206, où Apollon est accueilli sur le Palatin par une victoire ailée, en procession avec Diane et Latone, à l’image de ce que figurent les reliefs de la Villa Albani. Le relief situé au musée de Budapest appartenant au cycle Medinaceli permet quant à lui de venir aux origines de l’efficacité apollinienne. Il représente Apollon assistant à la bataille d’Actium207. Assis sur un promontoire, le dieu regarde se dérouler la procession, sa cithare à la main : l’Apollon d’Actium augustéen est avant tout le dieu de la victoire militaire.
117Des témoignages divers attestent aujourd’hui encore la grande diffusion de cette imagerie apollinienne, et ce aussi bien au cœur de l’empire que dans les provinces. À Rome le plus bel exemple est sans doute une des plaques en terre cuite qui ornait le temple d’Apollon sur le Palatin : en son centre est figuré un bétile sur lequel ont été accrochés, en signe d’offrande, une cithare et un arc avec un carquois208. Ces deux attributs sont d’évidentes références à Apollon. Le célèbre fragment de peinture de la maison d’Auguste représentant la divinité sur fond bleu, tenant une cithare, est tout aussi significatif209. L’adoption de ce langage iconographique dans les provinces trouve une manifestation dans la céramique sigillée de la Graufesenque : un moule de médaillon d’applique daté des années 40-70 montre une Victoire ailée, associée à un Apollon tenant une cithare dans la main droite, autour d’un autel encore fumant210. Tacite en est lui aussi le témoin :
Quant aux chants, ils étaient consacrés à Apollon, et c’est sous les traits d’un musicien que se dressait, non seulement dans les villes grecques, mais encore dans les temples romains, cette divinité souveraine, maîtresse de la divination211.
118L’hypothèse de l’ambiance apollinienne du règne d’Auguste n’est certes pas utile pour expliquer la présence des fidicines à côté des tibicines, au cours du dernier siècle de la République. Elle est toutefois particulièrement convaincante pour la période impériale. Les jeux séculaires de Domitien et de Septime Sévère, qui perpétuent sans grande modification la tradition initiée par Auguste, reproduisent ainsi le discours du princeps de la fin du Ier siècle a.C., imprégné de l’Apollon citharède. Ces jeux ont servi de mode d’expression privilégié sur la réalité des temps nouveaux, y compris religieuse212. Si les joueurs d’instruments à cordes sont aussi systématiquement représentés, notamment dans les émissions monétaires, c’est peut-être que leur présence était alors particulièrement marquante, car inhabituelle. D’où le fait que sur les as de Domitien représentant le sacrifice à Jupiter et à Junon, le fidicen soit placé en position centrale, à la place du tibicen213. Cette position illustre peut-être non pas une réalité cultuelle mais l’impression sur les contemporains : la présence d’un fidicen près de l’autel sacrificiel était une des caractéristiques marquantes des rites réalisés au cours des jeux séculaires.
119On pourrait ainsi émettre l’hypothèse que sous le Haut-Empire les fidicines en tant que tel jouaient auprès des autels essentiellement lors des jeux séculaires, car ceux-ci reprenaient le discours fixé sous Auguste faisant la part belle à l’instrument de l’Apollon d’Actium. L’inscription découverte sur le forum de César mentionnant l’existence d’un collège de fidicines dont les membres seraient préposés aux cultes publics, ainsi que la remarque de Pomponius Porphyrio, datant toutes deux du début du IIIe siècle, sont peut-être à comprendre comme des résonances des jeux séculaires de 204. La réapparition des fidicines lors des sacrifices aurait alors suscité une réaction épigraphique et littéraire.
2.3.3. Qui sont les symphoniaci ?
120Enfin, une dernière catégorie de musiciens doit être envisagée en rapport avec les sacrifices publics. Il s’agit des symphoniaci, qui se disent préposés au culte public dans la seule inscription mentionnant l’existence d’une loi Iulia sur les associations, datant de 7 a.C. : symphoniac (i) qui sacris publicis praestu (sic) sunt »214. Si cette inscription a été très souvent étudiée, son intérêt majeur pour l’histoire des associations a masqué la question de ses destinataires215. Ainsi il n’est pas aisé de savoir qui sont les symphoniaci dans la littérature secondaire.
121Dans un article consacré aux termes désignant les spécialités musicales, A. Bélis donne du mot symphoniacus une définition large : il s’agit d’un professionnel appartenant à une compagnie, au sein de laquelle il exécute une musique d’ensemble216. Le terme peut donc servir à désigner plusieurs types de musiciens : tibicen, chanteur ou cithariste. Pour autant cette définition très inspirée des métiers de la scène ne semble pas totalement adaptée à l’inscription des symphoniaci préposés à la célébration des rites publics.
122Le fait que les symphoniaci soient associés à l’expression qui sacris publicis praesto sunt, comme les tibicines, a poussé nombre d’historiens à confondre, volontairement ou non, ces deux sortes de musiciens217. Selon A. Baudot il y aurait là une évolution chronologique dans la manière de désigner le collège des joueurs de tibia : il se serait transformé, sans plus d’explication, en collegium symphoniacorum218. Plus encore qu’insatisfaisante, cette affirmation est erronée219. L’analyse de la chronologie des inscriptions faisant état du collège des tibicines encadre sans aucun doute possible la date de 7 a.C. à laquelle se rapporte l’inscription des symphoniaci220. L’association nous est connue par des inscriptions datant du Ier siècle a.C.221. Mais son existence est tout aussi bien attestée pour une période postérieure : le règne de Tibère222 ou encore le règne conjoint de plusieurs Augusti, soit un terminus post quem en 161, avec les règnes de Marc Aurèle et de Lucius Verus223. S’il est toujours possible, par gymnastique intellectuelle, de supposer que le collège des tibicines soit devenu celui des symphoniaci avant de redevenir tibicines, on peut bien plus facilement se dispenser de ces contorsions.
123La mise en place d’une nouvelle réalité musicale rituelle, associant un tibicen et un fidicen suffit à définir l’identité des symphoniaci. La création d’un nouveau terme constituait la concrétisation de la présence des fidicines à côté des tibicines pour la réalisation des rites de la religion publique. Il est à noter que la période supposée de réalisation de cette inscription n’est guère éloignée du temps fort dans le discours impérial qu’ont constitué les jeux séculaires, dont on a dit qu’ils avaient certainement diffusé officiellement la présence duettiste des tibicines et des fidicines lors des célébrations rituelles. L’instrument de l’Apollon d’Actium se voyait ainsi octroyé un rôle officiel dans les cérémonies de la religion publique.
124On pourrait objecter à cette hypothèse la faible diffusion du terme symphoniacus dans l’épigraphie. En effet seules neuf inscriptions utilisent ce mot, ce qui semble disproportionné par rapport au nombre de musiciens appelés à intervenir dans les sacra publica224. En outre, une seule de ces inscriptions, relative à un symphoniacus sacrorum nîmois établi un lien clair avec la religion publique225. Pire encore, comment expliquer qu’en 102 une inscription conservée aujourd’hui aux musées capitolins fasse mention d’un collegium tibicinum et fidicinum Romanorum qui sacris publicis praesto sunt, soit l’exacte réalité de ce qu’auraient été les symphoniaci autorisés par la lex Iulia un peu plus d’un siècle auparavant226 ?
125Notre hypothèse concernant l’interprétation du terme symphonicacus est à placer dans le contexte de ce que A. Bélis a décrit comme un fait de langue, à savoir la multiplication des nouveaux termes servant à désigner des spécialités musicales, aux premiers temps du principat227. De cette véritable explosion lexicale, ressort une grande richesse de vocabulaire pour désigner les musiciens. Si le théâtre en bénéficie principalement, avec par exemple la distinction des différents grades de la hiérarchie des tibicines, protaules, hypaules, calamaules, choraules, etc., le terme de symphoniacus montre que les sacra aussi étaient concernés. Toutefois, le pendant de cette spécialisation des termes est leur rareté. Ainsi le calamaules, joueur de tibia monocalame, ne nous est connu que par une seule inscription228. Ces termes n’ont pas tous emporté l’adhésion et certains semblent être tombés rapidement en désuétude. Il faut sans doute compter au nombre de ceux-ci le mot « symphoniacus » : toutes les inscriptions l’utilisant sont concentrées au Ier s. p. C. et début du IIe s. D’où le retour, dès 102, à une tournure plus explicite, décrivant efficacement la réalité musicale : les musiciens concernés redeviennent membres du collegium tibicinum et fidicinum Romanorum qui sacris publicis praesto sunt.
3. Accompagner les vivants et les morts
126Ni l’appel aux comices et ni les sacrifices n’épuisent la richesse du rôle des musiciens dans les rituels civiques. D’autres temps de la vie publique concouraient, avec la participation des musiciens, à donner aux citoyens une expérience commune, fondement d’un sentiment d’identité.
3.1. Le triomphe
3.1.1. Le triomphe des musiciens
127Temps d’autoreprésentation de la cité, le triomphe était par excellence un moment très fort de la vie collective229. La postérité de cette cérémonie atteste son efficacité et son importance symbolique230. Il était à la fois une célébration de la victoire et une purification de la cité en armes231. La totalité de la cité était conviée à participer à la glorification de sa propre grandeur : acteurs et spectateurs ne formaient qu’une seule et même communauté triomphante232. On trouvait les musiciens en deux parties de la pompa triumphalis.
3.1.1.1. Des trompes avant tout
128La position la plus fréquemment mentionnée dans les sources est celle occupée par les joueurs de trompe. Ils ouvrent le cortège du premier jour de triomphe de Paul Émile en 167, précédant les innombrables chariots remplis d’armes prises sur l’ennemi233. On les rencontre aussi à l’aube du troisième jour, ouvrant cette fois la marche aux richesses offertes au regard du peuple romain234. Les σαλπιγκταἰ puisque tel est le terme employé par Plutarque et Diodore de Sicile, prennent la tête de chacune des processions, conçues comme des entités indépendantes. Appien les place dans la même position lorsqu’il décrit la manière dont les Romains célèbrent la victoire, à partir de l’exemple du triomphe de Scipion en 201 a.C. : tous les participants portent des couronnes et les joueurs de trompe ouvrent la voie aux chariots couverts des richesses prises sur l’ennemi235. La participation de ces instrumentistes à la procession triomphale est tellement régulière qu’elle concourt à sa définition. Lorsque Plutarque souhaite distinguer l’ovation du triomphe, il donne ainsi trois critères principaux qui permettent de décrire en creux la pompa triumphalis : lors de l’ovation le général n’est pas monté sur un quadrige, il ne porte pas de couronne de laurier et il n’est pas accompagné de joueurs de trompe236.
129Ces documents étant rédigés en grec, ils ne nous permettent pas, en toute rigueur, de déterminer la nature exacte des trompes participant au cortège triomphal237. Ils doivent être complétés par des sources iconographiques, particulièrement les bas-reliefs historiques, qui donnent une figuration précise de ces instruments238. La frise du temple d’Apollon Sosianus, sur le champ de Mars, représente le triomphe de C. Sosius, célébré en 34 a.C., après sa conquête de Jérusalem239. Elle fut gravée au moment de la restauration du temple aux alentours de l’année 20 avant notre ère. Un tubicen est représenté en pleine action. Il tient son instrument à l’aide de ses deux mains, la gauche tendue vers le pavillon tandis que la droite le soutient au niveau de l’embouchure. Ses joues sont gonflées par l’effort qu’il produit pour tirer un son puissant de sa tuba. Il est tourné vers le brancard portant les victimes enchaînées et leurs armes. Le ferculum est posé à terre et la scène est relativement statique : les porteurs semblent s’apprêter à le soulever et mettre en branle la procession. On suppose donc que le musicien, le seul à remplir pleinement son rôle, transmet le signal du début du défilé.
130Un fragment du grand relief Medinaceli, le sixième selon la classification de Th. Schäfer, le plus incomplet de tous, représente un tubicen dans la même position et le même effort que celui de la frise du temple d’Apollon Sosianus240. Le sens de déroulement de la procession permet d’affirmer que cette pièce du monument est relative à la pompa triumphalis. Le musicien, portant une toge, probablement courte comme les autres tubicines représentés dans le même ensemble, ouvrait la procession dont est aussi conservé le char du triomphateur (fragment 5).
131On retrouve de même deux tubicines en train de jouer sur un relief aujourd’hui conservé en Angleterre, au Hever Castle. Les musiciens sont au second plan, la tête orientée vers la droite. L’embouchure de leur trompe est portée à leurs lèvres, suggérant qu’ils sont en plein jeu même si leurs joues ne les trahissent pas aussi nettement que sur les reliefs Medinaceli et du temple d’Apollon Sosianus241. Au premier plan deux togati se détachent, statiques. L’homme de gauche tient une lance. Celui de droite a sur ses flancs les restes de faisceaux qui font de lui un licteur. L’interprétation de cette scène ne va pas de soi, tant en raison de son état fragmentaire que des restaurations postérieures – ainsi des têtes, de la partie inférieure des corps et des bras de ces deux personnages. Elle a toutefois été identifiée de manière convaincante par G. M. Koeppel : il s’agirait d’un élément de l’arc de Claude élevé sur la uia Lata en 51, suite à son second triomphe britannique242. Découverte à Rome Piazza Sciarra à la fin du XVIe siècle avec d’autres fragments de l’arc de Claude, cette pièce a transité dans le marché de l’art avant d’être acquise au début du XXe siècle par la collection du Hever Castle. L’identification de ce fragment avec une procession repose sur le mouvement qui anime la scène, de gauche à droite, soit dans le sens donné par les tubicines. L’idée selon laquelle cette procession serait une pompa triumphalis est soutenue par la nature du monument – arc triomphal – mais aussi par le fait que chacun des quatre participants porte une couronne de laurier, comme c’est le cas sur les reliefs Medinaceli et du temple d’Apollon Sosianus. Il est toutefois difficile d’identifier le positionnement des musiciens dans l’ordre de la procession étant donné que la scène figurant cette dernière est très largement incomplète.
132Les tubicines participant à la définition iconographique de la procession triomphale, il arrive qu’ils l’incarnent par métonymie. C’est cette utilisation de la figure du musicien que l’on peut observer sur l’un des reliefs ayant appartenu à l’arc de Marc Aurèle, actuellement conservé aux musées capitolins243. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une scène de triomphe : l’empereur conduit un magnifique quadrige ; une Victoire l’accompagne en arrière-plan ; il s’apprête à franchir une porte que l’on peut identifier comme étant la porta triumphalis. Pourtant il manque à cette scène de triomphe un élément principal : la pompa en elle-même ! Les contraintes physiques du cadre de représentation ont conduit à une condensation, une épuration dans le choix des personnages représentés244. Il ne s’agit pas, en effet, d’une frise dont la structure horizontale était la plus apte à la représentation d’évènements linéaires comme une procession, mais d’un panneau. Aussi, outre l’empereur sur son char et la Victoire, seuls deux autres personnages sont représentés en lieu et place de la pompa. Entre le char et les chevaux se détache le buste d’un homme, ceint d’une couronne de laurier. Il porte une cape ou un manteau, attaché au milieu de sa poitrine. Son visage, en admiration, est tourné vers l’empereur, à contre-courant du mouvement de la procession. Faute d’autre attribut, l’identification de cet homme n’est pas certaine245. On peut toutefois supposer qu’il est un des soldats victorieux, représentant le reste de l’armée. En avant du char, s’apprêtant à franchir la porta triumphalis, un tubicen est représenté, joues gonflées, en train de jouer de son instrument tendu dans le ciel. Il est le seul véritable représentant de la procession. Il incarne à lui tout seul le reste des participants de la pompa246. Le type de support choisi pour la représentation de la pompa, un panneau, a donc conduit les sculpteurs à faire le choix de l’épure symbolique plutôt que celui du réalisme exubérant. L’évidence sémantique de la présence de ce musicien permettait d’en faire une représentation symbolique de la totalité de la procession247.
133Il faut rajouter à ces documents bien connus un fragment de relief daté de la fin de la période antonine, visible aujourd’hui dans le petit cloître du Musée National Romain248. Il s’agit d’une frise en marbre, dont l’essentiel de la partie conservée est consacrée au brancard portant le trophée et les armes prises sur l’ennemi. Il est porté par quatre hommes laurés, dont deux sont intacts. À droite du trophée, deux hommes en toge sont représentés sous une porte. L’orientation du bras droit du personnage le plus au fond laisse à penser qu’il était en extension. On retrouve ainsi l’esquisse du même mouvement que celui que l’on prête aux tubicines lorsqu’ils sont en train de jouer et tiennent leur instrument à deux mains. La pierre est brisée immédiatement à droite de ces deux hommes. Cependant le fait qu’il n’y ait aucun doute quant à la nature triomphale de la procession, ce mouvement caractéristique des joueurs de tuba, la position de ces hommes en situation de traverser la porta triumphalis me laissent à penser que l’on peut verser ce monument au dossier iconographique des musiciens de la pompa triomphale.
134L’arc de Titus, érigé à l’entrée du forum vetus pour commémorer la victoire de Vespasien et Titus sur la rebellion en Judée, correspond pour notre réflexion à un cas particulier. Le monument est célèbre et donne à voir une des plus belles scènes de triomphe de l’art romain249. Pourtant, point de trompette dans cette représentation de la pompa triumphalis, ce qui ne manque pas de susciter l’étonnement. En réalité, cette affirmation n’est pas exacte : dans le défilé présentant aux yeux du peuple romain les richesses prises sur l’ennemi, deux tubae ressortent, croisées à la moitié de leur longueur (fig. 2).
135Leur insertion graphique au cœur de la séquence de la procession réservée aux biens pris sur l’ennemi garantit leur identification : il s’agit des trompettes du temple de Jérusalem, conquis et détruit durant le siège de la ville. Les tituli portés devant chacun des fercula explicitaient la nature du butin : trompettes rituelles, menorah (chandelier à sept branches), etc.250. Ces trompettes, mentionnées à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, faisaient partie de l’appareil liturgique du temple251. La représentation qui en est donnée sur l’arc de Titus pose question tant elle ressemble en tout point à celle des tubae romaines : les sculpteurs de l’arc auraient-ils, par méconnaissance ou habitude, transposé la réalité organologique romaine sur les instruments juifs ? Les sources concernant ces instruments, à ne pas confondre avec le shofar, confirment qu’il s’agissait d’une trompe droite252. Flavius Josèphe donne la description d’un tube étroit, un peu plus épais qu’un aulos, avec un pavillon évasé en forme de cloche, comme l’avaient les salpynkes253. Quelques décennies après le triomphe flavien, des trompettes apparaissent sur le monnayage juif frappé lors de la révolte de Bar Koshba (132-135 p.C.). Les thèmes numismatiques se rapportent très explicitement à l’iconographie de la tradition juive. Des trompettes se trouvent parmi les objets fréquemment représentés, rappel des textes anciens mais aussi, évidemment, de la destruction du temple par l’occupant romain. Il s’agit là aussi de trompes droites, s’évasant progressivement jusqu’à un pavillon similaire aux tubae romaines254. Ces documents permettent de constater une embouchure avec une cuvette d’assez grande taille, semblable à ce que l’on peut observer sur la tuba de la frise du temple d’Apollon Sosianus ou à celle retrouvée sur le site des Tournelles (Oise)255. Il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit quant à la longueur de ces instruments à partir d’un support comme les monnaies, nécessairement limité en espace. En revanche Flavius Josèphe mentionne une longueur d’une coudée, soit significativement inférieure aux trompettes romaines.
136Qu’en conclure pour les trompettes de l’arc de Titus ? N’était-ce la question de la taille, que les sculpteurs ont pu vouloir augmenter dans un simple but visuel, tout pousse à croire que les trompettes du temple de Jérusalem et les trompettes de l’armée romaine présentaient un aspect matériel similaire. Cette proximité d’apparence est peut-être une des clés permettant de comprendre l’absence des traditionnels tubicines de la pompa triomphale : normalement symboles de la victoire romaine, la tuba se trouvait devoir représenter les vaincus lors du triomphe flavien contre la Judée. Mieux valait-il donc exceptionnellement ne pas faire figurer les musiciens romains afin que les vainqueurs et les vaincus ne partagent pas des symboles iconographiques.
137Si l’ensemble des monuments présentés jusqu’alors ne comportait en guise de trompe que des tubicines, la petite frise de l’arc de Trajan à Bénévent intègre dans le corps de la procession un autre type de trompe : le cornu256. Sur ce monument les musiciens n’ouvrent pas la marche : ils sont précédés par deux togati que l’on identifie généralement comme des licteurs257. Viennent ensuite deux autres desservants portant un panier d’osier au contenu indéterminé. Ils sont suivis par un tubicen et un cornicen. La tête du premier est trop abîmée pour que l’on puisse savoir s’il était en train de jouer. Toutefois la position de ses bras, tendus pour porter l’instrument selon le code iconographique souligné précédemment, le laisse penser. Le cornicen est lui aussi en train de jouer : ses joues sont gonflées.
138De plus, il est possible qu’il faille encore élargir le groupe des trompes triomphales. Un manuscrit de Cobourg a livré un dessin qui aurait été réalisé dans les années 1550-1554 d’après un monument situé sur les pentes du Capitole258. On y voit une porte dont la partie supérieure était ornée de reliefs figurant des casques, des boucliers et des cratères259. La partie inférieure du manuscrit est endommagée. Avant qu’il ne devienne illisible, on peut deviner le pavillon de deux instruments à vent : le pavillon droit et conique d’une tuba ainsi que le pavillon plus évasé et recourbé à 90 degrés d’un lituus. Selon M. Pfanner, la présence de ces grands aérophones sous une porte ornée de motifs militaires est un argument suffisant pour voir en elle une représentation de la porta triumphalis. Le rapprochement n’est pas sans faire sens et le motif de trompes traversant la porta triumphalis au moment de la procession présente de nombreux parallèles, ainsi que nous l’avons montré. Concernant notre propos, la nature des instruments, il convient de souligner que nous avons là la seule attestation du lituus dans une procession triomphale. Le fait que cette attestation soit indirecte rajoute un filtre de suspicion et doit conduire à la plus grande prudence quant à son utilisation, même si elle n’est pas impossible, particulièrement dans un contexte augustéen (cf. infra).
139L’importance des tubicines est donc le fait qui ressort avec grande clarté de l’étude de ces sources. Ils sont de loin les instrumentistes les plus fréquemment attestés. La position occupée par les joueurs de trompe dans les processions, en tête du cortège, est affirmée par les sources littéraires et confirmée en partie par l’iconographie260.
3.1.1.2. Plus rarement, tibia et instruments à cordes
140D’autres musiciens apparaissent de manière beaucoup moins fréquente : il s’agit des joueurs de tibia et des joueurs d’instruments à cordes. Le seul triomphe pour lequel ils sont mentionnés ensemble est celui de Scipion l’Africain en 201 :
La personne du général est précédée de licteurs revêtus d’une tunique de pourpre, ainsi que d’un chœur de citharistes et de joueurs de tibiae, à l’imitation des cortèges étrusques ; ils portent une ceinture et sont coiffés d’une couronne d’or ; ils marchent d’un pas égal, en bon ordre, avec accompagnements de chants et de danses261.
141L’enjeu de ce passage dépasse la simple description de la procession triomphale puisqu’il traite aussi de la généalogie du rite262. L’association des joueurs de tibia et d’instruments à cordes est une constante étrusque, voire une particularité dans le cas des scènes de banquets263. Leur présence dans les processions de magistrats triomphants est bien attestée264.
142Selon C. Vendries, la rareté des attestations mentionnant les instruments à cordes dans les cérémonies processionnaires, particulièrement triomphales, est due à l’évolution des pratiques musicales : à l’influence étrusque dans la pompa a succédé la tendance romaine privilégiant les instruments à vent265. Une exception pourrait être faite pour le cortège triomphal bien particulier organisé pour l’entrée de Néron dans Rome en 68. Les seuls ennemis vaincus par l’empereur étaient les participants aux jeux qu’il avait remportés lors de sa tournée triomphale en Grèce. Pourtant son entrée emprunte tous les atours de la procession triomphale.
Ensuite venait le triomphateur lui-même, sur le même char triomphal qui avait autrefois servi à Auguste pour célébrer ses nombreuses victoires, vêtu d’un manteau de pourpre lamé d’or, couronné d’olivier et tenant à la main le laurier pythique ; il avait à côté de lui sur son char Diodore, le joueur de cithare (κιθαρωδὸς·)266.
143La situation occupée par le musicien auprès de Néron est hautement inhabituelle, à l’image de l’ensemble de cette procession267. Il remplace l’esclave chargé de rappeler au général triomphant qu’il reste un mortel, memento mori inutile dans le cadre de l’exaltation néronienne et d’un triomphe qui n’en était pas vraiment un268.
144Outre les trompes et les cordophones, les sources mentionnent également les tibiae. Mais elles sont aussi présentes dans la cérémonie triomphale elle-même, si l’on suit Censorin269. Ceci est confirmé par un fragment du relief Medinaceli représentant le triomphe d’Octavien après la bataille d’Actium : deux tibicines laurés portant la toge courte accompagnent dans la pompa de jeunes garçons armés270.
145Elles remplacent les trompes dans la cérémonie de l’ovation, selon la description que livre Plutarque :
Pour l’ovation, le triomphateur n’est pas monté sur un quadrige, ne porte pas de couronnes de laurier et n’est pas accompagné de trompes, mais il marche à pied, en sandales, au son d’auloi nombreux, ceint d’une couronne de myrte. Rien n’évoque la guerre, et c’est un spectacle plus agréable qu’imposant271.
146La position des tibicines et des joueurs d’instruments à cordes dans la procession est encore plus difficile à déterminer que celle des joueurs de trompe, en raison même de la moindre importance des sources. Si l’on suit Appien, ils auraient immédiatement précédé le char du général. Ce fait n’est corroboré ni infirmé par aucune autre source, ce qui rend donc la discussion impossible.
3.1.2. Les musiciens du triomphe
147Le triomphe est une cérémonie de nature ambiguë. Militaire par essence, elle marque néanmoins la fin d’un cycle guerrier, le retour à la vie civile des soldats, la purification de la cité des actes sanglants qu’elle a dû commettre. Son déroulement est urbain, ses acteurs et ses spectateurs sont des citoyens : le triomphe est donc aussi un grand temps de la vie civique272.
148Cette ambiguïté entraîne une série de questions : qui trouvait-on derrière les instruments ? Qui étaient les musiciens participant à la pompe triomphale ? S’agit-il de soldats de l’armée en fête qui participaient à l’expression de leur propre triomphe, ou s’agit-il de musiciens servant la cité célébrant sa propre victoire ?
149Les sources textuelles que nous avons passées en revue ne sont d’aucune aide sur la question. Aussi doit-on s’en remettre à l’interprétation de l’iconographie. L’étude des tenues portées par les musiciens sur les reliefs historiques a été en partie menée par F. Fless273. Même en la complétant par des éléments iconographiques que cet auteur n’avait pas pris en compte, l’enquête n’aboutit pas à une conclusion définitive. Certains reliefs montrent des musiciens qui portent très clairement un habit militaire. La tunique et le manteau agrafé sur l’épaule recouvrent les musiciens de la frise du temple d’Apollon Sosianus, du fragment conservé au Hever Castle relatif à l’arc de Claude et celui du petit cloître du musée national romain274. Sur le panneau du triomphe de Marc Aurèle, on voit trop peu du corps du musicien pour déterminer quoi que ce soit de son vêtement. Enfin, les musiciens portent une toge sur le fragment de relief Medinaceli, ainsi que sur la procession figurée sur la petite frise de l’arc de Trajan à Bénévent. Ils sont en ceci en tous points similaires aux tubicines de la procession des uicomagistri, qui n’a pour sa part aucune connotation militaire275. Ainsi, il semble que l’on doive se ranger à l’avis de F. Fless selon qui il est impossible de savoir, du moins par l’analyse des vêtements qu’ils portaient, si les musiciens de la pompa triumphalis étaient des civils ou des militaires276.
150Toutefois, la réponse à cette question est peut-être à chercher ailleurs que dans les documents, par une réflexion sur la nature de l’événement. Une des fonctions du triomphe est de purifier l’armée277. Aurait-on laissé jouer dans Rome des instruments qui avaient participé à la campagne militaire que l’on célébrait et qui donc étaient encore souillés du sang des victimes ? On peut supposer que non et que les musiciens alors employés n’étaient pas ceux de l’armée mais des musiciens civils, habituellement préposés aux tâches civiques.
3.2. Les jeux
151Il ne s’agit pas, dans cette section, de reprendre l’historiographie des jeux, ample et abondante. Les célébrations ludiques, toujours plus nombreuses au fil des siècles, appartiennent à ces rituels civiques qui donnent aux membres de la communauté un sentiment d’appartenance collective278. Ils ont bien sûr été pris en compte par C. Bruun dans son article sur les rituels civiques d’Ostie. Le fait que les habitants de la colonie se rendent fréquemment à Rome pour assister aux jeux du cirque et aux combats de gladiateurs est, selon l’auteur, un des éléments les plus importants pour expliquer la faiblesse de l’identité ostienne279.
152Que des musiciens participent aux représentations théâtrales données dans le cadre des jeux est une évidence sur laquelle nous ne reviendrons pas car de nombreuses études ont déjà été consacrées à la question : le théâtre romain est un art dans lequel la musique tient une place au moins aussi importante que le texte280. La structure des pièces reflète ce rôle de la musique, alternant diuerbia et cantica, donnant aux musiciens la fonction d’accompagner l’acteur dans son art281.
153Pourtant on ne saurait considérer que les jeux commencent au moment où les acteurs montent sur scène, ni que les représentations théâtrales correspondaient à la totalité des activités ludiques. Ces représentations, mais aussi les combats de gladiateurs et les jeux du cirque, n’étaient que l’acte final d’un processus s’inscrivant dans la construction d’une communication réglée entre les citoyens et les divinités282. Qu’ils se déroulent au théâtre, dans l’amphithéâtre ou au cirque, les jeux étaient avant tout un rituel religieux et public, répondant en tant que tel à un ordonnancement présenté comme immuable. Les étapes doivent être franchies dans l’ordre afin de garantir la nécessaire efficacité de la pax deorum, ordre qui sera ici reproduit.
3.2.1. La pompa des jeux
154La description la plus développée du cortège processionnaire conduisant les participants des jeux au lieu de leurs exploits est celle donnée par Denys d’Halicarnasse283. L’auteur est alors censé décrire la pompa circensis des ludi uotiui promis par le dictateur Aulus Postumius après la bataille du lac Régille en 499284. Le texte de Fabius Pictor qui servit de support à Denys d’Halicarnasse a toutefois été utilisé par l’auteur grec pour constituer une sorte de procession type285. Denys a ainsi inséré dans le texte des éléments relatifs à sa propre connaissance des processions ludiques. L’ordre processionnaire qu’il livre est éminemment structuré. En tête venaient les jeunes de la cité, défilant selon leur condition sociale et leur insertion dans le cadre civique (classes et centuries). Ils étaient suivis par les cochers conduisant leurs biges et quadriges, puis par les athlètes.
Après les athlètes venait la troupe des danseurs que l’on divisait en trois groupes : les hommes faits, les jeunes gens et les enfants. Ils étaient accompagnés d’aulètes jouant sur des auloi d’une forme ancienne et petite, semblable à celle dont nous nous servons aujourd’hui, de joueurs de lyres, pratiquant sur des instruments à sept cordes avec un plectre d’ivoire, et sur des instruments appelés barbita, du luth et des autres instruments à cordes dont l’usage est aboli parmi nos Grecs, bien qu’il eût pris naissance chez nous. Les Romains les ont retenus dans toutes les cérémonies sacrées286.
155Une nouvelle troupe de danseurs et de mimes s’avançait ensuite, formant un chœur de satyres grossiers.
À la suite de ces chœurs de Satyres venaient ceux des joueurs d’instruments à cordes, ceux des aulètes, puis les porteurs de cassolettes et de vases d’argent et d’or à l’usage des sacrifices et des fêtes qu’on célébrait au nom du peuple287 .
156La position de ces instrumentistes, immédiatement à proximité des porteurs de la vaisselle sacrificielle, les insère très nettement parmi les desservants du culte public. Par leur prestation musicale au cours de la procession, ils participent à l’accomplissement du rite. Aussi leur jeu se doit-il d’être parfait, dans sa fidélité aux prescriptions rituelles, comme l’exprime Cicéron :
Voyons, si le danseur s’est arrêté ou si le tibicen s’est tu subitement, si l’enfant qui a encore père et mère a cessé de tenir le chariot ou s’il a lâché la courroie, si l’édile a commis une erreur dans la formule ou avec le puisoir, les jeux n’ont pas été célébrés rituellement, ces fautes sont expiées et les dispositions des dieux immortels sont apaisées par le renouvellement des jeux [… ]288.
157La tibia, instrument de prédilection des rites sacrificiels, tient une place particulière dans ces processions. Selon Pline, la tibia utilisée dans les cérémonies ludiques serait un instrument spécial, repérable par les matériaux utilisés pour sa réalisation (bois de micocoulier, os d’âne et argent)289. Mentionnée en deux endroits de la pompa des jeux par Denys d’Halicarnasse, elle est mise en tête du cortège par Ovide dans sa description de la procession ouvrant les jeux Falisques à Faleries290. C’est toujours en première position que l’on retrouve un tibicen sur le relief de Castel san Elia291. Pour ce dernier document, toutefois, les interprétations divergent quant au sens à donner à la scène du registre supérieur : fin de la procession arrivant près de la scène des jeux ou début de la représentation ? Il me semble que le mouvement d’ensemble de la partie gauche de la composition, incluant le tibicen, conduit à penser que du moins cette partie du monument représente une procession. C’est notamment le mouvement créé par le musicien lui-même, haut du corps tendu, tête en arrière légèrement renversée, jambe droite levée en position de marche, qui mène à cette conclusion.
158Pour autant, entre le témoignage de Denys d’Halicarnasse et les autres, il me semble inutile de vouloir chercher à situer de manière précise la position du ou des joueurs de tibia dans le cortège. De même, la perspective d’une évolution chronologique, le tibicen ayant pris la tête du cortège dans les pompae les plus récentes, me paraît insoutenable faute d’éléments supplémentaires.
159La présence des cordophones dans les processions ludiques, mentionnée par Denys, connaît moins d’attestations. On retrouve un fidicen associé à deux tibicines sur un relief de Pesaro292. Le joueur de lyre se retourne vers les autres musiciens, comme s’il cherchait à ce que leur jeu coïncide parfaitement. On les trouve toutefois peut-être encore mentionnés dans le compte rendu épigraphique de la célébration des jeux séculaires par Septime Sévère en 204293. C. Vendries a montré que les cordophones furent progressivement remplacés par les trompes, qui deviennent alors les instruments obligatoires de la pompa294. Ce sont ces dernières que l’on retrouve dans le cortège clinquant de l’éditeur des jeux que décrit Juvénal avec son habituel ton grinçant. Parmi l’accumulation de signes censés dénoter l’importance du personnage se trouvent en effet des trompes :
Ajoutez le bâton triomphal en ivoire, surmonté d’un aigle qui s’envole ; d’un côté les cornicines ; de l’autre, le long cortège bénévole qui le précède, les Quirites en toge neigeuse marchant auprès de ses chevaux et dont la sportule, enfouie dans leurs bourses, a fait ses amis295.
160Ces grands aérophones se retrouvent sur un célèbre monument de Pompéi représentant le déroulement de jeux gladiatoriaux296. La plaque de marbre est divisée en trois registres. Le registre supérieur est celui qui nous intéresse : il correspond à la figuration de la procession des jeux. Au centre sont représentés les combats de gladiateurs. Le registre inférieur est occupé par la représentation d’une venatio. Des musiciens participent à deux temps de la procession. Trois tubicines – et non pas tibicines comme le précise le catalogue de l’exposition Sangue e arena – ouvrent la marche, précédés uniquement des licteurs297. Les deux premiers sont dans la position conventionnelle des tubicines en train de jouer, tête légèrement renversée et tenant leur instrument orienté vers le ciel. Le dernier déroge à la règle : son instrument est orienté vers le bas, quasiment à la verticale. Je ne pense pas qu’il faille pour autant en tirer des conclusions organologiques : la tuba du dernier musicien ressemble en tous points à celle de ses collègues. Des raisons purement iconographiques peuvent expliquer cette particularité. Le sculpteur a simplement dû prendre des libertés avec la représentation traditionnelle de ces musiciens en raison du grand nombre de personnages qu’il devait faire tenir dans l’espace limité de ce registre.
161La même logique doit être appliquée pour expliquer l’étrange instrument qui apparaît quasiment à la fin de la procession. Suivant toutes les armes que l’on amène à l’éditeur des jeux, afin qu’il puisse procéder à la probatio armorum, un musicien souffle dans un instrument de petite taille. Le corps de l’aérophone semble légèrement recourbé, son pavillon incliné vers le haut à 90 degrés. Cet instrument pourrait être désigné comme un lituus – le corps du lituus est certes droit, mais la courbure n’est ici que vraiment très faible –, n’était-ce cette petite taille. Il apparaît toutefois assez nettement que la taille de l’instrument a posé problème au sculpteur, qui a légèrement orienté en arrière le corps du personnage précédant le musicien, en une position peu conforme avec le mouvement général de la scène, afin que le décalage de la tête de ce personnage laisse un petit peu plus de place au pavillon de l’instrument. Il ne me semble donc pas qu’il y ait d’obstacle à l’identification de l’instrument en question avec un lituus, étant entendu que sa taille ne correspondait pas à la réalité.
162On retrouve deux musiciens et le même problème de représentation des grands aérophones sur le monument funéraire d’un triumvir augustal d’Amiterne298. Là encore, la nature de l’instrument en question ne fait aucun doute : il s’agit à coup sûr d’une tuba, très longue, droite, ne s’évasant que légèrement en sa fin. Le musicien qui est en train d’en jouer la tient orientée vers le bas, à la manière de ce qui a été décrit pour le monument précédent. Cependant la proximité entre les deux personnages, dont les corps se touchent, ne laissait aucune autre possibilité de figuration au sculpteur.
163Quatre fragments de ce monument d’époque claudio-néronienne ont été retrouvés à Amiterne299. Celui sur lequel se trouvent les musiciens est isolé et si l’on voit que ces instrumentistes sont encadrés par d’autres membres de la procession, il est difficile d’en tirer des éléments supplémentaires concernant leur position précise dans la pompa. F. Guidetti, qui a consacré un article à ce monument, suggère toutefois que les musiciens devaient se situer à la fin de la procession. Ses arguments reposent à la fois sur une reconstitution d’ensemble des deux frises ornant le monument funéraire du triumvir et sur la comparaison avec un autre relief, découvert en 1936 sur le forum holitorium300. Sur ce relief, daté de la première moitié du Ier siècle de notre ère, les deux musiciens sont en train de souffler dans leur instrument, encadrés devant par un char, et derrière par les porteurs d’un ferculum. La présence d’un char dans la procession avait conduit I. Scott Ryberg à identifier cette scène comme une pompa triumphalis301. Un examen attentif du relief permet toutefois d’observer que le char est conduit par une divinité ailée, ce qui écarte l’hypothèse d’une procession triomphale et rend plus probable une procession des jeux302.
164Peut-on, finalement, parler d’une évolution dans la composition musicale de la pompa, signant la prééminence des trompes, qui accentuerait la dimension « romaine » de ces processions ? Sans qu’elle soit impossible, cette affirmation doit à mon avis être nuancée par deux éléments. D’une part, la rareté des sources, qui rend difficile une appréhension chronologique. Les témoignages iconographiques relevés sont concentrés au Ier siècle de notre ère, écrasant ainsi la possibilité d’une analyse diachronique. D’autre part, la différence dans le type de pompa considéré. Le relief de Pompéi comme celui d’Amiterne concernent explicitement des jeux gladiatoriaux : les combats sont représentés à proximité. Or on peut se demander dans quelle mesure la procession des jeux gladiatoriaux n’appelait pas davantage la présence des grands aérophones tant ils semblent avoir été nécessaires au fonctionnement même de ces munera. Enfin, pour Tertullien, la tibia comme la tuba sont les adjuvants de « la malédiction du sang et de l’encens », les instruments abjects de la pompa païenne, sans que l’apologète ne fasse de distinction entre eux deux303.
3.2.2. Jouer dans l’arène
165La présence des joueurs de trompe dans l’arène est tellement évidente qu’ils en sont, pour Juvénal, le personnel obligatoire (perpetuus comes)304. Selon Tite Live, la coutume voulait qu’ils soient présents aux côtés de l’éditeur des jeux au moment où celui-ci les déclarait ouverts ; ils servaient alors à obtenir le silence de l’assemblée305. Cette fonction d’ouverture du temps ludique est confirmée par Stace et Virgile306. Il revient aussi aux joueurs de trompe de signifier spécifiquement le début de chaque manifestation : début de chaque course de chevaux307, de bateaux308, mais aussi le début des combats. Un merlon appartenant à un monument funéraire italien donne à voir les prémices d’un combat309. Deux combattants s’apprêtent à s’affronter : un rétiaire et un gladiateur lourdement armé. En arrière-plan, un tubicen est en train de souffler dans son instrument, dans la position conventionnelle de cet instrumentiste : il appelle au combat. Selon D. Faccenna, c’est ce même signal que donnent les deux tubicines – et non pas cornicines, terme avec lequel l’auteur semble hésiter bien que les instruments ne soient en rien similaires – présents sur le fragment de relief gladiatorial conservé au Palazzo Camuccini, à Cantalupo310.
166D’autres scènes rendent plus difficiles l’identification du moment exact durant lequel jouaient les musiciens. Il faut, dans ce cas, se résoudre à énoncer le simple fait que les musiciens jouaient lors des combats, sans plus de précision. On voit ainsi, sur un fragment de la grande fresque gladiatoriale d’Isernia, un cornicen souffler dans son instrument tandis qu’à ses côtés un mirmillon est en pleine action311. La plus belle source concernant ces musiciens participants aux jeux est sans doute la mosaïque de Zliten, dont G. Ville a prouvé par des arguments iconographiques qu’elle devait être datée de la fin de la période flavienne ou du début des Antonins312. La bande nord de la mosaïque dite des gladiateurs propose, sur son extrémité gauche, un ensemble de quatre musiciens : deux cornicines, une organiste et un tubicen. Le même ensemble, d’une moindre qualité d’exécution, est figuré sur le côté gauche de la bande sud. Le reste de ces bandeaux représente la succession d’une série de combats. Tout pousse donc à voir dans cette mosaïque la représentation « en temps réel » d’un munus, les musiciens participant de manière musicale à la lutte. Les musiciens semblent concentrés sur le déroulement de la scène, comme si leurs interventions dépendaient de son évolution313.
167On retrouve cette même composition sur deux graffiti italiens. L’un d’entre eux, tracé sur les murs d’une maison de Rome située sur la uia Appia, conserve la représentation assez précise d’un orgue hydraulique, que manipulent au moins deux techniciens314. L’orgue est associé à un tubicen, situé tout à gauche du graffito et à un cornicen, à droite. On joue de ces deux instruments tandis que les combats de gladiateurs se déroulent sur toute la partie droite du graffito. L’autre document a été découvert sur une paroi de la tombe 19, à l’extérieur de la Porta Nocera, à Pompéi (fig. 3)315.
168On y voit un couple de gladiateurs, Hilarus et Creunus, lutter au centre. Le décompte de leurs victoires montre leur importance dans le milieu gladiatorial pompéien. L’identification de tubicines sur le côté droit des combattants n’a jamais posé de problème. En revanche, les quatre figures représentées sur le flanc droit ont connu diverses interprétations. Le CIL a repris l’hypothèse émise par M. della Corte, qui voyait en elles des bustes consacrés aux divinités tutélaires de ces jeux316. Cette hypothèse a été affinée par P. Sabbatini Tumolesi, identifiant chaque divinité à une des quatre journées qu’ont duré les jeux317. Une autre hypothèse a vu dans ces quatre bustes des portraits nimbés des ancêtres de l’éditeur des jeux318. C’est toutefois la dernière interprétation en date, celle de S. M. Marengo, qui me semble la plus convaincante. Ce que le dessinateur de ce graffito a tenté de représenter, de façon assez adroite pour les deux personnages du haut, sont le corps et le pavillon d’un cornu, enroulés autour de son musicien. Comme on l’a vu, la présence de cornicines à côté des tubicines est largement attestée dans les scènes de combats de gladiateurs. Il n’y a donc aucune objection de principe. Bien plus, cette hypothèse sort renforcée de la comparaison que l’on peut en faire avec la représentation de cornicen sur le sarcophage Ludovisi, actuellement conservé à Rome, au Palazzo Altemps (fig. 4)319. Le musicien est figuré tout en haut à gauche d’un sarcophage très travaillé représentant une scène de combat. Bien que virtuose, le sculpteur n’a pu éviter l’effet « nimbé » produit aussi par le dessinateur anonyme de la porta Nocera. Même avec la profondeur, il n’a pas su montrer le corps de l’instrument autrement que s’enroulant à plat autour du buste du musicien.
169La mosaïque de Nennig, en Germanie, ne permet pas non plus d’identifier de manière précise le moment auquel intervenaient les musiciens en raison de sa composition en médaillons isolés les uns des autres. On y voit l’association d’un cornicen et d’un organiste, debout derrière son imposant instrument. L’orgue hydraulique n’apparaît dans les jeux que progressivement au cours du Ier siècle, moment où il en devient, semble-t-il, un instrument phare320. Dans une comparaison d’une rare cruauté, Pétrone met en parallèle les combats de gladiateurs avec la découpe de la viande lors de la cena Trimalcionis : les deux scènes se déroulaient au son de l’orgue hydraulique321.
170L’orgue hydraulique est par ailleurs un instrument que les sculpteurs aiment à représenter322. L’un d’entre eux sert ainsi de séparation iconographique entre deux paires de gladiateurs sur un balsamaire de Reims conservé au musée du Petit Palais323. Les secutores Datius et Heros et les rétiaires Attiolus et Audax, dont les noms sont gravés sur le bandeau supérieur, s’escriment au son de l’orgue.
171La pratique de l’orgue offrait aux femmes la possibilité de trouver une place dans l’univers presque exclusivement masculin des jeux du cirque324. On voit une femme manipuler cet instrument sur le bandeau nord de la mosaïque de Zliten. Une femme anonyme en fait de même sur un vase en bronze de Rheinzabern325. Sa coiffure et le collier qu’elle porte permettent d’identifier son sexe. Cette hypothèse est corroborée par une inscription découverte près d’Aquincum, en Pannonie inférieure, exceptionnelle à plusieurs titres326. La longueur de son texte, neuf lignes gravées sur le corps d’un sarcophage, en font l’un des documents les plus riches du corpus des inscriptions de musiciens. Le texte a été gravé en l’honneur d’Aelia Sabina par son mari, Titus Aelius Iustus. Tous deux pratiquaient l’orgue hydraulique en tant que professionnels des spectacles, Iustus étant même l’organiste officiel des jeux de la deuxième légion Adiutrix stationnée à Aquincum : il se décrit comme un hydraularius salarius leg (ionis) (secundae) Ad (iutricis). Quant à sa femme, elle alliait la beauté de sa voix à ses compétences sur les instruments à cordes, tout en jouant elle aussi de l’orgue hydraulique in populo. Cette précision, croisée avec la nature même de l’orgue hydraulique, un instrument se prêtant peu au dilettantisme, conduit sans aucun doute à faire d’Aelia Sabina une musicienne des spectacles. Peut-être le mari animait-il les spectacles de l’amphithéâtre militaire quand revenait à sa femme la responsabilité d’en faire de même dans l’amphithéâtre civil327.
172Certaines représentations donnent toutefois une idée plus précise du rôle tenu par les musiciens lors des épreuves. Sur une mosaïque découverte à Gafsa, en Tunisie, on voit un instrumentiste placé aux côtés de l’athlète prêt à s’élancer pour l’épreuve de saut en longueur328. La division de la mosaïque en différentes scènes, livrant un véritable programme de la journée, permet d’associer avec précision le musicien à cette épreuve, identifiable par la position de l’athlète prêt à s’élancer. Quel était son rôle ? M. Khanoussi, qui a découvert la mosaïque, évoque un passage de Philostrate par lequel l’auteur signifie la difficulté de l’épreuve et le fait que les concurrents étaient stimulés dans leurs efforts par le son de l’aulos329. Cet élément pose cependant problème dans la démonstration de l’archéologue tunisien. Il identifie en effet l’instrumentiste comme étant un tubicen. Il y a donc dans ce cas une distorsion entre le texte de Philostrate et la mosaïque. Il faudrait comprendre soit que le rapprochement avec Philostrate est erroné, soit que la tuba et la tibia avaient les mêmes vertus bien que leurs sons et leurs potentialités musicales soient clairement différentes, soit, enfin, que la tuba ne servait pas à soutenir l’effort de l’athlète mais avait d’autres fonctions, comme celle de lui signifier quand il devait s’élancer.
173Toutefois, avec toute la réserve qu’il convient d’adopter en l’absence d’une lecture autoptique, je me demande si la partie du raisonnement à remettre en cause n’est pas l’identification de l’instrument. En effet, la comparaison avec les deux autres tubae représentées sur la mosaïque (scène où sont figurées les récompenses et scène de la remise des prix) n’est pas convaincante330. Les deux tubae sont très fines, très longues et légèrement courbées331, tandis que l’instrument tenu par le musicien du saut en longueur est bien plus court et paraît plus large. De plus, là où les deux tubicines portent des tuniques blanches à claui retenues à la taille, l’instrumentiste mystère porte, lui, une longue tunique bleue richement ourlée et frangée. Ces différences dans la figuration des instruments et des vêtements poussent à supposer qu’il ne s’agit pas d’un tubicen mais d’un autre instrumentiste. Le rapprochement avec le passage de Philostrate pourrait garder toute sa pertinence si l’on identifiait ce musicien comme un tibicen, la relative largeur du corps de l’instrument, difficile à déterminer car la mosaïque est dégradée précisément à cet endroit ne me semblant pas être un obstacle. Avec deux tubicines et un tibicen, la mosaïque de Gafsa est donc l’une des plus riches pour notre propos.
174La présence d’un tibicen dans l’arène pourrait surprendre. Il n’est cependant pas le seul de son registre à avoir foulé le sable lors des jeux. Un poème funéraire de Venafrum nous livre le nom du jeune Iustus, mort à 21 ans, qui appelait les gladiateurs au combat en les stimulant par son jeu sur la tibia332. Ce tibicen intervenait entre les combats, pour animer les transitions entre les différentes paires s’affrontant et inciter les gladiateurs à l’action.
175Il est cependant un temps particulièrement dramatique des combats de gladiateurs pour lequel la participation des musiciens est avérée : la mise à mort. Dans un fragment de relief gladiatorial d’époque augustéenne aujourd’hui conservé à Munich, deux tubicines sont représentés en train de souffler dans leurs instruments tendus vers le ciel333. Face à eux, suspendu dans son mouvement, attendant l’énoncé de la sentence, le gladiateur vainqueur brandit par-dessus son épaule son glaive, prêt à trancher la gorge de l’adversaire, vaincu, assis à ses pieds. Tout se passe comme si le vainqueur attendait que les tubicines aient fini de jouer pour qu’il puisse achever son œuvre. Une main très nettement découpée sur le fond du relief adresse un signe au gladiateur : pouce collé au dessus de la paume, index et majeur sortis, annulaire et auriculaire repliés. Selon M. Junkelmann, il s’agirait là du signe de la missio accordée au vaincu avant sa mise à mort334. Etant donnée sa position, cette main ne peut appartenir qu’à l’un des deux tubicines. On peut l’interpréter de deux manières. Soit il faut comprendre que non seulement les musiciens participaient par leur instrument à la mise en scène de l’instant final, mais qu’ils pouvaient en plus servir de relais à l’arbitre et à l’éditeur pour transmettre leurs avis. Soit il faut voir dans cette main la matérialisation iconographique du sens de la mélodie jouée à cet instant. Les musiciens n’auraient pas réellement fait ce geste en jouant, mais auraient joué une mélodie dont le sens était équivalent à ce geste.
176Ce même moment crucial, mise en scène de la mort ou du salut du combattant vaincu, se trouve sur un monument thrace découvert à Tatarevo335. Là c’est le secutor Epiptas qui a vaincu un rétiaire. Le malheureux se traîne à ses pieds, sous l’arme menaçante du gladiateur vainqueur. Entre les deux, l’arbitre s’apprête à énoncer le verdict, tandis qu’un organiste et un souffleur manipulent l’instrument, représenté sur la colonne qui sert d’étonnant support à l’ensemble de la scène.
177En contrepoint de leur rôle lors de l’ouverture des jeux, les musiciens participaient à leur clôture, démontrant une nouvelle fois leur importance dans la délimitation de séquences temporelles et rituelles. Ils sont ainsi associés aux scènes de remise de prix. Sur la mosaïque de Gafsa, un tubicen est représenté à deux reprises à proximité des prix. Sur la première scène, dite des prix à remettre, il ne joue pas mais tient son instrument à l’envers, le milieu du corps reposant sur son épaule gauche. L’éditeur des jeux, portant comme lui une couronne à cinq roses, est en train de saluer la foule, il est vêtu d’une toge et tient une palme dans la main. La scène centrale représente la cérémonie de la remise des prix. L’athlète au centre tient la palme dans sa main gauche. Derrière lui un appariteur s’apprête à lui poser une couronne sur la tête. L’éditeur des jeux est à droite, tenant lui aussi une palme. À gauche, le tubicen est en train de souffler dans son instrument, joues gonflées. Cette représentation est conforme à la description d’une cérémonie de remise de prix que donne Sénèque dans une de ses lettres à Lucilius : couronne – ou palmes – en sont les éléments principaux336.
178Ainsi, la participation de musiciens au cours de jeux, sportifs et gladiatoriaux, était une constante. S’il n’est pas toujours aisé d’identifier précisément leur intervention, elle semble avoir été quasi permanente, de l’ouverture à leur conclusion.
179Au terme de cette présentation, une question pratique ressort : où les musiciens participant aux jeux du cirque se situaient-ils par rapport aux athlètes et aux combattants ? Selon M. Junkelmann, il ne fait aucun doute que les musiciens partageaient le sable de l’arène ou de l’amphithéâtre avec les héros de la journée337. C’est effectivement l’impression que l’on peut avoir en regardant la mosaïque de Zliten, où les musiciens sont assis sur des chaises immédiatement à côté des gladiateurs, ou encore une gemme du Ier siècle p. C. conservée aujourd’hui à Berlin338. Musiciens et combattants sont représentés sur le même plan, comme s’ils se trouvaient physiquement au même niveau. Cependant, une telle hypothèse ne peut résister si l’on prend en compte la réalité des combats. Dans le cas des uenationes, il est en effet difficile d’envisager que les musiciens aient pu être laissés à la merci des animaux, au même titre que les gladiateurs-chasseurs339. Même pour les combats sans animal, ne fait-il pas sens de supposer que les musiciens aient été mis hors de portée des coups éventuels340 ? Cette hypothèse est étayée par le relief de C. Lusius Storax, actuellement conservé au musée de Chieti (fig. 5)341.
180Des musiciens sont représentés sur les deux extrémités du fronton central de ce monument funéraire. Au centre est figurée la tribune sur laquelle a pris place le sévir, éditeur des jeux. Les décurions de la cité sont assis derrière lui, prêts à assister au spectacle offert par Lusius Storax. Sur le côté gauche de la scène, quatre tubicines soufflent dans leurs instruments. À droite, ce sont quatre cornicines. Sous le fronton une frise représente une succession de combats de gladiateurs342. Dans le cas de ce relief, les musiciens sont clairement séparés des combattants. Non seulement ils sont sculptés sur le fronton, et non sur la frise, mais leurs jambes sont masquées par la représentation d’un podium, tel celui isolant les élites civiques de la piste de l’amphithéâtre. On trouve approximativement le même procédé de représentation sur le graffito pompéien de la porta Nocera (fig. 3). Là aussi tubicines et cornicines sont séparés physiquement, chacun d’un côté de l’arène. Sur le graffito, point de trace de podium, mais sous les pieds des deux gladiateurs deux traits maladroits, figurent certainement le sable de l’arène. Avec les moyens qu’il avait à sa disposition, le dessinateur pompéien a ainsi créé deux espaces différents, un pour les gladiateurs et un pour les musiciens.
181Afin de résoudre cette question de la localisation précise des musiciens lors des jeux, il faut à mon avis aussi tenir compte des destinataires de la musique. Pour qui les musiciens jouaient-ils ? Pour exciter le public ou stimuler les combattants ? Les réponses sont diverses. Dans le cas du tibicen de la mosaïque de Gafsa, censé aider l’athlète à surmonter la difficile épreuve du saut en longueur, le faire jouer dans les gradins, loin de l’athlète, n’aurait aucun sens alors que l’acoustique des amphithéâtres et des cirques n’était pas porteuse contrairement à celle des théâtres. Le musicien devait alors jouer aux côtés de l’athlète, d’autant plus que sa vie n’était alors pas mise en danger. On ne peut en dire autant des joueurs de cornu, tuba ou hydraulus qui animaient les combats de gladiateurs. Eux ne s’adressaient pas particulièrement au personnel de l’arène : ils créaient un environnement sonore commun aux spectateurs et aux acteurs visant le plus grand nombre. C’est pourquoi il faut, finalement, nuancer la position de M. Junkelmann : la place des grands aérophones devait certes se situer au plus proche de l’arena, mais peut-être les musiciens étaient-ils situés sur un podium qui les protégeait des dangers.
182Si l’on suit cette hypothèse, une place particulière doit alors être accordée au dessin réalisé par F. Morelli à partir des fresques décorant le podium de l’amphithéâtre de Pompéi343. Sur ce document, un homoplachus est en train de souffler dans un cornu. Il est torse nu et porte de grandes jambières et une protection de bronze sur le bras droit. En face de lui se trouve un mirmillo, protégé par un grand bouclier rectangulaire et bientôt par un lourd casque qu’un appariteur est en train de lui passer. Nous aurions donc là la seule et unique représentation d’un gladiateur musicien, donnant lui-même le signal du début de son combat, comme l’interprète le catalogue de l’exposition romaine Sangue e Arena344. De nombreuses questions surgissent à la lecture de cette hypothèse : comment un combattant pouvait-il souffler le début de son propre combat ? Que faisait-il de son instrument une fois le signal donné ? Le jetait-il précipitamment sur le côté à peine la sonnerie terminée de peur de se faire occire par un adversaire peu sourcilleux ? Le gel de l’hiver 1816, qui a irrémédiablement endommagé le document originel, nous prive d’une vérification nécessaire, bien que le travail de F. Morelli soit généralement fiable345. Dès lors cette représentation unique pose un problème d’interprétation. C. Vendries a proposé d’y voir un raccourci iconographique, le vainqueur sonnant lui-même l’annonce de sa propre victoire346. Cette hypothèse paraît difficilement tenable car tout situe la scène avant le combat : aucun gladiateur n’est blessé ; bien plus, ils sont accompagnés de deux desservants chacun qui les aident à revêtir leurs armes et protections. T. Hufschmid, tout en gardant l’hypothèse méthodologique du raccourci iconographique, imagine que l’homoplachus, arrivé en premier dans l’arène, serait en train d’appeler son adversaire au combat. On peut au contraire arguer du fait que le mirmillo est plus prêt à combattre que l’homoplachus dans la mesure où il est sur le point d’enfiler son casque tandis que l’autre est encore entre les mains de ses ministri. S’il faut voir une condensation iconographique dans cette scène, c’est selon moi dans la concentration en une seule personne du gladiateur et du musicien. Pour une raison qui nous échappe, peut-être d’équilibre spatial de la scène, l’artiste pompéien a attribué au gladiateur un rôle qui n’était pas le sien mais bien celui d’un musicien dont la présence dans l’arène est par ailleurs bien attestée, comme nous venons de le voir.
3.3. Les funérailles
3.3.1. Rite privé/rite public/rite en public
183Bien que les funérailles appartiennent à la sphère privée et à la religion domestique, leurs conséquences dans la vie de la cité sont importantes347. Le défunt n’est en effet pas le seul à disparaître de la communauté des vivants : la totalité de sa famille est retranchée de la cité le temps des rites funéraires. Il s’agit donc d’une plongée dans un entre-deux temporel qui distingue la familia du défunt aussi bien que des autres citoyens348. Plus encore, tous les citoyens sont concernés par la disparition d’un des leurs. Ils doivent se prémunir de tout contact avec le défunt, ce pour quoi l’on attache une branche de cyprès, arbre funèbre, sur la porte de la maison souillée par la mort.
184Les funérailles ne rentrent cependant pas dans le cadre des rites publics. Il n’est jamais question que de pratiques familiales, même pour les funérailles d’anciens magistrats, de responsables de la cité, sur qui les sources sont les plus nombreuses349. Cependant, s’ils n’étaient pas publics, certains de ces rites se déroulaient en public, soit en présence d’une partie de la communauté des citoyens. L’exposition du corps, mais aussi la procession funéraire par laquelle le défunt traversait la cité contribuait à faire des funérailles un temps incluant dans sa participation une grande partie de la collectivité des citoyens. Cet ensemble de pratiques se déroulant en public recevait donc l’attention de toute ou partie de la population et participait à la création d’un sentiment de vivre ensemble, à la constitution d’une culture urbaine collective350.
185Le plus visible des rites funéraires était la pompa funebris, qui transportait le corps du défunt de sa domus à son dernier domicile, après les sept jours nécessaires pour s’assurer de la réalité de la mort351. À cette occasion les funérailles investissaient l’espace public : les lieux traversés par la procession funéraire devenaient un cadre pour la représentation de la puissance familiale du défunt. La vie de la cité pouvait en être bouleversée, soit que l’importance sociale du défunt le nécessite, soit que la coïncidence de décès envahisse l’espace collectif :
Novius, lui, si deux cents chariots et trois grands cortèges funèbres se rencontraient sur le Forum, pourrait couvrir les cornua et les tubae des éclats de sa voix352.
186Derrière l’exagération satirique d’Horace se lit la possibilité d’un investissement de l’espace sonore public par des manifestations de la religion privée.
3.3.2. Pompa funebris
187La procession funéraire est connue avant tout grâce à des sources narratives353. Pourtant le document le plus complet pour nous est cependant un relief. Il s’agit d’une plaque de calcaire rectangulaire, certainement destinée à être insérée dans un monument funéraire (fig. 6).
188Elle fut découverte en 1879 à Amiterne, avec des inscriptions tardo-républicaines et primo-impériales354. Il ne s’agit pas là d’un critère de datation absolu, mais cette fourchette chronologique coïncide avec l’examen interne du document. Afin de condenser au mieux la représentation de la procession, l’artiste a divisé certaines parties du relief en plusieurs registres355. Deux groupes de musiciens sont représentés en tête de la procession. Sur le registre supérieur se trouvent trois aenatores. Le premier joue d’un instrument long et droit jusqu’à son pavillon, se courbant à 120 degrés par rapport à son corps356. Il est suivi par deux cornicines, qui sont eux aussi en train de jouer. Sur le registre inférieur sont représentés quatre tibicines en action, dans la position traditionnellement dévolue par l’iconographie : instrument double tenu à l’horizontale joues gonflées. Les instrumentistes précèdent le cortège funéraire en lui-même : le défunt est posé sur un lit, déplacé par huit porteurs. Les pleureuses et la famille en deuil entourent le disparu.
189Il est difficile de tirer des conclusions à partir de ce document unique. Que les musiciens ouvrent la procession funéraire est fort possible. Ils initiaient ainsi le temps de la procession et du deuil en avertissant le reste de la population environnante qu’un cadavre se frayait un chemin entre les murs de la cité. Perse les mentionne en tête de sa description minimaliste d’une pompa funéraire357. Pour le reste, on doit se contenter de l’affirmation solide selon laquelle deux différentes familles d’instruments à vents pouvaient être rencontrées dans les pompae funebris, les grands aérophones et la tibia.
190Comme pour les sources littéraires, ce monument introduit donc une distorsion sociale qu’il convient d’avoir en tête. Le défunt que célèbre ce relief médio-italien n’avait pas le convoi de tout citoyen, bien au contraire. L. Franchi, qui l’a en partie étudié, relève le fait que le mort tient dans sa main un bâton de commandement, ce qui fait très certainement de lui un ancien magistrat358. Une des clés permettant de cerner la juste valeur de cette procession se trouve peut-être chez Properce. Selon un exercice littéraire bien rôdé, le poète met en scène sa propre mort et imagine ses funérailles :
Quand la mort fermera mes yeux, écoute quels rites tu dois observer pour mes funérailles. Qu’un cortège ne s’avance pas avec une longue suite de portraits et que la tuba ne plaigne pas vainement mon destin ; qu’on n’étende pas pour moi un lit aux appuis d’ivoire ; qu’on ne fasse pas reposer mon corps sur une couche digne d’Attale ; qu’il n’y ait pas un défilé de plateaux chargés de parfums ; que j’aie le pauvre convoi d’un enterrement plébéien359.
191Le poète ne rejette pas les processions funéraires, qui font partie des rites traditionnels de la bonne mort romaine, mais l’ostentation de certaines d’entre elles, celles qui comportent des tubae et s’opposent en cela aux convois les plus simples. Les grands aérophones de bronze étaient donc réservés aux convois les plus importants, c’est-à-dire ceux dont les bénéficiaires étaient les plus élevés socialement.
192Ainsi les textes qui mentionnent la présence de tubicines dans les processions funéraires concernent-ils tous des grands personnages et donc des responsables politiques. Le convoi qui ramena à Rome le corps de Sylla, traversant au préalable toute l’Italie, fit appel, selon Appien, à un nombre infini de joueurs de trompe qui vinrent spontanément se porter en tête du cortège, accompagnés de soldats à cheval360. Une fois arrivé aux portes de Rome, le corps de l’ancien dictateur fut introduit dans la Ville par un cortège dont Appien donne une description très proche de la pompa triumphalis. La totalité de la cité accompagna Sylla, selon sa place dans la hiérarchie du corps social. Les joueurs de trompe, faisant sonner des airs lugubres, y formèrent une foule innombrable361.
193On retrouve cette impression de masse de musiciens au fil de la transformation de Claude en citrouille décrite par Sénèque : le cortège funéraire de l’empereur comprenait un tel nombre d’aérophones, faisant un tel bruit, que le défunt lui-même en fut dérangé :
Et en effet c’étaient les plus belles obsèques du monde : aucun soin n’y avait été épargné, on voyait bien qu’on enterrait un dieu. Il y avait une telle quantité, un tel rassemblement de tubicines, de cornicines, d’aenatores de toute espèce, que Claude lui-même en arrivait à les entendre362.
194Rien n’était trop beau pour un cortège funéraire impérial : voici ce que signifie l’écriture hyperbolique et caustique de ce passage. L’expression du pouvoir du défunt touchant à son maximum, le nombre de musiciens convoqué franchissait les limites du raisonnable. Ce qui ressort de ces deux textes est donc une équation relativement simple : plus le défunt était important, plus sa pompa funebris comportait de joueurs de trompe. Symboles du commandement dans le domaine militaire, ces instruments étaient la traduction de son importance sociale dans la vie civique.
195Pour autant, comme le suggérait la citation de Properce, les processions funéraires des citoyens d’une moindre importance n’étaient pas silencieuses. C’est au son de la seule tibia qu’ils étaient conduits à leur sépulture363. La présence de ces musiciens dans les processions funéraires était la garantie de rites dignes de ce nom. Pline rapporte que lorsque la foule de Rome voulut honorer un oiseau admirable – l’animal saluait l’empereur par son nom à chaque passage – par des funérailles semblables à celles d’un humain, elle lui rassembla une procession avançant au son de la tibia :
Un cortège innombrable assista aux funérailles de l’oiseau ; le lit funèbre fut porté sur les épaules de deux Éthiopiens, précédé d’un joueur de tibia et de couronnes de toutes espèces, jusqu’au bûcher qui fut édifié à droite de la uia Appia, à deux milles de Rome, dans le terrain plat qui porte le nom de Rediculus364.
196Pour un oiseau, un musicien suffisait à signifier l’importance inhabituelle de l’événement. Au contraire, pour les humains, l’inflation fut la règle dans la course à l’expression sonore de la puissance sociale.
197Cicéron mentionne à ce propos un passage de la loi des XII Tables relatif à une réglementation des cérémonies funéraires. Il y était précisé que le nombre de tibicines servant ces cérémonies ne pourrait excéder le nombre de dix :
Quant aux prescriptions des XII Tables destinées à réduire les dépenses et les lamentations funéraires, elles ont été à peu de choses près transposées des lois de Solon. “Que l’on ne fasse, disent-elles, rien de plus : que l’on n’équarrisse pas le bûcher avec la hache”. Vous connaissez le reste, car, quand nous étions enfants, nous apprenions le texte des XII
Tables comme un chant nécessaire : aujourd’hui personne ne l’apprend plus. Donc la dépense étant réduite à trois ricinia, un linceul pourpre et dix tibicines, la loi supprime encore la lamentation excessive365.
198La nécessité d’une telle législation sur l’ostentation privée conduit à supposer l’existence de cortèges de musiciens très importants. Une loi ne suffit cependant pas à briser le poids des habitudes et, peut-être, le goût de la démonstration acoustique : selon Ovide la raison de l’exil des tibicines à Tibur dans la seconde moitié du IVe siècle avant notre ère réside dans le fait que les censeurs avaient voulu réduire le nombre de tibicines autorisés à participer aux pompae funebris à… dix366 ! Il semble pourtant évident que ces prescriptions somptuaires ne devaient pas concerner la majorité de la population. Pour les funérailles des plus humbles, pour lesquelles les sources se taisent, nous en sommes réduits à imaginer qu’il s’agissait d’évènements silencieux, le coût d’un musicien excédant les ressources des familles.
199L’association fréquente des tubae et des tibiae avec les processions funéraires a conduit les poètes à en faire des symboles de la tristesse et de la mort. Ainsi, nombre de sources mentionnant ces deux instruments dans ce genre de contexte relèvent du topos de la tuba funèbre ou de la tibia des funérailles. Ovide enjoint les oiseaux à régler leur chant sur celui de la tuba pour pleurer la disparition de leur ami le perroquet367, puis compare la tristesse de son exil à un chant de tibia funèbre368. Plus subtilement encore, dans les Héroïdes, il joue sur la proximité entre les mots tibia et tuba : la tibia jouée pour la cérémonie du mariage résonne à ses oreilles comme la tuba funèbre369, un jeu littéraire auquel s’adonne Properce dans les mêmes termes370. Pétrone évoque aussi le fait qu’en cas de défaillance fatale il n’y a plus qu’à faire appel aux tubicines371. C’est enfin à la connotation funèbre de la tuba que Tacite rattache une manifestation surnaturelle en rapport avec l’assassinat d’Agrippine par Néron : on aurait entendu le son d’une tuba s’élever dans les collines environnant le tombeau de la mère de l’empereur, signe du mécontentement des dieux372.
3.3.3. La musique et la mort
200Un texte d’Hygin expliquant pourquoi les tubae sont utilisées dans un contexte funéraire peut éclairer l’épisode précédent373. Dans une fable consacrée aux inventions et à leurs auteurs, Hygin avance des raisons très matérielles, malgré ses préoccupations mythologiques : il s’agirait d’avertir de la disparition d’un citoyen afin que tous les autres puissent venir vérifier que sa mort était naturelle.
Tyrrhénus fils d’Hercule inventa la tuba, et de cette manière : comme ses compagnons se nourrissaient de chair humaine, les habitants de la région alentour s’enfuyaient devant pareille sauvagerie ; lui, alors, à la mort de l’un d’eux, fit sonner un coquillage percé et fit aussi venir les gens du village qui témoignèrent qu’ils donnaient au mort une sépulture au lieu de les manger. La tuba est donc appelée le chant tyrrhénien. Les Romains d’aujourd’hui conservent cette pratique et lorsque quelqu’un meurt, les tubicines jouent pour convoquer les amis afin qu’ils témoignent qu’il n’est mort ni sous le poison, ni sous le fer374.
201On retrouve donc des arguments déjà évoqués en d’autres circonstances. C’est en raison de leur fonction d’appel, de la puissance de leur sonorité, que les tubae auraient été utilisées en contexte funéraire, .
202Les sources manquent pour vérifier la fiabilité de cet argument étiologique et l’on se voit obligé de supposer que l’habitude de faire résonner les grands aérophones lors des funérailles s’est perpétuée à partir d’un argument pratique. Quoi qu’il en soit, la scène du concert funéraire de Trimalcion témoigne de la puissance sonore que pouvait atteindre un ensemble de cornicines habitués à jouer pour les funérailles : tout le voisinage est réveillé par les cornua sonnés par les entrepreneurs des pompes funèbres375. Les vigiles de la caserne voisine viennent même interrompre la cena, persuadés d’avoir entendus l’alerte à l’incendie…
203On ne trouve pas plus d’argument fondateur dans la littérature pour expliquer la présence des tibicines lors des funérailles. Les tibiae permettaient de soutenir les chants funèbres louant la mémoire du défunt entonnés tout au long du parcours et appelés les neniae376. Comme pour les aérophones, les arguments expliquant la présence des tibiae lors des funérailles font appel à des réalités qui ne relèvent pas du domaine du religieux. Les tibiae sont utilisés pour soutenir un chant, comme au théâtre.
204Selon G. Wille, il ne faut toutefois pas oublier l’aspect « magique » des sonorités. Tous ces instruments à vent auraient eu pour vertu, avant toute chose, de faire un grand vacarme, éloignant ainsi les démons de l’âme du défunt. Cette prophylaxie sonore permettait à l’âme du disparu de rejoindre sans encombre sa dernière demeure377. Une fois achevés les rites funéraires et donc disparus les musiciens de la pompa, le relais était pris par les tintinnabula, petits instruments à percussions, grelots en bronze, que le souffle du vent faisait sonner et s’agiter, créant ainsi un environnement sonore perpétuel378.
205Faut-il alors penser que les instruments servant lors des funérailles étaient particuliers ? Avaient-ils des propriétés propres renforçant leur caractère magique ? Au contraire, étaient-ce les mélodies qui leur conféraient leur efficacité opératoire ? Une définition donnée par Festus pourrait laisser penser à une nature spéciale de ces instruments des funérailles : « on appelle tibiae funèbres celles dont on se sert pour jouer lors des funérailles et dont on pense qu’il est illicite pour les flamines de les entendre379 ». Il me semble toutefois que cette définition traite autant des flamines que des instruments de musique. Elle est à mettre en rapport avec les interdits religieux entourant la personne du flamine, et notamment du flamen dialis, à qui il est interdit de croiser la mort380. La tibia, en tant que participante de la procession funéraire, prend en elle une partie de la souillure de la mort. Elle en est l’incarnation sonore. Mais la définition de Festus ne permet pas de savoir précisément de quel instrument il s’agissait. Il est possible qu’un passage de Stace éclaire ce problème : l’auteur utilise dans le contexte funéraire le terme de tibia recourbée, périphrase transparente pour désigner la tibia bérécynthienne381. Le poète précise par ailleurs que la tonalité dans laquelle elle était jouée dépendait de la nature des funérailles : les funérailles d’enfants étaient ainsi accompagnées de mélodies jouées en mode phrygien.
206Il est cependant difficile de tirer une conclusion ferme de ces citations. Si elles tendaient à laisser penser que certains instruments étaient utilisés avant tout pour les funérailles, deux arguments incitent à la prudence. D’une part, la nature poétique du texte de Stace, qui a pu sacrifier la précision du lexique sur l’autel de la rythmique. D’autre part, le fait que les nombreuses attestations littéraires de la tibia bérécynthienne sont loin de converger unanimement vers une utilisation dans le cadre des funérailles382. Toute réponse à l’interrogation initiale ne peut donc être que mesurée.
207La même question peut être posée pour les grands aérophones, que le compte rendu épigraphique des jeux séculaires augustéens associe aux rites funéraires383. Y avait-il des trompes dédiées aux funérailles ? La « tuba funèbre » mentionnée par Properce relève très clairement du jeu littéraire et il n’est pas question de fonder sur elle une quelconque démonstration. Le poète oppose la tibia du mariage à la tuba des funérailles en un chiasme limpide384. En revanche, un texte d’Aulu Gelle mérite une place à part dans ce raisonnement. Il y est question de la nature du mot siticinum :
Que signifie le mot siticinum dans un discours de Caton ?
Siticines est écrit dans un discours de Marcus Caton qui s’intitule : Qu’il n’y ait pas de pouvoir suprême pour l’ancien quand le nouveau est venu. “Siticines, dit-il, et liticines et tubicines”. Mais Caesellius Vindex, dans Les notes sur des lectures anciennes, dit qu’il sait bien que les liticines jouent du lituus et les tubicines de la tuba ; quant à ce dont les siticines jouent, en homme d’une franchise naïve, il affirme qu’il ne le sait pas. Mais nous, nous avons trouvé, dans les Coniectanea d’Ateius Capito, qu’on appelait siticines ceux qui jouaient près des sitos, c’est-à-dire, ceux qui ont fini leur vie et sont ensevelis, et qui avaient un genre de trompe qui leur était propre, dont ils jouaient, différent de celui des autres joueurs de trompe385.
208Le passage est très clair et devrait donc conduire à rajouter parmi les aenatores une nouvelle catégorie de musiciens, les siticines, jouant sur un instrument au nom inconnu, appartenant à la famille des trompes386. Ces musiciens auraient eu pour spécialité de jouer près des tombes d’un instrument réservé à cet usage387.
209Quelques remarques incitent pourtant à la retenue. La première concerne la manière dont la connaissance de cette réalité nous est parvenue. Aulu Gelle ne connaissait pas ce terme, pas plus que le grammairien Caesellius Vindex. Il fallut avoir recours à un texte du juriste augusto-tibérien Gaius Ateius Capito pour que ce mot trouve un sens. Le minimum que l’on puisse en conclure est donc qu’au IIe siècle de notre ère, époque de la rédaction des Nuits Attiques et de la controverse entre Caesellius Vindex et Aulu Gelle, le siticen et son instrument ne faisaient pas partie du paysage sonore quotidien des Romains, bien au contraire. Cette remarque n’est pas sans surprendre puisqu’elle touche, avec les rites funéraires, une réalité pour le moins commune et fréquente.
210Par ailleurs le terme siticen n’a, à ma connaissance, laissé aucune trace épigraphique. Aucun musicien ne se considérait donc comme un siticen. Enfin, que dire d’une éventuelle représentation figurée de cet instrument dont Aulu Gelle nous précise simplement qu’il appartenait à la famille de la tuba (proprium genus tubae (…) a ceterorum tubicinum differens) ? Aucun document n’a livré de représentation de cet instrument voué aux rites funéraires, sauf à considérer que le musicien sculpté en tête du registre supérieur du relief d’Amiterne ne soit un siticen. En effet, l’identification de son instrument est moins évidente que pour les joueurs de cornu qui le suivent. L’objet est long, droit jusqu’à son pavillon, où il se recourbe à 120 degrés. Si l’on arrête là la description, il peut sans grand problème être identifié comme un lituus. Cependant la position du musicien qui le manipule est moins conventionnelle. Il est représenté de face, soufflant de côté dans son instrument, comme dans une flûte traversière contemporaine. Cette position diffère de celle adoptée pour la représentation des tubicines ou des rares liticines que l’on connaisse. Ces derniers sont représentés de profil, soufflant directement dans l’embouchure de leur long instrument.
211Y a-t-il matière à interpréter ce relief comme la seule représentation d’un siticen, appuyant ainsi les dires d’Aulu Gelle ? Une telle hypothèse paraît trop risquée. Il me semble bien plus probable de voir dans la position originale de ce joueur de trompe un problème technique rencontré par le sculpteur. Il convient en effet de remarquer que les deux premiers musiciens de la pompa, le premier de chaque registre, ne sont pas représentés de profil mais de face. Tous deux ont un pied dans le sens de la marche et l’autre face au spectateur, dans un entre-deux peu confortable mais efficace pour signifier le mouvement de leur corps. Sans conséquence pour le tibicen, dont le sculpteur pouvait faire figurer sans problème l’instrument de petite taille en superposition sur le corps de son musicien, cette position rendait délicate la figuration de la trompe, qui ne pouvait être représentée de face. Ainsi le sculpteur s’est-il retrouvé avec une représentation maladroite de la réalité – l’instrument dans un sens, la bouche du musicien dans un autre –, mais sans que cela ne corresponde à une réalité instrumentale. C’est pourquoi je ne pense pas que l’on puisse conclure de la maladresse du sculpteur de la pompa funebris d’Amiterne à la représentation d’un siticen, instrumentiste qui reste profondément méconnu.
212Que conclure ? Il ne s’agit pas de remettre en cause la parole d’Ateius Capito, transmise par Aulu Gelle. Il est possible que le siticen ait joué d’un instrument spécial lors des rites funéraires à une période haute de la République romaine. Cependant, le moins que l’on puisse dire est que dès la fin de la République, et a fortiori au Haut-Empire, cet instrument était tombé dans l’ignorance la plus complète, des intellectuels mêmes. On peut donc en déduire qu’il n’était plus utilisé depuis un temps assez long et que les aérophones servant lors des rites funéraires étaient ceux que l’on rencontrait par ailleurs lors des autres rituels civiques romains.
4. Les instruments de la mémoire culturelle
213On pourrait se contenter, au terme de ce parcours dans les rites civiques de l’Occident romain, de constater l’importance des performances musicales et d’insister sur la nécessité de prendre en compte les perceptions auditives dans nos efforts de compréhension des sociétés passées. Ce serait néanmoins renoncer aux objectifs fixés à ce chapitre, tandis que trois pistes semblent mériter d’être creusées en ce sens.
4.1. Instruments des dieux, instruments des hommes
214Les différences entre les instruments de musique ont été cruciales dans l’approche retenue. Acoustiquement une tuba n’est pas une lyre, certes, mais on peut aller plus loin en constatant que le contexte rituel dans lequel chaque instrument était appelé à participer à la vie collective avait des conséquences sur la valeur que les Romains lui accordaient. En d’autres termes, certains instruments incarnaient davantage les sons de la cité aux oreilles des Romains. Le faible nombre de témoignages les plaçant en situation de service civique joue à l’évidence en défaveur des cordophones. Joueurs de lyres et de cithares participaient à certains des rituels civiques que nous avons envisagés (processions triomphales, pompa des jeux), mais ils ne sont pas attestés avec une grande fréquence. La raison évoquée par C. Vendries pour expliquer cette rareté est leur origine grecque, qui n’aurait pas été cohérente avec l’origine étrusco-romaine de la procession388.
215Au contraire les tibiae contribuaient à tous les rituels civiques considérés : triomphe, jeux, funérailles. Néanmoins, on peut se demander quelle réalité acoustique avait leur participation. Face au déchaînement des grands aérophones, tel qu’on l’a rencontré dans la description du cortège funéraire de Claude, comment pouvait se distinguer le son de la tibia ? Dans le cas du cortège triomphal, Censorin ne mentionne qu’un seul tibicen, qui précéderait le char du général : cum tibicine triomphus ageretur389. Le relief Medinaceli en représente deux. Avaient-ils une réelle utilité sonore tandis que le bruit qu’ils émettaient devait être noyé soit par le son des aenatores ouvrant le cortège, soit, s’ils en étaient suffisamment isolés, par les applaudissements et les vivats de la foule enthousiaste à la vue du général triomphant ? Il y a fort à parier que les citoyens amassés sur les bords du cortège n’entendaient pas une seule des notes jouées par le tibicen. La raison de sa présence n’était donc pas pragmatique et musicale. Peut-être le tibicen n’adressait-il même pas ses mélodies aux spectateurs. Quel sens, en effet, y aurait-il eu à donner aux citoyens assistant à la pompa la vision d’un musicien jouant sans son ? Pourtant, si le musicien ne jouait pas pour les hommes, pour qui jouait-il ? La reprise dans son ensemble du chapitre de Censorin, consacré à un éloge de la musique et de ses vertus, donne une clé de lecture :
Si en effet [la musique] n’était pas agréable aux dieux immortels, qui sont constitués par des âmes divines, des jeux scéniques n’auraient pas été institués pour apaiser ces dieux, on n’aurait pas employé un tibicen pour accompagner toutes les actions de grâce dans les sanctuaires sacrés, on ne célébrerait pas le triomphe en l’honneur de Mars avec le concours d’un tibicen (…)390 .
216Le tibicen du cortège triomphal n’est pas là, selon Censorin, pour satisfaire le peuple ni même réjouir le triomphateur : il doit plaire aux dieux. On retrouve dans ce cas la dimension de porteur de sacré par laquelle les tibicines se distinguaient dans le cadre des rites religieux391. Le tibicen était l’instrumentiste des sacra, celui sans qui le rite sacrificiel ne pouvait se dérouler efficacement. Ainsi, les mélodies qu’il jouait lors de cérémonies telles que le triomphe étaient-elles peut-être adressées non aux hommes mais aux dieux, confirmant la connotation religieuse de l’instrument « tibia ».
217Par opposition à cette signification religieuse de la tibia, les grands aérophones apparaissent comme les instruments civiques par excellence. Ils sont ceux que les sources attestent le plus fréquemment, en toute situation, dans les rituels civiques. La littérature comme l’iconographie insistent sur leur nombre et l’importance de leur présence dans l’exécution des sentences capitales, la célébration du triomphe, la pompa du cirque et les processions funéraires.
218Il semble difficile d’être plus précis dans la mise en relation de chaque instrument avec un rite particulier. Si nous avons vu que le cornicen était l’instrument de la pratique institutionnelle, dès lors que l’on quitte ce cadre pour entrer dans les rituels civiques non institutionnels, il est délicat de distinguer un niveau de spécialisation plus important. Les tubae étaient les plus sollicitées lors du triomphe et des processions funéraires. Cependant les cornua n’en étaient pas absentes et il faut se méfier, dans les sources littéraires, d’un terme aussi générique que celui de tuba qui peut tout aussi bien désigner précisément la « tuba » que tout instrument formé à partir d’un tube de métal. À ces deux instruments est adjoint le lituus, de manière plus rare et ponctuelle, mais finalement assez régulière.
219Ces instruments servaient dans la totalité des rites civiques et non, contrairement à ce que l’a affirmé G. Wille, uniquement dans le cadre des processions funéraires392. Aucun document ne permet d’affirmer que les collèges professionnels d’aenatores qui sont attestés essentiellement en Italie centrale avaient pour unique raison d’être la participation aux rituels funéraires393. Un bilan de l’utilisation des aenatores dans un contexte civil prouve au contraire l’amplitude du cadre dans lequel ils pouvaient être amenés à souffler pour la cité. Les grands aérophones sont donc les instruments qui sont le plus chargés en connotations civiques. Si la tibia était l’instrument des dieux, le cornu et la tuba étaient assurément ceux des hommes et même plus des citoyens.
220Les récits d’origine de ces instruments confirment cette hypothèse. La tibia a une origine divine : inventée par Athéna/Minerve, elle fut par la suite rejetée par la déesse, à qui son visage déformé était brutalement apparu au détour d’une flaque d’eau pendant qu’elle en jouait. Au contraire, les instruments à vent en bronze n’ont pas d’origine divine394. J. Ziolkowski s’en est étonné : pourquoi des instruments qui tenaient un rôle important dans la cité n’avaient-ils pas reçu de mythes de création, à l’image d’autres instruments, comme la tibia ou les instruments à cordes395 ? Sa réponse est la suivante : ces instruments ont souffert de leur utilisation militaire, de leur association aux funérailles ainsi que du mépris de la société romaine envers « le genre de personnes qui en jouaient », soit, selon lui, des citoyens des basses classes et des étrangers396. L’absence de récit d’invention mythique serait ainsi une sorte de sanction vis-à-vis de ces instruments en raison de leur utilisation humaine, trop humaine.
221L’interprétation peut toutefois être renversée. Si les tubae et cornua n’ont pas d’ascendance divine, c’est peut-être par ce qu’il s’agit par définition des instruments de la cité. Leur origine humaine n’est en rien une punition mais une affirmation de leur essence civique : ce sont des instruments inventés par des citoyens pour le service de la cité. Si l’on reprend le texte du fabuliste Hygin sur l’invention de la tuba et du cornu, précédemment cité, on y lit que la tuba a été inventée afin de garantir que la cité s’était débarrassée de l’un de ses maux antithétiques, le cannibalisme397. Les premiers coups de tuba annonçaient la mort d’un homme afin que les autres puissent venir constater qu’on lui donnait une sépulture et qu’on ne le dévorait pas. La tuba est donc présentée dans ce texte comme l’un des premiers instruments inventés après la fondation de la cité, communauté civilisée débarrassée de la barbarie anthropophage. La tuba est non seulement humaine, mais civique par essence. Quant au cornu, si l’on accepte la lecture du même texte précédemment proposée, son origine réside elle aussi dans le service de la cité puisqu’on l’a inventé afin de sonner le classicum398. Tuba et cornu étaient des instruments civiques par essence. Leurs sonorités représentaient la communauté humaine et tant que groupement politique.
222On peut relire à l’aune de cette grille d’interprétation certains des grands rites de la vie civique romaine. Les jeux séculaires, célébrés par Auguste en 17 a.C., Domitien en 88 p.C. puis Septime Sévère en 204 appartiennent à ces rites exceptionnels à tous niveaux399. La rareté de leur célébration les rend extraordinaires : ils ont lieu tous les 110 ans après la redéfinition augustéenne, soit un laps de temps assez long pour qu’en théorie aucun Romain ne puisse les voir deux fois dans sa vie400. La découverte sur le champ de Mars des comptes rendus épigraphiques rédigés sur ordre des quindecemuiri en fait un des rites les mieux documentés401. Ces inscriptions viennent compléter les sources littéraires et notamment le fameux carmen saeculare rédigé par Horace pour la célébration des jeux augustéens.
223La nouvelle forme donnée par Auguste à ces jeux très particuliers insiste sur leur dimension générationnelle. Ils étaient célébrés afin de régénérer la cité, de lui permettre de se relancer dans un nouveau siècle sous les auspices nécessaires de la pax deorum. Ils constituaient donc un moment où la cité renouvelait son contrat avec les dieux, mais aussi où les hommes entre eux exprimaient leur souhait de vivre ensemble en bonne intelligence pour les années à venir. L’organisation des jeux augustéens, avec le rôle accordé aux matrones, mais surtout avec la participation au chant séculaire du chœur de 27 jeunes hommes et 27 jeunes vierges, encore patrimi et matrimi, est le signe le plus manifeste de ce renouveau générationnel. Le texte sévérien explicite la composition de ce chœur. Les jeunes hommes représentent un abrégé hiérarchisé de la société : l’essentiel des choristes était pris parmi les meilleures maisons de la capitale, l’avant dernier des garçons était un chevalier et le dernier un simple ingénu, incarnation de la plèbe libre.
224Le reste de la population n’est pas mentionné par les commentarii des jeux. Pourtant la totalité de la cité était appelée à participer ; il faut deviner le peuple entre les lignes de l’inscription, comme dans le rallongement de la durée de distribution des suffimenta, passée de un à trois jours, ce qui correspondait certainement à une demande populaire de participation aux rites, de la part des habitants de la Ville mais aussi de citoyens résidant hors de Rome, initialement sous-estimée par les quindecemuiri de l’époque augustéenne402. Un tel élément suppose une vaste participation populaire en amont et l’on n’a pas de raison de supposer que les citoyens de Rome ne furent pas au rendez-vous lors de la célébration en elle-même, durant les trois jours que durèrent les rites. Outre le fait d’assister aux jeux théâtraux diurnes et nocturnes, les Romains durent se trouver en masse sur les abords des cortèges qui sillonnèrent la Ville.
225Quelle fut la part des musiciens lors des jeux séculaires ? Si l’on suppose que les jeux de 204 ont assez largement suivi le modèle des jeux augustéens, il est possible de reconstituer à partir de l’inscription sévérienne un processus rituel type dans lequel des musiciens intervinrent de manière certaine à trois reprises. La première a déjà été évoquée : il s’agit de l’appel à la participation des citoyens aux cérémonies du 30 mai, appel sonné par les aenatores403. On trouve par la suite des musiciens lors de la première prestation du carmen, sur le Palatin. Le chœur des jeunes gens est accompagné par des joueurs de tibia et, semble-t-il, des joueurs de lyre404. Seuls les premiers sont assurés par l’inscription sévérienne : la pierre est brisée avant et après leur mention. Cependant l’intégration proposée par G. Pighi fait sens et elle n’a pas été contestée : il semble difficile d’adresser un chant à Apollon sans inclure dans l’accompagnement musical la lyre, son instrument tutélaire. Il est fort probable que cet ensemble tibicines/ fidicines, les symphoniaci, était à nouveau à l’œuvre lors de la répétition de la prestation sur le Capitole, quelques heures plus tard. Enfin on trouve une dernière mention de musiciens dans la description de la pompa qui permettait le transfert des acteurs du chant et des rites entre les deux collines, du Palatin au Capitole. C’est à ce moment qu’il faut supposer la présence massive de la population romaine sur les abords de la uia sacra : [adstante et i]ntercede[nte popul]o. Ils pouvaient alors écouter les mélodies des tibicines, fidicines, mais aussi joueurs de grands aérophones (cornicines, aeneatores et tubicines selon l’ordre de l’inscription)405. Outre ces trois temps, les monnaies de la frappe de Domitien rappellent que les tibicines et des fidicines jouèrent lors des sacrifices406. Enfin, les interstices du rite doivent aussi être comblés par des interventions musicales. Comme toutes les autres cérémonies de la religion romaine, les processions conduisant aux espaces du sacrifice ou aux représentations théâtrales se firent certainement, même si les sources n’en font pas état, aux sons des instruments de musique. Aussi longtemps que durèrent les jeux séculaires, la Ville résonna donc des sons de la religion publique.
226Comment interpréter la répartition des instruments au cours des différentes étapes des jeux séculaires ? Aux tibicines et fidicines reviennent les parties du rituel les plus directement en rapport avec les divinités : ils accompagnent le carmen saeculare qui leur est adressé, ils participent à la réalisation parfaite des sacrifices. Les grands aérophones, eux, n’interviennent que dans la pompa, soit dans la séquence permettant la participation de la plus grande partie de la population, de la masse des citoyens.
227Pourquoi avoir fait appel à eux, alors que les quindecemuiri auraient très bien pu se contenter d’inclure dans la procession reliant les deux collines les seuls musiciens qui venaient de réaliser le carmen et s’apprêtaient à rejouer ? On doit lire dans cette intervention des aenatores la volonté d’exprimer la dimension profondément civique de ces rituels. Il s’agissait d’une prière adressée à Apollon, Diane, Junon, Jupiter, par les citoyens de la ville de Rome, que représentaient, acoustiquement parlant, les aenatores. L’inclusion de ces instrumentistes dans la partie processionnaire des jeux séculaires revenait donc à insister sur les fondements civiques de ce rite exceptionnel.
4.2. La réception des sons : sonorités civiques et mémoire culturelle
228Un des intérêts du commentaire des jeux séculaires sévériens est de faire apparaître clairement les auditeurs des sonorités. En effet pour que la musique puisse être intégrée dans la mémoire culturelle des habitants de l’Occident romain, encore faut-il pouvoir prouver qu’elle était perçue, et par qui. Le populus que mentionne l’inscription sévérienne est l’audience des rites civiques, celle dont les oreilles étaient emplies par les sons des trompes. C’est ce même peuple des citoyens à qui s’adressaient les sons du cornicen chargé de jouer le classicum pour rassembler les comices centuriates au terme d’un procès de perduellio407. Les sons des rites civiques ne faisaient pas de distinction sociale ou juridique entre leurs destinataires. Les instruments par lesquels ils étaient transmis avaient été justement choisis pour leur grande portée acoustique, de manière à toucher le maximum d’auditeurs. Ce faisant, ils contribuaient de facto à la création de ce que le spécialiste des médias et de l’acoustique B. Truax a appelé une « communauté acoustique », c’est-à-dire un ensemble humain partageant la connaissance de signaux sonores et des informations qu’ils apportent408.
229Il n’est pas anodin de constater que nombre des situations de service civique dans lesquelles les musiciens ont été observés correspondent à des processions. Que ce soit pour célébrer le triomphe d’un général victorieux, amener les athlètes sur le sable de l’arène ou conduire un défunt dans son espace funéraire, les musiciens participaient à une pompa. La signification du rite processionnaire en lui-même n’est toutefois pas l’objet de notre recherche. Notre questionnement doit être le suivant : qu’apportaient les musiciens dans ces cérémonies particulièrement ?
230Pour ce qui concerne la construction d’une communauté acoustique et l’ancrage des sonorités dans la mémoire culturelle, les processions peuvent être interprétées comme des rites d’inclusion. Les musiciens étaient les agents principaux de cette fonction inclusive. La puissance de leurs sonorités rendait publique l’existence de la pompa et permettait aux citoyens de venir communier avec le reste de la cité lors de cet intense moment de vie collective. Les musiciens ouvraient le cortège, pour autant que l’on ait pu déterminer leur place dans les différents exemples envisagés, car ils appelaient le reste des citoyens par les sons qu’ils émettaient. Ce faisant, ils se trouvaient investis d’une dimension d’ouverture du temps de la procession. Ils impliquaient les citoyens dans l’expérience processionnaire, un temps de représentation, de mise en scène de la cité, durant lequel chaque citoyen était appelé à jouer un rôle défini, acteur ou spectateur. Ainsi les musiciens participaient à la théâtralisation de la cité, à sa définition en tant qu’espace de représentation dans lequel les rues et les monuments étaient transformés en cadre du fonctionnement social409.
231Le grand nombre de musiciens jouant dans le cadre des processions les plus importantes, comme la pompa triumphalis ou les processions des jeux de grande envergure, tels les ludi Romani, avait une fonction de stimulation des spectateurs. En effet, entre la quantité nécessairement limitée de musiciens représentés sur les reliefs, où les quelques personnages sculptés valent pour la totalité de l’ensemble instrumental, et les exagérations numériques de certains auteurs comme Appien, il faut imaginer des ensembles de grande taille. Regarder passer une pompa revenait donc à participer à une expérience sensorielle intense, potentiellement la plus puissante qu’un homme de l’antiquité pouvait jamais éprouver410. Les sons produits par les instruments de la pompa étaient pour beaucoup dans le processus d’adhésion à l’événement, n’était-ce que par l’effet physique qu’ils devaient imposer aux spectateurs411. Ceux-ci étaient impliqués dans l’accomplissement de l’événement par l’étourdissante puissance sonore du défilé412.
232Le parcours des processions à travers le maillage urbain était variable, chacune répondant à un itinéraire cohérent adapté à chaque événement413. Si certaines portions de la cité étaient plus régulièrement parcourues – on pense au premier chef à la uia sacra, qui accueillait notamment la partie finale des pompae triumphalis – l’ensemble de la topographie romaine était concernée, amenant ainsi les sons des rituels civiques au plus profond de la cité. La combinaison de la puissance acoustique des instruments avec la variété géographique des tracés assure que les sons joués lors des rites civiques atteignaient une large part de la population de la cité.
233L’importance des processions dans les rituels civiques n’a pas disparu avec la fin de l’antiquité. À la suite de J. Huizinga, P. Arnade a par exemple traqué leur importance dans la ville de Gand à la fin du Moyen Âge414. Dans son étude sur les rituels civiques animant la Venise renaissante, E. Muir a relevé l’importance de ces parcours urbains, particulièrement périlleux dans la cité des Doges415. Malgré la difficulté des déplacements terrestres, Venise méritait, selon l’auteur, le nom de République des processions416. L’acmé du sentiment d’appartenance à la communauté vénitienne avait lieu lors de la procession ducale annuelle, durant laquelle la cité en ordre « immuable » se déplaçait dans le tissu urbain. Un tel événement ne se déroulait pas en silence : immédiatement après les hérauts se trouvaient des joueurs de trompe, tubae argenteae selon la représentation qu’en donnent les sources vénitiennes. Les ambassadeurs reçus par le doge les suivaient, puis les chevaliers de ces derniers. Venait ensuite un nouveau groupe de musiciens, composé de sacqueboutes et de cornets. Les étrangers à la cité, qu’il fallait impressionner, étaient donc encerclés de part et d’autre par des sonorités des musiciens de la cité.
234De cette incursion dans l’histoire de la Sérénissime ressortent quelques constantes dans les stratégies de réinvestissement de l’espace civique et de réaffirmation du « vouloir vivre ensemble » de la cité. La procession, avec son parcours urbain permettant la participation d’un nombre de citoyens bien plus important que toute manifestation fixe dans l’espace, relie entre eux les habitants autour d’un événement commun. Les musiciens participent à sa diffusion : le son de leurs instruments porte par delà la limite visuelle, nécessairement restreinte à quelques dizaines de mètres en contexte urbain. Non seulement ils le diffusent, mais ils le créent aussi, en construisant un environnement sonore propre à l’étourdissement ou, du moins, à une participation sensorielle totale.
235Un critère supplémentaire garantissant que les sons des rites civiques faisaient partie de la mémoire culturelle des habitants des cités d’Occident est leur répétition. Des rites épisodiques comme le triomphe devaient être extrêmement marquants car ils rassemblaient un grand nombre de participants et relevaient d’une mise en scène intentionnelle. Cependant ils étaient rares et ne pouvaient marquer les spectateurs que ponctuellement. Des rites peut-être moins spectaculaires revenaient en revanche beaucoup plus régulièrement dans la vie des cités, ce qui leur garantissait une insertion plus efficace dans la mémoire culturelle romaine. On peut alors penser aux sacrifices de la religion publique, qui devaient être le type de rite dont les sonorités étaient les plus familières aux oreilles des Romains, étant donné l’importance de leur itération. L’organisation scrupuleuse du calendrier de la religion romaine, dont témoignent les fastes retrouvés en diverses cités de l’empire, permettait une performance répétée de la musique des sacrifices. À ces dates fixes se rajoutaient les sacrifices extraordinaires suscités par les évènements nécessitant ponctuellement une communication avec les divinités (victoire militaire, catastrophe naturelle, naissance, mariage, etc.). La musique des sacrifices s’ancrait ainsi par la répétition dans la culture acoustique des habitants de la cité, garantie par la permanence des rituels. Chacune des itérations était l’occasion de réactualiser cette culture et d’en faire une de ces connaissances communes à l’ensemble des habitants. Les modalités concrètes de ces performances musicales n’étaient pas pour rien dans la diffusion de leur connaissance. Ainsi, les sources iconographiques et numismatiques situent préférentiellement en plein air, devant les temples, la localisation physique de ces rites, ce qui devait favoriser la dispersion du son dans l’espace urbain et toucher un plus grand nombre d’auditeurs. Par ailleurs, la même logique de dispersion géographique est à l’œuvre avec les sacrifices qu’avec les processions. En effet, les sacrifices ne se concentraient pas en un point unique de la Cité : les abords du temple de Jupiter Capitolin étaient aussi concernés que les sanctuaires du Champ de Mars. Au fil de l’année c’est donc l’ensemble de la topographie urbaine qui était appelée à résonner des sonorités émises au cours des sacrifices, rappelant régulièrement leur connaissance aux oreilles des riverains.
236Il faut créditer Auguste d’avoir porté à son maximum la capillarité et la régularité de ces modes de diffusion suite à la réorganisation de la cité en quatorze regiones et environ 265 uici en 7 a.C.417. Cette réforme de l’organisation urbaine fut l’occasion pour le premier Princeps de remettre au goût du jour des cultes de quartier tombés en déshérence depuis des décennies, qui honoraient les divinités des carrefours (Lares compitalices)418. À ces divinités anciennes, Auguste ajouta le culte de son propre génie, le genius Augusti, posant les prolégomènes du culte impérial dans le cadre de réunions populaires. La responsabilité des sacrifices annuels qui étaient réalisés lors de ces cultes de quartier, particulièrement lors des compitalia, une fête de trois jours autour du solstice d’hiver, était donnée à des individus, probablement au nombre de quatre, appelés uicomagistri, dont on ne sait s’ils étaient élus au niveau local ou désignés par les autorités. L’importance de cette innovation est bien connue ; du point de vue de ce qui nous occupe ici, ses conséquences furent d’aller encore plus avant dans la diffusion profonde des sonorités du pouvoir au sein du tissu urbain. Les autels figurés qui nous sont parvenus attestent en effet sans ambiguïté la présence des tibicines lors des sacrifices qui étaient alors réalisés en l’honneur du génie de l’empereur par les responsables des quartiers419. Ces cérémonies se déroulaient au croisement des rues, au cœur de l’espace de vie quotidienne des habitants de la cité420. Par ailleurs, le grand relief historique découvert sous la Chancellerie permet d’associer des tubicines aux tibicines des sacrifices dans le cadre de ces rites des carrefours421. On y voit une scène de procession des uicomagistri tenant en main des statuettes à l’effigie des Lares compitales et du Genius Augusti. Trois tubicines en train de souffler dans leur instrument se découpent en arrière-plan. Tous les ans, chaque cellule urbaine de l’Urbs résonnait donc simultanément au son de la musique du pouvoir, imposant à tous les citoyens un substrat de culture acoustique commune422.
4.3. Le classicum, un repère culturel acoustique
237Il faut, pour la dernière fois, revenir sur le classicum, réalité musicale exceptionnelle dont le nom a traversé les âges. Malgré les différences dans les instrumentistes qui y étaient préposés (bucinatores et ensemble de trompes dans le cadre militaire, cornicines dans la vie de la cité), tout porte à croire que le classicum était une seule séquence musicale, qu’elle soit jouée dans les camps ou entre les murs de la cité. À l’image du citoyen-soldat de l’époque républicaine, le classicum était une entité bifrons, à la fois civile et militaire. En ce sens on ne doit pas s’étonner du fait que son nom ait été préservé : le classicum était un objet unique dès l’Antiquité.
238Dans ces conditions, faire de cette sonnerie un repère acoustique de la mémoire culturelle romaine ne paraît pas relever de l’effet de sources, particulièrement pour la période républicaine. En effet, avant la réforme marienne, quand les citoyens étaient nécessairement appelés à servir sous les enseignes des légions, le classicum était pour eux une sonnerie récurrente. Entendue dans les camps lorsqu’elle était requise par la présence d’un magistrat à imperium, elle accompagnait le citoyen à son retour dans la cité lors de la vie rituelle des institutions. Elle était donc la sonorité civique par excellence, que reconnaissaient sans hésiter tous les citoyens.
239Cette insertion dans le temps long de la tradition militaire et civique explique pourquoi quand, à l’époque impériale, le contexte fut radicalement transformé, avec des armées professionnalisées et des comices centuriates dont les avis n’étaient plus demandés, le classicum continua à être joué, ainsi qu’en attestent notamment les Sénèque. Le classicum faisait alors partie de cette tradition sur laquelle la cité fondait sa continuité. Il était un repère dans la mémoire culturelle des citoyens qui se transmettait par répétition de génération en génération, sans perte de sens.
* ***
240William Wyler, Ridley Scott et Tinto Brass seraient-ils de bons historiens de l’Antiquité ? Leurs films vibrent des sonorités des grandes trompes comme, semble-t-il, l’air des cités romaines. Les musiciens participaient aux grands rituels civiques, temps forts de la vie institutionnelle, triomphes, jeux, funérailles, qui rythmaient la vie de ces communautés. Certains de ces instrumentistes occupaient une place à part dans ces cérémonies. Les cornicines, tubicines et autres aenatores plus que tout autres produisaient les sons de la cité, au point d’en devenir des symboles.
241Ils devaient certainement en partie cette position à la nature de leurs instruments. Leur puissance sonore les désignait très concrètement dès lors qu’il s’agissait de toucher le plus grand nombre : appel aux rassemblements, à la participation, aux jeux, déclaration d’ouverture et de clôture de cérémonies à la temporalité limitée, etc. Cette même puissance sonore, démultipliée par la constitution de grands ensembles instrumentaux, faisait d’eux les acteurs de l’économie dramatique de la vie urbaine. Dès lors que la rue se transformait en espace de représentation, on trouvait ces musiciens s’employant à souligner l’importance de l’instant comme lorsqu’ils signifiaient au gladiateur vainqueur qu’il devait achever le vaincu, suscitant l’enthousiasme et l’adhésion par une excitation des sens proche de la transe.
242Pourtant les a priori de M. Degani ne seraient pas dépassés si l’on se contentait de cette lecture sensuelle et pragmatique. En quittant le jugement esthétique pour celui de la pratique, musicale comme rituelle, la réflexion change de portée. Peu importe le contenu des mélodies jouées par ces musiciens, que le classicum se soit joué « taratantara » ou « tarataratarata ». En revanche, l’analyse de leur condition d’exécution permet de révéler combien ces airs pouvaient s’ancrer dans la mémoire des habitants des cités de l’Occident romain, et de Rome au premier chef où ils étaient encore plus souvent joués. Ce faisant ces sonorités participaient à la constitution d’un savoir et d’une culture partagée, fondement d’une identité collective et civique423.
Notes de bas de page
1 Martin 2003, p. 74.
2 On peut s’amuser à traquer les musiciens dans les nombreuses images de films reproduites dans Martin 2003 et surtout dans le très riche Dumont 2009. Voir en dernier lieu Vendries 2015.
3 On pourrait voir en Degani 1939 un prototype de cette historiographie musicale profondément romanophobe parce qu’éminemment philhellène. Voici les dernières lignes de son ouvrage, par lesquelles il conclut les quelques pages consacrées à la période romaine : « Questo concetto pratico e propagandistico della musica fece si che i Romani la relegassero, anche durante gli splendori derivati della conquista greca, in una sottospecie di divertimento a volte perfino noioso : era nè più nè meno che une riempitivo della vita pubblica e privata. Figuratevi un campo sportivo moderno prima dell’inizio di una partita di calcio, quando una qualche banda cerca di distrarre l’impazienza del pubblico : ebbene sostituite il rettangolo di gioco con una grande piscina, e i giocatori con galere pronte alle battaglie navali, ed avrete così l’esatto concetto a che cosa servisse la musica presso le grandi masse popolari del più vasto impero del mondo ». (Degani 1939, p. 121)
4 Sur la différence entre epics hollywoodiens et péplums européens, voir Martin 2003, p. 7-8. L’appellation « péplum » qui est la plus couramment utilisée en langue française ne correspond, selon l’auteur, qu’à la partie la moins glorieuse de la production cinématographique consacrée à l’Antiquité.
5 Sur la notion de religion civique à Rome et pour un point historiographique voir en dernier lieu Scheid 2013.
6 Bruun 2009. Le même concept est utilisé dans un article tiré du même ouvrage, Pont 2009, sans qu’il ne soit alors défini. La réalité étudiée, les cérémonies d’entrée des gouverneurs dans les villes d’Asie mineure, les acclamations qui s’en suivaient et leur utilisation épigraphique par les communautés en vue de la construction d’un passé commun ne démentent en rien la définition de Chr. Bruun.
7 Je m’approche en cela de la définition donnée par Beard 2007, p. 58 : « What is crucial in distinguishing ritual from nonritual behaviour is the fact that participants themselves think of what they are doing in ritual terms and mark it out as separate from their everyday, nonritual pratice ».
8 Le fondement de la pensée de J. Assmann se trouve dans les travaux de M. Halbwachs qui avait pour sa part développé la notion de « mémoire collective » supposant que toute expérience mémorielle prend place au sein d’un groupe. Seul, un individu n’aurait pas de souvenir. Voir la synthèse dans Assmann 2010, p. 32-43.
9 Ibid., p. 19.
10 Rudhardt 1988, p. 2 sq. sur la valeur du rite pour l’insertion dans une chaîne de garants historiques.
11 Wille 1967.
12 Isidore de Séville, Étymologies, 18, 4 (trad. perso.) : Classica sunt cornua quae conuocandi causa erant facta, et a calando classica dicebantur. De quibus Vergilius (Aen., 7, 637) : “classica iamque sonant”.
13 Virgile, Énéide, 7, 637 : Classica iamque sonant, it bello tessera signum. Il n’y est pas question de rassemblement mais d’un champ de bataille sur lequel sont échangés des signaux sonores, entre autres moyens de communication.
14 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, 2, 8, 4 : Tεκμήριον δὲ τούτου παρέχουσιν, ὅτι τοὺς μὲν πατρικίους, ὁπότε δόξειε τοῖς βασιλεῦσι συγκαλεῖν, οἱ κήρυκες ἐξ ὀνόματός τε καὶ πατρόθεν ἀνηγόρευον, τοὺς δὲ δημοτικοὺς ὑπηρέται τινὲς ἀθρόους κέρασι βοείοις ἐμβυκανῶντες ἐπὶ τὰς ἐκκλησίας συνῆγον.
15 Aulu Gelle, Nuits attiques, 15, 27, 2 (trad. R. Marache, C.U.F., 1989) : Eorum autem alia esse “curiata”, alia “centuriata” ; “curiata” per lictorem curiatum “calari”, id est “conuocari”, “centuriata” per cornicinem.
16 Varron, La langue latine, 5, 91 et 6, 91 : le texte est donné intégralement et discuté infra.
17 Mommsen 19842, t. 6-1, p. 445. Le savant allemand échafaude cette hypothèse à partir de la date des tubilustria, les 23 mars et 23 mai, soit immédiatement avant les jours fixes des comices. Le rapport causal entre les deux événements ne semble pas assuré. Sur le tubilustrium voir infra.
18 Voir infra la différence entre l’appel aux contiones par le praeco et aux comices centuriates par le cornicen dans Varron, La langue latine, 6, 91.
19 Sur les conséquences pour les praecones de cette aliénation de leur organe vocal, voir la démonstration de J.-M. David, éclairant les dispositions de la table d’Héraclée qui écarte les praecones des responsabilités municipales, David 2003. Sur les rapports entre voix et autorités, on se reportera à l’analyse de Poizat 2001, particulièrement le chapitre « Écouter, obéir », p. 114-150.
20 Pour les diverses fonctions des praecones, David 2003, particulièrement p. 85-86. Sur le rôle de convocation des praecones : Tite Live, Histoire romaine, 24, 8,
20 ; Varron, La langue latine, 6, 86-90. Ce passage de Varron, reposant sur des extraits du Registre des censeurs, pose la question du rôle des accensi, qui sont présentés comme des intermédiaires entre les censeurs et les praecones à leur service. Sur les accensi, voir Di Stefano Manzella 1994, même si sa réflexion porte surtout sur le rôle des accensi uelati dans les sacra publica.
21 Varron, La langue latine, 6, 91, cf. infra sur leurs rôles respectifs.
22 Magdelain 1973, p. 406 a insisté sur la nécessité de se détacher de la traduction de perduellio par « haute trahison ». Il est originellement surtout question d’atteinte à la plèbe ; la définition du crime n’allait qu’avec l’accusation. Plus récemment, voir Lovisi 1999, p. 245-263, dont je reprends ici en quelques lignes la démonstration.
23 Tite Live, Histoire romaine, 48, 3, 2.
24 Lovisi 1999, p. 251.
25 Varron, La langue latine, 6, 90-92 (trad. P. Flobert, C.U.F, 1985) : Circum moeros mitti solitus quomodo inliceret populum in eum locum, unde uocare posset ad contionem, non solum ad consules et censores, sed etiam quaestores, commentarium indicat uetus anquisitionis M. Sergiis, Mani filii, quaestoris, qui capitis accusauit Trogum ; in quo sic est : “Auspicio operam des et in templo auspices, tum aut ad praetorem aut ad consulem mittas auspicium petitum. Ad comitiatum praetores uocet ad te et reum de muris uocet praeco ; id imperare oportet. Cornicinem ad priuati ianuam et in Arcem mittas, ubi canat. Collegam roges ut comitia edicat de rostris et argentarii tabernas occludant. Patres censeant exquiras et adesse iubeas ; magistratus censeant exquiras : consules, praetores, tribunosque plebis collegasque tuos et in templo adesse iubeas omnes ; ac cum mittas aduoces“. In eodem commentario anquisitionis ad extremum scriptum caput edicti hoc est : “Item quod attingat qui de censoribus classicum ad comitia centuriata redemptum habent, uti curent eo die quo die comitia erunt, in arce classicus canat tum circumque moeros et ante priuati huiusce T. Quincti Trogi scelerosi ostium canat et ut in Campo cum primo luci adsiet”.
26 Lovisi 1999, p. 293 : le terme de praetores est utilisé au pluriel, ce qui date la rédaction du commentaire postérieurement à l’introduction de la préture pérégrine, en 242 a.C.
27 Mantovani 1994. Festus, p. 34.1 L : Contio significat conuentum, non tamen alium, quam eum qui <a> magistratu uel a sacerdote publico per praeconem conuocatur. Voir aussi Tite Live, Histoire romaine, 1, 59, 7 et 4, 32, 1. Contra : Pina Polo 1989, p. 88, qui élargit aux contiones civiles le cas des contiones militaires.
28 Plutarque, Caius Gracchus, 3, 7 : Kαίτοι πάτριόν ἐστιν ἡμῖν, εἴ τις ἔχων δίκην θανατικὴν μὴ ὑπακούει, τούτου πρὸς τὰς θύρας ἕωθεν ἐλθόντα σαλπιγκτὴν ἀνακαλεῖσθαι τῇ σάλπιγγι, καὶ μὴ πρότερον ἐπιφέρειν ψῆφον αὐτῷ τοὺς δικαστάς.
29 Sur la formule non respondere, bien attestée dans la littérature pour décrire des rapports entre des privés et l’autorité, voir Mantovani 1994, p. 23 et n. 47-49.
30 Varron, La langue latine, 6, 91.
31 Lovisi 1999, p. 255-256. Le fait que Varron signifie que le praeco appelait indifféremment à la contio et aux comices va dans le sens d’une assemblée unique changeant de statut juridique selon le moment de la journée (unde uocare posset ad contionem… ad comitianum praetores uocet). Le passage de la contio aux comices se faisait par la formule « si uobis uidetur, discedite, Quirites », attestée notamment par Tite Live, Histoire romaine, 2, 56, 12.
32 Voir supra, chap. 1, rubrique 1.2.2.2.
33 Pollux, Onomasticon, 4, 88.
34 Pétrone, Satiricon, 78.
35 Varron, La langue latine, 6, 94 (trad. P. Flobert, C.U.F., 1985) : Quare non est dubium quin hoc inlicium sit, cum circum muros itur, ut populus inliciatur ad magistratus conspectum qui uiros uocare potest in eum locum unde uox ad contionem uocantis exaudiri possit ».
36 Sur le cornu comme instrument militaire, voir supra, chap. 1, rubrique 1.1.1.2 et 1.2.2.2.
37 Sur la convocation des comices centuriates sur le Champ de Mars, voir Aulu Gelle, Nuits Attiques, 15, 27, 5 : centuriata autem comitia intra pomerium fieri nefas esse, quia exercitum extra urbem imperari oporteat, intra urbem imperari ius non sit.
38 Pina Polo 1989, p. 199-205 et particulièrement p. 201.
39 Sur le classicum dans le domaine militaire, voir supra chap. 1, rubrique 1.2.1.4.
40 Kunkel 1995 p. 510-531 et plus particulièrement sur ce point p. 523-524.
41 Lovisi 1999, p. 252-253.
42 Sur le Capitole comme dernier refuge pour les Romains, voir l’épisode de la prise de Rome par les Gaulois de Brennus, entre autres Tite Live, Histoire romaine, 5, 39, 43 et 47. Pour l’étymologie de Arx, venant de arcere, repousser, voir Varron, La langue latine, 5, 151.
43 G. Gianelli, « Arx », dans LTUR 1993, 1, p. 127-129.
44 Sur le fait qu’un uexillum soit hissé sur le Capitole au moment de la réunion des comices centuriates, voir Tite Live, Histoire romaine, 39, 15, 10.
45 G. Gianelli, « Arx », dans LTUR 1993, 1, p. 127 ; F. Coarelli, « Auguraculum (Arx) », dans LTUR 1993, 1, p. 142-143. La localisation de l’auguraculum sur l’Arx est entre autres mentionnée par Tite Live, Histoire romaine, 4, 18, 6.
46 C. Lovisi 1999, p. 254. La difficulté d’établir cette partie du texte a toutefois été soulignée par Mantovani 1994, p. 21, n. 37.
47 Varron, La langue latine, 6, 92 : […] classicus canat tum circumque moeros et ante priuati huiusce T. Quincti Trogi scelerosi ostium canat et ut in Campo cum primo luci adsiet.
48 Au musicien revenait aussi la responsabilité de signifier l’ouverture des jeux, voir infra, rubrique 3.2.
49 David 2003, particulièrement p. 86-88.
50 David 2003, p. 91 : « Les musiciens, les licteurs et lui jouaient sans doute là un rôle comparable en créant autour du corps une frontière symbolique qui lui permettait de circuler dans la cité ».
51 Cette dimension sera étudiée dans le présent chapitre, rubrique 3.2. On se contentera pour l’instant de ce passage de Sénèque, Lettres, 78, 16 : Nos quoque euincamus omnia, quorum praemium non corona nec palma est nec tubicen praedicationi nominis nostri silentium faciens sed uirtus et firmitas animi et pax in ceterum parta, si semel in aliquo certamine debellata fortuna est.
52 Voir la recension qu’en fait Hinard 1984, p. 115-116, incluant les exécutions liées aux proscriptions syllaniennes, réalisées, selon l’auteur, dans le strict respect rituel de la légalité républicaine.
53 Cicéron, Pour Rabirius, 4, 11 : Quam ob rem uter nostrum tandem, Labiene, popularis est, tune qui ciuibus Romanis in contione ipsa carnificem, qui uincla adhiberi putas oportere, qui in campo Martio comitiis centuriatis, auspicato in loco, crucem ad ciuium supplicium defigi et constitui iubes, an ego, qui funestari contionem contagione carnificis ueto, qui expiandum forum populi Romani ab illis nefarii sceleris uestigiis esse dico, qui castam contionem, sanctum campum, inuiolatum corpus omnium ciuium Romanorum, integrum ius libertatis defendo seruari oportere ?
54 Tacite, Annales, 2, 32, 3 : Facta et de mathematicis magisque Italia pellendis senatus consulta ; quorum e numero L. Pituanius saxo deiectus est, in P. Marcium consules extra portam Esquilinam, cum classicum canere iussissent, more prisco aduertere.
Sur les exécutions et leur rituel, David 1984 et Hinard 1987b.
55 David 1984, p. 134-139 et p. 168-169.
56 Sénèque le Rhéteur, Controverses, 9, 2.
57 La PIR2, 2, n° 407, p. 97 mentionne l’hypothèse de Buecheler selon laquelle on pourrait reconnaître Capito dans l’inscription de Nemus Dianae CIL, XIV, 4201 : Q(uintus) Hostius Capito, Q(uinti) f (ilius), rhetor.
58 Sénèque le Rhéteur, Controverses, 9, 2, 10 (trad. perso. d’ap. éd. Hakanson, Teubner, 1989) : [Capito] deinde descripsit, quanto aliter in foro decolletur : ascendit praetor tribunal inspectante prouincia. Noxio post terga deligantur manus ; stat intento ac tristi omnium uultu. Fit a praecone silentium ; adhibentur deinde legituma uerba, canitur ex altera parte classicum. Numquid uobis uideor describere conuiuales iocos ?
59 La bibliographie est immense sur l’évolution de la justice, l’introduction des quaestiones perpetuae à partir de la fin du IIe siècle p. C, et la législation augustéenne de 17 a.C. qui les confirma pour les débuts de l’époque impériale. On pourra toutefois se reporter à la synthèse classique de Giuffrè 19985. Même les procès de perduellio furent rendus par des juges à une époque antérieure aux Gracques si l’on en croit Mantovani 1994.
60 L’expression de Capito, réécrite par Sénèque est floue : « in foro » ne permet pas de déterminer s’il s’agit du forum romanum, du forum de César ou de celui d’Auguste où furent installés les tribunaux des préteurs sous le règne d’Auguste. Pour la géographie des espaces judiciaires, voir Coarelli 2009, p. 8 sur ce point précis.
61 David 1984, p. 131-134 et 139-155 ; Hinard 1987, p. 116-117.
62 Pline le Jeune, Lettres, 4, 11, 10. Pline mentionne seulement le fait que le chevalier Celer fut battu par les verges in comitio, ce qui ne correspond pas en soi à une sentence capitale. Toutefois Suétone, Domitien, 8, à propos du même épisode, précise qu’il fut battu à mort : « (…) stupatoresque uirgis in Comitio ad necem caedi (…) ».
63 Sénèque le Rhéteur, Controverses, 9, 2, 9 (trad. perso. d’ap. éd. Hakanson, Teubner, 1989) : Quid ? Si, per deos immortales, nullo sollemni die populo inspectante in foro conuiuium habuisses, non minuisses maiestatem imperii nostri ? Atqui quid interest conuiuium in forum an forum in conuiuium attrahas ?
64 Hinard 1987, p. 123 semble lui aussi comprendre ainsi ce passage : la description qu’il fait du déroulement de la cérémonie d’une exécution capitale correspond point par point à la citation de Sénèque le Rhéteur même si, étonnamment, cette source n’est pas citée.
65 Sénèque le Rhéteur, Controverses, 1 préf. 1 : Seneca Nouato, Senecae, Melae filiis, salutem. Exigitis rem magis iucundam mihi quam facilem : iubetis enim quid de his declamatoribus sentiam, qui in aetatem meam inciderunt, indicare, et si qua memoriae meae nondum elapsa sunt ab illis dicta colligere, ut, quamuis notitiae uestrae subducti sint, tamen non credatis tantum de illis, sed et iudicetis.
66 Sénèque, De la colère, 1, 16, 5 (trad. A. Bourgery, CUF, 1961) : Itaque et si peruersa induenda magistratui uestis et conuocanda classico contio est, procedam in tribunal non furens nec infestus, sed uultu legis et illa sollemnia uerba leni magis grauique quam rabida uoce concipiam et agi iubebo non iratus sed seuerus (…).
67 Aussi bien A. Bourgery, pour la Collection des Universités de France, que J. Bawsore pour l’édition Loeb signalent la difficulté de compréhension de cette expression. Le premier l’interprète en termes de couleur, il s’agirait d’une robe sombre, tandis que le second donne un sens plus physique : il s’agirait d’une manière décousue de porter la toge. Ni l’une ni l’autre ne donnent pleine satisfaction et le terme mériterait une étude en soi.
68 Votienus Montanus est aussi un rhéteur du premier quart du Ier s. p. C. (cf. PIR, 3, p. 489-490, n° 674). Tant Sénèque père que Tacite célèbrent ses qualités intellectuelles (voir notamment Tacite, Annales, 4, 42 : (…) Votieno Montano, celebris ingenii uiro). Il fut exilé aux Baléares en 24, suite à un malentendu lors d’un procès auquel assistait Tibère qui le fit associer au complot de Séjan, ainsi que le narre Tacite, Id.
69 Sénèque le Rhéteur, Controverses, 9, 2, 14 (trad. perso. d’ap. éd. Hakanson, Teubner, 1989) : Dic enim mihi, si, cum animaduertere debeat non legitimo cultu ac more solemni usus, interdiu tribunal conscenderit conuiuali ueste, si, cum classicum canere debeat, symphoniam canere iusserit, non laedet maiestatem ?
70 Il y aurait sujet à une belle étude dont ce n’est toutefois pas ici le lieu.
71 Sur la symphonia comme musique réalisée par plusieurs participants, Tite Live, Histoire romaine, 39, 10, 7, Suétone, Caligula, 37, 3 et Jérôme, Lettres, 21, 29, ainsi que Bélis 1999, p. 61-72. Pour une proposition de relecture du sens de symphoniaci, voir infra. Sur l’idée d’harmonie et de musique concertante agréable on peut voir entre autres Cicéron, 2 Verrès, 3, 105 et Sénèque, Lettres, 123, 9.
72 Sénèque, Lettres, 5, 51, 15 : Quidni mallet, quisquis uir est, somnum suum classico quam symphonia rumpi ?
73 Ces valeurs sont reprises bien des siècles plus tard par Prudence, Contre Symmaque, 528-529 : Fluctibus Actiacis signum symphonia belli Aegypto dederat, clangebat bucina contra.
74 Classicum et ses dérivés : Isidore de Séville, Étymologies, 18, 4 ; Sénèque, De la colère, 1, 16 ; Sénèque le Rhéteur, Controverses, 9, 2, 10 et 14 ; Tacite, Annales, 2, 32 ; Varron, La langue latine, 6, 92. Cornu et ses dérivés : Aulu Gelle, Nuits attiques, 15, 27, 2 ; Varron, La langue latine, 6, 91. Voir aussi infra Varron, La langue latine, 5, 91.
75 Plutarque, Caius Gracchus, 3, 7. Bélis 1988a, p. 240-241.
76 Mantovani 1994, p. 22, n. 44.
77 Bélis 1999, p. 205-206.
78 Sur le classicum comme sonnerie marquant l’imperium voir plus particulièrement chap. 1, rubrique 1.2.1.4.
79 Isidore de Séville, Étymologies, 18, 4, 5, cf. supra.
80 Servius Honoratus, Commentaire sur l’Énéide, 7, 716.
81 Pseudo-Acron, Commentaires sur les Épodes, 2, 5 : Classicum proprie sonitus tubae ponitur et pro ipsa tuba.
82 Servius Honoratus, Commentaires sur l’Énéide, 7, 637 : Nam classicum dicimus et tubam ipsam et sonum. Classicum autem est flexilis tuba.
83 Varron, La langue latine, 5, 91 (trad. perso à partir du texte établi par Mommsen 19842, p. 326, n. 6) : Tubicines a tuba et canendo : similiter liticines : classicos a classe, qui item cornua canunt tum classes comitiis ad comit[i]atum uocant.
84 Pour la fin du passage en question le texte de l’édition de R. G. Kent est le suivant : Classicus a classe, qui item cornu [aut lit]uo canit, ut tum cum classes comitiis ad comit[i] anum uocant.
Celui de F. Schoell, sensiblement plus proche de la lecture de T. Mommsen : classicos a classe, qui item cornu[u]o canu[n]t, ut tum cum classes comitiis ad comit[i]atum uocant.
85 Il est par ailleurs rarement mentionné parmi les instruments qui sonnent le classicum dans un contexte militaire : Lucain, Pharsale, 1, 237 et 7, 476 ; Sénèque, Œdipe, 733 ; Sénèque, Thyeste, 574.
86 Cette hypothèse est aussi soutenue par un fragment de Lucilius, dont l’utilisation reste pourtant difficile par nature puisqu’il est impossible de connaître le contexte (civil ou militaire) auquel fait référence ce vers faisant état d’une convocation au son rauque des trompettes courbées. Lucilius, Satires, 26, 27 : Rauco contionem sonitu et curuis cogant cornibus.
87 Sur l’étymologie des noms d’instrumentistes à partir du verbe canere, Varron, La langue latine, 6, 75 : Nec sine canendo tibicines […] dicti ; omnium enim horum, quod a canere. Etiam bucinator a uocis similitudine et cantu dictus.
88 Hygin, Fables, 274, 20-21 : Cornicines autem classici inuenerunt. La traduction qu’a donné J.-Y. Boriaud pour la Collection des Universités de France dans l’édition de 1997 est la suivante : « Quant aux marins, ils inventèrent les sonneurs de cor ». On peine toutefois à comprendre le sens de cette phrase, même dans le contexte des Fables, souvent peu sujettes à la logique. Il me semble toutefois que la phrase retrouve du sens si l’on donne comme sujet au verbe inuenerunt le pluriel Romani de la phrase précédente. Je propose donc la traduction suivante : « Les Romains d’aujourd’hui conservent cette pratique et lorsque quelqu’un meurt, les tubicines jouent pour convoquer les amis afin qu’ils témoignent qu’il n’est mort ni sous le poison ni sous le fer. Ils inventèrent par ailleurs les cornicines du classicum [sous-entendu “qui sonnent le classicum”] (Quod exemplum hodie Romani seruant, et cum aliquis decessit, tubicines cantant, et amici conuocantur, tessandi gratia, eum neque ueneno neque ferro interiisse. Cornicines autem classici inuenerunt) ».
89 Dans des passages comme ceux de Sénèque, De la colère, 1, 16 ou Tacite, Annales, 2, 32 mentionnés précédemment, rien ne permet de savoir si le classicum est un objet ou une sonnerie.
90 Properce, Élégies, 4, 1, 13-14 : Bucina cogebat priscos ad uerba quirites : centum illi in prati saepe senatus erat. Ce texte de Properce fait écho au passage de son contemporain Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, 2, 8, 4, cf. supra.
91 L’énumération de l’ensemble des monuments sur lesquels un tibicen est ainsi représenté alors qu’il remplit son office serait fastidieuse et d’un intérêt nul dans le cadre de cette étude. Pour la seule Italie, V. Huet fait état d’environ 150 reliefs sacrifiels, dont une bonne partie comporte des représentations de tibicen (Huet 1992). Aussi se contentera-t-on de renvoyer sur ce sujet à son corpus documentaire. Les musiciens apparaissent notamment sur les planches 7, 11, 13, 26, 29, 30, 33, 36, 39, 51, 56, 72, 81, 93, 101, 106, 115, 119, 121, 123, 128, 137, 141, 154, 169, 173, 198, 207, 210, 213, 237, 241, 242, 247, 253. On se reportera aussi évidemment pour une approche d’histoire de l’art à Scott Ryberg 1955, analyse précise et fournie, bien qu’ancienne, de l’iconographie des rites publics, ainsi qu’à Fless 1995 pour une étude plus spécifique aux musiciens dans l’iconographie des rites.
92 Huet 2005.
93 Scott Ryberg 1955 n’a voulu voir dans le tibicen qu’une innovation stylistique pratique apparaissant à la fin de la République ou au début de la période impériale pour des raisons purement formelles : le musicien permettait de combler l’espace vide derrière l’autel, dans les représentations de sacrifice. Si l’on ne peut écarter l’intérêt pratique de cette présence pour les sculpteurs, considérer le tibicen comme un simple ornement décoratif paraît pour le moins réducteur, ainsi que l’a vigoureusement montré Podini 2004, p. 226 sq. Voir infra chap. 5, rubrique 1.2.2.2.4 pour une nouvele interprétation des autels des lares compitalices. La représentation de musiciens sur les scènes de sacrifice est au contraire une forme de permanence, dès le siècle précédant la disparition de la République (relief de l’autel dit de Domitius Ahenobarbus), jusqu’au début du IVe siècle p. C. (base des Decennalia).
94 CMC 207, 220, 239, 250. Sur ce formulaire, voir infra, chap. 3, rubrique 1.2.3 et 1.3.
95 Scheid 2005, p. 44-50 et Prescendi 2007 pour la description des diverses phases d’un sacrifice typique de la religion publique romaine.
96 Ce cycle de reliefs a été rassemblé pour la première fois pour l’exposition réalisée en l’honneur du bimillénaire de la naissance d’Auguste, aux Scuderie del Quirinale en 2013. Je reprends ici la classification et les éléments sommaires d’analyse livrés par Th. Schäfer dans le catalogue de l’exposition, en attendant la publication d’une étude spécifique annoncée par l’auteur : Augusto 2013, p. 321-323.
97 Cf. infra, p. 174.
98 Fragments 8 et 9. Tous deux sont conservés à Cordoue dans la collection privée de la duchesse de Cardona.
99 Kunsthistorisches Museum de Vienne, num. inv. I 859. Scott Ryberg 1955, pl. 47, fig. 72b. Voir infra rubrique 2.3.1.1 pour la démonstration du fait que ce musicien soit bien à rattacher à la pompa et non à la praefatio.
100 AE 1953, 154 ; représentation dans Huet 2012, p. 53, fig. 6.
101 Prescendi 2007, p. 35. À la page suivante l’auteur inverse à nouveau les instruments puisque selon elle la praefatio se fait cette fois au son des « trompettes » et non de la tibia...
102 Hano 1986, p. 2346 ; Fless 1995, pl. 45, fig. 1, Bert Lott 2004, p. 214, n° 57. Avant de rejoindre les collections des musées du Capitole, l’autel appartenait à la famille Chigi-Albani, de Soriano del Cimino (province de Viterbe), d’où son nom. Son lieu de découverte est inconnu mais il est très probable qu’il provienne de la ville de Rome.
103 Panciera 1987a pour la localisation de la découverte, à l’extrémité occidentale du champ de Mars, à une centaine de mètres du Tibre, sur le côté droit de la via Arenula. Pour une reproduction de l’autel, conservé aujourd’hui au musée du Capitole, Scott Ryberg 1955, pl. 16, fig. 30 ou encore Fless 1995, pl. 37, fig. 1.
104 Voir infra sur ces autels, rubrique 1.2.2.2.4.
105 Huet 1992, pl. 105 et 106.
106 Valetudo : autel conservé au musée de Bologne, Scott Ryberg 1955, fig. 101a ; culte impérial : autel représentant le sacrifice d’un sévir, musée de Milan, Bianchi Bandinelli 20102, p. 85, fig. 57.
107 Cicéron, Sur la loi agraire, 2, 34, 93 (trad. A. Boulanger, CUF, 1932) : Erant hostiae maiores in foro constitutae, quae ab his praetoribus de tribunali, sicut a nobis consulibus, de consili sententia probatae ad praeconem et ad tibicinem immolabantur.
108 Fless 1995, p. 75, 80-81.
109 Huet 1992, pl. 218 ; Scott Ryberg 1955, pl. 21, fig. 36b.
110 Censorin, Le jour natal, 12 : Nam nisi grata esset immortalibus diis qui ex anima constant diuina, profecto ludi scenici placandorum deorum causa instituti non essent, nec tibicen omnibus supplicationibus, in sacris aedibus adhiberetur (…).
111 Pline, Histoire naturelle, 28, 3, 11 (trad. A. Ernout, CUF, 1962) : (…) uidemusque certis precationibus obsecrare suesse summos magistratus et, ne quod uerborum praetereatur aut praeposterum dicatur, de scripto praeire aliquem rursusque alium custodem dari qui adtendat, alium uero praeponi qui fauere linguis iubeat, tibicinem canere ne quid aliiud exaudiatur utraque memoria insigni, quotiens ipsae dirae obstrepentes nocuerint quotiensue precatio errauit ; sic repente extis adimi capita uel corda aut geminari uictima stante.
112 La signification du silence en général et dans la religion publique en particulier est une question complexe qui fera l’objet d’une publication spécifique.
113 Gevaert 1875, 1, p. 592 : « Tandis qu’en Grèce la musique du culte, détournée de la routine sacerdotale, produisit une lyrique chorale riche et variée, chez les Romains, elle resta enchaînée à un rôle subalterne et se pétrifia entre les mains de corporations fermées à tout progrès ; le tibicen se fait entendre pendant le sacrifice, non pour entraîner l’âme vers des sphères plus élevées, mais pour forcer l’auditeur au silence ».
114 Ce rapprochement entre la musique et le pan de la toge ramené sur la tête du sacrifiant capite uelato est suggéré par Huet 1992, p. 521-522.
115 Voir notamment Censorin, Du jour natal, 12 ; Cicéron, Sur sa maison, 48 ; Cicéron, Loi agraire, 2, 34, 93 ; Iulius Obsequens, Livre des prodiges, 42 ; Pline, Histoire naturelle, 22, 6, 11 ; Porphyrion ad Horace, Odes, 1, 36, 1-2 ; Suétone, Tibère, 44, 3.
116 Suétone, Tibère, 70, 6 : Et quo primum die post excessum Augusti curiam intrauit, quasi pietati simul ac religioni satis facturus, Minonis exemplo ture quidem ac uino uerum sine tibicine supplicauit, ut ille olim in morte filii.
117 C’est ce modèle que l’on peut aussi voir en filigrane derrière la remarque de Sénèque, Consolation à Marcia, 13, 1 : Ne nimis admiretur Graecia illum patrem qui, in ipso sacrificio nuntiata filii morte, tibicinem tantum iusit tacere et coronam capiti detraxit, cetera rite perfecit, Puluillus effecit pontifex, cui postem tenenti et Capitolium dedicanti mors filii nuntiata est. Quam ille exaudisse dissimulans, solemnia pontificii carminis uerba concepit, gemitu non interrumpente precationem et ad filii sui nome Ioue propitiato. Je ne pense pas que l’on puisse dire, comme Vendries 2004, p. 406, que « Sénèque s’insurge contre un père qui fit cesser la musique avant la fin du sacrifice sous prétexte qu’il venait d’apprendre la mort de son fils ». Au contraire, ce père grec a agi avec piété… mais le Romain Pulvillus fut encore plus pieux et courageux que lui !
118 Le terme de grève est évidemment anachronique. Sur cet épisode largement étudié, voir notamment Basanoff 1949, Palmer 1965, Dumézil 1973, p. 174-199, Girard 1973, Storchi Marino 1979, Massa-Pairault 1985, Pailler 2001, Humm 2005, p. 469-473, Buchet 2010.
119 Ovide, Fastes, 6, 13, 650-711 ; Plutarque, Questions romaines, 55 ; Tite Live, Histoire romaine, 9, 30, 5 ; Valère Maxime, Faits et dits mémorables, 2, 5, 4. L’épisode est aussi rapporté par Iulius Paris, le compilateur de Valère Maxime, sans différence, par rapport au texte originel, ainsi que par Nepotianus. Il est mentionné très rapidement par Quintilien, Institution oratoire, 5, 11, 9.
120 Storchi Marino 1979. Pour un dernier bilan des points communs et des différences entre les différentes narrations de l’épisode, Buchet 2010.
121 Girard 1973.
122 Il ne me semble pas justifié d’affirmer, comme le fait Humm 2005, p. 471 que les tibicines menaient une procession de l’ensemble des artisans. Seuls ces musiciens semblent avoir alors parcouru l’espace public.
123 Varron, De la langue latine, 6, 17.
124 Cicéron, Des lois, 2, 23, 59.
125 Comme le rappelle justement Dumézil 1973, p. 185, Plutarque se trompe d’Appius Claudius en mettant à l’origine de l’épisode un decemuir consulari potestate : il confond les homonymes, censeur et decemuir, qu’un siècle sépare. L’abréviateur de Valère Maxime, Nepotianus, commet lui aussi une erreur en attribuant l’origine de l’épisode à une décision du Sénat (per senatus consultum).
126 Il s’agit de la seule raison retenue par Rüpke 1995, p. 258, qui lie cet épisode à la réforme du calendrier par Appius Claudius Caecus.
127 Waltzing 1895, 1, p. 68.
128 Sur le dédoublement de la position des censeurs, permettant de réintégrer les tibicines dans l’ordre de la cité sans qu’aucune des deux parties ne perde la face, on peut se reporter à la lecture de Massa-Pairault 1985, p. 92-96. Il convient toutefois de relever que l’auteur assimile à tort tibicines et tubicines, ce qui rend inefficace une bonne partie de son raisonnement.
129 Pailler 2001, p. 342.
130 L’interprétation de Palmer 1965 est moins iréniste. Les tibicines auraient choisis la cité libre de Tibur car ils auraient pensé pouvoir trouver un accueil amical chez les défaits de la guerre latine.
131 Granino Cecere 2003 souligne que cette proximité religieuse est notamment révélée par la présence de Vestales à Tibur.
132 Chronologie des évènements dans Palmer 1965, p. 314.
133 Palmer a été suivi par Massa-Pairault 1985. Humm 2005, continue pour sa part à situer sous la censure de Claudius la décision ayant entraîné la fuite des musiciens, en raison de sa réforme du calendrier. Il pense à Cn. Flavius dans le rôle de l’édile revenant à la loi des XII Tables (Ovide, Fastes, 6, 663-664 : Adde quod aedilis, pompam qui funeris irent, artifices solos iusserat esse decem).
134 Pailler 2001, p. 344.
135 Plutarque, Numa, 17 (trad. R. Flacelière, C.U.F., 1964) : Τῶν δ’ ἄλλων αὐτοῦ πολιτευμάτων ἡ κατὰ τέχνας διανομὴ τοῦ πλήθους μάλιστα θαυμάζεται. Tῆς γὰρ πόλεως ἐκ δυεῖν γενῶν, ὥσπερ εἴρηται, συνεστάναι δοκούσης, διεστώσης δὲ μᾶλλον καὶ μηδενὶ τρόπῳ μιᾶς γενέσθαι βουλομένης μηδ’ οἷον ἐξαλεῖψαι τὴν ἑτερότητα καὶ διαφοράν, ἀλλὰ συγκρούσεις ἀπαύστους καὶ φιλονεικίας τῶν μερῶν ἐχούσης, διανοηθεὶς ὅτι καὶ τῶν σωμάτων τὰ φύσει δύσμικτα καὶ σκληρὰ καταθραύοντες καὶ διαιροῦντες ἀναμιγνύουσιν, ὑπὸ μικρότητος ἀλλήλοις συμβαίνοντα μᾶλλον, ἔγνω κατατεμεῖν τομὰς πλείονας τὸ σύμπαν πλῆθος· ἐκ δὲ τούτων εἰς ἑτέρας ἐμβαλὼν διαφορὰς τὴν πρώτην ἐκείνην καὶ μεγάλην ἀφανίσαι ταῖς ἐλάττοσιν ἐνδιασπαρεῖσαν. ἦν δ’ ἡ διανομὴ κατὰ τὰς τέχνας, αὐλητῶν, χρυσοχόων, τεκτόνων, βαφέων, σκυτοτόμων, σκυτοδεψῶν, χαλκέων, κεραμέων. Tὰς δὲ λοιπὰς τέχνας εἰς ταὐτὸ συναγαγὼν ἓν αὐτῶν ἐκ πασῶν ἀπέδειξε σύστημα.
136 Gabba 1984 a montré combien tenter une chronologie des organisations professionnelles à partir de ce passage de Plutarque relevait du fantasme plus que de la réalité. Storchi Marino 1979 réfute pour sa part l’idée d’une organisation collégiale aussi précoce et propose une lecture plus anthropologique. Les groupes identifiés dans le passage de Numa seraient des acteurs de la vie de la cité qui, en des périodes de l’année angoissantes (solstices, équinoxes…) auraient agi ensemble d’une même volonté afin d’aider la communauté à dépasser le stress environnemental.
137 Selon J.-R. Jannot, l’aulos étrusque était tout aussi nécessaire que le tibicen romain lors des sacrifices (Jannot 1988, p. 322 ; Jannot 2001, p. 183 ; Jannot 2004, p. 395). Il faut relever qu’Hugot 2008 se positionne contre cette affirmation. Selon sa recension seulement 5 % des scènes de sacrifices représentent un aulète. Pour lui, aussi surprenant que cela puisse paraître pour un peuple dont la vie se passait quasiment tout le temps en musique, le sacrifice était bien souvent exempt de musiciens.
138 On se reporte aux analyses de Dumézil 1973, p. 174-199, qui insère cet épisode dans un calendrier auroral. Les quinquatries mineures sont analysées en lien avec les rites des matrones à Mater Matuta le 11 juin : il s’agirait d’un ensemble de cérémonies visant à soutenir le soleil défaillant à l’approche du solstice. Voir aussi Storchi Marino 1979, p. 351.
139 L’identification de la tibia comme l’instrument des rites est telle qu’Aulu-Gelle, lorsqu’il aborde cet instrument dans un contexte autre que religieux, se sent obligé de le justifier : Auctor historiae Graecae grauissimus Thucydides Lacedaemonios, summos bellatores, non cornuum tubarumue signis, sed tibiarum modulis in proeliis esse usos refert non prorsus ex aliquo ritu religionum neque rei diuinae gratia neque autem, ut excitarentur atque euibrarentur animi, quod cornua et litui moliuntur, sed contra, ut moderatiores modulatioresque fierent, quod tibicinis numeris temperatur. (Aulu-Gelle, Nuits Attiques, 1, 11, 1).
140 Schnegg-Köhler 2002, p. 34, l. 86-88 : Item cum ad caerimonias sacro[rum - - -] | certiores esse uolumnus omnes m[- - -] | aenatores in funere canere [- - - (uacat ?)].
141 Huet 1992, p. 245 pense identifier un bucinator dans le musicien apparaissant à gauche de la scène de suovétaurile sur la base de Attalus, esclave de M. Nonius, à Isernia (AE 1953, 154 ; représentation dans Huet 2012, p. 53, fig. 6). Outre que la nature même de la bucina n’est pas aussi fermement établie qu’on le pense parfois, cette identification me paraît hautement improbable. S’il est vrai que l’instrument joué par le musicien n’est pas une traditionnelle tibia droite à laquelle l’iconographie nous a habituée, il me semble malgré tout qu’il s’agit bien d’une tibia au corps se recourbant à sa terminaison, dite bérécynthienne, à l’image de celle qu’utilisent les tibicines du culte de Cybèle. Quant à savoir pourquoi une telle tibia serait utilisée dans le cadre d’un suovétaurile par ailleurs tout à fait traditionnel, c’est une autre question. Faut-il y voir l’influence du culte métroaque dans la cité ? Le musicien situé à droite est en revanche un tubicen, sans aucun doute cf. supra, p. 144.
142 Wille 1967, p. 31-33 ; Baudot 1973, p. 36 ; Vendries 2004, p. 398 et 407-408.
143 Calpurnius, Bucoliques, 1, 67-69 (trad. J. Amat, C.U.F., 1991) : Altera regna Numae, qui primus (…) pacis opus docuit iussitque silentibus armis inter sacra tubas, non inter bella, sonare.
144 Varron, La langue latine, 5, 24, 117 (trad. perso.) : Tubae ac tubis, quos etiam nunc ita appellant tubicines sacrorum.
145 Granius Licianus, 33, 4 (trad. perso d’après éd. N. Criniti, Teubner, 1981) : Et die quodam an[te] ludos, qui futuri erant, [c]um tubicines apud aram concinerent, [a]ngues nigri subito ap[pa]ruerunt neque ante a[r]am concurrere et mor[si]bus multos inuadere
[d]esiuerunt, quam tubicines conticuissent, nec usquam derepente apparuerunt.
146 Julius Obsequens, Livre des prodiges, 41 (trad. perso d’après éd. Nisard, 1850) : Trebulae Mutuescae ante quam ludi committerentur, canente tibicine, angues nigri aram circumedederunt. Desinente cantare, dilapsi. Postero die exorti, a populo lapidibus enecati. Foribus templi adapertis, simulacrum Martis ligneum capite stans inuentum. A Lusitanis exercitus romanus caesus.
147 BL. Additional 17212, ff. 1-8 et 10-13.
148 Voir la présentation de N. Criniti, dans l’éd. Teubner, 1981.
149 Voir infra, rubrique 3.1.
150 CMC 022, 024, 087.
151 Contra Fless, Moede 2007, p. 252.
152 À leur sujet, voir infra, chap. 5, rubrique 1.2.3.5.
153 Num. inv. I 859. On peut en voir une représentation notamment dans Scott Ryberg 1955, pl. 47, fig. 72b.
154 Scott Ryberg 1955, p. 133.
155 Sur l’habillement des victimarii, voir Fless 1995, p. 75-77.
156 Une autre exception : le « relief de Philippeville », découvert à Skida (Algérie), actuellement conservé au musée du Louvre, n°. inv. MA 1899. Sur ce fragment de relief, le tibicen semble jouer de son instrument au-dessus du bœuf sacrifié.
157 C’est du moins ce que permet de supposer la comparaison avec la majorité des reliefs sacrificiels.
158 Podini 2004, p. 238-239 ; cf. aussi infra.
159 Ovide, Fastes, 3, 23, 849-850 : Summa dies e quinque tubas lustrare canoras admonet et forti sacrificae deae.
160 Ovide, Fastes, 5, 725-726 : Proxima Volcani lux est, tubilustria dicunt : lustrantur purae quas facit ille tubae.
161 CIL, I1, p. 223-224 = InscrIt, 13, 2, p. 74.
162 CIL, I1, p. 234 = InscrIt, 13, 2, p. 123 : [Tubil (ustrium)] feriae Martis. Hic dies appellatur quod | in atrio sutorio tubi lustrantur | quibus in sacris utuntur.
163 Varron, La langue latine, 6, 14 (trad. P. Flobert, C.U.F., 1985) : Dies tubilustrium appellatur, quod eo die in Atrio Sutorio sacrorum tubae lustrantur.
164 Festus, p. 480 L (trad. perso.) : [Tubilustria], quibus diebus adscribtum in [Fastis est, in Atr]io Sutorio agna tubae [lustrantur, quos] tubis appellant ; quod genus [lustrationis ex Ar]cadia Pallanteo trans[latum esse dicunt ---].
165 CIL, I, p. 389.
166 Platner, Ashby 1965, p. 57. C’est Martial, Épigrammes, 2, 17 qui indique la présence des sutores à l’entrée de la Subure.
167 Tortorici 1991, p. 54 et 92.
168 LTUR, « Atrium sutorium », p. 137.
169 Storchi Marino 1979, p. 344.
170 On trouvera une interprétation alternative des tubilustria chez Rüpke 1995, p. 214-221 : le savant allemand suppose que ces cérémonies étaient en réalité répétées tous les mois, un nundinum i.e. huit jours, après la pleine lune.
171 Storchi Marino, 1979, p. 342.
172 LTUR, « Armilustrium », t. 1, p. 126.
173 Varron, La langue latine, 6, 22 (trad. P. Flobert, C.U.F., 1985) : sed quod de his prius, id a lustro, id est luendo, aunt ludendo quod circumibant ludentes ancilibus armati.
174 Festus, p. 17 L. : Armilustrium, festum erat apud Romanos, quo res diuinas armati faciebant, ac, dum sacrificarent, tubis canebant.
175 Cette insertion des cordophones dans les rites a été décrite par Vendries 1999b, p. 200-205.
176 Horace, Odes, 3, 11, 5-6 (trad. F. Villeneuve, CUF, 1964, 7ème éd.) : (…) tuque testudo resonare septem callida neruis, nec loquax neque grata, nunc est diuitum mensis et amica templis (…). Un autre passage d’Horace est en général convoqué lorsqu’il s’agit de signaler la présence de la lyre dans les sacrifices : Horace, Odes, 1, 36, 1-2 : « Il m’est doux de satisfaire par l’encens, la lyre et le sang promis d’un veau (et ture et fidibus iuuat placare et uituli sanguine debito) les dieux gardiens de Numida (…) ». Cependant, outre qu’il s’agit là d’un sacrifice d’ordre privé, soit un registre religieux totalement différent et bien plus libre, je ne suis pas certain que la référence à la lyre soit ici autre chose qu’une allusion à la performance poétique d’Horace, le poète s’arrogeant l’instrument d’Apollon. Pour ces raisons, je préfère ne pas utiliser ce passage dans le cadre de la présente démonstration.
177 La seule mention de ce célébrissime document suffit à expliquer l’imprécision de la datation. Les représentations abondent évidemment. On se contentera de renvoyer à Scott Ryberg 1955, pl. 8, fig. 17 et p. 28-34 pour le commentaire, ainsi que Fless 1995, p. 79-82, cat. 2, pl. 12.1. Pour la bibliographie plus récente, Stilp 2001.
178 Scott Ryberg 1955, pl. 7, fig. 15a et Fless 1995, pl. 44, fig. 2.
179 Scott Ryberg 1955, p. 23-27.
180 Scott Ryberg 1955, p. 24.
181 CMC 048, 203, 257.
182 Ferrary 1988, particulièrement p. 517-526.
183 Schnegg-Köhler 2002, p. 114, n. 222.
184 Scott Ryberg 1955, pl. 63, fig. 105c et d ; BMCR 2, p. 390, n. 411, pl. 77.7 et p. 395, n. 430, pl. 78.11.
185 Scott Ryberg 1955, pl. 63, fig 105e.
186 Scott Ryberg 1955, pl. 63, fig. 105h.
187 Scott Ryberg 1955, pl. 63, fig. 105g ; BMCR, 2, p. 393, n. 425, p. 78.7.
188 Fless 1995, p. 79-80.
189 BMCR, 5, p. 325, n. 810 et pl. 48.10.
190 Scott Ryberg 1955, p. 177 et pl. 63, fig. 105k.
191 Paribeni 1933, n.2. La datation est rappelée par C. Lega, LTUR, IV, p. 252.
192 CMC 251. Sur cette expression, cf. infra, chap. 4, rubrique 1.2.3.
193 Il est toutefois possible qu’une inscription découverte en 1873 près des thermes de Dioclétien se réfère aussi au collège des fidicines qui sacris publicis praesto sunt : voir CMC 208, 212, 216.
194 CMC 033.
195 LTUR, « Schola : collegium tibicinum et fidicinum romanorum », t. 4, p. 252.
196 Porphyrion ad Horace, Odes, 1, 36, 1-2 (trad. perso. d’après l’éd. A. Holder, 1894) : “Et ture et fidibus iuvat placare”. Fidicines hodieque Romae ad sacrificia adhiberi sicut tibicines nemo est qui nesciat.
197 Vendries 1999, p. 203-205 fait une synthèse des hypothèses sur ce point.
198 Wille 1967, p. 29.
199 Pighi 1965, p. 155, l. IV, 6 et p. 162, l. Va, 49. Vendries 1999, p. 203 ; Fless 1995, p. 82 ; Gagé 1955, p. 638.
200 Scheid 1995.
201 Scheid 1995, p. 20.
202 Baudot 1973, p. 38. Sur l’Apollinisme augustéen, Zanker 1988 et Galinsky 1996, p. 217-222.
203 Vendries 1999, p. 201-202 ; Gagé 1955, p. 532-542.
204 Properce, Élégies, 2, 31, 16 (trad. S. Viarre, C.U.F., 2005) : Quaeris, cur ueniam tibi tardior ? Aurea Phoebi porticus a magno Caesare aperta fuit. Tanta erat in speciem Poenis digesta columnis, inter quas Danai femina turba senis. Hic equidem Phoebo uisus mihi pulchrior ipso marmoreus tacita carmen hiare lyra (…).
205 Tibulle, Élégies, 2, 5, 1-4 (trad. M. Ponchont, C.U.F., 1961, 5e éd.) : Phoebe, faue : nouus ingreditur tua templa sacerdos ; huc age cum cithara carminibusque ueni : nunc te uocales impellere pollice chordas, nunc precor ad laudes flectere uerba meas.
206 Antikensammlung, inv. SK. 921.
207 Gagé 1936, p. 45, pl. 1.1 ; Gagé 1955, pl. 7a. Augusto 2013, p. 321.
208 Strazzula 1990, p. 22-29, fig. 2.
209 Représentation dans Galinski 1996, pl. 5b.
210 Carnyx 1993, n° 47 ; Vendries 1999, p. 202.
211 Tacite, Annales, 14, 14, 1 (trad. P. Willeurmier, C.U.F., 1990, 3e éd.) : Enimuero cantus Apollini sacros, talique ornatu adstare, non modo Graecis in urbibus, sed Romana apud templa, numen praecipuum et praescium.
212 Clavel-Lévêque 1984, p. 136.
213 Scott Ryberg 1955, pl. 63, fig. 105c et g.
214 CMC 074.
215 La bibliographie concernant cette inscription capitale est pléthorique et en constante évolution. Pour une synthèse récente sur la question, on se reportera à Tran 2006, p. 351-355, Laubry, Zevi 2010, ainsi qu’à la publication critique de Ph. Moreau annoncée dans le cadre du projet LEPOR. Quoiqu’il en soit, la question de la nature du collège formé est très régulièrement reléguée au second plan. Sur les associations de musiciens, voir infra chap. 4, particulièrement rubrique 1.2.3 sur ce texte.
216 Bélis 1988a, p. 249. L’étymologie grecque de symphonia appuie évidemment cette hypothèse.
217 Waltzing 1895-1900, I, p. 117 ; Wille 1967, p. 34 ; Baudot 1973, p. 40 ; Panciera 1991, p. 286, n. 115. Rappel historiographique dans Péché 2001, p. 333. Pour les inscriptions des tibicines qui sacris publicis praesto sunt, voir CMC 207 (?), 211 (?), 215 (?), 220, 239, 241-3, 245-7, 250, 252-4.
218 Baudot 1973, p. 40-41.
219 Péché 2001, n. 119 ;
220 La date de cette inscription n’est pas connue de manière absolue. Toutefois, le contexte de découverte conduit à supposer qu’elle fut gravée à la toute fin du Ier s. a.C. ou au tout début du Ier s. p. C. : le monument funéraire dans lequel elle fut retrouvée était déjà utilisé en 10 p.C. (CIL, VI, 4418). Sur le contexte de découverte et la nécessité de reprendre le dossier épigraphique, Manacorda 1999. Pour la typologie et la datation de ce genre de sépultures collectives à Rome, Crea 2008 et Granino Cecere, Ricci 2008.
221 CMC 021, 044, 128, 172, 176, 189, 222, 239, 240, 241, 242, 243, 245, 246, 247, 249, 252, 253, 254, 255.
222 CMC 207, 211, 215.
223 CMC 220. Voir infra chap. 5, rubrique 1.2.1.1 pour une hypothèse sur la chronologie de ce collège, ainsi que Vincent 2008.
224 Outre CMC 074, CMC 091, 095, 110, 183, 198, 201, 202, 209.
225 CMC 110.
226 CMC 121 et 122.
227 Bélis 1988a, notamment p. 227.
228 CMC 018.
229 Pour la chronologie des triomphes de la période républicaine, la liste des triomphateurs et les sources les mentionnant, on se reportera à Itgenhorst 2005 p. 262- - 271 + catalogue sur CD-Rom, ainsi qu’à Bastien 2007.
230 En particulier Beard 2007, p. 2-3 et surtout p. 53-61.
231 Versnel 1970.
232 Pour l’importance de la participation populaire à la procession triomphale, voir Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 7, 122 et sa description de la population romaine s’agglutinant pour espérer voir défiler Vespasien et Titus : προδιασαφηθείσης δὲ τῆς ἡμέρας ἐφ’ ἧς ἔμελλεν ἡ πομπὴ γενήσεσθαι τῶν ἐπινικίων, οὐδεὶς οἴκοι καταλέλειπτο τῆς ἀμέτρου πληθύος ἐν τῇ πόλει, πάντες δὲ ὅπη καὶ στῆναι μόνον ἦν οἷον προεληλυθότες τοὺς τόπους κατειλήφεσαν, ὅσον τοῖς ὀφθησομένοις μόνον εἰς πάροδον ἀναγκαίαν καταλιπόντες. Voir aussi Brilliant 1999 sur le rapport dynamique entre le triomphateur et les spectateurs, c’est-à-dire le reste de la cité, lors de cette cérémonie.
233 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, 31, 8, 10.
234 Plutarque, Paul Émile, 33, 1.
235 Appien, Guerres puniques, 66.
236 Plutarque, Marcellus, 22, 2.
237 Voir supra, p. 139, les remarques totalement justifiées de Mantovani 1994 sur la flexibilité du vocabulaire musical, particulièrement relatif aux trompes, sous la plume des auteurs de langue grecque. Un exemple de cette possibilité de tordre la traduction : si le terme σαλπιγκτής est généralement traduit par tubicen, il est toutefois utilisé par Scott Ryberg 1955, p. 20-21, à partir du texte de Plutarque, Paul Émile, 33, 1, pour attester la présence du lituus sur une scène triomphale figurée sur un ciste prénestin conservé à l’antiquarium de Berlin.
238 Dans sa réflexion sur les rapports entre image et symbolique des instruments de musique, Podini 2004 souligne combien, dans le cas des grands aérophones, le souci de symbolisme se double d’une attention à la réalité pratique des instruments. Tout en souscrivant à cette position, on pourrait toutefois souligner les risques de ce raisonnement quelque peu circulaire. Les bas-reliefs historiques nous montrent des joueurs d’aérophones. Ce faisant ils confirment les sources littéraires et attestent donc de leur précision en termes de pratique musicale. Toutefois comme ils sont en même temps notre seule source sur la nature exacte des instruments de la pompa triumphalis, il semble délicat de prouver qu’ils sont en contradiction… avec eux-mêmes !
239 Ce monument est actuellement conservé au musée du Capitole, Centrale Montemartini.
240 Augusto 2013, p. 321-323. Le fragment en question est actuellement conservé au Musée National de Budapest.
241 Ronke 1987, t. 3, fig. 59-60 ; De Maria 1988, pl. 61, fig. 1 ; Fless 1995, cat. 23, p. 107.
242 Koeppel 1983 ; De Maria 1988, p. 282. Un second triomphe a été accordé à Claude neuf ans après le premier en raison de la capture durant l’année 50 de Caratacus et de dix autres chefs bretons.
243 De Maria 1988, pl. 81.
244 Outre la contrainte matérielle liée au support, on peut aussi supposer qu’il n’était pas forcément à l’avantage de l’Empereur de décrire précisément les piètres richesses glanées chez les Sarmates : le concept de triomphe était alors plus important que sa réalisation un peu décevante. C’est avec la procession triomphale de l’arc de Titus que la comparaison est la plus marquante, mais le temple de Jérusalem avait livré à Rome des symboles autrement plus forts que les cités sarmates… Pour une analyse de l’arc de Titus, voir infra, p. 176.
245 Ni Scott Ryberg 1955 ni Podini 2004 ne se lancent dans une interprétation de cette figure, qu’ils ignorent dans leur description du panneau.
246 L’affirmation de Podini 2004, p. 238-239, selon laquelle le tubicen est représenté sur ce panneau en tête de la procession faisant ainsi écho aux sources littéraires me paraît imprudente : la pompa n’est ici que symbolique et il me paraît inutile, dans un tel contexte, de chercher le réalisme.
247 Cette présence des musiciens dans la pompa triumphalis est une telle certitude que les historiens contemporains les insèrent sans hésiter dans les reconstitutions de monuments triomphaux, quand bien même rien ne les attesterait formellement. Ainsi du monument de Palestrina représentant une pompa triumphalis de Trajan tel qu’il est finalement reconstitué par Musso 1987, fig. 1 : on retrouve deux tubicines putatifs franchissant la porta triumphalis.
248 N. inv. 8640 ; Giuliano 1979, I, 5, n° 83, p. 195-198 ; Ronke 1987, p. 678, cat. 34, fig. 64.
249 Pour des représentations, voir entre autres De Maria 1988, pl. 66-69.
250 L’utilisation des instruments de musique comme mode d’identification de l’ennemi est une pratique qu’a parfaitement mise en avant C. Vendries pour le carnyx gaulois : nul Gaulois vaincu sans son carnyx (notamment Carnyx 1993, p. 72-73). La représentation des trompettes lors du triomphe de Vespasien et Titus sur la Judée fait d’autant plus sens si l’on considère la dimension rituelle et symbolique de ces instruments.
251 Nombres, 10, 2, 8 et 10 ; 2 Chroniques, 7, 6 ; 5, 12-13 ; 29, 26-28. Voir aussi Flavius Josèphe, Antiquités juives, 11, 79, qui reprend ces textes.
252 Ces trompettes ne doivent pas être confondues avec le shofar, instrument rituel fabriqué à partir d’une corne d’animal, de préférence d’antilope, qui remplaça les trompettes après la chute du temple et résonne encore à certaines périodes de l’année dans le culte juif. Voir Adler 1894.
253 Flavius Josèphe, Antiquités juives, 3, 291 (éd. H. Thackeray, Loeb, 1958). Nombres, 10, 2, une des sources de Flavius Josèphe sur la question précise le fait que les trompettes que fit réaliser Moïse étaient en argent.
254 Voir notamment les monnaies conservées au British Museum dans Hill 1965, p. 296, n° 59, pl. 34, 15 ; p. 300-301, n° 85, 88-93, pl. 35, 5-8.
255 Sur les embouchures des tubae, avec l’analyse de leurs caractéristiques organologiques, voir Vendries 2007, p. 128. L’embouchure des Tournelles est la fig. 12.
256 Fless 1995, pl. 5, fig. 1.
257 Cette interprétation est la plus probable même si les faisceaux sur laquelle on la fait reposer sont tenus de manière pour le moins non conventionnelle par le deuxième licteur : par dessus son épaule…
258 Il s’agit du Codex Coburgensis n° 88 : Pfanner 1980.
259 Pfanner 1980, pl. 114.
260 On ne peut attendre des images, construites sur des codes et sous-tendues par des contraintes de représentation liées au support matériel, qu’elles soient une figuration fidèle du réel. Les représentations iconographiques analysées précédemment sont d’une cohérence suffisante pour soutenir avec efficacité les sources littéraires.
261 Appien, Guerres puniques, 66 (trad. modifiée P. Goukowsky, C.U.F., 2001).
262 Podini 2010 a insisté sur cet héritage étrusque des cordophones, contre une tradition historiographique consistant à ramener systématiquement à la Grèce tous les instruments à cordes. Voir notamment p. 183-186.
263 Jannot 1988, p. 321-322.
264 Voir Lambrechts 1959, particulièrement les p. 192-193, ainsi que les urnes n. 21, 21a, 31 de son catalogue, pl. 17 et 18.
265 Vendries 1999, p. 197-198. Repris par Podini 2010, p. 187 sq.
266 Dion Cassius, Histoire romaine, 63, 20 : ὅτι τε Νέρων καῖσαρ πρῶτος πάντων τῶν ἀπὸ τοῦ αἰῶνος Ῥωμαίων ἐνίκησεν αὐτό, ἔπειτα αὐτὸς ἐφ’ ἅρματος ἐπινικίου, ἐν ᾧ ποτε ὁ Αὔγουστος τὰ πολλὰ ἐκεῖνα νικητήρια ἐπεπόμφει, ἁλουργίδα χρυσόπαστον ἔχων καὶ κότινον ἐστεφανωμένος, τὴν πυθικὴν δάφνην προτείνων. καὶ αὐτῷ ὁ Διόδωρος ὁ κιθαρῳδὸς παρωχεῖτο. Diodore est bien joueur de cithare et non de lyre, comme le croit E. Cary dans l’édition et traduction Loeb.
267 Sur les transgressions par rapport au mos maiorum présents dans cette procession de Néron, voir en dernier lieu Sauron 2009 ainsi que De Souza 2007.
268 Tertullien, Apologétique, 33, 4, sur le rôle de l’esclave à l’arrière du char.
269 Censorin, Le jour natal, 12 : Nam nisi grata esset immortalibus diis qui ex anima constant diuina, profecto ludi scenici placandorum deorum causa instituti non essent, nec tibicen omnibus omnibus supplicationibus, in sacris aedibus adhiberetur non cum tibicine Marti triumphus ageretur (…).
270 Augusto 2013, p. 321-322. Il s’agit du fragment 7 selon la classification de Th. Schäfer.
271 Plutarque, Marcellus, 22, 2 (trad. R. Flacelière, C.U.F., 1966) : πέμπει δ’ αὐτὸν οὐκ ἐπὶ τοῦ τεθρίππου βεβηκὼς οὐδὲ δάφνης ἔχων στέφανον οὐδὲ περισαλπιζόμενος, ἀλλὰ πεζὸς ἐν βλαύταις ὑπ’ αὐλητῶν μάλα πολλῶν, καὶ μυρρίνης στέφανον ἐπικείμενος, ὡς ἀπόλεμος καὶ ἡδὺς ὀφθῆναι μᾶλλον ἢ καταπληκτικός.
272 Sur la pluralité des significations du cortège triomphal, voir Bastien 2007, p. 251.
273 Fless 1995.
274 Sur les vêtements des militaires, Speidel 2009b.
275 L’autel des uicomagistri est aujourd’hui au musée Gregoriano Profano. Photo dans Fless 1995, pl. 13, fig. 2.
276 Fless 1995, p. 85.
277 Sur la purification de l’armée, de nature souillée par la mort, Magdelain 1968, p. 63. L’auteur relève notamment l’importance du port de la couronne de laurier par les participants du triomphe.
278 Sur le calendrier et la chronologie des jeux, Scullard 1981 et surtout Bernstein 1998 ; sur l’accélération du calendrier festif sous la République, Clavel-Lévêque 1984, p. 20 sq. Pour le Principat et la captation du cérémoniel ludique par la domus impériale, Benoist 1999.
279 Bruun 2009, p. 136. Ostie avait un théâtre, construit par Marcus Agrippa, mais à ce jour aucune trace d’amphithéâtre ou de cirque ne nous est parvenue, ce qui conduit à supposer que les habitants de la colonie devaient se rendre à Rome pour assister aux jeux du cirque.
280 Parmi une bibliographie importante, on retiendra Dupont 1985, Péché 1998, Vendries 1999b, Bélis 1999, Péché, Vendries 2001, Péché 2002, Dupont, Letessier 2012, qui tous définissent le rôle de la musique dans les représentations théâtrales.
281 Baudot 1973, p. 57-63.
282 Dupont 1985, p. 88 ; Dupont 1993, p. 197.
283 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, 7, 72, cf. infra.
284 Thuillier 1975, p. 563.
285 Piganiol 1923, p. 15-32.
286 Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, 7, 72 : ’Hκολούθουν δὲ τοῖς ἀγωνισταῖς ὀρχηστῶν χοροὶ πολλοὶ τριχῇ νενεμημένοι, πρῶτοι μὲν ἀνδρῶν, δεύτεροι δ’ ἀγενείων, τελευταῖοι δὲ παίδων, οἷς παρηκολούθουν αὐληταί τ’ ἀρχαϊκοῖς ἐμφυσῶντες αὐλίσκοις βραχέσιν, ὡς καὶ εἰς τόδε χρόνου γίνεται, καὶ κιθαρισταὶ λύρας ἑπταχόρδους ἐλεφαντίνας καὶ τὰ καλούμενα βάρβιτα κρέκοντες. La traduction est celle établie par Clavel-Lévêque 1984, p. 41-42.
287 Id.
288 Cicéron, Sur la réponse des haruspices, 11, 23 (trad. P. Willeurmier et A.-M. Tupet, CUF, 1966) : An si ludius constitit aut tibicen repente conticuit, aut puer ille patrimus et matrimus si tensam non tenuit, si lorum omisit, aut si aedilis uerbo aut simpuuio aberrauit, ludi sunt non rite facti eaque errata expiantur et mentes deorum immortalium ludorum instauratione placantur.
289 Pline, Histoire naturelle, 16, 172 : Nunc sacrificae Tuscorum e buxo, ludicrae uero e loto ossibusque asininis et argento fiunt.
290 Ovide, Les amours, 3, 13, 11-12 : Huc, ubi praesonuit sollemni tibia cantu, it per uelatas annua pompa uias.
291 Ronke 1987, fig. 15-19.
292 Fless 1995, pl. 10, fig. 1. F. Fless interprète ce relief comme étant un fragment d’une procession triomphale. Cependant, contrairement à l’ensemble du dossier iconographique sur ce sujet rassemblé dans les pages précédentes, les musiciens du relief de Pesaro ne portent pas de couronne de laurier. De plus, les danseurs armés qui les précèdent peuvent sans risque être identifiés comme des ludions, participants caractéristiques de la pompa circensis, comme l’a démontré Dupont 1993, notamment p. 199 : « Mais l’essentiel des ludi reste intact, constitué de ce noyau rituel défini par les règles de l’orthopraxie : la danse des ludions sur une musique de tibia ».
293 Pighi 1965, fragment 5, l. 71 : Inde XVviri duxerunt] et tibi[cinum fidicinum cornic]inum aeneatorum et tubicin[u]m translatum (…). Sur la probabilité de la restitution [cornic]inum, voir infra, p. 213-216. Les jeux séculaires correspondent à un cas particulier qui sera analysé ici à plusieurs reprises.
294 Vendries 2004, p. 409.
295 Juvénal, Satires, 10, 43-46 (trad. F. Villeneuve, C.U.F., 19515) : Da nunc et uolucrem, sceptro quae surgit eburno, illinc cornicines, hinc praecedentia longi agminis officia et niueos ad frena Quirites, defossa in loculos quos sportula fecit amicos.
Voir aussi Juvénal, Satires, 6, 250-251 : Florali matrona tuba, nisi si quod in illo pectore plus agitat ueraeque paratur harenae.
296 Le monument est aujourd’hui conservé au musée archéologique de Naples et a été retrouvé dans la nécropole de la porte de Stabies, à Pompéi. Pour une représentation, Ronke 1987, fig. 21-26 et surtout Junkelmann 2000, p. 131, fig. 205 et 209. La datation donnée par Ronke 1987, cat. n.6, p. 668 est claudio-néronienne. Pour La Regina 2001, fig. 74, p. 359 la datation est antérieure, julio-claudienne.
297 La Regina 2001, p. 359.
298 Actuellement conservé au musée archéologique national de Chieti, n°. inv. 4424/A. On trouve des représentations dans La Regina 2001, fig. 73, p. 358 ; Ronke 1987, fig. 10-14.
299 Pour une reconstitution du monument et une mise en perspective par rapport aux autres reliefs augustaux, Guidetti 2006. L’article reprend les éléments laissés en suspens par la présentation de La Regina 1963, qui avait abordé le problème dans une perspective d’histoire de l’art, selon les catégorisations de R. Bianchi Bandinelli, notamment les questions de l’art plébéien.
300 Ronke 1987, fig. 41 et cat. n. 11.
301 Scott Ryberg 1955, p. 35, pl. 9, fig. 19a.
302 Bernstein 1998, p. 55, s’appuyant sur le nombre de licteurs ainsi que les travaux de Schäfer 1989, émet l’hypothèse de jeux donnés par un préteur.
303 Tertullien, Sur les spectacles, 10, 2 : Nam a templis et aris et illa infelicitate turis et sanguinis inter tibias et tubas itur, duobus inquinatissimis arbitris funerum et sacrorum, dissignatore et haruspice.
304 Juvénal, Satires, 3, 34-38 : Quondam hi cornicines et municipalis harenae perpetui comites notaeque per oppida buccae munera nunc edunt et, uerso pollice uulgus cum iubet, occidunt populariter.
305 Tite Live, Histoires, 33, 32-33 : Ad spectaculum consederant, et praeco cum tubicine, ut mos est, in mediam aream, unde sollemni carmine ludicrum indici solet, processit et, tuba silentio facto, ita pronuntiat (…).
306 Stace, Silves, 3, 1, 139 : Iam placidae dant signa tubae ; iam fortibus ardens fumat harena sacris ; Virgile, Énéide, 5, 109-113 : Munera principio ante oculos circoque locantur in medio, sacri tripodes uiridique coronae et palmae pretium uictoribus, armaque et ostro perfusae uestes, argenti aurique talentum ; et tuba commissus medio canit aggere ludos.
307 Sidoine Apollinaire, Poèmes, 23, 339-341 : Tandem murmure bucinae strepentis suspensas tubicen uocans quadrigas effundit celeres in arua currus. Il est à noter que les musiciens sont très peu souvent mis en rapport avec les courses de chevaux. Hasard des sources ou réalité ? Le raisonnement par l’absence est toujours difficile à manier.
308 Virgile, Énéide, 5, 139-141 : Inde ubi clara dedit sonitum tuba, finibus omnes, haud mora, prosiluere suis ; ferit aethera clamor nauticus, adductis spumant freta uersa lacertis.
309 Diebner 1988, p. 132, fig. 2. Faccenna 1956, p. 52-53 et pl. 8a. Le monument est au lapidarium de Sepino, dans le Molise.
310 Faccenna 1956, p. 73 et pl. 5a.
311 Diebner 1988, p. 135, fig. 8, Antiquarium communal d’Isernia. Pour l’identification des différents gladiateurs en fonction de leur équipement, Coarelli 2001.
312 Ville 1965.
313 Cette interprétation de la mosaïque est de Perrot 1965, p. 108-109.
314 Perrot 1965, pl. 3.
315 CIL, IV, 10237 et non 10327 comme le stipule malheureusement Marengo 2005 dans le titre de l’article qu’elle consacre à ce document…
316 Il donnait ainsi la lecture suivante de l’inscription située sous la représentation figurée : Munus Nolae | de quadriduo | M. Comini Heredi(s).
317 Sabattini Tumolesi 1980, p. 99-100.
318 C. Giordano, cité par Marengo 2005, p. 40.
319 Settis 1991, p. 215, fig. 255. Giuliano 1979, I, 5, 25.
320 Sur l’histoire de l’orgue on se reportera à la synthèse toujours utile bien que viellie de Perrot 1965. L’instrument était suffisamment connu sous le règne de Néron pour que l’empereur souhaite l’ajouter à sa panoplie de parfait musicien et participer aux jeux en tant que joueur d’orgue hydraulique. cf. Suétone, Néron, 54, 1 : Sub exitu quidem uitae palam uouerat, si sibi incolumis status permansisset, proditurum se partae uictoriae ludis etiam hydraulam et choraulam et utricularium ac nouissimo die histrionem saltaturumque Vergili Turnum.
321 Pétrone, Satiricon, 36, 10 : Processit statim scissor et ad symphoniam gesticulatus ita lacerauit obsonium, ut putares essedarium hydraule cantante pugnare.
322 Sur la chronologie des attestations d’orgues, voir Walcker-Mayer 1970.
323 Représentation la plus complète dans Junkelmann 2000, p. 14-15, fig. 10-13.
324 La première organiste, fut, dit-on, la femme de Ktésibios, l’inventeur de l’orgue hydraulique, Perrot 1965, p. 71.
325 Walcker-Mayer 1970, p. 106, fig. 45.
326 CMC 005 et 006.
327 Sur les deux amphithéâtres d’Aquincum, Out of Rome 1997, p. 133-137.
328 Khanoussi 1988, p. 36-37, fig. 4 ; Khanoussi 1994 pour la qualité des reproductions.
329 Philostrate, Sur la gymnastique, 55.
330 Pour l’identification des différentes scènes, Khanoussi 1988.
331 Elles diffèrent en cela des tubae romaines traditionnelles telles qu’elles sont figurées sur les reliefs italiens des deux premiers siècles de notre ère. Évolution organologique ou particularité géographique ? La question semble difficile à résoudre faute de documents.
332 CMC 124.
333 Diebner 1988, p. 140, fig. 15. La datation a été clairement démontrée par Faccenna 1956 notamment par un rapprochement avec un fragment de relief gladiatorial de Budapest.
334 Junkelmann, p. 32, fig. 43.
335 Papini 2004, p. 195, fig. 89 ; Junkelmann 2000, p. 47, fig. 61 pour une bonne représentation.
336 Sénèque, Lettres, 78, 16 : Nos quoque euincamus omnia, quorum praemium non corona nec palma est nec tubicen praedicationi nominis nostri silentium faciens sed uirtus et firmitas animi et pax in ceterum parta, si semel in aliquo certamine debellata fortuna est.
337 Junkelmann 2000, p. 210-211.
338 Berlin, Staatl. Mus. Inv. FG 7737, Alexandrescu 2010, cat. P. 55, p. 336, pl. 36.
339 Bien qu’aucune source préservée n’atteste la présence de musiciens lors des uenationes, on ne peut exclure qu’ils y aient participé, étant donnée la fréquence de leur présence dans les autres types de jeux amphithéâtraux. Cf. Ville 1981, p. 373.
340 Une idée qui n’effraye pas Ville 1981, p. 374.
341 Junkelmann 2000, p. 36-37, fig. 48-50.
342 Pour une description complète du monument, Diebner 1988, p. 136-137.
343 On trouve une première édition de ce dessin dans F. Niccolini, Le case ed i monumenti di Pompei disegnati e descritti, 3, Naples, 1890, pl. 3. L’étude la plus complète de ce dessin recouvrant le mur intérieur de l’arena de l’amphithéâtre pompéien est celle de Hufsmid 2009, p. 259-267. Sur l’ensemble du travail de Morelli à Pompéi, voir Baldassare 2005, p. 73-120, particulièrement p. 105-111.
344 La Regina 2001, p. 334, fig. 24. Une exception pourrait être évoquée à partir du fragment de scène gladiatoriale d’Isernia mentionné précédemment (représentation dans Junkelmann 2000, p. 61, fig. 82), où le cornicen porte un casque. Le reste de son corps ne semble toutefois pas particulièrement protégé.
345 Hufschmid 2009, p. 261.
346 Péché, Vendries, 2001, p. 83.
347 Scheid 2005, p. 161-189 sur les rites funéraires, inclus dans la section du sacrifice domestique, soit de la religion privée
348 Scheid 1984, notamment p. 137.
349 Sur les sources concernant les rites funéraires, voir Scheid 2005, p. 164-165.
350 Les funérailles aristocratiques sont particulièrement connues par le texte de Polybe, 6, 53-54. Badel 2005, p. 36 insiste sur leur « caractère éminemment public » ainsi que sur l’importance de la mémoire du peuple quant à ce genre d’événement.
351 Sur la chronologie des funérailles à la fin de la période républicaine, voir Belayche 1995.
352 Horace, Satires, 1, 6, 42-44 (trad. F. Villeneuve, CUF, 1962) : at hic [Nouius], si plostra ducenta concurrantque foro tria funera magna, sonabit cornua quod uincatque tubas.
353 Pour la très grande rareté des représentations iconographiques des funérailles, Falletti 1995, p. 225.
354 Franchi 1963 pour une description complète.
355 Scott Ryberg 1955, pl. 9, fig. 19b.
356 Sur l’identification de cet instrumentiste, voir infra, p. 209.
357 Perse, Satires, 3, 103-106 : Hinc tuba, candelae tandemque beatulus alto conpositus lecto crassisque lutatus amomis in portam rigidas calces extendit : at illum hesterni capite induto subiere Quirites.
358 Franchi 1963, p. 27. Le relief est malheureusement anépigraphique. Il fut toutefois découvert avec bon nombre d’inscriptions concernant les familles Peducaea et Apisia.
359 Properce, Élégies, 2, 13, 17-20 (trad. S. Viarre, C.U.F., 2005) : Quandocumque igitur nostros mors claudet ocellos, accipe quae serues funeris acta mei. Nec mea tunc longa spatietur imagine pompa, nec tuba sit fati uana querela mei ; nec mihi tunc fulcro sternatur lectus eburno, nec sit in Attalico mors mea nixa toro. Desit odoriferis ordo mihi lancibus, adsint plebei paruae funeris exsequiae.
360 Appien, Guerres civiles, 1, 12, 105.
361 Appien, Guerres civiles, 1, 106, 498.
362 Sénèque, Apocoloquintose du divin Claude, 12 (trad. R. Waltz, C.U.F., 1971) : Et erat omnium formosissimum, et impensa cura, plane ut scires deum efferi. Tubicinum, cornicinum, omnis generis aenatorum tanta turba, tantus conuentus, et etiam Claudius audire posset.
363 Ovide, Fastes, 6, 13, 663-666 : les convois funéraires sont réduits au silence au moment de l’exil des tibicines à Tibur, signe de l’anormalité de la situation. Voir aussi infra chap. 3, rubrique 2.1.2 pour l’utilité malheureusement limitée des lois libitinaires campaniennes sur ce point.
364 Pline, Histoire Naturelle, 10, 43, 122 (trad. E. de Saint Denis, CUF, 1961) : (…) funusque aliti innumeris celebratum exequiis, constratum lectum super Aethiopum duorum umeros, praecedente tibicine et coronis omnium generum ad rogum usque, qui constructus dextra uiae Appiae ad secundum lapidem in campo Rediculi appellato fuit.
365 Cicéron, Des lois, 2, 23, 59 (trad. G. de Plinval, CUF, 1959) : Iam cetera in XII minuendi sumptus [sunt] lamentationisque funeris, translata sunt de Solonis fere legibus. « Hoc plus », inquit, « ne facito ». « Rogum ascea ne polito ». Nostis quae sequuntur. Discebamus enim pueri XII ut carmen necessarium, quas iam nemo discit. Extenuato igitu sumptu tribus reciniis et tunicula purpurea et decem tibicinibus, tollit nimiam lamentationem.
366 Ovide, Fastes, 6, 13, 663-666. Pour les autres raisons, voir supra, rubrique 2.1.2.2.1.
367 Ovide, Amours, 2, 6, 6.
368 Ovide, Tristes, 5, 1, 48.
369 Ovide, Héroïdes, 12, 137-140.
370 Properce, Elégies, 2, 7, 9-12.
371 Pétrone, Satiricon, 129.
372 Tacite, Annales, 14, 10, 3.
373 Pour les rapports entre les grands aérophones et la mort, voir aussi supra rubrique 1.2 (rôle des sonneries lors des procès capitaux) et 3.2.2 (mise à mort à l’issue des combats de gladiateurs).
374 Hygin, Fables, 274, 20-21 (trad. J.-Y. Boriaud, C.U.F., 1997) : Tyrrhenus Herculis filius tubam primus inuenit, hac ratione, quod cum carne humana comites eius uescerentur, ob crudelitatem incolae circa regionem diffugerunt, tunc ille quia ex eorum <… > decesserat, concha pertusa buccinauit, et pagum conuocauit, testatique sunt de mortuum sepulturae dare nec consumere. Vnde tuba Tyrrhenum melos dicitur. Quod exemplum hodie Romani seruant, et cum aliquis decessit, tubicines cantant, et amici conuocantur, testandi gratia, eum neque ueneno neque ferro interiisse.
375 Pétrone, Satiricon, 78.
376 Cicéron, Des lois, 2, 24, 61-62 : Haec habemus in XII, sane secundum naturam quae norma legis est. Reliqua sunt in more : funus ut indicatur, si quid ludorum ; dom<in>usque funeris utatur accenso atque lictoribus, honoratorum uirorum laudes in contione memorentur, easque etiam cantus ad tibicinem prosequatur, cui nomen neniae, quo uocabulo etiam <apud> Graecos cantus lugubres nominantur) ; Festus, Sur la signification des mots, p. 155 L (éd. Teubner) : Nenia est carmen, quod in funere laudandi gratia cantatur ad tibiam. Sunt, qui eo uerbo finem significari putant.
Sur la signification des neniae et pour une approche philologique du terme, Habinek 2005.
377 Wille 1967, p. 69.
378 Sur les tintinnabula et leur utilisation, voir entre autres la notice d’É. Espérandieu dans le DAGR, ainsi que Blasquez 1984 et Vendries 2004, p. 399. On en trouvait sur le tombeau du roi étrusque Porsenna, selon la description de Pline, Histoire naturelle, 36, 13, 92.
379 Festus, Sur la signification des mots, p. 82 L (éd. Teubner) : Funebres tibiae dicuntur, cum quibus in funere canitur, quas flamini audire putabatur inlicitum.
380 Magdelain 1968, p. 62.
381 Stace, Thébaïde, 6, 118-123 : Iamque pari cumulo geminas, hanc tristibus umbris ast illam superis, aequus labor auxerat aras, cum signum luctus cornu graue mugit adunco tibia cui teneros suetum producere manes lege Phrygum maesta.
382 Voir par exemple Horace, Odes, 4, 1, 21-28 pour un sacrifice à Vénus accompagné de la lyre et de la tibia bérécynthienne. Idem, Tibulle, Élégies, 2, 1, 83-87 pour un sacrifice à Cupidon avec ce même instrument.
383 Schnegg-Köhler 2002, p. 34, l. 88 : aenatores in funere canere [- - - uacat].
384 Properce, Élégies, 2, 7, 9-12 : Nam citius paterer caput hoc discedere collo quam possem nuptae perdere more fasces, aut ego transirem tua limina clausa maritus respiciens udis prodita luminibus. Ah ! mea tum qualis caneret tibi tibia somnos, tibia, funesta tristior illa tuba.
385 Aulu Gelle, Nuits attiques, 20, 2 (trad. modifiée d’ap. Y. Julien, C.U.F., 1998) : Vocabulum “siticinum” in M. Catonis oratione quid significet. “Siticines” scriptum est in oratione M. Catonis, quae scribitur “ne imperium sit, ubi nouus uenerit”. “Siticines, inquit, et liticines et tubicines”. Sed Caesellius Vindex in “commentariis lectionum antiquarum” scire quidem se ait liticines lituo cantare et tubicines tuba ; quid istuc autem sit, quo siticines cantant, homo ingenuae ueritatis scire sese negat. Nos autem in Capitonis Atei “Coniectaneis” inuenimus “siticines” appellatos, qui apud sitos canere soliti essent, hoc est uita functos et sepultos, eosque habuisse proprium genus tubae, qua canerent, a ceterorum tubicinum differens.
386 Sinn, Freyberger 1996, p. 48, n. 30 font des siticines des tibicines, une position qu’ils ne justifient pas et qui me semble en contradiction avec les sources.
387 Les informations tirées de ce texte d’Aulu Gelle sont reprises telles quelles, sans autre forme de critique dans l’article « siticen » du Dictionnaires des Antiquités grecques et Romaines.
388 Vendries 1999, p. 197.
389 Censorin, Du jour natal, 12.
390 Censorin, Le jour natal (trad. G. Rocca-Serra, Vrin, 1980) : Nam nisi grata esset deis inmortalibus, qui ex anima constant diuina, profecto ludi scenici placandorum deorum causa instituti non essent, nec tibicen omnibus supplicationibus in sacris aedibus adhiberetur, non cum tibicine Marti triumphus ageretur (…).
391 Cf. supra, rubrique 2.
392 Wille 1967, p. 70.
393 CMC 066, 067, 068, 081. Pour une analyse, voir infra, chap. 5.
394 Je remercie J. Ziolkowski, aujourd’hui professeur retraité de la Georges Washington University, Washington DC, d’avoir discuté avec moi de ces questions et de m’avoir fait parvenir certains de ses travaux difficiles d’accès ou non publiés.
395 Ziolkowski 1999, p. 373.
396 Nous discuterons de cette affirmation dans la partie suivante.
397 Hygin, Fables, 274, 20-21.
398 Voir supra, rubrique 1.3.
399 Gagé 1934.
400 A contrario les jeux séculaires donnés par Claude en 47, à propos desquels Suétone, Claude, 21, 5 rapporte que bon nombre de spectateurs avaient déjà assistés à l’édition précédente. L’écart de 64 ans entre les deux évènements permet toutefois de douter de l’importance du nombre de ces individus. Les trente années séparant ces jeux de ceux de Domitien en 88 paraissent une durée bien plus raisonnable et il devait effectivement y avoir là bien plus de ces spectacteurs privilégiés.
401 On se référera à l’édition de Schnegg-Köhler 2002 pour le texte augustéen et à Pighi 1965 pour les comptes-rendus sévériens.
402 Schnegg-Köhler, 2002, p. 30, l. 48. Il s’agit d’un édit du 24 mai, pris par les quindecemuiri quatre jours seulement avant la date initialement prévue. Il faut lire derrière cette séquence chronologique très concentrée la nécessité de s’adapter à une participation de la population bien plus importante que prévue.
403 Cf. supra, p. 155.
404 Pighi 1965, frag. Va, l. 58-60 : Tunc alliis coronis sumptis in pronao aedis Apollinis adscenderunt ibique clar[issimi pueri senatores XXVII et] puellae [matron. XXVII, qui] bus de[nuntiatum erat ut conuenirent, puer]i praetex[tati cum coronis et puel]lae palliolatae cum discriminalibus, manibus conexis, ca[rm]en c[ecinerunt noue c]ompo[situm, quod dictum est concinent]ibus tibicinibus et [fidicinibus].
405 Pighi 1965, frag. V, l. 71-73 : Inde XVuiri duxerunt] et tibi[cinum fidicinum cornic]inum aeneatorum et tubicin[u]m translatum, et togarum [- - - | a]sinariorum [- - -]m et tiron[u]mque ludionum quadr[igarum binarum et bi]garum binarum item desultorum cu[rsor]umque factionu[m singularum pompam] publicis et c[alatoribus ordinantibus, adstante et i]ntercede[nte popul]o, per [Via]m Sacram forumque Romanu[m] arcum Seue[ri et Antoni]ni Aug[[g. et Getae Caes.]].
406 Cf. supra, p. 164-165.
407 Cf. supra, chap. 2, rubrique 1.1.
408 B. Truax étant un Canadien anglophone, le terme originel est « acoustic community » : Truax 1984, part. p. 58-83.
409 Clavel-Lévêque 1984, p. 44-45, à partir du cas de la pompa circensis, ainsi que Bernstein 1998, p. 258, avec l’intuition du fait que les musiciens permettent d’inclure au mieux les spectateurs au rite.
410 G. Wille décrit le passage d’une pompa comme le maximum acoustique que pouvait entendre des oreilles de l’époque pré-industrielle : Wille 1967, p. 71.
411 Les auteurs sont nombreux à insister sur l’effet produit par les instruments sur les hommes, mais essentiellement dans le cadre militaire. Il est alors surtout question des sonneries qui donnent le signal de l’attaque : elles « enflamment », « emportent », « stimulent », bref préparent les hommes à l’assaut. Voir entre autres Aulu Gelle, Nuits attiques, 1, 11, 1 ; Dion Cassius, Histoire romaine, 47, 43 ; Lucain, Pharsale, 1, 750-752 ; Ovide, Métamorphoses, 3, 705 ; Id., 15, 783 ; Plutarque, Paul Émile, 33, 1 ; Polybe, Histoires, 15, 12, 2 ; Quintilien, Institution oratoire, 1, 10, 14 ; Sénèque, Dialogues, 5, 9.
412 L’étude des sonorités dans les processus d’adhésion populaires a surtout été étudié pour la voix, cf. Poizat 2001 et Quéniart 1999.
413 Dans ses grandes lignes le parcours de la pompa triumphalis est bien connu. Pour les processions funéraires, il dépendait du lieu de résidence du défunt et de la localisation de sa sépulture. Pour la pompa des jeux le parcours dépendait, outre de l’espace dans lequel ils étaient donnés, de la divinité à laquelle ils s’adressaient. Pour le cas particulier où la procession est la célébration en elle-même, voir Flambard 1987a.
414 Arnade 1996.
415 Muir 1981. La définition des « civic rituals » de l’auteur correspond à l’ensemble des évènements séculiers et religieux qui soudaient la communauté vénitienne. Il insiste particulièrement sur l’importance qu’il y a pour l’historien à scruter, interpréter, évaluer le temps civique et l’espace des rituels.
416 C’est le nom qu’E. Muir donne à son chapitre 5, p. 185-211.
417 Le chiffre de 265 uici est donné par Pline le Jeune pour son époque. Sur le rapport étroit entre Auguste et la musique, on se rapportera de manière plus détaillée au dernier chapitre de ce livre.
418 La bibliographie sur la réorganisation urbaine augustéenne et celle des cultes compitalices est abondante. On se contentera ici de renvoyer à notamment Fraschetti 1990 ainsi que Bert Lott 2004.
419 Voir Hano 1986 pour l’iconographie de ces autels, ainsi que infra pour une analyse plus détaillée.
420 Ainsi du uicus compiti Acili pour lequel la construction de la via dei fori imperiali en 1932 a permis de mettre au jour un petit édifice cultuel : Bert Lott 2004, p. 148- 152 et cat. 12, p. 188, avec la bibliographie afférente.
421 Pour des reproductions, Scott Ryberg 1955, pl. 23 ; Fless 1995, pl. 51-54, pl. 13, fig. 2 et pl. 17, fig. 1-2.
422 Il faut sans doute supposer que tous les uici ne procédaient pas à une procession de l’importance de celle représentée sur la frise de la Chancellerie, la cité ne disposant pas d’autant de tubicines. Il s’agit là soit de la représentation d’une pompa idéale, soit de celle se déroulant pour un uicus particulièrement important.
423 Assmann 2010, p. 125.
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Jouer pour la cité
Ce livre est cité par
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