Chapitre 9. Le cercle disparu des poètes : le groupe de sociabilité de Mécène
p. 411-469
Texte intégral
1S’il est un aspect de la vie de Mécène qui a reçu l’attention pointilleuse de la recherche, c’est bien son rôle envers les poètes de ce qu’on appelle couramment son « cercle ». Il faut dire que, dans presque toutes les langues européennes, l’antonomase a fait passer son nom propre dans le fond commun du langage pour désigner un protecteur des arts et des lettres1. Répandu par les Médicis, qui se voulaient duces Etruriae2, l’usage du nom commun était déjà en vigueur dans l’Antiquité3, se nourrissant des relations privilégiées de Mécène avec les poètes, reconnues et célébrées dès l’époque de Martial jusqu’à devenir un lieu commun4. Très vite, on eut tendance à interpréter les liens qui existaient entre les poètes et leur protecteur sur le modèle des pratiques renaissantes et classiques (ce en quoi on n’a pas tout à fait tort), puis sur le modèle des salons et cercles du XIXe siècle (ce qui est déjà beaucoup plus contestable) : ceux qui écrivaient l’histoire de l’Antiquité étaient les mêmes, ou dépendaient des mêmes, que ceux qui avaient intérêt à y trouver un modèle5.
2La concentration de l’intérêt de la critique sur le cercle tient aussi, bien évidemment, au volume des sources disponibles. De l’immense naufrage de la littérature latine, survenu à la fin de l’Antiquité et au Haut Moyen Âge, les seuls vestiges de la poésie augustéenne, qui sont parvenus jusqu’à nous émanent précisément des poètes de l’entourage de Mécène et lui accordent une place majeure vis à vis des autres interlocuteurs poétiques. Devant cet effet de nombre qui constitue une part importante du corpus général des occurrences du nom de Mécène, il est tentant de fonder des théories qui ressemblent à des certitudes au regard de la faiblesse, voire de l’inexistence des renseignements collectés sur d’autres pans de la vie de Mécène (on pensera par exemple à son rôle fiscal, étudié plus haut).
3Aussi était-il tout naturel que les études philologiques et historiques se concentrent sur les relations des poètes avec Mécène, puis sur celles de Mécène avec Auguste posant par transitivité quasi-mathématique, le problème des liens d’Auguste avec la poésie6. Se trouvent ainsi posées les bases de l’écrasante majorité des études qui ont pris Mécène pour objet en suivant deux directions principales. Celle, d’une part, qui envisage la nature des liens unissant poétiquement et personnellement Mécène à Virgile, Properce et surtout Horace7, dans un « cercle » dont l’existence n’est pas discutée ; celle, d’autre part, de la dépendance de la poésie au regard du pouvoir8. Historiens et philologues ne se sont pas toujours accordés sur les méthodes d’approche du problème, et leurs productions ont souvent été parallèles, suivant des marches distinctes alors que l’objectif – et parfois les résultats – était manifestement convergent. C’est qu’étudier les rapports des poètes à leurs modèles grecs, étudier leurs renuntiationes feintes ou réelles, face à leur protecteur, dans un environnement purement littéraire, n’est pas sans intérêt pour l’histoire de la période augustéenne, de même que l’élucidation des éléments historiques datables et l’inscription des œuvres dans leur contexte immédiat n’est pas sans incidence sur la conception de la poésie et de ses rapports avec le pouvoir.
4Ces approches voient cependant leur intérêt souvent réduit par leur caractère pointilleux, voire pointilliste (car il n’a parfois pas suffi de fragmenter l’étude des relations entre Mécène et ses poètes aux diverses occurrences de son nom, on a parfois bâti des hypothèses sur le décryptage douteux de pseudonymes9). À cela, deux conséquences majeures. À trop regarder de près tel ou tel passage, tel ou tel fragment d’œuvre, on risque de perdre de vue l’ensemble de la production d’un poète, et il est très facile alors de faire des erreurs de perspectives et d’opposer fallacieusement des passages qui semblent contradictoires10. La seconde conséquence, non moins grave méthodologiquement, est d’oublier que le destinataire du poème, même lorsqu’il a un référent réel, n’est, tout comme le « je » poétique, qu’un « vivant sans entrailles » pour reprendre les termes de Valéry11. Toutes nos sources sont poétiques et, de ce fait, méritent un traitement particulier. Le langage y est extrêmement codifié et normé, selon des critères qui sont propres aux genres12 et il serait vain de chercher dans les poèmes le reflet exact d’une vérité objective de la même manière que dans un texte historique (si tant est que le texte historique ne soit pas autre chose que l’expression d’une subjectivité). Le destinataire est créé au même titre que la situation décrite dans le poème. Certes, l’un et l’autre, poète et destinataire, entretiennent des rapports avec leur « double » réel, l’auteur et le lecteur, l’adressé, mais cela ne peut servir à fonder une lecture historicisante des rapports entre eux.
5Par ailleurs, la remise en cause de la notion même de cercle littéraire a mis en évidence nombre de faiblesses de ces analyses. La définition précise et restrictive du terme, fondée sur la réalité particulière que constitue, dans l’histoire littéraire française, le cercle ou le salon des XVIIIe et XIXe siècles, n’est pas applicable à la période augustéenne13. Cette définition, toujours tacite, pourrait se résumer ainsi : un cercle serait une réunion de poètes, stable dans le temps, se reconnaissant comme telle, pour défendre des idéaux esthétiques communs, dont une traduction politique est envisageable. Sans nier qu’il existait entre des protecteurs de haut rang et des poètes (de statuts différents), et entre certains de ces poètes, des relations particulières et durables au-delà du simple intérêt, il faut bien reconnaître que ces relations n’avaient rien d’exclusif (on pouvait dépendre de plusieurs protecteurs) et tenaient parfois plus de la juxtaposition de relations bilatérales entre un poète et un protecteur que de l’esprit de cercle ou de cénacle qu’on a parfois voulu voir dans l’Arcadie reconstituée autour de Virgile et de Mécène.
6Cette notion de cercle, une fois déconstruite presque entièrement, qu’en reste-t-il ? Des poètes, avant tout poètes, dont le projet poétique modelait la représentation des rapports entretenus avec tel ou tel personnage, au gré d’impératifs qui étaient avant tout esthétiques, sans préjuger en rien de la nature exacte de ces relations. Corollaire de ces démonstrations est la caducité de la notion de commande, de propagande des puissants, au premier chef desquels on compte, bien sûr, Auguste lui-même. La fonction immédiatement utilitaire de la poésie est absente car elle ne correspondait pas aux pratiques républicaines aristocratiques, du moins pas dans le sens où nous entendons, même positivement, le terme de propagande14. La poésie de commande existait15, comme elle avait existé déjà dans les décennies précédentes, mais ce n’est pas celle que nous avons conservée et dont nous discutons ici. La nouvelle donne politique changea bien sûr considérablement les relations entre le pouvoir et les poètes, mais, sous Auguste, les pratiques s’inscrivirent largement dans la tradition républicaine. Ces conclusions aboutissent à déconnecter esthétique et politique : il serait vain, dans ces conditions, de supposer un lien entre un genre de poésie et une posture politique, entre une œuvre et sa commande, une pique et une opposition au régime16…
7Le cercle de Mécène reste-t-il un objet d’étude pour autant ? Oui, si l’on se déplace du plan esthétique, qui constituait la base de la notion de « cercle de Mécène », pour aborder celle, plus historique ou sociologique, de la sociabilité de Mécène. En effet, sur le champ si souvent labouré de cette question du cercle et des poètes, si l’on peut espérer apporter quelque chose de nouveau, c’est bien en étudiant la construction et le fonctionnement de la sociabilité d’un grand de l’entourage d’Auguste17.
8Et sur ce plan aussi, on doit renoncer à employer le terme de cercle. La notion de cercle, ou même celle de sphère qui, pour donner du volume à l’image, est tout aussi limitative, implique en effet une notion d’inclusion et d’exclusion radicales, une idée de limite infrangible qui ne correspond pas à la réalité des rapports sociaux, objets de cette étude : on peut appartenir à l’entourage d’un personnage sans que cela exclue d’entretenir les mêmes types de rapports avec un autre personnage, autrement dit, on peut appartenir à « deux cercles » différents. Les liens qui unissent deux personnes dans un tel rapport peuvent être de natures extrêmement diverses et se développer sur une temporalité variable. Les frontières du groupe sont poreuses dans une mesure qui dépend de la nature des interactions qui le composent.
9La notion de cercle, par ailleurs, se révèle surtout dangereuse en cela qu’elle implique nécessairement l’idée d’un centre qui organise et structure l’ensemble. L’image du cercle polarise la représentation des rapports sociaux dans une logique qui pourrait n’être que la juxtaposition de relations bilatérales entre le centre et les différents éléments qui « gravitent » (autre métaphore à éviter pour les mêmes raisons sémantiques) autour de lui. Or non seulement la sociabilité implique aussi d’étudier les rapports entre les membres d’un même groupe, mais envisager l’étude à partir du seul éponyme du groupe (généralement le plus en vue socialement) considéré comme force polarisante, ne permet pas de comprendre les liens de sociabilité dans le sens que la sociologie a donné au terme. Cette notion définit en effet l’ensemble des rapports sociaux qui ne sont pas structurés par les pouvoirs organisés et reconnus officiellement comme tels que sont l’État, l’administration, la famille, la religion (en tant qu’institution), le commerce18… La sociabilité ne désigne plus, dans cette acception, l’aptitude des individus à se sociabiliser, mais les relations qu’entretient un individu avec les autres, et les formes de ces relations. Sa définition n’est d’ailleurs pas fixe : très théorique, elle est encore, chez les sociologues, sujette à débat, car peu nombreuses sont les études de cas menées pour en vérifier les attendus19. Bien évidemment, il ne nous appartient pas de fournir une de ces études dont le sociologue peut fonder les résultats sur un questionnaire plus complet que les sources anciennes ne nous pourront jamais donner. Cependant, tout en tenant compte des contraintes propres qu’impose la société romaine, bien différentes de celles des sociétés industrielles, urbaines et contemporaines, qui ont donné lieu aux études sociologiques disponibles sur la question20, il semble possible et non sans intérêt de proposer une définition de la position de Mécène dans un espace social plus vaste, après avoir étudié sa place au sein du cercle politique d’Auguste (au sens fermé cette fois, et précis, de « cabinet »), puis du cercle de sa maison, tous deux caractérisés par des éléments qui font sortir de la sociabilité telle qu’elle a été définie. En effet, tout rapport social uniquement fondé sur un élément juridique structurant de la société romaine – tel le patronage par exemple – fait quitter le lieu de la sociabilité pour celui de l’étude d’un élément organique de la société dans son ensemble21. Nous nous proposons au contraire d’étudier les pratiques de la sociabilité de Mécène, c’est-à-dire les liens qui l’unissaient à un groupe que l’on pourra qualifier comme « son entourage »22. Le refus d’envisager la question par le biais du centre éponyme du « cercle », ne conduit cependant pas à émietter le groupe social pris en considération en une multitude de monades centres de sociabilités particulières, aussi nombreuses en réalité qu’il y aurait d’individus. Notre point de vue sur la société augustéenne restera, par choix, porté par Mécène.
10Par ailleurs, la sociabilité étant, sur certains aspects, exclusive, il sera intéressant, d’autant que nous avons placé l’ensemble de notre étude sous l’éclairage politique, d’étudier les sociabilités parallèles, sinon concurrentes. La sociabilité étant indissociable des lieux et des pratiques qui en constituent l’essence même, au même titre que les individus, nous achèverons notre étude par celle des conditions matérielles de l’existence des réseaux auxquels Mécène appartenait23, ainsi que leurs rapports avec l’idéologie du Principat. En effet, nos sources nous contraignent majoritairement à envisager les choses sur le plan des rapports intellectuels qui pouvaient exister entre Mécène et les hommes de son entourage. Sans doute, d’une part, parce que ses goûts personnels le portaient à ces amitiés – mais n’était-ce pas le cas, avec plus ou moins de succès (tout le monde ne pouvait découvrir un Virgile ou un Horace), pour tout aristocrate ? Sans doute aussi, d’autre part, parce que son refus de la carrière des honneurs ne laisse transparaître plus que sa geste liée aux poètes qui ont immortalisé son nom.
L’entourage de Mécène
11L’organisation d’une telle étude n’est pas sans difficulté : car nous avions le choix entre poser les principes qui régissent ces rapports de sociabilité, ou bien en étudier les cas particuliers que sont les individus en relation avec Mécène. Les deux voies sont menacées de sérieux recoupements redondants. Il nous a semblé cependant que la première permettait de mieux mettre en valeur les principes du réseau formé autour de Mécène, tandis que la seconde nous aurait trop rapproché des fiches prosopographiques facilement accessibles par ailleurs et que notre étude n’aurait pas pu réunir de manière exhaustive24. Notre étude des ressorts de la sociabilité se cantonnera à ce que nous avons défini comme l’entourage restreint de Mécène, pour éviter que les conclusions ne soient rendues trop aléatoires par le caractère discret des sources. Les figures que nous croiserons ne sont évidemment pas les seules qui fréquentèrent les mêmes lieux, échangèrent les mêmes goûts que Mécène et ses proches : dans l’objectif d’étudier la sociabilité de Mécène, nous ne nous arrêtons que sur les « ponts » qui purent servir à mettre en relation certains individus dans l’entourage de Mécène. Le scintillement fugace des noms de ce qu’Henri Bardon appelle avec élégance « la littérature latine inconnue »25 est pour ce faire inutile car l’absence de liens positivement attestés, l’absence d’éléments pour les caractériser, empêchent d’en entreprendre l’étude systématique26. Ces noms resteront pour nous dans l’ombre.
Les critères d’établissement des liens de sociabilité
Le critère géographique
12Le cas de Virgile est intéressant pour les problématiques qui nous concernent car les réseaux dans lesquels il s’inscrivait sont connus par un assez grand nombre de sources, même si les renseignements donnés sont parfois lacunaires et souvent sujets à caution27. Ses relations vont à un premier grand groupe dont le critère de liaison est géographique : c’est le groupe des « poètes cisalpins »28 qui mit en contact des personnalités intellectuelles et politiques. Au nombre de ces individus, on compte Plotius Tucca29, Quintilius30, Cornelius Gallus31, Virgile lui-même donc, puisqu’il naquit à Andes, dans le territoire de Mantoue32. Gallus, à qui Virgile était lié depuis l’enfance33, fut sans doute un premier maillon par lequel Virgile se lia au monde des poètes de son temps. Car la notoriété de l’élégiaque précéda de beaucoup le floruit de sa carrière politique dans le début des années 30 a.C.34. C’est sans doute cette fréquentation du groupe des Cisalpins, qui mit Virgile en contact avec Asinius Pollio : depuis les années 60 a.C., au témoignage de Catulle35, Pollio était lié avec ce groupe de poètes dont l’origine géographique fonda le rapprochement. L’amitié avec le césarien Pollio alors au plus haut de sa carrière politique, assurait à Virgile la gloire que ses œuvres déjà venaient soutenir. Mais ce rapprochement avec Pollio ne signifiait pas que Virgile dépendait entièrement du légat d’Antoine, par ailleurs triumvir agris dividundis en 42-40 a.C. en Cisalpine36. En effet, Virgile appartenait à d’autres réseaux sur lesquels nous reviendrons.
13Le critère géographique de liaison peut aussi, d’une certaine manière, être utilisé pour fonder les rapprochements avec Mécène. Car Virgile était doté, en quelque sorte, d’une double caractérisation géographique : originaire de Cisalpine, puisque sa communauté natale dépendait de Mantua, il se situait dans une zone d’ancienne colonisation étrusque37. Ses liens avec cette zone de détermination culturelle ont été assez bien étudiés pour qu’on y revienne trop longuement38. Notons simplement son cognomen qu’on ne peut pas rattacher à autre chose qu’à une dérivation étrusque à partir du nom de magistrature maru, et que son entourage dut donc choisir comme élément culturel déterminant. Notons aussi la connaissance des réalités pertinentes à cette culture, qui incitent à croire que Virgile possédait des origines familiales ancrées en milieu étrusque, d’autant que l’on sait comment l’Étrurie fut utilisée dans l’Énéide39. On voit ainsi les nuances que peut prendre le critère géographique : Virgile, quoique cisalpin, se rattachait à une communauté plus ancienne, ce qui permettait de créer des liens forts avec Mécène dont a vu l’usage qu’il faisait du critère culturel pour se définir.
14Autre nuance encore du critère géographique, dans les liens qui unissaient Mécène et Properce. On ne peut évaluer exactement quelle fut la place, dans leurs rapports, de Volcacius Tullus, ami proche du poète40, dédicataire du premier livre des Élégies41 dont il ouvre et ferme le recueil. À nouveau, la proximité géographique peut être invoquée pour expliquer les liens entre les deux hommes. Properce était originaire d’Asisium selon ses dires, confirmés par l’épigraphie de la cité42, hors de la sphère étrusque donc43, à laquelle appartenait peut-être cependant Volcacius Tullus, s’il était effectivement originaire de Perusia44. C’est peut-être par ce filon étrusque – qu’il faut se garder d’exploiter systématiquement, car rien ne prouve par ailleurs que Mécène ait été lié aux Volcacii – que Properce se trouva mis en contact avec Mécène.
Le critère de l’ancienneté
15Au vu du groupe formé autour de Mécène et de ses poètes, un autre critère d’établissement des liens paraît être celui de l’ancienneté. Entendons par là le lien établi pendant les années, sinon de l’enfance, du moins de la jeunesse et de la formation, de la formation intellectuelle en particulier. Parmi les individus qui composent le groupe de sociabilité de Mécène, plusieurs fréquentèrent le cercle des épicuriens de Campanie, réunis autour du philosophe Siron en particulier. Virgile fut assez proche de son maître pour hériter, à sa mort, de sa villa campanienne45. Les papyrus de la villa de Pison à Herculanum ont livré, par ailleurs, dans les ouvrages de Philodème de Gadara, des attestations des noms des disciples qui fréquentaient les maîtres du jardin implantés en Italie : parmi eux, Varius Rufus, Quintilius, sans doute Plotius Tucca, et Virgile46. Quoique cette fréquentation ne fasse pas de Virgile un épicurien orthodoxe – ses œuvres le démentent – elle fondait en tout cas l’appartenance du poète à un second réseau qui recoupait partiellement celui des « poètes cisalpins ». À ce titre, on remarquera que les liens de Virgile à Cornelius Gallus, déjà signalés au titre du réseau cisalpin, étaient parallèlement renforcés par une formation commune : Probus fait du Mantouan et du futur préfet d’Égypte deux condiscipuli, ce qui signifie qu’ils partagèrent, dans leur enfance, le même maître47.
16Ce lien créé par les années de formation intellectuelle, dont nous avons déjà remarqué la force dans le groupe des poètes, est aussi une des caractéristiques des rapports entre Mécène et Auguste. L’un et l’autre eurent le même maître de philosophie, Areius d’Alexandrie48, ce qui, d’une part, suppose l’existence d’affinités nées d’une même formation intellectuelle (ce qui n’implique pas que les deux hommes aient évolué de la même manière sur le plan philosophique ensuite), d’autre part, repousse l’établissement de leur relation à une date assez haute. Les liens noués lors de l’enfance ou de l’adolescence, sont renforcés par le caractère particulier que leur donne l’ancienneté, lorsqu’ils survivent aux vicissitudes de l’existence. Même s’il existait indéniablement une différence de statut entre la famille de Mécène et celle des Octavii (encore que la branche à laquelle appartenait le jeune Octave ne s’était pas illustrée dans la carrière des honneurs), on sait que les pères plaçaient parfois leurs enfants chez des maîtres réputés pour accélérer l’ascension de la famille49.
Le critère du voisinage
17L’établissement de ces liens fondés tôt dans la vie des deux hommes s’appuie de plus sur un élément extrêmement puissant de la sociabilité romaine, et en particulier de la sociabilité politique : le critère de voisinage topographique. L’histoire politique de la famille Maecenas l’avait placée dans l’entourage de Marcius Philippus50, et les vicissitudes du Ier s. a.C. l’avaient rapprochée de celle de César à qui elle dut peut-être sa réintégration dans les affaires romaines après l’épisode sertorien. Or le remariage d’Atia, mère du jeune Octave, avec un Marcius Philippus fit passer physiquement le futur Auguste dans la maison de ce dernier sur l’Esquilin51, maison avec laquelle il garda, topographiquement, une certaine proximité, jusqu’au moment où il déménagea sur le Palatin. On ne connaît pas la date d’installation des Maecenates sur la colline, mais si l’on suppose que Mécène ne fit qu’agrandir une propriété familiale, on aurait une nouvelle preuve de l’importance du voisinage dans l’établissement des liens de sociabilité et de sociabilité politique en particulier à Rome52. C’est là pour nous une manière de comprendre l’établissement des liens personnels entre César le Jeune et Mécène, car les sources ne précisent pas – au contraire d’Agrippa53 – que Mécène et César le Jeune furent des amis de jeunesse54.
Le critère des affinités intellectuelles
18Un autre critère d’établissement de la sociabilité est l’affinité d’opinions, quelle que soit la nature de ces dernières. Sur ce chapitre, outre le cas des affinités entre Mécène et Auguste sur lequel il n’est pas utile de revenir, le cas de communauté d’opinion avec un autre aristocrate est éclairant. M. Lollius appartenait à la sociabilité de Mécène et entretenait par ailleurs des relations avec d’autres membres de ce groupe : présent dans l’œuvre d’Horace55, le consul de 21 a.C. n’y est d’ailleurs pas mis en relation avec Mécène, ce qui montre que les relations entre les membres d’un groupe de sociabilité n’étaient pas toutes centrées autour d’un seul et unique personnage. Mais les fameuses Élégies à Mécène furent, selon leur auteur anonyme, commandées par Lollius56. Un tel service indique clairement que Mécène et le commanditaire devaient entretenir des relations qui n’étaient pas que de circonstances. Le poème d’ailleurs signale que les deux hommes furent réunis par une fidélité commune à César le Jeune qui traduit sans doute une même orientation politique57. Tous deux cependant prirent des voies très différentes pour mettre en œuvre cette fidélité, puisque Lollius monta jusqu’au consulat avant de perdre sa gloire dans une expédition malheureuse en Germanie58.
19Les Élégies ont souvent été écartées sur la considération que ces deux poèmes « sentiraient leur exercice de rhétorique » et émaneraient d’écoles de rhétoriques flaviennes, en tout cas post-sénéquiennes59. Le contre-argument principal opposé à ce courant hypercritique repose précisément sur le choix de Lollius comme commanditaire de l’œuvre. Si véritablement les poèmes émanaient d’une école de rhétorique, on estime, sans doute avec raison, que le choix aurait pu se porter sur un personnage dont la mémoire n’était pas entachée par la défaite infamante subie en Germanie et surtout par le suicide qui suivit son exclusion de la maison impériale. D’autant que, pour les tenants de la datation tardive, l’exercice avait pour but de « réhabiliter » Mécène après les virulentes attaques portées par Sénèque, notamment dans la lettre 114. Sans entrer dans le détail du débat sur la datation des Élégies il faut remarquer simplement que, pour le problème qui nous occupe (l’amitié de Mécène et de Lollius), le problème importe peu : si le choix du rhéteur flavien se porta précisément sur Lollius, plus d’un demi-siècle après la mort de Mécène, c’est qu’on devait encore avoir le souvenir des liens particuliers qui unissaient les deux hommes. Comme ces liens n’étaient pas familiaux, il faut croire qu’ils étaient sinon d’amitié du moins de sociabilité.
20Cet examen de la place de Lollius dans la sociabilité de Mécène permet d’éclairer rapidement les relations de Mécène avec le poète auteur des Élégies qui fournissent une nuance de poids au rôle du critère d’affinité intellectuelle dans l’établissement des liens. Car, au cours de son éloge, le poète anonyme admet avoir eu une seule fois l’occasion de rencontrer Mécène60. Mal connues sont les circonstances de cette rencontre où Mécène semble avoir été habillé en Bacchus, menant des thyrses, dans une cérémonie qui pourrait peut-être avoir été ce « banquet des douze dieux » que César le Jeune organisa, en pleine famine à Rome, pendant le blocus imposé par Sextus Pompée61. Il est possible que la longue conversation qu’eurent le poète et Mécène ait porté sur des questions poétiques : les nova verba, tenues consulto « à dessein », pourraient bien désigner la « nouvelle poésie » néotérique, souvent désignée par ces termes. Malgré cela, on remarque que le poète ne fut pas engagé par Mécène ni dans son cercle, ni au service d’Auguste, sans quoi il n’aurait pas précisé qu’il n’entretenait aucun lien avec Mécène. Ce personnage anonyme sert donc de parfait contre-exemple de ce que ne fut pas le « cercle de Mécène » : les membres de la sociabilité que nous tentons de caractériser, étaient choisis en fonction de critères d’élections qui n’étaient pas uniquement ceux ni des liens poétiques, ni de la commande pure et simple au service d’une propagande impériale ou même personnelle.
21En contrepoint, s’élève l’exemple de Properce. Parmi les relations de Mécène à ses poètes, celles qu’il entretenait avec ce dernier sont les moins bien documentées. Le poète élégiaque n’a pas eu l’honneur de biographies antiques, ni de scholies aussi nombreuses que celles qui nous dévoilent des pans de la vie de Virgile et d’Horace. Sur lui-même, nous ne savons que ce que nous disent ses élégies et l’on sait combien il est dangereux de prendre pour argent comptant les allégations pseudo-biographiques des poètes. Cependant des critères d’affinités intellectuelles, en l’occurrence poétiques, peuvent être convoqués pour caractériser le rapprochement avec Mécène. R. Lucot a montré les liens d’admiration poétique qui prirent la forme d’un hommage aux vers de Mécène lui-même : le fragment de l’In Octaviam de Mécène, paraît être la source de quelques vers de Properce62. Ce clin d’œil en forme d’hommage fut-il l’introduction dont Properce avait besoin pour entrer dans l’entourage de Mécène ? Ou bien témoigne-t-il de relations poétiques déjà établies ? La poésie pouvait être utilisée comme un moyen de renforcer des liens personnels. Voire de les créer : Arellius Fuscus se complaisait à imiter Virgile (on peut penser qu’on se situait chronologiquement après l’écriture de l’Énéide, ou du moins après celle des Géorgiques), dans l’espoir de plaire à Mécène63.
Les moyens d’établissement des liens
22Les critères qui permettent à la sociabilité de s’établir nécessitent cependant des catalyseurs qui fondent effectivement l’établissement des liens. Ces éléments déclencheurs, tels qu’ils apparaissent dans le groupe formé autour de Mécène, sont de plusieurs types.
La recommandation
23De manière assez traditionnelle, la recommandation apparaît comme un des moyens de fonder le lien personnel, mais ce moyen doit être évalué avec précision car il peut être au fondement d’autres types de liens sociaux qui ne relèvent pas de la sociabilité. Le cas d’Horace, assez bien documenté mais paradoxalement complexe, permet de mettre en évidence cette modalité particulière d’entrée dans la sociabilité de Mécène. L’établissement de ces relations ne doit pas faire oublier que la société romaine était parcourue d’éléments de hiérarchisation qui empêchaient les individus d’envisager une relation d’égal à égal64. La fortune, mais aussi le capital social que constituaient les ancêtres, l’exercice de magistrature, ainsi que les différences statutaires introduites par le droit, constituaient autant de facteurs discriminants qui empêchaient l’établissement de liens directs et a fortiori égalitaires65. Les règles de l’amicitia et la valeur sociale accordée à l’entourage renforçaient ces barrières car on sait qu’un aristocrate en particulier était jugé sur son entourage : dans les procès, le témoignage de moralité présenté par la défense avait pour but principal de montrer que le prévenu n’était pas discrédité par ses mauvaises fréquentations66. L’introduction d’un nouvel individu dans l’entourage proche d’un homme en vue ne pouvait pas répondre à la spontanéité que nous accordons aujourd’hui – sociologiquement entendons-nous – à l’amitié67.
24Ainsi Horace décrit son entrée dans le cercle de Mécène comme un processus long. Présenté une première fois grâce à la recommandation de Virgile et de Varius Rufus, Horace dut attendre plusieurs mois avant d’entrer véritablement dans le groupe des proches de Mécène68. Son passé politique n’avait rien pour le recommander naturellement auprès de Mécène : il avait suivi les Tyrannicides en Orient, avait obtenu un commandement subalterne dans une légion avec le grade de tribun69, avait été proscrit70 et devait éventuellement son rétablissement à des antoniens. Si Horace ne se cache pas de ses erreurs politiques de jeunesse, il est extrêmement discret sur les personnes qui obtinrent sa restitution : Fr. Hinard suppose que ce bienfait ait pu venir d’Atticus ou du moins de Q. Pilius Celer, son beau-frère antonien71. Le poète entretenait, ses œuvres en sont la preuve, des liens avec un certain nombre d’individus engagés politiquement dans le parti d’Antoine, avec lesquels il ne rompit jamais les liens. On comprend, dans ces conditions, que la recommandation n’ait pas été un mécanisme suffisant, dans un premier temps, pour faire entrer Horace dans la sociabilité de Mécène. Il fallait encore qu’il soit jugé sur ses œuvres et sur sa personne. On ne sait quels furent les éléments déterminants qui conduisirent à son intégration définitive.
Les intermédiaires
25La recommandation nécessite dans tous les cas l’intervention d’intermédiaires qui constituent le deuxième moyen de concrétiser le lien de sociabilité. Dans le cas d’Horace, c’est grâce à ces tiers que furent Virgile et Varius que les contacts, formels, purent être engagés. L’origine des liens entre Horace et Virgile n’est pas déterminée, ni même leur date. Il semble clair qu’il existait des liens au moins poétiques entre les deux hommes, aussi tôt qu’en 41 a.C., car on tient l’Épode XVI, écrite à cette date, pour une réponse à la Bucolique IV72. Cette filiation poétique pourrait impliquer une connaissance personnelle, laquelle pourrait remonter à avant 45, date probable du départ d’Horace pour Athènes. À cette date cependant, Virgile se trouvait plutôt en Campanie (depuis 49 a.C.) dans le cercle de Siron et de Philodème qu’Horace, semble-t-il, ne fréquenta pas73. Peut-être Domitius Marsus, assura-t-il le lien qui les fit se connaître74 : Virgile était proche de ce poète qui suivit avec Horace, dans son enfance, les cours du même grammaticus75, le célèbre Orbilius de triste mémoire d’écoliers. De même tous trois, Virgile, Horace et Marsus, furent unis dans la critique virulente de deux mauvais poètes de leur temps, Bavius et Maevius76.
26Le même cas de figure se retrouve avec Virgile pour lequel il existe des liens avec des tiers qui auraient pu servir à établir les ponts avec Mécène. Le premier de ces personnages est Cornelius Gallus, qui appartenait au milieu politique proche de César le Jeune77. Les fragments de son œuvre attestent qu’il fréquentait les frères Viscii, eux-mêmes liés à l’héritier de César78. Ce micro-réseau montre qu’il est inutile de voir dans les amitiés politiques ou littéraires des coteries fermées sur elles-mêmes : Gallus était un proche de Pollion dont on connaît les sympathies plutôt antoniennes, mais quand ce dernier se retira de la vie politique au cours du triumvirat, Gallus, dont les amitiés étaient variées, n’eut aucune difficulté à se mettre au service de César le Jeune, grâce à des circuits qu’il faudrait analyser avec attention. De même, Virgile n’était pas « prisonnier » du cercle de Pollion et il n’est pas juste d’interpréter son rapprochement de Mécène comme une trahison, un débauchage, au détriment d’un cercle opposé politiquement.
27Pourrait avoir servi à rapprocher Virgile des milieux proches de César le Jeune, Varius Rufus, dont on soupçonne la proximité intellectuelle et politique avec Auguste au regard de ses œuvres et de leur contenu. Auteur d’un Thyeste qui fut représenté aux jeux célébrés à l’occasion du triple triomphe de 29 a.C., il appartenait déjà à l’entourage d’Auguste79 ; il semble qu’une de ses œuvres, le De Morte, dont la nature n’est pas connue avec précision80, ait contenu, du vivant d’Antoine, des critiques d’ordre moral sur son comportement. Son De Bello Actiaco confirma son engagement aux côtés de César le Jeune-Auguste81. Son onomastique pourrait par ailleurs laisser entendre que, quoiqu’originaire d’Italie septentrionale, il ait eu des origines étrusques82. Il faisait partie aussi des amis épicuriens de Virgile et aurait pu le rapprocher, sinon directement de Mécène, du moins de proches de César le Jeune.
28Enfin, reste le cas de Domitius Marsus qui fait figure de bon candidat pour l’introduction de Virgile dans les cercles césariens fréquentés par Mécène. Proche de César le Jeune de bonne heure (il lui écrivit une consolation pour la mort d’Atia, sa mère, décédée en 43 a.C.83), il semble avoir été proche de Virgile dès l’époque des Bucoliques, si tant est que l’on puisse tirer un élément à valeur chronologique du rapprochement effectué par Martial84. Le titre d’une de ses œuvres, intitulée Cicuta, semble de plus répondre aux orientations poétiques mises en avant par Virgile dans lesdites Bucoliques85.
La forme des liens
29Sans renier l’objet d’étude que nous nous sommes donné et la définition que nous lui avons donnée, il faut convenir que les spécificités de la société romaine imposent leurs marques sur la nature même des liens de sociabilité.
La dépendance
30Une de ces caractéristiques pourrait être la dépendance entre des individus deux à deux au regard de leurs positions sociales respectives. Le cas de Mécène et d’Auguste apparaît comme un bon cas d’étude. L’institution du Prince comme héritier universel86, de même que la présence du chevalier d’origine étrusque à ses côtés lors de ses déplacements en ville (comme lors d’une déclamation oratoire par exemple87), pourraient laisser croire qu’il existait un tel lien de dépendance entre les deux hommes. La présence de Mécène aux côtés d’Auguste sur le forum ou dans la salle de déclamation ne relevait-elle pas de l’accompagnement dû par le client à son patron ? Il n’est pas envisageable de nier l’infériorité de Mécène sur le plan de la hiérarchie sociale romaine : l’écart alla même en grandissant au fur et à mesure que le Prince concentrait les pouvoirs, réels ou symboliques, qui faisaient de lui le premier personnage de Rome. Aussi Mécène s’intégra-t-il sans doute en partie dans les pratiques sociales qui marquaient cette infériorité. Mais ces deux actes (le testament et l’accompagnement dans les déplacements) nous placent aux marges de ce que la sociologie définit comme les liens de sociabilité, pour entrer en réalité dans ceux qui sont imposés par les structures sociales propres à la société romaine. Il est cependant possible de les lire de manière plus conforme à notre perspective comme des preuves supplémentaires des liens entre Auguste et Mécène : pour ce qui est du testament, on sait par exemple qu’Auguste fut assez attentif à ne pas prêter le flanc à l’accusation de captation d’héritage88 et il n’y a pas lieu de croire que l’absence de descendance connue de Mécène lui ait forcé la main.
31Un autre lien de dépendance caractéristique de la société romaine mérite attention. Autour d’un aristocrate, circulaient un certain nombre d’individus de statut assez indéfinissables que les sources nomment « parasites ». La réalité recouverte par ce terme d’origine grecque est en réalité peu claire et on est parfois en mal d’en donner une définition assurée. On entend généralement par parasite un personnage qui vit aux dépens d’un homme plus riche qui le tolère dans sa compagnie, aux banquets en particulier, en échange de bouffonneries ou de bons mots. Le terme ne désigne pas un statut à proprement parler, mais un comportement, alliant la servilité à l’intérêt bien compris89. Aussi est-il difficile de déterminer la condition de ces individus autrement qu’en disant qu’ils devaient être clients de Mécène. Pour ne pas nous éloigner de la sociabilité construite autour de Mécène, nous nous bornerons donc à quelques remarques sur ces individus qui constituaient un élément récurrent de l’entourage d’un aristocrate.
32Élien le Sophiste90 rapporte une anecdote qui mettait en scène un autre parasite du nom de Ἰορτός, à qui un bon mot particulièrement flagorneur assura le rire des convives et la postérité. Certains ont voulu voir, au prix de corrections textuelles assez alambiquées, le nom de Properce se dessiner sous ce nom grec91. La proposition ne paraît pas nécessaire : le trait d’esprit ressemble plus à celui qu’on attendait d’un parasite que d’un poète.
33Plus éclairante est en revanche la satire d’Horace qui nous fournit le nom de deux de ces parasites qui accompagnaient Mécène comme son ombre aux banquets92. La satire joue bien évidemment autant avec les codes du genre qu’avec ceux du banquet pour faire le récit de ce repas donné, semble-t-il, par un personnage dont la position sociale était de loin inférieure à celle de Mécène : la présence de deux bouffons dans un banquet prévu pour les neuf occupants d’un triclinium, le prouve. Les deux parasites, les « ombres » de Mécène, sont Servilius Balatro93, au cognomen parlant, et Vibidius dont nous ne savons rien par ailleurs. C’est à peine si nous savons que Servilius Balatro se permettait aussi des libertés de paroles avec Auguste lui-même. Cela signifie que ce Servilius accompagnait parfois Mécène dans des occasions où ce dernier fréquentait Auguste : au cours de banquets, sans doute donnés sur l’Esquilin.
34Dernier individu enfin qu’il nous faut mentionner : le pantomime Bathylle94. Affranchi de Mécène selon Sénèque le Rhéteur95, Bathylle était alexandrin et fut, avec son comparse Pylade venu de Cilicie, à l’origine de la pantomime comme genre indépendant96. Les deux acteurs devaient être passablement jeunes au moment de cette création, datée de 22 a.C.97, puisqu’ils étaient encore en activité sous Tibère. Ils s’étaient respectivement spécialisés, Bathylle dans la pantomime comique, Pylade dans la tragique98. La carrière de ces deux personnages montre combien, dans l’entourage de Mécène, était actif le bouillonnement intellectuel et artistique qui visait à renouveler ou à créer une gamme d’arts qui fussent tout romains, collant aux goûts du public. Si la pantomime fut extrêmement décriée par les tenants du vieux théâtre latin, elle supplanta les représentations dans le cours de l’Empire, et, en cela, elle eut plus de succès que la représentation des trabeata inventées par Melissus, l’affranchi de Mécène quelques années plus tard99. Auguste laissa faire, par amitié pour Mécène, et s’attira cette remarque que l’on s’étonne de ne pas voir rapportée sous la plume de Tacite : alors que les deux pantomimes s’opposaient violemment, Auguste reprocha cette querelle à Pylade, lequel lui répondit qu’il était dans l’intérêt du Prince que le public fixât son attention sur eux100. Ce Bathylle était sans doute acteur101 à ses origines, puisque la pantomime naquit des danses grecques qui scandaient les spectacles. Entré dans la maison de Mécène sans doute pour ces qualités, il devint, pour des raisons toutes personnelles que rappelle Tacite, un proche de Mécène qui lui permit ainsi, de participer au mouvement de renouveau intellectuel qui accompagnait le chevalier d’origine étrusque. Gilles Sauron102 a bien montré comment la création de la pantomime avait été théorisée véritablement, trouvait sa place dans le programme idéologique de renouveau annoncé par Auguste, et s’était accompagné d’une révolution architecturale dans la réalisation des fronts de scène de théâtre. L’articulation organique de ces trois éléments prouve définitivement que le milieu du pouvoir intervenait activement dans la création d’une idéologie et dans ses modes de diffusion. Bathylle occupe, dans nos sources, le second plan, après Pylade, dans ce processus de création. L’un était affranchi de Mécène, le second d’Auguste, ce qui explique peut-être la différence de traitement. Ce simple fait rappelle cependant l’importance des connexions existant entre les maisons du Princeps et celle de son conseiller.
Le critère des affinités personnelles
35Nous ne reviendrons pas sur les rapports entre Horace et Mécène qui ont été scrutés dans leurs moindres détails, grâce aux allusions que tel ou tel a cru repérer dans les œuvres qui lui sont dédiées103. Toutes les interprétations qui font état d’un refroidissement des liens entre les deux hommes sur la foi de recusationes, de revendications « d’indépendance », se trompent en réalité d’objet, sans doute pour n’avoir pas assez de recul sur l’œuvre entière de poète. La dernière apparition chronologique de Mécène, dans le dernier livre des Odes, marque au contraire la plus grande proximité dont les poèmes ont jamais témoigné104. Le chevalier d’origine étrusque, pour la seule et unique fois du recueil y est appelé Maecenas meus, impliquant un degré de proximité jamais atteint auparavant. On connaît de même une épigramme de Mécène à Horace dans laquelle, de manière plaisante, il exprime la force des liens de leur amitié105. Donat rapporte, par ailleurs, que dans ses dernières paroles, Mécène recommanda le poète à Auguste106, ce qui traduit l’importance du lien d’affection personnel, qui est un élément sociologiquement difficilement mesurable, mais qui décrit la nature du lien de sociabilité.
36Pour ce qui est des rapports de Mécène à Auguste, la présence physique du premier dans l’entourage proche du Princeps, et en particulier dans le cortège qui l’accompagnait, motive sans doute la caractéristique donnée par les sources antiques à leur relation politique, qui est la fides107 dont Properce fait le vrai trophée de la carrière de Mécène108.
37C’est cette fides qui explique sans doute qu’Auguste dédia ses mémoires à Agrippa et à Mécène109, sans doute en partie parce que la période comprise dans cette œuvre couvrait celle où ils avaient été ses très proches collaborateurs, mais aussi parce qu’elle indiquait précisément leur proximité dans une fonction de conseil qui n’était pas que formel et officiel comme nous l’avons vu : Auguste regretta vivement leur mort lorsqu’il fallut régler au mieux « l’affaire Julie »110.
38La dernière caractéristique des liens entre les deux hommes relève enfin de l’amitié et non pas de l’amicitia qui constituait une puissance structurante de la société romaine extrêmement active. C’est ce que semble signifier le fait qu’Auguste élisait domicile, lorsqu’il avait besoin de repos, dans la maison de son ami sur l’Esquilin111, même si cette pratique revêtait sans doute une signification toute symbolique, eu égard à la position spécifique du domaine auprès de la muraille servienne, et à son accaparement des signes du pouvoir sur la Ville112. De même Mécène, qualifié pour l’occasion de συμβιωτός d’Auguste par Plutarque, ne manquait jamais de lui offrir une coupe le jour de son anniversaire113. Les sources sont trop peu nombreuses cependant pour qu’on puisse suivre tous les développements d’une telle relation mais il semble que l’on puisse fournir une définition des liens qui unissaient Mécène et Auguste hors du cadre strictement politique que nous avions étudié.
Les réseaux et leur évolution
Les liens transversaux
39Plusieurs fois au cours de cette étude, nous avons eu l’occasion de noter que les individus qui avaient été en relation avec Mécène (ce qui les fait tomber dans le périmètre de notre étude), entretenaient des liens entre eux, sans que le rôle ou même la présence de Mécène soit attestée : c’était le cas, par exemple de Lollius et Horace. C’est que les liens de sociabilité permettent de créer des liens de degré divers, qui mettent en relation des individus au-delà du premier intermédiaire114.
40Ainsi, les trois figures de Varius Rufus, de Gallus et de Domitius Marsus, telles que nous les avons analysées plus haut, offrent un intérêt spécial dans la mesure où elles permettraient d’ôter le crédit de la rencontre entre César le Jeune et Virgile au seul Mécène. Car, à regarder la situation des Bucoliques qui sont la première œuvre écrite par Virgile que nous ayons conservée, on remarque que Mécène n’apparaît pas, alors qu’on s’accorde généralement à voir dans le iuvenis de la première Bucolique, le jeune héritier de César. Vu les liens qui existaient dès l’époque des Bucoliques entre Gallus et Domitius Marsus d’un côté et Virgile de l’autre, il est probable qu’il faille revoir le sens et la chronologie de l’établissement des relations entre les trois hommes, ou, au moins, renoncer à l’idée d’un Virgile « présenté à » et « mis au service de » César le Jeune par Mécène. Les trois hommes furent amenés à fréquenter des groupes de sociabilité communs et, divers éléments, dont des affinités littéraires, politiques, géographiques, philosophiques, les rapprochèrent les uns des autres pour former des amitiés plus particulières.
41De même, la connaissance des réseaux de Virgile, rendue relativement large par l’abondance des sources biographiques, permet de constater l’absence flagrante de Mécène de ses deux groupes de sociabilité principaux. Celui des Cisalpins ne lui offrait pas véritablement de place si le critère géographique fut bien déterminant dans la naissance des liens entre les poètes autour de Catulle. Mécène naquit certainement et fut éduqué à Rome même, et dans tous les cas Arretium n’avait aucune raison de le mettre en contact avec le groupe des padans. Quant au cercle des Campaniens, la question est plus délicate. Un bon nombre des assidus révélés par les papyrus de Philodème fut, par la suite, lié à Mécène. Est-ce à dire qu’il fut lui aussi un auditeur des conférences données dans la villa de Piso ? Mécène, pourtant, est connu pour avoir eu un maître d’obédience plutôt… stoïcienne en la personne d’Areius, qui fut aussi, à Rome, l’un des maîtres d’Auguste115. Il est vrai que ses goûts et sans doute ses fréquentations le portèrent par la suite vers un épicurisme dont il ne nous appartient pas dans ces lignes de juger la valeur ni les orientations116.
Une orientation ascendante
42Les liens de sociabilité pouvaient aussi traduire les mouvements des individus, d’une sociabilité à l’autre. Un premier mouvement peut se caractériser par son sens ascendant si l’on considère le statut social des individus (critère que, idéalement, la sociabilité ne doit pas faire intervenir117). En effet, autour de Mécène, « gravitaient », au sens où ils tentaient de s’approcher de lui, sans parvenir à établir véritablement avec lui des liens de sociabilité, quelques personnages qui prétendaient être de ceux avec lesquels Mécène entretenait des relations suivies. « Le fâcheux » de la satire d’Horace fournit un modèle assez réaliste de ces individus qui cherchaient à se mettre en contact avec lui118. La structure pyramidale de la société, hors relations de clientèle, est ainsi bien mise en valeur : le fâcheux n’était vraisemblablement pas client de Mécène, mais cherchait à entrer dans le groupe de ses proches, par l’entremise d’Horace, avec pour fins dernières la volonté d’approcher Auguste et le centre du pouvoir119. La satire replace ainsi Mécène dans le réseau de relation qui formait la société autour d’Auguste. La figure du poète dans la satire a toutes les peines du monde à faire entendre au fâcheux que les relations qu’il entretient avec Mécène sont d’amitié et que la politique n’entre pas en ligne de compte dans leurs conversations : la satire du voyage à Brindes n’avait pas cherché à prouver autre chose.
43Parmi ces « prétendants », on peut citer le cas du rhéteur Arellius Fuscus, qui imitait Virgile dans l’espoir de plaire à Mécène120. Cette anecdote vient apporter une preuve contemporaine, hors Virgile, Horace et Properce, que Mécène favorisait certains artistes : on voit mal pourquoi Arellius Fuscus aurait cherché les faveurs de Mécène si ce n’était pour profiter des avantages, parfois matériels, qu’elles engendraient121. À moins que Mécène n’ait été perçu que comme un relais vers Auguste.
44Ces deux cas (le fâcheux imaginaire d’Horace et Arellius Fuscus) sont la preuve que l’établissement de liens de sociabilité avec Mécène pouvait être interprété dans le sens d’un élargissement, pour les requérants, du périmètre de leur entourage, orienté vers des fins utilitaires. Ils permettent aussi de caractériser les conséquences de la sociabilité de Mécène sur les poètes de son entourage. La proximité de ce personnage chargé d’un capital symbolique élevé, rejaillissait sur eux sous la forme de cette popularité, qui ne leur était pas directement destinée, mais qui cherchait à viser plus haut encore, soit directement vers Mécène, soit vers Auguste lui-même.
Les fluctuations/recompositions des réseaux
45Un autre type de mouvement des individus dans les groupes de sociabilité se caractérise par la fluctuation de l’intensité des liens qui peuvent aller jusqu’à s’éteindre. Le cas du passage de Virgile de l’entourage de Pollio à celui de Mécène peut servir d’illustration à ce phénomène. Ce passage suscitait des interrogations déjà dans l’Antiquité, puisque Servius, dans sa vie de Virgile122, mettait en parallèle chacune de ses trois grandes œuvres, les Bucoliques, les Géorgiques et l’Énéide, avec la fréquentation, la protection et la commande, respectivement de Pollion, de Mécène et d’Auguste. La biographie ainsi présentée conduit à lire le passage d’un protecteur à un autre comme un changement dans l’orientation politique du poète et une progression dans sa dépendance des Grands et du pouvoir. Les raisons de l’indéniable rapprochement de Virgile et de Mécène sont en réalité à chercher ailleurs, et certainement pas dans un choix politique contraignant. En 39-38 a.C., Pollion quitta l’Italie pour la Macédoine dont il avait obtenu le gouvernement123. Virgile aurait pu, à cette occasion, le suivre comme il était de coutume qu’un poète suive son protecteur124, ou au moins, propose de le faire125. L’absence s’installa et, parce qu’elle continua, finit sans doute par détendre un lien qui n’était pas unique, tandis que des raisons poétiques renforcèrent la distance. Dans les Bucoliques, Virgile semble en effet tenté par l’écriture de genres plus élevés, alors que Pollio est présenté comme un inspirateur et un lecteur privilégié du genre champêtre126. Un changement de goût et d’inspiration, renforcé par le retrait politique de Pollio127 à son retour de Macédoine et après son triomphe, par son refus de choisir entre Antoine et César le Jeune, explique donc certainement mieux le « passage » opéré par Virgile de Pollion à Mécène. La familiarité entre Virgile et Pollion, qui était née des contacts noués avec le cercle des poètes de Cisalpine, n’avait pas l’intensité nécessaire pour résister aux concordances idéologiques en particulier, qui existaient entre le poète et l’entourage de César le Jeune dont Mécène faisait partie. Cela ne signifia pas pour autant la rupture complète des liens avec Pollio : malgré son caractère tenacement rancunier, souligné par Tacite et Pline l’Ancien128, Pollio semble avoir écrit un ouvrage de défense de l’Énéide129 écrit pourtant après que Virgile s’était rapproché de Mécène. Le cas de Virgile montre comment les liens personnels, présents avec plus ou moins d’intensité selon les affinités, pouvaient fluctuer au fil du temps, bien loin de valider l’hypothèse de liens contraints par les rigueurs d’un engagement politique. Ce cas, non pas emblématique, mais mieux documenté que d’autres, met en évidence par ailleurs la multiplicité des réseaux qui empêchent de parler véritablement, d’une manière brutale, systématique et incomplète, de cercle de Mécène.
Face à Mécène : des réseaux concurrents ?
46À Rome le procès était une arme politique redoutable si utilisée que l’on a pu proposer d’écrire une histoire politique du dernier siècle du régime, au regard de la chronique judiciaire du temps130. Le procès engageait à tel point l’entourage d’un homme, parfois contraint d’apporter son soutien pour des questions clientélaires, que les procédures judiciaires nous permettent de mettre au jour les réseaux politiques construits autour d’une personnalité. Il ne s’agira pas ici de développer la signification politique des cas d’opposition que nous nous proposons de relever, mais de nous concentrer sur leur portée sociale. La question se pose en effet avec une acuité accrue, du fait de la restructuration pyramidale de la société impériale romaine, de savoir si les attaques lancées contre Mécène ou contre ses proches visaient, par-delà leur destinataire premier, Auguste ? C’est ainsi qu’a été interprété par exemple le procès intenté à Nonius Asprenas par Cassius Severus pour avoir provoqué quelque cent trente empoisonnements131… Par la définition de ces oppositions, nous entreprenons de définir par la négative les réseaux de sociabilité construits autour de Mécène. Ou plutôt, nous tenterons de définir quel pouvait être l’usage négatif de ces liens de sociabilité qui existaient entre Mécène et des individus qui furent attaqués, par un procès ou un pamphlet. En d’autres termes encore, il nous faudra tenter d’évaluer si les attaques du « capital social », que subirent un certain nombre de proches de Mécène, furent orientées et conditionnées par les liens de réseaux qui existaient entre eux et le chevalier d’origine étrusque.
47Nous regroupons ici les cas d’opposition que les sources proposent à notre étude en deux catégories. La première concerne les adversaires de Virgile, que les biographes et les grammairiens nous permettent d’assez bien connaître. Puis nous étudierons dans un second temps les procès intentés à des proches de Mécène.
Les opposants de Virgile
48Si Virgile créa des émules, pas toujours adroits, de son style132, ou bien s’il servit de vecteur à ceux qui voulaient se rapprocher de Mécène, le poète d’Andes a aussi concentré des critiques qui tenaient autant à la qualité de ses œuvres, qu’à sa proximité de Mécène et d’Auguste.
49Le premier cas d’opposition assez renseigné est néanmoins problématique. La rivalité entre Virgile et un Anser est réciproque, puisque l’un et l’autre s’attaquèrent. Virgile, dans les Bucoliques donne une piètre opinion de sa poésie, la comparant au jacassement d’une oie (anser)133. Servius précise que le personnage qui se cache sous cette pique est un poète de la suite d’Antoine cité d’ailleurs par Cicéron134. Certains ont remis en doute cette interprétation en lisant dans anser une simple insulte via le rapprochement avec l’oie135, laissant anonyme la cible de Virgile. Cependant, le fait que Servius soit capable d’identifier un personnage nommé Anser comme un poète antonien semble un gage suffisant de son existence propre, détachée du cognomen ou du sobriquet. S’il s’agit bien de l’individu connu par Cicéron il appartenait à cette famille de partisans de César qui occupait le domaine de Pompée à Falerne, ce qui expliquerait la suite de son parcours aux côtés d’Antoine avec qui il partageait la même position quant aux biens confisqués de Pompée.
50Un second personnage dont les caractéristiques se rapprochent de celles d’Anser est le Bavius, cible des critiques conjointes d’Horace, de Virgile et de Domitius Marsus136 que les deux derniers poètes lient dans la réprobation à son comparse Maevius. Il mourut pendant l’année 35 a.C. en Cappadoce137, ce qui laisse supposer qu’il se trouvait dans cette zone orientale lors de la retraite difficile d’Antoine après sa campagne malheureuse jusque sous les murs de Phraaspa138, ou bien lors de la campagne arménienne des années 35-34 a.C. Dans ce cas, lui aussi devrait être qualifié de poeta Antonii comme l’avait été Anser par Servius.
51Est-ce à dire que ces deux auteurs sont attaqués par Virgile pour des motifs politiques uniquement ? Sans doute pas, ou du moins, rien dans le texte du poète où la critique n’est qu’esthétique ne vient soutenir une telle hypothèse. Attaquèrent-ils de leur côté Virgile de manière politique ? Cela supposerait que Virgile aurait, dès ce moment, été perçu comme proche du pouvoir et d’Auguste, ce qui est bien difficile à admettre : en 35 a.C., Virgile devait plus être réputé pour sa proximité à l’antonien Pollio que pour ses liens avec le futur Auguste. Il appartenait déjà à l’entourage de Mécène, certes, mais son œuvre n’était sans doute pas encore comprise comme liée idéologiquement au César le Jeune. Si opposition il y eut ce fut sans doute une opposition de clans et la portée des attaques fut sans doute dans le domaine pamphlétaire, et si Anser était poeta Antonii, il est compréhensible qu’il ait été alors engagé dans la lutte d’opinion qui faisait rage entre les deux hommes139. Ceux qui se livraient à la guerre des pamphlets n’étaient pas les meilleurs de poètes, et cela suffit peut-être à justifier les critiques de Virgile.
52Mais les débats purent aussi être d’ordre strictement littéraire : la liste des détracteurs de Virgile dressée par Donat140, compte essentiellement des critiques pas toujours avisés, mais dont l’intérêt portait avant tout sur le talent de Virgile. Tel ce Carvilius Pictor, auteur d’un Aeneomastix (Énée fouetté), ce Numitorius qui écrivit des Antibucoliques dans lesquelles on trouvait, en réponse au célèbre Tityre tu patulae recubans sub tegmine fagi141, ce plaisant : Tityre, si toga calda tibi est, quo tegmine fagi ?, « Tityre, si ta toge est chaude, que te sert l’ombre d’un hêtre ? »142. La critique était parfois plus sérieuse et portait sur des points d’érudition à l’instar de ces commentateurs énumérant les emprunts de Virgile à d’autres auteurs (Perellius Faustus, Q. Octavius Avitus), les fautes de Virgile (Herennius, Maevius et Bavius), ou le style (Agrippa lui-même et Messalla143). Tout ceci rappelle que Virgile, quoique devenu un classique de son vivant, avant même l’écriture de l’Énéide144, participait au même titre qu’Horace au renouveau de la poésie latine et qu’à ce titre, il s’inscrivait dans de fortes controverses artistiques qui d’une part n’eurent rien de particulièrement politique, d’autre part ne concernèrent pas forcément les liens sociaux établis avec Mécène.
Les procès intentés aux familiers
53Au-delà de ce premier groupe d’opposants à un membre du réseau de sociabilité de Mécène145, reste le cas de ses proches ou familiers qui furent attaqués éventuellement par voie de justice. Dans la famille de Mécène la condamnation de Murena lors de la conjuration de 23, fit que le philosophe Athenaeus de Séleucie qui se trouvait dans son entourage fut inquiété avant finalement d’être innocenté146. Les liens de sociabilité engendraient donc parfois des effets induits qui n’étaient pas que bénéfiques. Si Mécène ne fut jamais condamné, en revanche, le mouvement inverse – l’attaque de ses proches – est attesté à deux reprises au moins147.
Bathylle
54Le premier cas repérable est aussi problématique, car il est tout à fait vraisemblable qu’il ne fut plaidé que devant ces fausses cours que constituaient les chambres de déclamation des rhéteurs, ou bien même au sein de cette grande salle d’audience que constituaient la Ville même de Rome et son public attentif aux échanges de pamphlets. Bathylle, en effet, fut attaqué vigoureusement par Labienus, qu’on surnommait alors Rabienus (l’Enragé) pour la virulence de ses attaques personnelles portées tout autour de lui148. L’attaque ne fut sans doute pas judiciaire cependant car le contexte semble être celui d’un échange de pamphlets, ou en tout cas du monde de la déclamation149. Le rescriptum que Gallio, le défenseur, lut, n’a rien du document juridique ou législatif, mais relève du simple terme de correspondance150. Dans cette guerre des libelles, certains étaient anonymes, mais derrière d’autres, les enquêtes révélaient parfois le nom de ces contestataires à la dent dure qu’étaient Labienus et Cassius Severus151.
55L’attaque était en tout cas assez violente pour que l’affaire dépassât le simple cadre formé par le calomniateur et le blâmé. Bathylle fut défendu par le rescriptum, la réponse, de Gallio. Était-ce un moyen pour ce jeune homme152 de s’attirer, par son art, les faveurs de Mécène, comme nous avons vu Arellius Fuscus ou peut-être Sabinus Tiro tenter de le faire ? Dans ce cas, le jeune homme, sans doute d’origine provinciale, peut-être espagnole, cherchait à diversifier ses liens avec de grands protecteurs : Sénèque le Rhéteur et lui-même semblaient déjà être des familiers de Messala, chez qui ils suivaient des recitationes153. Mais on ne sait si la manœuvre réussi. Un seul élément pourrait faire penser à un rapprochement avec Mécène. Il semble que Gallio fut plus tard, sous Tibère, un proche de Séjan154 dont on connaît les liens avec Mécène155.
56Le cas de l’attaque de Bathylle semble donc permettre de relever deux traits caractéristiques des conséquences de cette sociabilité : d’une part, dans le cas de Gallio, elle servait à créer des liens personnels entre Mécène et un jeune rhéteur provincial. Si Gallio appartenait déjà à la sociabilité de Mécène, et qu’il fut chargé d’assurer la défense écrite d’un autre membre de cette sociabilité, on aurait là une des seules occurrences tendant à prouver que le cercle était uni par des liens internes entre les membres qui avaient pour but la cohésion d’un groupe uni autour de buts communs. D’autre part, l’anecdote confirme que les aristocrates proches du pouvoir, comme l’était Mécène, pouvaient être attaqués via leur entourage : Labienus attaquait à dessein Bathylle, pour la raison précise qu’il était un proche de Mécène.
Sarmentus
57La scholie de Juvénal, notre source principale sur Sarmentus, déjà étudié avec la familia de Mécène156, fournit quelques renseignements précis quant aux conséquences du flou qui entourait son statut exact. Après avoir rappelé qu’il fut conspué au théâtre quand il prit place dans les quatorze rangs réservés aux chevaliers, le scholiaste précise que Sarmentus fut convoqué en justice pour répondre du chef d’accusation de dignité usurpée (causa usurpatae dignitatis, que Mommsen range sous le chapitre de celles qui étaient poursuivies en vertu de la lex Cornelia de falsiis157). La dignité dont il est question est celle de chevalier, quoique la suite de la scholie laisse entendre qu’il fut accusé d’avoir usurpé jusqu’à la liberté et l’ingénuité : la ligne de défense de Sarmentus ne porta pas sur son entrée dans l’ordre équestre, mais uniquement sur le fait qu’il avait été affranchi par Mécène auquel il appartenait, en tant que bien de Favonius dont Mécène s’était porté sector. Une fois encore, le cas nous révèle les conséquences de ces liens de sociabilité. Un personnage dont la position sociale, nous l’avons vu, dépendait uniquement de sa proximité avec Mécène, fut sérieusement contesté par la voix populaire qui estimait que les honneurs dont il prétendait se parer, étaient injustifiés : digna dignis, scandait la foule au théâtre. L’accusation en justice fut menée par un accusateur inconnu qui pensait très certainement à faire tomber en la personne de Sarmentus, un individu à la fois proche de Mécène, mais aussi d’Auguste lui-même, puisqu’on se rappelle que cet affranchi était, selon les Antoniens, le mignon de César le Jeune158, à l’époque d’Actium au moins. La ligne de défense de Sarmentus fut claire : en dehors des prières et des supplications qu’il fit à l’accusateur159 dont on aurait aimé connaître le nom, il n’argua que du fait qu’il avait reçu la liberté de Mécène à qui il appartenait auparavant.
58Les attaques subies par les proches de Mécène sont intéressantes en cela qu’elles combinent les effets de la sociabilité, qui unissaient ces individus au chevalier d’origine étrusque, et de la notoriété de ce dernier : ces estocades, parfois violentes révèlent un certain nombre des travers engendrés par les liens de sociabilité qui existaient entre Mécène et ceux qui partagèrent ainsi le sort de cet homme en vue qui eut lui aussi à subir l’assaut de cette littérature pamphlétaire, perdue pour nous, mais dont les échos nous sont parvenus à travers le souvenir du de cultu suo que Mécène rédigea pour défendre sa mise160, ou bien à travers les indices ténus qui prouvent que, de son vivant, Mécène dut répondre aux attaques de ses détracteurs161.
D’autres sociabilités concurrentes ?
59La récusation de la notion de cercle s’est imposée à cause de la connotation trop exclusive qu’elle impliquait. Cela ne signifie pas pour autant que les rapports de sociabilité étaient totalement ouverts, ne comportaient pas de limites et surtout n’étaient pas incompatibles avec d’autres types de rapports. Ainsi, il faut procéder à l’étude d’éventuels groupes de sociabilité concurrents qui pourraient aider à préciser la place de l’entourage de Mécène au sein de la société impériale.
Le cercle de Messala
60Nous disposons bien évidemment de moins de sources pour parvenir à délimiter le groupe formé autour de Messala : seules nous sont parvenues de ce cercle les œuvres de Tibulle augmentées d’un certain nombre de poèmes connus sous le nom de Corpus Tibullianum dont les auteurs sont parfois identifiables162. Quelques poèmes de l’Appendix Vergiliana permettent d’ajouter quelques éléments à cet ensemble163. Il ne nous appartient pas ici de collationner et de discuter les notices individuelles de ceux qui formeraient le cercle de Messala164. En revanche, nous devons nous intéresser aux relations, qu’on dit d’opposition, qui purent s’élever entre les deux groupes de sociabilité.
61Notons, de prime abord, qu’un certain nombre de personnages qui semblent proches de Messala fréquentaient aussi Mécène, ce qui finit de prouver, si besoin en était, que, à cause de leurs interpénétrations multiples, les « cercles » se dissolvent en des réseaux dont les structures obéissaient à d’autres logiques que celles du cercle. Ainsi, Valgius Rufus, l’auteur de la Ciris, Gallio, et par-dessus tout Horace165, qui eurent des rapports avec Messala, faisaient partie par ailleurs de l’entourage de Mécène.
62Que dire des sources qu’on a interprétées comme preuves d’une opposition entre les deux groupes ? Messala émit un certain nombre de critiques envers le style de Virgile166, et nous avons vu plus haut quelle pouvait être la portée de ce genre d’attaque. Sénèque le Rhéteur, notre source sur la question, précise même qu’en cela Messala s’opposait précisément à Mécène : mais l’opposition était de jugement esthétique, comme il arrivait dans les cénacles d’aristocrates qui, de plus, se piquaient d’écrire. Se doublait-elle d’une opposition politique. Il est vrai qu’un certain nombre des individus que Messala fédéra autour de lui avaient suivi Brutus et Cassius, lorsqu’ils débarquèrent en Grèce en 44 a.C. Il est vrai que Messala lui-même avait suivi Antoine, avant de passer à César le Jeune. Il est vrai enfin que Messala refusa la préfecture de la Ville que le Prince lui offrit en 26 a.C. sous prétexte que la potestas qu’on lui confiait était incivilis. Est-ce à dire pour autant que le cercle littéraire réunit autour de lui était un cercle d’opposition ? Que cette opposition se serait exprimée au travers d’un soutien à l’élégie (qu’on est contraint de définir alors comme un genre « anti-augustéen ») alors que Mécène aurait, lui, favorisé l’émergence d’une poésie « civique », représentative de la politique augustéenne ?
63Toutes ces assertions méritent d’être discutées. Le républicanisme de Messala d’abord, qui l’aurait poussé à s’opposer à la politique augustéenne167. La dixième satire du premier livre d’Horace énumère un certain nombre d’individus dont il espère être lu et recevoir la critique168. Au sein de cette énumération, on a cru voir une organisation qui individualiserait plusieurs cercles littéraires : celui de Mécène tout d’abord (Plotius, Valgius Rufus, Octavius Musa, Fuscus et les deux Vibii), Pollio, isolé ensuite, preuve qu’à cette époque sa place dans la société intellectuelle avait évolué, celui de Messala enfin (avec Messala lui-même, son demi-frère L. Gellius Publicola, Bibulus, Servius, Furnius compluris alios, doctos ego quos et amicos / prudens praetereo, « et plusieurs autres, hommes savants et mes amis, que je passe sous silence, mais non par oubli »169). Au sein du groupe réuni autour de la figure de Messala (dont on remarquera qu’elle n’a pas de parallèle formel en celle de Mécène, non cité), plusieurs individus furent rencontrés par Horace à Athènes à la suite des Libérateurs : c’est le cas de Bibulus170, mais aussi et sans doute de Servius (identifié comme un descendant du Servius Sulpicius, juriste correspondant de Cicéron)171. D’ailleurs Messala lui-même se trouvait à Athènes à cette date et fit partie du dernier carré des républicains qui s’enfuirent à Thasos après la défaite désordonnée des batailles de Philippes172. Est-ce à dire que Messala était un républicain ? On s’est appuyé sur sa contestation de la préfecture de la Ville de 26 a.C. pour l’affirmer, mais toutes les interprétations qui ont été données à cette démission173 sont en réalité viciées par le même fait : Messala accepta la charge avant de s’en démettre et il n’est pas vraisemblable qu’il en ignorait alors les tenants et les aboutissants… Il était trop proche d’Auguste et de son entourage politique pour avoir été à ce point surpris par les attributions de sa charge nouvelle. Depuis son passage du camp antonien jusque dans celui de César le Jeune en 36 a.C., il avait été un fidèle soutien, dans les campagnes militaires comme à Rome, de la politique menée par Auguste et par Agrippa avec qui il partageait la maison d’Antoine sur le Palatin. Praefectus classis en 36 a.C., il est nommé la même année augure surnuméraire, participe sans doute à la campagne d’Illyrie en 35 a.C., occupe le poste de légat de César le Jeune à Actium, de gouverneur de Syrie en 31-30 a.C., puis de Gaule en 29-27 a.C. pour lequel il obtint un triomphe ex Gallia le 25 octobre 27 a.C.174 : cette carrière ne semble pas refléter celle d’un opposant. Et s’il est vrai qu’avant l’issue de la bataille de Philippes, où il négocia finalement avec ses troupes sa reddition à Antoine, il avait été un des espoirs des républicains175, et qu’il combattit jusqu’au bout pour les Tyrannicides, ce revirement politique n’est pas sans exemple. Le refus de la préfecture de la Ville ne brisa pas sa carrière et ne marqua pas la fin de ses relations avec Auguste, puisque c’est lui qui replaça Agrippa à la tête du service des eaux de la Ville à partir de 12 a.C. jusqu’à sa mort en 13 p.C.176. Tout cela ne peut pas servir à ériger Messala en opposant à la politique augustéenne.
64Quant à l’argument de la transposition poétique d’une opposition politique, il est de peu de poids. Auguste n’aimait pas le style de Mécène qu’il trouvait trop compliqué, trop fleuri, et il le lui faisait savoir177 : on est bien loin, dans les fragments de Mécène, du style « civique » qu’il était censé patronner. On n’en a pas pour autant déduit une opposition politique entre les deux hommes. Certains ont fait valoir que l’idéal élégiaque que défendait Tibulle allait jusqu’à s’opposer à certaines mesures politiques prises par le Prince178. Mais est-ce à dire que l’élégie était un genre anti-patriotique du fait qu’elle prônait la militia amoris plutôt que l’amor patriae et la militia dans les campagnes du Prince ? Ce serait bien mal interpréter un genre adapté à cette époque en latin, que pratiquait par ailleurs Properce, censé appartenir au cercle des poètes « civiques » de Mécène. Le quatrième livre des Élégies de Properce témoigne certes d’un projet étiologique qui entre dans le cadre de la revalorisation du passé romain, mais sans jamais que le projet esthétique de l’élégie soit mis sous le boisseau. Par ailleurs, fonder une telle opposition reviendrait à dire que les poèmes issus de l’entourage de Mécène seraient l’expression unanime d’un esprit civique, ce qui est, on en conviendra, bien loin d’être le cas.
65Bien au contraire il faut insister, dans la perspective plus sociologique que littéraire qui est la nôtre, sur les liens qui existaient indubitablement entre les deux prétendus chefs de file de ces deux groupes de sociabilité : Horace allait de l’un à l’autre, même si les liens qui l’unissaient à Mécène étaient plus forts, Valgius Rufus, dont on ne sait s’il devait sa position à Messala ou à son ascendance familiale179, était familier des deux. Messala lui-même enfin, fréquentait assez Mécène pour que ce dernier en fît un personnage de son Banquet. Dans sa bouche, fut placé un éloge du vin qui apporte la jeunesse180 : thème qui, si l’on en croit les quelques fragments épars qui nous restent de Mécène, et l’interprétation qu’en donne J.-M. André181, est caractéristique des préoccupations de Mécène. Placer un tel discours dans la bouche de Messala était la preuve des liens intellectuels qui unissaient les deux hommes182, plus que d’une rivalité politique qui trouverait son expression dans la poésie patronnée par chacun des deux.
Le cercle d’Agrippa
66Nous avons déjà vu que la rivalité avec Agrippa, sur le plan politique, ne reposait pas sur des fondements solides183. Qu’en est-il sur le plan de la sociabilité, et en particulier sur le plan de la sociabilité artistique qui nous guide dans ce chapitre ? Peut-on détecter une opposition entre le groupe constitué autour de Mécène et celui constitué autour d’Agrippa ? En réalité, il est difficile de prétendre cerner avec précision un groupe de familiers d’Agrippa. En effet, au contraire de Messala et a fortiori de Mécène, nous ne possédons pas d’œuvres issues de son entourage qui nous permettraient d’étudier les liens sociaux tissés autour de lui. Tout au plus sait-on que Manilius le cita dans une de ses œuvres184. Ses liens avec le monde des lettres ne furent pas très cordiaux, du moins dans l’état actuel de nos sources, puisque le seul autre auteur connu de son entourage, le grammairien Caecilius Epirota, affranchi de son épouse, la fille d’Atticus, fut soupçonné de relations douteuses avec son élève, fut chassé de la maison d’Agrippa, rejoignit Gallus en Égypte dont il précipita la chute en le faisant exclure de l’amitié du Prince185… L’inscription de la pyramide de Cestius186 laisse entendre que Messala et Agrippa étaient de ses amis, puisqu’ils furent institués ses cohéritiers. Agrippa devait être un proche de la famille car il décida de renoncer à sa part en faveur du frère du défunt. Nous ne connaissons pas plus de l’entourage d’Agrippa187, de la sociabilité qui se construisit et évolua autour de lui. Il est donc vain de chercher en quoi elle put constituer une sociabilité opposée à celle de Mécène.
Les conditions matérielles de la sociabilité
La création d’un musée alexandrin à Rome ?
67La sociabilité aristocratique des Romains inscrivait dans leur entourage des écrivains, poètes et historiens. Ce fut le cas des Scipions avec Ennius, mais aussi de Pompée avec Théophane de Mytilène ou Lenaeus… S’entourer de poètes était pour les aristocrates une manière d’accroître leur prestige et de retirer eux aussi, des services, en échange des bienfaits matériels qu’ils accordaient à leurs protégés. L’entourage poétique de Mécène n’est en cela pas très original. Mais les jardins de Mécène laissent par ailleurs ouverte l’hypothèse d’un regroupement topographique des poètes. Plusieurs indices laissent entendre qu’au moins trois d’entre eux, et on ne sera pas surpris de constater qu’il s’agit de Virgile, de Properce et d’Horace, habitaient dans les environs immédiats des horti de l’Esquilin. Properce et Horace se mettent eux-mêmes en scène dans leurs œuvres et signalent leur lieu de résidence. Properce à la faveur d’une scène comique, quasi burlesque de jalousie. Le poète se trouve chez lui, dans un endroit qui semble être un jardin, en galante compagnie lorsque sa maîtresse, censée être absente de Rome fait son apparition en hurlant à l’incendie, ce qui pousse tout le quartier des « humides Esquilies » (esquilias aquosas) habitué à ne pas prendre à la légère ce type d’alarme, à se réfugier dans de mystérieux noui agri188. Ces derniers semblent désigner les jardins de Mécène, car, à cette époque, sur l’Esquilin, il n’en existait guère d’autres. Les aquosae Esquiliae désignent peut-être189 le quartier du lacus Orphei, ou bien le raccordement de l’Esquilin aux nouveaux aqueducs d’Agrippa, qui complétaient l’ancien approvisionnement en eau, et dont les jardins de Mécène profitèrent. Le poète semble donc avoir habité aux confins immédiats des jardins de Mécène, peut-être dans une maison qui leur appartenait. Cela expliquerait que les habitants du quartier se soient réfugiés dans les jardins qui sont des lieux relativement sûrs en cas d’incendie.
68Horace, de même, dit habiter sur les « noires Esquilies »190. La mention topographique est trop brève pour qu’on puisse en tirer plus qu’une vague localisation. En revanche, la satire de Priape permet d’affiner la description191. Horace, commentant les travaux de bonification du cimetière menés par son protecteur, signale nunc licet Esquiliis habitare salubribus atque / aggere in aprico spatiari, « Maintenant, il est permis d’habiter les Esquilies devenues saines et de se promener sur le rempart ensoleillé » : cela signifie-t-il qu’il lui est permis d’habiter en personne sur les terrains dégagés, ou bien fait-il référence à la demeure de son patron ? Quoi qu’il en soit, à nouveau, la proximité topographique est certaine.
69Virgile, enfin, habita, selon Donat, domum Romae Esquiliis juxta hortos Maecenatianos, « une maison à Rome, sur les Esquilies, près des jardins de Mécène »192. La préposition juxta indique la juxtaposition, mais il n’est pas exclu encore une fois que la domus du poète ait été comprise dans le domaine.
70Le lien topographique entre le domaine de l’Esquilin et l’habitation des poètes est assez clair, même si l’on ne peut affirmer, comme le fait R.-K. Häuber, que les poètes habitaient dans l’enceinte même des jardins193. Peut-être ces habitations étaient-elles pour eux le fruit des générosités de leur protecteur. La notice de Donat sur Virgile le laisserait entendre : après avoir rappelé les générosités dont vivait le poète, vient le rappel de la maison sur l’Esquilin, près des jardins de Mécène… Cette concentration physique des poètes dans un même lieu qui fut sans doute le lieu de récitations, de lectures et de discussions dont l’écho n’était pas encore éteint à l’époque de Fronton194, est assez peu documentée par ailleurs. On sait que les aristocrates réunissaient chez eux, pour des lectures, certains artistes de leur entourage, ou bien convoquaient des banquets qui donnaient lieu à assaut de bons mots. Mais il semble qu’avec Mécène, les liens de cette sociabilité aient été plus resserrés au point de former une unité domaniale pourrait-on dire195. On comprend mieux les poèmes où Horace doit se justifier auprès de Mécène de n’être pas revenu de sa campagne plus tôt comme il l’avait promis196, et dans lesquels il semble renâcler à revenir habiter au pied de la haute demeure de son protecteur – allusion certaine à la tour qui ornait les horti197. Cette organisation spatiale fut, pour certains, poussée jusqu’au bout, puisqu’Horace fut enterré près du tombeau de Mécène, aux confins des Esquilies198. La discussion reste ouverte cependant pour savoir si les horti de Mécène se prolongeaient jusqu’à cette limite, ou si le tombeau se trouvait hors des limites de la propriété sur le bord de la voie Labicana199.
71Dans les jardins même se trouvent plusieurs équipements qui purent donner lieu à ces réunions esthétiques : le fameux bâtiment, appelé depuis sa découverte « auditorium de Mécène »200, est le seul qui puisse véritablement être daté de l’époque de Mécène201. Sa fonction n’est pas clairement déterminée. On peut éliminer cependant l’idée d’un viridarium202 ou d’un nymphée203 car la conformation des lieux ne se prête pas à de tels usages : le bâtiment semi-enterré n’était sans doute pas assez éclairé pour pouvoir servir de serre, tandis qu’on n’a retrouvé aucune adduction d’eau, ni aucun des aménagements (béton hydraulique, pente douce, évacuation…) qui puissent faire penser à une fontaine. De plus, les gradins qui fermaient un des petits côtés de la pièce ne se prêtaient pas, par leur hauteur, à l’installation du public. Ce n’est donc pas à un théâtre ou à un odéon en miniature qu’on a affaire ici204. En revanche, s’installaient peut-être sur ces degrés des musiciens pour agrémenter le repas des convives installés dans la pièce ouverte devant les gradins205. Les proportions de l’ensemble gradins / pièces rectangulaire ne se prêtent décidément pas à l’usage du lieu comme théâtre privé. Mais peut-être ces gradins, au-dessus desquels étaient creusées des niches peintes, servaient-ils de dressoir pour les œuvres d’art dont Mécène devait être collectionneur206 : il fallait bien qu’il puisât les coupes qu’il offrait au Prince pour ses anniversaires, dans une collection qu’il ne devait pas manquer d’entretenir207. Peinte sur le mur extérieur de l’auditorium, une épigramme de Callimaque ayant trait au banquet semble confirmer qu’il s’agissait bien d’une cenatio208 qui se prêtait aux banquets littéraires communs à Rome.
72Les horti Maecenatis nous permettent de situer topographiquement les lieux de cette sociabilité et d’en établir quelques éléments de pratique.
Protection et patronage : le statut des relations personnelles
Les rapports de Mécène et des poètes
73Les poètes de l’entourage de Mécène étaient-ils ses clients209 ? Nous percevons le danger qu’il y a à poser cette question à ce stade de notre étude de la sociabilité construite autour de Mécène. Car, ainsi que nous l’avons rappelé, la sociabilité se définit comme l’ensemble des rapports sociaux qui ne dépendent pas de lignes organisatrices structurelles et officielles d’une société donnée. Or les liens patrons / clients entrent dans la catégorie de l’armature structurelle de la société romaine, puisque ces rapports étaient fondés en droit, et engageaient des devoirs moraux, financiers, sociaux des deux parties, devoirs qui étaient en droit d’être exigés, par une action en justice, au cas où l’engagement aurait été rompu unilatéralement par un des deux contractants. Il est vrai que le lien social patron / client n’était jamais pur de tout autre type de relation – pas plus d’ailleurs que ne le sont les liens créés dans un groupe de sociabilité210 – et qu’il est de la sorte fort difficile d’isoler ce qui relève purement et simplement de la clientèle, de ce qui s’en rapproche considérablement. Le « dépérissement des obligations clientélaires au dernier siècle de la République »211 qui sont pour nous l’expression même de ces liens client-patron, conduit à une certaine indétermination dans la définition des rapports de proximité, d’échange et de service entre supérieurs et inférieurs dans la hiérarchie sociale. En effet, à partir du modèle archaïque et plus ou moins théorique de la clientèle, de multiples liens sociaux annexes à la clientèle se développèrent, qui sont moins repérables que ceux qui sont sanctionnés par le droit. L’évolution de la société romaine dans les deux derniers siècles de la République avait ainsi conduit la clientèle à devenir un lien « plus social que juridique », ou en tout cas « para-juridique »212.
74Dans ce cadre, nous devons interroger les rapports que nous appelons, de manière fort ambiguë d’ailleurs, de patronage, entre un protecteur et ses poètes. Le terme est couramment employé dans le monde anglo-saxon où il désigne tout simplement le mécénat, puisque la langue anglaise est une des rares à n’avoir pas adopté le nom de Mécène pour désigner un protecteur des arts. Mais la notion de patronage est ambiguë car elle renvoie étymologiquement à un schéma dans lequel un patron serait partie prenante. Or ce type de relation est plutôt désigné, dans la langue historique française, comme une relation de patronat (sur les collectivités…), presque équivalente à celle de clientèle, avec laquelle la « protection des poètes » ne doit cependant pas être confondue213. Cette relation de patronage est délicate à manier et la question se pose donc légitimement de savoir si les liens qui unissaient les poètes à Mécène relevaient des rapports de clientèle (impliqués par la présence d’un patronus au sens propre du terme), ou de rapports sociaux d’une autre nature (amicitia…) qu’il conviendra de préciser. Les critères de définition du « protecteur éclairé », tels que les a identifiés D. Voisin, ne sont pas du tout ceux qui permettent de définir un patron dans une relation clientélaire, et il n’est pas possible de s’appuyer sur eux seuls pour tenter de définir socialement la nature des liens tissés entre Mécène et ses poètes214.
75Pour la déterminer plus précisément, les indices sont faibles car la relation clientélaire est rarement mise en évidence pour elle-même par les intéressés215. Nous disposons des œuvres d’un petit nombre des poètes concernés, avec de grandes inégalités entre eux : sans surprise, Horace donne plus de prise à l’étude (grâce aux nombreuses adresses à Mécène qui parsèment son œuvre), que Properce et bien sûr que Virgile, le plus discret des trois. Les textes parallèles à ces œuvres (scholiastes, biographes) permettent de compléter quelque peu le tableau qui devra être achevé par la comparaison avec ce que nous connaissons par ailleurs des pratiques clientélaires.
a) Un cas particulier : Horace
76N. Rouland, dans un appendice à son étude sur la dépendance personnelle, avait conclu au statut de client véritable pour le poète216, tout en reconnaissant que son talent et la reconnaissance sociale qu’il lui accordait le mettaient dans une situation particulière qui n’était pas celle de tous les clients. Son raisonnement s’appuyait sur cinq points qu’il faut reprendre. Le premier est la position inférieure d’Horace par rapport à Mécène. Elle est indéniable, et il n’y a pas de point de comparaison entre le descendant des rois étrusques, et le fils de libertinus de Venusia. Mais l’écart social n’est certainement pas aussi large que Rouland, comme tous les biographes modernes d’Horace, l’imaginent. J. Cels Saint-Hilaire217 a noté, de manière convaincante, que le libertinus dont Horace dit descendre, n’était pas un libertus, et qu’il était fort vraisemblable que le père d’Horace n’ait pas été l’esclave affranchi qu’on a vu en lui, mais un nouveau citoyen créé après la Guerre sociale, qui avait une position prééminente dans sa localité. Cela permet d’ailleurs d’expliquer comment il put envoyer son fils s’instruire auprès d’Orbilius à Rome218, puis à Athènes en 44 ; comment, malgré la confiscation du domaine paternel et sa proscription, annulée finalement, il put acheter une charge de scribe219 et atteindre le rang de chevalier romain qui demandait quatre cent mille sesterces220. Cette ascension sociale se déroula avant toute intervention de Mécène semble-t-il, si l’on se fonde sur la satire biographique qui nous apprend ces détails. Horace ne devait pas non plus son élévation post-Philippes aux interventions de Brutus. Peut-être la devait-il aux Antoniens qui avaient obtenu sa radiation des listes de proscriptions, et en particulier à l’entourage du neutre Atticus221 ? Même si l’écart de richesse et l’écart de statut social diminuèrent entre Mécène et Horace, il est bien évident qu’il existait une différence entre les deux hommes. Justifiait-elle automatiquement l’existence de liens de clientèle ? Le simple argument de l’infériorité d’Horace ne permet pas de trancher.
77Le second point utilisé par N. Rouland est l’aisance matérielle accordée par Mécène au poète de Venusia, sur laquelle nous reviendrons.
78Le deuxième point, beaucoup plus solide, est l’emploi des termes de rex et de pater pour désigner Mécène. L’étude de N. Rouland a montré que rex s’appliquait parfois aux patrons222. Horace l’emploie dans une épître entièrement adressée à Mécène dans laquelle il se défend de n’être pas rentré à Rome selon l’invitation que lui en avait faite Mécène223. La demande pressante du rex paterque jouxte le rappel du don du domaine de Sabine qu’Horace propose de rendre à Mécène s’il lui fait perdre sa liberté.
79L’anecdote de Mena qui clôt l’épître, quatrième point sur lequel se fonde N. Rouland, va d’ailleurs dans le même sens224. Volteius Mena entre clairement dans la clientèle de Marcius Philippus225. Le lien semble s’être noué lorsque Mena accepta une invitation à dîner et reçut le soutien économique de Philippus sous la forme d’un domaine en Sabine. Mais bientôt, les charges imposées par le domaine, par la clientèle, firent que Mena demanda à son patron de rompre le lien en échange de quoi il rendrait le domaine offert. La question qui se pose alors, au regard des troisième et quatrième points abordés par N. Rouland, est de savoir si l’épître décrit la situation même d’Horace. N’était-ce pas plutôt là une posture adoptée par le poète pour botter en touche et s’excuser auprès de Mécène de son absence, sans que cela implique vraiment qu’en réclamant son retour, ce dernier ait fait valoir ses prérogatives de patron ? Car cette adresse à Mécène comme rex semble en effet bien isolée dans le corpus : les autres occurrences du terme citées par N. Rouland ne sont pas forcément à mettre au compte du poète226.
80Cinquième et dernier point enfin, N. Rouland se fonde sur Porphyrion qui précise qu’Horace se considérait à tort comme l’amicus de Mécène attendu qu’il n’en était que le cliens227. La notation ne peut être balayée sans discussion : quoique tardives, les scholies ont leur valeur qu’il ne faut pas négliger, d’autant qu’elles ont d’habitude tendance à être plutôt favorables au poète.
81Ces différents éléments, tempérés au regard de la situation particulière d’Horace, montrent combien il est difficile de définir la relation de clientèle qui impliquait certaines obligations juridiquement garanties, mais qui n’était pas fondée sur un contrat, sur un pacte ou une cérémonie particuliers qui auraient sanctionné la création du lien client-patron. Les liens d’affection qui existaient par ailleurs entre les deux hommes expliquent que les poèmes présentent un tableau ambigu de leur relation sociale.
b) La sociabilité de Mécène au regard des pratiques habituelles de la clientèle
82Les autres poètes de l’entourage ne donnent que peu de prise à l’évaluation de la nature des liens qui les unissaient à Mécène. Un rapide parcours des manifestations habituelles de la clientèle pourrait éventuellement permettre de repérer des traces de telles pratiques dans l’entourage du chevalier d’origine étrusque.
83Le soutien politique au patron est un critère inopérant pour le cas qui nous occupe, puisque Mécène n’eut pas de carrière et ne brigua jamais les honneurs.
84La fonction de protection judiciaire de même n’est pas d’un grand secours : on n’en trouve pas de trace chez Horace. Quant aux Bucoliques I et IX, c’est Virgile lui-même qu’elles montrent comme source de la protection des propriétaires mantouans face aux confiscation, et non pas Virgile s’adressant à Mécène pour protéger ses propres terres228. L’importun qui poursuit le poète / Horace dans la Satire II, 6, fournit un bon parallèle à la situation énoncée dans les Bucoliques : le fâcheux voudrait se servir d’Horace, de sa proximité avec Mécène et avec César le Jeune pour savoir quelles étaient les terres d’Italie ou de Sicile concernées par les distributions promises par César le Jeune après Actium229. Il cherchait, en vain, à obtenir des informations, et sans doute aussi à se concilier le poète, puissant des liens resserrés qu’il entretenait avec les plus hautes sphères du pouvoir230. La protection ici recherchée est personnelle, locale, mais pas judiciaire, comme dans les pratiques du patronat républicain, à la différence de la situation qui prévélait lorsque Cicéron intervenait auprès de César pour protéger les habitants de Volaterrae de la distribution des terres confisquées par Sylla231, car Cicéron entretenait avec eux des liens de clientèle232. Dans le cas de Virgile et d’Horace, les liens entre les propriétaires et les deux poètes ne semblent pas être formalisés véritablement en liens de clientèle avant la formulation de leur requête.
85Une autre des manifestations habituelles de la clientèle est l’adsectatio difficilement traduisible autrement que par la « fonction de cortège », visible dans nos sources principalement dans les manifestations publiques de campagnes électorales, sans que cela signifie que la pratique cessait en dehors des périodes de compétition élective233. Le principe qui régissait l’adsectatio était comparable à celui qui commandait la présence de « témoins de moralité » dans un procès pour accréditer la valeur d’un défendeur ou d’un accusateur234 : la dignitas, tout comme la qualité morale d’un homme, se mesurait à l’examen de son entourage, examen tant quantitatif que qualitatif. Les poètes durent-ils se plier à cette adsectatio ? La fameuse satire du voyage à Brindes235 pourrait le laisser supposer. Malgré tous les problèmes référentiels que pose ce poème sur lesquels nous ne reviendrons pas236, on est surpris du nombre des membres littéraires du groupe de sociabilité construit autour de Mécène présents lors de ce voyage. Était-ce parce que, en tant que clients, ils ne pouvaient refuser de participer au cortège qui devait suivre, dans ses fonctions publiques, leur patron ? Horace semble d’ailleurs donner crédit à cette hypothèse dans l’épître adressée au (fictif ?) sage Scaeva pour lui apprendre à régler sa conduite envers les grands (maiores), quand il décrit le client (la mention au rex précède cette saynète de quelques vers), forcé d’accompagner son patron, précisément à Brindes, se plaindre de la difficulté du trajet237. N’est-ce pas précisément le conseil que lui, Horace, avait mis en pratique dans la Satire I, 5 ? Au cours d’un long voyage vers Brindes, il avait changé en vers plaisants les cahots du voyage, les inconvénients d’une traversée de l’Italie en litière et en barque, les accidents de santé inévitables lors du passage dans les marais et les relâches dans des auberges douteuses. Mais, à nouveau, plane le doute sur la véritable nature des liens qui unissaient le Scaeva de l’épître au grand auquel il s’attache, car Horace emploi pour le décrire le terme de comes, lequel ne désigne pas véritablement les fonctions et le statut de client. Il est difficile dans ces conditions, d’invoquer la satire du voyage diplomatique pour attester de la pratique de l’adsectatio clientélaire dans l’entourage de Mécène. En revanche, il est vrai que le choix de ses comites devait participer de l’élaboration de son prestige social.
86La dernière manifestation du lien de clientèle est la protection économique fournie par le patron à son client – même si l’inverse entre aussi dans les obligations du client238. Le cas des poètes de l’entourage de Mécène mérite qu’on s’y arrête plus précisément.
« L’économie » du cercle
87La sociabilité construite autour de Mécène fut le cadre de relations économiques complexes. Une étude récente a même pu interpréter la relation d’Horace à Mécène uniquement en termes d’économie et d’échange239. Sans revenir sur ses acquis nous nous intéresserons au simple cas de l’économie marchande dans le cadre de la sociabilité des poètes, à l’exclusion des échanges symboliques valorisant le capital social des acteurs de ce « marché ». Les poètes semblent en effet avoir reçu de Mécène des biens matériels qui s’intègrent dans des processus d’échanges, au-delà du simple postulat de base qu’est le financement de la production artistique, porté aujourd’hui par le terme de mécène. Quelle était la réalité de cet échange de biens ? Et quelles en étaient les fonctions ?
88Nous avons noté plus haut que trois des principaux poètes de l’entourage de Mécène habitaient sur l’Esquilin sans que l’on puisse savoir s’ils devaient cette habitation aux largesses de leur protecteur ou non. En revanche, les poètes et leurs biographes mentionnent d’autres types de dons.
89La source des sommes reçues par Virgile en don de ses amis240 ne peut pas être identifiée avec grande précision. On peut, bien entendu, supposer que Mécène ne fut pas en reste dans la constitution de cette réserve. Mais on sait par exemple qu’Octavie abonda cette cassette à hauteur de deux millions de sesterces en reconnaissance de vers sur la mort de Marcellus241. Ce cas particulier ne semble relever ni de liens de clientèle, ni même de la commande d’un poème car en aucun cas les textes ne laissent entendre que Virgile dépendait en aucune sorte d’Octavie, ni que cette dernière aurait commandé ses vers au poète. On peut supposer alors que d’autres poèmes de ce genre, perdus aujourd’hui, comme l’est cette consolation, aient valu au poète d’Andes des récompenses de la sorte : Mécène ne serait donc pas le seul à l’origine des libéralités rapportées par Donat. Quant au domaine campanien, on a vu qu’il était sans doute un héritage (mais peut-être Virgile était-il en mesure de le racheter sur ses fonds propres) de son maître épicurien Siron242. À nouveau donc, Mécène n’était pas intervenu de façon certaine dans l’attribution de ce bien.
90Pour ce qui est d’Horace, la prolixité du poète sur sa propre situation permet d’être un peu plus précis. Nous avons vu qu’il n’était sans doute pas d’une famille si désargentée qu’on l’a prétendu : les proscriptions avaient entamé le patrimoine paternel, sans que cela obère complètement le potentiel économique du poète. Sa charge de scribe lui apportait cependant quelques revenus que complétèrent ensuite un certain nombre de biens, reçus en particulier d’Auguste243. Reste l’épineux problème du domaine de Sabine. Il est certain qu’Horace possédait un domaine dans le territoire de la cité de Tibur, près de l’actuelle Licenza, assez vaste puisqu’il comprenait les cinq fermes et les bois dont Horace assurait, à distance, la gestion244. Reste ouverte cependant, la question de son origine, car si depuis Porphyrion on prétend que le domaine fut donné à Horace par Mécène245, A. Bradshaw a remis en cause cette doxa246 et repose les trois hypothèses vraisemblables de l’origine du domaine le don de la part d’un protecteur (Mécène ou d’autres, dont Auguste), l’acquisition par voie de succession, l’achat sur ses propres deniers. La dernière hypothèse obtient les faveurs de Bradshaw. Son argumentaire est assez convaincant sur un certain nombre de points et il est vrai que nombre des extraits des œuvres d’Horace qu’il étudie ont été forcés pour en venir à signifier que Mécène était le généreux donateur du domaine de Sabine. Cependant, sa lecture bute sur la septième épître du livre I247. Resté à la campagne, sans doute dans sa propriété de Sabine, le poète répond aux plaintes de Mécène qui devait vouloir le voir revenir à Rome. Pour Bradshaw, le refus opposé par Horace à Mécène n’est pas tant celui de présents (dont éventuellement le domaine de Sabine), que celui d’un mode de vie, « the rich style that belongs to princely Rome »248. Cependant le poème, qui s’ouvre sur le rappel du séjour trop longtemps prolongé du poète à la campagne, s’achève sur la dernière l’anecdote qui met en scène, à la manière du « Savetier et du financier » de la Fontaine249, Volteius Mena, devenu client du riche Philippus. Or Mena reçut de ce dernier, au titre de la « protection économique » due par le patron au client, un domaine… en Sabine (ou plutôt de l’argent et un prêt pour s’acheter un domaine à la campagne). Se rendant compte que la mise en valeur de son bien lui accapare l’esprit et lui fait perdre sa liberté, le malheureux client demande à son patron, en échange de la restitution du bien, de dissoudre les liens de clientèle établis entre eux250. De ce fait, l’enjeu même du poème ne se comprend que si Horace a bien reçu le domaine de Sabine des mains de Mécène : Horace veut bien entretenir ses relations avec Mécène, à condition que cela ne lui ôte pas sa liberté. Si le domaine de Sabine était l’élément qui l’avait fait tomber dans la dépendance des caprices de Mécène, il préférerait le rendre le domaine. Si Mécène n’était pas à l’origine du don, on comprendrait mal la signification de l’épître dont le sens se complexifie évidemment d’autres allusions relatives aux relations établies entre Mécène et Horace, mais le sens principal est là. Quant à sa maison urbaine de Tibur et de Tarente, les sources font totalement défaut251, de même pour les possessions de Properce et des autres membres de groupe de sociabilité constitué autour de Mécène.
91Tous ces éléments sont-ils des témoignages de la dépendance économique de clients envers leur patron ? Les deux cas sur lesquels nous sommes les plus renseignés, Virgile et Horace, ne sont peut-être pas représentatifs de la situation de la plupart des clients, d’une part car ils n’étaient pas, malgré qu’Horace en eût, pauvres252, d’autre part, parce que leur réputation de poète les rendait moins dépendant d’un seul253. A. Bradshaw n’a pas tort en prétendant que ce que Mécène offrit avant tout à Horace, c’était un statut, c’est-à-dire une place dans la société. Mécène introduisit Horace dans son cercle de sociabilité, sans le faire passer sous le joug des obligations du statut juridiquement contraignant de client, et lui permit de vivre dans une société à laquelle il ne pouvait, seul, prétendre. Mécène l’aida sans doute aussi à soutenir ce rang, tout comme Auguste, plus tard, renfloua les caisses de sénateurs ruinés pour les maintenir au-dessus du cens requis. C’est dans cette perspective que doivent être lues les « déclarations d’indépendance » d’Horace : que Mécène ne s’imagine pas qu’Horace était devenu son client en acceptant ses présents. L’étude de Ph. Lowell-Bodwitch, en lisant l’ensemble du processus poétique d’Horace à l’aune d’un schéma économique, permet de comprendre quels étaient les mécanismes du contre-don, produits par le poète en faveur de son protecteur. L’immortalité promise par les vers en était un. Et dans cette perspective, il est clair que l’on ne se situe pas dans le cadre, toujours en déséquilibre et toujours dans le même sens, de la relation patron-client, mais plutôt dans la relation aristocratique de l’amicitia, qui répondait à un don par un contre-don différent, de valeur pas strictement équivalente, qui appelait en retour une nouvelle manifestation de la part de l’autre partie254.
Le cercle et l’idéologie du Principat
92La dernière grande question, bien peu originale dans le concert des études consacrées au chevalier d’origine étrusque en tant que mécène, est bien sûr celle des liens entretenus par les poètes avec ce qu’il est convenu d’appeler « l’idéologie du Principat »255. Il n’appartient pas à cet ouvrage de reprendre l’ensemble de ce problème, après tant d’études sur la question, dont une récente donne toute sa place à la poésie comme mode de communication politique à l’époque augustéenne256. On sait que les grands thèmes de l’idéologie du Principat se trouvent chez les poètes sans ce que cela doive susciter l’étonnement, ni faire accroire à la vision de la poésie-programme257. Est-il si étrange que des artistes soient le reflet de la culture dans laquelle ils baignent, en même temps qu’ils participent à l’élaboration du contexte culturel de leur époque ?
93Il ne s’agit pas non plus de reprendre les thématiques abordées par les poètes, de chercher à établir des listes de correspondance entre tel ou tel vers et un élément, connu par ailleurs, de l’idéologie impériale. L’expérience a déjà été tentée avec des succès divers258. Dans la perspective de l’étude de la sociabilité qui est la nôtre, la seule question qui compte est celle de savoir si ces liens interpersonnels particuliers eurent un rôle spécifique dans l’élaboration ou la diffusion d’éléments de cette idéologie. Autrement dit, nous voudrions savoir si la sociabilité créée autour de Mécène, servit de caisse de résonance, voire de foyer à cette idéologie naissante. Il y a quelque danger à ne pas définir précisément ce qu’on entend par « idéologie augustéenne » qu’on gagnerait d’ailleurs à ne pas considérer comme un bloc unifié259. L’idéologie que nous livrent les poètes de l’entourage de Mécène serait d’ailleurs mieux définie comme idéologie triumvirale et proto-augustéenne que comme idéologie augustéenne : la différence chronologique entre la génération des trois poètes « triumviraux » et celle d’un Ovide par exemple, né en 43 au début du floruit de nos auteurs se traduit dans leur perception du monde. Cette idéologie impériale dépassait d’ailleurs très largement le seul cadre d’expression qu’était la poésie, et c’est donc une vision partielle des sources que nous proposent les poètes augustéens260. Réduire cette idéologie à un nombre restreint de termes en réduirait par ailleurs considérablement la portée261 et ferait manquer une partie du problème.
94La question à laquelle nous allons tenter d’apporter une réponse, est de savoir si la sociabilité de Mécène fut un mode d’adhésion et de valorisation particulier de ces thèmes, et comment, le cas échéant, ce mode s’articulait aux autres modes d’expression de l’idéologie augustéenne. Dans un second temps, nous devrons étudier les rapports qu’entretenait cette sociabilité avec la source même de l’idéologie du Principat, à savoir avec Auguste lui-même.
Le cercle et les thèmes de la propagande impériale
95Virgile et Horace furent sans doute les poètes les plus proches de l’expression de l’idéologie impériale telle que nous pouvons la connaître par ailleurs sur d’autres supports d’expression. Bien sûr, ils ne furent pas les seuls auteurs à s’en faire l’écho : Vitruve à sa manière, mais aussi Tite-Live par exemple, qui n’entretenaient pas de rapports directs avec Mécène, sans compter la cohorte des artistes inconnus de tous ordres, furent des agents de cette diffusion.
96Un monument marquant de l’expression plastique de l’idéologie impériale doit retenir l’attention : c’est l’ara pacis Augustae dont le statut de modèle, de matrice, de l’expression d’éléments de l’idéologie augustéenne est prouvé tant par les copies nombreuses dont il fut l’objet, que par la prolifique descendance des thèmes végétaux qu’il emploie262. Le décryptage – au sens propre – que G. Sauron donne de ces reliefs végétaux est fondé sur les liens entre les œuvres poétiques de la période, et la mise en œuvre de programmes architecturaux et figuratifs263. Son étude montre la cohérence entre le programme iconographique de ce monument et l’univers mental, le réseau symbolique créé par les poètes. La cohérence du message construit autour des victoires d’Actium et d’Alexandrie, et de la famille impériale, jusqu’à la naissance d’une esthétique qui soit proprement impériale et augustéenne264 est trop frappant pour n’être qu’une coïncidence ou une lecture moderne des faits. Or de telles conclusions ouvrent des pistes quant aux implications du groupe construit autour de Mécène dans une telle élaboration, mais aussi quant à la définition même de ce groupe.
97Un point revêt un intérêt particulier pour notre propos et qui n’a pas souligné à sa juste valeur : c’est celui de la chronologie. G. Sauron reconnaît à l’œuvre de Virgile une importance majeure dans l’élaboration du décor de l’ara pacis. Virgile, cependant, était mort depuis près de six ans lorsque la décision fut prise de bâtir le monument, le 4 juillet 13 a.C., et depuis près de dix ans lors de sa dédicace le 30 janvier 9 a.C. Si donc, le rôle fondateur de la poésie virgilienne est réel – ce que nous ne saurions nier au regard de la solidité des rapprochements entre l’œuvre et le monument – il faut donc comprendre que les concepteurs du décor de l’ara pacis, en qui G. Sauron reconnaît Horace puis Auguste265, s’inspirèrent des œuvres de Virgile comme matrice idéologique du nouveau régime en transcrivant parfois « textuellement » des vers virgiliens sur le marbre de l’autel. Qu’est-ce à dire alors ? D’une part, que le Virgile des Bucoliques et de l’Énéide acquiert un statut particulier dans l’univers mental, dans les représentations en formation à cette époque : Caecilius Epirota inscrivant Virgile au programme de son école n’anticipait finalement que peu le statut de « classique » accordé à l’auteur de l’Énéide266. D’autre part, que les œuvres du poète, créées alors qu’il fréquentait la sociabilité de Mécène, furent conçues, quelques années après sa mort, comme les mieux à même de représenter les orientations que le Princeps, en 13 a.C., comptait donner durablement au régime : l’ara pacis ne prétendait pas être un monument de communication politique éphémère. Et paradoxalement, c’est dans les Géorgiques, œuvre écrite pendant la guerre civile (au moment même où Mécène occupait la place la plus importante dans sa carrière politique qui n’en fut pas une au sens latin du terme), et dans l’Énéide, œuvre exaltant la fondation italienne de Rome, dont la tradition dit qu’elle fut entreprise en 29 a.C. à l’issue d’une lecture des Géorgiques267, que se trouve une des matrices de l’expression idéologique du Principat268.
98Quelles conclusions peut-on tirer de ces remarques ? L’hypothèse vraisemblable d’un Horace maître d’œuvre du programme iconographique est loin d’être sans importance. Horace resta, jusqu’à sa mort, très proche de Mécène. Pour affaiblir l’idée de cercle, D. Voisin a nié l’existence d’un idéal commun qui fermerait le cercle de Mécène en établissant une limite idéologique commune à plus d’un membre du groupe269. L’hypothèse établie par G. Sauron écarte cette restriction : il y eut, sans nul doute, cohérence dans la construction d’une idéologie, qui fut ensuite consacrée par sa diffusion impériale. La production poétique fut-elle, dès son origine, orientée dans ce sens ? Sans aucun doute, non. La liberté des poètes dans le cadre du patronage est une question difficile qui peut recevoir des réponses variées270, mais elle excluait la commande271. Le point intéressant en revanche, dans la lecture adoptée par G. Sauron, est que cette idéologie fut en quelque sorte sanctuarisée au cours des années dix avant notre ère, sans doute autour de 17 a.C. et de la célébration des Jeux séculaires qui semblent marquer un tournant. Cette mutation explique sans doute l’infléchissement des œuvres d’Horace272. Mais rien ne permet de penser que cette convergence idéologique s’explique par la commande. On en rend mieux raison en la mettant sur le compte d’une convergence des intérêts. Les poètes baignaient dans une même atmosphère, dépourvue de réflexion politique théorique (comme Horace le décrit si bien, avec une fausse naïveté, en répondant aux fâcheux qui l’interrogent273), après avoir vécu les mêmes événements historiques : le traumatisme de la guerre civile et des confiscations274, leur commune origine italienne… Ces faits expliquent qu’Ovide, par exemple, ne fasse pas partie de cette sociabilité construite autour de Mécène. Né en 43 a.C., il n’avait pas le même parcours. La sociabilité de Mécène avait donc aussi un élément de définition qui, par le vécu personnel des individus, formait une communauté idéologique plus forte que la dissolution du terme de cercle ne le laisse entendre.
99La conséquence chronologique de la thèse de G. Sauron nous permet de mieux comprendre le statut de la poésie et des poètes de la sociabilité de Mécène. Le texte n’est pas une illustration du programme augustéen pré-élaboré, si tant est que le terme de « programme » ait un sens, mais la poésie, exprimant les aspirations d’un moment, devient une manière d’exprimer des orientations politiques. On comprend l’importance capitale des toutes premières années, y compris triumvirales, du parcours d’Auguste.
Auguste et les lettres
100Pour clore ce chapitre, il nous reste bien évidemment à étudier la nature des relations qui pouvaient exister entre les membres de la sociabilité construite autour de Mécène et celui dont la silhouette se dessine en ombre derrière toutes les questions de patronages poétiques : le Prince lui-même. Quelles étaient les interférences entre la sociabilité de Mécène et cette autre que constituait celle du Prince et dont le statut était tout à fait unique, du moins à partir de ses victoires d’Actium et d’Alexandrie, et plus encore des divers règlements qui concentrèrent entre ses mains la totalité du pouvoir275 ? Cette situation ne permet pas d’étudier les liens sociaux qui pouvaient exister entre les individus selon la norme habituellement admise pour les autres liens de clientèles, et invite à en percevoir les particularités.
Les rapports d’Auguste aux poètes
101La personne du Prince concentrant l’ensemble des pouvoirs, son capital social devint considérable et pesait considérablement dans l’établissement de liens avec quiconque. Même si, dans sa définition théorique, la sociabilité dépasse de telles considérations dans l’ordre de la hiérarchie sociale, il est difficile de passer outre la supériorité accordée à la personne du Prince, et de s’extraire de ces considérations de structuration sociale, que nous avons étudiées en partie en nous intéressant aux modalités de la formation d’un système de cour autour d’Auguste276. Notre angle d’approche nous conduit cependant à nous pencher sur les interactions entre le Prince et le groupe de sociabilité de Mécène, ce dernier étant réellement conçu comme un groupe, comprenant, entre autres seulement, Mécène. Autrement dit, cette approche permet de cerner la place qu’occupait Mécène, qui ne fut pas seulement celle d’un intermédiaire, entre les membres de son groupe et Auguste.
102Ce qui frappe tout d’abord, c’est le nombre de liens qui existent entre des personnes de l’entourage de Mécène et celui d’Auguste à période haute. Ces liens ne concernent d’ailleurs pas uniquement des personnes de haute condition. On sait que Sarmentus était admis aux banquets d’Auguste qui en fit son favori au moment de la lutte dernière avec Antoine, soit bien avant qu’il n’usurpe le grade de chevalier277. Il devait cependant déjà à cette époque avoir acquis sa liberté car Horace en fait, en 38-37 a.C., un scribe. Melissus, autre esclave que Mécène finit par affranchir, entra aussi en contact avec Auguste qui lui confia la mise en place du fond de la bibliothèque du portique d’Octavie278. Bathylle enfin semble avoir été admis dans l’entourage d’Auguste, grâce à la faveur dont il jouissait auprès de Mécène279. Mais ces liens établis avec Auguste valent aussi pour Horace par exemple, dont le rang social autorisait certainement plus facilement l’accès au Prince : chevalier sans doute de longue date, il appartenait à l’élite de la société, et ses vers les lui accordèrent une notoriété qui lui ouvrit la table et l’amitié du Prince280. Les rapports de sociabilité étaient, on le voit, de degrés très divers dans ce cas aussi, mais ne changeaient pas fondamentalement de nature avec ceux qu’entretenaient d’autres aristocrates.
103Quel fut le rôle joué par Mécène dans ce schéma ? Ces personnages en vinrent-ils à appartenir à la sociabilité d’Auguste par l’entremise de Mécène ? ou bien fut-ce l’inverse ? Fréquentèrent-ils seulement Auguste et par accident Mécène, ou bien appartenaient-ils réellement à son groupe de sociabilité ?
104Les trois cas que nous avons évoqués permettent de répondre assez nettement à ces questions : leur présence auprès d’Auguste dénote plus une fréquentation assidue, du moins pendant un temps donné, qu’une simple rencontre gouvernée par le hasard. Par ailleurs, ces personnages semblent avoir atteint le Prince via Mécène. Le parcours de Sarmentus et Melissus ne doit rien à Auguste281: Sarmentus arriva dans l’entourage de Mécène parce que ce dernier fut sector des biens de Favonius ; Melissus appartenait à la familia de Mécène depuis son enfance. Pourtant ces deux hommes se trouvèrent dans l’entourage d’Auguste de manière assez appuyée. La chronologie interdit de supposer que tout cela ne se fit qu’à la faveur du testament de Mécène qui légua tous ses biens à Auguste. Sarmentus devint favori de César le Jeune avant la guerre d’Actium, tandis que Melissus fut chargé de la bibliothèque du portique d’Octavie inaugurée en 23 a.C. Dans les deux cas, nous nous trouvons soit en pleine période d’activité de Mécène, soit immédiatement après sa retraite. C’est donc l’entourage de Mécène qui par son intermédiaire entra en contact avec le Prince. Comment expliquer la belle représentation d’affranchis ? Sans négliger « l’effet de sources », on remarquera que les deux affranchis en question étaient des spécialistes techniques. Pour Melissus, c’est sa grande culture qui le fit remarquer par Mécène d’abord, qui le proposa à Auguste pour la tâche qui lui incomba ensuite. C’est par cet intermédiaire qu’il put sans doute s’approcher (insinuatus) d’Auguste, en vertu de qualités plus personnelles, comme Sarmentus avait pu le faire.
105Le cas d’Horace, s’il est peut-être un peu plus complexe, n’en reste pas moins du même ordre. Le poète appartenait d’abord au groupe de sociabilité de Mécène, avant de se faire remarquer par son œuvre, par un public plus large, et d’acquérir ainsi la bienveillance d’Auguste. Mais les liens entre le Prince et le poète furent avant tout dépendants de Mécène : lorsqu’Auguste voulut en faire son secrétaire particulier, il s’adressa à Mécène pour lui en faire la demande282. Est-ce une preuve du lien de dépendance clientélaire d’Horace à Mécène que nous avons étudié plus haut ? Peut-être, mais cela montre avant tout qu’Auguste n’avait alors aucune influence directe sur la clientèle de Mécène.
Mécène un passeur de talents ?
106Que faire, dans ce cadre, de la théorie selon laquelle Auguste fut maître de toutes les clientèles de l’Empire ? Cette hypothèse fut posée et développée par von Premerstein qui en faisait l’essence même du Principat et le ressors de son développement, pour paraphraser le titre de son grand œuvre283. Remise en cause à l’échelle de l’empire depuis longtemps déjà284, elle subsiste encore parfois lorsqu’il est question du patronage de poètes. Assez récemment encore, G. Williams285 a émis l’hypothèse que le patronage augustéen subsumerait – et cela dès les origines – le patronage de Mécène. Sa reconstruction de la protection de Mécène sur les poètes est la suivante : dans sa tentative de récuser l’idée d’une disgrâce de Mécène en 23 a.C.286, Williams cherche à faire disparaître un des points d’ancrage de cette opinion qu’était la disparition de Mécène en tant que dédicataire des œuvres de ses poètes au profit d’Auguste287. Sa réponse à ce constat est le suivant : le patronage exercé par Mécène avait toujours été organisé pour apporter son soutien politique à Auguste ; si Mécène fut, dans un premier temps, mis en avant, c’est qu’Auguste était trop occupé par l’instauration de son pouvoir pour s’occuper de littérature, pourtant essentielle à son dessein (dans les années 30 a.C.), ou bien c’est que la légitimation et l’acceptation de ce pouvoir se seraient mal accommodées de la glorification d’un seul qui aurait alors paru trop monarchique (dans les années 20) ; mais dès 18 a.C., année de la fin de la stabilisation du nouveau régime, Mécène, selon un plan établi dès l’origine, aurait alors cédé sa clientèle littéraire au Prince, en vertu d’un principe de « transitivité » presque hérité de von Premerstein. Il va de soi qu’une telle théorie est sans fondement. L’hypothèse d’un échange de clientèle n’est pas attestée, sinon sur requête d’un patron à son client, qui pouvait, comme service rendu au premier, consentir à le laisser user de ses propres clients (comme lorsqu’Auguste demanda à Mécène qu’Horace devînt son secrétaire particulier). Par ailleurs, l’idée d’une organisation du patronage depuis l’origine se construit hors de toute précaution méthodologique quant au danger téléologique qui menace l’historiographie proto-impériale288 : bien heureux qui, en 39 a.C., aurait été capable de prévoir la situation de 18 a.C.
107La question des relations des poètes à Auguste, et de la place de Mécène respectivement à ces deux derniers pôles, peut en revanche être éclairée en recourant à la notion de sociabilité et des liens personnels qu’elle engendrait. Ni Horace, ni Properce « n’abandonnèrent » Mécène pour Auguste, de même que Virgile n’avait pas quitté Pollio après la publication des Bucoliques. L’un comme l’autre furent sollicités par le Prince qui les connaissait pour les fréquenter dans l’entourage de Mécène. Mais leur engagement dans le courant de l’idéologie du Principat s’explique par la communauté d’intérêt qui les animait alors. Cette dernière n’impliquait pas que leur art fût mis au service de la politique augustéenne. Les liens avec Mécène étaient ceux d’artistes avec un aristocrate, de même que cette sociabilité ne leur en interdisait nullement d’autres : Auguste fut un autre de ces Grands que les poètes étaient conduits à fréquenter. Le Prince devenait en quelque sorte la plus haute autorité en cette matière, puisqu’il dominait les aristocrates par sa puissance, financière entre autre, et clientélaire. Comme tout aristocrate cependant, dans l’exercice de ses fonctions, il eut l’occasion de commander des œuvres – dont le Chant séculaire – à des poètes de son entourage. Mais, à l’origine, c’est parce qu’ils appartenaient à la sociabilité construite autour de Mécène, que ces poètes purent briller auprès du Prince de l’Empire.
108L’épaisseur sociale de Mécène est plus facilement mesurée une fois qu’on a pu le replacer dans la mosaïque des relations interpersonnelles qui furent les siennes. Les structures fixes et institutionnelles de la cité et de la société romaine imposent en effet des types de rapport dont les individus ne sont pas complètement les maîtres. Il serait illusoire de croire que les relations nouées hors de ces cadres seraient marquées d’un caractère vierge neuf et libre de toute contrainte. La recherche de la composition et du fonctionnement des groupes de sociabilité ne doit pas céder à l’illusion de la relation sociale « primordiale ». Malgré tout, l’étude des liens tissés entre Mécène et un certain nombre d’individus de ce que l’on nomme par commodité son « cercle », est révélateur de la nature de l’entourage d’un aristocrate et des interactions avec d’autres groupes construits autour d’autres personnes. Notre analyse aura permis de montrer qu’il est illusoire de parler d’un cercle, d’une part parce que le cercle limite le réseau des relations et le polarise, d’autre part parce qu’il incite à croire qu’autour d’un personnage se construisait un cercle unique, alors que nous avons pu montrer combien étaient nombreux les groupes de périmètres et de caractérisations distincts autour d’un même individu. Mécène, comme tout personnage singulier, se plaçait ainsi au centre d’un réseau de relations interpersonnelles, toutes uniques en quelques sortes, qui se regroupaient selon des critères qui ne répondaient pas seulement aux structures surplombantes de la société (et en cela nous rejoignons les remarques préliminaires sur la définition de la sociabilité). Ces relations interpersonnelles, vécues dans des groupes distincts, ont permis de définir la fonction sociale de Mécène, et de la partie la mieux connue de son groupe de sociabilité : les poètes de son entourage. Loin d’être un groupe « au service de » la politique augustéenne, le cercle des poètes semble, en sus des rapports imposés par leur statut dans la société, un groupement idéologique qui n’obéissait pas à la contrainte, mais regroupait des individus de même sensibilité. De même, il n’est pas possible de mettre en rapport un mouvement esthétique avec une tendance politique. S’il est vrai que, plus tard sous l’Empire, une certaine opposition « républicaine » au Principat se cristallisa autour de la philosophie stoïcienne, il est difficile de lier choix esthétiques et choix politiques sous le Triumvirat. D’abord parce qu’on note autant de différences esthétiques entre les partisans d’un triumvir, qu’entre les opposants ; ensuite, parce que la composition même des partis est extrêmement complexe et ne dépend pas de seuls critères politiques, et à plus forte raison, esthétiques : les multiples contingences conditionnent l’appartenance à un groupe social et le parcours sociologique de l’entourage de Mécène en a donné la preuve. Il est simplement permis de dire, pour ce qui concerne les poètes, qu’une proximité esthétique ou philosophique put avoir des répercussions politiques : soit en entrant en résonnance avec le discours politique d’un parti, soit en usant de sa malléabilité pour recomposer le champ politique entre opposants. La nature même des liens sociaux existant entre les membres d’un groupe de sociabilité, fondés sur des critères multiples, au sein desquels l’esthétique partageait à rang égal son influence avec bien d’autres critères que nous avons étudiés, fondait la possibilité de cette communauté d’esprit. Ainsi seulement, le cercle put devenir un lieu d’épanouissement des œuvres porteuses de ce que nous nommons aujourd’hui « idéologie impériale ».
Notes de bas de page
1 Voir l’italien mecenate, l’allemand Mäzen, l’Espagne mecenas. En revanche, l’anglais n’utilise pas de terme dérivé du nom du chevalier d’origine étrusque et préfère les mots de sponsor ou de patron.
2 Brown, 1961, p. 200-207.
3 Juv., XII, 38-39.
4 Et cela dès la laus Pisonis (L. Pis., 230-245). Le texte est daté d’entre 48 et 53 p.C. par J. Amat, qui rappelle dans son introduction que, si le consensus semble se former autour de la personne de Calpurnius Siculus comme auteur et de L. Calpurnius Pison, le conspirateur de 65 p.C., comme destinataire, les discussions restent ouvertes sur l’un et l’autre points. Calpurnius Siculus/ Pseudo-Calpurnius, Bucoliques, Éloge de Pison, J. Amat (éd.), CUF (contra Bell, 1985, qui place la rédaction du texte au IIe siècle, mais reste peu suivi). L’usage du terme au pluriel chez Martial montre même que l’antonomase était à l’œuvre depuis cette époque au moins : voir Chillet, 2012.
5 Voir, sur le plan politique, mais aussi sur le plan culturel, l’usage fait de cette figure par Guez de Balzac en particulier au regard de sa participation au salon de Madame de Rambouillet, Beugnot, 1985. Voir le développement sous le règne de Louis XIII, de la « fable du favori » qui ne prend pas particulièrement appui sur la fonction de protecteur des arts, mais plutôt sur celle de conseiller politique : Amstutz, 2011-2012. De manière intéressante, on remarque que les traits attachés au nom de Mécène n’étaient pas seulement ceux de protection des arts comme c’est le cas aujourd’hui. La fonction politique voire militaire du conseiller n’était pas reléguée au second plan. Il est vrai qu’avant le règne de Louis XIV, la France vécut l’époque de Richelieu (lui-même doté de son « éminence grise » éponyme en la personne du père Joseph, alias François Leclerc du Tremblay) et de Mazarin.
6 Voir Williams, 1990 (en particulier p. 266), qui suppose le passage quasi-naturel d’Horace de la protection de Mécène à celle d’Auguste. Voir infra, p. 467 sur cette hypothèse.
7 Pour Virgile, voir : La Penna, dans Enciclopedia virgiliana, s.v. Mecenate. Pour Properce, Bennett, 1968 et Gold, 1982 ; Lucot, 1953 et Id. 1957 (qui opère un revirement total par rapport à son opinion précédente en lisant dans IV, 2 la haine du poète envers Mécène qui lui aurait préféré Horace…). Pour Horace, voir entre autres van Ooteghem, 1940-1945 (Mécène insensible aux affirmations répétées d’indépendance de la part d’Horace, lequel est obligé d’insister lourdement !), Noirfalise, 1950 (intimité d’un client devenu très proche, n’excluant pas la volonté d’indépendance), Bréguet, 1956 (pleine indépendance vis-à-vis de Mécène et d’Auguste), Reckford, 1959 (étudie les fluctuations d’une amitié jamais démentie qui va jusqu’à l’inversion des rapports : Horace devient « patron » spirituel de Mécène), du Quesnay, 1984, Baker, 1988 (parle, p. 232, de « gentle criticism based on confidence in friendship »), Deroux, 1992 (relecture d’une épigramme de Mécène adressée à Horace et conservée dans la Vie du poète par Suétone, dans le sens d’une amitié étroite). La liste n’est évidemment pas exhaustive.
8 Voir le volume de Woodman et West, 1984, ou plus récemment, pour un aperçu historiographique de la question de l’utilisation des poètes pour des raisons politiques, Le Doze, 2014, p. 19-28.
9 À titre d’exemple : Savage, 1963, p. 248-263, voit par exemple Mécène derrière le Codrus de la septième bucolique, et Tanner, 1970, p. 37-44, l’identifie au Tarchon de l’Énéide.
10 Ceux qui penchent pour un refroidissement des relations entre Mécène et Horace par exemple, s’appuient généralement sur l’Épître I, 7, et sur l’Ode III, 29 (Lefèvre, 1981, p. 2004 sqq. et 2017 sqq.). Mais ils oublient que la dernière apparition chronologique de Mécène dans les œuvres d’Horace est celle qui exprime la plus grande proximité qui soit : le poète et son protecteur y sont présentés vieillissant ensemble, et surtout, pour la seule et unique fois de toute l’œuvre, Mécène y est nommé Maecenas meus : O., IV, 11.
11 Valery, P., Tel quel, Paris, Gallimard, 1941, p. 180.
12 La poésie augustéenne marque un fort renouvellement des genres lyriques et élégiaques en particulier, nourris de la poésie alexandrine et du projet de fonder une poésie qui fût latine avant tout : Galinsky, 1998, p. 234-237. Voir aussi Le Doze, 2014, p. 335-368.
13 Voisin, 2000.
14 Sur l’historiographie du terme, voir Le Doze, 2014, p. 28-38.
15 Il existait bien évidemment des poètes de circonstances, sans doute rémunérés pour leurs œuvres, mais nous n’avons presque rien conservé d’eux (si ce n’est sans doute dans le recueil de l’Anthologie palatine : Crinagoras, VI, 244 (accouchement d’Antonia), IX, 239 (envoi de vers à la même) ; première barbe et première campagne de Marcellus en 25 a.C. (VI, 161). Voisin, 2000, p. 367, réserve ce genre de poésie aux poètes grecs, mais il n’est pas exclu qu’il y en ait eu de langue latine dont nous n’avons pas gardé de trace.
16 Voir, sur cette dernière question, le volume Delignon et Roman, 2009.
17 En cela notre étude se différencie de celle de Philippe Le Doze qui étudie la position des poètes par le biais de la production poétique, envisagée sous tous ses aspects.
18 Voir, chez le fondateur des études de la sociabilité : « En dehors de ces phénomènes largement visibles [il avait auparavant cité : les États, les syndicats, les clergés et les formes familiales, les dispositifs économiques et les armées, les corporations et les paroisses, la formation des classes sociales et la division du travail industriel], qui s’imposent à l’attention dans tous les domaines par leur étendue et leur importance extérieure, il y a une quantité infinie de formes relationnelles et d’actions réciproques plus petites, qui, dans les cas particuliers, peuvent paraître négligeables, mais dont ces cas particuliers présentent un nombre tout à fait incalculable ; et en s’insinuant en quelque sorte entre les formations sociales plus larges, officielles pourrait-on dire, ce sont elles qui produisent la société telle que nous la connaissons » : Simmel, 1999, p. 55. G. Simmel, estime ainsi que la sociabilité est l’essence même des études sociologiques car elle constitue une expérience de socialisation « pure », une forme pure des structures réciproques. En cela, le concept peut recevoir toutes les études de cas possibles qui lui font perdre son statut purement idéal-typique. En revanche, G. Simmel poursuit sa définition en estimant que la sociabilité constitue une forme « ludique » de la socialisation, dans laquelle s’établit, par-delà les clivages que les structures « officielles » de la société introduisent, une égalité entre les membres d’un même groupe de sociabilité : voir Simmel, 1981, p. 125-136, en part. p. 125 et 129. Il est peut-être plus douteux que la société romaine fournisse un exemple opératoire pour ce type de définition de la sociabilité qui a pris ses racines dans les sociétés démocratiques de l’époque contemporaines. Cependant, l’idée n’est pas totalement à rejeter dans le cas qui nous occupe : car, aujourd’hui comme à Rome, existent des éléments de structures sociales imposés qui rompent l’égalité entre les individus (la richesse, la situation sociale, l’instruction…) ; le principe même de la sociabilité est de suspendre, dans une certaine mesure, les inégalités dues à ce genre de critères.
19 Sur cette question de la sociabilité comme concept opératoire dans la sociologie des relations de micro-structures, et les débats qu’elle suscite, voir la synthèse de P. Mercklé : Mercklé, 2004, p. 39-52.
20 La grande étude concrète sur la sociabilité a été menée en France en 1983 : il s’agit de l’étude « contacts » menée par l’INSEE qui a consisté à faire tenir un cahier de bord à un groupe d’individus pour relever tous les contacts que chacun put avoir pendant une semaine hors relations professionnelles (voir : Héran, 1988, p. 3-22). La seconde, à une échelle beaucoup plus vaste, est celle menée aux États-Unis par Stanley Milgram et Jefrey Travers. Concentrée sur l’étude du « petit monde », elle avait montré qu’en moyenne, la distance entre deux individus quelconques qui n’entretiennent pas de relation entre eux, dans une société aussi vaste que celle des États-Unis, est de cinq intermédiaires (Travers et Milgram 2000 [1969], p. 230-241). Mais les enquêtes concrètes restent rares (Merklé, 2004, p. 39).
21 La sociabilité a précisément eu pour intérêt de proposer une réflexion qui fasse le pont entre les « interactions microsociales et les phénomènes macrosociaux ». C’est ce que sous-entend M. Granovetter dans une étude consacrée non pas directement à la sociabilité mais aux processus à l’œuvre dans les réseaux interpersonnels. Son article s’intéresse précisément à la « force des liens faibles » qui unissent les deux niveaux précités : Granovetter, 2000, chapitre 1, p. 45-73.
22 Nous entendons par « entourage », les personnes qui entretenaient avec Mécène une relation directe, c’est-à-dire de premier degré ou premier intermédiaire selon la terminologie de Milgram (voir ref. supra, n. 20). Il est évident que ce parti-pris réduit considérablement le champ de la sociabilité de Mécène, mais nous ne pouvions, faute de sources certaines, nous aventurer sur le chemin dangereux de l’étude des connaissances de deuxième degré.
23 Voir dans Mercklé, 2004, p. 40, les deux orientations que prennent les études de sociologie ayant pour objet la / les sociabilité(s) : « de ce point de vue, la position généralement adoptée consiste alors, concrètement, à définir la sociabilité soit par le recensement et les caractéristiques des interactions, dans le cadre d’études sur les « réseaux personnels », soit à partir de ses manifestations extérieures les plus facilement saisissables et mesurables, autrement dit à partir de tout un ensemble de pratiques qui mettent en relation avec autrui ».
24 Il faut se reporter aux notices de la Realencyclopedie, de même qu’aux articles biographiques détaillés de l’Enciclopedia Virgiliana ou à son correspondant pour Horace : Orazio : enciclopedia oraziana, en part t. 1 : L’opera, I luoghi, Le persone (1996).
25 Bardon, 1952 et 1956.
26 Et en cela, nous nous éloignons de la perspective plus esthétique et littéraire de D. Voisin qui consacre, dans son chapitre sur le « cercle » de Mécène, une large part aux « lecteurs d’Horace et de Properce » (p. 220-245) : s’il est très fortement vraisemblable que tous les personnages dont elle pointe les noms aient effectivement été en relation, au moins indirecte, avec Mécène, rien ne nous permet d’apprécier la valeur des liens de sociabilité qui les unissaient.
27 Sur la manière d’utiliser les sources disponibles sur la vie de Virgile, voir Horsfall, 1995.
28 Voisin, 2000, p. 56, n. 3 : fait remonter l’existence de ce groupe des Cisalpins à l’époque de Catulle : on y aurait trouvé Catulle, Cornelius Nepos, Cornelius Gallus, Helvius Cinna…
29 Schol. Pers., 2, 42.
30 De Crémone, selon Hier., Chron, Abr., année 23 a.C., Porph., ad S., I, 3, 130. Même si Virgile n’en dit rien, Horace témoigne du lien entre les deux hommes : Hor., O., I, 24 met en scène le deuil de Virgile à la mort de Quintilius.
31 Hier., Chron, Abr., année 27 a.C., précise que Gallus fut un Foroiuliensis poeta. Pour l’identification de ce Forum Iuli, voir Boucher, 1966, p. 6-12, lequel penche pour Forum Iuli Iriensium (auj. Voghera), entre Ligurie, Transpadane et Émilie, et Faoro, 2007.
32 Donat, Vita Vergilii, ed. Brummer, p. 1, l. 5-7 : natus est (…) in pago, qui Andes dicitur et abest a Mantua non procul.
33 Voir infra, p. 421.
34 Boucher, 1966, p. 15-16, situe la rédaction des œuvres en 50-45 a.C.
35 Catul., XII, 6-9.
36 Sur le dossier de Virgile et de sa position pendant les confiscations opérées au début du triumvirat, voir Veyne, 1980, qui estime que les Bucoliques ne témoignent pas tant de confiscations subies par Virgile, que de sa position de protecteur de ses concitoyens, en vertu de sa célébrité (littéraire ?) et de sa proximité avec les Grands.
37 Liv., V, 33, 9-10. Voir Heurgon, 1969b, p. 108-109 ; Massa-Pairault, 1996, p. 99- 100 ; Sassatelli, dans Camporeale, 2001, p. 168-191.
38 Enking, 1959.
39 Voir chapitre 1, p. 85.
40 Prop., I, 22, 2 (pro nostra semper amicitia).
41 Prop., I, 1 est notée dans les manuscrits Élégie à Tullus.
42 Prop., IV, 1, 122-126. Pour l’épigraphie, voir CIL, X, 5376, 5379, 5405, 5406, 5517- 5522.
43 Ce témoignage d’origine géographique montre à nouveau combien étaient prégnantes les notions de frontières culturelles et régionales : Perusia, patrie probable de Volcacius Tullus, était distante de 23 kilomètres par la route seulement d’Asisium. Pourtant, Properce, qui était originaire du territoire de cette dernière cité, perçoit très clairement la première comme étrusque, la seconde comme ombrienne : voir la dernière élégie du livre I, Prop., I, 22.
44 Voir l’hypothèse de sir R. Syme, en part. dans : Syme, 1978, p. 98-99 ; voir aussi Torelli, 1969, p. 303-304. Le nom est bien attesté à Perusia, mais aussi, dans une moindre mesure, à Clusium et Forum Clodi. T. P. Wiseman au contraire préfère opérer un rapprochement avec les attestations du nomen à Tusculum : Wiseman, 1971, p. 276-277. Voir Hall, 1984, n° 103 et en part. 103.2 et 103.4.
45 C’est peut-être ce qu’il faut entendre de la huitième des épigrammes de l’appendix virgiliana, dédiée à la villa de Siron. À moins bien sûr que l’évocation du « transfert de pénates » depuis Mantoue ne soit que symbolique et ne désigne simplement la « résidence philosophique » du poète d’Andes. Voir Grimal, 1985, p. 55.
46 Sur la présence de Virgile auprès de Siron : Serv., ad Verg. Ecl. VI, 13 ; ad Aen., VI, 26 ; Schol. Veron. Ad Ecl. VI, 10. Sur la présence de Virgile, Varius et Quintilius dans le papyrus 1082 de Philodème (Περὶ Κολακείας, feuille 92, col. II, l. 8 sqq.) : voir Gigante, 1983 p. 33 sqq. et Gigante, Capasso, 1989. Pour les mêmes noms et celui de Tucca dans le Περὶ Φιλαργυρίας, voir Gigante, 1983, p. 34-35. Sur la lecture de ces papyrus voir aussi : Mellinghoff Bourgerie, 1990, p. 20-21. En revanche, il ne semble pas qu’Horace ait figuré dans ces textes : Gigante, Capasso, 1989.
D’Anna, dans Enciclopedia virgiliana, s.v. Sirone, doute de la chronologie habituellement établie. Pour lui, Virgile ne fut pas napolitain avant d’avoir rencontré Mécène et c’est par l’intermédiaire du chevalier d’origine étrusque qu’il fréquenta le cercle de Siron. Il connut donc les autres membres de la sociabilité de Mécène avant Siron et c’est par leur intermédiaire qui fréquenta les épicuriens napolitains.
47 Pseudo-Probus, p. 327, dans Thilo, G. et Hagen, H. (ed.) Servii grammatici qui feruntur in Vergilii carmina commentarii, Leipzig, Teubner, 1902. Voir aussi Boucher, 1966, p. 9-10.
48 El., XII, 25, 15. Notons que Marc Aurèle rapproche lui aussi Mécène et Areius dans une liste des membres de la cour (αὐλή) d’Auguste : M. Aur., VIII, 31, 1. Sur la formation de Mécène, voir Chambert, DPA, s.v. Maecenas.
49 C’est vraisemblablement ce que fit le père d’Horace : Hor., S., I, 6, 65-82.
50 Voir chapitre 2, p. 107 sqq.
51 N. Dam., frag. 127, III, 5-6 ; Cosme, 2005, p. 16-17. Sur le transfert de maison, voir Palombi, 1997, p. 146-147.
52 Sur ces questions, voir Chillet, L’Esquilin… à paraître.
53 N. Dam., frag., 127, VII, 16.
54 N. Dam., frag. 130, XVI, 37-43 parle de φίλοι sans citer nommément Agrippa. Mais on notera que le même mot employé en frag. 130, XXXI, 133, est développé par l’adjonction des noms de L. Maecenas et d’Agrippa.
55 Hor., O., IV, 9 ; tandis que Ep., I, 2 et 18, semblent adressées à son fils.
56 Eleg., I, 9-10. Il s’agissait peut-être d’un poète « professionnel » car il avait déjà commis un poème funéraire en l’honneur de Drusus : Eleg., I, 1.
57 Eleg., I, 11-12. Si l’on en croit Hinard, 1985, n° 81 et qu’il faut bien identifier ce Lollius au personnage dont parle App., Civ., IV, 49, 210, ce Lollius aurait un parcours politique assez proche de celui d’Horace : proscrit il aurait été pardonné par César le Jeune sur intervention d’un tiers. Il devint consul en 21 a.C.
58 Vell., II, 1, sur le désastre germain en 16 a.C. Auguste choisit néanmoins de lui confier son petit-fils Caius : il semble donc que l’image noire du personnage qu’on trouve chez les historiens vienne plutôt des événements postérieurs. En effet, son attitude comme directeur de Caius Caesar, ainsi que des malversations avec les rois parthes, le firent exclure de l’amitié du jeune Caius et le poussèrent au suicide : Vell., II, 102, 1, Plin., IX, 58, 118 ; Suet., Tib., XII, 3.
59 Voir le résumé des débats dans l’introduction que donne J. Amat dans l’édition de la CUF, p. 79-84. Voir aussi Le Doze, 2012.
60 Eleg., I, 67-68.
61 Suet., Aug., LXX.
62 Voir l’analyse de Lucot, 1957, p. 196-197, qui rapproche Prop., I, 2, 1-6, du fragment de prose n° 4 (André, 1983) de Mécène, conservé dans Priscien, (Prisc., Gram. X = GLK, II, p. 536, 6-7). Dans le même article R. Lucot montre que Properce fait appel au thème étrusque pour signifier une proximité géographique dont il espère qu’elle séduira Mécène. En revanche, on ne peut le suivre lorsqu’il voit dans Prop., IV, 2, l’expression de la haine de Properce à l’égard de Mécène, haine née de la préférence accordée par Mécène à Horace.
63 Sen., Suas., III, 5.
64 Voir infra, p. 450-456 sur les éventuels rapports de patronage.
65 Et qu’Horace prétende que Mécène ne se souciait pas de la basse naissance ne vient que renforcer l’idée que ces critères étaient capitaux dans le choix des relations : Hor., S., I, 6, 1-11.
66 Q. Cic., Pet., V, 17 = Cic., XII. Badel, 2003, p. 33 sqq.
67 Merklé, 2004, p. 48-49.
68 Hor., S., I, 6, 54-62.
69 Hor., S., I, 6, 45-48. Sur le passé politique d’Horace, voir Hinard, 1990. Sur la signification de son revirement dans le contexte des pratiques politiques républicaines, voir Le Doze, 2012b.
70 Hinard, 1985, n° 63, p. 473, et 1990.
71 Ce serait le Mercurius Celer de O., II, 7 ; voir Hinard, 1990, p. 111-113. Ferriès, 2007, n° 164. G. Morgan fait une toute autre hypothèse. Constatant la récurrence des apparitions du dieu Mercure qui se voit consacrer l’ode I, 10, et les liens qui semblent unir le poète au dieu, notamment dans l’épisode du sauvetage d’Horace après la déroute républicaine, le chercheur anglais propose de voir derrière la figure du dieu, celle de Mécène. Il soutient son hypothèse par un jeu étymologique qui ferait de Mercure, fils de Maia, un équivalent poétique d’une transposition grecque du nom de Mécène : Μαιαγενής, littéralement, descendance de Maia. Morgan, 1994.
72 Voir Grimal, 1961, p. 721-730 : l’auteur établit bien un lien de réponse entre les deux poèmes, mais sans toutefois supposer que les poètes se connaissaient.
73 Voir Ducos, DPA, s.v. Horatius, signale qu’il n’y a pas de trace avérée de lien entre Horace et les cercles campaniens. Voir aussi Gigante, 1983, p. 34-35, qui refuse de restituer le nom d’Horace dans une lacune des papyrus 1082 et 253 de Philodème.
74 Domitius connut l’amitié de Virgile et de Tibulle puisqu’on lui attribue une épitaphe au second dans laquelle il rappelle la filiation littéraire entre les deux : Duret, 1983, p. 1484.
75 Domitius Marsus et Horace eurent le même maître : Orbilius. Voir pour Horace : Hor., Ep., II, 1, 70-71, Suet., Gram., IX, 3 et pour Domitius Marsus : Suet., ibid.
76 Malgré les difficultés de lecture, il semble que Domitius Marsus écrivit une épigramme orienté contre Bavius et Maevius (Duret, 1983, p. 1481-1484. ; Virgile dans la troisième Bucolique, v. 90-91 et Horace dans l’Épode X, 2 égratignèrent sévèrement les qualités poétiques de ces deux hommes).
77 Pseudo-Probus, p. 328, dans Servii grammatici qui feruntur in Vergilii carmina commentarii, éd. G. Thilo, et H. Hagen.
78 Voir le texte édité dans Anderson, Parson, Nisbet, 1979, col I, l. 6-9. Sur les Viscii, voir Ps.-Acr. ad Hor., S., I, 10, 83. Voir aussi, Syme, 1967, p. 575, n. 70 et Demougin, 1992, n° 193.
79 Pièce pour laquelle le poète reçut une récompense d’un million de sesterces selon une didascalie présente dans les manuscrits Parisiensis 7530 et Casinatensis 1086 : Jocelyn, 1980, p. 387-400.
80 Voir Wimmel, 1983, p. 1569-1585 : qui définit le de Morte comme un poème didactique contenant des traits épiques, historiques, panégyriques et critiques.
81 Le papyrus 817 contient des fragments d’une épopée sur la guerre d’Actium d’un auteur inconnu que M. Gigante identifie à Varius Rufus : Gigante, 1995, p. 75-92. Voir Benario, 1983, p. 1656-1662.
82 A. Valvo le suppose en se fondant sur l’étude de la bilingue d’Arnth Unata Raufe / M’ Octacilius Rufus (CIE, 3023 = CIL, XI, 2371). Le personnage, fils d’une Varna (transcrit en latin en Varia, deux noms courants en étrusque et en latin à Clusium), ne transcrit de son nom étrusque que le cognomen Raufe, en Rufus. Sur la base de ces deux rapprochements onomastiques, A. Valvo fait l’hypothèse que le Varius Rufus que nous connaissons pourrait avoir une origine étrusque. La présence de sa famille en Italie du nord résulterait de la vague d’émigration entamée pendant la dictature de Sylla (Valvo, 2003, p. 161).
83 Néanmoins, Della Corte, 1964, p. 377-378, pense à une datation tardive, vers 27 de l’œuvre. Voir Duret, 1983, p. 1485-1486.
84 Mart., VII, 29, 5.
85 Verg., B., V, 85-87 : pour la valeur métapoétique presque explicite du « frêle pipeau », voir Vergil, Eglogues, R. Coleman (ed.), Cambridge, Cambridge university press, 1989 [1977] ad hoc : ces trois vers semblent signifier que les deuxième et troisième églogues ont été inspirées par la petite flûte qui désigne donc un mode de poésie particulier. Contra Bardon, 1956, p. 55-56 pour qui Cicuta renvoie à la ciguë et à l’acrimonie des épigrammes de Marsus plutôt qu’à l’instrument de musique bucolique.
86 DC., LV, 7, 5.
87 Sen., Contr., II, 4, 13, l’événement se situe en 17 a.C. Voir chapitre 7, p. 342.
88 Suet., Aug., LXVI, 4 ; DC., LVI, 32, 3 ; LVI, 41, 8 ; Rogers, 1947, p. 143 ; MratschekHalfmann, 1993, p. 44.
89 Damon, 1995 et Damon, 1997. Dans cette dernière référence, elle utilise le titre de « pathology » pour indiquer que l’utilisation du terme de parasite dénote un dysfonctionnement des relations sociales normales (p. 2).
90 El., Frag. 108 : Ἐν τῷ συνδείπνῳ τῷ τοῦ Μαικήνου τράπεζα ἐγγώνιος ἧν ὑπὸ τῇ κλισίᾳ τὸ μέγεθος μεγίστη καὶ κάλλος ἄμαχος. Καὶ οἷα εἰκὸς ἐπῄνουν ἄλλοι ἄλλως αὖτην. Ὁ δὲ Ἰόρτος οὐκ ἔχων ὅ τι παρ’ ἑαυτοῦ τερατεύσασθαι, σιγῆς γενομένης· « ἐκεῖνο δὲ οὐκ ἐννοεῖτε, ὧ φίλοι συμπόται, ὧς στρογγύλη ἐστί καὶ ἄγαν περιφερής » ἐπὶ τοίνυν τῇ ἐκρατῳ κολακείᾳ, ὡς τὸ εἰκός, γέλως κατερράγη. Πλούταρχος, « Dans le banquet de Mécène, il y avait une table formant un angle droit au pied des lits de tables ; elle était de très grande taille et d’une beauté sans égale. Comme il est naturel, tous en firent compliment d’une manière ou d’une autre. Iortios, n’ayant pour sa part rien d’extraordinaire à dire, au milieu d’un silence déclara : “vous n’avez pas remarqué, commensaux mes amis, qu’elle est ronde et tout à fait circulaire !”. Bien entendu, devant une flagornerie si directe, les éclats de rire déferlèrent. Plutarque » (trad. pers.).
91 Alfonsi, 1949.
92 Hor., S., II, 8.
93 Voir Stein dans RE, II.A.2 (1923), s.v. Servilius, n° 38 et Mauriz Schuster dans RE VIII.A.2 (1958), s.v. Vibidius n° 1.
94 Dont le nom complet est C. Theoros Bathyllos si l’on en croit les hypothèses rapportées par Mario Bonaria, dans RE, S. X s.v. Bathyllos en complément de l’article Bathyllos, n° 7 de Gensel, dans RE, III.1 (1897), n° 7. Le nom est reconstitué en se fondant sur une inscription mentionnant une affranchie de Bathylle. Le nom que rapportent les auteurs littéraires est sans doute le nom de scène du pantomime. Le nom complet permet cependant de retrouver la trace de Bathylle à Rome (CIL., VI, 10115), mais aussi à Pompéi (CIL., IV 1917 et 1891). Sur ce personnage, voir Treggiari, 1969, p. 140 sqq. et 246 ; Garton, 1982, p. 595-596.
95 Sen., Contr., X, praef., 8. Dion Cassius ne mentionne pas la nature des liens qui rattachent Bathylle à Mécène : DC., LIV, 17, 5.
96 Ath., I, 20 d, se fondant sur Seleucus et Aristonicos.
97 Hier., Chron, Abr., année 22 a.C. : Pylades Cilix pantomimus, cum veteres ipsi cantarent atque saltarent, primus Romae chorum et fistulam sibi praecinere fecit.
98 Sen., Contr., III, praef, 10.
99 Voir chapitre 8, p. 406 sqq.
100 DC., LIV, 17, 5 et Macr., Sat., II, 7, 19, lequel se trompe dans l’identification du deuxième membre de l’altercation qu’il nomme Hylas.
101 Pour la qualification exacte du métier de Bathylle, voir chapitre 3, n. 18.
102 Sauron, 1994, p. 553-565. Voir aussi Gros, 1994, p. 291-292.
103 Voir supra, n. 7.
104 Hor., O., IV, 11, 28.
105 Le texte, corrompu, de cette épigramme se trouve dans Suet., Vit., Hor. Il est ainsi restitué et traduit par C. Deroux : Ni te visceribus meis, Horati / plus iam diligo, tu tuum sodalem / Vinnio uides strigosiorem, « If henceforth I do not love you more than my own entrails, Horace, may the friend that I am appear to you scrawnier than Vinnius ». Le texte ne se comprend qu’en référence à la fois à une épître d’Horace qui cite un Vinnius, comparé à un âne portefaix, et à un poème de Catulle qu’il démarque de près (Hor., Ep., I, 13 et Catul., XIV). Voir Deroux, 1992.
106 Suet., Vit. Hor., A. Reifferscheid (éd.), p. 45 : Horati Flacci ut mei esto memor.
107 La notion est complexe en cela qu’elle caractérise à la fois les rapports d’amitié, mais aussi ceux de clientèle. Elle a dans tous les cas une forte valeur dans le champ du politique, et constitue avant tout une qualité sociale, et non pas morale. Sur ces questions, voir Hellegouarc’h, 1963, p. 23-62.
108 Prop., III, 9, 33-34. Voir aussi Eleg., I, 11-12 et II, 155-156 et 170.
109 Suet., Aug., LXXXV.
110 Sen., Ben., VI, 32, 2.
111 Suet., Aug., LXXII, 4. Mais les horti correspondaient particulièrement bien au repos et à l’éloignement de la Ville, rendus nécessaires par la maladie : voir Tac., H., III, 38.
112 Voir Chillet, 2011.
113 Plutarque, Apophtegmes des rois et généraux, dans moralia III, CUF, (15, 6).
114 Voir Travers et Milgram 2000 [1969], p. 230-241 sur la qualification et la définition des degrés des intermédiaires.
115 El., XII, 25, 15. Sur Areius d’Alexandrie, voir Inwood, DPA, s.v. Areios Didymos. Sur l’éducation philosophique d’Auguste, voir Bowersock, 1965, p. 31 sqq.
116 Voir André, 1967, en part. p. 15-61 ; le Doze, 2014, p. 171-181.
117 Voir supra, n. 18 sur la « pureté » théorique de la relation de sociabilité.
118 Hor., S., I, 9.
119 Voir aussi S., II, 6, 60-61, où un autre importun voudrait entre autres connaître les régions d’Italie où Auguste comptait distribuer des terres promises aux vétérans.
120 Sen., Suas., III, 5.
121 Est-ce le même genre de motivation qui poussa Sabinus Tiro à dédier à Mécène son ouvrage sur les jardins (Plin., XIX, 57 (177)) ? On ne ne connaît quasiment rien du personnage, ce qui empêche de conclure sur la question.
122 Serv., Vita Vergilii, 23-27.
123 Kreiler, 2006, p. 147 sqq. MRR, II, p. 387-388, place le gouvernement en 39 a.C. et le fait se terminer avant le 25 octobre, date du triomphe de Pollion (d’une année inconnue cependant selon les Fastes : CIL, I2, 50 et 76 = Inscr. It., XIII.1, 86-87). Si l’on penche pour cette datation de 39 a.C., cela signifie que la campagne fut extrêmement courte.
124 Pour le cas d’Ennius : Cic., Arch., 27 ; Tusc., I, 3 ; Brut., 79 ; pour celui d’Archias : Cic., Arch., 11 ; pour celui de Catulle : Catul., X, 5-13 et XXVIII, 7-10 ; pour celui de Tibulle (Tib., I, 3).
125 Comme le fait Horace en Épo., I.
126 Voir l’analyse fort juste du début de la bucolique VIII par D. Voisin : Pollion y est présenté comme l’inspirateur de poésie bucolique (v. 11-13), alors que le poète aspirait quelques vers plus haut à peine, à un genre de poésie plus noble (v. 7-8). D. Voisin rapproche l’allusion au lierre dans le poème de la lecture faite par G. Sauron des deux coupes tenues par Ménalque et Damète dans la bucolique III : chacune d’entre elles y est assimilée à une esthétique particulière, opposant un décor régulier d’acanthe se développant autour d’Orphée (Damète), à une guirlande désordonnée de vigne et de lierre, représentant la poésie de type hellénistique (Ménalque). La bucolique VIII qui permettrait au poète de couronner Pollion de lierre, est par ailleurs un modèle du genre. Voir Voisin, 2000, p. 96, et Sauron, 1982, p. 699-713.
127 Voir Ferriès, 2007, n° 17.
128 Tac., An., I, 12, 6 et Plin., XXXVI, 33.
129 Grisard, 1964, p. 477-488.
130 Gruen, 1968 et 1995 [1974], p. 211-357. C’était aussi un des fondements de la méthode de Münzer d’étudier les clans formés dans les procès pour en déduire les alliances politiques. Voir par exemple, Münzer, 1999 [1920].
131 Plin., XXXV, 46, 164 et Suet., Aug., LVI.
132 Sen., Suas., I, 12.
133 Verg., B., IX, 36 et Serv. ad. hoc.
134 Cic., Phil. XIII, 5, 11 Servius l’appelle Antonii poeta.
135 Brugnoli, 1979, p. 345-368. Voir le commentaire de M.-C. Ferriès qui récuse de manière convaincante cette lecture : Ferriès, 2007, n° 6.
136 Verg., B., III, 90 ; Hor., Epo., X, 2. Pour Domitius Marsus, voir : Duret, 1983, p. 1481-1484.
137 Hier., Chron, Abr., année 35 a.C. Cette notation pose cependant quelques problèmes chronologiques car Ser., ad. G., I, 210, précise que Bavius et Maevius reprochèrent à Virgile l’emploi du terme hordea (blé), qu’ils jugeaient impropres. Or les Géorgiques ne furent terminées qu’en 29 a.C., et dit-on, commencées en 36 a.C. Il faudrait que Bavius ait eu connaissance des premiers jets de cette œuvre. À moins que leur critique n’ait porté sur les Bucoliques, parues plus tôt et dans lesquelles le terme hordea est déjà employé (B., V, 36).
138 Syme, 1967, p. 253-254.
139 Jal, 1963, p. 200-230. Geiger, 1980.
140 Donat, Vita Vergilii, ed. Brummer, p. 10-11.
141 Verg., B., I, 1, 1.
142 La traduction est de Bardon, 1956, p. 12.
143 Sen., Suas., II, 20.
144 C’est Caecilius Epirota qui mit Virgile ainsi que des « poètes modernes » (poetae novi) au programme de son école : Suet., Gram., XVI, 3.
145 Il est beaucoup plus difficile de repérer les opposants à Horace car Porphyrion et le pseudo-Acron sont beaucoup moins loquaces que Servius et ses différents avatars. Quant aux textes d’Horace eux-mêmes, ils laissent peu de place à l’identification de ces ennemis littéraires, car soit la critique est de portée générale (Hor., Ep., I, 19, 35 sqq. ; II, 2, 87 sqq.), soit elle vise des individus qui ne sont pas autrement connus et difficilement identifiables (Hor., S., I, 10, 78-80).
146 Str., XIV, 5, 4. L’identification de cet Athénée à l’auteur d’un περὶ μηχανημάτων soit utilisé comme source par Vitruve, soit contemporain de Vitruve, est récusée par L. Callebat (introduction au livre X, CUF, p. XXVII-XXXI), contra Kroll, dans RE S. VI, s.v. Athenios. Sur Athénée le philosophe, voir R. Goulet, DPA, s.v. Athenaios de Séleucie (sur le Calycadmos).
147 Le Doze, 2014, p. 295-302 envisage la protection contre les médisants. Il semble que les choses aient pu être plus sérieuses.
148 Pour son surnom de « l’Enragé », voir Sen., Contr. X, Praef., 4. Sa liberté de parole indisposa tellement que ses œuvres historiques furent condamnées à être brûlées, ce qui constituait, à Rome, un châtiment nouveau : Sen., Contr., X, praef 5 ; la mesure, datée de 12 p.C., fut, semble-t-il, rapportée par Caligula en même temps que celle qui réhabilitait les œuvres de Cremutius Cordus et Severus, preuve que toutes les œuvres de Labienus n’avaient pas été brûlées sous Auguste (Suet., Cal., XVI, 2). Severus, son comparse en acrimonie contre le régime et pourtant son ennemi personnel, eut ce bon mot : si Auguste voulait brûler absolument les œuvres de Labienus, il faudrait le brûler aussi lui, Severus, puisqu’il les connaissait par cœur (Sen., Contr. X, praef., 8).
149 Sen., Contr. X, praef., 8.
150 Pour la littérature avant notre ère, le mot n’apparaît guère que chez Cicéron au sens étymologique de « réponse à une lettre », ce qu’était, techniquement, un rescriptum impérial (pour une définition sommaire duquel voir Coriat, 1997, p. 77).
151 Pour Cassius Severus, voir : Tac., An., I, 72 (sous Tibère) ; pour un autre cas particulier sous Auguste : Suet., Aug., LI, 2 ou DC., LXVI, 27, 1.
152 Gerth, dans RE, X.1 (1918), s.v. Iunius Gallio, n° 77, fixe sa naissance vers 33 a.C.
153 Sen., Suas., III, 6.
154 Tac., An., VI, 3, 1.
155 Ou plutôt avec la famille de son épouse : pour le dossier épigraphique, voir n. 64, p. 384.
156 Schol. ad. Juv., S., V, 3, 1. Cf. chapitre 8, p. 408.
157 Mommsen, Droit Pénal., II, p. 399.
158 Plut., Ant., 59, 8.
159 Était-ce par crainte de recevoir le châtiment qui revenait aux esclaves ayant usurpé la liberté et la citoyenneté ? Voir : Mommsen, Droit Pénal, III, p. 184-185.
160 Sen., Ep., 114, 4 ; voir la discussion sur cette œuvre dans : Bardon, 1956, p. 18, Id., 1949, p. 166-67, la mention chez Sénèque de culto suo est peut-être due à un interpolateur, mais Bardon ne pense pas que cela contredise l’existence du traité. Quant à la nature du texte, il réfute l’idée de satire Ménippée pour y voir « un traité de philosophie mondaine sur le comportement de l’individu : costume, parure – et mœurs », écrit sans dogmatisme ni moralisme, avec élégance en réponse aux critiques dont Sénèque se fait l’écho. Voir aussi André, 1983, p. 1768.
161 Voir Sen., Ep., 114, 4 : Quomodo Maecenas vixerit notius est quam ut narrari nunc debeat, « On connaît trop pour qu’il soit besoin à cette heure de la raconter, la façon de vivre de Mécène », qui implique qu’il existait encore une littérature qui avait ce thème pour sujet.
162 Parmi ceux dont on a les noms : Lygdamus et Sulpicia. Sur ces personnages, voir respectivement : Duret, 1983, p. 1461-1467 et Mac L. Curri, 1983, p. 1751-1764.
163 La Ciris, et l’épigramme IX du Catalepton.
164 Voisin, 2000, p. 399 sqq. Pour une analyse de la position de Messalla, voir Le Doze, 2014, p. 216-224.
165 Valgius Rufus : Tib., III, 7, 179-180 prétend que seul Valgius Rufus pourrait louer Messala dans une épopée, ce qui sous-entend que Valgius le fréquentait assez ; l’auteur anonyme de la Ciris, reprend, dans un poème dédié à Messala, des thèmes que l’on trouve dans le banquet de Mécène, ce qui semble prouver qu’il évoluait dans la docte société des deux hommes (voir Voisin, 2000, p. 161-162) ; Gallio : voir supra p. 440 ; pour Horace, Hor., S., I, 10, 85, et O., III, 21 qui lui est dédiée.
166 Sen., Suas., II, 20.
167 Voir Reinhold, 1978, p. 60. Pour l’engagement politique de Messala, voir Butrica, 1994.
168 Hor., S., I, 10, 81-90.
169 Ibid., 87-88.
170 Le Bibulus de la satire est identifié au fils du collègue de César ; voir Münzer, dans RE, III.1 (1897), s.v. Calpurnius, n° 27 ; PIR, C, 253 ; Ferries, 2007, n° 29.
171 Furnius, en revanche, ne semble pas avoir été un républicain césarien de date ancienne, ses vicissitudes pendant la guerre de Perusia ne semblent pas faire de lui un rallié de Lucius Antonius par républicanisme. Il resta antonien jusqu’à Actium où il fut pardonné par César le Jeune, sur les intercessions de son fils, partisan de César le Jeune. Ferriès, 2007, n° 73.
172 App., Civ., IV, 38, 160 ; 136, 575-576 ; V, 30, 116.
173 Voir chapitre 6, n. 137.
174 Pour sa carrière, voir Hinard, 1985, n° 145 ; Ferries, 2007, n° 138.
175 Cicéron en tout cas, avait une haute opinion de lui. Voir : Cic., DCCLXIX = Att., XV, 17, 2 ; DCX = Att., XII, 32, 2 ; CMXXIX = Br., I, 12 ; CMXXXIII = Br., I, 15, 1-2.
176 Frontin., Aq., XCIX, 4.
177 Suet., Aug., LXXXVI, 3 ; Macr., Sat., II, 4, 12.
178 Voir chapitre 6, n. 137. En revanche, on notera que c’est chez Properce, un poète du « cercle de Mécène », qu’on trouve la seule mention de l’opposition au premier projet des lois sur le mariage en 27 a.C., et à leur retrait une première fois par le Prince : Prop., II, 7, 1-2. Sur ces lois, voir chapitre 8, p. 377 sqq.
179 Pour Duret, 1983, p. 1474, Valgius Rufus était un aristocrate de naissance, de trop haute origine pour avoir à entrer dans la clientèle de Messala qu’il fréquentait comme un pair ; contra : Voisin, 2000, p. 179-187, reprenant Syme, 1978, p. 228, pense que Valgius Rufus était un homme nouveau qui devait sa position à la protection de Messala.
180 Serv., ad Verg., Aen., VIII, 310.
181 André, 1983, p. 1775 (sur l’utilisation, en particulier, du mythe de Tithon par Mécène).
182 Signalons l’hypothèse émise par G. D. Farney au sujet du rapprochement des deux hommes : le récit livien (Liv., X, 3, 1-2) de l’histoire de la famille Cilnia à Arretium, signale que c’est Valerius Corvus qui réprima les troubles populaires dans la cité en 302 a.C. et rétablit la position des ancêtres de Mécène. G. D. Farney voit là une « retroprojection » destinée à donner un fondement historique aux relations entre les deux hommes (Farney, 2007, p. 67, n. 135). L’hypothèse est coûteuse et non nécessaire.
183 Voir chapitre 7, p. 364-367.
184 Man., Astronomica, I, 798.
185 Suet., Gram., XVI, 1.
186 CIL, VI, 1375.
187 J.-M. Roddaz cherche à identifier « l’entourage » d’Agrippa en faisant la liste des gouverneurs de provinces, des légats, qui furent en poste en Orient pendant le séjour d’Agrippa dans ces provinces. Mais il ne nous semble pas que l’on puisse faire entrer systématiquement tout le personnel politique côtoyé à ce moment-là dans le groupe de sociabilité qui se construisit autour du gendre du Prince pour les raisons de définition que nous avons données plus haut. Voir Roddaz, 1984, p. 534-548, et en part., p. 541-548 (« les amis et alliés »). En revanche, Agrippa entretenait beaucoup plus de liens avec l’ensemble de la famille impériale, du fait de sa situation matrimoniale, que Mécène.
188 Prop., IV, 8, 1-2.
189 Grüner, 1993, p. 39-55.
190 Hor., S., II, 6, 30.
191 Le qualificatif de « noires Esquilies », peut d’ailleurs éventuellement faire référence à la sinistre réputation du quartier lorsqu’il était encore couvert de cimetières. Pour la satire de Priape : Hor., S., I, 8, 14-15.
192 Donat, Vita Vergilii, ed. Brummer, p. 3.
193 Häuber, 1998, p. 100.
194 Front., I, 8.
195 Il est possible de repérer ce genre de concentration déjà pour le cas de Pompée autour de sa maison du quartier des carènes, selon Palombi, 1997, p. 142.
196 Hor., Ep., I, 7.
197 Hor., O., III, 29, 9-10.
198 Humatus et conditus est extremis Esquiliis iuxta Maecenatis tumulum, Suet., Vit. Hor. Sur l’identification du tombeau de Mécène, voir chapitre 1, p. 66-67.
199 Voir les hypothèses de R. C. Häuber, qui récuse la via dite Merulana antica, comme limite des horti Maecenatis, car elle la tient pour médiévale (Häuber, 1990, p. 15, 103 et 30) et repousse donc la limite des jardins jusqu’à la via Asinaria qui coupe la Via Labicana précisément au niveau de la casa tonda (Häuber, 1990, p. 91 et 101).
200 Vespignani et Visconti dans BCAR, 1874 p. 150 sqq. : auditorium pour récitations.
201 Thylander, 1938, p. 118-122 ; de Vos dans LTUR, s.v. Horti Maecernatis, « Auditorium ».
202 Mau, 1875, p. 89-96.
203 Neuerburg, 1965, p. 204 sqq. (non vidi).
204 Thylander, 1938, p. 123-124.
205 Clark-Reeder, 2001, p. 53-57 et Micheli, 2002, p. 109 ont rapproché l’auditorium ainsi que les bâtiments alentours, malheureusement mal connus, de la villa des Voconii à Marino et leur ont donné une fonction initiatique en les comparant au télesterion éleusinien.
206 Τσιμπιδου-ΑυλωνιΤη, 2005, p. 33.
207 Plutarque, Apophtegmes des rois et généraux, dans moralia III, éd Fr. Fuhrmann, CUF (15, 3).
208 Anth., XII, 118.
209 Voir Le Doze, 2014, p. 209-216 qui déduit de l’inégalité des rapports sociaux, le statut de client de poètes, sans exclure les liens d’affection qui purent exister entre eux et leur patron.
210 Quoi qu’en ait pensé, dans son modèle théorique, G. Simmel, le fondateur du concept : voir supra, n. 18.
211 Rouland, 1979, p. 465-491, titre d’une section de la quatrième partie, consacrée aux liens clientélaires de la fin de la République.
212 Rouland, 1979, p. 465-467 ; et 466, pour les deux expressions citées.
213 Voir l’embarras de définition auquel est soumis Saller, 1982, p. 8-12 entre « patronus in general sense », « patronus in technical sense », dont on ne voit pas toujours bien l’usage que veut en faire l’auteur. Plus tard, p. 26-27, il parle d’une « patron-protégé relationship » qu’il ne semble pas assimiler à une relation de clientèle. D’ailleurs, l’ouvrage entier montre bien l’ambiguïté du terme anglais de patronage, puisqu’il recouvre des relations aussi diverses que celles de l’avocat à son client, de l’empereur au peuple et à son entourage, du gouverneur de province à ses administrés… qui ne sont pas toutes des relations de patron à clients.
214 Voisin, 2000, p. 72, définit son corpus de « protecteurs éclairés » en se fondant sur ces critères : hommes riches, possédant des ancêtres, détenteurs d’une fonction civile ou militaire, passée ou présente, férus de lettres (possesseurs de bibliothèques, se piquant d’écrire, organisateurs de lectures…), qui reçoivent des citations d’auteurs de leur temps en échange de services (politiques : octroi de la citoyenneté ; littéraires : mise à disposition de la bibliothèque…). Ces critères sont purement formels et servent à identifier dans nos sources les personnages que l’auteur étudie dans son travail. Ils ne tiennent pas lieu de définition sociologique d’un patron ou protecteur, et n’impliquent en rien la nature des liens créés avec les auteurs.
215 Saller, 1982, p. 8-10.
216 Rouland, 1979, p. 623-626. Même conclusion chez Le Doze, 2014, p. 197-204.
217 Cels-Saint Hilaire, 1999 et 2002, p. 292-293.
218 Hor., Ep., II, 1, 69-71 et Suet., Gram., IX.
219 Hor., S., II, 36-37 ; Suet., Vit. Hor.
220 Demougin, 1992, n° 78.
221 Ferries, 2007, n° 164, et supra, n. 71.
222 Rouland, 1979, p. 563.
223 Hor., Ep., I, 7, 37-38.
224 Hor., Ep., I, 7, 46-95.
225 Mane cliens, ibidem, 75.
226 Ou bien ne semble pas désigner vraiment un patron. Voir : Ep., I, 17, 43 : la pièce se présente comme une suite de conseils donnés à un certain Scaeva, inconnu par ailleurs, pour régler sa conduite avec les « grands » (maiores) ; Horace y emploie un rex suus, dans une phrase à portée générale qui ne se réfère pas forcément à sa propre situation. En O., I, 4, 13-14, le terme de rex ne s’applique sans doute pas à un patron (sont réunis dans une même fragilité face à la mort les pauperes et les reges) ; le seul point qui pourrait rapprocher ce rex de Mécène, et donc Horace d’un client, est le fait que les pauperes vivent dans des tabernae, les reges dans des turres, comme le chevalier d’origine étrusque. En S., II, 2, 45, les festins des rois (epula regum) désignent là aussi sans doute les « riches » opposés aux frugaux rustiques, mais peut-être pas les patrons au sens propre.
227 Porph., ad Epo., I, 1, 2.
228 Veyne, 1980 et voir chapitre 4, p. 221, n. 218.
229 Hor., S., II, 6, 55-56.
230 Ibidem 51-52 : O bone (nam te / scire, deos quoniam propius contingis, oportet)…, « Eh ! mon bon, tu dois être informé puisque tu approches les dieux… ».
231 Voir les références chapitre 4, p. 187.
232 Deniaux, 1991.
233 Dans le cadre de la fonction « d’ostentation » : voir Rouland, 1979, p. 485-488 ; 515-517 ; 566-568. Voir aussi Deniaux, 1993, p. 184-185 sur l’adsectatio qui resta toutefois réservée aux personnages de dignité inférieure à ceux qui se contentaient de la salutatio (Q. Cic., Pet., IX, 36 = Cic., XII).
234 Badel, 2003, p. 33-35.
235 Hor., S., I, 5.
236 Voir chapitre 5, n. 115.
237 Hor., Ep., I, 17, 22-54.
238 Rouland, 1979, 478-479 ; 527-532.
239 Voir Lowell-Bowditch, 2001, qui envisage toutes les formes d’échanges dans le processus poétique : à la fois bien sûr sur le plan de l’économie marchande (chapitre 1), mais aussi sur le plan de l’économie toute symbolique à la fois du don-contre don dans une perspective très anthropologique pour laquelle sont convoqués études fondatrices du thème (Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », publié en 1926 ; L’introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, de C. Levi-Strauss ; Bourdieu, P., Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève, Droz, 1972 ; Sahlins, M., « On the sociology of primitive exchange », dans The relevance of models for social anthropology, M. Banton, (dir.), Londres, Tavistock, 1965, p. 139-236) ; mais aussi du sacrifice expiatoire que mimerait la poésie (chapitre 2, faisant appel aux théories de R. Girard). Perçu dans cette perspective, le don du domaine de Sabine équivaut à « la mise en circulation d’une sorte de capital qui circule ensuite sous la forme symbolique d’une ‘dépense sacrificielle’ » (traduction personnelle, de la p. 4-5). Le chapitre 6 de Le Doze, 2014 étudie avec attention le second versant de cette économie, qui passe parfois au second plan : celui de l’intérêt des aristocrates dans le compagnonnage avec les poètes.
240 Donat, Vita Vergilii, ed. Brummer, p. 13 ; Mart., VIII, 55, 7-12, même si l’on ne peut définir exactement la nature des richesses dont Mécène combla Virgile pour « écarter la pauvreté ». Dans cette épigramme, Martial semble fonder ou reproduire la lecture des Bucoliques qui identifie Virgile dans le berger spolié de Crémone demandant secours à Mécène. Cette lecture est fautive : Martial confond d’ailleurs Tityre et Mélibée. Voir aussi Donat, Vita Vergilii, éd. Brummer, p. 17.
241 Serv., ad Verg., Aen., VI, 861. Dans Donat, Vita Vergilii, éd. Brummer, p. 7, Octavie ne donne rien, mais s’évanouit seulement…
242 Voir supra, n. 45.
243 Suet., Vit. Hor. : unaque et altera liberalitate locupletavit.
244 Hor., Ep., I, 14, 1-3.
245 Porph., ad Hor., Epo., I, 31 ; ad O. II, 18, 12-14 et Ps.-Acr., ad Hor., O., II, 18, 12.
246 Bradshaw, 1989.
247 Bradshaw, 1989, p. 176-178.
248 Bradshaw, 1989, p. 177.
249 Jean de la Fontaine, Fables, VIII, 2.
250 Voir Rouland, 1979, p. 626, pour l’interprétation de l’histoire de Volteius Mena.
251 Du moins le poète fréquentait-il les lieux : Hor., O., II, 6, 5 ; III, 4, 23 ; IV, 2, 30 ; IV, 3, 10 ; Ep., I, 7, 45 ; I, 8, 12. Était-ce seulement lorsqu’il fréquentait sa villa de Sabine qui était située non loin de Tibur ? Il semble que cette maison était encore visitée à l’époque de Suétone : voir Suet., Vit. Hor. Pour la localisation, voir : Donderer, 1995, p. 636-637 ; Frischer, Crawford et de Simone, 2006 ; Frischer et de Simone, 2004. L’hypothèse d’une propriété à Tarente est due à D. Voisin (Voisin, 2000, p. 265), elle repose sur l’identité de traitement de Tibur et de Tarente. L’argument n’est pas décisif.
252 Même si la notion de pauvreté est toute relative (Bradshaw, 1989, p. 182-183 pour le cas d’Horace ; pour l’Antiquité, Atkins et Osborne, 2006, et, en général, Simmel, 1998). Il est vrai que, face à Mécène, il lui était difficile de tenir rang par ses propres ressources.
253 La relation avec Auguste sera étudiée dans les paragraphes suivants. Mais l’exemple de Virgile et d’Octavie peut être éclairant.
254 Voir les justes définitions de Saller, 1982, p. 11-15.
255 Voir par exemple : Cousin, 1945 ; Williams, 1962 ; Hallett, 1972 ; Consigliere, 1978 ; Little, 1982 ; Ahl, 1984 ; Dusquenay I. M. le M., 1984 ; Mader, 1989 ; Woodman, 1984 ; White, 1993 ; André, 2002 ; Griffin, 2002 ; Griffin, 2005. On notera cependant que la plupart de ces études néglige de définir ce qu’elles entendent par « idéologie augustéenne » : le terme semble souvent aller de soi, ce qui n’est évidemment pas le cas.
256 Le Doze, 2014, en part. la première partie qui étudie les conditions pratiques, matérielles et théoriques de la communication politique à Rome.
257 Dont Aussaresses, 1946 est un exemple outré : l’auteur découvre des correspondances multiples entre les vers de Virgile et le « programme » augustéen, sans bien sûr s’interroger sur la nature, les raisons et les modes d’expression de ces convergences.
Malgré de nombreuses études dont, en dernier lieu, celle de Le Doze, 2014 (en particulier pour l’historiographie du concept, p. 19-39) qui ont contribué à miner le concept même de poésie dirigée ou de « propagande » (ou en tout cas, à la dissocier de la poésie des grands poètes augustéens qui nous est parvenue), cette idée d’une poésie dirigée, qu’on trouvait dans des études anciennes (comme Eberle, 1958, p. 22-23 ; Avallone, s.d., p. 211-212), sous-tend des travaux encore cités et utilisés (voir chez Syme, 1967, p. 61 « littérature dirigée », le chapitre XXX, p. 434-452, intitulé « mise en condition de l’opinion » (mais dans lequel Mécène n’apparaît quasiment pas au profit d’Auguste, véritable maître des poètes), ou p. 232, dans laquelle Mécène travaille à « conduire doucement l’opinion publique à accepter la monarchie ») et n’a pas disparu pour autant : voir André, 2002, dont la position est marquée toutefois de nuances malgré son titre peu équivoque, ou Loupiac, 1999, qui utilise le terme de propagande.
258 Les articles de courte vue, concentrés sur une partie de l’œuvre des poètes, ont conduit certains auteurs à proposer alternativement chacun des poètes comme soutien et opposant à l’œuvre d’Auguste. Il va sans dire que seule une prise en compte de l’ensemble de la production de chacun des auteurs, intégrant la dimension chronologique de l’évolution du Principat, peut donner quelque résultat.
259 Galinsky, 1998, p. 100-106 par exemple, souligne l’importance du jalon de 17 a.C.
260 Gros, 1976 ; Zanker, 2007 ; Sauron, 2000 ; Galinsky, 1998.
261 Voisin, 2000, 347-372 compte parmi ces thèmes, le gouvernement par Rome du monde, la divinisation du Princeps, la glorification de la Rome primitive, la célébration de la fondation d’une dynastie. Ph. Le Doze donne une autre liste : la question institutionnelle, le thème de la victoire, la célébration des origines familiales, la dépréciation des adversaires, l’éloge d’Auguste et de son œuvre politique : Le Doze, 2014, chapitre 2.
262 Sur ce monument, voir : Gros, 1976, p. 13, 67, 192, 216, 242 ; Torelli, dans LTUR, s.v. Pax Augusta, ara ; Galinsky, 1997, p. 141-155 ; pour la diffusion du modèle, en particulier des rinceaux, voir : Sauron, 2000, p. 223-226 ; Sauron, 2009. Les motifs des panneaux connurent aussi une large diffusion : voir à Carthage, le prétendu autel de la gens Augusta.
263 Sauron, 2000. Sur un autre type de support, Belloni, 1996 tente des rapprochements entre la poésie augustéenne et les thèmes monétaires des années post-Actium. À la différence de l’étude de G. Sauron cependant, les recoupements qu’il propose sont toujours extrêmement lâches et ne relèvent parfois que de la vague thématique ; en d’autres termes, le langage iconographique ne peut pas, dans les monnaies étudiées, être conçu véritablement comme une « traduction » de thèmes littéraires utilisés par les poètes. Ainsi, Horace mentionne certes la victoire diplomatique remportée sur les Parthes, mais est-ce à dire qu’il faille établir des liens avec les monnaies qui célèbrent le même événement ? En l’absence de stricte équivalence univoque des deux discours – littéraire et numismatique – nous ne pouvons souscrire à une telle hypothèse. Sur le même sujet, voir Consigliere, 1978.
264 Sauron, 2000, p. 130-230, en part., p. 177-204.
265 Sauron, 2000, p. 115-117 ; 126-129.
266 Suet., Gram., XVI, 3.
267 Serv., Vita Vergilii, 23-27 ; Donat, Vita Vergilii, éd. Brummer, p. 6, pour la lecture des Géorgiques à Atella.
268 Pour un autre exemple de théorisation littéraire qui eut une influence sur la diffusion d’un modèle monumental, voir le cas de Bathylle et Pylade (supra, p. 431). La chronologie nous place dans ces mêmes dates hautes de la création du Principat, puisque la création de la pantomime date de 22 a.C.
269 Voisin, 2000, p. 246, sur l’absence de cohésion due à la défense d’un idéal commun, même esthétique.
270 Jusqu’à une relecture économique, nous l’avons vu avec Lowell-Bowditch, 2001.
271 Dalzell, 1956 ; White, 1993, p. 96-100. Ph. Le Doze montre que la « propagande », entendue comme une action volontariste, dirigiste et contraignante, est quasiment anthropologiquement incompatible avec les pratiques politiques romaines : Le Doze, 2014, chapitre 3.
272 J.-M. André proposait d’interpréter l’évolution du cercle de Mécène suivant un mouvement de la poésie élégiaque à une poésie encadrée : André, 1967, p. 96-143. Pour l’évolution ambivalente de la poésie de Properce entre les trois premiers livres élégiaques et le livre IV « d’inspiration nationale », voir : Levy, 2009.
273 Hor., S., I, 9 et S., II, 6, 32-58.
274 Parmi les fondements de cette communauté de pensée, doit figurer au premier plan la répugnance pour les guerres civiles, les brimades, les dangers et les deuils qu’elles traînèrent dans leur sillage. Il est frappant de voir comment les poètes, chacun à leur manière, n’hésitèrent pas à exprimer cette expérience marquante, au mépris parfois de la doxa augustéenne. I. Lana par exemple, en étudiant le traitement du motif de la guerre civile dans l’ensemble de l’œuvre d’Horace, a montré combien le thème de la guerre et de la paix recevaient un traitement différent de ce que l’expression de l’idéologie officielle (dans les œuvres plastiques ou les inscriptions officielles par exemple), nous laisse voir : avant son entrée dans le cercle de Mécène, Horace se refusa à toute condamnation d’un des deux partis de la guerre civile au cours de laquelle il avait combattu du côté des Républicains (Lana, 1993, p. 63). Ce refus intervient dans des œuvres qui ne datent pas toutes d’avant la formation de l’idéologie impériale (les trois moments où le poète relate son expérience sont : S., I, 6, 45-52 (écrite après 38 a.C.) ; O., II, 7 (écrite après Actium) ; Ep., II, 2, 46-52 (écrite entre 20 et 18 a.C.)). La chose est encore plus flagrante dans les œuvres qui traitent des guerres triumvirales, alors que l’on se situe clairement avant que l’idéologie impériale ne se soit formée (en particulier, l’auteur se fonde sur Epo., VII et XVI qui sont datées respectivement de 38 et 41 a.C.). De même la paix, telle qu’elle est présentée chez Horace, n’est pas la paix armée qui maintient l’empire de Rome (telle qu’elle apparaît par exemple dans les prières publiques des Jeux séculaires de 17 a.C.), mais une paix dont les effets, tout individuels, voire individualistes, sont ressentis par le poète (p. 65-66). La date de 17 a.C. et la commande du Chant séculaire constitue certes une rupture dans la vision du poète, mais qui n’est pas aussi marquée qu’on pourrait le penser.
Properce en II, 1, 29, rappelait les massacres de la Guerre de Perusia, qui sont notablement effacés dans l’histoire du régime augustéen, tandis que G. Firpo avait relevé chez le poète la seule allusion négative de toute la littérature augustéenne, à la bataille d’Actium (Prop., II, 15, 41-47) : Firpo, 1998, p. 296 sqq et n. 295, p. 88.
275 Jusque-là, d’autres sociabilités construites autour des détenteurs du pouvoir se plaçaient sur un pied d’égalité. Parmi celles-là, il faut bien sûr compter celle d’Antoine sur laquelle nous avons d’ailleurs plus de renseignements d’ordre idéologique (voir les compagnons de la vie inimitable : Plut., Ant., XXVIII, 2).
276 Voir chapitre 7, p. 357 sqq.
277 Plut., Ant., 59, 8, et chapitre 8, p. 408 sqq.
278 Cf chapitre 8, p. 406 sqq.
279 Cf. supra, p. 440 sqq. pour les sources sur le personnage.
280 Voir Suet., Vit. Hor., A. Reifferscheid (éd.), p. 45. Amicitia qu’Horace refusa d’ailleurs : Ibidem : neque enim si tu superbus amicitiam nostram spreuisti.
281 Voir supra, p. 406 sqq.
282 Voir l’extrait de lettre rapporté par Suétone, ibidem.
283 Von Premerstein, 1937.
284 Voir Rouland, 1979, p. 500-509 en part. p. 504-509. Mais la thèse prend un tout autre relief quand on l’utilise à la lumière de la notion de consensus, fondement, selon E. Flaig du régime impérial.
285 Williams, 1990.
286 Pour cette remise en cause, que nous partageons, voir chapitre 7.
287 Mécène est absent des œuvres d’Horace publiées après Ep. I (sauf en O., IV, 11, mais nous ne considérons pas cette ode comme une preuve d’un relâchement des liens entre les deux hommes, cf. supra, p. 413). De même chez Properce après le livre III. Le point de vue de Williams est réfuté par White, 1991, p. 138 de manière efficace. Nous reproduisons ici ses arguments en les résumant. 1) Auguste n’est pas plus actif auprès des poètes avant qu’après 18 a.C. 2) Mécène reste actif après 18 a.C. dans le domaine du patronage littéraire 3), Williams a tort de dire que les poètes s’adressent plus directement à Auguste après 18 a.C. qu’ils ne le faisaient auparavant.
288 Hinard, 2003.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la « Cité de Dieu » au « Palais du Pape »
Les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle (1254-1304)
Pierre-Yves Le Pogam
2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007