Chapitre VII. Le marché à la fin du Moyen Âge
p. 499-571
Texte intégral
Quelles marchandises ?
1Étudier la place des Allemands dans la vie économique de Venise conduit à examiner l’assortiment des marchandises qui passaient au XVe siècle par le Fondaco. Au premier coup d’œil, on retrouve le large échantillonnage qui faisait la force des marchés portuaires italiens : dans un sens, les épices, les drogues et colorants, l’alun et le coton, la soie et les soieries, les fruits et vins méditerranéens ; dans l’autre sens, les draps et les toiles, les fourrures, les métaux et les produits de la métallurgie. Le tableau a déjà été souvent dressé, et peut paraître intemporel tant il exprime des constantes et nécessités de l’échange entre Méditerranée et pays du Nord. Sortir de la généralité, c’est apporter à ce tableau les touches et proportions qui décrivent une réalité proprement vénitienne et explicitent les liens noués entre la lagune et l’Outremont, liens dont le Fondaco est le signe et le nœud.
2L’historiographie des échanges commerciaux en Méditerranée a toujours fait la part belle aux épices et la liste hétéroclite qu’on a parfois constituée ne permet pas aisément de distinguer drogues et condiments de produits de base de l’industrie occidentale, tels que l’alun et le coton. Dépasser le stade de la nomenclature, affecter à des denrées de rêve un coefficient mercantile, c’est tenter de chiffrer des volumes de marchandise, d’établir des tableaux et courbes de prix, d’analyser une conjoncture : or le commerce des épices n’a pas joué le rôle exclusif que des sources descriptives, des comptabilités marchandes de quelques grandes firmes incitaient à lui attribuer. Les grains, le sel, le vin, les textiles ont donné naissance à des courants soutenus qui ont fait vivre ports et transports au quotidien et définissent sans doute plus efficacement les niveaux variés de l’échange que des cargaisons venues de loin apporter un surcroît de bien-être aux mieux lotis.
3Et pourtant, l’arrivée saisonnière de ces cargaisons d’Orient rythme le cours des affaires à Venise ; elles approvisionnent un marché, mais donnent aussi le branle à tous les réseaux du commerce et de la finance. D’abord, par l’extrême variété des épices offertes au Rialto, variété que signalent les manuels de la pratique marchande et qu’attestent les « valute di mercanzia » qui accompagnent les correspondances commerciales1 ; quant aux comptabilités marchandes, elles ne révèlent que ce qui touche à l’activité principale de l’entreprise ; mais la variété constitue le véritable atout de Venise face à la demande européenne : elle tient bon face à Lisbonne au début du XVIe siècle, lorsque le poivre, mais le poivre seul, débarque en masse sur le Tage.
4Ensuite, les Allemands de Venise constituent parmi les acheteurs étrangers d’épices le groupe le plus fidèle et le plus organisé. Lorsque l’empereur Sigismond organise le blocus économique de Venise, il décrète que les voies d’approvisionnement seront le Rhin et le Danube : il sait pertinemment que les Allemands ne peuvent se passer d’épices2. Inversement, on peut dire, en étendant les déclarations de Malipiero et de Sanudo à la situation du marché vénitien dans le dernier tiers du XVe siècle que les Allemands forment dans le paysage une force structurante : sans Allemands, pas de « foire », c’est-à-dire engorgement des magasins d’épices débarquées des galères d’Alexandrie et de Beyrouth. C’est grâce au Fondaco que la plus grande partie de l’Europe du Nord et de l’Est goûte à l’exotisme, conserve ses viandes et fabrique ses potions. Quant au coton, qui voyage de conserve avec le poivre et le gingembre, il constitue depuis le dernier tiers du XIVe siècle une matière première indispensable à une industrie naissante qui essaime de la Souabe à la Transylvanie et devient, dans la seconde moitié du XVe siècle, un des secteurs de pointe de l’essor économique haut-allemand3.
5Épices et coton sont les deux produits essentiels qui franchissent les Alpes vénitiennes en direction du Nord4. C’est leur attrait, c’est leur nécessité qui aurait contribué dès l’origine à la présence des marchands et des sociétés allemandes à Venise. Aussitôt énoncée, cette affirmation paraît contestable : peut-on imaginer qu’un courant durable d’échange ait pu s’organiser sur cette base dès l’aube du XIIIe siècle alors que le coton était encore une curiosité en Occident et que le luxe de la table, particulièrement en Europe centrale et orientale, n’était pas le fait de catégories sociales nombreuses ? Une image mentale a reculé dans le temps des motivations évidentes aux XIVe et XVe siècles, oubliant l’ancienne capacité industrielle de Venise, exportant vers le Nord toiles, futaines, soieries, verrerie, sans oublier les fruits et les vins du Sud. Quant aux marchandises allemandes qui étaient embarquées à Venise, à côté de draps, de toiles et de fourrures, il s’agit essentiellement des métaux, et dans ce sens, on peut évoquer une constante au moins depuis le XIIIe siècle : barres d’argent et sacs de monnaies, pains et plaques de cuivre et de laiton, étain et plomb, tôles et fil de fer et tous les objets fabriqués, des bassines aux compas.
6Les décisions publiques, les commentaires des chroniqueurs, les comptabilités privées, tout nous incite à la simple équation qui sert de clé de voûte à l’échange : épices et coton contre métaux. Sous cette arche de l’équivalence prospèrent assurément d’innombrables filons du commerce bilatéral : on a évoqué plus haut la soierie vénitienne, dont certains hommes d’affaires allemands suscitent la fabrication tout en exportant régulièrement les produits ; dans l’autre sens, on pouvait faire fortune en envoyant de Venise en Orient les milliers de lunettes de buis et d’os fabriquées en Allemagne ; il faut mentionner l’azur des peintres qui arrive par Breslau et les plumes d’autruche qui arrivent du Caire ; le papier et le livre qui relient de part et d’autre des Alpes amateurs et humanistes : la liste pourrait s’allonger et, évoquant les métiers, les transports, les hommes d’affaires, nous avons déjà rencontré bien des produits du commerce bilatéral. Restons-en aux épices, au coton et aux métaux : ce dernier terme recouvre, on le sait, une très grande diversité d’usages, de l’équipement domestique à l’armement et à la production monétaire. Sur la ligne qui unit symboliquement Nuremberg à Alexandrie, c’est à Venise que se produit l’échange entre épices et métaux et que se construit depuis le XIVe siècle la fortune des plus grandes entreprises allemandes5.
7Mais avant de décrire les modalités de l’échange à partir de quelques dossiers exceptionnels de la pratique, il n’est pas inutile d’inscrire la circulation des biens dans une double réalité, matérielle et comptable, le transport et son enregistrement : sur les chemins alpins décrits plus haut comme sur les navires du commerce d’Orient, épices, coton, métaux sont soumis à la réalité de la rupture de charge qui impose aux marchands de continuelles conversions d’unités de poids, de mesure et de valeur. Ainsi, les « Welthandelsbräuche », ce manuel exemplaire du début du XVIe siècle, fait apparaître, de chapitre en chapitre, un nombre suffisant de recoupements pour que l’homme d’affaires puisse traduire dans sa langue et sa pratique les unités marchandes du monde entier à partir de données vénitiennes6.
Le transport sur terre et sur mer et son enregistrement
8Avant d’être mises en vente, les marchandises chargées ou débarquées se présentent tout naturellement en unités de transport, on pourrait même dire en unités fiscales, dans la mesure où la marchandise se définit au premier coup d’œil pour l’employé des douanes par son emballage, signe d’une catégorie d’imposition. C’est à ce titre qu’elles sont enregistrées. À cet égard, on peut considérer que l’unité de poids est une unité de compte plus qu’une unité de volume.
9Sur les routes du haut-Frioul, les marchandises qui vont de Venise vers le Nord sont, au moins depuis le XIVe siècle, divisées pour la douane en deux grandes catégories : la taxe douanière est deux fois plus élevée pour le « beschlagenes Gut » que pour l’« unbeschlagenes Gut »7. Toutes les balles sont enveloppées de toiles cousues serrées par un entrelacs de cordages8, mais par le premier des deux termes il faut entendre non pas seulement une marchandise préservée des intempéries, mais plus précisément, comme l’indiquent les « Welthandelsbräuche » confirmant le tarif douanier de Toblach9, une marchandise emballée en outre dans du coton. Le coton, que l’on utilise depuis le XIVe siècle en Allemagne du Sud pour la fabrication des futaines constituait la meilleure protection sur des sentiers de montagne en atténuant les heurts et évitant les accrocs plus encore que les risques d’intempérie.
10L’expression « beschlagenes Gut » s’applique formellement aux marchandises de prix provenant de Venise : l’indique la précision « beschlagenes venedisch Gut » et le fait qu’elle s’applique à sens unique : « heraus von Venedig » le confirme10. Elle est textuellement l’équivalent de « ganz Gut », alors que « halb Gut » désigne des marchandises de moindre valeur, payant deux fois moins cher la taxe douanière. Au XVIIe siècle, ces distinctions se sont imposées sur d’autres itinéraires et pour le courant du trafic dans les deux sens.
11Une autre classification apparaît dans les Alpes orientales et désigne l’emballage de marchandises de valeur différente : le poste douanier de Chiusa, dans le « Canal », oppose « sam in legel » et « sam in strick », le tonneau et la balle cordée, et à Werfen, entre les Tauern et Salzbourg, on ajoute au « beschlagenes Gut » et à l’ » unbeschlagenes Gut » le « sam in legel »11. On peut en déduire qu’à côté des marchandises de prix, soigneusement emballées, celles qui ont une moindre valeur comme riz, soufre, figues et raisins, qui ne sont pas « roba sottil » et entrent dans la catégorie de l’« unbeschlagen », sont empaquetés et placés dans des tonneaux ou tonnelets.
12On conçoit les raisons de commodité qui ont fait adopter sur le parcours terrestre à travers les Alpes la balle ou le tonneau selon la nature des marchandises12 : que les draps et les épices, objets fondamentaux du commerce à longue distance de produits chers, aient été enveloppés et cordés, rien de plus naturel13. Le tonneau, lui aussi emballé, est le contenant idéal – sans parler des liquides-14 pour des marchandises en vrac (savon), fragiles (verre) ou périssables (fruits du Sud).
13Dans l’un et l’autre cas, une limitation s’impose pour le volume unitaire, c’est la capacité de transport de l’animal : aux origines des échanges entre Venise et son arrière-pays, la charge type est celle de la bête de somme : « Saum » ou « soma », quel que soit l’emballage de la marchandise (sac, boîte, cassette, tonnelet), noué avec des cordes : onera ligata que dicuntur sam, précise un privilège du roi Rodolphe en 1277. Qu’il s’agisse d’un cheval ou d’un mulet, ce dernier rarement mentionné dans les Alpes, la charge doit représenter un poids constant, équilibré en deux masses sur les flancs de la bête : les « Welthandelsbräuche » confirment, au début du XVIe siècle, que le cuivre est chargé sur l’animal en deux masses égales qui pèsent en tout 360 livres, soit 180 kg15.
14Mais le trafic s’est progressivement libéré de cette contrainte de poids : le chariot, et il en est de très grands, donne une relative indépendance face aux nécessités immémoriales de fractionner un chargement. On distingue la careta, qui prend 2 « saum », du plaustrum a 4 rotis qui en prend le double et du « Wagkarren » à deux tonneaux, qui peut charger près d’une tonne. Le tarif douanier d’Enns sur le Danube distinguait en 1386 le tonneau de charge animale et le gros tonneau de chariot (« saumlegel von rossen » et « gross wagsaumlegel ») dans un rapport de 2 à 316. Il est cependant frappant que les tarifs douaniers, les comptes privés, les manuels de pratique commerciale continuent à user de la charge animale comme d’une unité de référence et il est vrai que les convois de bêtes de somme sont toujours présents sur les mêmes itinéraires et exercent une concurrence technique, économique et sociale aux charrois17. On pourrait reprendre une comparaison monétaire et dire que la charge demeure une unité de compte, sans perdre sa présence réelle.
15Or l’évolution qui se dessine à l’extrême fin du Moyen Âge porte à la fois sur la réalité des charges et sur leur valeur comptable. D’abord, parce que la tendance est à l’accroissement du volume unitaire : on cherche à compenser l’inélasticité des frais qui grèvent la marchandise, d’autant plus élevés que la marchandise est moins chère. Le fait est évident pour les marchandises pesées au grand poids, mais il affecte aussi une marchandise pesée au poids « sottil » comme le poivre, devenu le plus courant des produits de luxe et dont le poids unitaire peut passer de 80 à 120 kg18. Entre Venise et Nuremberg, au début du XVIe siècle, deux tonneaux (« legel ») sont comptés comme une charge (« saum ») « quelle que soit leur taille »19. À Salzbourg, où a lieu le transbordement du poivre sur les bateaux qui vont rejoindre le Danube, une balle de poivre est traitée comme l’équivalent d’un « Rosssaum », mais l’auteur des « Weltandelsbräuche » précise que les douaniers continuent à percevoir la taxe sur le « saum », quoique la charge de cheval soit souvent inférieure de moitié à une balle20. Il est au reste possible qu’on tente d’accélérer le trafic en ne pesant plus toutes les marchandises, dans la mesure où la vente au poids évolue vers la vente au volume : le verre s’achète au quintal et dans ces conditions, « on ne pèse pas, c’est une manière de parler » : les marchands s’entendent avec les verriers, puis avec les douaniers, pour que la charge de vitres soit évaluée à 2 400 plaques21. L’auteur des « Welthandelsbräuche » calcule en 1535 le prix de revient d’un quintal de cuivre de Taufers sur l’itinéraire du Brenner en parlant du tonneau « qui sert habituellement au transport du cuivre par voiture » (« in dergleichen fesser man dan gewonlich die kupfer fuert ») alors que les tarifs de la grande douane du Brenner continuent à calculer la taxe au « saum » à 4 quintaux (180 kg) et qu’à l’arrivée à Venise le chargement est taxé au « mier » (près de 480 kg.) C’est dire que sur un trajet habituel et pour une marchandise essentielle, les habitudes mentales conservent vivante la valeur d’une unité de poids qui ne correspond plus, même par fractions, à l’unité de chargement : une rupture de charge imaginaire se superpose aux ruptures de charge réelles, chaque fois que le tonneau est contrôlé et déchargé du charroi pour être embarqué sur un radeau ou une barcasse.
16Ces considérations sur les poids et les volumes des marchandises dans l’arrière-pays vénitien nous conduisent à Venise, lieu d’une des premières ou des ultimes ruptures de charge pour les marchandises en transit sur la ligne de circulation entre les Indes orientales et l’Europe du Nord.
17Les « Welthandelsbräuche », par définition ouvertes sur le monde, marquent parfaitement les étapes de la progression des épices vers l’Occident : à Geddah, les précieuses cargaisons des navires venus d’Inde sont transportées dans des barques sur la mer Rouge jusqu’à Thor au pied du Sinaï ; c’est là que se forment les caravanes de chameaux qui, à travers le désert, les conduisent à Alexandrie ; nouvel embarquement dans les navires vénitiens qui attendent à quai parfois très longtemps et les transportent selon des routes maritimes fixées jusqu’au Rialto. C’est la fin de ce long parcours qui nous est le mieux connu ; le « saum » alpin n’est que la dernière figure prise par le « collo », le « pondo » ou la « sporta » ; au « cantare » ou au « rotolo zervi » ou « forfori » succèdent la livre, le quintal, le « mier » vénitien, toutes unités convertibles en livres, quintaux et « meiler » germaniques22. Cependant se maintient à travers des aires géographiques et commerciales successives la fondamentale opposition entre marchandises au « grand poids » et « roba sottil ».
18Partons d’Alexandrie. Le poivre y est acheté à la « sporta », qui est un grand panier, soit 700 livres vénitiennes « sottil », équivalent de 210 à 220 kg. Or la « sporta » qui figure dans les correspondances privées chaque fois qu’il est question de prix ne figure pas en tant que telle dans les listes de cargaisons de navires, où ne sont recensées que des « balle », des « colli » et des « pondi » de poivre. En outre, à Venise le poivre se vend au « carg », expression que ne mentionnent pas davantage les polices d’embarquement23. Le rapport qui s’établit implicitement entre « sporta » et « carg » est relativement simple, puisque la « sporta » correspondrait à 7 quintaux, le « carg » à quatre quintaux vénitiens, soit près de 2 à 1 entre unité maritime et unité terrestre ; mais il est bien délicat de relier ces unités de négociation avec les unités de chargement, aussi bien sur les navires que sur les routes de terre : les « Welthandelsbräuche » donnent au « collo », parfois confondu avec le « pondo », le poids de 1 200 livres, voire de 1 500 livres « sottil », alors que des textes du premier quart du XVe siècle, comme les comptes Badoer, établissent le « pondo » de poivre ou de clous de girofle entre 404 et 427 livres et le « pondo » de gingembre à 327 livres ½. Sur la route de terre, le poivre est acheminé, on l’a vu, en « saum », soit 6 quintaux vénitiens, autour de 180 kg, charge théorique d’une bête de somme. En somme, de la « sporta » au « saum » de poivre, des manipulations décomposent et recomposent en unités de vente une marchandise de prix : comme on sait que les balles de poivre sont ouvertes et refaites à Salzbourg après un parcours de montagne et avant embarquement sur des fleuves24, on peut penser que rares sont les sacs de poivre qui, arrivant à Venise, continuent en droiture leur voyage dans les Alpes. Et comme le safran de l’Aquila en balles à 4 sacs est chargé en un « saum » de 166 à 175 kg, que le mercure d’Idria est conduit à Venise en tonnelets de peau qui font un « saum » de 170 kg, on retrouve toujours sur la route de terre des unités de transport qui varient autour de 170 à 180 kg, c’est-à-dire au poids originel qui chargeait la bête de somme. Comment passe-t-on de la « sporta » de poivre de 210 kg à un « saum » de 180 kg ? La différence s’expliquerait-elle par l’emballage de coton ou par la recomposition systématique des chargements ?
19En sens inverse, suivons maintenant les chargements de cuivre sur un itinéraire classique, du Tirol à Alexandrie. Arrivant à Venise, le cuivre était pesé sur la balance publique. C’est l’origine des fiches de pesage conservées dans les papiers des marchands, portant le nom des contractants et celui du courtier du Fondaco, les quantités vendues et la somme perçue au titre du courtage par l’intermédiaire entre le vendeur allemand et l’acheteur vénitien. Dans les mêmes fonds, on dispose des fiches d’embarquement sur les navires en partance portant le nom du peseur et celui du capitaine, signées par le « scrivan » de la galère et relevant, au fur et à mesure de l’embarquement, jour après jour, le poids de la marchandise confiée par contrat d’affrètement à la responsabilité du ou des patrons du navire ; enfin, sont conservés des relevés détaillés de pesage effectués à Alexandrie en présence du consul vénitien, dont le but apparent était de dégager la responsabilité de l’expéditeur ou du transporteur.
20Les relevés à la balance publique sont faits par masses de 500 à 550 kg en une dizaine de pesées successives, l’unité de poids paraissant correspondre à l’unité d’achat, le gros « meiler » viennois, l’unité de transport s’établissant par portage à 4 quintaux vénitiens « gros poids », soit 190 kg ou plus souvent, et dès la fin du XIVe siècle, par roulage à deux tonneaux, soit plus d’une tonne et demi25. La pesée du cuivre affiné en « pains », extrait des tonneaux, se fait par masses de 11 500 à 12 000 livres, soit 560 kg, le poids du « meiler » viennois avec la tare se décomposant en dix pesées, soit un nombre à peu près constant de « pezze » (unités) placées sur la balance. C’est avant l’embarquement que l’on change le contenant : un compte de frais sur un chargement de cuivre pour le compte de Michele Foscari au début du XVIe siècle prouve qu’on procède à la mise en paniers (« cofe ») à S. Salvador. Quand on connaît le poids total de l’expédition de cuivre et le nombre de « cofe » embarquées par groupes de 20 à 25 unités, on peut en déduire le poids moyen de l’unité de transport maritime, soit 190 kg. C’est compte tenu de la tare, plus élevée sur la route de terre que sur le bateau, le poids qui correspond au « saum ».
21La question de la tare mérite une précision26. En effet, Allemands et Vénitiens rédigent le contrat de livraison au poids de Venise et net de tare ; il est frappant que la tare représente à l’achat l’écart entre le poids du quintal vénitien et celui du quintal nurembergeois : ainsi s’éclaire un passage obscur des « Welthandelsbräuche » dans lequel le rédacteur de l’ouvrage, probable facteur du siège nurembergeois des Imhoff, précise qu’il faut compter 6 % de tare sur le cuivre d’Eisleben à Venise et par conséquent établir le calcul du prix de revient sur la base du « meiler » nurembergeois qui pèse 6 % de plus que le « mier » vénitien « grand poids ». Mais s’il s’agit d’une livraison de cuivre de Schwaz – et en cette extrême-fin du XVe siècle l’exemple prend toute sa portée – il faut partir du « meiler » viennois en usage au Tirol et ajouter 10 % de tare : la correction que proposait l’éditeur pour ce passage peu lisible permet d’obtenir l’équivalence donnée en d’autres passages de l’ouvrage : 1 « meiler » viennois égale bien 1, 16 « miers » vénitiens.
22Lorsque Michele Foscari fait contrat avec la société Fugger qui doit lui livrer dans les dix jours 600 « mier » de cuivre, soit près de 290 tonnes de métal avec la tare usuelle de 20 livres par « mier », si la tare ne représente que 2 % au lieu des 6 ou 10 % indiqués plus haut, il ne s’agit pas d’une réduction de poids entre le Tirol et Venise, mais de la prise en compte du poids de la « cofa », ce panier de navire qui pèse environ 4 kg. En 1482, on possède le certificat de pesage au débarquement sur le quai d’Alexandrie : la « cofa » pleine pèse 195 kg et le poids moyen de la « cofa » vide représente en effet 2 % du poids total. Les 10 pesées que l’on fait à l’embarquement à Venise et au débarquement à Alexandrie correspondent à un nombre constant de masses (« pezze ») : le contrat tient compte du fait que le cuivre est destiné au Levant.
23Au terme de cette analyse, on constate que c’est l’unité de poids qui est l’unité de négoce, car les unités de transport sont variables, sur terre comme sur mer : la distinction entre « grand poids « et « poids subtil » demeure capitale sur le marché ; mais elle l’est beaucoup moins sur la circulation matérielle : le cuivre, peu agile, se déverse à Venise en masses que le navire fractionne en paniers de 200 kg ; le poivre arrive à Venise en « colli » ou en « charges » qui se dédoublent sur les routes de terre en unités de 180 kg. S’établit ainsi une équivalence approchée entre « saum », « coffa » et « sporta » : dans les deux sens, la fonction portuaire de Venise est de faire « éclater » des chargements recomposés. On a pu affirmer que ce sont les mesures terrestres qui ont fait la loi sur les mers, les échanges portant dans un sens sur des charges multiples du poids transporté par un animal et dans l’autre, sur des unités de pesage et d’encombrement n’excédant pas la capacité des hommes à les porter ou à les manipuler27.
Le poivre et les autres épices
24Alors que le volume des épices sur les marchés d’Occident a doublé entre XIVe et XVe siècles, le poivre, parmi les innombrables épices de consommation, peut être considéré comme une denrée de masse, non seulement parce qu’il est présent sur de nombreuses tables, mais encore parce qu’il dépasse en quantité toutes les autres épices réunies28. C’est la raison pour laquelle il donne la tonalité des marchés aux yeux des opérateurs économiques29. Le poivre dont il est question est le poivre noir de Sumatra ou le poivre rond de Malacca et non le poivre long, qui fait partie des épices les plus chères ; il est présent dans toutes les maisons de la notabilité, à commencer, à Venise même, dans l’inventaire après décès d’un marchand de métaux, qui n’en faisait pas négoce, mais la tenait dans ses réserves domestiques30. Un autre homme d’affaires, Piero Soranzo, décédé en 1367, faisait commerce de toutes marchandises, de la viande salée aux perles ; sa clientèle s’étendait à tout l’arrière-pays de Venise, de Gorizia à Belluno et le fer de Villach et du Cadore le mettait en rapport avec des juifs ou des personnes dont il ignorait même le nom (« chosa ») ; mais c’est à des Allemands, et non des moindres, que les commissaires du défunt vendent le stock de poivre31 ; cent ans plus tard, autre exemple de diffusion du poivre dans l’arrière-pays vénitien : Nicolo Zustinian, qui encaisse des profits sur des changes, achète des fourrures à un Lübeckois et vend un esclave noir, a aussi un cercle de clients, frioulans, allemands et juifs entre Cividal et Conegliano : ce sont eux qui lui achètent du poivre d’Alexandrie32.
25Que le poivre passe les monts ou navigue, on le retrouve à la table des puissants dans toute l’Europe33 : quel que soit le niveau social des intermédiaires et des opérateurs, le produit venu d’Orient est devenu un condiment indispensable, qui atteste un savoir-vivre aristocratique et l’aisance des bourgeoisies urbaines. Sa très large diffusion le distingue d’autres produits, dont certains hommes d’affaires se sont fait une spécialité, comme le coton destiné au marché de haute-Allemagne : mais surtout d’autres épices dont la rareté, qu’il s’agisse de la provenance ou de l’usage, justifie le prix : quand le poivre long, le plus cher, vaut 14 gros la livre vénitienne, la cardamome en vaut 24 et le borax, 3234 ; quand le poivre se vend à la charge, soit 715 livres, l’encens se vend au cantare, soit 145 livres « sottil »35. Lorsqu’on parcourt l’inventaire des marchandises retrouvées après la mort d’Andrea Muazzo (S. Silvestro) en janvier 1448 dans sa maison et dans les différents entrepôts dont il disposait au Rialto, on est en présence d’un fonds d’épices considérable : le poivre ne pouvait en être absent, mais il ne représente qu’une faible quantité par rapport aux produits de grand prix venus du Tibet, du Bengale, de la côte de Malabar, des Moluques, de Chine, d’Arabie et de Socotora par Malacca, Calicut et Aden36 : gingembre, cannelle, noix de muscade, macis, clous de girofle, musc et ambre gris, tutie, galanga, benjoin, indigo, santal, aloès et encens. Tous ces produits, dont l’usage est loin d’être exclusivement alimentaire, sont conservés avec soin en faisceaux, barils, outres, boîtes, cuirs, caisses, coffrets, alors que le poivre est resté dans des sacs plus volumineux37. On n’est pas surpris qu’une douzaine d’acheteurs soient des épiciers et une trentaine, des marchands allemands : peu de grands noms, en dehors des Imhoff et Rummel de Nuremberg, toujours présents sur le marché vénitien ; mais plutôt des merciers d’Outremont, comme l’était à Venise Andrea Muazzo38. L’inventaire comprend aussi un stock important de vif-argent, près de 3 000 livres, dont la moitié fut achetée par l’épicier allemand Angelino, rencontré plus haut, et par un Bicarano ; puis des soieries et des plumes d’autruche : là encore, des marchandises à écouler en Allemagne.
26Comme le vif-argent de Slovénie, le safran est un des produits d’Occident que les Vénitiens embarquent à destination d’Alexandrie ou de Beyrouth. Mais la demande la plus forte et la plus constante est celle des pays du Nord ; les marchands allemands jouent à Venise un rôle primordial dans son acheminement à travers les Alpes, comme en témoigne le correspondant de Datini qui, en 1386, constate que l’insécurité dans le Frioul ferme les routes allemandes et, par conséquent, suspend le commerce du safran39. À Milan comme à Venise, les pouvoirs publics veillent à favoriser l’écoulement du safran vers le Nord et la concurrence est forte entre les provenances, de la Catalogne aux Abruzzes, entre les entreprises de haute-Allemagne, bavaroises ou franconiennes, et entre les voies que les sociétés choisissent d’emprunter40. Pour assurer au produit la meilleure qualité marchande, le Sénat vénitien crée en 1409 une « altana » pour sécher le safran au soleil avant la mise en sac pour le compte des Allemands, en particulier des Nurembergeois41.
27Ces derniers sont devenus depuis les XIVe siècle des spécialistes, comme le prouve la création d’une institution d’examen et de contrôle, à laquelle sont adressés, de toute l’Europe, des échantillons de safran42 : le Conseil de ville de Nuremberg protège la qualité d’un produit importé avec le même soin qu’il garantit les œuvres des orfèvres et des armuriers ; les centres de production n’étant pas en mesure de lutter contre les fréquentes falsifications43, Nuremberg menait le combat pour la pureté du safran et la sécurité du marché44. La croissante demande d’expertises adressées à la « Nürnberger Schau » par des villes d’Europe orientale prouve la diffusion de cette épice d’Occident dans des contrées où les Hirschvogel, les Imhoff, les Stromer étaient en relations constantes avec les Cours royales et les marchands de Pologne et de Hongrie45. Nuremberg pouvait se proclamer entrepôt, marché, centre de contrôle international du safran, avant sa redistribution dans toute l’Europe du Nord : c’est la teneur de la lettre adressée par le Conseil de ville au roi d’Aragon en 150746. De cette intime connaissance du safran et de son usage domestique témoignent les dépenses pour le train de maison de la famille Tucher, heureusement conservés, qui, entre 1507 et 1514 font apparaître les achats de safran parmi d’autres condiments : une livre ou une demi-livre de safran par an face à 25 livres de sucre ou 30 livres d’amandes47. Mais dès le marché vénitien, l’expertise fait, à l’occasion, d’un Nurembergeois non seulement un acheteur, mais encore un vendeur de safran : Konrad Pirckheimer vend en 1417 à Paolo Giustinian (S. Moysè) 5.715 livres de safran « a barato » d’épices orientales, à savoir cannelle, galanga et clous de girofle ; c’est par ce détour que le safran, acheté à un Allemand, est expédié à Damas48.
28La description la plus détaillée que l’on connaisse de la production et du commerce du safran des Abruzzes, le « zima », émane des plus avisés parmi les Nurembergeois du début du XVIe siècle, rédacteurs des « Welthandelsbräuche », associant les représentants des Paumgartner et des Imhoff. L’office de contrôle du safran était installé à Nuremberg dans la demeure des Imhoff et l’entreprise avait ouvert un comptoir à Bari en 149049. Dans la seconde moitié du XVe siècle, la structure de ce commerce spéculatif s’était totalement modifiée, en ce sens que les grandes sociétés d’affaires allemandes, particulièrement les entreprises nurembergeoises, s’étaient implantées sur les marchés locaux et les ports d’Italie méridionale, Ancône, Foligno, Pesaro, Otrante, Bari, Barletta, Lanciano et surtout à l’Aquila. Cette implantation visait à dominer la production du safran le plus estimé, mis en concurrence, selon l’importance des récoltes et la date de maturation, avec le safran siennois, mais aussi celui de Catalogne, d’Aragon, voire de l’Albigeois, qui, par Lyon, Gênes et Milan concourraient au marché européen. Partant du principe que c’est « dans l’achat que réside le profit », les Allemands ont non seulement des représentants attitrés dans les Pouilles et les Abruzzes, mais encore des correspondants locaux qui, pour leur compte, achètent « blind » (à l’aveugle) une part des récoltes futures50 : en 1513, les Allemands ont acheté le tiers de la récolte ; en 1509, les Paumgartner, avec les Welser et les Grander, en ont acheté le quart51. La collecte des étamines de crocus est effectuée entre septembre et novembre par des femmes qui, en quinze jours, ramassent chacune de quoi rassembler 275 grammes de safran sec, soit 6 à 30 kg par hectare selon les conditions météorologiques. Par exemple, en 1513, aux premiers marchés paysans de septembre, le safran vaut 13 carlins ; à la nouvelle des mauvaises récoltes d’Aragon venues par Lyon, le prix s’élève à 2O carlins ; les ¾ de la récolte des Abruzzes ont été achetés à 19 carlins. Mais à Noël, le prix baisse à 18 carlins, puis en mars à 15 carlins. Pour acheter moins cher, il faut donc rester longtemps sur place et attendre en particulier le moment où les éleveurs paient au roi le droit de pâture : on peut alors exercer une pression sur des paysans en manque de liquidités, qui ont conservé du safran jusqu’à la fin52 ; et les Nurembergeois sont aussi ceux qui alimentent la Monnaie de l’Aquila pour la frappe de petites pièces de cuivre avec lesquelles les paysans paient les taxes ; ce sont eux également qui convoient par les ports de l’Adriatique les peaux de bœuf dans lesquelles s’expédie le safran vers Venise53. Le transport d’une balle s’effectue en huit sacs de toile dans deux sacs de cuir, le tout dans une bâche cordée ; il est recommandé de ne pas serrer trop fort la balle, car la marchandise risque d’être invendable. En 1501, la société Paumgartner a acheminé 28 balles de safran de l’Aquila à Nuremberg par Pesaro et Venise pour un prix de revient de 9 824 florins ; les frais de manutention, de douane, de transport et l’entretien des employés sur place représentent 1 053 florins, soit près du 1/10e du total ; le calcul fait apparaître que l’achat a été effectué à 10/11 carlins la livre nurembergeoise, soit 2 florins 2 schilling, prix particulièrement avantageux54. Or les prix de vente à Francfort font apparaître, certaines années, une faible marge de bénéfice pour le vendeur. C’est pourquoi il est rappelé que le meilleur moment d’achat se situe en février, au premier marché de Sulmona ; à défaut, il est préférable de constituer des stocks sur place et de n’acheter avant la soudure que si l’on est en mesure d’imposer un prix aux paysans nécessiteux. On retrouve ainsi dans la pratique des hommes d’affaires allemands les principes qui définissent dans les traités théoriques la politique des marchands avisés, ceux qu’évoquent, de part et d’autre des monts, Cotrugli et Konrad von Megenberg.
Le coton
29Aux origines de la fièvre spéculative qui s’est emparée des villes souabes, le coton vénitien joue un rôle essentiel : on a vu plus haut comment Lucas Rem rapporte le pari victorieux de son arrière-grand-père, qui vendit en 1357 tout ce qu’il possédait pour aller à Venise acheter du coton55. Un siècle et demi plus tard, la réussite individuelle est devenue une réalité industrielle : dans les années 1500, la ville d’Ulm met son sceau sur 100 000 pièces de futaine56. Encore à la fin du XVIe siècle, l’expédition de coton vers Augsbourg aurait mobilisé cinq fois plus de transports vers le Nord que dans l’autre sens57. Si l’on admet que le niveau habituel des arrivages de coton à Venise est, au début du XVe siècle, de l’ordre de 5 000 sacs58, le blocus imposé aux marchands allemands par l’empereur Sigismond provoque à Venise un stockage massif : 6 900 sacs en 1415, jusqu’à 10 000 en 141859 ; c’est dire la place que tiennent les Allemands dans ce commerce et, par conséquent, dans la clientèle de plusieurs entreprises vénitiennes étroitement liées au commerce de Syrie. En effet, comme l’indique la « Tariffa »60, Tripoli est le principal port d’exportation des cotons d’Ascian ou de Hama, venus par Damas et Alep, où quelques familles ont installé des représentants et détiennent un quasi-monopole d’achat, comme les Priuli, les Malipiero, les Soranzo, les Morosini, traitant soit avec de grands marchands maures, intermédiaires, témoins et garants, soit avec des producteurs de la campagne61. Rien d’étonnant à ce que, lors des faillites Morosini, Priuli, Soranzo en 1429, les créances des Allemands, leurs principaux clients à Venise, représentent 50 000 ducats sur une dette totale de 64 000 ducats62.
30On a bien démontré la particularité de ce commerce, qui permet au capital engagé par des entrepreneurs avisés de tourner deux fois en seize mois : les deux tiers du coton arrivés à Venise en mars 1417 ont été vendus avant que les naves repartent en Syrie en septembre ; ce qui arrive sur les quais en automne est vendu en hiver. Un exemple précis est fourni par l’activité de Nicolo Barbarigo qui envoie en janvier 1472 600 ducats en Syrie afin d’acheter 15 sacs de coton qu’il reçoit en juillet ; il en vend aussitôt 11, contre 500 ducats qu’il investit en étoffes et monnaies envoyées en Syrie en août pour de nouveaux achats63. On a estimé que nombre de marchands vénitiens reçoivent et vendent 30 à 40 sacs par an, mais les plus grosses entreprises, sur lesquelles nous allons revenir, achètent 75 à 100 sacs, voire beaucoup plus64, qu’ils vendent presque totalement à leurs clients allemands.
31La comptabilité reconstituée à des fins judiciaires de la « fraterna » Soranzo65 offre une parfaite démonstration des pratiques marchandes qui lient, par l’intermédiaire vénitien, la production syrienne et l’industrie souabe. Piero Soranzo, au nom de la « fraterna », fait venir de Syrie par la « muda » de mars 1424, chargés sur 5 naves différentes, 85 sacs de coton d’Aman, soit près de 45 000 livres poids66 ; entre le mois de juillet et le mois de janvier suivant, il vend 83 des 85 sacs à des Allemands, dont certains sont des clients réguliers, tel Rigo Snapper de Biberach, que l’on retrouve dans les comptes presque tous les ans entre 1417 et 1430 ; plusieurs de ces acquéreurs s’engagent pour 10 à 15 sacs d’un coup et l’on n’est pas surpris que les marchands d’Ulm l’emportent largement67 ; l’axe qui se dessine traverse les Alpes par Villach, Waldsee, Salzbourg, Passau, Landshut et se dirige vers Constance, Biberach et Ravensburg ; mais les Nurembergeois sont aussi nombreux : Kress, Imhoff, Rummel reviennent dans ces comptes comme ils reviennent dans toutes les affaires vénitiennes ; plus surprenante serait l’absence de noms augsbourgeois, à l’exception de Hans Meuting et de Hans Herwart : mais chaque firme a sa géographie des affaires et l’axe des Soranzo est plutôt nurembergeois68. En témoignent les constants achats de métal précieux qu’ils font à la banque69 mais aussi directement à des hommes d’affaires allemands : ainsi, lorsque Konrad Imhoff achète le 28 juillet 4 sacs de coton, il paie en fournissant, le 31, par la banque Priuli une masse d’argent prête à l’expédition en Orient70. Quelques années plus tard, l’un des frères de Piero Soranzo, Benedetto, achète au Rialto devant notaire au nom de la « fraterna » 3. 435 pièces d’or, ducats et florins hongrois déposés sur le compte de la société nurembergeoise Konrad Paumgartner et C°71. Dans l’ensemble, les achats de coton sont soldés dans les plus brefs délais sur le compte de la banque Andrea de Priuli, puis, après la mort du banquier à la fin de l’année 1424, sur celui de la banque Orsini. Le compte des profits et pertes, établi en 1431, fait apparaître un solde très largement positif ; seul l’un des clients allemands est considéré comme « debitore chativo ».
32Nous pouvons suivre en détail une intéressante opération de « barato » entre la « fraterna » Soranzo et la firme Rummel de Nuremberg72. Cette dernière achète entre le 14 et le 27 août 1426 60 000 livres poids de coton d’Aman, pour une somme de 356 livres vénitiennes ; elle vend en échange 164 sacs de toiles de canevas milanais73, répartis en 10 balles et destinés à Beyrouth, soit pour une somme de 241 livres. Ces toiles destinées à emballer le coton, sont adressées fin août à l’un des frères Soranzo, Lorenzo, qui réside en Syrie ; pour le « voyage d’Aman », les Soranzo accompagnent ces toiles de masses d’argent, « grossi di zecca » et « arzento di bolla », destinées soit à payer le coton aux fournisseurs arabes soit à en acheter une nouvelle cargaison ; la valeur de ce métal précieux, inscrit au compte Rummel, qui passe par les comptes de la « commissaria » du défunt Andrea di Priuli et par la banque Orsini, correspond exactement à la différence entre le prix des toiles vendues et celui du coton acheté.
33Cinquante ans plus tard, grâce aux papiers de la « commissaria » d’Alvise Baseggio74, mort en 1492, on constate à la fois la permanence d’une forte demande de coton au-delà des Alpes et les particularités d’une clientèle. Les activités commerciales du personnage sont résolument orientées vers la Syrie et la plupart des affaires traitées l’ont été en association avec un Vénitien, Polo Caroldo, durablement installé à Acre, l’« emporium du coton » ; elles portent sur des achats d’épices (clous de girofle, galanga), de soie, mais surtout de coton d’Aman. C’est à l’occasion d’un arbitrage rendu sur la répartition des profits entre les associés que l’on peut dresser la liste des acheteurs de coton entre 1485 et 1487 : aucun Vénitien n’y figure, mais quelques marchands ou producteurs de Parme, Crémone, Brescia, Milan et de Savoie ; la clientèle est surtout constituée d’Allemands, pour la plupart identifiables parce qu’ils sont parmi les premiers de leurs villes, sans que l’on trouve parmi eux le moindre représentant des villes futainières de Souabe.
34Polo Caroldo qui a passé 15 ans en Syrie, se déplaçant à cheval entre les champs de coton et les quais d’Acre et de Beyrouth, connaît parfaitement les besoins des opérateurs arabes : le coton s’échange contre des draps, surtout contre des canevas de Lombardie75 et, pour le reste, se paie comptant. Ce financement des achats en ducats et en gros, voire en plaques d’argent, qui est une constante des rapports entre Venise et le Moyen Orient76, peut amener un homme d’affaires venu lui-même en Syrie à acheter à crédit sur place des draps de Bergame dont la vente lui permettra d’acheter aussitôt 1 000 sacs de coton77. Les très nombreuses fiches de chargement sur des naves en partance pour la Syrie font apparaître qu’Alvise Baseggio adresse à son associé soit des plaques d’argent, soit des balles de draps de Brescia78 et du canevas79 ; en 1477, c’est à des Nurembergeois, les « zeneri di miser Rigo Muler », qu’il adresse une reconnaissance de dette de 689 ducats pour une livraison de 200 pièces de canevas80.
35Alvise Baseggio, qui faisait aussi le commerce de vin de Crète avant 1478, semble s’être résolument engagé dans l’importation régulière de coton et, pendant près de 10 ans, grâce à son association avec Polo Caroldo, a fait venir au moins une centaine de sacs de coton par an, les dates de vente attestant que, comme les Soranzo autrefois, il tentait de faire tourner deux fois son capital investi. À partir des fiches d’embarquement à Acre, mais aussi des comptes et des actes du litige entre associés, il apparaît que le commerce a porté sur 40 000 à 50 000 livres de coton par an. Par la « muda » de mars 1478 sont partis d’Acre avec le signe de Caroldo 89 sacs de coton chargés sur la nave de Francesco Bon en 9 groupes de 10 unités chacun, également répartis dans le navire en deux niveaux, cette disposition attestant la régularité d’un trafic massif de base81. Le litige entre Polo Caroldo et Alvise Baseggio portait sur la répartition des ventes et, par conséquent des profits, les clients allemands ou milanais payant en banque sur le compte de Baseggio qui adressait des lettres de change à son associé. Les arbitres élus eurent accès à la comptabilité de Baseggio et rendirent en 1488 leur verdict. Les pièces justificatives fournies par Baseggio donnent les noms d’une quarantaine de clients et la part de chacun dans l’achat du coton envoyé par Caroldo à partir de 1475. Grâce au compte récapitulatif sur la période 1482-1487 et aux fiches isolées, polices de chargement indiquant cargaison et destinataire ou bulletins douaniers, on constate que nombre d’acquéreurs n’achètent qu’un ou deux sacs à la fois, mais deux Italiens, Cosmo di Beliselli et Bartholomeo Braschin, probablement entrepreneurs de futaine, en prennent 20 et 25 en 1487. Quant aux Allemands, on a déjà noté l’absence des Souabes, qui formaient le gros des acheteurs de coton aux Soranzo ; la plus grosse vente que fasse d’un coup Alvise Baseggio est le fait de la société Blum de Francfort en 1476 ; les Stammler d’Augsbourg sont des clients réguliers ; à leur côté, d’autres Augsbourgeois, Heinrich Dachs, un des plus riches bourgeois de la ville, Martin Rieter, Heinrich Wolff, Sigmund Gossembrot ; sur l’ancien axe du Tarvis, deux Salzbourgeois, Peter Brandstätter et Hans Matschperger, Leonhard Wild de Ratisbonne ; puis des noms bien connus de Nurembergeois, Wolfhard Stromer, Hieronymus Seiler, Konrad Imhoff, Lienhard II Hirschvogel ; enfin, avec Paul Kolb, Hans Keller, facteur des Fugger, Lucas Fugger et C°, Ulrich Fugger et frères, Martin Tochauer, Hans Paumgartner, la clientèle de Baseggio recoupe celle d’un de ses puissants contemporains, Michele Foscari, sur lequel nous reviendrons bientôt : ce ne sont plus des toiles de canevas qu’ils fournissent en échange du coton, mais sans doute du cuivre et des métaux précieux82. En cette fin du XVe siècle, la puissance industrielle et financière des plus grandes firmes allemandes apparaît fortuitement dans les comptes d’un marchand de coton. Toutes les matières premières, des plus courants aux plus précieuses qui affluent à Venise par les galères et les naves resteraient à quai si les Allemands, acheteurs d’épices, de soieries et de coton, ne fournissaient massivement la Zecca pour qu’elle frappe des ducats et appose son sceau sur les barres et plaques d’argent, ainsi que sur les pains de cuivre, destinées à Beyrouth et Alexandrie.
Métaux précieux, métaux monétaires
36Industriels ou monnayés, les métaux représentent la contrepartie des achats allemands à Venise et contribuent largement à équilibrer les achats vénitiens à Alexandrie et Beyrouth. Quelle autre marchandise pourrait-on citer qui contrebalance en volume et en valeur les importations d’Orient, si la Zecca ne frappait pas des monnaies destinées aux achats lointains et n’apposait pas l’effigie de St. Marc sur les barres d’argent et les pains de cuivre passés par les ateliers de la Monnaie ou du Ghetto ? Sans argent, point d’épices ; et l’argent, comme le cuivre, arrive en masse constante à Venise d’Europe Centrale, per viam fontici.
Vocabulaire, technique et commerce
37L’analyse du vocabulaire marchand (« mercantevole ») des métaux est un préalable utile à une étude du marché. En effet, à des degrés divers selon les métaux, il permet d’apercevoir les courants d’approvisionnement et leur concurrence : sans doute, ne peut-elle donner les moyens de mesurer l’importance de ces mouvements, si ce vocabulaire n’est pas confronté à des documents de la pratique, tels que les inventaires de magasins ou les comptes publics. Aux mots s’ajoutent les noms des marchands souvent réduits à un prénom et à un nom de ville, qui, à Venise au XIVe siècle, apportent information ou confirmation sur la provenance du métal monétaire importé ; information qui se raréfie au cours du XVe siècle, dans la mesure où le Fondaco est devenu la porte d’entrée principale de l’argent et du cuivre et où l’approvisionnement de la ville est entre les mains de quelques grandes sociétés d’affaires allemandes.
38La désignation d’un métal ou d’une monnaie par un lieu d’origine équivalait en outre, pour un public averti, à une précision de qualité. Les prix tenaient compte des aptitudes d’un métal, rarement considéré comme pur : l’affinage ne faisait jamais disparaître totalement des composants tenaces du cuivre ou de l’argent, l’argent dans le cuivre ou l’or dans l’argent : le recours systématique à des techniques d’essai permettait aux spécialistes d’établir une échelle de qualité : dans le cas du cuivre, provenance et premiers traitements de réduction, dans le cas des monnaies importées, une distinction des teneurs par rapport à une exigence de titre. Dans ces conditions, une enquête sur la forme des arrivages de métaux à Venise et sur leur réexportation autorisée éclaire la fonction métallurgique de la ville : centre de transit, de stockage, de redistribution, Venise assurait sa position de marché international par la garantie qu’apportaient ses institutions publiques à la circulation du métal.
39La terminologie marchande dans le domaine des métaux n’a pas suscité le même intérêt que dans le secteur du textile : l’identification des centres de production en Europe, les hiérarchies de valeur en fonction de la qualité des matières premières, des techniques d’élaboration et de la mode ont permis de dresser un tableau complexe des échanges de draps à longue distance. Dans le domaine des métaux, on se heurte à une imprécision des sources, qui tient aux incertitudes de la géographie industrielle et au fait que la chaîne qui va de la mine à l’atelier du chaudronnier, à la boutique de l’orfèvre, aux services de la Monnaie et à la table du changeur passe par de nombreux stades intermédiaires : telle désignation fait référence à un procédé technique, telle autre évoque un site de production éphémère qu’il faut situer. En outre, un métal industriel prend de la valeur si on lui incorpore un alliage, alors qu’un métal monétaire est d’autant plus précieux qu’il est plus proche de la pureté83 : destinés entre autres usages, à devenir des instruments de référence, l’argent et l’or font oublier, lorsqu’ils sont sur le marché, leur lieu de provenance : persévérer dans leur être, compte tenu de la capacité technique d’affinage, c’est perdre toute origine : le vocabulaire marchand des métaux précieux n’apprend à peu près rien en amont de l’affinage qui a donné au produit son titre définitif ; au lieu de provenance s’est substitué le lieu de traitement : il se peut que le premier se lise encore sous le second lorsque, par exemple, la ville qui a donné son nom à l’argent (on peut penser à Goslar) est proche d’un centre d’extraction ou en relation régulière avec lui (le Harz). Il est enfin une dernière raison qui nous prive de connaissances sur le circuit de l’or et de l’argent, une raison à double visage, celui du secret et celui de l’évidence. Alors que le marchand doit acquérir une compétence technique pour distinguer l’extrême diversité d’origine et de qualité des draps ou des épices pour répondre aux goûts changeants de la clientèle ou influer sur la demande, les voies d’approvisionnement des métaux précieux comportent des relais obscurs, d’autant plus que le produit des mines et de la métallurgie coexiste sur le marché avec des quantités indéterminées de refontes, qui portent parfois en elles des siècles d’histoire. Mais était-il nécessaire de préciser l’origine des lingots d’argent apportés à Venise par des Allemands lorsqu’ils en étaient les principaux, voire les exclusifs fournisseurs ? Si l’argent est allemand à Venise, la curiosité s’arrête aux portes du Fondaco. Ajoutons que les métaux monétaires empruntaient des circuits tortueux ou clandestins et se prêtaient parfaitement à des écritures fictives84 ; c’était même, on l’a vu, un souci majeur pour les institutions vénitiennes de contrôle.
40Dans les manuels de pratique commerciale, les métaux ne sont pas l’objet de développements nourris ; ils apparaissent le plus souvent dans des rubriques consacrées aux poids et à leurs équivalences, sauf l’or et l’argent qui sont au centre de problèmes pratiques de proportions d’alliage ou de conversions d’unités monétaires. C’est qu’à peine affinés, l’or et l’argent sont déjà moyen d’échange ; objets de commerce, ils se transmuent en mesure de la valeur. La seule allusion que fasse le « Zibaldone da Canal »85 à l’origine de l’argent qui passe par Venise est incidente, et tout ce que l’on peut en déduire sur les caractères de cet argent est son inégal degré de finesse qu’il convient de réduire à la Zecca à un commun dénominateur. Cependant quelques mots retiennent parfois l’attention : lorsqu’il est question de « sortes » d’or dans le « Zibaldone », on voit que l’auteur entend par là des différences de titre ; mais serait-ce solliciter le texte de la « Pratica Datiniana » relatif à la Zecca de Venise que d’entendre dans l’expression « ogni oro » la mention de provenances diverses ? Un Toscan qui consacre dans son livre un long chapitre à la monnaie de Tunis était bien placé pour évoquer, même implicitement, à propos de Venise l’or africain et l’or hongrois dans le même mot86. Lorsque Pegolotti évoque la pratique des hôtels de Monnaie de Laiazzo ou de Famagouste, il indique le chemin pris, depuis Venise, par les « buenmini della Magna », les monnaies frappées à Prague, appelées aussi « bracciali ». L’inventaire après décès et le registre de comptabilité d’un orfèvre vénitien, Bartolomeo Gruato, décrit tout l’appareillage de l’atelier nécessaire à séparer l’or et l’argent, à en vérifier le titre ; il énumère aussi toutes les pièces d’orfèvrerie recensées, dont le titre varie de 16 à 22 carats87. Dans l’incertitude, aucun texte ne peut remplacer la confiance dans l’expertise. Observer à la fois le titre et le poids des monnaies provenant de tous les ateliers monétaires d’Europe est un travail de spécialistes ; d’où le succès du ducat d’or vénitien, reconnu à première vue sur toutes les places88. Mais qu’en était-il du cuivre ? Quand il s’agit de métal en barres, en plaques, en pain, en fils, c’était tout un art que de savoir acheter. Le marchand se fondait sur des critères empiriques, sur un aspect physique qui se décrit : dans l’apparence se conjuguent qualité et provenance ; coup d’œil, toucher, la nature ne saurait tromper, ni l’expérience : c’est ce que révèle la longue notice consacrée par Pegolotti au cuivre. Quel optimisme dans la confiance accordée à la lecture d’une notice qui met en fiches le monde connu et ses usages !
41Les notices relatives aux métaux industriels sont rares ; celle que Pegolotti consacre au cuivre et à l’étain n’en est que plus précieuse89. La précision s’explique peut-être par l’intérêt que les Bardi ont porté aux mines de Cornouailles ; Bruges et Venise sont dans son ouvrage les deux lieux privilégiés de référence. La première distinction établie entre des qualités marchandes (« maniere »») sépare « rame duro » et « rame dolce » : le premier dont on fait les cloches et les mortiers se reconnaît à son aspect grumeleux et se présente en grosses masses irrégulières (le texte est ici interrompu par un dessin expressif) ; le cuivre « doux » se présente sous la forme d’un produit plus élaboré, en lingots façonnés, d’aspect uni et de toucher lisse. Sa malléabilité le rend apte à des travaux plus délicats, comme la vaisselle de table, les pièces de harnachement et l’alliage monétaire.
42Puis interviennent de nouvelles distinctions de cuivre « doux ». Première qualité citée, celle du cuivre « de Pollana » qui désigne non un site de production, mais une région de passage ; en effet, le cuivre des Tatra était désigné comme cuivre de Pologne parce que la route de Cracovie et, par la Vistule, le trajet hanséatique vers Bruges a été la première voie internationale ouverte à sa conquête de l’Ouest90 : dans le premier quart du XVe siècle, le lien paraît très direct entre la venue saisonnière des marchands de Cracovie à Danzig et l’expédition du cuivre « polonais » à Bruges91. Ce cuivre tire sur le jaune (« gialletto ») et est vendu en lingots longs et plats, comme l’indique le schéma rectangulaire du manuscrit de Pegolotti. Voici ensuite le célèbre cuivre de Goslar et celui de « Roccamagna » qui lui est assimilé. Goslar a donné son nom commercial aux minerais riches et divers du Harz et il peut s’agir ici du cuivre de Rammelsberg ou du cuivre de Mansfeld ; quant à Roccamagna, il est probable qu’il s’agit d’un gisement du Harz dont la célébrité aurait été plus éphémère que celle de « Falkenstein » dans le bassin de Schwaz au XVe siècle92. Aux yeux de Pegolotti, ce cuivre se distingue par sa couleur qui tire sur le rouge « piu rosso », teint et aspect qui garantissent une qualité supérieure, mise sur le même plan que le cuivre de Massa en Toscane93. Avec le « rame di Papa » et le cuivre au sceau de St. Marc de Venise, on arrive à un degré de perfection dû évidemment à la technique (c’est le seul cuivre dont Pegolotti dise qu’il est affiné), mais peut-être aussi à la provenance : ce cuivre, mis en petits pains94, tire son rouge vif (« vermiglio rosso ») de son lieu d’origine, et il se confirme que plus le cuivre est pur et destiné à des ouvrages raffinés, plus il est rouge ; tout en décrivant ces variétés de cuivre « marchand », Pegolotti donne leur prix : le cuivre au sceau de St. Marc vaut deux fois le cuivre dont on fait les cloches. Dans le cas précis, la garantie offerte par la ville contribue encore à relever le prix, car il existe une variété de cuivre aux mêmes caractéristiques externes, mais qui n’a pas le même titre que le cuivre au sceau de St. Marc et vaut moins cher95, le cuivre « del Lene » (transcription d’un nom de lieu, terme de technique ou désignation populaire devenue incompréhensible ?). Il est une dernière qualité de cuivre, celle qui résulte du travail des ateliers d’affinage et de laminage de Venise : Pegolotti dessine de grandes plaques rectangulaires et indique que ce cuivre doux a la couleur jaune du laiton, produit élaboré à partir de cuivre jaune et qu’il faut mettre à l’épreuve : si frappée sur la tranche d’un coup de marteau, la plaque se recourbe, le cuivre est « bon » ; si elle se casse, il s’agissait de cuivre « dur »96. La notice ouvre des aperçus sur le marché du cuivre en Italie au début du XIVe siècle et sur la connaissance pratique que les marchands devaient avoir de l’assortiment métallique. L’exposé est logique dans sa composition, puisqu’il suit une progression de qualité, puis, à la première distinction entre cuivre « dur » et cuivre « doux », substitue une séparation selon la couleur : séparation qui correspond aux composants agrégés au cuivre natif des gisements européens, mais aussi à des processus de transformation plus ou moins poussés. Un dernier élément entre dans le jeu, la destination du produit : des plaques aux tôles et au fil il faut compter le travail incorporé qui fait le prix. Mais le manuel à l’usage des marchands s’arrête au stade du produit semi-fini : les étapes artisanales n’intéressent ni le rédacteur ni les lecteurs d’un manuel qui est une initiation au commerce international et à ses embûches. L’information de Pegolotti, représentant éloquent des hommes d’affaires de son temps, n’est qu’une approche indirecte des réalités de la mine et de la métallurgie. Approche descriptive, sentiment de la géographie, classement selon la destination des produits, ce sont des traits de méthode qu’on retrouve dans les fiches de métallurgistes dont la notice a pu s’inspirer.
43Sans remonter à Albert le Grand, il est une tradition technique, orale puis écrite, dont on saisit les dernières étapes, contemporaines des débuts de l’imprimerie97 : entre la tradition antique à peine amendée par la science arabe et les encyclopédies du XVIe siècle, le relais dans la connaissance est le fait de l’expérience mise en forme par des hommes de métier, tel ce Berman qu’Agricola fait dialoguer avec des médecins de ses amis98. On connaît de ces livres de poche (« Taschenbüchlein »), abrupts et pauvres dans la forme, qui indiquent les marchands comme leurs lecteurs probables. L’un des plus anciens de ces ouvrages conservés est « Ein nützlich Bergbüchlein », publié en 150099 ; plus intéressant encore est le « Schmelzbuch » de Hans Stöckl, directeur d’une batterie de 21 fours de fonderie de cuivre à Kitzbühel100; daté du milieu du XVIe siècle ; sa première partie se compose d’une collection de rapports et de recettes anciennes101 et l’ouvrage fait comprendre ce qui sépare la connaissance que peut avoir un marchand vénitien qui n’est pas allé sur un site industriel de montagne et celle d’un homme de métier qui appartient au monde ouvrier, vit dans les « déserts » loin des villes, n’a pas d’archives et conserve le secret sur les procédés techniques qu’il utilise ou qu’il invente. Au XVIe siècle, Agricola lui-même, soucieux d’établir une science nouvelle, offre encore des épithètes latines pour décrire toutes les nuances de rouge que peuvent prendre les minerais d’argent102 ; son contemporain qui dresse en 1527 l’inventaire de la firme Fugger tente de classer les produits de cuivre « marchand » en juxtaposant mentions d’origine, de couleur et de destination103. L’originalité de la notice de Pegolotti est d’avoir établi dès le XIVe siècle, sur des bases inconnues mais certainement comparables, une passerelle peu ordinaire entre pratique industrielle et pratique marchande.
Le relais vénitien du cuivre
L’arrivée des produits
44Par les quantités, le cuivre occupait aux XIVe et XVe siècles la première place parmi les métaux importés. Matière première utilisée par plusieurs corps de métier, de l’orfèvrerie et de la reliure d’art jusqu’à la fabrication des chaudières104, le cuivre et ses alliages étaient présents, à Venise comme ailleurs, dans le décor de la vie quotidienne, des cuisines aux campaniles. Les inventaires après décès permettent de dresser une longue liste d’objets usuels, chaudrons et récipients divers, balances, candélabres et lustres105. Mais le cuivre était aussi un matériau stratégique, à la mesure des guerres auxquelles Venise dut faire face sur plusieurs théâtres d’opération à la fin du Moyen Âge ; l’Arsenal, grand consommateur, équipait les armées, les flottes et les bastions et les besoins devinrent considérables dans la seconde moitié du XVe siècle106. Le cuivre était aussi métal monétaire ; il constituait la monnaie des menus paiements et c’est en « piccoli », monnaie « noire », que comptaient tous ceux qui n’avaient pas de rapport avec le grand commerce107 ; le cuivre était l’alliage de la dévaluation et sa teneur, étant donné le traitement métallurgique à laquelle il était soumis, posait des problèmes au moins aussi complexes aux officiers de la Monnaie que les métaux précieux. Ajoutons, avant d’y revenir plus loin, que le courant d’exportation du cuivre européen, essentiellement germanique, par Venise vers les pays du Levant et l’Océan Indien représente une structure essentielle du commerce mondial par son ampleur et sa durée.
45Et pourtant, la source la plus ancienne des importations vénitiennes fut « byzantine » et survécut longuement à l’irrésistible victoire du cuivre allemand108. Il figure fréquemment au XIVe siècle et encore pendant la première moitié du XVe siècle sur la liste des qualités de cuivre raffiné et vendu à Venise. La découverte de gisements plus proches, l’importance croissante prise par d’autres secteurs n’ont jamais tari complètement cette source : Raguse importe du cuivre de Castamon pour la fabrication de bombardes entre 1456 et 1476 ; Venise fait venir du cuivre de Constantinople pour la réparation de canons à Brescia en 1451 ; ce courant résiduel était donc un courant de qualité109.
46Autre source d’approvisionnement maritime, le cuivre de Raguse dans le dernier tiers du XIVe et au début du XVe siècle, à une époque où les mines de Bosnie et de Serbie étaient en plein essor ; du cuivre de Bosnie était envoyé à Venise par Trogir et Raguse ; il y était raffiné et réexporté au Levant et pour éviter que le métal ne fût embarqué à Raguse même sur des navires vénitiens se rendant à Corfou, le Sénat rappelait en 1372 l’obligation de payer la douane à Venise sous peine de confiscation110.
47Le cuivre d’Europe centrale représente évidemment la source principale des importations et du transit au XVe siècle, après une période de fléchissement qui explique la chance à Venise du courant balkanique pendant une génération. Si l’on s’en tient au vocabulaire vénitien du cuivre, on constate que la carte que dressait Pegolotti, déjà incomplète, était singulièrement rétrécie : le cuivre bohémien et morave n’apparaît jamais nommément dans les textes, pas plus qu’il ne figurait sur la fiche de Pegolotti ; et pourtant on peut penser que le cuivre de Kuttenberg a pris par Prague et Nuremberg, ou par le « goldener Steg » et le Tarvis la route de Venise111. Plus étonnante peut paraître l’absence de référence au cuivre saxon : Pegolotti en indique le prix sur la place de Bruges parce qu’il s’intéresse surtout à la demande dans l’Europe du Nord-Ouest ; à Venise, notons, d’après une source narrative, que le Sénat expliquait en 1417 la faveur qu’il témoignait à un grand seigneur saxon « au grand profit que l’État retirait de son approvisionnement annuel en cuivre de Mansfeld »112. Le cuivre « polonais », signalé par Pegolotti, est rarement mentionné sous ce terme ; on a vu qu’il s’agissait de cuivre slovaque (et donc hongrois) gagnant l’Europe de l’Ouest par la Baltique et Bruges depuis le début du XIVe siècle113 ; mais il figure à Venise dans l’inventaire du stock de cuivre trouvé par les Procurateurs de St. Marc dans le magasin de Nicolo Paulini, mort le 10 juillet 1324114 ; à la même époque, la Monnaie des comtes de Tirol à Merano reçoit de l’argentum de Polonia, expression liée à un ancien courant qui désigne toujours le produit des mines du Zips115. Les plus anciennes mentions de cuivre « hongrois », qui fournit l’essentiel du « ramen della bolla di San Marco », sont liées au commerce viennois, les convois arrivant par le Semmering, Leoben, Judenburg et le Tarvis116. Sur la route croate du karst qui débouchait sur l’Adriatique à Zenj (Segna), les marchands de Pettau tentèrent de ravir aux Viennois le commerce du cuivre, mais le duc Albert III alla au-devant des voeux vénitiens en renouvelant le privilège viennois en 1389 : la route du karst était la route de la contrebande et elle le demeura malgré les textes117.
48Il s’en faut que ce cuivre représente un produit marchand uniforme ; ce sont les critères d’admission du cuivre à l’Office vénitien du cuivre, le « Getto » qui permettent de préciser le rôle technique et commercial de Venise entre les mines d’Europe Centrale et les ports du Levant. Le « Getto » rapporte en effet toutes sortes de cuivre à un degré de perfection que garantit la ville en apposant un sceau (la « bolla ») sur les pains et les plaques affinées : bonitas prime monstre que est in nostro getto118. Ainsi, les Consuls des marchands peuvent-ils reprocher en 1318 à un marchand allemand d’avoir vendu à Venise du cuivre jugé « faux » : fuerunt invente alique pecie non bone et pro falsis fuerunt presentate consulibus mercatorum119. L’exemple le plus précis que l’on ait d’une expertise date de 1368 : un marchand qui avait ses habitudes au Fondaco, Nicolaus de Viena, avait vendu 18 milliaires de cuivre hongrois, soit plus de 8 tonnes, dont une partie seulement fut jugée « bonne » par les officiers du Getto ; sur l’autre, on voulut imposer une taxe d’affinage pour le mettre au niveau d’excellence du Getto. Nicolaus demanda en grâce que son cuivre pût être considéré comme durum, afin que l’acheteur ne fût pas contraint de payer cette taxe. La requête fut examinée par les Proviseurs de la Commune qui répondirent que le cuivre en question était de meilleure qualité que le cuivre durum mais moins bon que le cuivre accepté par l’Office. En dernier ressort, le Sénat jugea que le cuivre incriminé ne paierait que la moitié de la taxe d’affinage exigée pour le « bon » cuivre ; transaction embarrassée, qui reflète la diversité des minerais slovaques et la politique favorisant l’affinage garanti abolissant les distinctions de provenance120.
49Au bas de l’échelle du « Getto » figure le ramen durum décrit par Pegolotti, que l’Office se refuse à traiter : ramen durum non vadit in getto. Impropre au martelage, il est destiné à la fonte et au moulage ; c’est le cuivre dont on fait les cloches et les mortiers. Dans la catégorie des cuivres « doux » se placent différents échelons de cuivre hongrois : ramen de Solio et de Fusina Nova, ramen secunde sortis et ramen scazzatum. Ces trois expressions posent des problèmes d’interprétation que l’on va tenter de résoudre à partir des textes publics. Le Sénat définit pour la taxation du cuivre une qualité qui s’exprime par une teneur, mais aussi une forme ou une provenance qui résulte d’un traitement des minerais : d’où la mention, en 1397, d’un cuivre « de seconde qualité » qui a rendu nécessaire un traitement technique évoqué par le verbe « scazzare »121. Oublié par la lexicographie, ce terme évoque le vénitien « schizzar » qui signifie « écraser » au sens où Biringuccio l’emploie lorsqu’il décrit le martellement des feuilles d’argent122. Il est probable que scazzatum corresponde à l’allemand « hammergar », c’est-à-dire forgeable et désigne le cuivre passé, après le processus de fonte, dans un four, la « Spleisshütte », qui débarrasse le métal de certains composants qui le rendent peu malléable. Le cuivre secunde sortis contiendrait donc encore d’autres oxydes difficiles à éliminer, alors que le cuivre de Solio ou de Fusina Nova correspondrait à une qualité supérieure, le « Reichskupfer », riche en argent123. Le terme de Solio nous conduit au cœur des monts de Slovaquie et désigne le plus ancien site d’exploitation minière de la vallée du Gran, l’ » Altgebirge » ou « Altsohl », connu dans les sources écrites dans la première moitié du XIIIe siècle, en même temps que le district de Schemnitz, dont le droit minier s’est diffusé dans tout le Sud-Est européen, puis celui de Schmöllnitz, enfin de Zips, dont la production, on l’a vu, s’exporte par Cracovie. Pays rêvé pour métallurgistes et marchands de métaux qui, au moins à Venise, connaissent deux noms, Solio, où commence le récit, et Fusina Nova, noms retenus par les institutions vénitiennes de contrôle124.
50Le terme de Fusina Nova a longtemps prêté à confusion ; de son interprétation dépend la place qu’a joué le « Getto » dans l’affinage du cuivre d’Europe Centrale. Pour Schalk et Simonsfeld, le terme désignait des fours nouvellement installés à Cannaregio au XIVe siècle ; Paulinyi a montré que le terme, fréquemment associé ou opposé à Solio, pouvait désigner de nouvelles installations de traitement du cuivre argentifère : Neusohl (Novi Solium), construite face à Altsohl au confluent du Gran et de la Bisztrica, connut un grand essor après la découverte de filons argentifères125 et suscita un vif intérêt chez les hommes d’affaires, italiens et allemands, installés en Hongrie : en attirant le cuivre hongrois vers les marchés méditerranéens, Viennois et Florentins ont fait perdre, au moins à Venise, l’appellation qui évoquait un écoulement par la Baltique, ramen de Polana. C’est en relation avec les investissements de la société Medici (participes montanearum a ramine Hungarie) vers 1380 qu’à l’initiative des Florentins126 et sous l’égide du gouvernement vénitien aurait été édifié à Neusohl un atelier d’affinage utilisant les procédés techniques mis au point au « Getto » de Venise : l’attesterait entre autres le nom de « Venezia » que portait encore en 1565, lors d’un inventaire des biens des Fugger, l’un des fours de Neusohl. Cette hypothèse séduisante expliquerait l’usage d’un terme, fusina, fréquemment utilisé en Vénétie pour désigner une entreprise industrielle construite autour d’un four127. Nous allons voir que l’hypothèse est discutable.
51Il avait fallu convaincre en 1385 les représentants de la société Medici, dont les liens avec Venise étaient anciens, que leur intérêt bien compris était de diriger une partie de leur cuivre argentifère vers le « Getto » vénitien et de l’y faire affiner selon une technique mise au point pour en extraire l’argent. Les contractants s’engageaient sur les qualités de cuivre à importer, sur des droits de douane préférentiels, sur la possibilité offerte aux Florentins d’exporter par mer aux mêmes conditions que les Vénitiens le quart du cuivre affiné au « Getto »128. La victoire de Sigismond, couronné roi de Hongrie en 1387, permit à des Nurembergeois de prendre pied en Hongrie et de partager avec les Florentins les plus hautes charges de l’administration minière, monétaire et douanière129 : l’histoire de certaines sociétés nurembergeoises se confond désormais et pour plusieurs décennies avec l’histoire du commerce des métaux hongrois en Europe130. Mais si la société Medici, celle de Vieri di Cambio, a su rentabiliser le procédé de traitement du cuivre mis au point à Venise, elle n’en a jamais connu la perfection secrète et on n’a aucune raison de penser que ce procédé ait été introduit en Hongrie par des Italiens : leurs successeurs allemands ne l’auraient-ils pas utilisé sur place ? Johannes Dernschwamm, facteur des Fugger, qui connaissait parfaitement le site de Neusohl, écrit vers 1560131 qu’au « temps des rois Mathias et Ladislas (c’est-à-dire vers 1490) il n’y avait à Neusohl ni four d’affinage ni forge, de sorte qu’on exportait le cuivre noir pour le faire affiner et traiter hors du pays » ; et de citer pour l’époque de la société Thurzo-Fugger les fours de Mogila, près de Cracovie, de Hohenkirchen près d’Erfurt en Thuringe et de Fuggerau en Carinthie.
52À vrai dire, le terme d’affinatura recouvre des opérations de réduction diverses et Dernschwamm, après Agricola, emploie dans le texte cité deux expressions, « spleissen » et « saigern »132 : le « Spleissofen » désigne un type de four mis au point en Slovaquie pour isoler les composants oxydés d’antimoine, d’arsénic, de soufre, de plomb et de phophore dont les minerais de Neusohl étaient riches ; la « Saigerhütte » était un atelier de ressuage, où l’on procédait au mélange du cuivre avec une quantité de plomb proportionnelle à l’argent contenu dans le cuivre : l’argent repris par le plomb fondu dégouttait, « ressuait » et tandis que le cuivre résiduel était à nouveau affiné, l’alliage argent-plomb était traité dans un four de coupellation où le plomb était absorbé par les parois d’argile et de cendre133. C’est au terme d’un nombre d’opérations variable selon les minerais qu’on obtenait le cuivre « marchand » ou cuivre « de rosette » ; le ressuage visait donc moins à obtenir du cuivre pur qu’à isoler le cuivre et l’argent. La teneur d’argent fin fut exceptionnellement élevée dans le minerai tyrolien de Schwaz, de l’ordre de 700 gr. par quintal de 56 kg ; celle des minerais de Neusohl variait de 150 à 400 gr. par quintal ; en dépit de son irrégularité, l’entreprise Fugger retirait au début du XVIe siècle un égal profit de la vente du cuivre et de la vente de l’argent extrait du cuivre.
53On admet généralement que l’application industrielle du ressuage date des années 1450-1460 et s’applique particulièrement au Tirol vers 1470134. S’il s’agissait de montrer que l’on a « découvert » au milieu du XVe siècle le moyen de séparer l’argent du cuivre grâce aux propriétés du plomb, il serait aisé de parcourir l’Europe du XIVe siècle et de prouver que l’ars conflatoria separantia argentum a cupro cum plumbo, connu de l’Antiquité, faisait partie du savoir des monétaires et des changeurs. Le « Getto » de Venise devait offrir une alchimie séduisante, mais à l’échelle industrielle, pour attirer le cuivre hongrois dès le dernier tiers du XIVe siècle : ut ramen fusine nove melius conducatur Venetias, habendo respectum quod possit habere avantagium de affinatura135 : services proposés à l’importateur, garantie de l’État : les fours vénitiens devaient non seulement purifier le métal selon des critères « marchands », comme on le faisait en Hongrie, mais comporter une installation capable de séparer l’argent du cuivre : il n’y a aucune raison de penser que les Vénitiens et leurs associés florentins aient construit à Neusohl un atelier de ressuage qui se dissimulerait sous le terme de Fusina Nova136 ; leur intérêt n’était-il pas au contraire de fournir aux grandes sociétés marchandes des profits supplémentaires retirés à Venise de l’argent « ressué » ? Doit-on conclure pour autant que la technique du ressuage est une invention vénitienne ? Quelques indices vénitiens viennent au contraire à l’appui de l’hypothèse allemande et renforcent le faisceau de présomption rassemblé par W. von Stromer sur le rôle conquérant de ce qu’il a appelé l’« oligopole » nurembergeois des années 1380-1410.
54Ces indices vénitiens sont ténus. Le premier est une note marginale inscrite dans le registre des délibérations du Sénat où a été copiée la décision sur le commerce du cuivre hongrois du 28 juin 1397. Face aux mots : in Hungeria scazzatur rame, un petit mot, « schegge », probablement emprunté au rapport oral ou écrit d’un homme de l’art ; terme de jargon métallurgique que le copiste a eu la curiosité de noter et qui semble indiquer que la transcription, voire la transmission technique se fait du germanique vers le « welsche ». Second indice, fourni par un texte transcrit plus loin : vers 1400, les travailleurs de la fonderie de cuivre du « Getto » étaient traités d’Allemands par les enfants du quartier137. N’en concluons pas que le « Getto » dont l’activité est attestée depuis la fin du XIIIe siècle a, dès l’origine, tout emprunté au monde germanique. Il a d’abord traité des minerais provenant des Alpes proches et les métiers vénitiens du cuivre n’ont pas eu besoin de spécialistes étrangers pour fabriquer des chaudrons ou des cloches. Mais à partir du moment où Venise a importé par le Fondaco du cuivre d’Europe Centrale et où les Viennois et les marchands de Ratisbonne ont approvisionné la Monnaie et l’Arsenal en cuivre de Hongrie, il n’est pas surprenant d’imaginer le recours à l’assistance technique de métallurgistes allemands. Ces derniers auraient aidé le « Getto » à établir une échelle des qualités de cuivre selon la provenance et auraient apporté, à la fin du XIVe siècle le « secret » du ressuage. N’est-ce pas le sentiment d’un secret jalousement gardé que donne l’étonnante description du « Getto » vers 1400 ? Dans la bouche des enfants, le terme de « todeschi » accompagné de quolibets traduit bien le malaise ou l’hostilité des habitants de la paroisse face à un groupe de spécialistes étrangers isolés de la population.
55Parmi les villes allemandes, Nuremberg est sans doute celle qui a le plus largement diffusé capitaux et connaissances dans l’ensemble de l’Europe Centrale. L’intérêt que ses hommes d’affaires ont porté aux mines et à la métallurgie leur a permis de conjuguer savoir et pouvoir à Cracovie, Prague et Bude. Dans la stratégie marchande de sociétés comme celle des Kammerer-Seiler138, au temps où l’Empereur Sigismond était aussi roi de Hongrie, Venise occupait une place essentielle ; le réseau des relations aboutissant au marché vénitien a été entretenu malgré les vicissitudes politiques ; Wilhelm Rummel, oncle de Peter, le « métallurgiste », est l’« amico carissimo » de la Signoria en 1401 et la chambre de la société Rummel au Fondaco est un des lieux constants de la transmission des nouvelles d’Europe Centrale vers Venise139. On peut suggérer que la technique allemande du ressuage a été apportée à Venise à la fin du XIVe siècle par les hommes d’affaires les plus directement intéressés à l’enrichissement du cuivre et à la séparation de l’argent dans le principal port d’embarquement des métaux affinés vers le Levant : sans doute a-t-on mis à juste titre l’accent sur la diffusion du ressuage industriel à Schwaz au Tirol après la découverte de filons de cuivre particulièrement riches en argent au milieu du XVe siècle : il a contribué par les énormes profits sur l’argent à rétablir l’équilibre financier d’entreprises en difficulté ; mais la diffusion sur le marché méditerranéen, dès le XIVe siècle, d’un cuivre à peu près pur (« vermiglio rosso » dit Pegolotti) à partir de minerais aussi complexes que ceux de la vallée du Gran peut être mis à l’actif d’une collaboration des Vénitiens et des « Tedeschi ». L’hypothèse d’une origine nurembergeoise, puis d’une exploitation massive à Venise peut rendre compte d’une légende persistante, celle de l’apprentissage vénitien de Johannes Thurzo, cent ans plus tard.
56Thurzo, qui était un marchand et non un métallurgiste140, s’était attaché dans les années 1460 les services d’un fondeur nurembergeois, Hans Koler, qu’il avait connu à Cracovie ou à Lwów ; ce personnage était issu d’une famille engagée dans des affaires commerciales à la fois au Nord des Carpathes et en Italie du Nord. Lorsqu’après plusieurs années passées à la direction de la fonderie de Mogila, Hans Koler quitta Cracovie pour Neusohl en 1474, Thurzo lui fit promettre de ne révéler à personne l’art d’extraire l’or et l’argent du cuivre. Dans l’inventaire de la société Fugger-Thurzo de 1526, le four de ressuage construit en 1496 à proximité de Neusohl portait le nom de « Deutschnhütte »141, qui affirmait clairement la conscience d’une tradition de supériorité technique.
57Si Venise veillait à ce que le « Getto » fût régulièrement approvisionné en cuivre de qualité et si l’Office jouait un rôle normatif dans la définition des qualités, une partie seulement du cuivre hongrois était traitée et apurée à un titre officiel : ad affinaturam sazii quod est in getto142. Il devenait alors le « cuivre de Venise », reconnaissable au sceau de St. Marc qui lui était apposé. Dans le tableau de référence, le ramen de bulla est à la première place et ce qui pourrait n’être qu’une proclamation de patriotisme fiscal correspondait parfaitement aux données de la concurrence commerciale, si l’on en juge par les prix pratiqués à Venise, à Bruges, à Barcelone ou à Damas143. Le cuivre affiné à Fusina Nova, conformément à l’accord conclu en 1385 était au même titre que le ramen de bulla. Une expertise par les officiers du « Getto » d’un chargement de cuivre conduit à Venise par un marchand viennois, Hans Redulph, en 1401, réparti entre 1 391 livres de Fusina Nova, 2 218 livres de cuivre dit raffinatum et 7 817 livres de cuivre secunde sortis, montre que le « Getto » distingue le cuivre affiné en Hongrie du cuivre produit en particulier à Neusohl144. Ce cuivre se reconnaît-il sur le marché ? Il faut le soumettre à l’épreuve pour le savoir : une lettre de la compagnie Spini d’Ancône adressée en 1399 à la succursale Datini de Barcelone atteste qu’il existe une différence de prix entre le cuivre affiné à Venise et celui qui arrive affiné de Hongrie145 ; en tout cas, les marchands peuvent être assurés que le cuivre marqué d’un navire (cocha) était passé par Venise sans avoir été mis au « Getto » : omnes petie que conducentur Venetias de ramine affinato in Ungeria que non ponentur in getto debeant bullari de una bola que sit ad formam unius coche146. Ce n’est pas différence de qualité entre ce cuivre et celui qui passe par Segna, mais la volonté affirmée par Venise de jouer le rôle de port de transit obligatoire : ut possit cognosci rame quod conductum fuerit Venetias ab alio ramine quod per forenses portatur de Segna et aliis locis ad partes Levantis, à charge aux Consuls vénitiens du Levant de contrôler la provenance du cuivre importé par leurs compatriotes et aux exportateurs de cuivre raffiné en Hongrie de supporter les frais d’apposition de la bulla coche, soit 10 sous de piccoli par milliaire ou demi-tonne. La simple apposition par Venise d’une marque différente de la bulla S. Marci proclamait la notion d’une échelle des qualités : la fiche de Pegolotti note, on l’a vu, la présence sur le marché d’une qualité de cuivre très voisine de celle du ramen de bolla, mais valant moins cher, « perchè non è a la bolla di S. Marco »147. On relève sur le marché vénitien d’autres marques : un cuivre de duobus bullis dont on ne retrouve pas la trace après la première moitié du XIVe siècle et dont on peut penser, étant donné sa position dans un stock marchand et son prix voisin de celui du « cuivre vénitien » qu’il s’agit d’un cuivre affiné en Hongrie ; mais aussi un cuivre « dell’agnolo », exporté de Venise vers Barcelone et jusqu’au Maroc à la fin du XIVe siècle ; un cuivre « de papa » ou « de popa », qui sert de fret sur la ligne Venise-Bruges148. À cette diversité des marques, qui se traduit par des différences de prix assez faibles sur le marché vénitien (1324) ou sur le marché damascène (1390-1400), la justification la plus convaincante est technique : les progrès inégaux des méthodes de raffinage appliquées à des minerais divers et la politique du secret contribuent à multiplier les mentions « marchandes » de provenance et les signes de reconnaissance. Mais il semble que seule Venise ait su jouer dans le monde méditerranéen le rôle de centre de traitement et de garantie du métal, comme Nuremberg était, pour toute l’Europe, le centre d’analyse du safran : c’est à la suprématie de son label qu’on mesure la toute-puissance de son négoce allié à la compétence de ses spécialistes de la métallurgie.
58Il est intéressant de constater que, si le commerce du cuivre à Venise n’a cessé de croître quantitativement au cours du XVe siècle, au point de procurer l’essentiel de leurs cargaisons à nombre de galères et de coques qui naviguent vers le Levant, le vocabulaire du cuivre « marchand » est devenu très simple ; la mention d’origine paraît moins chargée qu’au début du siècle d’implications techniques et rien n’indique qu’un office vénitien exerce encore des fonctions normatives : les délibérations publiques consacrent au cuivre une place proportionnellement inverse à celle qu’il occupe effectivement sur les quais d’embarquement. Si l’on se réfère aux Welthandelsbräuche, on s’aperçoit que, vers 1500, trois zones minières et métallurgiques approvisionnent Venise : la Hongrie, dont le cuivre est dit « gesegirt » (apuré de l’argent qu’il contenait), la Saxe (Eisleben) et le Tirol : on peut suivre les routes qu’emprunte le cuivre tirolien, les taxes auxquelles sont soumis les produits de Taufers, de Kuntl et surtout de Schwaz149 : le manuel s’attache à des calculs comparés de rentabilité mais ne juge pas nécessaire de renseigner son lecteur sur les procédés techniques de transformation, qui sont désormais identiques sur tous les sites. Le « Getto » lui-même a disparu de la vie vénitienne et c’est à l’Arsenal que se poursuit l’histoire du cuivre. L’institution du « Getto » a été si souvent évoquée qu’il convient maintenant de rassembler les informations dont on dispose pour esquisser un portrait de la Venise métallurgique à la fin du Moyen Âge.
La politique vénitienne : l’affinage au Getto
59L’intervention de l’État présente un double caractère, commercial et industriel ; ainsi se délimitent un secteur public et un secteur artisanal, le second nettement subordonné aux impératifs d’une politique méditerranéenne. L’Office du cuivre visait à réserver à la Monnaie une quantité constante de cuivre à titre fixé et à tirer profit par la fiscalité de la permanente affluence du métal. Né à la fin du XIIIe siècle, il a transmis aux Offices du plomb et de l’étain, créés plus tard150, le nom technique de « Getto » : « gettare » signifie « couler le métal en fusion », et le mot finit par désigner un lieu-dit, puis une zone industrielle de Venise. Comme le remarquait Temanza, ce terme industriel vénitien a été diffusé à l’ensemble des communautés juives enfermées par les autorités au début du XVIe siècle et dont la première fut vénitienne, dans une zone éloignée du centre urbain151. Il est rare que l’on puisse fonder une étymologie, surtout en topographie, sur le témoignage des habitants d’un quartier ; or c’est le cas à Venise, grâce à la déposition de témoins oculaires lors d’un différend entre confins paroissiaux en 1458152.
60L’un des témoins sollicités, Gasparinus da Lon, qui a plus de 60 ans, évoque des souvenirs d’enfance, d’autant plus précis qu’il n’a jamais quitté le sestier. Il ne se limite pas au point litigieux du procès, mais décrit les activités d’une zone située « au bout du monde ». Le lieu s’appelle le « Getto », explique le témoin, parce qu’il y avait là une douzaine de fours où l’on fondait et affinait le cuivre. Le lieu était totalement clos et soustrait à la curiosité des voisins : un mur en faisait le tour et on y accédait par un petit escalier de pierre, s’élevant du rio de Cannaregio et conduisant à des voûtes maçonnées, qui, dans les années 1450, étaient murées. Il existait une autre porte, qui s’ouvrait sur une île, objet du litige entre les deux paroisses concernées. On accédait dans l’île par un pont de bois, deux ou trois poutres et des planches « qui pouvaient être mises et ôtées à volonté ». C’est par ce pont qu’étaient évacuées dans l’île les scories de la fonte du cuivre et l’on peut dire, avec un second témoin, Bartolomeo Trevisan, que « ce terrain vague s’est édifié à partir des déchets de fonte qui étaient déchargés là ». Ce mur continu, ce pont escamotable, cette incessante et mystérieuse activité, le fait qu’une centaine de personnes vivaient d’une manière ou d’une autre du « getto », tous ces éléments font comprendre comment de jeunes enfants pouvaient être frappés par ce voisinage et ce secret. Gasparinus da Lon a cherché à en savoir plus ; il avait appris par un ouvrier dont il sait encore le nom qu’il existait un autre pont allant dans l’île et qu’il n’a jamais pu voir. Ce secret devait être renforcé par le fait qu’un certain nombre des ouvriers était des Allemands, coupés par leur langue de la population du sestier ; les gamins leur lançaient des pierres et les injuriaient. Ainsi, avant de devenir au XVIe siècle un lieu d’enfermement, le « Getto » était déjà au XVe siècle un lieu où sévissait la xénophobie, un lieu coupé du monde par la fonction qu’il occupait dans la ville, par sa marginalité dans des eaux indécises et par les éléments concordants de son étrangeté.
61Sur l’installation industrielle elle-même nous ne savons guère plus que ce que nous apprend ce texte : 12 fourneaux représentent une importante « unité de production » dans les années 1400, installée dans une zone en voie d’aterrissement, dans une paroisse déjà industrielle153, où les « nuisances » étaient nombreuses. Quelques décisions du Sénat dans la première moitié du XVe siècle évoquent la construction d’un nouvel édifice, destiné à servir de dépôt des matières premières nécessaires pour le traitement du métal (bois, charbon de bois, fer), l’affectation au « Getto » d’un terrain près de Trévise, probablement un entrepôt, la réfection du toît, « car il pleut sur le stock de bois » ; à quoi s’ajoutent quelques détails, l’achat d’une meule d’occasion, l’engagement par des propriétaires voisins de laisser un intervalle pour que le « Getto ait de la lumière »154.
62À la tête de l’Office sont placés les trois officiales getti, qui ont sous leurs ordres un personnel de maîtres fondeurs et d’ouvriers, plusieurs scribes et des « stimadori », experts nommés par eux et par les Consuls des marchands, définissant les qualités de cuivre en vue de la taxation. Ils étaient responsables de leur gestion devant les Proviseurs de la Commune, qui élaboraient des rapports pour le Sénat sur toute question touchant à l’industrie et au commerce des métaux et jouaient un rôle de coordinateurs que les « Governadori alle Entrate Pubbliche », puis les « Savi alla Mercanzia » leur reprirent à la fin du XVe et au XVIe siècle155. D’autres Conseils avaient, par leurs fonctions, droit de regard sur les affaires de cuivre : les « Chefs des XL », les « Sages de Terre Ferme » et les « Sages aux armées » lorsque la sécurité de l’État dépendait de l’approvisionnement en métaux comme le fer et le cuivre ; et l’on pourrait citer d’autres commissions temporaires, renaissant sous des appellations diverses, et qui ont été amenées à faire des propositions sur le cuivre ; c’est ainsi que se sont constitués des groupes de travail, élus par le Sénat en son sein, préparant les textes proposés aux voix, comme les Sapientes raminum qui prenaient avis des Officiales getti, et étaient eux-mêmes familiers du commerce des métaux156.
63Sur le transfert des activités de fonderie du « Getto » à l’Arsenal, les informations sont rares : on sait que dans les années 1460 deux ateliers publics sont installés campo della Tana, dans les parages de l’Arsenal : on y construit des bombardes, comme à l’intérieur des murs157. Mais rien n’indique que la fonction que jouait le « Getto » dans l’affinage du cuivre importé s’est transférée à l’Arsenal.
64Tout en favorisant le commerce extérieur de ses ressortissants par la véritable prime à l’exportation que représentait la bolla di S. Marco, l’État devait assurer l’approvisionnement du marché intérieur : éviter d’une part que les artisans du cuivre se fournissent hors de la ville, ne serait-ce que pour des raisons fiscales, contribuer d’autre part à la constitution d’un dépôt obligatoire de cuivre, comme d’autres métaux, pour les besoins de la Monnaie et de l’Arsenal. Si l’on ne considère que sa première fonction qui confond impérieusement les intérêts de l’État et ceux du commerce lointain, il est évident que le « Getto » impose des limites à son rôle industriel : la fabrication de produits demi-finis à l’aspect uniforme, petits pains ou plaques rectangulaires, aptes à toute transformation ultérieure. Les chargements de galères et les listes de prix comportent parfois des produits plus élaborés, qui supposent l’installation de laminoirs et de tréfileries : rien n’indique que le « Getto » était équipé pour cette production. On sait en revanche que des fonderies indépendantes existaient toujours au milieu du XVe siècle au cœur de la ville, en particulier dans la paroisse de S. Luca, malgré les dangers qu’elles constituaient pour l’environnement158 ; plus près encore du Rialto, à S. Salvador, un centre de traitement de l’étain était entre les mains d’un Brugeois vers 1460159. Dans des confins moins urbanisés, la paroisse de S. Barnabà retentissait du bruit des marteaux des « batirame » et des forgerons, même si la fonction industrielle semble moins vigoureuse au XVe siècle ; se bornait-on au martelage des divers objets et ustensiles de la consommation domestique, ou assurait-on encore pour le compte des marchands, voire pour le compte de l’État, la gamme des produits industriels semi-finis du « Getto » ? Le terme de laboreria rami évoque le travail des métiers urbains des campanari, des laviçarii, des chalderai160, mais peut-être aussi d’« usines » désormais installées sur la Terre Ferme voisine et utilisant la force hydraulique161. Dans le domaine de la quincaillerie du cuivre et de ses alliages, comme le bronze et le laiton, la production de haute-Allemagne concurrençait la production italienne et les inventaires vénitiens du XVe siècle attestent l’importation d’articles qui sont des spécialités nurembergeoises162 : la première mention d’un chargement de laiton apporté à Venise par le Nurembergeois Anton Paumgartner date de 1460163. La création de Fuggerau près de Villach à l’extrême-fin du siècle mit à proximité de Venise un très gros centre de production d’armes lourdes, mais aussi de laiton en plaques, tôles, barres et fil. Il est significatif que lors de leur guerre contre Maximilien, les Vénitiens soient allés détruire en 1509 une partie des ateliers de Fuggerau164.
65Il semble qu’au XVe siècle la situation de l’artisanat du cuivre et de ses alliages soit modeste et ne semble nullement correspondre par son niveau financier et technique à la place qu’occupe le secteur public du cuivre dans la politique internationale de Venise. Dans une certaine mesure, c’est le dirigisme vénitien sous son double aspect, commercial et fiscal, tel qu’il s’exprime par l’institution du « Getto », qui contribue à la stagnation relative de cette branche artisanale165. La sollicitude tardive de l’État se manifeste au milieu du XVe siècle par l’abolition des règles d’approvisionnement, devenues depuis longtemps lettre morte, et qui visaient à empêcher les métiers de se procurer de la matière première à moindre prix hors de la ville166. Ce n’est pas le moindre paradoxe du dirigisme vénitien que de réduire à la portion congrue les métiers consommateurs de cuivre ; l’industrie est à Venise l’envers du décor ; on lui assigne pour seule mission la satisfaction de besoins locaux ; la grande affaire est le commerce et le « Getto » en a été un instrument essentiel.
Les difficultés d’approvisionnement en cuivre
66Les délibérations exceptionnellement longues et circonstanciées du Sénat sur le fait du cuivre entre 1391 et 1397 illustrent les difficultés rencontrées par l’État pour faire appliquer le principe hégémonique qui était le fondement de son commerce extérieur. En effet, quelques années après le contrat conclu avec les Medici sur le cuivre hongrois, le « Getto » ne semble plus assuré de son approvisionnement : la transformation du métal sur place à Neusohl, mais aussi à Castamon fortifie des courants commerciaux qui risquent d’échapper aux marchands vénitiens ; c’est dans un abaissement des droits de douane sur le cuivre, puis dans une révision d’ensemble de la politique fiscale que les Sénateurs tentèrent pendant une dizaine d’années de trouver un remède à ce qu’ils appelaient mutationes temporum167, l’évolution des choses. On peut pour la commodité distinguer les décisions sur le cuivre d’Orient et le cuivre hongrois ; la séparation n’est pas artificielle, car les Sénateurs ne tentèrent pas, au moins au début, de résoudre ensemble les problèmes d’approvisionnement à ces deux sources principales.
67Les délibérations sur le cuivre de Romanie analysent en détail en 1391 et en 1394 le « commerce triangulaire » dont Venise se sent exclue : achat à Constantinople de cuivre affiné de Castamon par des marchands de toute nation ; transport et vente de ce cuivre à Damas et à Alexandrie ; achat sur ces marchés de coton et d’épices qui sont vendus en Italie et surtout à Venise168. Si le cuivre de Romanie ne vient plus à Venise, les sages consultés estiment que c’est en raison de la forte taxe dite d’« affinage » qui pèse sur lui169 ; l’abaissement de la taxe n’a aucun effet et le Sénat autorise, à une faible majorité, de laisser les Vénitiens acheter en toute liberté du cuivre affiné à Constantinople, de le conduire dans les bases vénitiennes d’Orient, Nègrepont, Coron, Modon et la Crète et, de là, le réexporter vers le Levant170 ; la commission de 1396 décida d’abréger cette expérience sans résultat pour l’approvisionnement du Getto. La situation n’était pas moins préoccupante dans le secteur occidental. La taxe d’affinage fut abaissée sur le cuivre hongrois et l’interdiction de commercer par l’Istrie et Segna, preuve que le transit évitant Venise était devenu régulier ; trois conseillers proposèrent même d’abaisser de moitié les droits de douane, de 5 à 2 1/2 pour cent, sur le cuivre hongrois, proposition repoussée, qui permet d’évaluer l’importance de la crise171.
68Ces délibérations et décisions mettent en évidence deux faits : d’abord, l’opposition entre deux politiques : les uns sont partisans de mesures fiscales et n’acceptent l’abaissement des droits que s’il rend, comme par miracle, au « Getto » ses clients lointains ; les autres sont les tenants d’un commerce libre, soucieux de leurs entreprises plus que du sort du « Getto » et des revenus de l’État ; en 1396, ils ont gain de cause et représentent le dynamisme des milieux d’affaires. Un autre fait apparaît non moins clairement : la mise à l’essai de décisions provisoires, qui ne s’arrêtent qu’après des dosages de compromis.
691397 est l’année décisive. Les Sénateurs se sont enfin décidés à adopter une législation d‘ensemble sur le cuivre172 ; décisions délicates en raison de la diversité des provenances et des conséquences possibles de choix sur le commerce au long cours. Les partisans de la liberté du commerce en Orient obtiennent gain de cause173 : la loi favorise les marchands qui, comme Giacomo Badoer trente ans plus tard, joue le rôle d’intermédiaire entre Constantinople, les îles vénitiennes et les ports du Levant174. Les prétentions hégémoniques de Venise cèdent à l’examen de réalités irréversibles : à quel taux faudrait-il faire descendre la taxe sur le cuivre de Romanie pour que le courant d’importation à Venise se maintienne ou s’amplifie ? Il paraît plus réaliste de la relever pour le cas, peu probable, où le cuivre de Romanie demeurerait une des sources d’approvisionnement. D’autre part, les partisans d’un relèvement des taxes d’affinage ont eu le souci d’une réglementation d’ensemble : la taxe sur le cuivre hongrois a été mise au même niveau que celle qui frappe le cuivre de Castamon. Les buts poursuivis par la réglementation sont précisés dans les attendus du texte de loi : il faut que le « Getto » conserve une situation qui contribue à la fois à l’avantage de l’État et à l’intérêt des marchands175. Ces deux buts, dont on a vu qu’ils ne sont pas toujours concordants, excluent toute considération sur les métiers vénitiens du cuivre ; les délibérations n’y font pas la moindre allusion, parce que leur niveau d’activité et de services les exclut des grandes affaires. On remarque aussi la ténacité de quelques rapporteurs dont les noms reviennent régulièrement, qu’ils soient ou non membres des commissions d’enquête, en particulier plusieurs représentants de la famille Contarini qui se sont livrés au commerce du cuivre à la fin du XIVe et au cours du XVe siècle, en Hongrie et en Méditerranée176.
70Sur la crise de la fin du XIVe siècle, on ne sait rien de plus que ce que disent ces textes minutieux et embarrassés et on ne peut apprécier l’efficacité des dosages fiscaux. Qui plus est, le « Getto » disparaît des sources avant le milieu du XVe siècle : le Doge et les Conseillers ont prévu en 1454 de faire creuser un canal « autour du terrain vague qu’on appelle le Getto »177 et le témoin cité de 1458 parle effectivement du « Getto » de Cannaregio au passé. Dans l’île construite avec les scories de la fusion du cuivre s’installa un certain maître Giovanni qui coula des bombardes dans une baraque ; puis vinrent des ouvriers du textile qui étendirent des laines sur ce terrain abandonné : paysage incertain qui contraste avec l’animation du quartier un demi-siècle plus tôt178.
71Mais le « Getto » n’est pas seulement une image évanouie ; il semble que, dans des conditions obscures, ce centre de régulation du marché ait effectivement disparu en tant qu’institution ; on ne peut dire si cette éclipse définitive correspond à l’échec d’une politique ; il semble que l’Arsenal et peut-être la Monnaie aient repris son ancienne fonction. Tandis que le commerce du cuivre ne cesse de progresser quantitativement, la mention de « rame di bolla » disparaît des sources officielles dès le 2e quart du XVe siècle179 : deux points de vue convergents, l’un sur les difficultés des métiers, l’autre, sur le combat d’approvisionnement de l’Arsenal laissent à penser que la transformation du métal sur les lieux mêmes de production et l’unification progressive des méthodes de réduction du minerai en Europe ont fait renoncer le gouvernement vénitien à entretenir un organisme industriel devenu superflu.
72Les difficultés des « chalderai » sont des difficultés à se procurer la matière première. En 1436, le Sénat avait réitéré l’interdiction d’achat hors de Venise, dans le Frioul, à Ceneda, à Trévise ; mais il devait constater dix ans plus tard que le métal ne venait pas pour autant à Venise, car il était acheté dans l’arrière-pays par des Lombards ; on accorda donc aux maîtres en 1446 ce qu’ils faisaient sans doute couramment en fraude, se ravitailler sur la Terre Ferme180. L’extension de la domination vénitienne à des zones de vieille tradition métallurgique imposait la prise en compte d’intérêts contraires à l’imposition fiscale : fonderies et forges utilisaient l’énergie hydraulique pour actionner soufflets et bocards d’Udine à Brescia, en passant par Trévise sur le Sile181. Fallait-il faire payer aux artisans une taxe de 5 ducats par milliaire, lorsque le cuivre, importé sous forme de produit semi-fini par le Fondaco, envoyé à battre à Trévise ou à Ceneda, était rapatrié à Venise en payant à nouveau la taxe ? La charge fiscale conduisait les chaudronniers à faire passer tôles et feuilles pour du cuivre du Fondaco alors qu’ils l’avaient acheté sur la Terre Ferme. Le Sénat maintint en 1463 l’obligation purement fiscale du passage par Venise, car comme le rappelaient les « Governadori alle Entrade », « chaque milliaire de cuivre arrivant à Venise rapporte à la cité 10 ducats »182. Une boleta était délivrée par le scribe de la Douane d’entrée au point de passage obligé de la via Alemania, portant mention du lieu de destination du cuivre à travailler et précisant le poids de la cargaison. Elle était confrontée au Fondaco avec la contre-lettre rédigée par les recteurs de province. En cas de contrebande, à la saisie du métal s’ajoutait l’amende et les transporteurs perdaient leur attelage et risquaient un an de prison183. Mais comme les artisans continuaient à acheter du cuivre travaillé sur la Terre Ferme et à l’introduire à Venise en le faisant passer pour du vieux cuivre recyclé (« a refar »), on imposa le pesage du cuivre à la sortie de la ville avec billet de destination puis pesage à l’entrée avec examen de qualité pour vérifier l’identité du chargement. La réglementation s’essoufflait à suivre l’ingéniosité des chaudronniers, bien décidés à se procurer une matière première libérée de la surtaxe, qu’il s’agît de cuivre déjà traité au Tirol, à Nuremberg ou en Hongrie, ou de cuivre travaillé sur la Terre Ferme avant d’entrer dans Venise. Après pétition du métier, le Sénat approuva en 1463 une proposition de loi qui maintenait la surveillance du transit mais supprimait la taxe de 5 ducats à la rentrée du cuivre à Venise. On ne pouvait renverser un courant bien établi. La politique fiscale eut un effet négatif sur les métiers du cuivre de Venise ; déjà en 1424 le nombre des maîtres était si limité en ville que les marchands de cuivre se plaignaient de ne pouvoir passer commande de plaques ; le système de la fabrique était donc déjà établi hors de Venise comme il l’était dans le domaine textile et il est fort possible que parmi les commanditaires on trouve des Allemands, comme on en trouve à Côme dans le premier quart du XVe siècle184.
73Dans la seconde moitié du XVe siècle, le centre d’intérêt se déplace, on l’a vu, du « Getto » vers l’Arsenal. La production de matériel de guerre passe au premier plan des préoccupations et impose l’achat de grandes quantités de métaux, fer, acier, cuivre et laiton. C’est-à-dire que l’État devient le premier client en puissance des marchands importateurs, que des libertés sont prises avec la réglementation et ses interdits : mais le métal n’afflue pas pour autant sur le marché public185.
74Un personnage devient central, le maître bombardier, dont le nom révèle bien souvent l’origine étrangère. Formé à Brescia, au Tirol, en Hongrie, retenu avec son équipe à Venise par des conditions de travail et une rémunération exceptionnelle, le bombardier exécute les commandes qui lui sont faites pour l’Arsenal, pour telle fortification de Terre Ferme ou des îles de Méditerranée. C’est l’État qui lui fournit le métal, par exemple en 1438 l’achat par les Sages de Terre Ferme pour 600 ducats de cuivre et fournitures nécessaires à la confection de bombardes ab illo magistro bombarderio teutonico186. Or les délibérations des Conseils de la seconde moitié du XVe siècle sur le cuivre sont toujours provoquées par l’urgence : aucune politique d’ensemble ne se dessine, aucun organisme n’est chargé de veiller durablement à la régulation du marché. Ainsi, les patrons de l’Arsenal sont mandatés en 1451 pour acheter le plus vite possible le cuivre nécessaire à la réfection des canons de Brescia en utilisant les fonds de petite monnaie de Brescia déposés à la Monnaie187 ; dans la décennie suivante, la situation paraît plus inquiétante encore ; les délibérations tentent de suivre le rythme irrésistible de la progression turque : « considerando chel turco e vegnudo ai confini de Segna… l’andera parte che doman da matina… » (1463/9/IX)188. Aucune mention n’est faite d’un stock comparable à celui qui avait été constitué quarante ans plus tôt pour le fer189 ; le Sénat doit recourir à la Monnaie : plus de 20 000 marcs de cuivre s’y trouvent, produit de la fonte de fausse monnaie, qui sont réquisitionnés et confiés à un maître bombardier190. On conclut aussi des contrats avec des particuliers : Bernardo da Ponte, qui vend 10 milliaires (4,7 t.), Francesco Contarini qui, associé à un Allemand de Ratisbonne, Paul Kurz, procure rapidement 8 milliaires à l’Arsenal. L’année suivante, le Sénat dut donner l’ordre de récupérer du vieux cuivre dans les chantiers de l’Arsenal, parce qu’il manquait 2 milliaires de cuivre neuf pour terminer un canon191.
75Il est incontestable que, la guerre exigeant des mesures de salut public, l’État vénitien a pu être amené à user de ces procédures d’exception. Mais cette explication ne peut suffire : la consommation de cuivre par l’Arsenal est un fait suffisamment constant dans la seconde moitié du XVe siècle pour qu’on ne puisse se contenter d’une justification par l’imprévoyance : la constitution vénitienne a toujours secrété les organismes d’exception qui lui manquaient pour faire face à une situation donnée et qui ont souvent survécu aux besoins qui les avaient suscités. Or, l’Arsenal ne semble pas reprendre, même dans des cas d’urgence, les fonctions que développait le « Getto » cinquante ans plus tôt. Les Patrons de l’Arsenal sont les intermédiaires avec des professionnels qualifiés qui travaillent à façon ; autrement dit, les institutions officielles auxquelles recourt le Sénat dans l’urgence ne sont que façade derrière laquelle agissent les véritables puissances, les marchands de métaux, seuls capables de ravitailler le marché vénitien, Allemands ou prête-noms d’Allemands.
76Les commandes de l’État seraient-elles peu recherchées en raison de la médiocre situation financière qui oblige à imputer des revenus lents à recouvrer ? Une bonne part des délibérations du Sénat à partir des années 1460 est consacrée aux avances consenties par les banques, présentées par le Sénat comme contributions volontaires, alors qu’il s’agit de prêts forcés, remboursés à des échéances lointaines sur les revenus de tel ou tel office ; mais ce sont les banques qui garantissent les contrats passés avec les marchands de métaux et autres fournitures militaires, telles que la poudre ou le salpêtre192. Et l’on sait, ne serait-ce que par leurs faillites des années 1500, combien ces banques sont liées aux Allemands. Comme on ne peut penser que la production des mines d’Europe Centrale est incapable de répondre aux besoins de cette grande entreprise qu’est l’Arsenal, il faut en venir à l’idée de la coexistence d’un secteur public qui n’a pas les moyens de sa politique et d’un secteur privé, réticent à s’engager dans des affaires peu rentables. En 1482, comme en 1463, l’Arsenal ne sait comment se procurer du cuivre ; or en 1479, les Proviseurs de la Commune se félicitaient de la situation du marché du cuivre : « dicta marchadantia se trova al presente in colmo cum grandissima utilitate di tuti… »193. Certes, en 1482 une coalition se constitue pour venir au secours du duc de Ferrare menacé par Venise et les difficultés d’approvisionnement s’expliqueraient comme en 1463 par l’urgence. Mais peut-on admette que cette misère résulte d’un déclin en trois ans du commerce du cuivre au point qu’on ne puisse équiper une armée ? Non, faisons l’hypothèse que les profits retirés de la vente du cuivre en Orient sont la raison profonde d’une hémorragie que Venise ne parvient pas à maîtriser, même dans les occasions les plus graves pour sa sécurité. Plus précisément, l’État vénitien est, par ses institutions vitales, situé « à côté » des courants commerciaux qui traversent son territoire ; centre d’appel, Venise est centre de transit. Le « Getto » d’abord, l’Arsenal ensuite n’ont pas réussi à devenir des centres d’impulsion industrielle. Venise est bien la porte de l’Allemagne sur la mer, une Allemagne emprisonnée dans le Fondaco, mais devenue maîtresse du jeu.
77On a vu la diversité des sources d’approvisionnement en cuivre, maritime, puis terrestre, le poids du cuivre d’Europe centrale - Hongrie et Tirol- éliminant pratiquement dans la seconde moitié du XVe siècle tout autre partenaire. Ce n’est pas s’écarter du sujet que de confronter provenances et destinations, parce que la destination est parfois inscrite dans le contrat d’achat, parce que les modalités de la vente impliquent dans quelques cas l’échange ou « barato » entre produits métalliques du Nord et produits méditerranéens. La description des courants lointains peut être menée à partir de sources officielles relatives au commerce maritime, complétées par les informations de premier ordre que fournissent des chroniqueurs, véritables « journalistes économiques » de la fin du XVe et des premières années du XVIe siècle ; d’autre part, les archives privées, particulièrement riches à la fin du XVe siècle, attestent les relations d’affaires sur les métaux monétaires entre Vénitiens et Allemands. Si l’histoire du cuivre marchand, comme celle du fer à Venise, fait ressortir la contradiction entre une politique commerciale ouverte sur l’échange lointain et la protection des métiers urbains, c’est la diversité de ses usages, de la vie domestique à la frappe monétaire, qui explique la faveur soutenue du cuivre européen sur les marchés du Levant et la place que les hommes d’affaires vénitiens ont occupée à Beyrouth et Alexandrie dans ce trafic dominant.
La captation des métaux précieux
Le circuit de l’or et de l’argent
78La procédure générale d’introduction à Venise des métaux précieux est précisée par une décision de 1290, qui servit de base à la législation tout au long du XIVe siècle : elle indique que l’argent importé doit être affiné au titre du gros vénitien, porté à l’estimation des massarii Monete et, si le titre est convenable, qu’il doit être revêtu de la bolla et mis aux enchères, comme l’or, « afin que les marchands n’aient pas moins d’argent à acheter que d’or » ; depuis 1285, les Allemands étaient autorisés à vendre leur or à la Monnaie194.
79Les plus anciens documents vénitiens relatifs à l’importation des métaux précieux sont enregistrés dans le Capitulaire du Fondaco. Sans doute, l’institution n’était pas le canal exclusif d’approvisionnement, puisqu’on trouve mention dans les décisions sur l’argent de la première moitié du XIVe siècle d’arrivées d’argent par le Pô ou par la mer, puisque de l’or arrive à Venise de Hongrie ou de Raguse et que vers 1430, de l’or est importé à partir de La Tana195 ; mais les Allemands étaient plus que tous autres importateurs étroitement surveillés, d’autant plus qu’ils apportaient ensemble l’or et l’argent196.
80Tout l’argent que les Allemands introduisent à Venise doit être dès leur arrivée - et on cite l’exemple de Juifs de Zurich qui n’ont pu présenter leur argent dès le jour de leur arrivée, qui était un samedi197– présenté aux officiers du Fondaco et « bollado », ce qui signifie sans doute ici, cacheté, tel qu’il est, emballé. Une cause fréquente d’enquête réside précisément dans la non-présentation ou présentation incomplète de métaux précieux, sous quelque forme qu’ils se présentent, monnaies, grenaille, masses ou lingots198. On décrit les sacs de cuir pleins de pièces d’argent retirés de la lagune après la noyade d’un marchand allemand dans les eaux de St. Michel de Murano, ou les tonnelets, les écrins, les lingots emballés au sens propre du terme, c’est-à-dire glissés à l’intérieur des balles de marchandises, le plus souvent de draps199. Voici un Allemand de Vienne qui, en 1316, arrive avec une quantité d’argent qu’il fait inscrire dans le registre du Fondaco ; il déclare ensuite qu’il est venu acheter des soieries pour le compte du duc de Carinthie et on lui donne un courtier (« misseta ») chargé de conclure pour son compte les marchés qui lui conviennent.
81Dès qu’il a été « bollado », l’argent est présenté par le marchand, en compagnie du courtier, aux « Offiziali argento » qui inscrivent cet argent, après pesée, dans leur registre « afin de savoir à qui cet argent sera vendu ou ce qui sera fait de lui » ; le courtier conduit le marchand avec son argent chez les changeurs à vendre à qui offre le plus200 ; la procédure, précise un texte inséré en 1339 dans le Capitulaire du Fondaco, concerne ensuite l’acheteur201 et permet de contrôler l’emploi qui est fait par les Allemands de l’argent apporté à Venise et réinvesti et vise à enrayer toute tentative de fraude sur les quantités, voire sur la nature ou la qualité de métal. En 1343, un Allemand de Radstadt s’entend réclamer des informations sur l’usage qu’il aurait fait d’une qualité d’argent qui semble avoir disparu entre son inscription sur le registre du Fondaco et celle qui fut faite sur le registre des officiers de l’argent au Rialto : simple erreur de lecture, affirme-t-il : les deux marcs sont bien les 16 onces qu’on aurait dû inscrire et non les 6 onces qu’on lit202 ; on se contente de cette explication peu vraisemblable, puisque l’argent est habituellement compté en marcs et non en onces. Autre contravention : un Vénitien reçoit d’un Nurembergeois de l’argent à investir qu’il n’inscrit pas au nom de l’Allemand, de sorte que ce dernier n’est pas tenu d’exporter la contre-valeur203.
82Un témoignage au cours d’une enquête judiciaire devant les « Giudizi di Petizion » datant de 1391, permet de se représenter de la manière la plus concrète une arrivée d’argent en monnaies à Venise. Rigus Rochus, grand marchand viennois, que l’on rencontre plusieurs fois à Venise ainsi que des représentants et des membres de sa famille dans les années de l’extrême fin du XIVe siècle, s’adresse à Michael de Vienne, son compatriote, employé au Fondaco ad serviendum Theotonicis, pour qu’il se rende à S. Geremia de Cannaregio où se trouve une barque remplie par une double besace qu’il le prie de porter au Fondaco ; mais il y avait une telle quantité de pièces d’argent qu’un seul homme n’aurait pu les transporter (tanti ponderis quod minime posset conduci per unum hominem solum) : Michael coupe la besace en deux (elle avait dû charger un cheval sur les routes alpestres jusqu’à Venise) en porte la moitié, puis revient chercher l’autre. Après avoir gardé cet argent huit jours dans sa chambre au Fondaco, -sans que le témoin précise si l’argent fut pesé au Rialto voisin- le marchand viennois convoque à nouveau Michael et ouvre les besaces ; il verse l’argent dans deux sacs ; ils en prennent un chacun et l’apportent place St. Marc à Christophe Zancani, banquier, qui les mit aussitôt sous son comptoir (S. Christophorus posuit ipsos sachos vianensium subtus dictum suum banchum)204.
83Qu’il soit destiné à la vente aux enchères (« alla campanella ») ou qu’il doive être présenté – au-dessus de 5 marcs- à l’Office du Poids au Rialto avant d’être porté à l’affinage à la Monnaie, l’argent doit être revêtu du sceau de St. Marc. Mais la loi de 1406205 fait la distinction entre les lingots et l’« argent » : les premiers doivent être comptés, pesés, scellés un par un, alors que l’« argent » désigne la grenaille, l’argenterie réduite en masses et les monnaies démonétisées206 : lorsqu’il va directement à l’affinage, cet argent doit être scellé dans des sacs, les poids étant notés dans l’ordre sur le registre des Officiers du Poids. Dans les deux cas, l’apposition d’un sceau ne peut garantir la teneur en argent puisque c’est précisément l’affinage au titre de Venise qui fournit la garantie au public : elle n’a alors qu’une valeur de contrôle sur les quantités enregistrées : l’Office du Poids prend en note tout l’argent « camarado », emmagasiné dans ses bureaux en attendant leur destination ultérieure. Autrement dit, il est impossible à un habitant de Venise d’acheter de l’argent qui ne serait pas passé par l’Office du Poids ou à un étranger, en priorité un Allemand, de porter de l’argent à affiner au titre de Venise qui n’ait été auparavant enregistré au Rialto ; il n’est pas non plus possible à un Allemand d’acheter de l’or à Venise à un particulier207. Que la loi n’ait pas été bien respectée, c’est-à-dire que de l’argent « allemand » ait été acheté ad furtum208 directement dans les chambres des importateurs ou avant que ces derniers n’aient fait leur déposition, il faut en déduire que l’argent frauduleux peut se passer de la garantie vénitienne pour être commercialisé : ou bien il repart de Venise comme il est entré, en fraude ; ou bien un orfèvre vénitien accepte de le fondre par petites quantités, inférieures au seuil de la déclaration, et non soumises au contrôle ; ou bien plus nettement complice du fraudeur, l’affineur qui rend compte lui-même aux Officiers du Poids intervertit sur le compte de ses clients nombre et poids des lingots ou de la masse de monnaie remise. On peut s’étonner que soient désignés par le même terme les scellés du contrôle des poids importés (lingots, monnaies ou grenaille) et la garantie de titre offerte par la Monnaie et qui a valeur dans le monde entier : c’est que la surveillance du circuit vénitien de l’argent et de l’or prime toute autre considération ; on s’attache avant tout à retrouver au terme ce que l’on avait au départ. Le scribe de l’Affinage doit en effet noter tous les mois le nombre de lingots et leur poids et séparément, le poids des monnaies et de tout l’argent indistinct qui lui est présenté à traiter : il doit ensuite envoyer ce relevé aux Officiers de l’argent au Rialto afin que l’on puisse demander raison des différences enregistrées et poursuivre les contrevenants. À cette surveillance s’ajoute la détection des contrefaçons en joaillerie et de la fausse monnaie209.
84À la vérification du poids et donc des quantités traitées s’ajoute la certification du titre pour des lingots sortis des ateliers urbains et dont les marchands souhaitent qu’ils soient estampillés de la « bolla » de St. Marc : ces lingots sont signés par des maîtres orfèvres et ce signe représente l’attestation du travail bien fait que l’on retrouve dans d’autres métiers et qui, dans le domaine monétaire, se manifeste de manière identique en d’autres villes que Venise : pour prendre un exemple germanique, le droit urbain d’Erfurt prévoit que l’orfèvre doit affiner l’argent qui lui est livré en marcs « under seinem czeichene », ce qui n’empêche pas la ville d’apposer ensuite son propre sceau210 ; c’est en somme la conjonction de deux garanties, l’une professionnelle, l’autre, politique, qui se réunissent dans le poinçon moderne. La garantie professionnelle est naturellement utile en cas de dol, puisqu’elle permet aux Officiers de la Monnaie de retrouver le responsable d’une défectuosité ; elle est d’autant plus nécessaire que l’argent pur (à 965 °/°°) ne peut être, pour des raisons techniques, absolument invariable : la loi de 1400 admet une variation du poids de fin par marc de l’ordre de 4 %, limite extrême. À tout moment de son service de quinzaine, l’un des cinq officiers pouvait ordonner la mise à l’épreuve d’un lingot revêtu de la marque d’un maître : l’examen en présence du maître débouchait sur un vote et il suffisait que deux officiers expriment leur défiance pour entraîner le refus de sceller. Les lingots refusés devaient être refondus, les frais de fusion, incombant aux marchands, étant payés non aux orfèvres mais aux Officiers de la Monnaie. La précision des sanctions contre les affineurs négligents ou fraudeurs révèle la fréquence des entorses et l’insuffisance des contrôles ; mais les administrateurs du Fondaco eux-mêmes n’étaient pas à l’abri du soupçon211 et la répression est fondée ici comme en d’autres administrations vénitiennes sur la délation et l’appât des récompenses partagées ; l’infidélité des uns ne trouve de limites que dans l’honneur des autres ou, plus tristement, dans la crainte des « compagni », la dénonciation des collègues défaillants devant les Proviseurs de la Commune faisant partie des obligations morales des officiers.
85Le renforcement du contrôle passa par une collaboration étroite entre l’Office du Poids, la Monnaie et l’Affinage, trois bureaux où se développa au cours du XVe siècle une administration cohérente. La fraude avait plusieurs visages : achat furtif, à Venise ou sur la Terre Ferme, utilisation de prête-noms. Mais elle pouvait en particulier se développer en fonction de la nature des approvisionnements ; en effet, dans les années de la fin du XIVe siècle (« perche al presente… » dit l’attendu de la loi de 1400212), la Bosnie et la Serbie contribuent à la fourniture de métal précieux à Venise : l’argent qui est importé par cette voie est aurifère (« argento de glama »)213 et la comptabilité des officiers est rendue plus ardue par la partition de l’argent et de l’or. Toute l’ambition réglementaire se heurte en effet aux « secrets » de la fusion et dans la mesure où l’on s’adresse à des fondeurs privés (Pegolotti recommande vivement de se rendre à Venise chez un maître originaire de Bologne), il est difficile aux officiers de contrôle de suivre la destinée d’une quantité d’argent mêlée d’or sans connaître la proportion des deux métaux qui sont vendus séparément. Marchands et changeurs qui veulent faire séparer l’or de l’argent doivent faire inscrire devant les officiers de la Monnaie d’argent la quantité de métal dont ils disposent et indiquer à qui appartiendra l’argent qui sera séparé ; l’opération faite, ils doivent faire inscrire au même Office le nombre de lingots d’argent produits, leur poids et le nom de la personne à qui ces lingots seront rendus, car le risque est double, soit la substitution d’un nom à un autre, soit au moment du pesage, la substitution d’un lingot à un autre. La loi de 1407214 prétend rendre plus claires les dispositions sur le « quint », c’est-à-dire sur la quantité d’argent que tout importateur devait obligatoirement déposer à l’Office de la Monnaie contre paiement au cours officiel et en espèces ; le « quint », soit 1/5°, s’est parfois élevé au 1/4, lorsqu’il s’agissait d’assurer une base suffisante de matière première pour la frappe215.
86À vrai dire, Venise ne s’est pas dotée des moyens suffisants en personnel et en bureaux pour exercer le contrôle poussé qu’elle impose. « Che le cosse vada si chiare che algun ingano non possa esser fato » : à cette obsession réglementaire correspondent les dispositions suivantes : tout d’abord, la multiplication des enregistrements : à l’Office du Poids, le travail du scribe doit être doublé par celui de l’un des officiers afin que l’on puisse procéder à la récollection des deux séries d’écritures à date fixe ; ce second registre ne sortira jamais de l’Office, alors que le premier est présenté tous les 4 mois pour vérification simultanée avec le registre de la Monnaie au bureau de tutelle des « Raxon Nuove ». Seconde mesure, la permutation des officiers de la Monnaie tous les 4 mois, dans les trois services de la fabrication des gros, des tournois et de l’affinage, afin d’éviter toute complaisance. L’examen de ces textes réglementaires - et toute la hiérarchie des sanctions prévues contre les personnes susceptibles de tromper la vigilance et les intérêts de l’État - prouve la place que l’approvisionnement de Venise en métaux précieux occupait dans les délibérations des Conseils. C’est aussi par ces textes que nous est connu le fonctionnement d’un des principaux services publics de la République de Venise, la Monnaie.
Un service public : la Zecca
87Sur les bâtiments, sur les ateliers on ne possède que des allusions. On a constaté la distinction topographique entre deux offices qui travaillent dans une étroite collaboration ; l’office du Poids est situé au Rialto parce que son travail est lié à l’ensemble des activités marchandes de la ville et sa proximité du Fondaco est propice pour hâter le déroulement des opérations de contrôle. À la fin du XVe siècle, la Monnaie a concentré ses services près de la place St. Marc, où se trouvent de nombreuses boutiques de changeurs ; mais en 1434, on note la mise aux enchères de voûtes, au Rialto, ubi projiciebatur aurum, qui indique un déplacement récent216. Par la suite, bureaux, ateliers et magasins des Offices de l’argent et de l’or sont installés à l’emplacement actuel de la Bibliothèque Marcienne.
88À la tête de la Monnaie se trouvent les massarii, trois au XIIIe siècle, puis, après les débuts de la frappe du ducat d’or en 1285, on distingua les trois massarii all’argento et les deux massarii all’oro. Le nombre des postes fut sujet à des aménagements fréquents en fonction de l’abondance de l’or ou de l’argent sur la place. Ainsi en 1414, on créa deux nouveaux massarii all’oro, parce qu’il était « dangereux qu’une seule personne ait plus de 100 000 ducats entre ses mains » ; en revanche, en 1420, l’un des trois officiers à l’argent ne fut pas remplacé, vacance temporaire qu’il faut attribuer à une politique d’économie sur les salaires, au moment où l’on se lamente de voir la Zecca travailler au quart de son rendement faute de matière première ; c’est même un peseur qui tient les comptes de l’affinerie en lieu et place d’un scribe217.
89On sait l’importance de la « caste industrielle » des monétaires en Europe et leur organisation en « serments » : le « serment du Saint Empire » qui englobait le Frioul s’arrêtait aux limites de Venise, où la gestion de l’atelier monétaire n’était pas réservée à quelques familles comme à Aquilée au XIVe siècle ; il y a là la différence entre un service public et un corps professionnel héréditaire, comme les « Hausgenossen » en terre d’Empire218. Les massarii vénitiens, élus pour deux ans, souvent renouvelés dans leur fonction, étaient choisis dans le patriciat vénitien, à la différence des fondeurs qui pouvaient être étrangers, la hiérarchie administrative et la technicité ne se recouvrant pas nécessairement. Lorsque l’ordre de fusion avait été donné par l’officier de la Monnaie, le métal était remis à l’un des douze fondeurs dont certains, fort âgés dans les années 1400, avaient conservé leur poste jusqu’aux limites de leurs forces : Petrus et Jacobus fusores ad monetam argenti sont alors au service de la Monnaie depuis 25 ans ! Le recrutement semble avoir été difficile, sans que l’on sache si les conditions de service et de rémunération étaient trop peu attractives, ou si la ville manquait de spécialistes : cette dernière hypothèse est probable, car le Sénat nomme des « fanti », jeunes apprentis destinés, s’ils persévèrent, à devenir un jour fondeurs219.
90Les opérations de fonte et d’affinage peuvent être décrites avec plus de précisions pour l’or que pour l’argent. Le métal était placé, en présence du masser ou du scribe, dans des creusets de terre minérale, mêlés à des substances secrètes venues d’Allemagne. Ces récipients étaient placés sur des fours à charbon de bois. L’or devenu fluide était versé dans des récipients de cuivre, pleins d’eau froide, et tombait au fond en « pezzetti a grana ». Cette « grana » était ensuite mise dans des récipients, en couches alternées avec le cément. Dans des fours à feu lent, l’or prenait la consistance de la cire et était purifié par l’action réductrice des sels sur le cuivre et l’argent. On faisait subir au métal autant de feux que nécessaire pour obtenir la pureté voulue. Au terme du travail, le maître fondeur apposait sa marque. Affiné, l’or, comme l’argent, se présentait en lingots au poids limité par la loi. Alors, intervenaient les sazatores. Le « saggio » était la mise à l’épreuve du métal affiné, qui pouvait porter sur tous les lingots, y compris ceux qui n’avaient pas été affinés à la Monnaie. Deux experts procédaient séparément à l’examen (« prova ») dont le résultat était consigné par écrit aux officiers de la Monnaie. Dans le cas de l’or, les « vergoline » (petites barres) étaient amincies au marteau et transformées en une feuille, d’où l’office tirait son nom (officium folei auri), feuille épaisse d’un doigt, coupée en « lasagne », bandes d’une quinzaine de centimètres de long. Ces bandes étaient enfermées dans des sacs marqués au sceau de l’Office de la Monnaie d’or et portées au bureau de l’Estime (la « Tocha ») : le résultat de l’expertise était remis aux officiers220. L’or et l’argent étaient déposés à la Zecca, dans des coffres différents, dont le fondeur et le masser détenaient chacun une clé, au cas où le produit avait été jugé bon ; sinon, il était renvoyé à la fusion221.
91Deux cas se présentaient alors, selon que le métal était destiné à la vente ou à la frappe. Dans le premier cas, le métal était restitué à son propriétaire, dûment estampillé, toutes taxes payées ; la livraison des lingots se faisait en sacs, scellés par les soins des « bolladori di gropi », au bureau dépendant des ateliers de la Monnaie ; dans le second cas, l’or ou l’argent étaient livrés aux ateliers. Les ducats frappés étaient examinés par les « stimadori » et furent, à partir de 1461, présentés tous les mois aux officiers des « Raxon Nuove ». Le soin que le Sénat apportait à la frappe se manifeste dans sa sollicitude pour la bonne conservation des matrices et des coins222 et dans l’attention portée aux revendications de salaire des ouvriers : les « stampadori » sont les seuls travailleurs manuels qui apparaissent dans les délibérations du Sénat et du Conseil des Dix sur les métaux223. Les monnaies neuves étaient déposées au sanctuarium ou « Camera del Comun ». Au terme des opérations décrites, qui, au milieu du XVe siècle, réclamaient trente à quarante jours et dont la longueur suscitait parfois l’impatience des marchands (on constate en 1454 qu’en raison du délai de livraison des pièces frappées l’or va de préférence à Ferrare), on procédait au paiement après ultime vérification des registres224.
L’affinage de l’argent à Venise d’après la comptabilité Condulmer
92Dans la mesure où les archives de la Monnaie et les comptes des différents offices économiques ont disparu pour la période considérée, les comptes d’un fondeur, échelonnés entre 1388 et 1412, sont une source de grand prix par les aperçus qu’ils fournissent sur le fonctionnement de l’Office, mais aussi sur l’approvisionnement de Venise en argent225. Cette comptabilité permet de démonter le mécanisme du dépôt obligatoire du « quint » sur l’argent affiné à Venise et de suivre le rapport que joue Guglielmo Condulmer entre ses clients et l’Office de l’argent.
93Les carnets de Condulmer n’enregistrent que des quantités de marchandise en poids et ne donnent que de manière épisodique des indications sur le cours de l’argent. Le fondeur désire faire le point régulièrement sur l’argent qu’il a en stock, sur ce qu’il peut vendre, afin d’être en mesure de fournir, au moment où la Monnaie le lui réclamera, le « quint » sur l’argent affiné ; d’où les rubriques récapitulatives : « ce que j’ai en main », « ce que je dois à la Monnaie ». Ont disparu les comptes d’achat et de vente du métal précieux, que Condulmer devait tenir avec le même soin : pourquoi ces carnets, et eux seuls, ont-ils subsisté dans le dossier de la « commissaria », c’est-à-dire de la succession ? Il est probable que ce sont des raisons judiciaires qui ont amené les procurateurs de St. Marc, administrateurs testamentaires, à conserver ces éléments du dossier. Une autre comptabilité, datant des mêmes années et provenant du même fonds, celle de Pietro da Bernadigio226, aide à comprendre comment la liquidation testamentaire d’un orfèvre et négociant en métaux précieux a pu amener les commissaires à intenter une action contre les affineurs de la Monnaie ou inversement les affineurs à réclamer le paiement de leur travail. Mais à la différence de la comptabilité Condulmer, conservée comme pièce à conviction, la comptabilité tenue par les procurateurs de St. Marc, exécutant le testament de Bernadigio à partir de 1397, concerne uniquement la liquidation au jour le jour des biens du défunt. C’est dans cette dernière comptabilité qu’apparaît la seule information retrouvée sur la personne de Condulmer en dehors du dossier de sa propre « commissaria » : une somme payée pour fourniture à Bernadigio d’une paire de balances et de poids. Rien n’indique formellement que les carnets Condulmer aient revêtu le caractère officiel et contraignant d’une comptabilité imposée selon les règles de l’Office de l’argent ; il est cependant probable que Guglielmo Condulmer a rédigé lui-même carnets et récapitulatifs sur feuilles volantes utilisés ou présentés à la confrontation avec les comptes des officiers. L’ensemble des calculs est comme un reflet du compte public auquel était soumise la fourniture du « quint ».
94L’analyse des comptes laisse à penser que si la comptabilité commence en 1388, Condulmer a pu succéder dans ses rapports avec la Monnaie à un certain Zanin Betanio. C’est de 1402 que datent les premières fiches récapitulatives portant sur le total affiné et les quantités envoyées à la Monnaie au titre du « quint » entre 1388 et 1402 ; une seconde série de récapitulatifs couvre la période 1402-1413, l’année 1413 connaissant une très faible activité, après liquidation de solde : c’est en effet en décembre 1411 que se place une déclaration solennelle d’apuration des comptes par confrontation avec les registres de l’Office de l’argent. Étant donné leur nature, ces comptes ont été régulièrement vérifiés, mais Condulmer faisait le point de sa situation de deux manières : à partir de 1389, le dernier jour de chaque mois, pour savoir s’il était débiteur ou créancier de la Monnaie : le 31 mars 1398, il s’est rendu à l’Office du Poids et y a énoncé les comptes de l’année écoulée et il est possible qu’il ait opéré cette confrontation à la fin de chaque année. Par ailleurs, on trouve des mentions d’« accords », c’est-à-dire d’un examen pluriannuel, avec les officiers de la Monnaie : ainsi, le 10 janvier 1404, pour « ogni rason del tempo passado », où il est question d’une erreur à son détriment ; le 28 février 1405, où il s’est entretenu avec les « Seigneurs de la Monnaie » sur 53 lingots d’or qu’il a traités ; le 2 janvier 1411, où face à Fantin Morosini, Daniel da Canal et Tomado da Ca’ delle Fontane, les trois « massari all’arzento »227, la déclaration ressemble à une liquidation définitive (« in fina el di dito di sera son romaxo dachordo… »).
95Si l’on examine la disposition des comptes, on constate un regroupement par opérations : achat et présentation (« chomprie et aprexentie »), production du four (« traxi »), dépôt du « quint » (« missi »), enfin, ventes (« vendie »). Ces quatre sections se retrouvent dans tous les carnets et sont suivies par un compte récapitulatif mensuel. Les années 1406-1410 sont réunies dans un même carnet relié, où la présentation est devenue parfaitement claire : le perfectionnement des écritures, au niveau modeste où elle se trouve, se situe à l’apogée de l’entreprise : c’est en 1406 que se place le sommet de la courbe de production. La comparaison est intéressante avec les comptes antérieurs et postérieurs : on entrevoit comment s’engage et comment se liquide une affaire qui a duré 25 ans ; les feuilles volantes des années 1388/1389 forment une préface plutôt désordonnée ; les comptes prolongent à partir de 1411 une activité ralentie, tandis qu’apparaît la figure d’un probable successeur dans l’atelier qui envoie à la Monnaie au titre du « quint » une cinquantaine de marcs au moment où Condulmer interrompt ses écritures : rien dans l’inventaire après décès de sa maison ne permet d’y retrouver trace de ses anciennes activités et comme il est mort une douzaine d’années après la liquidation, il est raisonnable de penser qu’il avait cédé à Oliveto di Pexina ses installations et ses fonctions.
96Le testament et l’inventaire après décès permettent de prendre la mesure d’un « provincial », enraciné à Mestre et Trévise, qui possède à la fin de sa vie un honorable train de maison à Venise. À la différence de son cousin au 5° degré, le pape Eugène IV, il n’appartient pas à la branche anoblie de la famille et figure dans l’arbre généalogique des Condulmer, établi au XVIIe siècle, comme « batiauro ». La tradition généalogique n’est pas nécessairement convaincante, mais rien dans ce dossier n’autoriserait à le qualifier de banquier228 : c’est à partir des comptes que l’on peut tenter de situer le personnage et son entreprise dans ses relations entre une clientèle privée et un office public.
97La rubrique des achats d’argent fait apparaître une juxtaposition entre des achats effectués pour son compte (« per mi ») et d’autres effectués pour le compte de tiers. Ou bien Condulmer était un sous-traitant, chargé d’acheter pour le compte de la Monnaie dans une période de pénurie d’argent, en utilisant un réseau de clientèle locale et étrangère, dans laquelle on retrouve des Allemands : les carnets conservés ne concerneraient qu’une partie de ses activités dans le champ plus vaste du commerce des métaux précieux ; ou bien, Condulmer n’était pas seulement fondeur d’argent : la désignation mémorielle de « batiauro » serait à rapprocher d’une mention, citée plus haut, de lingots d’or qu’il a traités en 1405. N’aurait-il pas rendu comme « partior » les services que son contemporain, Piero da Bernadigio, rendait à des clients importateurs d’argent aurifère ? Un texte des « Welthandelsbraüche » du début du XVIe siècle expliquait à l’Allemand arrivant à Venise que s’il voulait faire fondre des lingots où or et argent étaient mêlés selon des proportions variables, il pouvait avoir intérêt, selon les cours, à faire opérer cette fusion avant de vendre séparément l’argent et l’or229. Condulmer entrerait donc dans la catégorie particulièrement surveillée des fondeurs, qui sont amenés, à raison du « quint » sur l’argent, à travailler sous le contrôle de la Monnaie, tout en assurant à sa clientèle, dans laquelle figurent de nombreux orfèvres, la séparation de l’or et de l’argent. À la différence des achats, qui portent pour son propre compte ou celui de ses clients sur des quantités extrêmement variables, de quelques onces à quelques centaines de marcs, les ventes portent sur des quantités uniformes ou des multiples de l’unité moyenne qui sort du four, le lingot qui pèse entre 20 et 25 marcs (6 à 7 kg à l’aloi de Venise). Rares sont les vendeurs que l’on retrouve dans la catégorie des acheteurs ; cependant, de temps à autre, un client apporte des quantités très faibles d’argent et, le jour même ou quelques jours plus tard, rachète à Condulmer un ou deux lingots traités, comme s’il avait voulu ajouter à son achat des débris d’argent provenant d’argenterie ou de monnaies hors de cours. Ainsi, le 15 mars 1402, Condulmer achète et présente pour son propre compte monnaies, grenaille et « chadia francha » (déchets de fusion qui ne sont pas soumis au « quint »), le tout compté pour 3 marcs. Il achète le lendemain 25 marcs de « chadia » à Francesco di Nasiben et lui revend le même jour un lingot de 23 marcs, effectuant pour ce personnage qui est l’un de ses partenaires assidus le lingot qu’il désirait compléter.
La matière première
98Les formes que prennent les achats éclairent quelque peu sur la provenance des quantités d’argent qu’il traite. Elle se compose d’abord de monnaies, vénitiennes qui n’ont plus cours, ou étrangères : monnaies carraraises en 1388, liées à l’origine padouane de ses plus anciens clients ; monnaies hongroises et bohémiennes, comme les « bragali », pièces d’argent de Prague apportées par des Allemands ; enfin, aspres, monnaies de Trébizonde ou de Caffa. Mais la proportion la plus forte est celle de l’argent non monnayé : parfois des barres de petite dimension (« verge »), mais le plus souvent grenaille (« rotame ») parfois « dorao » (vermeil), « bruxado », produit de fusion, « chadia » non soumis au « quint », « romaien », sans doute restes de fusion. À partir des années 1400, apparaissent dans les carnets de Condulmer les mentions de produits, à l’achat, comparables à ceux qui sortent de son four : « peze di bola » et « peze da oro », masses ou lingots, au poids inférieur à celui, à peu près uniforme, des lingots produits par Condulmer et enregistrés à part comme « arzento francho », probablement au titre de Venise, mais qui ne peut être soumis une seconde fois au « quint ». Cet argent métal est vendu au fondeur par un nombre réduit de clients, dont un certain nombre d’orfèvres et de banquiers. Plusieurs d’entre eux sont des Padouans, comme Antonio di Jacomello, maître de la Monnaie de Padoue en 1398 et dont le frère, Milan, se retrouve en compagnie de Gualterio Portinari, parent d’Antonio, représentant de la compagnie Vieri de’Medici à Venise, dans les mines slovaques230. C’est plus la qualité de ces personnages que l’importance de leurs transactions qui indique une piste, celle du rôle d’intermédiaire que Condulmer a pu acquérir entre le public et l’Office de la Monnaie dans le traitement de certaines qualités d’argent fortement mêlé à l’or. Un seul Vénitien notable apparaît dans ces comptes spéciaux, un personnage avec lequel Condulmer est en relation d’affaires de manière constante ainsi qu’avec d’autres membres de la même famille à qui il achète de l’argent : ce Zan Barbarigo lui vend d’un coup 250 marcs d’argent « francho ». Pourquoi Condulmer qui sort de son four des « peze da bola » achèterait-il de l’argent « francho » si ce n’est pour en extraire l’or qu’il doit revendre à part et qui ne figure pas dans cette comptabilité du « quint » de l’argent ?
La clientèle
99L’un des intérêts des carnets de Condulmer est de fournir des indications précieuses sur les fournisseurs d’argent et, par extension, sur le marché vénitien. Si on analyse les 600 noms qui passent et reviennent dans ces colonnes, on constate que la majorité d’entre eux passe sans retour ; les fournisseurs occasionnels sont plus nombreux et pour des quantités réduites que des clients fidèles ; si en revanche on s’attache à cette minorité, on est frappé par les fréquences et par les séquences. Le premier intérêt des séquences est de faire sentir les oscillations saisonnières du marché vénitien, même si l’on ignore si Condulmer achète et si ses fournisseurs lui vendent en période de restriction ou d’abondance ; second intérêt, à partir du fichier d’une clientèle, la présence de groupes d’étrangers liée aux mouvements majeurs qui scandent la vie économique de Venise, qu’il s’agisse des habitudes du trafic transalpin ou du rythme des convois de galères vers l’Orient. Quant aux fréquences, elles permettent de voir, année après année, comment se maintient, s’accroît, se modifie la clientèle de Condulmer.
100Si l’on recense les fournisseurs de Condulmer dans les années 1388-1390, on constate la part de la Terre Ferme dans l’approvisionnement de l’atelier, comme si, venu lui-même récemment à Venise, il n’exerçait son métier que grâce aux liens étroits conservés avec le bas-Frioul (Pordenone, Portogruaro, Spilimbergo), Trévise et surtout, Padoue. Les Padouans appartiennent à deux groupes sociaux que l’on est tenté de distinguer, les membres de la colonie juive, comme Bonaventura, à qui il achète grenaille et résidus d’argenterie à refondre ; et l’entourage des frères Milan et Antonio di Jacomello : le second, maître de la Monnaie de Padoue231, achète régulièrement à Condulmer à partir de 1390 et jusqu’en 1410 des lingots affinés de 20 à 30 marcs, le premier, réputé débiteur de la comtesse de Modruza et Veglia, voit ses biens en Hongrie séquestrés après la guerre de Chioggia en même temps que ceux de ses « associés », Vieri de’ Medici et C°232. En 1391 apparaissent pour la première fois dans les comptes des importateurs allemands et slaves : un marchand de Prague, un de Salzbourg, un de Passau, puis des marchands de Raguse, en particulier un Simon de Lapazin, qui dans la dernière semaine d’août 1391 vend à Condulmer 870 marcs d’argent, la plus grosse vente que l’on trouve dans l’ensemble des carnets ; le « quint » est livré le jour même à la Monnaie.
101Une lacune des comptes entre 1393 et 1397 rend soudain sensible un changement dans les activités et les relations de Condulmer : d’abord, la disparition des provinciaux voisins, comme les Juifs de Padoue ; dans le secteur germanique de la clientèle, l’apparition éphémère de fournisseurs désignés par leur seul prénom va de pair avec la continuité des villes d’origine, Salzbourg, Vienne et Prague, cette Europe de l’Est qui n’a pas encore partagé sa prééminence avec les Allemands du Sud ; mais Nuremberg est représentée par trois noms désormais associés dans les affaires de Venise comme ils le sont dans les districts miniers d’or et d’argent de Pologne subcarpathique et de Slovaquie hongroise : Granetl, Kress et Pirckheimer233. Autre provenance qui s’affirme, le débouché de la Bosnie et de la Serbie, attestée par la mention de plus en plus fréquente à l’extrême-fin du XIVe siècle d’« arzento de oro », c’est-dire de l’argent de Srebenica, exporté vers Venise, comme le montrent les comptes des frères Caboga de Raguse234.
102Dans les années qui suivent et jusqu’à la fin des comptes, entre 1403 et 1413, la liste des clients à l’« amont » et à l’« aval » de Condulmer confirme les tendances qui s’étaient manifestées depuis le début du siècle. En ce qui concerne les acheteurs, les fidélités se surajoutent ; aux noms déjà connus, comme ceux de Jacomello, s’adjoignent de nouveaux clients, de toute évidence des artisans du métal de Padoue et de Trévise auxquels Condulmer fournit la matière première. Mais des clients fidèles sont aussi des fournisseurs de monnaies et de grenaille, tel ce « ser Marcho marzer » qui dans la seule année 1391 apporte près du tiers des postes et que l’on retrouve jusqu’en 1408 dans les comptes ; ces « provinciaux » jouent sans doute un rôle de relais dans l’approvisionnement germanique diffus de l’arrière-pays. Les villes proches de Venise sont désormais liées au destin politique et économique de la Dominante et, au-delà du cas individuel du fondeur, leur retour régulier dans les comptes témoigne de la vitalité d’un arrière-pays qui s’étend progressivement aux collines et aux montagnes jusqu’aux confins du monde germanique. Si l’on porte les regards au Nord des Alpes, il est certain que l’affirmation de Nuremberg n’a pas nui au développement général des liens entre Venise et les villes autrichiennes et danubiennes. Passau, Salzbourg que l’on n’apercevait plus guère dans les années 1400 paraissent revivre de l’osmose nurembergeoise qui les entraîne, encore sous leur propre nom : Vienne, Cilli, Judenburg, mais aussi la Bohême et les marchands qui se disent et sont appelés à Venise « hongrois ». Parmi les acheteurs de Condulmer, deux noms connus apparaissent en 1404 pour la plus grosse vente enregistrée d’un coup : 623 marcs pour Nicolo Muazzo et Francesco Amadi agissant ensemble : c’est la période d’essor et de splendeur pour les affaires des frères Amadi, étroitement liés avec des importateurs nurembergeois de métaux précieux, en particulier la famille Kress et leur représentant à Venise, Wilhelm Rummel235. La société avait sans doute besoin de quantités importantes d’or et d’argent métal à investir dans le tissage de soie brochée et il est probable que les Amadi s’approvisionnaient directement auprès de leurs amis d’affaires ; leur apparition dans ces comptes, tout occasionnelle, peut s’expliquer par l’urgence d’une commande, mais aussi par la nécessité de passer par un « partiauro » pour séparer or et argent d’une livraison. Ce qui est plus nouveau dans la clientèle de Condulmer, c’est l’apparition de Cologne par le biais d’un marchand d’origine italienne dont la famille s’est fixée à Cologne au milieu du XIIIe siècle : « Chobelin da Cologna », trop heureux de pouvoir retirer sans amende l’argent « faux » qu’il avait présenté en 1407 à l’Office du Poids, annonce la forte poussée rhénane en direction de Venise dans la première moitié du XVe siècle.
103Enfin, dans le secteur slave, les grandes sociétés de Raguse sont toutes représentées, des nouvelles comme celles des Gozzo, da Sorgo, Nadal, à côté des di Bona, Luchari, di Gradi, Gondola236. Mais comme pour la haute-Allemagne, le commerce de l’argent ne passe pas par des mains exclusives, ou plutôt la prépondérance d’une ville ou d’un groupe laisse encore sa chance, voire rend service à d’autres villes ou d’autres groupes : Split, Zara, Sibenico figurent à côté de Raguse dans les comptes Condulmer, comme les villes du Danube à côté de Nuremberg : dans la première décennie du XVe siècle, des Nurembergeois inconnus font leur apparition dans le sillage des grandes sociétés et de nouveaux centres apparaissent comme Ulm ou Augsbourg.
104Entre 1405 et 1410, le poids d’argent traité par Condulmer oscille entre 2500 et 4000 marcs par an, la part des Nurembergeois s’élevant dans les années 1400 aux 4/5° de l’apport haut-allemand et Granetl fournissant encore à lui-seul en 1409 les 3/4 des 300 marcs germaniques. Dans les dernières années, la part explicitement attribuée aux Allemands et aux Slaves conjoints demeure stable (1100 à 1 300 marcs), mais l’équilibre des deux groupes se modifie, la part des Allemands déclinant tandis que progresse en pourcentage celle des Ragusains. Au moment où se terminent ces comptes, la situation générale de l’approvisionnement en argent est différente de ce qu’elle était dans les années 1380 et reflète sans doute une conjoncture du marché des métaux précieux, même s’il faut se garder d’inférer d’une comptabilité isolée à une description précise des courants d’approvisionnement. Il demeure que tout en continuant à commercer avec des artisans de Venise et de la Terre Ferme qui alimentent son stock de monnaies et de grenaille, Guglielmo Condulmer doit à l’ancienneté de ses relations professionnelles avec la Monnaie de Venise ses contacts avec des marchands haut-allemande et ragusains qui le font entrer dans le cercle des grandes entreprises de métaux précieux de son temps. L’évolution de ses affaires pendant ces 25 ans est portée par les tendances profondes d’un des plus grands marchés de métaux précieux d’Europe, admirablement situé entre les mines et les consommateurs, plus proches en définitive des premières que des secondes si l’on pense que les lingots traités par Condulmer avaient quelque chance d’être embarqués vers une aventure orientale.
Les rythmes d’approvisionnement en argent
105La fuite de l’argent vers l’Orient est une donnée constante de la vie économique depuis l’instauration du bimétallisme et, même si les rapports entre la valeur de l’or et celle de l’argent se sont quelque peu stabilisés en Occident et en Orient depuis le milieu du XIVe siècle237, des crises récurrentes d’approvisionnement du marché vénitien dans l’un ou l’autre métal sont liées au tarissement ou au renouveau des courants, à des événements politiques proches ou lointains, mais surtout à des rapports spéculatifs d’un marché à l’autre : il ne s’agissait pas seulement d’équilibrer sur des axes majeurs la balance des échanges entre Venise et la Méditerranée orientale, mais encore de profiter au mieux des avantages suscités par l’inégalité de la demande entre les places238. La créance, la nouvelle, le risque commandent l’attitude des hommes d’affaires et contraignent à l’action les pouvoirs publics. Or les Allemands occupent dans ce jeu à grande échelle une position centrale : leur connaissance du marché leur donne l’assurance, voire la présomption, d’être plus que tous autres importateurs capables d’influer sur les prix. Deux exemples en donnent l’illustration à cent ans de distance, encadrant le tableau d’une pression constante sur leurs interlocuteurs et clients vénitiens. En avril 1380, quelques marchands du Fondaco, venus selon l’usage vendre de l’argent aux enchères (ad campanellam) et constatant qu’on ne renchérit pas sur l’offre, préfèrent aller sur une autre place239. En janvier 1491, un des principaux marchands allemands à Venise, Hans Paumgartner, se plaint officiellement de ne pouvoir trouver d’acheteur à un prix convenable pour l’argent qu’il importe et qu’il souhaite réexporter ; le Collegio lui rappelle ironiquement que la variation des cours impose au vendeur d’adapter son prix aux conditions du marché240.
106Comment maintenir les rythmes d’approvisionnement et éviter que le courant métallique se détourne du marché vénitien, comment favoriser l’affinage à Venise et lutter contre l’importation de monnaies étrangères qui mine la primauté du ducat, comment lutter contre l’imitation frauduleuse : autant d’obligations pour les Conseils et les commissions de spécialistes qui en émanent au cours des XIVe et XVe siècles. Dans les textes qui encadrent le marché de l’argent au milieu du XIVe siècle il va de soi que l’approvisionnement est en priorité germanique puisque les acheteurs sont bannis du Fondaco pendant cinq ans s’ils entrent dans la chambre d’un marchand sans courtier ou conduisent un Allemand dans leur maison ou leur magasin241. Si l’on suit, au fil du temps, les mesures prises ou recommandées par les Conseils pour assurer un approvisionnement constant et régulier de métaux précieux, elles ciblent toujours au premier chef les importations par le Fondaco et tentent d’offrir aux marchands les conditions les plus favorables : la concurrence entre les places et les menaces allemandes de délaisser le marché vénitien entraînent des diminutions de taxes. Ainsi en 1380/1382, les Allemands se plaignent de la faiblesse des enchères sur l’argent, que le Sénat met sur le compte du manque de monnaie d’or frappée ; lorsqu’elle abonde, au milieu du XVe siècle, ce sont des pièces étrangères, surtout des florins hongrois, qui circulent, mais aussi des contrefaçons et dans les années 1470, on ne frappe plus de ducats à la Zecca à cause des taxes trop élevées sur l’or, qui se détourne de Venise. Le flux constant d’argent et d’or qui irrigue le Moyen Orient est déterminé par une conjoncture : celle de la fourniture à la marque de Venise, pièces ou lingots selon les moments et les occurrences, et l’on voit revenir sur les galères des métaux précieux rapatriés en raison de leur surabondance par rapport aux capacités des marchés arabes, les frais de retour étant préférés à une vente à un prix trop bas242.
107Dans la première moitié du XIVe siècle, les importateurs allemands de métal sont repérés dans les sources vénitiennes sous l’angle de la contravention et de la grâce : un sac de monnaie, quelques barres d’or ou d’argent présentées trop tard, mises de côté chez un ami d’affaires, dissimulées dans une balle : des explications embarrassées, la présomption de culpabilité : officiers et contrôleurs font valoir que le prévenu connaissait les usages et la grâce accordée n’en est que plus généreuse. Mais la contravention révèle la régularité d’un flux, fait d’apports parfois modestes. Au fil du temps, les quantités de métaux précieux affluant vers Venise augmentent, jusqu’à représenter près de 40 000 marcs d’or par an vers 1420, soit une valeur de 230 000 ducats, tandis que la Monnaie frappe des monnaies d’argent pour une valeur de 800 000 ducats ; en 1497, on a calculé que les galères d’Alexandrie ont chargé plus de 12 tonnes métriques de pièces243 ; l’identité des importateurs s’évanouit dans les sources de l’administration publique : le commerce au long cours a pris un rythme de croisière, les petits trafiquants connaissent les usages et la fourniture d’or et d’argent est devenue l’affaire de sociétés installées dans les meilleures chambres du Fondaco. Les textes officiels relatifs aux conditions du commerce sont communiqués aux « quatre ou cinq marchands allemands » qui monopolisent l’approvisionnement244 et dans la mesure où les grandes compagnies ont des comptes courants dans les principales banques vénitiennes, ce sont les sources comptables et les décisions de justice qui, au XVe siècle, font apparaître l’importance des masses de métaux précieux qui affluent sur le marché de Venise.
108Dans ces conditions, évoquer les pratiques matérielles de l’échange permet de situer le niveau économique et social des transactions ; disons, sans surprendre, qu’il s’étend du champ manuel à l’immatériel. On a vu plus haut la traversée de Venise par des sacs de monnaie si lourds qu’il faut s’y prendre à deux fois pour les transporter de Cannaregio à la place St. Marc245. Voici le cas d’un Viennois qui, en 1375, ayant vu chez un artisan vénitien des soieries et qui, attendant une réponse de son patron pour faire l’achat, demande à l’artisan de mettre en sûreté les trois barres d’agent qu’il a amenées pour ses achats ; en 1343, un marchand de Ratisbonne, connaissant parfaitement les usages vénitiens, mais pressé par la maladie, met en dépôt 370 florins chez le changeur, Filippo Marmora, afin qu’ils soient en sûreté : l’expression est la même, la contravention est justiciable de la même peine, mais le premier est un commis sans expérience, le second fait confiance à la banque246. Le chemin est ouvert qui va du dépôt de précaution à l’investissement. Dans les deux cas, il s’agit d’écriture (scribere). L’or ou les monnaies disparaissent de la vue dans les épaisseurs du papier.
109L’institution bancaire, qui passe du change des monnaies au service d’une clientèle, n’a pas aboli la manipulation des espèces ; elle l’accompagne : comment s’acquitter d’une dette lorsque la somme est très élevée et qu’on ne dispose pas d’un compte bancaire ? En 1390, Konrad Segelbach de Constance s’engage envers Nicolo Morosini et Francesco Amadi, à qui il doit 1100 ducats, à faire parvenir à eux-mêmes- ou à leurs héritiers- tous les six mois une cinquantaine de florins bon poids247. En 1410, pressé par ses créanciers vénitiens, dont Francesco Corner, fils du doge défunt, un marchand de Breslau fait adresser à Venise par un de ses commis, en premier acompte, dix barres d’or à différents carats248. Mais l’écriture, privée ou bancaire, accompagne les transactions et la confiance entre Allemands et Vénitiens est tributaire du document : Johannes apothicarius d’Augsbourg déclare par une cédule qu’il reste débiteur d’un Vénitien (remansi obligatus) pour 280 florins d’or ; qu’il lui laisse une déclaration écrite de sa main et confirmée par son cachet (feci vobis unam cartam cum manu mea, apposui sigillum meum) ; et le courtier, au vu de la cédule, reconnaît sous serment les écritures de son client allemand (dixit sacramento quod scripte erant cedulae manu dicti Johannis apothicarii nominati in ipsis)249. Un second cas fait apparaître le banquier-changeur, Cristoforo Zancani, qui siège à St. Marc et c’est le registre qui fait foi ; un Viennois, Johannes Rocho, qui ne sait lire ni l’italien ni le latin, a besoin d’assistance ; en compagnie de deux de ses connaissances, il se rend place St. Marc pour confronter les écritures du banquier avec celles de son père, rentré à Vienne. Cristoforo Zancani va chez lui et en revient avec une simple feuille de parchemin ; les quatre hommes s’installent au bureau du changeur, découvrent des discordances, que les témoins prennent en note ; la confrontation était utile, car il résulte de l’examen que si le Viennois veut liquider son compte, le banquier lui doit 73 livres de gros pour tout reste250.
110De nombreux exemples de règlements font apparaître le rôle que jouent au XVe siècle les banques vénitiennes dans les rapports entre marchands. Prenons l’exemple des comptes Barbarigo. Les Allemands avec lesquels l’homme d’affaires est en rapports étroits, qu’il s’agisse de coton, de métaux ou de draps, règlent leurs transactions par l’entremise de la banque « Francesco Balbi e fratelli », active à partir de 1430. Le cas le plus simple est celui d’un paiement de coton d’Acre par Jacob Auer de Nuremberg « per conto del bancho » ; la formule est plus précise, lors de l’achat de coton par les frères Mendel de Nuremberg, lorsqu’elle mentionne une écriture au nom de la raison sociale de la banque (« scrito in nome de miser Francesco Balbi e fratelli »). L’écriture devient plus complexe lorsqu’elle fait apparaître une vente « a barato », que le nom du courtier figure dans le compte parce que le marché (« mercha ») a été établi par écrit au nom du banquier, ou lorsqu’un tiers, Heinrich Hirschvogel, probablement titulaire d’un compte, s’engage au nom de Hans Gruber de Nuremberg vis-à-vis de Barbarigo pour une partie de la somme dûe ; dernier exemple, celui par lequel Wilhelm Greminger d’Augsbourg paie en 1435 le coton d’Aman acheté à Barbarigo en deux fois : la première fois par 38 marcs d’argent fin et, en février suivant, par un transfert de fonds du compte de Georg Mülich, son compatriote, sur son propre compte à la banque Balbi251. Les comptes enregistrés facilitaient les opérations commerciales, qu’il s’agît de transactions ou de crédit, mais le marché vénitien offrait en outre la possibilité de se constituer un fonds d’investissement, opportunité d’un rendement sans doute inférieur à nombre d’opérations spéculatives mais assuré de 6 % ; nombre d’étrangers ont souhaité acheter des « imprestita », les obligations garanties par l’État : après avis motivé et favorable des Proviseurs de la Commune, plusieurs marchands allemands, connus des autorités pour leur présence régulière à Venise, ont ainsi reçu l’autorisation d’investir. Voici un marchand de Salzbourg, Ulrich Somer, qui achète 12 000 ducats d’ » imprestidi » en 1409 au nom du bourgmestre, du directeur de l’hôpital et de la Commune de sa ville : il indique qu’il entend en tirer profit dans l’intérêt des œuvres pieuses (utilitatem), mais aussi d’avoir ainsi des disponibilités sur place et pouvoir donner des ordres de paiement (disponere et ordinare)252. En somme, sans que disparaissent jamais les transactions en espèces ou en lingots, le monde des affaires vit d’écritures et de transferts de compte à compte et les marchands allemands ont parfaitement adopté les pratiques de leurs principaux clients et fournisseurs. Ainsi, lorsque Hans Keller arrive à Venise en août 1489 pour le compte de son patron Ludwig Rottengater d’Ulm, il trouve des sommes mises à sa disposition à la banque Lippomani par plusieurs maisons de haute-Allemagne qui y ont un compte courant : avances, règlements, transferts, ces sommes proviennent d’Augsbourg par le canal des Vöhlin, des Besserer, des Fugger représentés à Venise par leurs commis ; à ces effets bancaires s’ajoutent des liquidités : son patron lui a donné comptant 218 ducats et 70 florins rhénans qu’il change aussitôt sur place253. Lorsque les frères Stammler d’Augsbourg se trouvent en 1501 en cessation de paiement pour 3 770 ducats face à une longue série de créanciers vénitiens, l’accord conclu entre les parties, ratifié par le Sénat, les engage pour 12 ans à verser par tranches régulières soit des sommes en liquide soit des assignations sur l’Office du Sel, ce qui suppose qu’ils y ont constitué un compte254. L’étroitesse des relations entre les hommes d’affaires allemands et les représentants des banques vénitiennes est attestée, par exemple, par le fait que les Allemands qui livrent à l’État en 1495 80 miers de cuivre pour l’Arsenal demandent à être payés en deux termes par Andrea de Garzoni : l’avance consentie par la banque est couverte par la garantie des décimes et des dépôts à l’Office du Sel ; autre exemple, Zuan Baptista de Garzoni, fils d’ Andrea « del banco », intervient au Collegio en 1498 pour faire payer leur dû aux mercenaires suisses par l’entremise d’Anton Welser, « todesco de fontego » ; c’est le même personnage qui est l’avocat des Allemands lors des faillites Garzoni et Lippomani de 1499 : les Allemands sont alors victimes à la mesure des sommes qu’ils ont déposées à Venise ; en 1499, ils ont perdu d’un coup 30 000 ducats, dont 10 000 sur la banque Lippomani. Pourtant, malgré le risque, la confiance est à la mesure des intérêts en jeu : lorsque les Garzoni décident au bout de 8 mois de rouvrir leur établissement (relevare bancum suum) avec un capital de 50 000 ducats, les Fugger apportent aussitôt 10 000 ducats hongrois255 : la nouvelle banque fit à nouveau faillite au bout de 6 semaines, ce qui provoqua un long conflit entre les liquidateurs et les garants : les banquiers avaient beau jeu d’imputer leurs difficultés de trésorerie aux créances impayées qu’ils avaient dû consentir à l’État256.
111De manière générale, qu’il s’agisse d’argent ou de cuivre, la présence allemande à Venise est tellement enracinée qu’elle s’imbrique à tous les niveaux du marché. Ce qui change entre XIIIe et XVe siècle, c’est la progressive familiarité des marchands avec les usages du commerce vénitien, puis l’implication des importateurs dans les mécanismes de l’État. Des grâces consenties à des contrevenants dont les besaces sont remplies de pièces et de lingots, on passe, dans la documentation officielle, à des conventions conclues avec des hommes d’affaires ou avec leurs villes d’origine. Les conflits personnels qui portaient au XIVe siècle sur de simples échanges de marchandises et leur mode de paiement sont, au cours du XVe siècle, remplacés par des règlements de faillite, qui mettent en question les relations entre les acteurs, les banques et la puissance publique : le niveau économique et social des transactions sur les métaux, monopolisées par quelques firmes, oriente la politique monétaire, fiscale, diplomatique de l’État et influe, en particulier, sur les affaires au long cours du commerce d’Orient257.
Notes de bas de page
1 Cf. F. Melis, Documenti per la storia economica dei secoli XIII-XVI, Florence, 1972, en offre de beaux exemples tirés des fonds de Prato et de Venise, par exemple p. 314- 320.
2 A.S. Piccolomini (Pie II), De viris illustribus, Stuttgart, 1843 (BlV, 1), I p. 65 : Quia Teutonici carere aromatibus non poterant, (rex) ordinaverat duas esse vias aromatibus…
3 W. von Stromer, Die Gründung der Baumwollindustrie in Mitteleuropa, Wirtschaftspolitik im Spätmittelalter, Stuttgart, 1978 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 17).
4 Les Allemands viennent à Venise « per achatar le specie e i gotoni » : Il Codice Morosini, éd. critique par A. Nanetti, 4 vol., Spolète, 2010, t. I, p. 407, n° 565 (mars 1411).
5 Équation toujours valide au XVI° siècle : cf. le titre de l’ouvrage de M. Kalus, Pfeffer-Kupfer Nachrichten. Kaufmannsnetzwerk und Handelsstrukturen im europäisch-asiatischen Handel am Ende des XVI. Jahrhunderts, Augsbourg, 2010 (Materialien zur Geschichte der Fugger, VI).
6 Autre exemple : Staatsbibliothek München, Cod. Germ. 4032, ff. 60-61 : pour 100 livres poids (petit et grand poids) de Venise, les équivalences sur les places d’Outremont, de Vienne à Augsbourg et de Nuremberg à Cologne et Anvers. Ce texte, très complet sur tous les aspects métrologiques de la pratique commerciale, date du milieu du XVIe siècle.
7 H. Klein, Beschlagenes Gut, dans VSWG, XL, 1953, p. 317-337.
8 Welthandelsbräuche (1480-1540), éd. K. O. Müller, Stuttgart-Berlin, 1934 (Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, V), p. 189 : on établit la taille des toiles et le poids des cordages selon le volume des balles : ainsi, pour une balle composée de dix sacs de gingembre ou de poivre, « brucht man dazu plachen so man zwei mal einnet ellen 30 gross strick l. 34 ».
9 O. Stolz, Quellen zur Geschichte des Zollwesens und Handelsverkehrs in Tirol und Vorarlberg vom 13. bis 18. Jahrhundert, dans Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, X, 1955, p. 87 : « ganz gut : wollpallen, was in woll eingepunden von spezerey, goldstugk und seiden ; halb gut : malvasier, saiffen, glas, puecher, presil, nicht in wollgepunden ».
10 H. Hassinger, Geschichte des Zollwesens, Handels und Verkehrs in den östlichen Alpenländern vom Spätmittelalter bis in die zweite Hälfte des 18. Jahrhunderts, dans Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, XVI, 1987, p. 572 : tarif douanier de 1425.
11 H. Hassinger, o. c., p. 508.
12 J. C. Hocquet, Weights and Mesures of trading in Byzantium in the Later Middle Ages. Comments on Giacomo Badoer’s Accountbook, dans Kaufmannsbücher und Handelspraktiken vom Spätmittelalter bis zum beginnenden 20. Jahrhundert, Stuttgart, 2002 (VSWG, 163), p. 91-92 et 96, souligne à juste titre que le contenant, en particulier le tonneau, comporte selon sa taille un nombre variable d’unités de produits fabriqués, par exemple, 150 masses dans un baril de fil de fer ou 128 barres ou plaques dans un baril de cuivre ; il rappelle aussi que sur un bateau l’espace mesuré impose une limite aux tonneaux et aux balles. Cf. aussi F. C. Lane, Cargaisons de coton et réglementations médiévales contre la surcharge, dans Revue d’histoire économique et sociale, 15, 1962, p. 21-31 ; J. Coornaert, Les Français et le commerce international à Anvers, Paris, 1961, II, p. 200, notant l’extrême diversité des emballages selon les produits, parle de véritables « fourre-tout ». Les emballages sont parfois mal conçus ; ainsi, du soufre mis dans des caisses, qui pèsent beaucoup trop lourd, soit le quart de la marchandise : on vend les caisses et on remballe en « fardi ». On a aussi le cas de bassines de cuivre, arrivant d’Allemagne à Venise, mal empilées dans des balles que l’on doit transférer dans des caisses pour que les anses ne se cassent pas pendant le transport sur le navire : ASV, Proc. S. Marco, Misti 43, 139-140 et 160-163 (1500/20/ VII et 12/VIII).
13 Si I, 498 : trois balles de laine contenant 14 sacs (1465/27/VII) ; ASV, Proc. S. Marco, Misti 43, 239 (1504) : dal numero de choli el manchava 1° cholo ; fo dito del cholo chera sacho picholo ; si doveva resachar quel cholo ».
14 Cf. H. Ziegler, Metrologische Normen im Mittelalter. Die Saumlast als zwangsmässiger Standart für Flüssigkeitsmasse, dans Acta metrologiae historica, Linz, 1985, p. 273.
15 Welthandelsbräuche I, 145, p. 189 : « Kupfer zu Nürnberg pindt man gewonlich auf ain seytten l. 180. Dut ain sam 360 l. ».
16 Das Runtingerbuch… VI, 1, p. 593-594.
17 En 1488, le laiton arrive d’Allemagne à Venise en charges de cheval (112 onera equorum) : Si I, 491 ; même le transport du minerai de fer, de la mine à la fonderie, se fait encore dans les Alpes au début du XVIIe siècle à dos de cheval : « la vena si compera da Tedeschi e convien portarla a nostri forni per ischiena de cavalli, con interresse grandissimo » : G. B. Barpa, Descrittione di Cividal di Belluno e suo Territorio 1640, s. p., cité par R. Vergani, Le vie dei metalli, dans Per terre e per acque… p. 317.
18 Il convient de prendre en compte le poids de l’emballage, qui peut affecter davantage les produits précieux que les produits courants : ainsi, pour une même charge (« saum »), la caissette de safran peut représenter jusqu’au tiers du poids total, alors que le poivre est enveloppé dans des sacs de coton plus légers que du bois.
19 Welthandelsbräuche, I, 150, p. 191 : « was man in legl hinaus schickt sy seyn gross oder klain, so recht man zwey legl für eyn saum von Venedig hintz gen Nürnberg ».
20 Welthandelsbräuche, I, 168, p. 199, qui indique en outre que la taxe douanière varie d’une douane à l’autre sur la même marchandise (« an den meitten alln zalt ain gut andrs dan daz ander »)
21 Welthandelsbräuche, I, 133, p. 183.
22 E. Ashtor, The Volume of the Levantine Trade in the Later Middle Ages (1370-1498), dans The Journal of European Economic History, 4, 1975, p. 575-576, souligne les risques d’une évaluation quantitative des trafics à partir du vocabulaire pondéral, car le même terme peut désigner des emballages différents ou la même unité de transport prendre des noms divers selon l’origine des marchandises ou leur conditionnement, voire représenter des poids différents selon les époques. Les exemples levantins sont, de ce point de vue, éclairants : en 1488, le « collo » d’Alexandrie vaut 4 « colli » de Damas ; Johannes Tucher de Nuremberg, séjournant au Caire lors de son voyage en Terre Sainte en 1479 n’oublie pas ses références marchandes et note la variété de poids du « collo » : « der choly wigt einer zween oder drey oder vier carg piper » : cf. S. Feyerabend, Reyssbuch : Beschreybung des Reyss ins heilige Land, p. 371, ce qui peut conduire à estimer que « collo » signifie tout colis, sans signification précise de poids.
23 Zibaldone da Canal, manoscritto mercantile del secolo XIV, Venise, 1967, p. 65 : « Lo pevere se vende in Alexandria a carga e sé canter V felfelli. Questa carga geta a Venezia libre 715 a sotil… » ; le canter « zervin » sert à peser le cuivre qui arrive d’Occident et correspond à 200 livres vénitiennes gros poids.
24 Welthandelsbräuche, I, 168, p. 198 : « ain palln piper bindt man gewonlich seck in ain balln von 4 centner klain gewicht von Venetia ungefarlich 1 sam. Man pindt die sam zu Salzburg auf und filt die sicken und pindt dan also 2 zusamen in stro ».
25 Runtingerbuch, I, p. 595 : « kupfervas hat ein meiller der sind 14 centner lauters ân da holtz ».
26 Il faut distinguer deux types de tare : une valeur pondérale fixée et enregistrée, par exemple : Welthandelsbräuche, I, 145, p. 189 : « Nun muss man 6 per cento tara geben auf daz kupfer zu venetia oder 60 pfund per meiller : sovil rechne ich zugang am Nürnberger gewicht daz also daz eyssleber und daz gesegirt ungarischer kupfer durch ain ander gerechnet ein Meyler lautter gen Venetia kost » ; ou bien, la différence entre net et brut, par exemple : ASV, Proc. S. Marco, Misti 43, 239 (1504) : sur un poids de poivre de 224.476 « rotoli » à Alexandrie : « che mancheria asaj de questo, dicho eser cola ttara de sachi, schrito in libro « rotoli » 222.468, netti de tara » ; la tare est de 2008 « rotoli », soit 20 cantares.
27 Cf. M. Morineau, Jauges et méthodes de jauge anciennes et modernes, Paris, 1966 (Cahier des Annales, 24).
28 Pegolotti…, éd. A. Evans, p. 293-297, énumère 288 épices diverses, qui sont loin d’être toutes consommables, puisque figurent dans la liste substances médicinales et parfums, mais aussi l’alun et la cire. Sur l’usage des épices de consommation, cf . P. Freedman, Il gusto delle spezie nel Medioevo, Bologne, 2009.
29 AS Prato, Datini, b. 709, Antonio di Benincasa (1387/19/IX) : « perche ’ tedeschi non ci possono vinire, pepe e’ chalato a 146… » ; (1388/8/I) « Pepe sta a l. 170 perci piutosto per montare che per chalare... Tedeschi potrebbono venier sichuri et varebbene assai… ».
30 ASV, Proc. S. Marco, Misti 141 A, comm. Bernadigio, reg., ff. 2’-3, (1398/2/V) ; les quatre acheteurs de ce stock (6000 livres) sont des Allemands, en particulier Wilhelm Rummel.
31 ASV, Proc. S. Marco, Misti 73 et 154 A, comm. P. Soranzo, Note di conto et reg. (1367/28/IV, 28/V, 10 /VI, 1368/15/VI) : Philippe de Nuremberg, Georg de Munich, Peter Bonanoya, Hans Imhoff de Nuremberg.
32 ASV, Proc. S. Marco, Citra 116, Zornal de Nicolo Zustinian (1471-1473), 1471/20/ III, 11/IV, 12/VI, 15/2.
33 P. Freedman, Il gusto delle spezie… p. 14-16 : l’auteur cite le livre de comptes privés de la famille Talbot, qui durant l’année 1424, consomme 7,5 kg de poivre et le menu du mariage du duc de Bavière, Georges le Riche, en 1476, où figurent en tête les 174 kg de poivre, loin devant les autres épices.
34 Cf. Ph. Braunstein, La capture d’une coque vénitienne sur la route de Flandre au début du XVe siècle, dans Horizons marins, Itinéraires spirituels (Ve-XVIIIe siècles), II, Marins, navires et affaires, éd. H. Dubois, J. C. Hocquet, A. Vauchez, Paris, 1987, p. 130.
35 Zibaldone da Canal... p. 65.
36 La liste complète in V. Magalhaes-Godinho, L’Empire portugais aux 15e et 16e siècles… p. 645 et suiv.
37 ASV, Proc. S. Marco, Ultra 231, comm. Muazzo, reg. “recipere”, passim.
38 Cf. plus haut, p. 382.
39 AS Prato, Datini, b .548, Gaddi (1387/7/III) : « zafferano fredde, perche ‘ non cia ‘ Tedeschi” ; b. 709, Gaddi (1387/21/V) : « fredo che mai : non ci viene uno tedescho ».
40 Liber Datii Mercantie communis Mediolani, éd. A. Noto, Milan, 1950, p. 159-161 : à Chiavenna, un entrepôt pour les marchandises allemandes et la liberté offerte aux Allemands de faire passer les monts au safran sans halte (« de celeritate ») ; Capitolare dei Visdomini del Fondaco dei Tedeschi in Venezia, Capitular des deutschen Hauses in Venedig, éd. G. M. Thomas, Berlin, 1874, cap. 42, p. 277 : le Sénat facilite le transit du safran parce que les transactions qui représentaient plus de 100 000 ducats par an fléchissent du fait de la concurrence milanaise.
41 ASV, Maggior Consiglio, Leona, f. 187’.
42 Staatsarchiv Nürnberg, Diss. 221/2 : P. Schneider, Gütesicherung durch die Markt-behörde dargestellt am Beispiel der Nürnberger Safranschau, mss., 1941 : à la date de création communément admise de 1441, l’auteur propose de substituer la date de 1357.
43 ASV, Grazie, 5, f. 30’ (1333/14/IX), Si I, 785 : un épicier vénitien a vendu à un de ses amis, Ulrich de Munich, un safran fait de mélanges de qualités différentes : or il est bien connu que le safran de Catalogne est de moindre valeur que celui de Toscane et des Marches. Les Consuls des marchands rappellent qu’ils doivent faire respecter les ordines zafrani et hoc est propter multas falsitates que continue committebantur.
44 On brûle publiquement à Nuremberg du safran contrefait en 1441, 1447, 1449 : J. Müllner, Die Annalen der Reichsstadt Nürnberg von 1623, II, 1351-1459, éd. G. Hirschmann, Nuremberg, 1984, p. 353, 373, 390, 510. Sur la place du safran dans le commerce allemand, K. Weissen, Safran für Deutschland. Kontinuität und Diskontinuität mittelalterlicher und frühneuzeitlicher Warenbeschaffungsstrukturen, dans Beschaffung und Absatzmärkte oberdeutscher Firmen im Zeitalter der Welser und der Fugger, éd. A. Westermann et S. von Welser, Husum 2011, p. 61-78.
45 Staatsarchiv Nürnberg, Briefbuch 33, f. 151 : note d’expertise adressée à la ville de Leipzig en 1469.
46 Staatsarchiv Nürnberg, Briefbuch 59, f. 232 : Cum major pars croci ex omni terrarum orbe huc tanquam ad comune tocius Germanie emporium afferatur, hincque in omnia regna septentrionalia avehatur…
47 Anton Tuchers Haushaltbuch (1507-1515), éd. Loose, Stuttgart, 1877 (BlV, 134).
48 ASV, Proc. S. Marco, Misti 91 A, fasc. V, carte Giustinian, reg. f. 20, 21 (1417/7 et 8/ IV) ; les épices sont payées pour solde de tout compte au terme de la galère de Beyrouth, le 13 août.
49 GNMN, Kupferstichkabinett, Imhoffarchiv 28, 4.
50 Welthandelsbräuche, I, 20, p. 133 : « Hat yeder ain walschen, da er by ist, der kouft für in auf dem lande ausserhalb der gegend darumb ».
51 Ibid., p. 52.
52 Welthandelsbräuche, I, 29, p. 139 : « Zum Adler und da umb seindt gewonlich die bouren im monat febraro nottig an gelt ; dan auf die zeit miessen sy dem konig gelt gebn auf die waid für die schaff für Puglia. Und welche purn dan safra hand und nit verkoufn, so bringt man in hart mer von in, bis der new kompt. So verkoufn gemainlich die armen puren, die gelt missen habn, am erstn ». Sur les modalités de la production et du commerce, cf. A. Clementi, La produzione e il commercio dello zafferano nel contesto della fioritura mercantile del basso Medioevo all’Aquila, dans Rivista di storia dell’agricoltura, 34, 1994, p. 15-34.
53 Ibid., I, 30-31, p. 140 : « Von Venedig fürt man in Apruzo allenthalb ungerisch heut ; macht man 10 heut an ain palln… Das kupfer in piastri gipt man in die myntz zum Adler… ».
54 Ibid., 246, p. 227-228.
55 Das Tagebuch des Lucas Rem, éd. B. Greiff, p. I : « hat er die erst bomwoll heraus gefiertt und damit selb reichtong erobertt ». Cf. plus haut, p. 325.
56 J. K. Nam, Le commerce du coton en Méditerranée à la fin du Moyen Âge, thèse Paris I, 2004, p. 261 ; cf. H. Kellenbenz, The fustian Industry of the Ulm regions in the fifteenth century and early sixteenth century, dans Cloth and Clothing in Medieval Europe, Essays in memory of Prof. E. M. Carus-Wilson, Londres 1983, p. 259-276.
57 H. Kellenbenz, Le déclin de Venise et les relations économiques de Venise avec les marchés au Nord des Alpes (fin XVIe-début XVIIIe siècles), dans Aspetti e cause della decadenza economica veneziana nel secolo XVII, Florence, 1961, p. 135.
58 ASPrato, Datini, b. 550, n° 8322 (30 avril 1399), une lettre de Donato di Bonifacio évoque le chargement des coques de mars arrivées à Venise : 350 sacs de coton filé et 5000 sacs de coton brut.
59 ASV, Miscellanea Gregolin, 13, lettre à Lorenzo Bembo : « De gotoni el vene qui con le nave di Soria sachi 5400, che qui ne restava meio de sachi 1500, siche in summa si atrova di qui da sachi 6900 che son gran summa ; ancor non e sta fato per non eser mercadanti in fontego ».
60 Tariffa…, p. 62 : « da Tripoli se traze per Venesia gotoni zoe bambasi in quantità ».
61 E. Vallet, Marchands vénitiens en Syrie à la fin du XVe siècle : « pour l’honneur et le profit », Paris 1999, p. 116, 126, 130.
62 BNM, Cod. It. VII, 2048, Cronaca Morosina, f. 1018.
63 F. Lane, Ritmo e rapidità di giro d’affari nel commercio veneziano del Quattrocento, dans Studi in onore di Gino Luzzatto, I, Milan, 1949, p. 256 et 259.
64 Précisons que les sacs d’Alep ou de Tripoli, en cantares et rotoli, pèsent habituellement entre 190 et 220 kilos, mais la différence de volume des sacs dépend de la proximité ou de l’éloignement des ports de chargement : cf. E. Ashtor, Levantine Weights and standard Parcels : a Contribution to the Metrology of the late Middle Ages, dans East-West Trade in the Medieval Mediterranean, éd. B. J. Kedar, Londres 1986, p. 478.
65 ASV, Miscellanea Gregolin, 14, Fraterna Soranzo, Libro real nuovo.
66 Ibid., f. 114.
67 Ibid., ff. 107-113
68 On a calculé que sur les 1 780 sacs de coton vendus par les Soranzo entre 1408 et 1432, la moitié a été vendue à 72 marchands d’Ulm et de Nuremberg.
69 Ibid., f. 41 : « Viazo di Soria » : entre 1413 et 1415, envois réguliers de sacs (« gropi ») de 200 à 400 ducats, à commencer par le voyage de Donado Soranzo, « ducati 1871 doro portadi con lui con le prexente galie di Baruto » (1413/25/VIII)
70 Ibid. f. 113.
71 HStA München, Allg. StA, Kurbaiern U 226 : acte de Antonio Grasolario, 1446/9/ II m. v.
72 ASV, Miscellanea Gregolin, 14, Fraterna Soranzo, libro real nuovo, f. 130.
73 C’est un produit courant d’emballage, non seulement pour le coton, mais aussi pour les cendres de Syrie destinées à la verrerie vénitienne . Cf. Ibid., f. 24 : « chanevaze a ducati 6 el C° per far sachi… »
74 ASV, Proc. S. Marco, Misti 116, 117, 117 A.
75 Cf. B. Arbel, Venetian Trade in fifteenth century Acre : the letters of Francesco Bevilacqua (1471-1472), dans Asian and African Studies, 22, 1988, p. 248.
76 Quelques exemples sur un thème bien connu : BNM, It. VII, 2049, Cronaca Morosina, ff. 393,399, 400 : en 1423, pour la « muda » du coton de Syrie, le rapport entre marchandises et sacs de ducats embarqués est de 20 000 à 75 000 ducats ; déjà en 1402, le départ des galères d’Alexandrie et de Beyrouth avait été décommandé, parce que la Zecca n’avait pas suffisamment de ducats à fournir : cf. E. Ashtor, Pagamento in contanti e baratto nel commercio italiano d’oltremare (secoli XIV-XVI), dans Storia d’Italia, Annali 6, Economia naturale, economia monetaria, éd. R. Romano et U. Tucci, Turin, 1983, p. 378.
77 Cf. E. Vallet, Marchands vénitiens en Syrie… p. 161.
78 628 draps de Brescia en août 1483.
79 Par exemple, ASV, Proc. S. Marco, 116, fasc. XI : 1477/18/II m. v. : « gropo uno, peze 2 arzento » ; 1481/3/II m.v. : « gropo uno, 1000 ducati ; 3 balle pani, I baleta pani 3 fini, chanevaze » ; 1488/20/VIII : « 4 balle pani, 3 de Brescia, 1 de Venezia, 6 cofe di rame ».
80 Ibid., fasc. X : « 1477 adi 13 avosto Venexia. Nuy Pollo Charoldo e Aluixe Baxejo prometemo de pagar ale galie proxime del 1478 adi 8 luio a zeneri di miser Rigo Muler et compagni duchati siezento e otantanove (689) gr. 10 pro resto de peze 200 sarze avemo avuto dal detto. Io Aluixe Baxeio prometo pagar chome e schrito di sopra per mano de S. Polo Charoldo » ; 200 ducats sont effectivement payés à Justus Reinlein au nom des vendeurs (1478/17/VII) ; nouvelle promesse de payer 120 ducats pour reste de commande de 100 pièces de canevas aux galères de juillet 1480.
81 Ibid., fasc. XX ; cf. F. Melis, Documenti per la storia economica dei secoli XIII-XVI, Florence, 1972, p. 296.
82 Le hasard n’a conservé que quelques fiches de pesage douanier de cuivre au nom d’Alvise Baseggio : ainsi, datée du 18 juillet 1481, en 6 pesées, 6 637 livres poids de « ser Rigo Fucher e fradelli ».
83 Cf. F. B. Pegolotti, La pratica della mercatura, éd. A. Evans, Cambridge (Mass.), 1936, p. 358 : « Oro » : quanto meno à di tenere in sè d’ariento o di rame tanto è migliore e vale meglio ».
84 Sur les difficultés de l’enquête, cf. K. Dettling, Der Metallhandel der Stadt Nürnberg im 16. Jahrhundert, dans MVGSt. Nbg, 27, 1928, p. 132.
85 Il Zibaldone da Canal… p. 7 : « l’inchambiadori da Venezia compra l’arçento che vien d’Alemagna e d’Ongaria loqualle non è afinà certo e puo ‘ lo fasse afinar ».
86 C. Ciano, La « pratica di mercatura » datiniana (secolo XIV), Milan, 1964, p. 66, 77-78.
87 ASV, Scuola Grande della Valverde o della Misericordia, 201, Commissaria B. Gruato, Notatorio e Giornali.
88 Cf. « Pratica di mercatura » datiniana… p. 53-54 : « A che leghe sono perperi e a che si congnioscono sanza farne / / » : le mot disparu dans le manuscrit est probablement « sazio » (essai). Suit la description des pièces, avec la reproduction dessinée des « différents » ; Zibaldone… p. 5 : « tuto lo seno (il s’agit de l’ » inchanbiador ») si è a saver ben chognossere l’arçento e saver ben comprare… » ; Pegolotti déclare que la meilleure méthode d’essai de l’argent se fait par coupellation mais ajoute ; « bene ci à altra maniera d’albitrare coll’occhio » ; un connaisseur (« conoscitore d’ariento ») ne s’en laisse pas compter par le maquillage des barres d’argent fourbies à la cendre : Pratica… p. 359.
89 Pratica… p. 380-382 ; cf. Ph. Braunstein, Le marché du cuivre à Venise à la fin du Moyen Âge, dans Schwerpunkte der Kupferproduktion und des Kupferhandels in Europa 1500-1650, éd. H. Kellenbenz, Cologne-Vienne, 1977, p. 79-80.
90 M. Malowist, Le développement des rapports économiques entre la Flandre, la Pologne et les pays limitrophes du 13e au 14e siècle, dans Revue belge de philologie et d’histoire, 10, 1931, p. 1013-1065 , en particulier p. 1020, où l’auteur se demande si, contrairement à l’interprétation reçue, ramen de Polana ne désignerait pas le cuivre passant par Breslau, la Silésie étant parfois désignée dans des sources du XIVe siècle comme Polana ; mais des textes polonais semblent bien fonder l’interprétation adoptée ici : le privilège de l’étape de Cracovie (1312) ou la taxe à l’exportation du cuivre passant par la ville : Kodeca diplomatyczny miasta Krakowa, éd. F. Piekosinsky, I, Cracovie 1879, p. 8-9, n° 14 ; Monumenta Medii aevi res gestas Poloniae illustrantia, IV, Acta consularia cracoviensia, éd. F. Piekosinsky et J. Szujski, 1878, p. 167-169 et 178-179.
91 Cf. W. Stieda, Hildebrand Veckinchusen. Briefwechsel eines deutschen Kaufmanns in 15. Jahrhundert, Leipzig 1921, n° 155 (1417/20/V) : lettre de Gerwin Merschede à H.V. (Bruges).
92 Cf. Agricola, Ausgewählte Werke II, Berlin 1955, Geographisch-historisches Register, p. 355 ; Ergänzungsband I, Berlin 1971, p. 25, 573.
93 Le statut minier de Massa Marittima a été publié par F. Bonaini, accompagné d’un lexique établi par Milanesi, qui propose d’intéressantes remarques sur la langue germanique de la mine : Archivio storico italiano, VIII, 1850, Appendice 27, p. 631-709. L’article de N. Rodolico, Massa Marittima e il suo staturo minerario, Saggi di storia medievale e moderna, Florence 1963, p. 84-101, explique le déclin de l’exploitation au XIVe siècle par la concurrence du cuivre allemand ; il faudrait préciser la chronologie, ne serait-ce que pour savoir si, au moment où fut rédigée la notice de Pegolotti, le cuivre de Massa représentait plus qu’un parangon de qualité ; on n’en trouve jamais la trace à Venise où il ne fut probablement jamais importé.
94 E. Ashtor, Les métaux précieux et la balance des payements du Proche-Orient à la basse époque, Paris 1971, traduit « rame di bolla » par cuivre en miches de pain et « rame in pani » par cuivre en grandes plaques (p. 61 et 64) : la référence précise à l’édition de la Pratica… par Evans rend étrange cette affirmation, car les dessins accompagnent explicitement la description que fait Pegolotti.
95 Pegolotti fait une réflexion comparable à propos de l’étain de Cornouailles qui, arrivé en grandes plaques, est fondu en barres à Majorque et à Venise : le sceau de St. Marc lui donne un prix supérieur au Levant alors qu’il est parfaitement identique à celui de Majorque (« tale è l’uno come l’altro » : Pratica… p. 382).
96 Cet empirisme tient au fait que seules l’Inde et la Chine ont su avant le XIXe siècle isoler le zinc, qui ne se présente jamais à l’état pur en Europe, mais sous la forme de calamine, d’où la grande variété des cuivres « jaunes » : on a calculé qu’il fallait 68 fontes de calamine avant d’obtenir du zinc pur.
97 Agricola est parfaitement conscient de l’originalité de son projet encyclopédique sur la mine et la métallurgie ; cf. la dédicace de son traité De veteribus et novis metallis à un conseiller du duc de Saxe : « Beaucoup estiment que cette matière ne mérite pas d’être traitée… Ils disent qu’ils sont prêts à lire ce que les auteurs grecs et latins ont écrit sur le sujet et jugent sans intérêt des informations modernes ; mais si les Anciens n’avaient pas pris en considération ce qui était neuf, qu’aurions-nous de la tradition antique ? » Cf. Agricola, Ausgewählte Werke… II, p. 69-70 et les encouragements d’Erasme, après la lecture du Bermanus sive de re metallica dialogus : lettre à Andreas et Christophe von Könneritz, Ibid., p. 59. Le seul de ses prédécesseurs illustres dont Agricola cite le nom est Albert le Grand, qui, en 1232, visita les mines du Harz (ut experiri possem naturam metallorum) : Agricola, Ibid., p. 235-237.
98 Bermanus (Lorenz Wermann), fils d’un fonctionnaire des mines de Saxe, a, comme Bartholomeus Bach, fils de mineur et scribe de la ville de Joachimsthal, transmis à Agricola une grande part de son savoir technique.
99 Sur U. Rülein, cf. W. Pieper, Ulrich Rülein von Calw und sein Bergbüchlein, Berlin, 1955. Parmi les nombreux « Berg- und Probierbüchlein » qu’a pu connaître Agricola, citons celui de Heinrich Steyner (1518) . Parmi les sources contemporaines, Agricola cite des médecins français ou italiens. Le premier ouvrage scientifique qui utilise le Bermanus d’Agricola est la Pirotechnia de Vanoccio Biringuccio ; les deux savants se sont peut-être rencontrés lors du voyage d’Agricola à Venise.
100 Le manuscrit du Landesmuseum Ferdinandeum d’Innsbruck (W 1516) a été partiellement publié par E. Egg, dans Der Anschnitt, Bochum, 1963 (Zeitschrift für Kunst und Kultur im Bergbau, Sonderheft 2).
101 La méthode pour séparer l’étain de l’argent « transmise à quelqu’un en secret par l’orfèvre Christophe (f. 24) ; l’essai au grand feu et au petit feu de minerais sulfureux, « communiqué par le vieux Hans Purtaler, directeur chez les seigneurs Rosenberger » à Kitzbühel (f. 26) et tant d’autres recettes recopiées ; les emprunts s’étendent à toute l’Europe minière et métallurgique, Eisleben et Mansfeld (f. 55), Nuremberg (f. 100), la Hongrie (f. 102), Ulm (f. 106).
102 Agricola, Bermanus… p. 118-119 : puniceus, purpureus, ruber, rufus, violaceus ; à rapprocher de la description par Pegolotti de l’argent impur : « verghe bianche rosse nere e brune… ». Pratica… p. 360.
103 Cf. Les 31 variétés de cuivre « marchand » que renferme l’inventaire de la firme Fugger de 1527 : Fuggerarchiv Dillingen, 36, 2 et 36, 3 : cf. J. Strieder, Die Inventur der Firma Fugger aus dem Jahr 1527, Tübingen, 1905 (Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft, suppl. XVII) : citons les premières applications de produits semi-finis : 1) geschmiedetes Kupfer (forgé), 2) Gossenkupfer (moulé), 3) Libether Kupfer (de Libethen, Slovaquie), 4) Geringe Kupfer (de qualité médiocre), 5) Garkupfer (cuivre de rosette), 6) Rothkupfer (cuivre affiné, par opposition au cuivre noir impropre au travail)… ; puis viennent tous les cuivres travaillés : en disques, en tôle à 4 arêtes, en tôle à chaudrons, en tôle galbée, en tôle de sol, en tôle de couverture…
104 Un des usages du cuivre en Méditerranée et au proche Orient, la construction de chaudières pour le raffinage du sucre : ASV, Senato Misti 44, f. 55 (1398), commissio ambassiatorum ad dominum Soldanum Babilonie : plainte au Sénat de Giovanni Contarini, qui ne parvient pas à se faire payer par le Soudan d’Égypte, malgré l’intervention du consul vénitien à Alexandrie, le cuivre livré à cette fin deux ans plus tôt.
105 Le livre de F. Molmenti, La storia di Venezia nella vita privata, Turin, 1880, demeure un miroir de la vie quotidienne médiévale ; on y trouve tous les éléments d’une histoire domestique, de la cuisine à la chambre, où le cuivre, le bronze et le laiton sont omniprésents. E. Ashtor, Les métaux précieux… p. 114-115 rapproche un inventaire de vaisselle vénitien de 1371 d’un inventaire de la Géniza du Caire, rappelant ainsi qu’une partie du cuivre exporté d’Europe servait à la vie quotidienne du monde musulman. Proche de Venise, l’inventaire du dépôt de Bologne d’un marchand nurembergeois de la fin du XVe siècle, spécialisé dans l’importation en Italie de lustres et de cadres de miroirs en bronze et en laiton : H. Pohl, Das Rechnungsbuch des Nürnberger Grosskaufmanns Hans Praun von 1471 bis 1478, dans MVGStNbg, 1968, p. 128-136.
106 On peut suivre dans les délibérations du Sénat sur le cuivre et sur l’Arsenal entre 1463 et 1470, de la reconquête du Péloponèse à la chute de Nègrepont, l’effort militaire imposé à Venise : ASV, Senato Terra V, ff. 50, 50’, 54, 58, 99.
107 Ce sont des sociétés allemandes, comme celle des Imhoff de Nuremberg, qui importent par Venise à l’Aquila dans les Abruzzes les masses de monnaie de cuivre nécessaire au paiement des ouvrières qui récoltent le safran que les mêmes sociétés exportent vers le Nord : cf. H. Jahnel, Die Imhof, Würzbourg, 1950, p. 64.
108 Cf. S. Yrionis, The Question of the Byzantine Mines, dans Speculum, XXXVII, 1962, p. 10 ; F. Babinger, Die Aufzeichnungen des Genuesen Jacopo de Promontorio de Campis über den Osmanenstaat um 1475, Munich, 1957 (Sitzungsberichte der bayrischen Akademie des Wissenschaften, phil.-hist. Kl.) : l’homme d’affaires génois décrit avec précision la région de Castamon « dequal provincia extrahe rami infiniti di cave e miniere ivi existenti… » (p. 17).
109 ASV, Senato Misti 42, f. 20 : Ramen de Romania et quolibet aliud rame illiusmet bonitatis quod de partibus a Mothono supra versus Levantem conducetur Venecias ; Senato Misti 50, f. 59 (1413) : une cargaison de cuivre de Romanie arrive à Venise pour le compte de Bulgaro Vitturi ; Senato Terra III, f. 9 : les patrons de l’Arsenal sont chargés du paiement du cuivre de Castamon acheté en 1451 pour la réparation de canons à Brescia. Cf. B. Krekić, Dubrovnik (Raguse) et le Levant au Moyen Âge, Paris-La Haye, 1961 (Documents et recherches sur l’économie des pays byzantins, islamiques et slaves au Moyen Âge, V), n° 1345 et 1355 : pour construire à Venise de grands canons, il faut 2500, puis 7222 livres de cuivre « neuf » de Constantinople et 840 livres d’étain pour l’achèvement d’un canon dont la canna est déjà faite en cuivre romaniote.
110 Drzani Arhiv Dubrovnik, Diversa Cancellariae XXII, ff. 58 et 94 (1369), XXIII, f. 3’ (1371), XXVII, f. 23 (1389) Cf. S. Lubić, Monumenta spectantia historiam slavorum meridionalium, Zagreb 1868, I, n° 649 ; sur le cuivre de Raguse à Venise, Capitolare dei Visdomini del Fondaco dei Tedeschi in Venezia, Capitular des deutschen Hauses in Venedig, éd. G. M. Thomas, Berlin, 1874, p. 62 : « che nessun possa fare compagnia cum algun in compra rame de fontego ni de ragussi », sous peine d’une amende de 200 ducats (1359) et de confiscation (1363).
111 I Libri Commemoriali, VI, n° 192, 194, 196, 199, 221, 232, 309 (1360-1362) : cuivre de Kuttenberg, conduit à Venise par un Viennois pour le compte d’un Pragois, Johannes Schmanzer, puis de sa veuve, épouse d’un Nurembergeois, séquestré puis finalement restitué aux héritiers ; Ibid., VII, n° 125 , des mineurs allemands de Kuttenberg recrutés par Venise pour des mines de Crète en 1364 ; ASV, Giudizi di Petizion, vol. 1332-1350, fasc. C, 1337/28/III : un Piero Volpe, habitué du voyage de Bohême, où il vendait des draps d’or, vend aussi du cuivre à Chypre. Sur les Allemands dans les mines de Bohême au XVe siècle, cf. R. Klier, Nürnberg und Kuttenberg, dans MVGSt. Nbg, 1958, p. 52-78 : « das Kupfermonopol der Nürnberger in Kuttenberg ».
112 On ne trouve pas de mentions d’un courant commercial vers la Méditerranée, alors qu’il est ancien et puissant vers la Flandre et l’Angleterre ; cf. R. Hillebrand, Der Goslarer Metallhandel im Mittelalter, dans Hansische Geschichtsblätter, 87, 1969, p. 31- 57 ; pour la fin du Moyen Âge, E. Westermann, Die Bedeutung des Thüringer Saigerhandels für den mitteleuropäischen Handel an der Wende vom 15. zum 16. Jahrhundert, dans Jahrbuch für die Geschichte Mittel-und Ostdeutschland, 21, 1972, p. 67-92. Et pourtant du cuivre de Mansfeld sur le marché vénitien est mentionné par une source narrative, la Mansfeldische Cronica, Eisleben 1572 : les égards témoignés au comte Busso en 1417 seraient dûs au « grand profit que Venise retirait de son approvisionnement annuel de cuivre saxon » ; le témoignage doit être accueilli avec prudence.
113 De Damas, on signale à Francesco di Marco Datini trois sortes de cuivre sur le marché (ASP, Archivio Datini, 1171, « carichi e prezzi », 1395/30/V) : le « covero tartato » (Castamon), le « chovero di Venezia » et le « chovero di Fiandra » : à Bruges, le cuivre peut avoir deux provenances à la fin du XIVe siècle, Dinand, s’il est travaillé, et la « Pologne », c’est-à-dire la Slovaquie.
114 ASV, Procuratori di San Marco, Misti 79 : le stock de cuivre laissé par Paulini dépassait les 25 tonnes.
115 Landesregierungsarchiv Innsbruck, Cod. 282, f. 124, compte du trésorier (1306/4/ II).
116 J. A. Tomaschek, Die Rechte und Freiheiten der Stadt Wien, Vienne, 1877, p. 88 : « des ersten swanz ei purger auf einem wagen auz dem land hinwerts uber dem perg gen Venedi fürt, es sei zin, chupfer, plei, chochsilber… ».
117 Sur le privilège viennois et la concurrence entre les routes, cf. O. Pickl, Das älteste Geschäftsbuch Österreichs, Forschungen zur geschichtlichen Landeskunde der Steiermark, XXIII, Graz, 1966, p. 111-118 ; Id., Die Auswirkungen der Türkenkriege auf den Handel zwischen Ungarn und Italien im 16. Jahrhundert, dans Die wirtschaftlichen Auswirkungen der Türkenkriege, Grazer Forschungen zur Wirtschafts- und Sozialgeschichte, I, Graz, 1971, p. 77-129, particulièrement p. 73-80. Sur la route de Segna (Zeng), le point de vue vénitien est sans appel : ASV, Senato Misti 42, f. 25 (1391).
118 ASV, Senato Misti 43, f. 188’.
119 ASV, Maggior Consiglio, Neptunus, f. 66’ ; Si I, 54 (1318).
120 ASV, Senato Misti 33, f. 42 ; Si I, 216 (1368).
121 ASV, Senato Misti 43, ff. 188 et 189 (1397).
122 V. Biringuccio, De la Pirotechnia, éd. A. Carugo, Milan 1977, L. IV, cap. 2, p. 66 : « l’avete a schiacciare e farlo sottile per poterlo meglio tagliare ».
123 ASV, Senato Misti 44, f. 17 ; une vue d’ensemble est proposée par H. Wilsdorf, Bergwerke und Hüttenanlagen der Agricolazeit, in G. Agricola, Ausgewählte Werke… Ergänzungsband I, Berlin 1971 : « slowakische Bergorte in Niederungarn », p. 254-285.
124 ASV, Senato Misti 33, f. 42, 1368/18/XII (la plus ancienne mention du terme) : Si I, 216, p. 97, note I : “die neue Schmelzhütte” ; K. Schalk, Materialien zur Geschichte Wiens aus oberitalienischen Archiven… interprète ramen fusine nove comme “Kupfer neues Gusses”.
125 Excellent aperçu historique in R. Schwicker, Kritische Geschichte des Bergbaues in Ungarn, Ungarische Revue 1881, p. 798-825 ; O. Paulinyi, A középkori magyar réztermelés gazdasagi jelentö sége [L’importance économique de la production du cuivre dans la Hongrie médiévale], dans Karolyi A. Emlékkönyv, Budapest, 1933, p. 402-439, surtout p. 410-411 ; G. von Probszt, Absatzmärkte und Verkehrswege der niederungarischen Bergstädte, dans Zeitschrift für Ostforschung III, 1954, p. 537-553. L’inventaire analytique des Archives anciennes de Banska Bistryća (Slovaquie) signale una fodina Neustollen dicta et le roi Mathias confirme l’exploitation d’une « grub im pergk Newstollen genannt » in montanis argenteriis et cupreis (I, I, 1473).
126 Pour une vue générale sur les Italiens en Hongrie, G. Székely, Wallons et Italiens en Europe Centrale (XIe-XVIe siècles), dans Annales Universitatis Budapestinensis Eötvös nominatae, Sectio historica 6, 1964, p. 39-47 ou D. Huszti, Mercanti italiani in Ungheria nel Medioevo, dans Corvina, Rassegna italo-ungherese N. S. III, 1940, p. 10-40. Sur les privilèges commerciaux des Florentins et en particulier de la société « Vieri di’ Medici et C° » : Monumenta Hungariae Historica IV, 3, Budapest 1876, n° 117 : requête au roi Louis le Grand de 1376 (cum plurimi nostri cives intra regnorum vestrorum converserentur), n° 351 (1386) et 375 (1387) ; W. von Stromer, Medici-Unternehmen in den Karpathenländern : Versuch zur Beherrschung des Weltmarktes für Buntmetalle, dans Aspetti della vita economica medievale, Florence, 1985, p. 370-397.
127 P. Ratkoš, Das Kupferwesen in der Slowakei vor der Entstehung der Thurzo-Fugger Handelsgesellschaft, dans Der Aussenhandel Ostmitteleuropas 1450-1650, éd. I. Bog, Cologne-Vienne, 1971, p. 587 et 595.
128 Les négociations avec Giovanni di Sandro Portinari, frère du représentant de la société en Hongrie : ASV, Senato Misti 39, ff. 112 et 118 ; I Libri Commemoriali… VIII, n° 199 et 200 (1385/3/IV) ; Monumenta Hungariae Historica, IV, 3, n° 312.
129 La victoire de Sigismond sur Charles d’Anjou en 1387, le séquestre mis sur les biens de la société florentine en Hongrie en 1388, l’accusation portée contre Portinari accusé d’être un espion vénitien, les complots manqués de 1397, l’arrestation de tous les Florentins de Bude : Monumenta Hungariae Historica IV, n° 160, 325,351, 375, 400 ; E. Malyusz, Az iszmaelitapénzveröjegiek kérdéséhez, dans Budapest Régiségei, 18, 1958, p. 310-311 (résumé italien) ; O. Paulinyi, A kösépkori… p. 414 ; W. von Stromer, Oberdeutsche Hochfinanz 1350-1450, Wiesbaden, 1970 (VSWG, 55-57), p. 118-132.
130 Cf ; W. von Stromer, Nürnberger Unternehmer im Karpathenraum, dans Kwartalnik Historii Kultury Materialnej, 16, 1968, p. 641-662 ; Id., Das Zusammenspiel Oberdeutscher und Florentiner Geldleute bei der Finanzierung König Ruprechts Italienzug 1401/1402, dans Öffentliches Finanzen und privates Kapital im späten Mittelalter und in der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts, Stuttgart, 1971 (Forschungen zur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte, 16), p. 50-86.
131 J. Dernschwamm, Memorial, partiellement publié in J. Ch. Von Engel, Geschichte des ungarisches Reiches und seiner Nachbarländer, I, Halle 1797, p. 195 ; republié in P. Ratkoš, Dokumenty k banichemu povstaniu na Slovensku 1525-1526 [Documents sur le soulèvement des mineurs en Slovaquie 1525-1526], Bratislava 1957, p. 457 : le texte de Dernschwamm, qui cite sa source, un vieux mineur de Neusohl longtemps employé par les Thurzo, Matesz Grenitzer, est confirmé par deux documents des Archives de Banska Bystrica (Slovaquie), 110, f. 30 et 5, 12, f. 8-13 : considerantes quod in hoc regno nostro nusquam officine sive conflatoria separantia argentum a cupro vulgo « sagerhutten » nuncupata habentur, sed cuprum sic inseparatum simul cum ipso argento de ipso regno semper educitur…
132 « Man hat den schwarzen Kupfer aus Ungarn geführt und anderswo gespliessen, gesaigert und geschmidt… ».
133 L’ouvrage essentiel est celui de L. Suhling, Der Seigerhüttenprozess. Die Technologie des Kupferseigerns nach dem frühen metallurgischen Schrifttum, Stuttgart, 1976 ; un bon exposé en français in L . Schick, Un grand homme d’affaires au début du XVIe siècle, Paris, 1957, p. 264-271.
134 L. Suhling, Ibid., p. 65-67 ; L. Schick, Ibid., p. 268-270.
135 ASV, Senato Misti 38, f. 159 (1384/26/VIII) ; Monumenta Hungariae Historica… III, n° 296.
136 L’hypothèse de P. Ratkoš, Das Kupferwesen… p. 587 : « Unter der Bezeichnung « nova fuxina in Solio » verbirgt sich eine neue Raffinierungshütte in der die Venezianer und die mit ihnen vereinigten Florentiner sowohl das reine als auch da Reichkupfer raffinierten ».
137 Le mot in ASV, Senato Misti 44, f. 8’ ; les travailleurs de la fonderie, cf. Annexes, II, 8.
138 Sur cette société d’affaires dans ses relations avec Venise et la Hongrie, cf. W. von Stromer, Oberdeutsche Hochfinanz… p. 217-218 ; Nuremberg qui avait sa propre fonderie de cuivre sous ses murs en 1420 (P. Sander, Die reichsstädtische Haushaltung der Stadt Nürnberg, Leipzig, 1902, p. 270 et suiv.) a été dans tous les domaines de la métallurgie un foyer d’expériences novatrices.
139 Sur les Rummel, cf. plus haut, p. 274 et suiv. ; Peter Rummel a participé à l’exploitation minière de Schwaz entre 1479 et 1492 ; conseiller financier de l’archiduc Sigismond, il a construit près de Hall la première fonderie de laiton du Tirol : cf. K. Moeser, F. Dworschak, Erzherzog Sigismund der Münzreiche von Tirol, Vienne, 1936, p. 117.
140 G. von Probszt, Die niederungarischen Bergstädte, dans Zeitschrift für Ostforschung I, 1952, p. 220-252, rappelle la carrière de Johannes Thurzo, dont les entreprises en Slovaquie datent de 1475 et qui créa la fonderie de cuivre de Mogila, aux portes de Cracovie : Chronicarum Bernardi Vaporii pars posterior (1480-1535), Cracovie, 1874 (Scriptores Rerum Polonicarum II), p. 85 : ad cognitionem separationis auri et argenti ex cupro mira solertia et sumptu pervenit (Thurzo), quod plenae eius fornaces ante urbem cracoviam aethnae instar ardentes plane testabantur ; J. Ptasnik, Cracovia artificum 1300-1500, Cracovie, 1917, n° 583 : contrat d’engagement par Thurzo du fondeur nurembergeois Hans Koler. Sur le serment de secret, E. Reinhardt, Johann Thurzo von Bethlemfalva, Bürger und Konsul von Krakau in Goslar 1478-1496, dans Beiträge zur Geschichte Goslars, 5, 1928, p. 52 ; Sur le personnage de Koler et sa famille, W. von Stromer, Nürnberger Unternehmer… p. 661.
141 H. Wilsdorf, Bergwerke und Hüttenanlagen… p. 263. Description de la Hongrie « allemande » par un ambassadeur vénitien à la cour de Mathias Corvin : « Todeschi industrioxi in ogni exercitio et cum far cavare montagne… tanto anno fatto che la mazore parte del bon del ditto regno è posseduto da ditte todeschi… » : Descrizione dell’Ungheria nei secoli XV et XVI, all’occasione del congresso geografico internazionale a Venezia, Budapest, 1881, p. 31.
142 ASV, Senato Misti 43, f. 189.
143 Les quantités unitaires qui servent de base à des listes de prix ne sont pas toujours indiquées et la comparaison entre des données comptables de place à place est très risquée si l’on ne connaît pas les unités négociées : E. Ashtor, qui a utilisé les prix de la fin du XIVe siècle trouvés dans plusieurs dossiers des Procurateurs de St. Marc et dans les fiches de l’Archivio Datini entre 1386 et 1405 (Les métaux précieux et la balance… p. 116-118) en est bien conscient. Le cuivre qui parvient au Levant est d’autant plus cher qu’il a été travaillé de manière subtile : les « bande larghe » ou « strette » et le fil de cuivre valent, selon les années, plus du tiers ou plus de la moitié du cuivre à la « bolla di S. Marco » ; mais que ce soit dans la « Pratica » de Pegolotti ou dans les sources comptables, le pain de « rame di bolla » est toujours placé en tête des produits semi-finis.
144 Quellen zur Geschichte der Stadt Wien, II, vol. I, n° 1493. Le cuivre affiné à Neusohl arrive sous la forme d’un produit semi-fini et passé à la forge : ramen quod affinatur in partibus Hungariae quod conducetur Venecias in forma scazzati : ASV, Senato Misti 44, f. 28’ (1397).
145 AS Prato, Archivio Datini 844, Barcelona, comp. Spini, 1399/2/VII : « siamo avisati per voi di rame ; aviserenci con quelli di chosti se eci verrano se dificienza se facesse dello affinato in Uncheria a quello s’afina a Vinegia… »
146 ASV, Senato Misti 42, f. 25 (1391/22/IX).
147 Pratica… p. 381.
148 Le stock marchand est celui de la commissaria Paulini que doivent écouler les procurateurs de St. Marc à partir de 1324 (ASV, Procuratori di San Marco Misti 79) ; cf. AS Prato, Archivio Datini 634, Carteggio Firenze, Barcelona 1394/19/XII « rame dell’agnolo ci si spaccia molto » ; 338, Carteggio Prato, 1407/20/III, vente en Barbarie ; 1171, valute in Fez s. d., : les cuivres « di papa » et « dell’agnolo sono i soli ».
149 Welthandelsbräuche (1480-1540), éd. K. O. Müller, Stuttgart-Berlin, 1934 (Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, V), I, 145-147, p. 189-190 ; IV, 13-20, p. 310- 314. Sur le cuivre travaillé prêt à l’usage artisanal ou industriel, aux 31 sortes de produits inventoriés par la firme Fugger (cf. plus haut, p. 525) s’ajoutent, en langue allemande, une vingtaine d’autres termes, comme « Dündachplechkupfer », aimablement communiqués par J.Vlachovic. Il est rarement question dans les sources du XV° siècle du cuivre d’Agordo, avant la guerre de 1487/1488. Sur sa qualité : ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 47, f. 34 (1524/31/V) : « Se i rami sono de Agorth la Signoria nostra a de spese ducati doi del mier, a cambiarli cum quello de Sboz (Schwaz), perche sono alquanto mior de quelli de Agorth ».
150 Les informations que donnent les délibérations du Sénat sur le « getto » du plomb sont allusives : un texte de 1437 (ASV, Senato Misti 60, f. 31) rappelle aux superstiti plumbi qu’ils ne peuvent faire commerce de plomb ; un souvenir dans la toponymie vénitienne – le « rio del piombo » – nous n’en saurons peut-être jamais plus. La première mention d’un « getto de l’étain » date de 1449 (ASV, Senato Terra II, f. 103’) ; elle prescrit au magister getti de ne pas accepter de l’étain à la fonte sans boleta ; la seconde date de 1479 (ASV, Senato Terra VIII, f. 48’) ; elle fixe le « calo » à I I/2 %, à contrôler par « Thomasio Alberto fondatore ochi de cetero havera el dicto officio del getto ».
151 T. Temanza, Antica pianta dell’inclita città di Venezia… 1781, p. 73 : « l’originaria denominazione del quartiere degli Ebrei di Venezia fu il Getto. Quindi derivo la parola « ghetto » adottata dovunque in Italia » ; l’affinage du cuivre est attesté au moins depuis le début du XIVe siècle : ASV, Provveditori di Comun, Capitolare, f. 4’ : officiales ramini di Canareglo (1306/16/I m.v).
152 Ce sont les minutes d’un procès alors encore conservées en 1781, date à laquelle Temanza les a publiées, dans les archives paroissiales de l’église de S. Ermacora (l’actuelle S. Marcuola). Le document a été repris par G. Tassini, Curiosità veneziane ovvero origini delle denominazioni stradali di Venezia, Venise, 1860, 4e éd. 1887, p. 285. Il est enfin cité par V. Avery, Vulcan’s Forge. The State Bronze Foundries, Oxford, 2011, p. 23. Le document est publié in Annexes, II, 8.
153 Un Corradus theutonicus fait venir 6 charriots de bois pour alimenter en combustible sa fabrique de savon sise à S. Ermacora : ASV, Grazie V, f. 67’ (Si II, n° 7) ; parmi les acheteurs du cuivre de Paulini écoulé en 1324 (cf. plus haut, p. 528) un Piero Baffo de S. Ermacora achète du plomb pour affiner 5, 5 tonnes de « rame duro », ce cuivre qui ne va pas au Getto, mais qui est traité à proximité de son enceinte : le « Getto » du cuivre n’a peut-être été installé dans ce secteur que parce que s’y trouvait déjà une tradition métallurgique.
154 ASV, Senato Misti 43, f. 70 (1395) ; 52, f. 45 (1417), 57, f. 177 (1429), 58, f. 103’ ; Maggior Consiglio, Leona, 219 (1411).
155 ASV, Maggior Consiglio, Cerberus, Avogaria, f. 63 (1299) ; Provveditori di Comun, Capitolare, ff. 4’, 9’ ; Senato Misti 38, f. 159 ; 46, f. 153’.
156 Ainsi en 1391, le sénat élit 3 sapientes raminum, venant de plusieurs offices, un seul par office (ASV, Senato Misti 42, f. 20) ; en 1397, sont élus 20 patriciens, un seul par office et deux au plus de la même domus (la « Ca’ » vénitienne) : Senato Misti 44, f. 8’.
157 ASV, Senato Terra 5,ff. 49 et 50 (1463/13/VIII et 2/IX) : Francesco di Antonio Campanato, qui a déjà réalisé 30 bombardes à l’Arsenal, se voit offrir un terrain pour y construire 6 grosses pièces ; une fonderie d’État est installée en 1460 « calle della Tana », confiée au fondeur Giacomo I di Conti, une autre est exploitée en 1480 par Alberghetto dei Alberghetti : cf. V. Avery, Vulcan’s Forge… p. 408-409.
158 À proximité du « ponte delle Campane » (fabrique de cloches attestée depuis le début du XIVe siècle) et du « ponte delle Ancore », une fonderie exploitée par la famille Campanato : « casa, bottegha, terren vacuo, fusine, fornasa » : ASV, Carità, commissaria Paolo Argentini, 102-110 : cité par V. Avery, Vulcan’s Forge… p. 352.
159 ASV, Not. T., 481, n° 424 (1461) : Guilminus de Bruges a stagnatis (S. Salvador), dont le commissaire désigné est Petrus de Colonia, fait des legs à cinq de ses ouvriers, tous Allemands.
160 G. Monticolo et F. Besta, I capitolari delle arti sottoposte alla Giustizia e poi alla Giustizia vecchia, Rome, 1914-1923, III, t. 28, XLII : capitulum campanariorum et laviçariorum, p. 107-121. Ce Capitulaire date pour l’essentiel de 1282-1284. Il est donc antérieur à l’installation du « Getto » et c’est aux deux responsables de l’Art d’effectuer les achats de cuivre et de les répartir entre les maîtres ; ils constituent avec une tierce personne une société d’achat du cuivre dit « de Bergame » : matière première régionale de qualité inférieure au cuivre d’Europe Centrale, qui arrive déjà à Venise et qui serait déjà réservé au grand commerce ? À cette société deux explications : l’une financière (seul un marchand d’envergure serait en mesure de mettre les fonds nécessaires), l’autre, technique : la tierce personne, peut-être un marchand allemand d’après son nom, serait capable d’acheter un cuivre bonum et legale et, qui plus est, pro suo certo nomine : ce qui prouve combien la fonction normative du « Getto » répondait à un besoin. Chaque pièce portait le signe du maître et celui d’un des deux « sovrastanti » : c’était la garantie qui annonce la » bolla di S. Marco ».
161 Le nombre des ateliers métallurgiques de la paroisse de S. Barnabà diminue fortement depuis le milieu du XIVe siècle, essentiellement parce que les artisans du métal se transportent à proximité des rivières de Terre Ferme. Cf. E. Crouzet-Pavan, « Sopra le acque salse »… I, p. 570.
162 Le « Nürnberger Tand » : sous cette expression se placent tous les produits de la quincaillerie nurembergeoise qui envahissent le marché méditerranéen aux XIVe et XVe siècles et dont on trouve un vaste échantillonnage dans les comptes d’un marchand allemand travaillant en Italie, Hans Praun (cf. p. 381 et 722) ; produits usuels de fer et d’acier, mais aussi de cuivre ; on distingue dans les inventaires vénitiens le cuivre et ses alliages et les maîtres vénitiens sont tenus par leur serment de garantir des proportions constantes de plomb et d’étain dans les objets qu’ils façonnent. Le fil de cuivre est germanique dans la comptabilité Barbarigo : il est vendu à Venise vers 1430 par Hans Gruber de Nuremberg, qui porte le surnom de « messingslaher » (batteur de laiton) et on a longtemps confondu sur le marché vénitien cuivre et laiton, la diversité de couleur du cuivre contribuant à la confusion : ASV, Archivio Grimani-Barbarigo, reg. 2, ff. 126, 132, 133, 186 (1430_1440) ; W. von Stromer, Die Nürnberger Handelsgesellschaft Gruber-Podmer-Stromer im XV. Jahrhundert, Nuremberg, 1963, p. 123 et 140.
163 ASV, Notatorio del Collegio 17, f. 183 (Si I, 487) : aux « Governadori alle Intrade » de fixer le montant de la taxe douanière à exiger sur un nouveau produit, le laiton : » auricalcum quod vulgo latonum dicitur quod per viam fontici Theutonicorum Venecias est presentialiter portatum ; Si I, 491 (1460/28/XII) : centum et duodecim onera equorum auricalci apportés à Venise .
164 G. von Pölnitz, Jakob Fugger, Tübingen, 1949-1951, II, p. 35 et 189.
165 Il est significatif que lorsque des marchands de métaux se plaignent auprès des Proviseurs de la Commune de l’engorgement des quelques ateliers vénitiens de fonderie fabriquant des plaques de cuivre, la solution soit recherchée non par le développement de cette branche artisanale, mais par l’intervention de l’État : dans l’intérêt des marchands et à l’avantage des finances publiques, les Proviseurs de la Commune demandent la création au « Getto » d’un four et de formes pour couler ces plaques : ASV, Senato Misti 55, f. 25’ (1424/19/V)
166 Cf. plus loin, p. 546 et suiv.
167 ASV, Senato Misti 43, f. 171.
168 ASV, Senato Misti 42, f. 21’ : nostri cives et navigia destituti jam longo tempore de ista utilitate et lucro…
169 Le « Getto » dispose de deux moyens pour rentrer dans ses frais, le premier est la perception d’un droit sur le cuivre importé et affiné au titre légal de Venise ; le second est le « calo », la différence entre la quantité de cuivre apportée et celle qui est restituée après traitement. Par extension, on parle de taxe d’affinage pour désigner la somme dûe et versée à l’Office par les propriétaires d’une quantité de cuivre passant par Venise sans être mise au « Getto ».
170 ASV, Senato Misti 42, ff. 20 et 21’ (1391/22 et 31/VIII).
171 ASV, Senato Misti 42, f. 159 et Misti 43, f. 160 (1396/14/XI)
172 ASV, Senato Misti 43, ff. 187’-189’ : provisiones super facto raminis (1397/29/V)
173 ASV, Senato Misti 44, f. 16 : décisions durables, sinon définitives.
174 U. Dorini et T. Bertelè, Il libro di conti di Giacomo Badoer, Rome 1956, p. 117, 130, 143, 331, 346, 365, 401, 404, 406 : entre 1437 et 1439, Badoer expédie du cuivre de Constantinople vers Candie, pour réexpédition vers Alexandrie, Damas ou vers Venise par Modon.
175 ASV, Senato Misti 43, f. 160 : quod getum nostrum raminis maneat in culmine pro bono et utilitate nostri comunis et comodo mercatorum nostrorum…
176 Le cuivre est un objet constant des intérêts des membres de la famille au cours du siècle : Giusto Contarini, qui intervient dans le débat au Sénat en 1394, est sapiens raminum dans les deux commissions successives de 1397. Bernardo Contarini, associé à Alvise Mudazzo et Antonio Bragadin, vend à Beyrouth au représentant du Sultan rame in magna quantitate (ASV, Senato Misti 43, f. 10, 1394/4/VI) ; la même année Piero C. et C° se font rembourser leurs avances au roi de Hongrie par assignation de trois ans du tribut dû par Venise depuis la paix de Turin (Monumenta Hungarie Historica IV, 3, 469) ; Giovanni C., fils de Piero, se fait confisquer en Syrie 10 cantares de cuivre destinés à la construction d’une chaudière à Damas (ASV, Senato Misti 44, f. 55, 1398/23/ VII) ; en compagnie de ses frères et de Marco Morosini, le même envoie 100 milliaires de plomb à Beyrouth (ASV, Senato Misti 51, f. 181, 1416/19/I m. v.) ; Alvise C. , associé à Piero Miani, perd 20 milliaires de ramen de bola dans les eaux de Malte (ASV, Senato Misti 44, f. 96, 1399/7/IV) ; Antonio C. charge pour Valence des paquets de fil de cuivre saisis avec toute la cargaison par un corsaire marseillais (ASV, Senato Misti 55, f. 113, 1425/18/V) ; Francesco C, associé à un Allemand de Ratisbonne, fournit 8 milliaires de cuivre à l’Arsenal (Senato Terra V, ff. 50 et 54, 1463/6/IX et 2/X) ; vers 1480, des Contarini sont « mineurs » ou associés à des exploitants à Primiero et à Schwaz.
177 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3650, f. 18 (1454/30/VIII)
178 T. Temanza, Antica pianta… p. 70 et 72 : « rifiuti e calcinacci… in questo modo si è fatta poco a poco la bonificazione… ». Sur le site et son histoire, E. Concina, Parva Jerusalem, dans E. Concina, U. Camerino, D. Calabi, La città degli Ebrei. Il ghetto di Venezia : architettura e urbanistica, Venise, 1991, p. 11-24 ; W. Dorigo, Venezia romanica, La formazione della città medioevale fino all’età gotica, Venezia, 2003, p. 424.
179 Elle ne disparaît pas tout-à-fait, puisqu’on la trouve incidemment en 1479 (ASV, Provveditori di Comun, Capitolare, f. 22’) ; mais elle n’est plus opposée à d’autres variétés de cuivre.
180 ASV, Senato Terra I, f. 197’ (1446/24/VII)
181 ASV, Senato Terra II, f. 51’ (1447/4/XII) : a certo tempore citra sunt aliqui qui fecerunt malea et alia edificia ad laborandum et fondendum ramina… ; Terra III, f. 148 : Francesco Alberti « caldarer » vénitien, traite fer et cuivre près de Pordenone. Cf. R. Cessi, La regolazione delle entrate e delle spese (secoli XIII-XIV), Documenti finanziari della Repubblica di Venezia I, I, Padoue, 1925, p. CXCV ; construction près de Trévise d’un « batirame » avec soufflerie hydraulique, décrit par deux contrats successifs entre un Vénitien et des Milanais en 1471/1472 : ASV, Canc. Inf. 124, ff. 164-165, 254, 269’.
182 ASV, Senato Terra IV, f. 148’.
183 ASV, Senato Terra V, f. 34’.
184 Sur le système de la « fabrique » allemande dans le domaine textile à Côme, cf. les documents publiés par A. Schulte, Geschichte des Handels und Verkehrs im Mittelalter zwischen Westdeutschland und Italien mit Ausschluss von Venedig, Leipzig, 1900, II, n° 200-245, ou les régestes de G. Mira, Le fiere lombarde nei secoli XV-XVI, Côme, 1955, p. 160-177.
185 Cf. Ph. Braunstein, Le marché du cuivre à Venise… p. 83-84.
186 ASV, Senato Misti 60, f. 57’ (1437/14/II m. v.)
187 ASV, Senato Terra III, f. 9 (1451/22/XI)
188 ASV, Senato Terra V, f. 50’.
189 Cf. Ph. Braunstein, Le commerce du fer… p. 290 ; même pour faire l’horloge de St. Marc et sa cloche, on utilise une pièce d’artillerie brisée de l’Arsenal et on achète en deux fois 12.000 livres de cuivre « sporcho » à des Allemands, Lunardo Fulgur et Gismondo Aier : ASV, Senato Terra 13, ff. 157-159 (1500 /20 / XI)
190 ASV, Senato Terra V, f. 58 (1453/9/XI)
191 Ibid., ff. 50, 50’, 54, 99.
192 La banque Garzoni avance en 1467 1600 ducats pour que l’Arsenal puisse acheter 25 milliaires de cuivre (ASV, Senato Terra VI, f . 5) ; en 1482, « ser Francesco Pisani del banco se oferisse prestar ala Signoria nostra duc. 2000 » pour un achat de cuivre (ASV, Senato Terra VIII, f. 143’) ; Andrea de’ Garzoni accepte en 1494 d’avancer la somme nécessaire pour acheter à des marchands allemands 80 milliaires (38 t.) de cuivre (ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 26, f. 138)
193 ASV, Provveditori di Comun, Capitolare, f. 22’.
194 ASV, Maggior Consiglio, Cerberus, f. 79 (Si I, 6 et 9).
195 ASV, Maggior Consiglio, Clericus, f. 129 (1317/17/XI) ; Neptunus, f. 200’ (1322/14/ XII) ; Secreta, Capitolare dei Capi Sestiere, cap. 195 (1344/25/X) ; Senato Misti 48, f. 89 (1409/28/VI) ; Archivio Grimani-Barbarigo, B. 2 (1430-1440), f. 20 (1431/26/X).
196 ASV, Maggior Consiglio, Neptunus, f. 200’ ; Grazie 9, f. 72 (1343/21/I) : Si I, 69, 804. Certains de ces Allemands sont des importateurs réguliers et reconnus comme tels : fidelis servitor noster Matheus Bister de Viena, mercator Theotonicus, qui jam diu in nostro fontico Theotonicorum more mercatorio conversatus est faciens mercantiam fideliter et legaliter de multis pecuniarum quantitatibus cum bona utilitate introituum et datiorum nostrorum… (1428/30/IV) : ASV, Grazie, f. 101 ; Si I, 820. Sur l’approvisionnement de la Monnaie et plus largement sur l’institution monétaire à Venise au Moyen Âge, une somme, l’ouvrage de A. M. Stahl, Zecca. La zecca di Venezia nell’età medievale, Rome, 2008.
197 Si I, 82 (1329).
198 ASV, Maggior Consiglio, 12, f. 129 (1317) ; Si I, 68 (1322), 69 (1322), 85 (1329), 86 (1330), 804 (1343), 115 (1345) ; la présentation doit être faite immédiatement (hora debita) ; la non-présentation, lorsqu’elle est dénoncée, entraîne une peine du quart de la valeur.
199 Si I, 55 (1318) : valsia una de corio et fundae due de corio ab uno capite ligatae insimul et in junctura sigillatae cera viridi ; 115 (1346) ; bala in qua erat dictum argentum ; 199 (1363) : in una canevaçia ; 298 (1410) : in pallula ; II, 11 (1340/24/IV) : res argenti invente absconse in quadam valice .
200 Si I, 46 (1316) ; le texte sur l’encadrement des opérations par le courtier in F. C. Lane- R. C. Mueller, Money and Banking in Medieval and Renaissance Venice, I, Coins and Money Account, Baltimore-Londres, 1985, p. 628.
201 Capitolare dei Visdomini del Fondaco dei Tedeschi in Venezia, Capitular des deutschen Hauses in Venedig, éd. G. M. Thomas, Berlin, 1874, cap. 118, p. 42.
202 ASV, Grazie 10, f. 5 : Si I, 104 (1343).
203 ASV, Grazie, 16, 1369/19/XII.
204 ASV, Giudizi di Petizion (1372-1430), fasc. D, f. 14 : Si I, 263 (1390/16/XII))
205 ASV, Senato Misti 45 , f. 39’-41’.
206 ASV, Senato Misti 49, f. 128 (1412/18/VI) : de nombreuses personnes possédant maspillos, cingula et ornamenta aurea et argentea et argenteras multas… vollent ponere ipsa in cecham… propter factiones et impositiones ; elles ne paient pas le quint.
207 ASV, Grazie 16, f. 123’ (1370) : Si I, 810 ; 17, f. 40 : Si I, 225 (1375)
208 Un Allemand de Ratisbonne, familier du marché vénitien, prétend avoir confié 370 florins au changeur Filippo Marmora (ut melius essent ibi salvi), alors que les officiers du Fondaco l’accusent d’avoir vendu tot marchas auri et argenti quod ascendebat ad valorem librarum 33 grossorum, quod aurum non fuit presentatum ut debuit et ideo cecidit ad penam quarti ipsius auri et argenti : Si I, 804 (1343/21/I). Voici un Vénitien qui présente aux Officiers de l’argent « en son nom », 99 marcs d’argent appartenant en réalité à un Allemand qui le chargeait d’investir pour son compte ; or l’Allemand avait importé et déclaré 101 marcs ; non seulement le Vénitien avait trompé l’Office sur la somme, mais encore il avait fait perdre à l’État les taxes perçues sur les marchandises achetées et exportées ad valorem dicti argenti… : ASV, Grazie 16, 107 (1369) : Si I, 809.
209 ASV, Maggior Consiglio, Ursa, f. 28’ (1418/6/XII), 45’ (1421/29/V) ; Grazie 13, f. 79 (1356/7/VII) : un Allemand se rend à St.Marc une nouvelle fois pour vendre à l’un des changeurs des monnaies de Friesach ; les Officiers de l’argent sollicités constatent un lot de fausses monnaies : invenerunt bonos in uno saculo et ipsos ostendebat campsoribus et et malos in uno alio saculo…
210 A. Luschin von Ebengreuth, Allgemeine Münzkunde und Geldgeschichte des Mittelalters und der neueren Zeit, Munich, 1969, p. 282.
211 Un courtier du Fondaco complice d’un client allemand ; trois anciens officiers du Fondaco et un notaire sont condamnés pour fraudes répétées : ASV, Grazie 15, f. 17’ (1361) : Si I, 188 ; Senato Misti 31, f. 44 (1363/26/X) : Misti 48, f. 32 (1408/10/IX) : Il est interdit aux estimateurs d’or de faire commerce d’argent et d’avoir des parts de société avec des hommes d’affaires traitant des métaux précieux, quare habebatur ymaginatio ut dicti extimatores se intelligerent cum bancheriis in facto argenti…
212 ASV, Senato Misti 45, f. 39’-41’.
213 Cf. I. Voje, « Argento de glama », dans Revue historique de l’Institut d’histoire de Belgrade (Istorijski Časopis), XVI-XVII, 1970, p. 15-43.
214 ASV, Senato Misti 47, f . 111’ (1407/10/V) ; Misti 52, p. 54’-56 (1417/11/XI) ; Cf. R. Cessi, La regolazione delle Entrate e delle Spese… p. 200.
215 Sur l’institution du quint, cf. F. C. Lane et R. C. Mueller, Money and Banking in Medieval and Renaissance Venice, I, Coins and Money of Account, Baltimore-Londres, 1985, p. 194 ; ASV, Maggior Consiglio, Leona (1384-1415), f. 239 (1414/14/VI) : la somme à payer dans les huit jours par ceux qui font affiner de quatuor quintis solummodo quia quintum debet poni in cecha sine angaria secundum ordines terrae.
216 ASV, Senato Misti 59, f. 37 (1434/9/III).
217 ASV, Senato Misti 50, f. 90 et 53, f. 106.
218 A. Puschi, L’atelier monétaire des patriarches d’Aquilée, dans Annuaire de la Société française de Numismatique et d’Archéologie, 1887, p. 371-388 et 459-484 ; 1888, p. 32-77 et 197-221 ; A. Luschin von Ebengreuth, I monetieri del sacro Romano Impero in Italia, dans Rivista italiana di Numismatica, 20, 1907, p. 295-310, particulièrement p. 308 ; J. Cahn, Der Strassburger Stadtwechsel, Ein Beitrag zur Geschichte der älteren Banken in Deutschland, dans Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 53, 1899, p. 44-65
219 ASV, Maggior Consiglio, Leona (1384-1415), f. 103’ (1399/II/XI) : officiales intrantes in dicto offitio non possunt habere bonam praticam ponderandi nisi transacto multo tempore in offitio… ; ASV, Senato Misti 45, ff. 41 et 95.
220 Cf. l’esquisse de G. Majer, L’officina monetaria della Repubblica di Venezia, Venise, 1954.
221 La description des opérations à partir de ASV, Senato Misti, 53, f. 106 ; 45, f. 39’ ; 53, f. 154 ; Senato Terra, VII, f. 59 ; Consiglio dei Dieci, Misti 18, f. 51 ; 24, f. 184’.
222 ASV, Senato Terra II, f. 43 (1446/28/VIII) : cum notum sit omnibus quanto studio et quanta arte multi domini forenses elapso tempore enixi sunt contrafacere ducatos et soldos et alias nostras monetas… providendum est quod proprius et verus cunius nostre zecce non possit unquam pervenire in manos alicuius forensis aut hominis levis conditionis…
223 ASV, Maggior Consiglio, Leona (1384-1415), f. 228 (1414/22/IV) : cum in massaria monete auri sit magna quantitas auri quod propter refutare massariorum qui refutaverunt remanet impeditum… : leur salaire est augmenté : Senato Terra II, f. 43 ; Consiglio dei Dieci Misti 23, f. 90 : les magistri stamparum déclarent en 1487 que leurs salaires ne leur permettent pas de vivre ; les menaces de grève entraînent le relèvement des salaires : ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 23, f. 125’.
224 ASV, Senato Misti 53, f. 106 ; Terra, I, f. 116 ; III, f. 139 (1454).
225 ASV, Procuratori di San Marco, Commissarie, Misti 182, Guglielmo Condulmer (1382-1478).
226 ASV, Procuratori di san Marco, Commissarie, Misti 141 A, Piero di Bernadigio, quaderno, f. 6 ; pergamene (1398/26/II et 15/V).
227 Les deux premiers figurent dans la liste des massarii publiée par N. Papadopoli, Le monete di Venezia, Venise, 1893, Appendice II, p. 394 et 398.
228 ASV, Manoscritti, A. Barbaro, Arbori de patricii Veneti, II ; si la fonction de banque est totalement absente de cette source, il n’en demeure pas moins que R. C. Mueller, dans son ouvrage The Venetian Money Market. Bank, Panics and the Public Debt 1200- 1500, Baltimore-Londres, 1997, Appendix A, p. 582, inscrit le personnage dans la liste des banquiers. La référence sur laquelle il se fonde est un compte de loyers tenu entre 1397 et 1411 par « Donado qd. miser Vetor Soranzo » : l’un des locataires de Soranzo, tenancier de la taverne de la « Saraxin », paie son loyer annuel par l’entremise de Vielmo Condulmer, désigné en mai 1411 comme « cambiador a rialto », qui remet la somme comptant au propriétaire (« per bancho ») : ASV, Miscellanea di carte non appartenenti a nessun archivio, b. 28, Quaderno Soranzo, f. 31’. On peut envisager une évolution dans sa carrière, car il était en 1399, résidant à S. Sofia, commissaire de son voisin, un « batioro » de S. Martial : ASV, Canc. Inf. 168 (1399/3/IV) et figure dans la liste des membres de la Scuola de la Misericordia comme « Vielmo batiauro de S. Sofia ».
229 Welthandelsbräuche (1480-1540), éd. K. O. Müller, Stuttgart-Berlin, 1934 (Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, V), V, 2, p. 317.
230 Sur ce point, cf. plus haut, p. 531 : Ce Gualterio Portinari n’apparaît pas dans les tableaux généalogiques dressés par R. de Roover, Il banco Medici dalle origini al declino (1397-1494), Florence, 1970 ; son lointain cousin, Antonio, fils d’Albizo, est dénoncé en 1380 à l’administration financière du royaume de Hongrie comme quasi Venetorum explorator et civis : cf. Monumenta Hungariae Historica… n° 160.
231 Cf. G. B. Verci, Delle monete di Padova, Nuova raccolta delle Monete e Zecche d’Italia di Guid’Antonio Zanetti, III, Bologne, 1783, p. 359-433 : protocollo di Giovanni Angelini di Alberto Angeletto, notaio bolognese : capitolo dell’argento.
232 Monumenta Hungariae Historica… n° 400 et 401.
233 W. von Stromer, Nürnberger Unternehmer im Karpathenraum. Ein oberdeutscher Buntmetalloligopol (1396-1412), dans Kwartalnyk Historii Kultury Materialnej, Varsovie, 1968, p. 641-662.
234 I libri contabili dei fratelli Caboga (Kabužić) (1426-1433), éd. par D. Kovačević-Kojić, Belgrade 1999.
235 Sur ces personnages, cf. plus haut, p. 264 et suiv.
236 D.A. Dubrovnik, Privata 19, 28, I.
237 A.M. Watson, Back to Gold- and Silver, dans Economic History Review, 20, 1967, p. 1-34, particulièrement p. 23.
238 Ces aspects de l’histoire du marché des métaux monétaires ont été magistralement exposés par F. C. Lane et R. C. Mueller, Money and Banking...
239 ASV, Senato Misti 36, f. 86’ (1380/1/IV).
240 ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 24, f. 199 (1491/13/I) : associé à Anton von Ross, financier de l’archiduc d’Autriche, Hans Paumgartner aurait souhaité déposer son argent à la Zecca pour le monnayer ou recevoir l’autorisation de le réexporter sans frais ; les deux propositions sont rejetées et le Doge conclut : si se voluerint adaptare circa pretia, invenient habundanter emptores ipsorum argentorum suorum. Cf. Ph. Braunstein, Les entreprises minières… p. 579-580.
241 ASV, Secreta, Capitolare dei Capi Sestiere, 134, ff. 50-52 ; 192-195, ff. 81-83 ; décrets de la Quarantia (1338-1344) publiés par F. Lane et R. C. Mueller, Money and Banking… p. 628-632.
242 ASV, Senato Misti 36, ff. 86 et 92’ ; Terra III, f. 128’ ; R. C. Mueller, The Venetian Money Market… p. 235 : en 1497, Michele da Lezze avait expédié à Alexandrie 6 sacs de monnaie, soit 7000 ducats, pour acheter des épices ; il en fait revenir à Venise 1400.
243 F. C. Lane et R. C. Mueller, Money and Banking… I, p. 547-549 ; R.C. Mueller, o. c., p. 234.
244 ASV, Senato Terra I, f. 115 (1442/24/I m. v.) : Capta hac parte cridari et mitti debeat pro quatuor aut quinque mercatoribus theotonicis ex principalibus qui soliti sint conducere argentum et eis detur noticia de continentia partis soprascripte. Dans les années de l’extrême fin du siècle, le marché de l’argent a été dominé par 5 à 10 personnes étroitement liées à la banque, en particulier Antonio Cavalli (Anton von Ross) associé au Tirol à la firme Paumgartner, « Zorzi orese » de Raguse, citoyen de Venise depuis 1460, qui fait faillite en 1491 avec 40.000 ducats de dette, les frères Stammler d’Augsbourg et leurs compatriotes Fugger : R. C. Mueller, o. c., p. 321-233.
245 Si I, 265 (1391/11/I).
246 Si I, 225 (rogo te quod salves mihi istas tres peccias argenti) et 804 (videns quod pericolosum erat tenere penes se dictos florenos recommendavit eos ad tabulam ser Filippi marmora ut melius essent ibi salvi).
247 Si I, 258.
248 ASV, Giudizi di Petizion, Sentenze a Giustizia, 685, fasc. 18, f. 88’ (1410/10/IX) : per unum famulum date fuerunt dicto ser Marco platine auri decem plurium caratarum… dictum aurum vendere deberet et solvere illis quibus ipse se constituerat plezius ac etiam sibi solvere de eo…
249 ASV, Commemoriali 3, f. 33’ ; cf. Predelli III, n° 133 (1328/23/III).
250 ASV, Giudizi di Petizion, Petizioni 1372-1430, fasc. D, f. 14 ; Si I, 263 (1390/16/ XII) ; cf. plus haut, p. 213.
251 ASV, Archivio Grimani-Barbarigo, reg. 2, c. 115 (1433/28/VII) ; c. 133 (1434/3/ VII et 20/VIII) ; c. 134 (1434/27/I m. v.) ; c. 185 et 190). Un bon observateur des usages vénitiens, Arnold von Harff de Cologne, remarque combien peu d’argent liquide circule entre les marchands : « Aseyn kouffman dem anderen aeff hait gegolden dat oeverwijst eyn dem anderen in den bencken so dat wenich geltz dae under den kouffluden over getzalt wyrt » : Die Pilgerfahrt des Ritters Arnold von Harff in den Jahren 1496 bis 1499, éd. E. von Groote, Cologne, 1860, p. 41.
252 Cf. R. C. Mueller, The Venetian Money Market… p. 144 et suiv. ; les exemples cités p. 161 sont tirés de Si I, 297, 329, 414 et 1424.
253 Reiserechenbuch des Hans Keller… p. 834.
254 ASV, Senato Terra 14, f. 44 (1501/15/X) : « danar contadi over danari al Sal ».
255 ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 26, f. 138 (Si I, 597) ; M. Sanudo, I Diarii… II, 283 (1498/31/XII) et 736 (1499/20/V), III, 98 (1500/3/II). Il est à noter que la banque Garzoni avait prêté à l’État 1.200.000 ducats depuis 1470 : par exemple, lors de l’achat de 80 miers de cuivre à des marchands allemands pour l’Arsenal en 1495, Andrea de’ Garzoni avait fait l’avance et se faisait rembourser par les « revenus ordinaires » de la Chambre des « Imprestiti » et, si nécessaire, par l’Office du Sel (Si I, 597). Les 4 « banchi a scripta », en particulier la banque Lippomani, avaient été autorisées à déposer à la Zecca 1500 marcs d’argent pour la frappe monétaire à condition de prêter à l’État 3000 ducats pour deux mois : ASV, Consiglio dei Dieci, Misti 24, f. 36 (1488/13/XI) ; au moment de la faillite, la banque Garzoni regorgeait de métaux précieux, or et argent, à ne savoir qu’en faire : « de oro e arzento hanno non sa che far perho che a meterli in zecha… », mais la taxe à payer lui paraissait excessive : ce sont les services rendus à la clientèle allemande et les exigences de l’État qui contribuaient ainsi à la fragilité des banques. Un marchand allemand tentait en vain en 1499 de récupérer les barres d’argent qu’il avait déposées à la banque Lippomani pour la valeur de 1800 ducats, mais elles avaient déjà été portées à la fonte.
256 R. C. Mueller, o. c., p. 249-250.
257 Dans son article paru dans l’Economic History Review de 1967, « Back to gold and silver », A. M. Watson rappelle (p. 34) que les pays arabes étaient aussi des intermédiaires entre l’Europe et l’Extrême Orient et que la « ratio » entre l’or et l’argent, mais aussi avec le cuivre, dépendait du pouvoir de l’Inde, voire de l’Insulinde, à attirer les métaux monétaires circulant dans le bassin de la Méditerranée.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
De la « Cité de Dieu » au « Palais du Pape »
Les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle (1254-1304)
Pierre-Yves Le Pogam
2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007