Chapitre V. Un rialto germanique
p. 363-406
Texte intégral
1Nous avons suivi, dans les lieux où ils ont vécu, les acteurs toujours renouvelés de l’échange. Même s’ils ont laissé peu de témoignages personnels sur leur séjour vénitien, ils devaient bien considérer que leur présence avait, de génération en génération, entretenu au cœur de la ville une offre toujours renouvelée du luxe, suscitant rencontres et désirs : de part et d’autre du Rialto, sur un axe central qui longeait leur résidence obligée, les épices et la soie arrêtaient à chaque pas leurs allées et venues. Nulle part dans le monde d’où ils venaient on ne rencontrait une concentration comparable de produits rares et chers et les grands personnages venus d’Outre-Alpe en mission ou en pèlerinage, logés dans les meilleures auberges du quartier, découvraient, rassemblées, les marchandises qui, passant des boutiques aux chambres du Fondaco, allaient orner leurs lointaines armoires et tables de fête. C’est sous le signe d’un « Rialto germanique »1 que l’on peut maintenant décrire les parages du Fondaco, en commençant par les résidences offertes aux gens du Nord, en continuant par les magasins des épiciers, de S. Salvador à S. Zulian, puis par les boutiques de soyeux, de la porte du Fondaco à S. Giovanni Grisostomo. Nous rencontrerons trois Allemands de référence, Peter Pender, l’hôte de la « maison allemande », Angelinus Longonaso, l’épicier de S. Salvador, et retrouverons Hilpolt Kress de Nuremberg, ami des Lucquois, les frères Amadi.
Les auberges de Venise
2La présence d’hôtels réputés à proximité du Fondaco, le fait que nombre d’entre eux sont tenus par des Allemands conforte l’image d’une forte présence de voyageurs d’Outre-Alpe aux alentours du Rialto, pèlerins de grandes familles, souvent apparentés aux marchands de leur ville, ambassadeurs et représentants des princes et des communautés urbaines de toute l’Europe germanique. À la fin du XVe siècle, des hommes d’affaires sont en outre amenés, faute de place, à résider hors du Fondaco et leur présence est suffisamment diffuse pour que Gentile Bellini en dispose un groupe de trois, assistant à la grande procession sur la place Saint-Marc. Descendre dans un hôtel tenu par des Allemands offre aux gens du Nord l’avantage d’être compris ou reconnu ; à Venise, comme dans toute l’Italie du XVe siècle, le métier d’aubergiste, à tous les niveaux de clientèle, est une spécialité allemande : Enea Silvio Piccolomini, grand voyageur, a décrit le phénomène avec une précision lapidaire2. À Venise, tavernes, hôtels et bordels sont souvent entre les mains d’étrangers, qu’un texte du Collegio désigne de manière méprisante de « faquins »3 ; on a vu comment les exigences de grands personnages voyageant avec une suite nombreuse rendaient difficile un logement convenable ; c’est sans doute aux tenanciers d’auberges modestes, voire médiocres, que fait référence le très soupçonneux secrétaire du Collegio4.
3Une chronique vénitienne fournit la liste de tous les hôtels, assurant logement et restauration, dignes de porter ce nom vers 1560, répartis entre les deux secteurs de S. Marco et du Rialto, en comptant à part trois établissements situés près du Fondaco, où les Allemands avaient l’habitude de descendre5. La plupart de ces hôtels, qu’ils aient appartenus à des particuliers comme Marin Sanudo ou à des établissements ecclésiastiques, ont laissé leur trace dans l’actuelle topo-onomastique de Venise et nombre d’entre eux ont existé continûment depuis le XVe, voire le XIVe siècle6. Pour les officiers de la « Giustizia Nuova », dont dépendaient les exploitants (« conduttori »), la distinction se faisait moins par la qualité de l’hébergement que par la fourniture de vin, une ressource essentielle pour les rentrées fiscales : les « hostarie a pluri », seules autorisées à fournir à leur clients des vins de qualité, alors que les « hostarie a minori » ne pouvaient offrir que du vin courant à une clientèle d’homines vilis conditionis7. Mais rien ne put empêcher la multiplication de lieux de consommation au pied levé (« furatole » ou « bastioni ») contournant, à la fin du XVe siècle, le prélèvement de la taxe sur le vin. Des Allemands sont présents à tous les niveaux de l’offre, même les plus modestes, mais la qualité des meilleurs hôtels se mesurait autant à la table et au linge qu’au privilège de boire du vin de Candie ou de la malvoisie.
4Deux types de sources nous informent sur la qualité des hôtels, les récits de voyage et les actes judiciaires ; les premiers fondent la bonne réputation d’un établissement, surtout lorsqu’ils sont concordants ; les seconds, faisant de la salle d’hôte ou des chambres le théâtre de scènes violentes ou dégradantes, font peser la présomption de « mauvais lieu ».
5Avant de décrire les établissements réputés, sis près du campo de S. Bartolomeo, et particulièrement les trois hôtels du « Lion Bianco », du « S. Zorzi » et de la « maison allemande », faisons le tour des mauvais lieux, que les Allemands n’étaient pas seuls à fréquenter.
Tavernes et mauvais lieux
6Le mauvais lieu, on s’en doute, ce sont le vin, les jeux de hasard et les filles. Tout commence à la taverne. Félix Faber remarque que les tavernes vénitiennes, qu’elles soient licites ou clandestines8, ne semblent faites que pour les Allemands, les Esclavons et les prostituées9. La loi interdit aux Vénitiens de boire du vin dans des lieux publics, et le moine, comparant la sobriété vénitienne à l’intempérance germanique, note que la tempérance forcée a une portée politique : elle entre dans un plan de sauvegarde de l’État. En revanche, on laisse les étrangers boire et se servir mutuellement à boire : soupape de sûreté, concession aux mœurs d’autrui ? Les Seigneurs de la Nuit devaient exercer un contrôle étroit sur les étrangers réunis dans les débits de boisson et les patrons qui avaient acheté une licence d’exploitation.
7Les hôtels qui possédaient une taverne comptaient beaucoup sur la vente du vin pour rentrer dans leurs frais, comme le reconnaît la tenancière de la « Spata » au Rialto en 141410 ; neuf patrons d’établissement avaient même tenté d’accroître encore leurs bénéfices en se faisant fabriquer par un verrier de Murano des bouteilles de contenance frauduleuse ; le procès qui leur fut intenté en 1398 après enquête des Seigneurs de la Nuit donne une liste de tavernes et d’hôtels, qui ne sont pas tous des mauvais lieux11, même si sur la qualité du public qui les fréquente on peut avoir quelques doutes ; le vin aidant, on y plume les naïfs. Voici Johannes Grop, clerc d’Augsbourg, descendu à l’auberge de l’« Étoile » près de S. Marco en mai 1398, et qui, cherchant à se faire établir une lettre de change de 48 ducats sur Rome, va trouver un de ses compatriotes, Jacob Tanner, établi boulanger à Venise. Ce dernier se fait remettre les florins rhénans et prétend avoir un correspondant à Rome. Puis rencontrant place St. Marc un certain Thomelino, les deux hommes se rendent avec lui à la taverne de la « Colonne » au Rialto. Comme par hasard, ils y retrouvent deux compères, Angelinus le cuisinier et Rodolphe dit Rodolin ; on fait apporter des bouteilles de malvoisie, et on les joue aux dés ; Johannes Grop est, comme par hasard, le grand perdant ; on lui réclame 70 ducats ; les 48 ducats remis à Tanner servent d’acompte.
8Dégrisé, le clerc porte plainte ; des quatre individus, bien connus par les Seigneurs de la Nuit comme des pendards (male condicionis et fame), on ne retrouve que Thomelino d’Allemagne. Il rend les 7 ducats qui lui restent, il est fouetté sur le trajet de St. Marc au Rialto, puis banni de Venise12.
9Après la ruse, la violence, où le vin à sa part13. Dans la même auberge en 1408, Johannes de Salzbourg, qui jouait aux dés avec des portefaix, éméché et furieux d’avoir perdu, défigure le portrait du Christ peint sur un mur de la salle14. Dans la même salle, en 1457, un dénommé Jacob, tisserand de draps flamand, assassine un Florentin qui soupait avec quelques Flamands ; au « Sturione », en 1396, une bagarre oppose un cordonnier de Trévise et André de Trente, gardien des Seigneurs de la Nuit ; à l’auberge de la « Scala », proche du Rialto, tenue en 1429 par Jacobus Johannis de Alemania, Jean de Brabant bat à mort une putain en 1447. Autre auberge, dont le public n’est pas de premier choix, l’hospitium Spate, où vit avec une putain Jacobus de Vienne, accusé d’avoir volé des ornements sacrés à la Madonna dell’Orto et d’avoir tenté de les écouler dans cet hôtel15.
10On se souvient de l’expression méprisante par laquelle le secrétaire du Collège désignait les tenanciers d’hôtels. Il est certain que nombre d’entre eux, en particulier des Allemands, favorisaient la prostitution et en vivaient. Quoique la question n’ait pas été posée pour l’ensemble du monde méditerranéen, au moins sur les itinéraires fréquentés par les Occidentaux, il semble que les Allemands aient eu communément la réputation de tenir les bordels en Italie. À Florence, la confrérie de Ste. Barbe installée dans l’église S. Lio, était véritablement une societas lenonum, association de proxénètes allemands, officiellement rangés dans des catégories professionnelles honorables (tissage, chaussure, alimentation etc. )16 ; l’association recevait des legs testamentaires d’aubergistes allemands, hommage que le vice rendait au vice. Pour les propriétaires d’hôtels établissant leur déclaration fiscale ou sollicitant une réduction de taxe, ruffians et Allemands, c’est tout un ; gens sans aveu, locataires qui détériorent ou détruisent le mobilier, et partent à la cloche de bois.
11À Venise comme ailleurs, la violence nous met sur la piste de la misère sexuelle et de la prostitution. En 1417, le peintre Jean de Cesena, dit Boldrin, conduit une jeune Slavonne à l’hôtel que tient à Castello Magdalena, épouse de Johannes Sigismondi ; on donne à la jeune fille ses vêtements de travail : robe rouge, bonnet rouge, tunique verte à boutons d’argent. Lorsqu’elle comprend ce qu’on demande d’elle, elle tente de se tuer, et ses hurlements la sauvent17.
12Tenu par des Allemands, l’hôtel du « Cavalletto » situé à S. Marco près des Procuraties n’a rien d’un bouge ; son patron Albert a été choisi comme arbitre à l’occasion d’un différend financier entre Allemands de Venise en 139318. Or, vingt ans plus tard, l’établissement est le théâtre d’un acte odieux : un boulanger allemand y conduit une petite fille de Ferrare, âgée de 10 ans, qu’il a trouvée en pleurs près de l’église St. Marc, et la confie pour un moment à l’aubergiste, Hermann d’Allemagne ; ce dernier viole l’enfant. Il est condamné à un an de prison et à la constitution d’une rente de 100 ducats, à raison de 10 ducats par an à verser à la Chambre des Imprestidi ; la somme revient à la Commune, en raison de la mort de la petite fille19.
13Entre ces faits divers, les bas instincts que condamne la morale de tous les temps ; mais aussi l’hôtellerie, et l’Allemagne à Venise. Un procès de 1414 nous révèle les liens qui unissent tenanciers et établissements dans la zone du Rialto, et qui sont sans doute responsables du climat trouble qui règne dans les salles d’hôte et dans les chambres.
14Le mari de la tenancière de Castello, que nous évoquions plus haut, est dans les mêmes années, le protagoniste d’un complot visant à la mainmise sur l’auberge « della Spata ».
15Le gérant de cette auberge, Menegin Tibaldo, lui-même hôte de la « Cerva », défend les intérêts de sa nièce Clara, âgée de 12 ans. En effet, la sœur de Menegin, remariée à Pasqualinus, hôte du « Sturione », a promis sa fille à un associé de Johannes Sigismondi, le contrat spoliant Clara des « imprestita » que lui avait laissés son défunt père Menegin del Armano20. Ténébreuse affaire autour d’une mineure et de son héritage, qui dévoile un réseau de relations familiales aussi dense que celui de la boulangerie et des fournils allemands. Ici, l’onomastique nous orienterait volontiers vers la Flandre, qui, tout au long du siècle, envoie à Venise aventuriers et femmes de tête21.
16Il faudrait suivre, au-delà de Venise, les ramifications de la diaspora germanique dans l’hôtellerie et les services en tous genres qui lui sont liés ; il semble que les pèlerins qui embarquent pour la Terre Sainte à la fin du XVe siècle retrouvent à certaines escales des compatriotes accueillants, qui reconstituent pour un temps, et dans une atmosphère coloniale, une petite Allemagne à la dérive, où l’on se fait comprendre à demi-mot : cherchant une auberge en Crète, Félix Faber, le moine d’Ulm, confesse qu’il n’a trouvé à dîner que dans la maison close que tenait une Allemande22. Filles, patronnes et proxénètes venus du Nord, installés en parasites au cœur du système hôtelier germanique en Italie et au-delà des mers : voilà de quoi fonder la solide réputation de brutalité et de débauche que la littérature italienne attribue aux Allemands, comme s’ils étaient tous des lansquenets en territoire conquis23. D’où peut-être l’étonnement de Pétrarque découvrant à Cologne, le jour de la St. Jean 1333, la noble allure des vierges en procession le long du Rhin, ou l’admiration – teintée d’envie – du Pogge, décrivant en 1416 la liberté de comportement qui règne aux bains publics de Zurich, mais aussi l’innocence souriante des paroles, des gestes et des jeux24.
Des établissements germaniques réputés
17Il existe aussi à Venise des établissements tout-à-fait honorables ; les sources, on s’en doute, sont moins loquaces à leur sujet. La distinction géographique entre bons hôtels et mauvais lieux ne correspond pas à l’opposition que fait la description de 1560 entre le secteur de St. Marc et celui du Rialto, car, nous allons le voir, plusieurs bonnes adresses pour voyageurs rassis et fortunés se situent à proximité du Fondaco. La distinction s’opère plutôt entre les deux rives du Canal Grande et des cercles imaginaires de sociabilité : le secteur des affaires et du commerce au détail, du marché du Rialto vers S. Aponal, attire une clientèle mêlée de petites gens ; patrons et tenanciers sont le reflet de leur clientèle25. Que l’on s’éloigne encore du Rialto, et l’on rencontre les hôtels juifs, dans les deux zones où les Juifs s’étaient installés à la fin du XIVe siècle et où, après leur expulsion de la ville, ils conservèrent des habitudes, à S. Polo et à Castello26 : le juif Vidal, fils de Sabatta, reçoit en 1477 pour le temps de sa vie et de celle de ses enfants le privilège de loger les juifs étrangers de passage à Venise dans l’« hostaria di Ghetto »27 ; c’est-à-dire que le regroupement dans la paroisse de S. Sofia, puis l’ouverture d’un hôtel public, préparent, dans ce secteur marginal de l’urbanisme vénitien, l’installation définitive et obligatoire à partir de 1516 dans ce qui allait devenir le « Ghetto », une génération plus tard. D’autre part, une bagarre entre juifs à S. Polo atteste qu’en 1488, il existait aussi une auberge réservée aux juifs dans ce deuxième secteur : la paroisse de S. Aponal comptait un certain nombre de juifs résidants dès 138028.
18On voit comment, en s’éloignant du Rialto, on s’éloignait aussi au XVe siècle de la façade respectable et orgueilleuse de Venise que l’on faisait admirer aux étrangers. Revenons donc dans la zone du pouvoir, des festivités et du luxe, entre le Fondaco et la place St. Marc.
19Non loin de St. Marc, dans la paroisse de S. Basso, l’auberge « del Capello », tenue par des Allemands dans le premier quart du XVe siècle, accueillait les ambassadeurs du roi de Pologne, accompagnés par Piero Bicarano, ainsi que les ambassadeurs du roi de Hongrie29. La politique italienne des rois de France, la politique européenne de Venise dans la seconde moitié du XVe siècle rendirent nécessaire la création de plusieurs hôtels où logèrent les ambassadeurs et autres grands personnages d’Occident : Français et Bourguignons chez Thomas Morel, hôte à S. Moysè ou chez Auguste de Rély, à « La Rose », puis à « La Couronne », Flamands et Anglais chez Bertrand de Taxale, Allemand, qui tenait hôtel à S. Fantin30.
20Les Allemands de marque, s’ils n’étaient ni hommes d’affaires ni pieuses personnes, avaient à leur disposition les trois auberges que signale la liste de 1560 et dont deux d’entre elles existaient à tout le moins depuis le dernier tiers du XVe siècle. Sur l’« Aquila Nera », tenue de façon continue par des Allemands aux XVIe et XVIIe siècles, aucune information précise antérieure à 1550 et autre que la trace de l’établissement dans la topographie vénitienne31. En revanche, la maison de Peter Pender, proche du Fondaco, était ouverte par privilège vers 1470 aux Ultramontains de qualité. On peut se faire une idée précise de cette maison, ainsi que d’une maison voisine où Dürer résida et travailla pendant son séjour de 1506, grâce aux pages subsistantes du journal tenu par l’artiste qui, d’une plume rapide, a dessiné la façade, tracé et annoté les plans, à tous les étages, de la maison où il vécut32.
21Originaire de Francfort, Peter Pender était installé à Venise vers 1475, d’après la première mention qui le concerne33. Le personnage paraît étroitement lié à l’aristocratie des affaires et de la diplomatie, si l’on en juge par les quelques documents qui concernent son activité à Venise. Il reçut chez lui des hôtes illustres comme le duc de Poméranie en 1497, l’envoyé de l’Empereur Maximilien en 1499, l’ambassadeur du roi de Hongrie en 1500. Témoin en 1501, puis en 1502, en compagnie d’un officier vénitien, du testament établi pour un mercier de Cologne établi à Venise34, il fait lui-même appel en 1514 à ce même témoin, Dionisius Ferro, pour qu’il soit l’un des commissaires de sa propre succession. Mais ce que révèle son testament35, c’est l’étroitesse des liens qui l’unissaient de son vivant à un homme d’affaires bien connu des milieux allemands de l’imprimerie, Johannes Rauchfass, mort de la peste à Venise en 1478 : il entend perpétuer ce lien en se faisant enterrer à ses côtés, près de sa propre belle-mère et de sa première femme, ce qui laisse à penser qu’il avait épousé la fille de Johannes Rauchfass. Sa place dans le secteur le plus inventif de l’activité des Allemands à Venise à la fin du XVe siècle explique l’attention portée par le gouvernement vénitien à la maison où descendaient les ambassadeurs d’Outremont. Si son nom figure toujours dans le privilège de logement des Allemands à Venise en 1528, voire en 1532, il faut supposer que l’autorité dont jouissait le personnage se perpétua après sa mort dans le nom de l’hôtel. La même attention était portée à la « maison allemande » que l’on va évoquer, elle aussi tenue par un des hommes d’affaires allemands les plus impliqués dans le développement de l’imprimerie, Peter Ugelheimer. Cette « maison allemande », dite aussi le « San Zorzi » ou l’hôtel de la « Flûte », tenue en 1473 par un Henricus de Bononia, fut, quelques années plus tard, attribuée à Peter Ugelheimer, que l’on retrouvera plus loin dans ses activités d’éditeur36.
22Le récit que fit le moine d’Ulm de son premier séjour à Venise dans cette maison donne une image assez rare d’une hospitalité totalement germanique, puisque les domestiques ne comprennent pas l’italien et que le « noble » chien du maître de maison menace par des aboiements furieux tout visiteur qui ne parle pas allemand. Félix Faber qui arrive à Venise avec onze autres pèlerins raconte son arrivée en bateau au « S. Zorzi » par le rio del Fontego, l’ascension par un escalier de pierre jusqu’aux chambres qui leur sont préparées, probablement au 2° étage puisqu’il compte 60 marches. Il se réjouit d’être installé dans un hôtel confortable où sont déjà logés de grands personnages venus de différents pays et attendant un passage Outre-mer37. Lors de son second séjour en 1488, Félix Faber ne retrouve pas son hôte de 1483, car Peter Ugelheimer vient de mourir à Milan ; il se fait héberger au Fondaco dans la chambre des Rottengatter d’Ulm38. Cependant, la veuve de Peter Ugelheimer, aussitôt remariée à Nicolaus Frig, tient encore un temps l’hôtel avant de se rapatrier à Francfort.
23Du haut de sa chambre, le moine médite sur l’étrangeté de la ville en écoutant la rumeur de la mer ; il confesse son angoisse de ne pas entendre le bruissement des feuilles agitées par le vent. Habitué au décor champêtre des petites villes germaniques, il ne cache pas sa nostalgie (« Heimsucht ») et s’accommode tant bien que mal des splendeurs hautaines de pierre et d’eau39.
L’inventaire du « Lion blanc »
24La mort d’un Gantois de Venise, Jacob Brecht, en 1521 nous offre l’occasion de pénétrer dans le troisième hôtel germanique proche de S. Bartolomeo, celui du « Lion blanc », dont ce Jacob était le patron40. Les commissaires du défunt, parmi lesquels ne figure aucun membre de sa famille, appartiennent à la fois au monde des artisans allemands de Venise et à celui des marchands du Nord41 ; le plus connu d’entre eux est sans conteste Daniel de Bomberg, qui a déjà derrière lui à cette date une belle carrière d’éditeur à Venise. En présence de trois témoins, les commissaires parcourent la maison et dressent un minutieux inventaire du meuble42.
25L’intérêt de ce document, auquel on ne trouverait pas aisément de pendant, est multiple : il permet de saisir sur le vif – qu’on nous passe l’expression – une maison que la mort vient d’immobiliser. Les clients sont représentés par leurs effets personnels encore répartis dans leurs chambres. Le mobilier étant décrit pièce par pièce, on peut à la fois recomposer le cadre de vie qui accueillait à Venise les Ultramontains et décomposer, selon leur finalité, tous les éléments d’un train de maison destiné à coucher et à nourrir quinze à vingt personnes. L’immeuble lui-même est difficile à reconstruire ; d’après le nombre de lits, il devait avoir le même volume que l’auberge de Peter Pender, mais comporte moins de pièces : pas de salle d’hôte ou de salle-à-manger, des tables sont dressées dans la pièce spacieuse qu’on appelle à Venise le « portego », halle d’entrée des grandes maisons vénitiennes ; à l’étage, où le « portego » se répète, et peut devenir salle d’apparat, l’hôtel du « Lion blanc » a disposé plusieurs lits.
26Sur le « portego » du rez-de-chaussée donnent la cuisine, une chambre et un « soler », c’est-à-dire probablement une loggia de bois, où l’on a disposé un lit. Deux chambres à mi-étage, deux chambres donnant sur le « portego » supérieur ; en tout, 18 lits, plus 4 châlits, dont un à roulettes.
27En s’aidant de la disposition des lieux de l’auberge de Peter Pender, et en utilisant la mention des cheminées du « Lion blanc », on peut proposer une reconstruction hypothétique de la maison de Jacob de Gand et imaginer la répartition du mobilier.
28Les tables carrées, à l’allemande, comme celles que dessine Dürer, sont accompagnées de bancs afin de se mettre à l’aise pour prendre les repas ou pour écrire dans les chambres. Dans la cuisine, des bancs longs, sans table : coffres et caisses et une quinzaine de planches à découper de toute taille servent de plan de travail.
29Pas une pièce sans coffre ou caisse. On y range le linge de table et la literie, les vêtements, une partie de la vaisselle et la batterie de cuisine. Pour les objets plus fragiles, et que l’on ne manipule pas en toute occasion, écrins et cassettes : ainsi pour les verres de cristal ou la porcelaine fine.
30Les lits, disposés dans les pièces par deux, trois ou quatre – exactement comme dans l’auberge de Peter Pender – sont accompagnés de têtières et parfois entourés de rideaux ; portières de laine, tapis, tapisseries réchauffent un peu l’atmosphère.
31Dans toute maison vénitienne, les cheminées – on le sait par les fantastiques décors extérieurs que peignit Carpaccio – sont indispensables. À la répartition des chenets dans les pièces de l’hôtel, on constate que toutes les chambres, sauf une, sont chauffées. Chez Peter Pender, d’après le dessin de Dürer, les chambres du premier niveau n’étaient pas chauffées, à la différence des deux salles où étaient dressées les tables, dont l’une était peut-être la buvette, et l’autre, la salle d’hôtes. Inversement, au « Lion blanc », prendre ses repas dans le « portego » – et y coucher au premier, en cas d’affluence – devait, dès l’automne, donner des frissons aux clients.
32Le soir tombé, l’éclairage était assuré par des chandeliers de laiton, grands et petits, serrés dans une caisse du « portego » et sur le « soler ». Ajoutons quelques éléments de décor : outre un miroir, une effigie du Christ et une figure de Job dans la chambre du « portego », une statuette de Ste. Anne et un crucifix à mi-étage, et un tableau de la Madonne au premier étage.
33La capacité hôtelière du « Lion blanc » peut se déduire de l’inventaire du meuble, tel qu’on peut le répartir entre le tissu et le métal (Tableau 11).
34Dans les caisses du « portego » et dans la cuisine, sont rassemblés tous les instruments et ustensiles nécessaires à la préparation des repas et à l’entretien de l’hôtel. Nous pouvons les classer en fonction des différentes opérations de la vie domestique, en commençant par le foyer et en terminant par le service de table. Voici l’inventaire ordonné de la batterie de cuisine du « Lion blanc » (Tableau 12).
35En somme, 18 lits installés et 7 lits d’appoint avec leur paillasse ; 25 paires de draps, 22 couvertures, 27 coussins et près du double de taies d’oreiller ; une vingtaine de verres, une quarantaine d’assiettes, 5 tables carrées. Tous ces chiffres convergent vers un nombre maximum d’une vingtaine de clients.
Jacomo Zolo de Savoie | Vicenzo Zerchier de Savoie | Pitran le français |
un coupon de damassé noir à grandes fleurs (5 brasses) | deux paires de chausses usagées | une veste de drap noir plissée |
36Quelle est la situation au moment où la mort de Jacob de Gand interrompt la vie de l’hôtel ? Trois chambres seulement paraissent occupées par des clients, celles où les commissaires notent la présence de caisses, ouvertes ou fermées, appartenant à des étrangers ; ce sont, au premier et au second niveau, les chambres à quatre lits. En bas, 6 caisses appartenant à des Savoyards et à un Français ; en haut, 8 caisses de marchands, fermées à clé (Tableau 13).
37Une douzaine d’hôtes, en demi-saison ; et un patron qui a sans doute passé ses derniers jours dans cette chambre à mi-étage, la seule qui n’ait qu’un lit et qui soit chauffée, avec son pittoresque de vieilleries hétéroclites : vêtements défraîchis, draps usagés, épée sans garde, une bague en gage, de la monnaie dans une escarcelle, vieux papiers dans une cassette, et deux bouts de tapis portant les armes du « Lion blanc ».
38Dans la maison silencieuse, le perroquet est toujours dans sa cage, sur le « soler ».
39Cette description balzacienne, que nous avons voulu mener jusqu’au terme, met des images véristes sur un discours qui risquerait fort de demeurer désincarné. La présence allemande à Venise au début du XVIe siècle, ce ne sont pas seulement les mouvements de fonds et les magasins du Fondaco, les boutiques, les ateliers et les « scuole » du petit peuple ; ce sont aussi les capacités d’accueil des quelques hôtels « honorables » de la zone de S. Bartolomeo. À une époque où le Fondaco n’assure plus la fonction exclusive qui avait été la sienne et où les marchands du Nord viennent grossir les rangs des clients d’auberges vénitiennes, on peut être surpris que l’un des trois hôtels officiellement attribués aux Ultramontains soit aussi modeste : modeste par son cadre familial, modeste par le nombre de ses hôtes, modeste par le train de vie de son patron. Jacob de Gand n’est sans doute pas à Venise, au moins dans ses derniers jours, un personnage aussi entreprenant et bien en cour que Peter Ugelheimer ou Peter Pender43, et l’inventaire du « Lion blanc » détaille une situation matérielle dont il ne faut pas inférer sans précaution à celle des autres auberges réputées. Il demeure que les croquis de Dürer, la description de Félix Faber et l’inventaire de 1521 concourent à l’image familière, accueillante, « gemütlich » (l’intraduisible bien-être germanique) du décor où vivaient les Allemands, Flamands et autres Nordiques à proximité du Fondaco. Une soixantaine de personnes, qu’il faut rajouter aux pensionnaires du Fondaco sans oublier trafiquants, malchanceux, désargentés venus d’Outremont loger chez leurs compatriotes moins recommandables de part et d’autre du Rialto.
La tentation épicière : du côté de S. Salvador
40Sortant du Fondaco en direction des actuelles « Merzerie », le marchand allemand parcourait l’ » Aromataria », bordée jusqu’à S. Salvador et S. Luca par une dizaine d’épiceries : ces « bottege », ateliers et boutiques, offraient aux chalands toutes les épices médicinales venues d’Orient : cette spécialisation était confirmée par la présence de la « scuola » de S. Teodoro, où se réunissaient médecins et chirurgiens, face au couvent des chanoines augustins de S. Salvador : ces derniers étaient propriétaires d’une grande épicerie, à l’enseigne de la « Croxe », dont la réputation dépassait le cadre vénitien44 : on en connaît le décor intérieur, avec ses rangées de vases de céramique, et son gérant fut pendant une dizaine d’années, entre 1465 et 1475, un épicier originaire d’Arezzo, Agostino Altucci, dont la comptabilité a été conservée45.
41La distinction opérée depuis 1394 par la puissance publique entre les métiers de la pharmacie et la mercerie en gros (« spezieri da medicina » et « spezieri da grosso »)46 ne doit pas faire illusion : s’il est vrai que les droguistes, mettant à la vente tous les produits de ménage et d’exotisme, tels que le riz, le corail et le coton, étaient au XVe siècle regroupés sur l’autre rive, entre le marché du Rialto et S. Aponal, la comptabilité conservée d’Altucci fait apparaître qu’à S. Salvador on vendait aussi, à côté des épices médicinales, des draps fins, du coton, des pierres précieuses, des colorants, ainsi que des articles de quincaillerie comme les dés à coudre et les aiguilles, dont la provenance était plus nurembergeoise qu’orientale47. La désignation du métier demeure ambiguë, puisque le parcours de l’ancienne « aromataria » est devenu celui des « merzerie » : certains épiciers sont qualifiés dans les sources notariales de merciers, dont on a pu écrire qu’ils étaient étroitement liés à la production et au commerce des soieries48 : on le vérifiera plus loin, tant les relations entre grossistes et détaillants, entre boutiquiers et artisans sont étroites : il est bien évident que teinturiers et tisserands sont clients de la mercerie, comme le sont céramistes, orfèvres et verriers. La limite sociale est au demeurant fluide entre la boutique et le monde des affaires au long cours, puisque de puissants personnages investissent dans des produits rares et chers que les épiciers et merciers offrent au détail.
42Deux épisodes attestent l’importance économique du secteur : ce sont les conséquences financières d’incendies dévastateurs : en 1496, l’épicerie à l’enseigne de « San Pietro » à S. Bartolomeo, appartenant à la fraterna de Marco Venier, a perdu pour 6. 000 ducats de stock de marchandises49 ; un incendie qui se propagea en 1513 dans toutes les voûtes et boutiques du Rialto anéantit stock et réserves d’un grand homme d’affaires, Lorenzo Priuli, en particulier des épices rares et précieuses, comme la myrrhe, le galanga et l’aloès50.
43Au pied du Rialto, à S. Giacomo, on se trouve dans le monde du grand commerce, étroitement lié à la fois aux détaillants de S. Salvador et aux marchands du Fondaco dei Tedeschi. L’atteste un inventaire complet et le compte détaillé de liquidation des biens d’Andrea Mudazzo, contemporain d’Agostino Altucci, mais se situant à un niveau économique et social supérieur.
44Andrea Mudazzo, dont le nom est accompagné du titre de nobilis, appartient au même milieu des importateurs d’épices, moins de poivre et de gingembre que de cannelle et d’encens ; aux épices il ajoute le vif-argent, qu’écoulent des merciers de S. Salvador. Il résidait à S. Silvestro où il tenait ses archives, ses biens personnels les plus précieux et une partie des marchandises dans son « magazen ». À sa mort en 1447, toutes les écritures, lettres et registres, furent transférées avec les marchandises dans les magasins qu’il possédait au Rialto, « ruga dei Milanesi » au n° 7 (« a pe pian »), au n° 18 et surtout au n° 24, sur deux étages (« primo soler » et « soler de sopra »). Par son testament, c’est sa sœur, et non ses enfants, qu’il choisit comme exécutrice de ses volontés en lui laissant 1 000 ducats d’ » imprestidi » ; alors qu’à son esclave qu’il affranchissait il laissait 500 ducats, il ne donnait à sa fille que le revenu de 500 ducats d’ » imprestidi » à condition qu’elle restitue 1 400 ducats à la succession ; de ses deux fils naturels, l’un avait disparu comme vagabundus, l’autre qui héritait du reste étant mort quelques jours après la rédaction du testament, ce furent les Procurateurs de St. Marc qui furent chargés du règlement de la succession51.
45On dispose donc à la fois de l’inventaire des biens personnels et des marchandises entreposées et d’un compte détaillé de liquidation étalé sur 16 ans, l’essentiel des ventes d’épices et de vif-argent s’étant effectué en 4 ans, entre le 15 janvier 1448 et le 11 juillet 1452. Sur les 125 acheteurs on retrouve des noms bien connus, comme ceux de Nicolo Bicarano et celui des frères Amadi, avec lesquels le père d’Andrea Mudazzo avait fait société52 : puis une quinzaine d’épiciers, qu’ils s’intitulent « speciario » ou « aromatario », parmi lesquels un certain Angelinus Longonaso, un Allemand installé à S. Zulian, dont on va reparler53 ; enfin une vingtaine de marchands allemands54 : l’intérêt du compte est de faire apparaître que le stock à écouler comporte moins de poivre et de gingembre que d’épices plus rares venues des ports du Moyen Orient ; il s’agit bien d’un parti spéculatif, comme celui qu’illustre la cargaison d’un navire vénitien à destination de Bruges, pillé par des pirates qui, au bout du compte, ne peuvent tenter de vendre leur prise inattendue de denrées rares que dans le seul grand port de destination initiale55.
46Plus que d’autres professions, celle de mercier permet d’être au cœur du commerce de luxe sans pour autant être astreinte à toutes les contraintes que représente, pour un marchand allemand de passage, l’institution du Fondaco. Rien de surprenant à ce que des Allemands aient choisi d’avoir boutique à S. Salvador pour vendre au détail à leurs compatriotes tout ce qui entre dans le train de maison d’une famille aisée, sans exclure le commerce de produits de base ou semi-finis qui se retrouvent à Venise dans d’autres professions, comme la verrerie, la soierie ou la buffleterie. Les merciers, comme les courtiers, sont les intermédiaires qualifiés entre les milieux les plus divers et la présence allemande au sein de la mercerie a une signification plus forte que dans d’autres branches d’activité. Des privilèges de citoyenneté accordés à plusieurs merciers au début du XVe siècle datent d’un moment où se manifeste une vigoureuse poussée d’immigration rhénane, voire flamande et hollandaise56 ; cette provenance, constante ensuite au cours du siècle, atteste l’étroitesse des liens entre Venise et les Pays-Bas par la voie du Rhin ; or ces migrants qui s’installent à Venise appartiennent au groupe des hommes d’affaires qui, dans leurs villes natales, faisaient commerce de produits de luxe vénitiens, comme les soieries.
47Un certain nombre d’actes du notaire Luciano di Thomaso de Medaschis permet d’évoquer avec précision la figure d’un de ces merciers allemands installé à S. Salvador, au centre des affaires proches du Fondaco, Angelinus Longonaso57. Les plus anciens documents concernant le personnage, datant de 1406 et de 1409, le nomment « Ancelin Longonas », formulation onomastique proche de l’allemand originel « Hänselein Langenase »58 ; il fait alors procuration à un marchand-fabricant de soie, que nous retrouverons plus loin, Bartolomeo de Manfredis a seta, qui demeure jusqu’à sa mort l’ami privilégié59 : Bartolomeo a été en quelque sorte son « parrain » à Venise et lorsque ce dernier fait son testament, Angelinus est son témoin. C’est en 1413 qu’Angelinus reçoit son privilège de citoyenneté, ainsi désigné : Angelinus Longonaso teotonico qui fuit de Colonia quondam Jacobi ; son arrivée à Venise daterait donc de l’extrême fin du XIVe siècle. On le rencontre d’abord à S. Salvador par l’entremise de sa femme, Malgarita, fille d’un Konrad de Venise, qui a reçu la dot importante de 800 ducats et réserve en outre par son testament 200 ducats au fils né d’un premier mariage avec le maître Jacob de Munego, dit a brenis, probablement bavarois. Elle n’est plus une jeune femme puisqu’au moment de sa mort en 1412 son premier mari faisait des legs à ses quatre filles, toutes mariées à des Allemands de Venise et que son fils, Johannes sellarius (qui succède à son père dans son atelier de harnais, de selles et de brides) fait quittance à sa mère de ce qui lui est revenu de son héritage paternel. Malgarita meurt elle-même entre mars 1414 et février 1415, sans sortir du milieu allemand où elle avait vécu toute sa vie, mais en s’appuyant, comme son second mari, sur l’amitié de Bartolomeo de Manfredis.
48Or, dès le 3 décembre 1415, Angelinus est remarié, et avec une Vénitienne portant le nom d’une famille connue, Isabella Capello de S. Sofia, qui ne lui apporte que 300 ducats. Les liens qu’Angelinus avait noués avec son beau-fils Johannes demeurent très serrés puisque les 200 ducats qui venaient à Johannes de son père et qui avaient été confiés ad negotiandum au marchand-fabricant de soie Bartolomeo de Manfredis sont en décembre 1415 placés chez Angelinus Longonaso, tandis que l’année suivante ce dernier confie à un autre Allemand de Venise, Angelinus Ellegro de S. Moysè, pour 500 ducats de selles, rênes et ornements de chevaux à négocier ; il est probable qu’ils proviennent de l’atelier de Johannes.
49Les années suivantes, Angelinus est toujours étroitement lié à Bartolomeo de Manfredis qui le choisit comme procurateur pour exiger le dû de Renald Loschinch de Cologne, sa ville natale, envers un mercier allemand de Rimini ; en même temps, il fait de Bartolomeo son procurateur en toutes choses et renouvelle sa procuration en 1417 et en 1419 ; il est enfin l’un des témoins requis pour le testament que son ami fait rédiger en 1420.
50Quelques informations encore avant que ne se perde sa trace : il est en 1417 commissaire de Dorothea de Prusse, femme du mercier allemand Johannes Martello et vend un drap de soie de 24 brasses à Johannes Moidburg de Frambergo en présence de Hermann Reck de Nuremberg60. Il règle en 1419 un différend qui l’opposait pour des raisons de mitoyenneté au propriétaire de la boutique voisine de la sienne, « derrière l’église de S. Bartolomeo » et qui est, comme lui, mercier et Allemand. En 1426, il achète une esclave russe à un Allemand de Cologne ; dix ans plus tard, il est témoin dans les actes du notaire Tebaldo de Manfredis, probable parent de son défunt ami, actes qui mettent en scène des Allemands61 ; en 1439, on le retrouve en compagnie de sa femme, Isabella, qui est nommée commissaire d’une de ses commères, épouse bergamasque d’un Alberto de Bohême, et c’est probablement lui qui figure encore en 1447 parmi les acheteurs d’épices de la « commissaria » Mudazzo62.
51On a bien peu de renseignements directs sur les affaires traitées par ce mercier allemand, même si ses relations personnelles et professionnelles le mettent au cœur du commerce des soieries. Pendant le quart de siècle qu’il vécut à Venise, il est à peine sorti du milieu germanique ; il est loin d’être le seul dans son cas si l’on en juge par l’origine des femmes de plusieurs merciers allemands, comme la femme de Johannes Martello, un Allemand de Mayence au nom italianisé, Dorothée de Prusse ; Johannes Gotschalk de Trente a épousé Marguerite, fille de Gautier de Brabant in partibus Alemanie ; Rigo de Cologne est le mari d’une Menega, qui travailla pour des Morosini63.
52Ces familles paraissent, si l’on en juge par le montant de quelques dots, relativement aisées ; sur le plan professionnel, ces merciers emploient un personnel pour tenir la boutique ou prospecter le marché. Ainsi, Nicolaus de Olandia, mercier au Rialto, déclare avoir un « facteur », dont la position se raffermit d’un testament à l’autre : en 1477, ce personnage, Leonardo de Nördlingen, doit recevoir pour son travail 600 ducats, « quoiqu’il ne soit pas question de salaire » ; en 1482, il est qualifié de « fidele servidor » qui vit dans la maison de son maître et partagera avec la veuve la moitié de l’héritage. Il est vrai qu’entre-temps est passée l’épidémie de 1478 et que disparaît de la liste des légataires Nicolaus Gurther, petit-fils du testateur, qui devait recevoir 150 ducats pour son travail accompli : le fidèle serviteur se retrouve avec la veuve dans la maison silencieuse64. Exécuteurs testamentaires et témoins requis pour Nicolaus de Olandia sont des marchands du Fondaco, Henricus d’Anvers, Gerardus de Bomberg, Zan Zerchauer, Anton Paffendorf et Hermann Unterheit de Cologne, ainsi que l’administrateur du Fondaco, Priamo del Biondo.
53L’imbrication des intérêts est encore plus évidente dans le cas des rapports professionnels entre Angelinus Longonaso et Bartolomeo de Manfredis : si l’on dresse la liste des noms de personnes apparaissant avec eux dans les actes notariés, on constate la prépondérance soit des Allemands, soit des marchands de soie65 : Angelinus traite avec des collègues allemands de Venise, Bartolomeo a dans ses relations des Lucquois et des praticiens de la soie. Au-delà des contacts épisodiques qui s’égrènent, ce qui réunit les deux hommes d’affaires, ce sont les marchands de Cologne, les frères Aliprando (Hildebrand) et Renaldo (Reinhart) Loschinch et leur associé lübeckois Cornelius Veckinchusen, qui se fournissent en soieries auprès de Bartolomeo grâce à l’entremise de leur compatriote à Venise, Angelinus Longonaso66.
54Achalandés en épices et articles de mercerie, les parages de S. Salvador étaient, par S. Bartolomeo, si proches du Rialto et du Fondaco qu’on ne peut s’étonner d’y rencontrer la soierie. Les marchands allemands, familiers de certaines boutiques de merciers, étaient également liés avec les Lucquois de Venise qui tenaient la production et la vente des tissus les plus prisés sur les places de commerce de l’Europe du Nord. La distinction topographique en des lieux si proches est évidemment artificielle et nous allons maintenant nous rendre du côté de S. Giovanni Grisostomo.
La soierie environnante : du côté de S. Giovanni Grisostomo
55Arrivé le plus souvent au Fondaco par la porte d’eau, l’Allemand qui sortait à pied du bâtiment par une ruelle obscure était littéralement assailli par la soierie. Les confins de S. Bartolomeo et de S. Giovanni Grisostomo étaient la zone principale d’exposition et de vente de l’industrie de la soie, développée à Venise par la colonie lucquoise depuis le milieu du XIVe siècle. À la fin du XVe siècle, toutes les boutiques dont on connaît les propriétaires ou les locataires entre la « calle della Bissa » et le pont de S. Giovanni Grisostomo étaient consacrées à la soierie. C’étaient les « botege di Toscan »:67 ainsi, la boutique tenue par Roberto Manzin au droit du Fondaco, surmontée d’un entresol et de deux étages, donnant sur la rue qui mène au pont du Rialto et la boutique tenue par Daniel Dolce au débouché du pont de S. Giovanni Grisostomo (10). Dans la ruelle créée au milieu des terrains Zusto en 1340 et dans le « sottoportego », on ne comptait pas moins de neuf boutiques et magasins donnant d’un seul côté (4 et 5) sur la cour de l’« hostaria de ca’Trun », appartenant séparément ou en commun à Francesco Amadi et frères, fils de Agostin et petit-fils de Amado, et Bortolamio et Bernardo Redolphin, fils de Zuane, les uns et les autres membres éminents de la colonie lucquoise, parfaitement assimilés et fermement attachés depuis un siècle et demi à leurs traditions familiales et professionnelles68. En face, l’héritier de la maison Zusto possédait deux boutiques de soieries, louées avec leurs entresols, et d’autres boutiques près du pont (8 et 9). Zuan Vendramin et ses frères avaient deux boutiques de soie achetées en 1453 aux proviseurs du Sel et partageaient, semble-t-il, avec Alvise Zusto le privilège de maintenir ouverte toute la journée la porte qui donnait accès au « sottoportego » du Fondaco, parce que l’entrée du magasin se trouvait après cette porte (6) ; d’autres Vendramin, leurs cousins, avaient maison et boutique de soie devant la cour des Draps d’or. Cette cour tirait son nom de l’office situé au premier étage, au-dessus des magasins Tron (2)69. Comme on le voit, l’art de la soie était, parmi les arts vénitiens, celui qui profitait le plus de la prime de situation que lui valait la porte de derrière du Fondaco. Et c’est dans le milieu des fabricants et des marchands de soie que nombre de marchands allemands trouvèrent aux XIVe et XVe siècles la meilleure introduction aux usages de la place.
De l’atelier au commerce : la soie, l’or, les femmes et les marchands
56À la différence du tissage de la laine ou de la futaine où les Allemands, lorsqu’ils étaient inscrits dans le métier, n’ont pas conquis de position intermédiaire avec les marchés du Nord, le tissage de la soie a mis des artisans en contact avec d’importantes sociétés d’affaires représentées au Fondaco. Absents dans les étapes préliminaires de la filière, des Allemands de Venise figurent parmi les « vellutai » et « samitari »70 ; mais de façon plus générale, les relations entretenues par les tisserands de soie avec les marchands du Fondaco étaient tellement essentielles pour l’économie vénitienne que le Sénat considérait le Fondaco comme le principal débouché pour la draperie de soie71. La soierie intéressait au premier chef les marchands du Nord, fournisseurs de toutes les places d’Europe où se traitaient des affaires de luxe, ainsi que des puissants personnages dont les comptabilités et les portraits attestent les goûts ostentatoires. Or, des sources notariales révèlent que des hommes d’affaires allemands investissaient directement comme « Verleger » au cœur de la ville : la présence de ces étrangers, selon les moments encouragée, restreinte ou interdite, prouve l’efficacité de ces investissements dans des ateliers dont l’activité productive, souvent exercée par des femmes, débordait largement le cadre de la boutique.
57La soierie, métier de femmes ? Non par les capitaux qui sont entre les mains de marchands-fabricants – encore que plusieurs veuves continuent à diriger des entreprises textiles après la mort de leur mari – mais par l’habileté manufacturière d’une main-d’œuvre, libre ou servile, travaillant dans les ateliers que ces magistrae dirigent72. Ces femmes que leur capacité, leurs relations ou celles de leur défunt mari mettent en rapport avec des entrepreneurs acquièrent pour nous, grâce aux actes notariés, une silhouette sociale assez précise.
58Les entrepreneurs sont, à Venise comme dans toute l’Europe, les fournisseurs de la matière première qu’ils donnent à façon à des artisans qui produisent pour eux et parfois vendent aussi pour leur propre compte. Comme dans les villes drapantes du Nord, ce travail à façon repose sur un acte de vente fictif. En effet, la drapière est censée acheter au marchand la matière première qu’elle lui « revend » : c’est-à-dire qu’elle lui présente dans un délai fixé la plus-value de son travail incorporée dans un matériau enrichi, exactement comme le rechange de l’instrument de crédit inclut le calcul de l’intérêt ; en « vendant » la pièce de soie tissée, elle rend ce qui ne lui a jamais appartenu et perçoit une rémunération73.
59Nous ne pénétrons pas dans les ateliers à domicile, situés dans les paroisses de S. Giovanni Grisostomo, S. Marina ou S. Bartolomeo, proches du Fondaco ; ni dans ceux, un peu plus éloignés, de S. Cancian et de S. Sofia. Mais nous saisissons la dépendance économique, nous constatons l’endettement permanent qui est le lot de quelques femmes fort actives, Lucia Francho, Polucia Faledro, Pasqua Zancani, entre la fin du XIVe siècle et les années 1420.
60Commençons par le contrat, dont le type nous est fourni par l’accord entre un batteur d’or et Lucia Francho, fabricante de soie tissée d’or filé74. Affaire est conclue pour une période de deux ans, pendant lesquels Lucia s’engage à n’avoir d’autre fournisseur de feuille d’or que Alberto Francisco ; ce dernier la fournit selon les besoins du métier et au prix du marché, de telle sorte que la fabricante ait toujours entre les mains un minimum de matière première pour 200 ducats. Les ventes de Lucia conditionnent son approvisionnement dans la mesure où elle ajuste le paiement de la feuille d’or en fonction de l’argent qui lui revient ; inversement, Alberto Francisco ne lui fournit la feuille d’or que pour la valeur de ses versements échelonnés. Il y a donc rapport de dépendance du producteur par rapport au bailleur, ce dernier n’étant pas le représentant d’un capitalisme marchand, mais se trouvant, par sa profession et ses propres relations avec des marchands d’or, au cœur d’un processus de fabrication : en transposant à Venise des réalités bien connues en Toscane, il est évident que la fileuse et tisserande de soie brochée fait partie des « sottoposti », suppôt à la fois du textile de luxe et des affineurs de métaux précieux75. Mais Alberto Francisco ne se bornait pas à vendre de la feuille d’or de son atelier : à d’autres fileuses, ou à d’autres époques de son activité, il a lui-même racheté le produit fini et l’a écoulé selon des procédures comparables à celles du « Verlagssystem » vis-à-vis de tisserandes de soie brochée.
61Pasqua Zancani, épouse d’un Allemand, Johannes de Dessau, porte son nom de jeune fille et se déclare mercatrix, à la fois fabricante et marchande ; elle est en 1421 en procès contre Alberto Francisco, la contestation portant sur la quantité d’or filé que ce dernier lui a livrée et qu’il avait fait séquestrer chez elle avec la soie et les tissus d’or76. En 1418, le même batteur d’or était en procès avec un teinturier qui lui avait acheté de la feuille d’or ainsi qu’avec le courtier qui avait enregistré la vente77 : il est fort possible qu’il ait contrôlé le produit aux différents stades de la production et exercé vis-à-vis de la population laborieuse dans les métiers du textile de luxe le même rôle qu’exerçait par ailleurs un drapier.
62Le plus frappant dans les textes relatifs aux activités de Pasqua Zancani, c’est la diversité des engagements financiers auxquels l’entraînent plusieurs commanditaires à la fois et la solidarité constante qui la lie à sa sœur, Polucia, veuve de Nicolo Faledro, elle aussi tisserande de soie78.
63Elle fournit en 1418 sa garantie vis-à-vis d’un grand marchand nurembergeois, Heinrich Imhoff, créancier de sa sœur pour 335 ducats, on y reviendra79. L’année suivante, elle reçoit de Cristina Morosini une livraison d’or filé à écouler, et, avec la garantie de Clara Vituri, s’engage à payer 225 ducats, la moitié dans les quatre mois, l’autre moitié avant dix mois80 ; mais elle est au même moment astreinte à payer, avec la garantie de sa sœur, 332 ducats à Tommaso Boscarino, dont cent ducats avant la fin du mois de janvier81. Puis, en décembre de la même année, le même Alberto Francisco fait quittance à Clara Vituri pour la garantie qu’elle lui offre au nom de Pasqua Zancani, rien n’indiquant qu’il s’agit de la même affaire ; la dite Clara se reconnaît débitrice de 21 ducats à payer avant un an avec l’engagement de son fils Lorenzo ; en même temps, elle fait quittance à Pasqua Zancani et Lucia Faledro pour tous les comptes qu’elles avaient ensemble82.
64En 1423, Tommaso Boscarino, dont elle était depuis au moins deux ans la débitrice, renouvelle à Pasqua Zancani une garantie, cette fois de 40 ducats, dans le procès qu’elle a perdu face à une autre tisserande, Thadea Quirino, à qui elle devait 80 ducats83. Une dernière fois, Pasqua Zancani apparaît devant les Juges de Petizion, citée par Clara Vituri, commissaire de la défunte Andreola Benedetto, probablement elle aussi tisserande, et sommée de verser aux héritiers la somme de 340 ducats en remboursement d’un prêt consenti par la défunte84.
65On saisit ainsi l’extraordinaire imbrication des intérêts qui lient entre eux et entre elles les protagonistes du métier de la soie ; le travail à façon entraîne la dépendance financière des fabricantes, ourdisseuses, fileuses et tisserandes, qui n’ont pas le fonds de roulement nécessaire pour s’adapter aux aléas de la demande. Mais il est remarquable que des décisions de justice suppléent aux arbitrages dans ce milieu étroit et qu’en dépit des procès, les uns et les autres se rendent mutuellement le service de garantie et pour des sommes importantes : la solidarité tient à la diversité des rôles que sont amenés à jouer les protagonistes dans le processus de production. Clara Vituri, Andreola Benedetto, Thadea Quirino prêtent, c’est-à-dire investissent et garantissent en cas de besoin la solvabilité de leurs débitrices. S’il n’y a plus rien à saisir chez les fabricantes, les bailleurs de matière première alimenteront à nouveau les métiers qui les font vivre : ainsi lorsqu’Alberto Francisco a fait saisir chez Pasqua Zancani soie et or filé, feuilles d’or et d’argent, pour les faire déposer par décision judiciaire entre les mains du maître Stefano di Piero, les fournisseurs de soie, Tommaso Boscarini et Bernardo Soranzo envers lesquels Pasqua Zancani est fortement endettée n’hésitent pas à offrir à leur débitrice une garantie de 500 ducats gagée sur les marchandises séquestrées ; ils confient lesdites marchandises à la sœur de Pasqua, Polucia Faledro, qui se déclare leur factitrix, promet d’écouler le tout en leur nom et de restituer dans le délai d’un an le capital qu’elle aura entre-temps fait travailler ; or c’est la sœur de Polucia elle-même, c’est Pasqua Zancani, ici qualifiée de mercatrix, qui se constitue garante pour sa sœur envers les deux hommes d’affaires85.
66Parmi les documents relatifs aux activités des deux sœurs, il en est une série qui nous intéresse à un double titre : d’abord parce qu’ils mettent en scène un grand marchand nurembergeois dans ses relations avec le monde de la soierie vénitienne, ensuite parce qu’ils élargissent le champ de la solidarité et du crédit bien au-delà des confins du métier.
67Heinrich Imhoff a plusieurs créances sur Polucia Faledro en 1418 et, parfaitement averti des usages vénitiens et des relations personnelles entre ses interlocuteurs, il a, à l’instar d’autres marchands, fait convention avec la sœur de Polucia, Pasqua Zancani, qui lui fournit les garanties nécessaires. C’est dire sa familiarité avec le marché vénitien, puisque loin de se confiner dans le Fondaco et de s’en remettre, selon la loi, à un courtier, il engage avec des artisans des rapports directs. Rapports directs et réguliers, car la dette de Polucia est faite d’une série de sommes ajoutées, aboutissant au total de 335 ducats. Rien n’indique l’origine de cette dette, mais l’accumulation progressive qui la constitue fait songer à des fournitures régulières. Qu’est-ce qu’un marchand allemand pouvait fournir à une fabricante de soie brochée, sinon l’or et l’argent ? À moins que transgressant tous les règlements, Heinrich Imhoff ait investi à Venise le produit de ses ventes et fait travailler son capital vénitien par des avances consenties à des fabricants de soie : Polucia Faledro ne serait alors que l’une des tisserandes travaillant pour son compte86 ; on sait qu’elle travaillait aussi pour Konrad Pirckheimer, représentant à Venise la société Marcus Sifechem et C° de Nuremberg87, à qui elle reconnaît devoir 114 ducats.
68Aussi peut-on présumer que des sociétés de haute-Allemagne jouaient au XVe siècle dans la soierie vénitienne le rôle qu’elles ont joué au XVIe siècle à Bologne : elles investissaient dans la draperie, la filature d’or et la teinturerie en Italie, puis, au fil du temps, se contentèrent d’acheter la soie grège qu’elles faisaient travailler en Rhénanie ou en Flandre ; c’est ce que firent les Praun de Nuremberg à Bologne, les Welser à Gênes, les Österreicher à Florence88.
69Il est un second centre d’intérêt dans les documents relatifs aux relations entre Polucia Faledro et Heinrich Imhoff, ce sont les formes de garantie qui accompagnent les reconnaissances de dette et dont Donato Zancani, proche parent de Polucia, apporte la première preuve. Pasqua Zancani, cette mercatrix épouse d’un Allemand de Venise, qui jouit au Fondaco d’un crédit rassurant, suscite la solidarité humble et multiple qui étaye les arrières de sa sœur. Treize parents ou amis, collègues ou proches s’inscrivent entre le 20 août et le 6 novembre 1418 pour garantir une part de la dette qui doit être éteinte en dix ans. On trouve parmi eux deux batteurs d’or, des tisserandes d’or filé, et le marin voisine dans la liste avec le marchand et la religieuse89.
70Cette solidarité n’est pas exceptionnelle : un acte de décembre 1419 remet en présence Pasqua Zancani et Heinrich Imhoff. Pasqua doit à l’Allemand 30 livres de gros avec la caution de Nicolo Cocco et le délai des galères de Beyrouth. Or, niveau second de la garantie, Nani di Francesco Nani promet d’effectuer, au terme dit et en cas de défaillance de Cocco, le paiement de 20 livres de gros, Pasqua Zancani lui offrant, en retour et en garantie, les 14 livres qu’elle doit recevoir de Basilio de Manfredis, un marchand de soie déjà rencontré90, somme que Nani pourra conserver jusqu’à ce que Pasqua soit en mesure de le rembourser complètement. Ainsi le cercle de la garantie est parfait.
71Sans aucune intervention bancaire, une société artisanale dont les activités se situent au cœur des affaires vénitiennes ne vit que de crédit, c’est-à-dire de confiance entre collègues de travail et proches relations : la « strettezza », l’étroitesse des moyens de paiement est l’occasion de resserrer à la base les nœuds d’une structure sociale cohérente malgré ses tensions. En témoignent une proximité qui n’est pas seulement celle du sang et les fonctions multiples et de sens inversé que les différents membres du même corps se prêtent à l’envie.
72Après avoir évoqué sur la base de sources exceptionnelles les liens directs noués à Venise entre le secteur de la production et l’entreprise allemande, il est utile de revenir dans les parages du Fondaco.
73La maison des Allemands, si hermétiquement défendue contre toute intrusion de Vénitiens, a été, certaines années, librement ouverte au commerce et à la circulation de Lucquois de Venise qui entrent dans le bâtiment, mais font aussi venir des Allemands dans leur boutique sans l’intermédiaire de courtiers ; un marchand de Vienne achète même directement en 1374 un millier de pièces à un groupe de producteurs91. Cette familiarité qu’entretient le voisinage donne lieu à des rapprochements de sociétés et de familles de part et d’autre des Alpes : connaissance de la langue, séjours de formation, tentatives de la part de Lucquois de devenir courtiers au Fondaco92. Une riche documentation atteste ces liens noués dans un secteur luxueux du commerce international où se détachent quelques figures. On avait entrevu, du côté de S. Salvador, les activités d’un marchand-fabricant, Bartolomeo de Manfredis ; nous allons découvrir successivement Marco Paruta, Jacobello Menegin, les frères Amadi et Piero Bicarano, tous amis d’affaires de marchands du Nord.
Figures d’entrepreneurs : les relations d’affaires entre Allemands et Lucquois de Venise
74Parmi les Lucquois de Venise à la fin du XIVe siècle, évoquons d’abord Marco Paruta. Puissant personnage, puisqu’il est inscrit dans l’« estimo » de 1379 pour 7 000 livres et qu’il laisse par son testament en 1396 1 000 ducats au monastère des sœurs dominicaines de Corpus Dei ; on le saisit à la fois comme investisseur dans la teinturerie de soie entre 1384 et 1394, puis comme membre d’une société commerciale en compagnie de Bartolomeo Gardelino et de Jacobello Menegin, qui le lie à Vienne, Bude et Breslau93.
75Jacobello Menegin (S. Sofia), veloutier comme son père Puccinello, est membre de la « Scuola Grande » de la Miséricorde ; il commerce sur la place de Milan et c’est sans doute ainsi qu’il est devenu à Venise l’ami fidèle, le procurateur, puis l’exécuteur testamentaire de Lucchino Visconti, fils du duc de Milan. Dans la société qu’il dirige avec Paruta et Gardelino à partir de 1395 il a investi 2 600 ducats, mais les associés se séparent en 1398 après une perte de 7 000 ducats, causée par la fuite de débiteurs insolvables. Il s’associe aussitôt avec le banquier Piero Benedetto et le neveu de ce dernier, Marco Condulmer, mettant dans l’affaire, tournée vers le Levant, 3 000 ducats94. Or, les Allemands sont bien présents parmi ses clients. En 1392, il a vendu du bocassin à Hilpolt Kress de Nuremberg ; en 1398 il est en compte avec Matthäus Runtinger de Ratisbonne ; en 1405, il a plusieurs créances sur des marchands d’Outremont ; il est témoin dans l’affaire qui oppose en 1410 Peter Carbow de Lübeck à Francesco Zane sur une vente de fourrures de vair ; il est en 1418 procurateur des Veckinchusen de Cologne95 ; il reçoit en 1419 procuration générale de Johannes Paumgartner d’Augsbourg. Ne serait-il pas lui-même d’origine allemande ? Paumgartner l’appelle l’« autrichien » et l’un des membres de sa famille, Gasparin « veludario » est le fils d’un Angelinus teutonicus.
76Ajoutons qu’en 1421, parmi les créanciers d’un Lucquois de Venise, Andrea Perducci, qui vendait des draps de baldaquin avec ou sans or filé à un marchand de Breslau, apparaissent côte à côte les protagonistes du métier, Jacomello lui-même, Andrea Mudazzo, Amado de Amadi dont nous allons parler, et Hermann Reck, un des Nurembergeois les plus souvent présents au Fondaco dans les années 142096.
77Amado de Amadi, que nous venons de citer, est un membre éminent d’une famille lucquoise qui a acquis chez les chroniqueurs vénitiens la célébrité que confère la richesse, appuyée sur l’honneur et la vertu.
78D’abord, la richesse : « E sempre sono stati ricchi », écrit Marco Barbaro97, qui ajoute, avec quelque exagération, qu’ils eurent un nombre incalculable de navires (pouvait-on au XVIe siècle imaginer la grandeur des familles anciennes sans des entreprises maritimes ?) et trouve la preuve matérielle de cette fortune dans le nombre des lieux vénitiens qui portent leur nom (« di ciol ne fanno fede le tanti corti che se chiamano dei Amai »). Cicogna, puis Tassini ont parfaitement identifié les quatre maisons familiales qu’ils possédaient à la fin du XIVe siècle, au moment où nous les rencontrons dans nos sources : à « Birri Piciolo », dans la paroisse de S. Cancian, qui doit être la plus ancienne demeure ; aux Miracoli, dans la « corte delle Muneghe », qui est la maison dite de S. Marina, avec le blason de famille, face à l’église construite comme un écrin autour de la Vierge miraculeuse dont les Amadi furent les « patrons » ; à S. Nicolo dei Tolentini, en plein secteur industriel textile, la « corte dei Amai » ; et surtout, aux confins de la paroisse de S. Giovanni Grisostomo, donnant sur le rio del Oglio, face au Fondaco, avec lequel se nouèrent des relations de voisinage constant.
79L’honneur ? C’est la tradition d’ancienneté et de noblesse reconnue, qui ne leur a cependant pas valu l’entrée dans les rangs de l’aristocratie : Marco Barbaro, se fondant sur des traditions familiales, prétend que ce sont leurs affaires en France et en Angleterre qui les ont exclus du Grand Conseil au temps de la « fermeture » de 1297, ce qui ne les a pas empêchés de s’allier constamment au XIVe siècle à des familles patriciennes. L’honneur, c’est aussi l’alliance de dévotion avec la Cour impériale : Francesco Amadi aurait été élevé en terre d’Empire et c’est en raison de ses liens privilégiés, non moins que de ses capacités, qu’il aurait été envoyé par le Sénat en 1406 faire la paix avec le duc d’Autriche. Cette tradition familiale, qui se traduit par la permanence des liens personnels avec la haute Allemagne, comme on le verra, fut enrichie en 1452 par la visite, à la fois publique et privée, du roi des Romains, le futur Frédéric III, sur la route du couronnement à Rome98 : les dames d’honneur de l’impératrice furent logées dans la maison Amadi de S. Giovanni Grisostomo.
80Enfin, la vertu : non seulement l’empereur dans leur maison, des cardinaux dans leur famille et de grandes richesses marchandes99, mais aussi le pieux mécénat qui donne un souffle inspiré à cette réussite. Se souvenant de leurs origines lucquoises, les Amadi ont largement doté la fabrique de la fraternité du Saint Suaire, installée dans l’église des Servites ; ils ont également joué ce rôle de donateurs au début du XVe siècle pour l’église de S. Michel de Murano, près de la maison et du magnifique jardin qu’ils possédaient100, offrant au monastère son illumination annuelle, ses vitraux et le pavement de l’église. Mais leur rôle dans la piété populaire, en plein cœur de Venise, à proximité de leur pouvoir tutélaire, est encore plus éclatant, comme l’exalte la chronique familiale, une des rares chroniques vénitiennes privées : l’effigie de la Vierge, qui devint l’occasion de vénérations exceptionnelles, dût le fastueux oratoire de S. Maria dei Miracoli, construit par Pietro Lombardo, au souci de mettre dans un cadre digne d’elle une icône qui fut longtemps fixée sur le mur extérieur de la maison Amadi101.
81Voilà donc une famille issue du monde le plus raffiné du textile vénitien, une famille qui noua, au moins depuis la fin du XIVe siècle, au temps où la « fraterna » était dirigée par les deux fils de Giovanni, Francesco et Amado, des liens privilégiés avec le Fondaco et, plus largement, avec le monde germanique. Plus encore que leurs contemporains merciers dont on a retrouvé la figure, les frères Amadi sont pendant un quart de siècle au cœur de l’histoire des rapports germano-vénitiens et amorcent une tradition qui se perpétue chez leurs descendants au moins jusque dans les années 80 du XVe siècle.
82Si nous sommes assez bien renseignés sur les activités des frères Amadi à la fin du XIVe siècle et dans le premier quart du XVe siècle, c’est par la conjonction d’informations notariales dues à la diligence des prêtres de leur paroisse et grâce au dossier de la « commissaria » Amadi, constituée assez tard, probablement après la disparition des premiers commissaires désignés, qui étaient les fils d’Amado102.
83Le premier acte relatif aux deux frères date de janvier 1389 : il affirme avec force la solidarité fraternelle, l’indivision qui se manifeste par la résidence commune et le trafic de conserve, car, disentils, « de même que nous sommes une seule chair et un seul sang, de même nous entendons être dans tous nos biens et entreprises un seul et même corps »103. Héritiers de leur père Giovanni, les deux frères, Francesco et Amado, résident alors dans la maison la plus ancienne, celle de S. Cancian avec leurs deux frères Zorzi et Girolamo, tandis que leur sœur Gasperina a épousé Lorenzo de Provinciali, lui aussi résidant à S. Cancian. Francesco semble être l‘aîné de la fratrie et c’est à son nom qu’Amado établit en 1389 une procuration générale.
84Les premiers contrats de société connus, établis par Francesco, dessinent le cadre des activités de la « fraterna » : fabrication et vente de tissus de soie. Francesco disposait d’une boutique à S. Bartolomeo, louée à Andrea Barbo, lui aussi soyeux, qui habitait au-dessus104 ; non loin, une autre boutique, avec son entrepôt (« volta ») est mise en vente par la « commissaria » de Giovanni Trevisan, autre producteur de soie ; Andrea Barbo l’achète, grâce à la somme que lui prête Amadi, sous condition que la « fraterna » se voit assurer la location des lieux105. Ainsi s’étendent les entreprises Amadi à S. Bartolomeo, au plus près du Fondaco. La même année, Francesco fait contrat avec deux tisserands, Alberto et Francischino Rubaschi, habitant comme lui à S. Cancian106 ; il leur loue une maison qu’il possède dans la paroisse, avec deux moulins à soie, l’un pour la filature et l’autre pour l’ourdissage afin qu’ils y vivent et y travaillent pendant cinq ans, Amadi s’engageant à leur fournir la matière première en quantité suffisante et les tisserands s’engageant à ne travailler que pour lui. Cependant, les négociations avec Andrea Barbo se concluent pendant l’été 1389 par un accord sur la location de la boutique de S. Bartolomeo. Le loyer des deux boutiques voisines demeure au prix d’un seul local, soit 8 ducats à l’année ; en même temps, Francesco Amadi accorde à Barbo un prêt de 300 ducats, placés en partie à la banque Piero Benedetto-Gabriel Soranzo, partie au compte d’amis d’affaires, marchands de draps au Rialto. Le jour où Barbo rendra à Amadi les 300 ducats, le loyer sera porté à 45 ducats, soit la somme que la « fraterna » encaisse de ses locataires de S. Cancian. Il est possible que les 300 ducats correspondent à un bénéfice retiré de précédentes entreprises communes, la clause n’étant alors qu’une clause de sauvegarde.
85Les Amadi sont donc les maîtres d’œuvre d’une entreprise qui fournit la soie importée de la mer Noire à des tisserands qui travaillent pour eux107 et vend ensuite en plein cœur du secteur le plus commerçant de Venise les tissus de soie produits par l’atelier et contrôlés par l’Office de la soie, installé tout près de l’église de S. Giovanni Grisostomo. Ce schéma du marchand-fabricant, que l’on rencontre dans toutes les sociétés pré-industrielles en Occident, est confirmé par d’autres documents. Le contrat passé avec les Ruboschi est renouvelé en 1392 pour quatre ans ; mais voici en même temps une entreprise qui unit les frères Amadi à un Florentin de Venise, Giovanni Bonarle, par un contrat de 1394, fondant une société dans « l’art et métier de soie et draps de soie » destinée à durer cinq ans108. À la différence des contrats précédents, cette société est purement commerciale ; il ne s’agit pas de location de boutique, puisque Bonarle, qui réside à S. Fosca, en tient déjà une à S. Bartolomeo, où est rédigé l’acte, ni d’une association avec des fabricants, mais d’une société de vente à Venise, Florence, Bologne et Ancône, où les associés devaient avoir par leurs origines et amitiés d’affaires un réseau de correspondants ; les Amadi investissent 1 200 ducats, les Bonarle, 750 ; les gains sont partagés par moitié, Bonarle continuant à gérer seul sa boutique.
86Autre société commerciale à laquelle participe Francesco Amadi, peut-être indépendamment de son frère, en compagnie de son beau-frère Lorenzo de Provinciali et de Tommaso de Grifalconi, ce dernier étant, d’après l’acte de liquidation de février 1393 le socius tractans qui rend des comptes à ses commanditaires109.
87Au début du XVe siècle, la documentation se fait rare et trop peu explicite sur les activités des Amadi, à un moment où une mutation paraît s’opérer dans leur position économique et sociale. Il est possible que cette mutation tienne aux liens noués avec les représentants de grandes maisons allemandes, en particulier les Kress de Nuremberg, vers 1390, liens attestés par des comptes et des lettres110.
88C’est en 1405/1406 que se place une mission diplomatique de Francesco Amadi dans le monde germanique, dont témoigne la missive qui lui fut adressée par Niclas Vintler, capitaine du Tirol111. Mieux encore, les frères Amadi sont désignés comme les procurateurs du duc de Bavière, le comte palatin Louis, pour recevoir et transmettre 16 000 ducats qui lui sont dûs sur les biens du défunt Mastino, vicomte de Milan112. Cette mutation s’accompagne d’une probable séparation matérielle des deux familles : s’ils sont encore conjointement désignés comme résidant non plus à S. Cancian, mais à S. Marina113, c’est-à-dire dans la maison de la « corte delle Muneghe » où résideront par la suite Francesco Amadi et ses descendants, Amado de Amadi s’installe dans la maison du rio del Oglio, à la limite de la paroisse de S. Giovanni Grisostomo, où ses descendants feront également souche. À ce moment, les deux frères continuent d’entretenir des rapports étroits, comme le prouvent les procurations et dispositions testamentaires des membres des deux familles, mais la séparation de la « fraterna » a dû intervenir, peut-être simplement pour des raisons matérielles de disposition des lieux dans la maison de S. Marina : on peut au moins juger par l’inventaire détaillé des biens d’Amado dans sa maison de S. Giovanni Grisostomo ce que représentait la cohabitation d’un chef de famille avec son fils de 34 ans et ses plus jeunes enfants114. Ici comme ailleurs, on a dû se résoudre à la division des biens, tant il est vrai qu’une maison de commerce était d’abord matériellement une maison.
89Sur les dernières années des deux frères, les sources se font rares : quelques différends avec des drapiers, un rôle d’arbitrage entre des marchands, quelques procurations consenties encore à des Allemands115. La position sociale de Francesco paraît considérable au sein de la communauté lucquoise, qu’il aurait richement dotée et dont il fut en 1400, puis à nouveau en 1411, comme recteur de la « Scuola » du Saint Suaire, l’un des personnages les plus en vue116. Le fils d’Amado ne fut pas moins honoré, il progressa même encore dans la voie de la considération puisqu’il fut reçu en 1422 comme confrère dans la « Scuola grande » de S. Giovanni Evangelista117.
90La fin est brutale : Amado meurt à la fin de 1423, suivi par son fils Francesco à peine installé à la tête de la « casa », le 13 février 1424, sa fille Perina, puis son propre frère Francesco, tous victimes de la pestilence dont Gallicciolli a indiqué la virulence : 16 000 morts en 1423, 11 000 en l’espace de trois mois en 1424 ! Une nouvelle fauchée, quelques années plus tard, emporte le fils aîné de Francesco, Alvise (1428), la femme de Girolamo di Amadi (1430)118. À ces décès enregistrés et retrouvés, ajoutons les silences : il est probable que les commissaires désignés par Amado de Amadi pour exécuter son testament et les témoins de l’inventaire étaient des survivants, dont la plupart furent à leur tour emportés.
91C’est Giovanni di Amadi, fils de Francesco, qui devient l’héritier de la tradition germanique ; il reçoit nombre de procurations d’hommes d’affaires nurembergeois ; mais surtout il accueille chez lui en 1435 le futur empereur Frédéric III, qui fait à Venise quelques achats somptuaires et discrets119 : le prince a en effet noté dans un carnet qui a été conservé la liste des draps de soie qu’il a choisis pour lui-même et pour son frère : draps vert, rouge cramoisi, brun tissé d’or, vert tissé d’argent, tous de grand prix, de 8 à 26 florins la brasse ; puis des tissus plus communs achetés chez les Amadi, velours et damassés valant de 1 à 2 florins, et même quand il s’agit de satin à 11 florins, il est précisé qu’il s’agit d’un tissu courant. On ne peut supposer que la production propre des Amadi était de qualité médiocre, mais plutôt qu’ils disposaient dans leur boutique d’une gamme importante de produits, du tissu de grand luxe au tissu d’ameublement ou au tissu destiné à des vêtements quotidiens. En faisant ses emplettes à Venise, le futur empereur rendait à la famille Amadi, bien connue des Nurembergeois, l’hommage du pouvoir à la marchandise.
92Non moins que les Amadi, Piero Bicarano est une personnalité d’envergure qui occupe une place essentielle dans les relations germano-vénitiennes de la fin du XIVe et des vingt premières années du XVe siècle. Issu lui aussi du milieu lucquois de Venise, il était le fils d’un Nicolo Bicarano (S. Bartolomeo) devenu citoyen vénitien en raison des services rendus pendant la guerre de Chioggia120. Dans la bourgeoisie vénitienne, il occupait une position sociale au moins aussi élevée que celle de Francesco Amadi, son contemporain, puisqu’il était en 1398 procureur du monastère du « Corpus Christi » et en 1400 « vardian » de la « Scuola grande » de la Miséricorde121. Une lettre de sa main retrouvée à Nuremberg en compagnie de deux lettres d’Amado de Amadi témoigne de ses relations personnelles avec plusieurs firmes de Nuremberg, celle des Kress-Paumgartner et, par Wilhelm Rummel, celle des Pirckheimer, leurs amis d’affaires122. Ses liens avec le monde germanique sont au moins aussi amples que ceux des Amadi : ils s’inscrivent en effet dans le mouvement qui rend irrésistibles les entreprises florentines dans toute l’Europe orientale. Piero Bicarano quitte définitivement Venise en 1406 après un premier séjour à Breslau en 1404 ; il bénéficie en effet de fortes recommandations des Médicis auprès du roi Ladislas Jagellon à qui il offre, de la part de la commune de Florence, une lionne et un lion. Le roi fait de Bicarano son maître de la Monnaie et tente en même temps d’obtenir par son entremise une alliance formelle avec Venise, qui, en 1412, est en pleine guerre contre l’Empereur et roi de Hongrie123. Prêts à la ville de Cracovie, prise à ferme des salines de Bochnia et de Wieliczka de 1409 à 1418 : Piero Bicarano est l’un de ces Vénitiens qui, au temps de l’alliance avec Florence, ont contribué à retarder la main-mise par les Allemands sur les mines et l’administration des royaumes d’Europe orientale124. Il est mort à Ilkusz, la ville du plomb, en 1424, sans être durablement revenu à Venise, où son fils Francesco reçut dès 1406 procuration générale en son nom125.
93Ses amis d’affaires, à Venise comme à Cracovie, ne sont pas des artisans ou des merciers ; en dehors des membres de sa famille et des apparentés, ce ne sont que les représentants de grandes sociétés, Nurembergeois d’un côté, Florentins de l’autre, et au premier chef, les Médicis, dont il fut l’agent, plus particulièrement Antonio Zane de’ Ricci, qu’on appelait à Breslau « Antonio de Wale » et qui fut au centre des relations d’affaires entre la Silésie et Venise dans la première moitié du XVe siècle126. Son fils demeuré à Venise fit commerce de produits de luxe (kermès et fourrures contre soieries et taffetas) et commerce de l’argent ; il investit dans diverses activités artisanales comme la coutellerie et le trafic d’esclaves russes et circassiens, à l’instar d’autres membres de la communauté des Lucquois dont il était issu127. De la Tana, nous sommes ramenés à la ligne qui, par Lwów et Cracovie, acheminait aussi des produits d’Orient vers Venise. Ignorerait-on les activités de son père, on ne songerait pas à l’existence de rapports constants avec l’Europe orientale. L’ambassade du roi de Pologne venue à Venise en 1431 comportait encore parmi ses membres un autre parent de Piero Bicarano ; ce « Vénitien » prolongeait en Pologne les relations qui avaient été celles de son défunt père entre le roi et sa ville d’origine128.
De La Tana à Nuremberg : pas de soie sans esclaves
94On vient d’évoquer la route de terre vers la mer Noire, par Cracovie et Lwów129 ; par cette voie, mais surtout par la route des galères de Romanie, la soie arrive à Venise : or la route maritime permet d’entasser des esclaves à fond de cale sous les cargaisons de soie130.
95Un examen des professions d’acheteurs et de vendeurs d’esclaves à Venise fait apparaître qu’aux XIVe et XVe siècles l’esclavage est un phénomène social de grande ampleur et ne se limite pas à un service domestique. Venus de la mer Noire, Circassiens, Tartares ou Russes, puis après la fermeture des Détroits, venus des ports de Croatie et du Maghreb, ces travailleurs, hommes et femmes, forment le gros des troupes laborieuses dans les métiers du textile, en particulier de la soie131. En 1366 et 1370, il était rappelé qu’on ne pouvait exercer ces métiers sans être inscrit sur la matricule des Arts et les esclaves, instruits à ourdir, tisser et teindre, ne pouvaient être vendus et transportés hors de Venise ; il était même précisé qu’aucun esclave, homme ou femme, ne pouvait figurer dans le métier du velours de soie comme chef de production, mais seulement comme compagnon (« famiglio »), signe éloquent du savoir-faire, de l’ambition et de la concurrence que pouvaient manifester des artisans d’origine servile ; il était même prescrit en 1454 qu’aucun esclave, instruit dans le métier des batteurs et fileurs d’or, ne puisse être vendu à un étranger132. Les textes de la pratique confirment la présence d’esclaves dans les ateliers, mais aussi dans les boutiques des merciers et des soyeux au cœur de Venise, entre S. Giovanni Grisostomo et S. Salvador : Bartolomeo de Manfredis, qui a dans son propre atelier un esclave « sarrasin », achète des enfants et vend un jeune Russe à un collègue lucquois133.
96À la fin du XIVe siècle, la majorité des esclaves recrutés pour le textile sont des femmes, âgées de 14 à 40 ans, arrivées à Venise par La Tana, et qui conservent, avec un prénom chrétien, leur identité d’origine. Des hommes on connaît plus rarement la provenance, sauf lorsque la qualité de Tartare renforce aux yeux de juges la légitime condamnation134. Des hommes d’affaires comme Bulgaro Vitturi ont construit leur fortune sur le cheptel humain arrivant de mer Noire et le livre de comptes de Giacomo Badoer est éloquent sur les marchandises humaines qu’il transporte depuis Constantinople135.
97Ce secteur des affaires apparaît à partir de 1393 dans les activités des Amadi, comme un complément naturel à leurs activités productrices et commerciales : des tartares baptisés, un garçon de 14 ans et trois femmes de 14, 26 et 50 ans sont achetées entre 1393 et 1396 ; l’une d’entre elles est revendue en 1402 à un teinturier ; ce sont encore des tartares que Amado vend en 1411, puis en 1422 à des fabricants de soieries136. On ne sait s’il s’est lui-même rendu sur place à La Tana, mais il était en 1384 à Tripoli de Syrie137. L’une des lettres conservées de son frère Francesco évoque la provenance de la soie qu’il importe, à savoir La Tana138, où, remarquons-le en passant, séjourne vers 1405 le futur curé de S. Giovanni Grisostomo, Marco Taiapiera, alors notaire du consul vénitien et par la suite l’un des fidèles amis des Amadi. On comprend aisément les liens qui apparaissent à travers les actes notariés entre les Amadi et des marchands trafiquant en mer Noire ; ils se prolongent par les relations vénitiennes avec des merciers allemands et avec des marchands du Fondaco.
98De La Tana en Franconie et au-delà vers le Nord de l’Europe, Venise est une étape nécessaire par la valeur ajoutée que le commerce des esclaves et le travail des femmes apportent au traitement de la soie, dans la filature, le tissage et la teinturerie. Des Allemands de Venise, en particulier des merciers qui vendent de tout, ont facilité les échanges et contribué à la bonne marche des ateliers, en partie fondée sur une main-d’œuvre servile139. C’est grâce à leur familiarité avec merciers et marchands de soieries vénitiens que les Nurembergeois logés au Fondaco ont importé et diffusé les produits du grand luxe que l’on retrouve dans les comptabilités commerciales européennes, particulièrement les soieries vénitiennes, dont la peinture de la Renaissance exalte l’exceptionnelle qualité140. On connaît le faste des cours en fête, les raffinements de la mode féminine, la somptuosité des vêtements ecclésiastiques et des parures d’autel, on oublie parfois l’excentricité masculine dont témoigne au début du XVIe siècle Le Livre des costumes de Matthäus Schwarz d’Augsbourg : l’image et le texte attestent, année après année, le goût d’un jeune gandin, qui a séjourné à Venise, pour le taffetas et le satin141 : plaisir de s’affirmer et de se distinguer grâce à d’inépuisables tentatives d’innover dans la coupe et la couleur des tissus les plus précieux : le vêtement fait partie de cette culture de la beauté qui développe en Europe la demande des biens de luxe142 et les villes d’Italie, en particulier Venise, ont su trouver tous les chemins pour diffuser en Europe des produits à la mode : les balles de soieries qui passaient les Alpes partaient du Fondaco avec les produits d’Orient.
Notes de bas de page
1 En relation étroite avec l’aire qui l’entoure, le Fondaco a été défini comme « elemento ordinatore dello spazio mercantile circostante » : E. Concina, Fondaco… p. 133.
2 E. S. Piccolomini, Commentarii, éd. L. A. Muratori, Rerum Italicarum Scriptores III, 2, 278 : Hospitium faciunt Theutonici. Hoc hominum genus totam fere Italiam hospitalem facit.
3 ASV, Notatorio del Collegio, 17, f. 14’ (1454) : cum sicut exposuit circumspectus secretarius noster Lodovicus Beaziono taberne et hostarie Venetiarum pro majori parte concesse fuerint fachinis theotonicis, ferariensibus et florentinis…
4 Étroitement surveillés par la puissance publique, hôtels et tavernes, mis aux enchères, étaient loués au temps à des exploitants (« conduttori ») ; en 1320, furent fermées, pour mauvaise gestion, 4 des 16 « osterie all’ingrosso » : cf. B. Cecchetti, Il vitto dei Veneziani nel secolo XIV, dans Archivio Veneto, 30, 1885, p. 307, 329 et suiv. ; Si II, 15, 24, 27, 28, évoque un hôte allemand ad minus, installé près de Saint-Marc, requis comme interprète d’un malfaiteur allemand arrêté par les Signori di Notte al Criminal.
5 Bibliothèque Nationale de Paris, Manuscrits Italiens, 1411, Cronaca di Venezia, ff. 40’-41 : « Tutte l’hostarie che so’ a Vinetia » : S. Marco : « della Corona », « del Pelegrino », « del Capello », « del Cavaletto », « del Salvatico » (poi agionte quelle « della Luna » e una altra d’un animale)
À Realto : « della Scimia », « della Donzela », « della Torre », « della Campana », » del Sole », « delle dui Spade », « del Sturione » (agionta quella « della Scopa »)
Ce ne sono ancora tre ove costumano andar Tedeschi e anco altri presso il campo di S. Bartolomeo : « del Lion Bianco », « dell’Aquila Nera », « di S. Giorgio ».
Cette liste peut être confrontée à celle que propose B. Cecchetti, o.c., p. 307, pour la période du XIIIe au XVe siècle, qui fait apparaître l’ancienneté et la relative stabilité des enseignes ; les sources judiciaires ou notariales instruisent sur créations et fermetures, sans que le total des établissements, en légère diminution avec le temps, ne dépasse jamais le nombre de 24. Une autre liste qui recoupe en partie la précédente, est donnée par R. Cessi, A. Alberti, Rialto. L’isola. Il ponte. Il mercato, Bologne, 1934, p. 282-287.
6 Pour le XIVe siècle, une brève liste composée à partir des Libri Commemoriali et de quelques registres du Maggior Consiglio confirme l’ancienneté des hôtels de la “Campana” et du “Sturione” ; elle ajoute le nom de quelques propriétaires, les Sanudo, les Contarini, les sœurs de S. Servolo et de S. Lorenzo : cf. W. Dorigo, Venezia romanica. La formazione della città medievale fino all’età gotica, Venise, 2003, p. 408 ; pour la période XIIIe-XVe siècle, cf. B. Cecchetti, o.c., p. 307 ; au hasard des sources, voici un Coradus hospes hospitii « a Capello » (S. Marco), commissaire d’une succession à qui un sellier allemand de S. Salvador fait quittance : ASV, Canc. Inf. 104, 1414/20/III.
7 ASV, Compilazione leggi, 238 (1320/27/V), cité par M. Costantini, Le strutture dell’ospitalità, Storia di Venezia dalle origini alla caduta della Serenissima, V, VIII, 1996, p. 909.
8 Buvettes à la sauvette à S. Moysè, dans une zone où vivent de nombreux travailleurs manuels allemands ; condamnation, puis grâce accordée à Malgarita theotonica, à Henricus theotonicus, à Otto theotonicus ; Si II, 6 (1334).
9 Fratris Felicis Fabri Evagatorium in Terrae sanctae, Arabiae et Egipti peregrinationem, éd. K. D. Hassler, 3 vol., Stuttgart, 1843-1849 (BlV, 2-4), IV, p. 407 : in cibo et potu sunt temperati, ne per ingurgitationem et ebrietatem mercandi usus impediatur aut status politiae turbetur. Tabernas non habent, nisi quas pro Teutonicis et Sclavis et Vadienis et scortis sustinent. Sur les « mauvais lieux », cf. R. Cessi, A. Alberti, o.c., p. 282 et suiv.
10 MCC, Cod. Cicogna 2978 (3281), Memorie venete diverse, fasc. III, 15.
11 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3645 (1393-1406), f. 78’ (1398/11/VII) :
Cristoforus de Crepa hospes ad varotas (Rialto)
Jacobinus Sarafinus hospes ad Stellam (S. Marco)
Franciscinus Dognoben hospes ad Pegnum (S. Marco)
Nicolaus de Robabelis hospes ad Serpam (S. Marco)
Sabastianus de Florentia hospes ad Cervam (Rialto)
Zaninus dal Cavaleto tabernarius ad Cavaletum (S. Marco)
Sinibaldus a stateris tabernarius ad Angelum (Rialto)
Francischinus tabernarius ad Leonem (S. Marco)
Guglielmus hospes ad Sturionem (Rialto).
12 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3645, f. 90’ (1398/12/V).
13 S. Chojnacki, Crime, Punishment, and the Trecento Venetian State, dans Violence and Civil Disorder in Italian Cities, 1200-1500, éd. L. Martinez, Berkeley-Los Angeles, 1972, p. 184-228, évoque la violence allemande, celle des marchands du Fondaco, et celle des vagabonds ; mais aucune allusion aux lieux de cette violence.
14 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3646, f. 38’ (1408/16/III).
15 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3650, f. 87’ (1457) ; 3645, f. 56’ (1396/26/X) ; Petrus a Scala, commissaire d’un boulanger allemand, Johannes d’Ulm (ASV, Not. Test. 995, 72) ; Jacobus Johannis de Alemania hospes ad scalam (Canc. Inf. 74, II, 199) ; Avogaria di Comun, Raspe 3649, f. 46 (1447/16/II m.v.), f. 70’ (1444/16/X). ASV, Not. T. 481, 550 (1458/16/VIII) : testament de Laurentius de Norimbergo de Alemania quondam Johannis, hospes ad hospitium spate.
16 A. Doren, Deutsche Handwerker… Annexe II, p. 131 : Arte della Lana, Partite 120, f. 7 (1406/14/V) : approbatio ordinum flammingorum : quod nullus de dictis partibus… possit et debeat aliquem talem lenonem seu ruffianum vel lenocinium exercentem nunc vel in futurum tenere vel receptare ad texendum vel laborandum…
17 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 2647 (1417-1428), f. 20 (1417/28/IX).
18 ASV, Canc. Inf. 169 (Rafanelli), 1393/27/VIII : Albertus de Alemania hospes ad cavaletum, Nicolaus Bartholomei a pavone de Alemania et Federicus de Neustadt (S. Salv.), arbitres dans le différend entre Johannes quondam Stefani de Alemania de cha’ Dandolo (S. Luca) et Johannes Garofalo quondam Jacobi de Alemania tinctor (S. Barth.).
19 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3646, f. 39 (1413/15/IX).
20 MCC, Cod. Cicogna 2978 (3281), Memorie Venete diverse, fasc. III, 15 (1414).
21 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3647, f. 118 (1421) : Caterina flamenga de Bruges, concubine d’un marchand ragusain, roue de coups une voisine ; 3655, f. 28’ (1481) : le juif Benedictus Sayt de Padoue étant allé au bordel à S. Samuele est reconnu par une pute flamande, Caterina, qui avait tenu bordel à Padoue ; 3656, f. 20’ (1483) : Joanna flamenga qui fut concubine du défunt marchand flamand Jacob Spruth, fait rédiger par un prêtre un faux testament afin de recueillir l’héritage.
22 Fratris Felicis Fabri Evagatorium… I, p. 165 et 167 : À Modon, près de la maison des Chevaliers Teutoniques, un Allemand s’offre pour conforter les passagers. En Crête : hospitium quesivimus pro cena sed non aliud hospitium invenimus nisi quod pudet dicere prostibulum, quod regebat quaedam mulier theutonica, magistra domus…
23 Cf. P. Amelung, Das Bild des Deutschen in der Literatur der italienischen Renaissance, Munich, 1964 (Münchner Romanistische Arbeiten, 20), p. 29-34 ; A. de Stefano, I tedeschi nell’opinione pubblica medioevale, Rome, 1916 (Bilychnis, 7), p. 109-115 ; Hermaphroditus, éd. F.C. Forberg, Cobourg, 1824 : les putains de Florence viennent d’Allemagne.
24 Francesco Petrarca, Le Familiari, éd. V. Rossi, Florence, 1933, I, p. 28-31 (1, 5). Poggi Epistolae, éd. Th. de Tonellis, I, 1 (lettre à Niccolo Niccoli), p. 1-10. Cf. Ph. Braunstein, Dal bagno pubblico alla cura corporale privata : tracce per una storia sociale dell’intimo, dans Ricerche Storiche, XVI, 1986, p. 523-534.
25 Simple impression fondée sur des indications très fragmentaires ; cf. le laconique testament de Lorenz de Nuremberg, hôte ad hospitium Spate, qui de ses biens fait deux parts, le mobilier, vendu à des regrattiers pour les œuvres, et le reste à Barbara de Salzbourg, que moratur mecum : ASV, Not. Test. 481, 550 (1458/16/VIII). D’autres aubergistes, tout en demeurant plongés dans un milieu artisanal, ont des contacts avec la marchandise et la finance et paraissent mieux intégrés à l’ordre social vénitien. C’est le cas de Christoph de Bavière, qui a été fournier à S. Giovanni di Bragora avant de tenir l’auberge « della Campana » (ASV, Canc. Inf. 177, Rizzo, reg., f. 78, 1480), qui appartient à la famille Sanudo (M. Sanudo, Cronachetta, Venise, 1880, p. 47) ; cf. aussi Conradus de Alamania, hôte à l’auberge du “Capello” à St. Marc, choisi comme exécuteur testamentaire par un mercier allemand en 1412 (ASV, Not. Test. 1000, 340), ou le successeur de Conradus, Endricus de Alemania, qui se charge d’encaisser une créance sur un marchand allemand (ASV, Canc. Inf. 205, 1424/10/III), ou même de Margarita, qui tenait un hôtel à Mestre, mais avait une famille allemande à Venise, et qui rédige son testament dans sa chambre du « St. Georges » (ASV, Not. Test. 974, reg., f. 74, 1476/21/VI).
26 Sur la présence juive à Venise, cf. D. Jacoby, Les Juifs à Venise du XIVe au milieu du XVIe siècle, dans Venezia centro di mediazione tra Oriente e Occidente (secoli XV-XVI). Aspetti e problemi, Florence, 1977, I, p. 163-216, partic., p. 185-187 ; R.C. Mueller, Les prêteurs juifs à Venise au Âge, dans Annales E. S. C., 30, 1975, p. 1277-1302 : E. Ashtor, Gli inizi della comunità ebraica a Venezia, dans Rassegna mensile di Israel, 1978, p. 683-703.
27 ASV, Miscellanea Codici (Codici ex-Brera) I, Storia Veneta, 142, 1477 /26/VIII.
28 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3656 (1483-1489), f. 72 : Isayas judeus theotonicus, domestique de Salamoncino, juif de Pieve di Sacco, est accusé de coups et blessures sur la personne de Aron fils de Jacob, dum veniret ad hospitium judeorum de contrata S. Pauli.
29 BNM, Cod. Italiani VII, 2048 (8331), Cronaca Morosina, f. 1212 et 1289 (1431/25/V et 20/X). L’auberge recevait déjà des Allemands à la fin du XIVe siècle : l’hôte a ouvert sa porte en pleine nuit à 4 Allemands arrivant de Trévise au printemps de 1375. Mal lui en prit, car c’étaient des marchands obligés de loger au Fondaco : ASV, Grazie 17, f. 40 ; Si I, 228.
30 ASV, Governadori delle Entrade, 145, Multorum (1468-1479), f. 32 (1473) ; Notatorio alle Rason Vecchie, 25, f. 3 (1458/21/III)
31 Si II, p. 284. Voir la carte.
32 Cf. H. Rupprich, Dürers schriftlicher Nachlass, I, Berlin, 1956, p. 263 et pl. 40- 43 ; Albrecht Dürer, Schriften, Tagebücher, Briefe, éd. M. Steck, Stuttgart, 1961, p. 125. Cf. Annexes, II, 7.
33 Cf. Si II, p. 284-285, qui cite plusieurs textes de Marin Sanudo, en particulier I Diarii, III, 630 : « 1500 adi 14 avosto. Viene Piero Pender, tien caxa in questa terra a San Bartholomeo per alozar Todeschi ». Le privilège d’activité in ASV, Miscellanea Codici, I, Storia Veneta, 142 : 1475/18/IX, 1480/26/XI, 1495/28/XI : « case d’Oltramontani alloggino li oratori et altri di quali paesi quando vengono a Venezia per le loro occorente ». Cf. Si I, 698 (1528/IO/XII) : « Oltramontani forestieri debbino andar et habitar nelle sue case de S. Zorzi, Lion Biancho, Pender ».
34 ASV, Not. T. 271, 309.
35 ASV, Not. T. 786, 176 (1514/14/VII) : « corporis vero videlicet cadaver meum tumulari in sepulcro ubi positus est Johannes Rochfas et socera mea et Barbara prima coniunx cum filiis ex ea susceptis hattenus defunctis ». Par son testament, 25 ans plus tôt, Johannes Rauchfass léguait un de ses vêtements à Peter Pender : Not. T. 66, 1 (1478/4/ VI) : Cf. Annexes, IV, 7.
36 Cf. plus loin, p. 736 et suiv.
37 Fratris Felicis Fabri Evagatorium… II, p. 31 : Infra Rivoalti pontem declinavimus a canali magno in aliud canale quod a latere dextro habet fonticum Alemannorum, per quod ascendimus intra domus et usque ad portam hospitii nostri, quod ad sanctum Georium dicitur vulgariter theutonice « zu der Fleuten » pervenimus. Exivimus ergo de barca et de mari per lapideos gradus circiter LX ascendimus ad cameras nobis ad manendum paratas… et invenimus ibi multos nobiles de diversis mundi regionibus qui eodem voto quo et nos adstricti intendebant mare transire... La bonne opinion de Félix Faber (hospitium magnum et honestum) est corroborée par celle de Bernhard von Breydenbach : cf. R. Röhricht, Deutsche Pilgerreisen... p. 125-126.
38 Ibid. III, p. 388. Sur Ugelheimer à Milan et son testament de 1487, cf. plus loin, p. 738.
39 Fratris Felicis Fabri Evagatorium… IV, p. 397 : Ibi enim non auditur folium de arbore cadere, sed tantum strepitus et fragor maris ab extra, praecipue noctibus, dum omnia in silentio sunt, que non vitiose timet homo.
40 Il était à Venise depuis de nombreuses années, car il reconnaît le paiement de la dot de sa femme Catharina le 31/VIII/1497 : ASV, Canc. Inf. 84, Canciano de Florinis.
41 Quelques jours avant sa mort, le défunt avait rédigé son testament devant les mêmes commissaires : ASV, Not. T. 273, II, 287 (1521/24/IX). Cf. Annexes, IV, 8. L’inventaire a été rédigé materno sermone ; il en reste quelques mots en latin : le moule à gaufres est « ferro di vuafli » où l’on reconnaît aisément les « waffeln » ; la « tascha » passé en italien, traduit « Tasche » qui a donné en français « sabretache » et représente ici l’escarcelle de cuir.
42 ASV, Miscellanea Notai diversi, 34, Inventari : les commissaires sont Daniel de Bomberg, Laurent de Brabant, neveu d’un marchand d’Anvers, maître Henri, cordonnier allemand, Andrea Major de Venise, qui pourrait être le proviseur du Sel chargé de la reconstruction du Fondaco en 1505 et un marchand d’Oudenarde, Jacotin de la Cercha, absent. Sur Daniel de Bomberg, cf. plus loin, p. 756. Ayant achevé l’inventaire de la maison, les commissaires procédèrent à l’examen d’une caisse, qui avait été portée chez Andrea Major « avant l’incendie du Rialto » et qui renfermait le « trésor » de Jacob de Gand en pièces d’or, bijoux et argenterie, comme si l’hôtel n’était pas un lieu assez sûr pour qu’on l’y conservât. Ils firent aussi ouvrir « avec son accord » par dame Magdalena, veuve du défunt, une cassette contenant les objets les plus divers La dame protesta que le contenu de la cassette lui appartenait, ce qu’on ne contesta pas lorsqu’il s’agit de fil à coudre ; mais un sac plein de monnaies diverses fut déposé chez Daniel de Bomberg « fin chel sia dechiarito per uisticia che sono tel danari ».
43 Il est une fonction de l’aubergiste que révèle l’inventaire, c’est le dépôt et le change manuel. Jacob de Gand possédait des monnaies d’or et d’argent de tous les pays d’Europe. Dans le sachet retrouvé chez dame Malgerita, on trouve 20 ducats hongrois, 9 ducats vénitiens, trois florins de Florence, un ducat turc, un florin rhénan, 4 écus, trente « Tron ». L’aubergiste avait porté en sûreté chez Andrea Major une cassette contenant 28 doubles et une pièce d’or espagnole de 4 ducats, 84 florins rhénans, 56 ducats vénitiens, 50 ducats hongrois, outre des bagues, des cuillers d’argent, une coupe de vermeil, des médailles, des salières en argent…
Ce petit inventaire est à rapprocher de l’extraordinaire diversité des monnaies déposées par des voyageurs de passage et enregistrées par l’administration de l’hôpital S. Maria della Scala à Sienne : cf. G. Piccinni, L. Travaini, Il libro del Pellegrino (Siena 1382-1441) : affari, uomini, monete nel ospedale di S. Maria della Scala, Naples, 2003.
44 ASV, S. Salvador, b. 28, 169 « all’insegna della Croxe che per tutto il mondo aveva nome » ; cité par A. Mozzato, Un speziale aretino a Venezia nel secondo quattrocento, dans Annali Aretini, XV-XVI, 2007-2008, p. 123.
45 Archivio della Fabbrica dei Laici di Arezzo, 3470-3475 : ce fonds fut découvert et analysé par A. Mozzato.
46 Le Maggior Consiglio limite en 1410 aux seuls épiciers installés entre S. Bartolomeo et S. Zulian la vente de substances qui pouvent être nocives : cf. G. Marangoni, Associazioni di mestiere nella Repubblica veneta (vittuaria, farmacia, medicina), Venise, 1974, p. 161-162.
47 Ce qu’on appelle le « Nürnberger Tand ».
48 Cf. L. Molà, La communità dei Lucchesi… p. 129.
49 D. Malipiero, Annali veneti dal anno 1457 al 1500, dans Archivio Storico italiano, VII, 1843-1844, p. 700.
50 MCC, PD 912/2, Zornal de Lorenzo Priuli fiol di miser Piero el procurator, f. 67 : « 1513 a di 11 deto. Nota che questa nocte passada a hore do et meza de nocte entro fuogo in Rialto e se bruxo tuto Rialto con tute le volte et botege se bruxo. La mia volta hera ai Sopraconsoli con tute le robe dentro vz tuto el galanga de miser Piero e miser Antonio de Priolli venuto de Bruza che se teniva li pro deposito de Lorenzo de Priolli e fratelli. Mira casse 2 che avea avuto in pagamento de S. Zuan Gregolin e S. Dimitri de Polo in pagamento ; aloe paticho l. 2000 in zercha ; zedoaria amara sacho uno se ave dai Benbi l. 450 ; zenzeri beledi sachi do l. 600 ; noxe sachi 3 comprati da S. Charlo Marconi e compagni l. 713 ; altre cose menude per ducati 50. Item tute le mie scripture de Soria et molte altre che sempre ho tenuto li per tenerli salve. Item due mie botege de draparia sopra el parangon n° 3 et n° 4. Item una mia botega in cordaria tramezada in due botege. Item se bruxo per avanti el mio magazen al Nuriom Chel nostro signor Idio mi ristori in altro se li piace ».
51 ASV, Proc. S. Marco, Ultra 231 (1447/2/IX).
52 Unum adiamantum in pinza grossum quem dictus noster quondam commissus sibi dixerat esse de ratione societatis illorum de Amatis et S. Nicolai Mudatio ; sed quia dicti de Amatis habuerant de bonis dicte societatis plus quam S. Nicolaus Mudatio ideo retinebat dictum adiamantum… Associé aux frères Amadi, Nicolo Mudazzo obtint du Sénat l’autorisation de faire revenir de Beyrouth sans droit de douane ni taxe du cuivre en plaques et en fil demeuré invendu : ASV, Senato Misti 51, f.86’ et 164 (1415/1416).
53 Angelinus, que l’on rencontre avec le titre de mercier, est ici défini comme « speciario » et achète à la fois de l’encens et du vif-argent ; Alvise di Giorgio, « aromatario » à S. Salvador, qui fut client de Hilpolt Kress de Nuremberg, achète à la « commissaria » à la fois de la cannelle et près de 3. 500 livres de vif-argent.
54 Les Allemands acheteurs d’épices de la commissaria Mudazzo : Johannes Arzifel de Bruges (aloès, zedoaria, dents d’ivoire), Johannes Borachiel (cannelle), Adolfo de Burgo (cannelle), Battista de Burgo (aloès), Johannes Darle (poivre long), Henricus Degen (encens), Leonardo Fulger (encens), Johannes de Goler (cannelle), Lodovico Gruber (encens), Johannes de Nuremberg (encens), Konrad Imhoff (encens), Johannes Maramburg (cubebe), Henricus Muller (cannelle, encens), Marchier Muller (encens), Nicolaus de Bâle (cannelle), Nicolaus Sugmayer (« sinabaffi »), Odolfo (encens), Johannes Pellinger (cannelle), Leonardo Plesfelger, soit Brifperger (galanga), Johannes Prim et C° (cannelle, encens), Johannes Rabech (encens), Konrad Rummel (encens, poivre long), Henricus Tanz (cannelle).
55 Ph. Braunstein, La capture d’une coque vénitienne sur la route de Flandre au début du XVe siècle, dans Horizons marins, Itinéraires spirituels (Ve-XVIIIe siècles), II, Marins et navires et affaires, éd. H. Dubois, J. C. Hocquet, A. Vauchez, Paris, 1987, p. 123-135 : les épices embarquées sont : azur, borax de l’Himalaya, cannelle de Ceylan, cardamome, coton, éponges, gingembre (beledi, colubi, mechini), mumie, orpiment, poivre long, semencina, rhubarbe du Tibet, thymiame.
56 Sur 17 noms de merciers allemands, 9 indiquent une origine et sur ces 9, 8 indiquent une ville du Rhin ou des Pays Bas : Federicus merzarius teutonicus (S. Salvador) vend en Flandre en 1334 un jeu d’échecs (ASV, Senato Misti 16, 59’) ; Jacobus theotonicus quondam S. Johannis de Oppenheim merzarius (S. Salvador), (ASV, Canc. Inf. 95, 1418) ; Deotrycus merzarius teutonicus (ASV, Not. T. 995, 24, 1418) ; Johannes Sench merzarius de Alemania (S. Moysè) (ASV, Canc. Inf. 486, 140, 1419/3/III) ; « Conra marzer todescho chi sta a S. Bartolomeo » (ASV, Canc. Inf. 486, 59, 1429) ; Peter de Francoforte merzarius (ASV, Canc. Inf. 122, 1436) ; Nicolaus Barbo merzarius de Flandria (S. Maria Formosa) (ASV, Not. T. 1232, 616, 1436) ; Johannes Gottscall de Tridento quod est in partibus Alemanie parve merzarius nunc habitator in contrata S. Bartholomei penes fontichum Theotonicorum (ASV, Canc. Inf. 2301441/23/VIII) ; Nicolaus Stolpo quondam S. Federici, civis venetus depuis 1382, installé à S. Salvador comme apothecarius vend des esclaves (ASV, Canc. Inf. 168, 1389) ; il encaisse en 1406 la dette de deux marchands de Cracovie pour des apothecaria payés par Nicolaus Chorfer de Breslau (ASV, Canc. Inf. 96) ; Gerardus de Ciola apothecarius (S. Giovanni Grisostomo) achète un esclave tartare (ASV, Canc. Inf. 168) ; Johannes Martellus quondam Henrici merzarius de Maganza (S. Moysè, ) en 1417, Jacobus, Conradus merzarius theotonicus en 1430 (ASV, Canc. Inf. 95) ; Johannes di Salz S. Henrici merzarius (S. Samuele) (ASV, Canc. Inf. 74/75, 1458/II/XII) ; Paulus di Gent flandreus merzarius (S. Samuele), Nicolaus quondam Federici de Orlandria merzarius (S. Luca, 1477), Leonardus quondam S. Johannis de Norlin merzarius (S. Luca) (ASV, Canc. Inf. 124, 1487) ; Girardus de Colonia quondam S. Johannis Sichel merzarius (S. Zulian) (ASV, Not. T. 273, 309, 1502/10/III).
57 ASV, Canc. Inf. 104 : 1414/20/III, 1414/24/XII, 1414/15/II m. v., 1415/3/XII, 1416/2/X, 1416/10/VI, 1417/12/VI, 1419/28/IV, 1420/12/IX.
58 ASV, Canc. Inf. 170, Rafanelli, reg., 1406/7/V et 1409/14/VI.
59 Au sens où l’entend Ch. Klapisch, Parenti, amici e vicini : il territorio di una famiglia mercantile nel XV secolo, dans Quaderni Storici, 33, 1976, p. 953-982.
60 ASV, Not. T. 335, 7 (1417/14/V).
61 ASV, Canc. Inf. 104 1426/18/III ; Canc. Inf. 122, 22’, 1436/27/X.
62 ASV, Not. T. 1230, 192 (1439/6/VIII) ; Proc. S. Marco Ultra 231.
63 ASV, Canc . Inf. 104, 14’ (I/16/II m. v.) ; Canc. Inf. 230, 1441/23/VIII ; Not. T. 361, 252 (1456) et 255 (1460).
64 ASV, Not. T. 974, 1477/13/IV et Misc. Not. Div. 27, 2653 1482/29/VIII.
65 Les relations d’affaires d’Angelinus : outre son beau-fils, Johannes Coradi, Gerardus teutonicus merzarius, Angelinus magister fellarum ab equo, Angelinus Ellegro de Alemania, Mateo a Colona quondam Antonii de Alemania, Petrus quondam Henrici zenturarius. Les relations de Bartolomeo de Manfredis : des Lucquois, des marchands et fabricants de soie, des Allemands ; Basilio de Manfredis, importateur de soie de Patras, Tebaldo de Manfredis, notaire vénitien, Alberto Francisco ab auro, Cristoforo Fioravanti, Gasparino Rosso son beau-frère, Guilelmus Fior a sirico, Jacopo Ogniben, Johannes Antonii a sirico, Johannes Gueruzzi, Johannes de Matia, Lorenzo de Ferigo, Mateo Redolfi a sirico, Pisanello de Pisanellis, Petrus de Francoforte merzarius, Johannes Rizo de Nördlingen, qui donne à Bartolomeo la clé de sa maison, Henricus de Biberach, Hermann Reck de Norimbergo, représentant à Venise les sociétés Mendel et Pirckheimer, Johannes Moidburg de Framberg, Michaletto de Pettau, Peter Bend de Alemania, Oswald Stuck de Lindau (S. Zulian) commissaire de Christian von Aachen, qui fait procuration à Bartolomeo (ASV, Canc. Inf. 122, 22’) (1436/27/X).
66 ASV, Canc. Inf. 104 : 1415/8/VIII : Renaldus de Colonia fait procuration à son frère et à Bartolomeo de Manfredis en présence de Guilelmus Fior a sirico et de Jacopo, facteur d’Angelinus ; 1417/8/VI : Renaldus fait procuration à Bartolomeo de Manfredis et à Cornelius Veckinchusen et à leur éventuel substitut, Angelinus Longonaso ; 1417/7/I m.v. ; Renaldus fait procuration à Bartolomeo de Manfredis en présence de Guilelmus Fior et du facteur d’Angelinus.
67 Les numéros qui suivent renvoient à la carte, fig. 6, p. 82.
68 Sur la colonie lucquoise de Venise, en particulier la liste des familles immigrées au XIVe siècle, cf. MCC, Codici Cicogna 3281, fasc. 2, n° 17 » : estratto da una cronaca della famiglia Bonifacia (1582) ». Cf. L. Molà, La communità dei Lucchesi a Venezia. Immigrazione e industria della seta nel tardo medioevo, Venise, 1994.
69 C’est le siège du tribunal devant lequel étaient portés les litiges concernant des membres du métier ; cf L. Molà, o. c., p. 74.
70 ASV, Canc. Inf. 96, 1405/12/VI : Gasparinus veludarius quondam Angelini teutonicus (S. Simeone propheta).
71 ASV, Senato Misti 36, f. 46 (1377/19/XI) : Drapparia sete pocius expeditur in Fontico cum theotonicis quam alibi vel cum aliis : cité par L. Molà, o. c., p. 243.
72 Sur la place des femmes dans la main d’œuvre et la direction des métiers de la soie, cf. L. Molà, o. c., p. 174, 190 et suiv. ; l’appendice n° 6 publie une loi du Sénat vénitien du 28 juillet 1410, sur le rôle des magistrae qui étaient plus de 200 à transmettre le savoir professionnel à des fillettes ; il estime à 1 200 le nombre de personnes travaillant au début du XVe siècle dans les métiers de la soie. Sur la division du travail à l’intérieur des familles de soyeux, le modèle le plus connu et que les Vénitiens connaissaient, est celui du métier dans la ville de Cologne. Cf. M. Wensky, Women’s Guilds in Cologne in the later Middle Age, dans The Journal of European Economic History, 1, 1982, p. 635- 639. Sur la distinction vécue par les femmes entre travail, commerce et vie publique, ce témoignage d’une veuve de pelletier : ASV, Canc. Inf. 104, 1418/7/II m. v. : nec honestum nec laudabile censeatur quod mulieres se immisceant negotiis que in Rivoalto et pallatio agitantur… D’où la nécessité d’avoir des garants qui agissent en leur nom et préservent pudicitia et honor…
73 Par exemple, ASV, Canc. Inf. 230, 13’ (1412/2/V) : Agnesina di Bernaba (S. Maria Nova) « vend » au soyeux Basilio de Manfredis 30 livres de soie de Patras à un ducat la livre et s’engage à livrer la soie travaillée dans quatre mois à Piero, frère de Basilio.
74 ASV, Canc. Inf. 169, 1395/25/XI. Sur Lucia dite ab auro, cf. P. Clarke, Le « mercantesse » di Venezia nei secoli XIV e XV, Archivio Veneto CXLIII, 2012, p. 67-84, p. 74 ; l’auteur a rencontré d’autres productrices, en particulier Pasqua Zancani dont il est question plus loin, mais propose de cette dernière un portrait incomplet (p. 78-82).
75 ASV, Not. T. 295, Avanzo, 5 (1499/20/VIII) : Anna teutonica, veuve d’un maître Henricus de Bressanone (S. Apollinaris) dont l’inventaire testamentaire atteste l’activité professionnelle, charge son commissaire, Konrad Schnabel, batteur d’or, de récupérer les sommes que lui doivent un fileur milanais d’or et d’argent, une acheteuse de Vérone et un Allemand pour des filés livrés.
76 ASV, Canc. Inf. 24, de Rolandis, reg., 55 (1421/7/VI).
77 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3647 (1417-1428), f. 47’ (1418/I/XII).
78 À côté des tisserands endettés par rapport à des marchands de soie, on rencontre des femmes créancières pour des factures non payées à leur défunt mari par des soyeux de premier plan que l’on retrouvera plus loin, Amado di Amadi, Jacobello Menegi, Andrea Perducci : ASV, Canc. Inf. 82 (1419), 169 (1393), 190 (1414).
79 ASV, Canc. Inf. 95, reg., I, 11 (1418/20/VIII).
80 ASV, Canc. Inf. 24, 44’ (1419/14/XI).
81 ASV, Canc. Inf. 24, 46 (1419/2/I m. v.).
82 ASV, Canc. Inf. 24, 68’ (1421/2/XII).
83 ASV, Canc. Inf. 24, 83 (1423/10/X).
84 ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3647, f. 102’ (1426/9/VII).
85 ASV, Canc. Inf. 24, 55 (1421/7/VI).
86 ASV, Canc. Inf. 95, reg. I, 11 (1418/20/VIII) : c’est le premier et le plus explicite d’une série de documents : Certum esse dicitur quod ser Henricus In Curia de Alemania habere debebat et debet multas et plurimas summas et quantitates denariorum a domina Polucia Faledro relicta domini Nicolai Faledro et dicitur etiam esse certum quod dictus ser Henricus. In Curia fecit certas factiones et conventiones cum domina Pasqua Zancani sorore dicte domine Polucie inter quas continetur quod dicta domina Pasqua promisit dare certas fideijussiones et promissiones prout dicitur apparere per dictas suas factiones et nunc ego Donatus Zancani quondam ser Aloysi dicti Negri de confinio S. Gervasii vellem me obligare vobis ser Henrico In Curia pro dicta domina Pasqua et tantum solummodo de dicto debito quantum sunt ducati quinque auri solvendi a modo usque ad unum annum proxime venturum ut infra dicetur et difalcendi de dicto debito. Ideo nunc ego predictus Donatus Zancani quondam Aloysi dicti Negri cum meis heredibus et successoribus promittendo promitto vobis predicto ser Henrico In Curia et vestris heredibus et successoribus quod ego nomine dicte domine Pasque dabo et solvam vobis predicto ser Enrico In Curia et heredibus et successoribus vestris ducatos quinque auri a modo usque ad unum annum proxime venturum sine aliqua conditione obstaculo vel oppositione. Hec autem que supra scripte sunt se non observabo tunc a modo dare deberem cum meis heredibus et successoribus vobis et heredibus et successoribus vestris auri libras quinque et nihilominus promissionis carte cum contentis in ea in sua permaneat firmitate. Insuper per observationem premissorum omnium et singulorum obligo me et heredes et successores meos et omnia et singula bona mea mobilia et immobilia presentia et futura. Testes ser Jacobus Bono notarius quondam ser Andree, ser Marinus Rosso filius ser Stephani.
87 ASV, Canc. Inf. 104, 32’ (1418/3/II m.v.).
88 Cf. les documents publiés par H. Kellenbenz, Bologneser Seidenwaren in Köln, Die Stadt in der europäischen Geschichte, Festschrift E. Ennen, Bonn 1972, p. 611-620.
89 Liste des garants :
90 ASV, Canc. Inf. 24, 46 (1419/30/XII).
91 B. Cecchetti, La vita dei Veneziani nel ‘300, Le vesti, Venise, 1886, p. 6.
92 L. Molà, o. c., p. 244-246.
93 Sur l’estimo, L. Molà, o.c., p. 280 ; le testament in ASV, Not. T. 858 bis, Rafanelli, 1396/27/V ; ASV, Canc. Inf. 168, Rafanelli, 1388/6/V : il reçoit procuration de « Enrico Gnechunycz » de Breslau ; S. Romanin, Storia di Venezia, II, 1854, p. 372 : créance de 218 florins sur un marchand de Breslau, « Francesco Dumloz » ; Si I, 237 (1376) : parmi ses débiteurs, Konrad Gensler de Vienne, malade et en prison à Venise ; ASV, Petizion, Sentenze a giustizia, 22, 77 (1412/27/VII) : il est bien connu en Hongrie.
94 Sur le personnage, cf. L. Molà, o. c., p. 238, 258 , 280, 285 ; ASV, Senato Misti 41, 72 (1390/26/IV). Dans ses relations avec d’autres marchands-fabricants de soieries, cf. Bernardo de Redulfis notaio in Venezia (1392-1399), éd. G. Tamba, Venise, 1974, p. 291, 301-304. L’un de ses parents, Augusto, comme lui « veludario », est débiteur en 1405 d’un Giovanni Zusto a seta, avec lequel Jacobello, quelques années plus tard, est associé et en procès contre des concurrents : ASV, Canc. Inf. 96, 1405/12/VI, 1408/21/IV ; il est fidens amicus de Lucchino Novello Visconti ; sur ses affaires avec Piero Benedetto, cf. R. C. Mueller, The Venetian Money Market, Banks, Panics and the Public Debt 1200- 1500, Baltimore-Londres, 1997, p. 166.
95 ASV, Canc. Inf. 227, 371 (1417/23/II m. v.) : en compagnie d’un Fochardus de Colonia : la procuration est très détaillée : libertas petendi, exigendi, faciendi, mercandi, trafichandi, bona tam ad terminum quam ad contantos emendi, vendendi et baratandi, in bancho ponendi, recipiendi, scribendi, in alios translatandi et extra banchum accipiendi.
96 Cf. Ph. Braunstein, Relations d’affaires… p. 249 ; F. Bastian, Das Runtingerbuch und verwandtes Material zum Regensburger-südostdeutschen Handel und Münzwesen, Ratisbonne, 1935 (Deutsche Handelsakten des Mittelalters und der Neuzeit, Bd. 6-9), II, p. 116. Jacobello a des créances sur plusieurs Allemands : ASV, Canc. Inf 91, 1405/25/ IX : cum ipse habere debeat a quibusdam teutonicis certas summas et quantitates denariorum de quibus habet scripta de manibus ipsorum teutonicorum… ; il est témoin lors du procès Carbow-Zane (Si I, 301, 1410/7/VII) ; il reçoit procuration de Peter Carbow de Lübeck, Wilhelm « Pluit » de Cologne et Hans Paumgartner d’Augsbourg, puis procuration générale de ce dernier (ASV, Canc. Inf. 227, 1412/8/VII, 1414/4/V et Canc. Inf. 95, 1419/6/V).
97 ASV, M. Barbaro, Le venete famiglie cittadinesche, mss. (XIVe siècle) ; G. Tassini, Cittadini veneziani, ms, Miscellanea Codici I, dans Storia veneta, 9, p. 74 ; A. Cicogna, Delle inscrizioni veneziane, 6 vol., Venise, 1824-1853, VI, p. 379.
98 Ph. Braunstein, L’évènement et la mémoire : regards privés, rapports officiels sur le couronnement romain de Frédéric III, dans La circulation des nouvelles au Moyen Âge [Actes du XXIVe Congrès de la Société des Historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public], Paris-Rome, 1994 (Collection de l’École française de Rome, 190), p. 277- 301.
99 Le texte de Barbaro est d’une tranquille simplicité : « Hanno avuto cardinali in casa e vescovi in Venezia e grandissime mercantie… ».
100 L’un des fils de Francesco Amadi, Domenico, fait solder les comptes de son locataire pour récupérer la maison de Murano et y habiter avec sa famille (ASV, Canc. Inf. 149, 1441/6/III).
101 Francesco Amadi est en 1411 recteur de la « Scuola del Volto Santo » ; son père, Giovanni, était d’après l’« estimo » de 1379, résidant dans la paroisse de S. Stefano de Murano : cf. L. Molà, o. c., p. 122 ; sur le rôle de la famille dans la dévotion miraculeuse, E. Crouzet-Pavan, « Sopra le acque salse ». Espaces, pouvoir et société à Venise à la fin du Moyen Âge, Rome, 1992 (Collection de l’École française de Rome, 156), I, p. 617 et suiv. ; sur la chronique familiale, cf. A. Bellavitis, Identité, mariage, mobilité sociale. Citoyennes et citoyens à Venise au XVIe siècle, Rome, 2001 (Collection de l’École française de Rome, 282), p. 281 ; Family Memoirs from Venice (15th-17th Centuries), éd. J.S. Grubb, Florence, 2009 (Fonti per la Storia di Venezia, Sezione V, Fondi vari), p. 58-59 : la richesse des Amadi est attestée par les « factions » payées par les frères entre 1403 et 1441, soit 85.000 ducats. Le manuscrit familial (MCC, Cod. Gradenigo 56, « Memorie lasciate da Francesco Amadi della sua famiglia » (XVIe siècle) est la copie d’une relation datée de la fin du XVe siècle, de Angelo Amadi, petit-fils de Francesco di Giovanni, qui raconte comment Francesco a passé commande à Nicolo « pittor assai celebre in quel tempo » (qui serait Nicolo Paradixi) et à « maistro Zentil » (qui pourrait être Gentile da Fabriano) pour peindre une Madonne à l’Enfant entourée de St. Jacques et de St. Antoine, placée « al modo nostro veneziano » dans un angle sur la façade de la maison de S. Marina. Angelo qui se fonde sur l’examen d’un livre de comptes de 1408, aurait chargé en 1480 un orfèvre vénitien d’orner la peinture d’un porte-cierges et d’un cadre doré. C’est l’afflux de la foule qui l’aurait ensuite déterminé à mettre cette peinture à l’abri en attendant que fût construite une église digne de l’abriter, qui fut la Madone des Miracles. Cf. aussi Cronichetta dell’origine, principio e fondazione della chiesa e monastero della Madonna dei Miracoli di Venezia, Venise, 1664.
102 Il s’agit des actes du notaire Marco de Rafanelli (ASV, Canc. Inf. 168-170), notaire de la « fraterna » jusque dans les années 1400, c’est-à-dire jusqu’à la mort du notaire, dont les premiers actes conservés datent de 1364 ; puis des actes du notaire Bartolomeo degli Arcangeli (Ibid., Not T. 55) qui rédigea le premier testament d’Amado di Amadi en 1417, et ceux des filles et de la femme de Francesco (1405, 1413, 1418) ; d’actes du notaire Piero Grifon (Ibid., Canc. Inf. 96 et Not. T. 554) à partir de 1406, c’est-à-dire d’un moment qui représente une mutation dans les affaires de la « fraterna » ; enfin et surtout, d’actes du notaire Marco Taiapiera, curé de S. Giovanni Grisostomo, paroisse d’Amado, qui rédigea la plupart des testaments des membres de la famille après 1420 (Ibid., Not. T. 995). L’autre source essentielle est constituée par les papiers de la « commissaria » Amado di Amadi (ASV, Procuratori di S. Marco, Misti 112).
103 Manifestum facimus ad invicem nos s. Franciscus et Amatus cum nostris heredibus quod sicut sumus ad invicem eadem caro et idem sanguis ita intendimus esse in bonis et facultatibus nostris unum et idem… : ASV, Canc. Inf. 168 (1388/7/I m. v.).
104 ASV, Canc. Inf. 168, 1389/5/III.
105 ASV, Canc. Inf. 168, 1389/5/IV.
106 ASV, Canc. Inf. 168, 1389/3/VIII.
107 ASV, Canc. Inf. 82, fasc. 6, 1419/15/VII : la veuve d’un « samitario » tente de récupérer la somme que lui doit pour son travail Amado de Amadi.
108 ASV, Canc. Inf. 168, 1392/7/VIII ; Proc. S. Marco, Misti 112, 1394/8/V.
109 ASV, Proc. S. Marco, Misti 112, 1393/11/II m. v.
110 Cf . Ph. Braunstein, Relations d’affaires entre Nurembergeois et Vénitiens à la fin du XIVe siècle, dans Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’École française de Rome, 76, 1964, p. 227-268 ; L. Molà, o. c., p. 241 : Hilpolt Kress achète à Venise bocassins, brocards, taffetas et « zendadi » à la « fraterna » Amadi en 1392, 1393, 1397. Amado di Amadi reçoit procuration générale de Hilpolt Kress associé à Andreas Haller et « Giovanni Rumeus » (Hans Rummel) : ASV, Canc. Inf. 169, 1393/18/VIII, 1396/ 19/V, ainsi que de Michael Nodeler (ASV, Canc. Inf. 193, 1416/14/VII). Le fils de Francesco, Giovanni, reçoit à son tour procurations de marchands allemands : Stefan et Konrad Reck de Nuremberg, Rodolph Gundelfinger, Paul Teufel de Nuremberg, Hans Muggenhofer, Job Eckhart, Stefan Volckmayer (ASV, Canc. Inf. 194, fasc. 16, 1427/8/II, 1427/29/III, 1428/20/I, 1428/24/IX ; Canc. Inf. 95, 1435/29/IX).
111 ASV, Senato Secreti III, f. 27’ et 50’ : à la suite de son entrevue avec les ducs d’Autriche, ces derniers renoncent à une offensive militaire.
112 Federicus de Holern dit Schiltperger et Johannes Ellech font quittance, au nom du comte palatin, au gastaldo ducal Benedetto Altier pour 319 l. 19 s. et 14 picc. ad aurum reçus sur les biens de feu Mastino della Scala pour partie d’une somme totale de 16 000 ducats d’or ; les mêmes font procuration aux frères Francesco et Amado di Amadi pour recevoir à leur place et au nom du duc de Bavière le reste de ce qui lui est dû : ASV, Canc. Inf. 96, 1406/26/VI ; 1406/3/VII ; 1406/7/VII. Quelques années plus tôt, « Franssischo Mady » était associé à Wilhelm Rummel de Nuremberg pour prendre en gage la couronne du roi Ruprecht pour paiement de ses dettes personnelles : Regesten Kaiser Ruprechts, Regesta Imperii, éd. Böhmer, X, 1912, n° 1895 et 2040, cité par W. von Stromer, Oberdeutsche Hochfinanz 1350-1450, Wiesbaden, 1970 (VSWG, 55-57), p. 172.
113 ASV, Canc. Inf. 169, 1396/26/IV.
114 ASV, Proc. S. Marco Misti 112 : inventaire des biens de feu Amado de Amadi dressé par le curé-notaire et ami Marco Taiapiera (1424/2/XII) L’inventaire est dressé pièce par pièce, ainsi désignées les unes après les autres : « camera magna primi solarii, camera pizola, cuzina, portego, albergo spazado, banco de portego, pozuol ; de suso, camera de Francesco, altra camera sopra l’albergo spazado, portego de suzo, altra camera, altra camera, caneva, magazen de sozo in corte, caza pizola dove stava i famei ». C’est-à-dire qu’Amado et sa famille (il a eu au moins six enfants atteignant l’âge adulte) a vécu dans une maison de six pièces. Le fils aîné, Francesco, avait seul une chambre attribuée nommément, celle de son feu père ; cinq esclaves, quatre femmes et un homme, habitaient la petite maison de la cour. Les filles étant mariées, Amado et sa femme avaient sous leur toit leurs quatre fils et le frère aîné d’Amado, Giorgio, malade ou diminué, que par testament Amado confie à ses propres enfants.
115 ASV, Canc. Inf. 170, 1408/2/III, 1408/2/VIII, 1408/28/IX, 1409/30/IV, 1409/5/I m.v. ; Canc. Inf. 96, 1411/27/VII ; Canc. Inf. 230, 1417/16/X : de Damas, Benedetto Morosini fait procuration à son beau-père, Francesco Amadi.
116 ASV, Canc. Inf. 96, 1411/16/III.
117 ASV, Scuola Grande S. Giovanni Evangelista, reg. 72, 1421/21/I m. v. À la fin du XVe siècle, la famille a conservé son prestige, puisque, en compagnie de Bernardo Zorzi « alli zendadi » et de Marin Morosini, le « noble » Francesco « Amay » est l’un des procurateurs de la fabrique de S. Giovanni Grisostomo : cf. B. Jestaz, La reconstruction de l’église de S. Giovanni Grisostomo à Venise (1497-1506), Archivio Veneto CXXXV, 2004, p. 18.
118 Les testaments Amadi : ASV, Misc. Not. div. 24, 1585 et 1587 (1421/12 et 16/ VIII) : Zorzi, l’aîné, qui vit toujours en 1424 ; Not. T. 995, 1422/19/VI : Amado ; 995, 1423/13/II m.v., Francesco, mort le jour même ; 995, 1424/14/III : Perina, fille d’Amado ; 995, 1427/23/IX : Perina sœur d’Amado ; 995, 1428/25/I m. v. : Alvise di Francesco « voiando al presente andar in Alemagna… » ; 995, 1430/28/XII : Marina, belle-fille d’Amado. Sur l’épidémie de 1423/1424, G.B. Gallicciolli, Delle memorie venete antiche laiche ed ecclesiastiche libri III, Venise, 1795, I, XIX, p. 208-209 : en trois mois de 1423, 16 300 morts d’après les registres des « Signori di Notte » et 11 300 en trois mois de 1424 ; en 1427, 120 morts par jour pendant six mois ; en 1428, près de 20 000 morts…
119 J. Chmel, Geschichte des Kaisers Friedrichs IV. und seines Sohnes Maximilians, 2 vol., Hambourg 1840/1843, I, Beylage XXX : Memorandumbuch K. Friedrichs, p. 579- 580.
120 BNM, It. VII, 50 (9275), Cronica Zancaruola, II, f. 376 : offre de deux balestriers et de deux rameurs soldés deux mois.
121 ASV, Canc. Inf. 21, 83’ (1398/14/III) et Canc. Inf. 91 (1400/9/IV) ; il est en outre en 1402 signataire d’une requête adressée au Pape Boniface IX pour replacer l’église de S. Bartolomeo, sa paroisse, sous la juridiction de l’évêque de Grado : Fl. Corner, Ecclesiae venetae antiquis monumentis nunc etiam primum editis illustratae ac in decades distribuitae, Venise, 1749, I, p. 347.
122 GNMN, Kupferstichkabinett, Kressarchiv, XXVIII, A, 10 : lettre de Piero Bicarano à Hilpolt Kress (1392/4/XI), informant son correspondant sur les cargaisons et les prix des marchandises arrivées du Levant et de la mer Noire. Lorsque Konrad Grau de Nuremberg encaisse à Venise les 7 000 ducats dus par la République au roi Sigismond, Piero Bicarano est témoin de l’acte. Wilhelm Rummel de Nuremberg, associé à Konrad Pirckheimer en 1410, se fait remettre à Venise en 1423 une somme avancée à Cracovie par change sur le compte de Piero Bicarano : Si I, 330. Associé à Wilhelm Rummel, Piero Bicarano accepte de prendre en gage la couronne et l’argenterie du roi Ruprecht : W. von Stromer, Das Zusammenspiel oberdeutscher und florentiner Geldleute bei der Finanzierung König Ruprechts Italienzug 1401/1402, dans Öffentliche Finanzen und privates Kapital im späten Mittelalter und in der ersten Hälfte des 19. Jahrhunderts, éd. H. Kellenbenz, Stuttgart, 1971 (Forschungen zur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, Bd. 16). Cf. Ph. Braunstein, Relations d’affaires… p. 51 et 269. Il est désigné comme domicellus domini ducis et expert en langue allemande dans un acte d’émancipation par un Nurembergeois de son fils à Venise : ASV, Canc. Inf. 122, 140’ (1437/30/XI).
123 A. Sapori, Gli Italiani in Polonia fino a tutto il Quattrocento, dans Studi Storici III, X, p. 149-176, en particulier, p. 66 : erat ostendere regi Hungariae et toti mundo habere intelligentiam et practicam cum rege Poloniae… ; J. Ptasnik, Italia mercatoria apud Polonos saeculo XV ineunte, Rome, 1910, n° 18 (1418/24/V).
124 J. Ptasnik, o.c., n° 19 (1409/20/VI) ; W. von Stromer, Medici-Unternehmungen in den Karpathenländern, Versuche zur Beherrschung des Weltmarktes für Buntmetalle, dans Aspetti della vita economica medievale, Florence 1985, p. 370-397 ; Id., Oberdeutsche Hochfinanz… p. 90-154.
125 ASV, Canc. Inf. 96, 1406/26/III.
126 Le « Wale », puissant maître des mines et de la Monnaie, que célèbrent des chroniques populaires, les « Walenbücher » : cf. Ph. Braunstein, Légendes welsches et itinéraires silésiens : la prospection minière au XVe siècle, dans Id., Travail et entreprise au Moyen Âge, Bruxelles 2003, p. 227-230. Quant aux Allemands, il s’agit à Venise comme à Cracovie de Nurembergeois : Johannes Ebrager, Konrad Grau, Georg Huter, Klaus Ketzinger, Hilpolt Kress, Johannes Schirmer, Konrad Seiler, Johannes Siefel, Wilhelm Rummel, auxquels s’ajoute Tilman Schreiber de Breslau.
127 ASV, Canc. Inf., 96, 1411/4/V et 1413/29/IV.
128 BNM, Cod. Ital. VII, 2048, Cronaca Morosina, f. 1212 (1431).
129 La route de terre, du Turkestan à la Pologne, a joué un rôle moteur au XIVe siècle ; avec les fourrures, la cochenille et l’ambre, c’est la soie qui arrive à Venise par Lwów, Cracovie et Breslau ; comme le reconnaît le Sénat en 1358, multa quantitas sete conducta est et conducitur Venetias per Alemaniam (Si I, 164). Dans le premier quart du XVe siècle, les tissus de soie cramoisie (« cremixi ») sont toujours apportés à Venise par des marchands de Cracovie et de Breslau : cf. ASV, Petizion, Sentenze a giustizia, 48, 1430/13/II m. v. et 53, 1429/18/XI ; Si I, 330. Cf. H. Samsonowicz, Les relations commerciales polono-italiennes dans le bas Moyen Âge, dans Studi in memoria F. Melis, Naples, 1978, II, p. 296-297.
130 Sur l’esclavage à Venise et la provenance des esclaves, cf. Ch. Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale, II, Gand, 1977, « l’esclavage à Venise », p. 550-710 ; Ph. Braunstein, Être esclave à Venise à la fin du Moyen Âge, dans Couleurs de l’esclavage sur les deux rives de la Méditerranée (Moyen Âge-XXe siècle), éd. R. Botte et A. Stella, Paris, 2012, p. 85-103.
131 L. Molà, o. c., appendice 3 : un fabricant de soierie de Venise, Castruccio Sagina, exporte 10 à 12 sacs de soie par an vers Lucques et donne du travail à 400 personnes, pauperculae et ultra.
132 L. Molà, o. c., p. 172-173.
133 ASV, Canc. Inf. 104, 1418.5/IX.
134 En témoigne le procès mené contre deux chefs de bande d’esclaves déserteurs, avec lesquels ils s’étaient regroupés à Udine et revenaient voler leurs anciens maîtres avec la complicité d’esclaves demeurés au logis L’un des leurs avait été l’esclave de Nicolo Morosini, associé de Francesco Zane et ami de Jacobello Menegin ; un autre esclave de Nicolo Morosini portait le sobriquet de « seta ». Le texte des « Raspe » (1406/16/ VI) a été publié par Ch. Verlinden, o. c., II, p. 690-691. La décision de justice associe au prénom chrétien de ceux qui vont être pendus l’origine tartare, le statut et le lien de dépendance personnelle.
135 Parmi les nombreux documents rassemblés sur Bulgaro Vitturi (S. Lucia) à qui Hilpolt Kress vend des fourrures de vair (ASV, Canc. Inf. 96, 1408/2/VI), plusieurs concernent les esclaves : vente d’une tartare (Ibid., 1412/29/IV), vente d’une russe (ASV, Canc. Inf. 230, 1418) ; après la mort de son père en 1427, Matteo Vitturi continue le trafic, mais les Balkans remplacent la mer Noire (ASV, Canc. Inf. 230, 1428). Sur Giacomo Badoer, cf. M. Balard, Giacomo Badoer et le commerce des esclaves, dans Milieux naturel, espaces sociaux, Études offertes à R. Delort, Paris, 1997, p. 555-564, et J.-Cl. Hocquet, Le réseau d’affaires de Giacomo Badoer, marchand vénitien à Constantinople 1436-1440, dans Studi Veneziani, n.s. LXI, 2011, p. 57-79.
136 ASV, Canc. Inf. 168, 1393/9/IV (Eustachius, 14 ans, 54 ducats), 1393/16/X (Wanda, 26 ans, 50 ducats) ; 169, 1396/26/IV (Zita, 14 ans, 54 ducats) ; 170, 1402/9/V (Margarita, 50 ans, 45 ducats). On trouve le même trafic chez Francesco Bicarano, qui vend un esclave de 20 ans 45 ducats (Canc. Inf. 170, 1406/13/VII), une esclave russe de 18 ans, 36 ducats à un Florentin de la Giudecca (Ibid. 1406/5/VIII), un esclave russe de 16 ans à un mercier de S. Salvador (Canc. Inf. 96, 1407/2/VIII) ; il donne pleins pouvoirs à Ambrosio Paruta à La Tana pour récupérer un esclave tartare (ASV, Avogaria di Comun, Raspe 3646, 19, 1412/4/II m. v.
137 ASV, Petizion, Sentenze a giustizia, reg. 37, 1402/18/IX
138 Ph. Braunstein, Relations… p. 267 : lettre d’Amado de Amadi à Hilpolt Kress à Nuremberg : « vi mando l. 301 di seta ttalany… ».
139 Quelques Allemands figurant parmi les acheteurs ou vendeurs d’esclaves dans la longue liste établie par Ch. Verlinden, o. c., II, p. 577-636 : un hôtelier allemand de Mestre acheteur d’un Tartare en 1366 ; Antonio di Corado, courtier au Fondaco, acheteur d’un Circassien en 1442 ; un Jacobus Alemanus revend à une veuve une femme de 40 ans et un garçon de 10 ans en 1423. Cf. ASV, Not. T. 750, Varsi : Stangelin de Nuremberg, moram trahens in Tana, libère son esclave russe.
140 Cf. L. Monnas, The Artists and the weavers, dans Apollo, CXXV, 304, 1987, p. 416- 424 ; Ead., Le luxe industriel, dans Venise 1500. La puissance, la novation et la concorde : le triomphe du mythe, éd. Ph. Braunstein, Paris, 1993, p. 157-167 ; C. Hoeniger, Le stoffe nella pittura veneziana del Trecento, dans La pittura nel Veneto : Il Trecento, Milan, 1992, II, p. 442-462 ; Brocarts célestes [catalogue de l’exposition, Musée du Petit Palais], Avignon, 1997 ; S. Desrosiers, Soieries et autres textiles, de l’Antiquité au XVIe siècle [catalogue de l’exposition, Musée national du Moyen Âge], Paris, 2004.
141 Un banquier mis à nu. Autobiographie de Matthäus Schwarz, bourgeois d’Augsbourg, éd. par Ph. Braunstein, Paris, 1992.
142 R. A. Goldthwaite, Ricchezza e domanda nel mercato dell’arte in Italia dal Trecento al Seicento. La cultura materiale et le origini del consumismo, Milan, 1995.
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2005
L’« Incastellamento » en Italie centrale
Pouvoirs, territoire et peuplement dans la vallée du Turano au Moyen Âge
Étienne Hubert
2002
La Circulation des biens à Venise
Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750)
Jean-François Chauvard
2005
La Curie romaine de Pie IX à Pie X
Le gouvernement central de l’Église et la fin des États pontificaux
François Jankowiak
2007
Rhétorique du pouvoir médiéval
Les Lettres de Pierre de la Vigne et la formation du langage politique européen (XIIIe-XVe siècles)
Benoît Grévin
2008
Les régimes de santé au Moyen Âge
Naissance et diffusion d’une écriture médicale en Italie et en France (XIIIe- XVe siècle)
Marilyn Nicoud
2007
Rome, ville technique (1870-1925)
Une modernisation conflictuelle de l’espace urbain
Denis Bocquet
2007