Chapitre 11. Les mises en scène internationales du martyre napolitain
p. 373-406
Texte intégral
1Les mises en mémoire de la révolution, qui se font pour l’essentiel en exil dans les années 1850, s’incarnent dans des figures d’acteurs politiques désormais identifiés, dans la continuité des célébrations à l’œuvre pendant la révolution de 1848. Le souvenir des martyrs méridionaux, individuels et collectifs, a servi la formation d’un consensus négatif contre la monarchie bourbonienne, parce qu’il incarne sa politique répressive qui en fait l’un des emblèmes européens du malgoverno, au même titre que la Russie des tsars. La géopolitique européenne de l’après 1848, marquée par la victoire généralisée des régimes autoritaires sur les révolutions, a fourni un cadre favorable à la diffusion de cette image : le contexte de la guerre de Crimée, entre 1854 et 1856, dans laquelle le royaume des Deux-Siciles reste neutre, accrédite auprès des observateurs internationaux ses sympathies supposées pour le régime russe, objet depuis longtemps d’une ample campagne de dénonciation.
2Dans la continuité des sorties de révolution antérieures donc, les martyrs napolitains sont les protagonistes de textes narratifs à prétention historique, qui apparaissent comme les héritiers de Masaniello, des rei di Stato de 1799 et des condamnés de 1821. Leur souvenir montre que la pratique bourbonienne du pouvoir a vu se perpétuer un fonctionnement ancien, qui lui donne les traits d’un État défaillant, à la fois parce qu’il est vulnérable et incapable de remplir les missions inhérentes aux États modernes, militaires et fiscales, celles précisément autour desquelles se sont restructurés la plupart des États d’Europe occidentale au cours du long XIXe siècle1. La dénonciation de la monarchie suppose donc de faire du problème napolitain une question italienne et européenne. Cette image du royaume a été montrée par l’historiographie spécialisée, attachée à décrire les mécanismes sociaux et intellectuels qui ont permis la formation de la « question méridionale » telle qu’elle s’affirmera au lendemain de l’unification de l’Italie2. Mais malgré l’intégration progressive d’une partie des élites libérales napolitaines dans les dynamiques de la construction nationale italienne, les interrogations qu’ils soulèvent relèvent moins des dynamiques sociales propres au Mezzogiorno qu’à la situation politique particulière du royaume des Deux-Siciles sur la scène européenne. Plus qu’une « question méridionale » au sens qu’elle prendra dans l’Italie des lendemains de l’Unité, cette riche production écrite s’attache à poser les bases d’une « question napolitaine » essentiellement politique, qui s’intègre à la fois dans les problématiques politiques italiennes et européennes.
3C’est donc cette insertion transnationale qu’on cherchera ici à restituer, en s’attachant aux mécanismes sociaux et discursifs qui l’ont supportée. On montrera d’abord la formation des écritures immédiates de la révolution et du martyre, pour analyser ensuite la manière dont ces histoires immédiates créent des figures de martyrs qui s’intègrent à un panthéon libéral napolitain plus large. On abordera enfin les circuits qui ont supporté la médiatisation internationale des affaires de Naples, appelant à constituer une mobilisation transnationale en faveur du peuple napolitain.
A. Les écritures immédiates de la révolution et du martyre
4Les écritures de la révolution ont pris des formes variées, qu’il s’agisse de témoignages personnels ou de récits plus structurés prétendant restituer des réalités collectives. S’ils brossent le tableau d’une nation-martyre, dans le prolongement d’une riche littérature napolitaine antérieure à 1848, ils révèlent à la fois la focalisation commune des opposants sur l’institution monarchique, mais aussi les tensions propres au groupe libéral napolitain.
1. Témoignages et histoires immédiates
5Les publications de libéraux méridionaux ont d’abord consisté en des témoignages personnels restituant des pratiques individuelles de l’opposition aux Bourbons. Carlo Poerio en 18493, mais aussi Francesco De Sanctis en 1851, lorsqu’ils cherchent à mettre en forme leur expérience des prisons napolitaines4, en constituent les principaux représentants. Ils donnent à voir la manière dont la révolution a été vécue par ses acteurs, qui sont en même temps les victimes de la répression mise en œuvre par la monarchie bourbonienne. Carlo Poerio assigne ainsi à son témoignage la fonction d’« évaluer les effets terribles » de la « situation désastreuse » du royaume méridional5. La même volonté de légitimer l’action des libéraux en montrant la cruauté de la répression explique la publication de documents originaux destinés à donner les preuves de la tyrannie des Bourbons. Lorsqu’en 1851, Giuseppe Massari et Pasquale Stanislao Mancini publient des preuves relatives au procès du 15 mai et aux persécutions imposées aux opposants6, ils reprennent une pratique déjà utilisée par les légitimistes pour prouver le caractère séditieux de l’action des patriotes7. Alors que les formes de la légitimation des pratiques politiques sont communes aux deux principales factions qui s’opposent, elles donnent lieu à une importante littérature à prétention historique qui situe les événements politiques napolitains soit dans le cadre du royaume8, soit dans celui de l’Italie en construction9. Elle souligne l’aspect traumatique de l’histoire politique récente et insiste sur la capacité de la révolution à produire des martyrs parmi les libéraux. Leur martyre est imputé à la monarchie, qui est l’objet d’évocations plus ciblées à partir de 1853, lorsque le débat international en a fait, à la suite de la publication des écrits de William Gladstone en 1851, le modèle européen de la tyrannie à l’image de la Russie. Deux libéraux du royaume, Gennaro Pagano et surtout Mariano D’Ayala, s’attachent ainsi à développer la biographie du roi Ferdinand II, dont ils imputent la tyrannie au faible degré d’éducation politique et à certains traits du caractère national napolitain, comme la violence et la corruption10.
6Ces textes, très majoritairement édités en exil, constituent une histoire incarnée de la révolution, qui se fonde sur les expériences vécues par les patriotes. Ils exposent des parcours considérés comme exemplaires, destinés à servir à la fois au jugement européen et à l’action future d’autres patriotes. Dans les premières lignes des Casi d’Italia qu’il fait paraître en 1850 en les présentant comme la continuation de ses mémoires, Pepe dit les avoir écrits sous la pression d’autres patriotes italiens, dès 1849, pour en faire un outil au service de « la sainte lutte de [leur] indépendance », à travers l’exemple d’une révolution manquée dont il s’agit de tirer parti des erreurs11. Dès lors, l’exposition du sort de la patrie constitue un outil de mobilisation au service des luttes napolitaines et italiennes à venir, sans qu’elles soient clairement distinguées les unes des autres. Pepe met ainsi en scène les réseaux patriotiques italiens formés dans l’exil et renforcés au cours des expériences communes de 1848 comme l’un des points de départ de l’histoire qu’il a écrite, confirmés par sa correspondance personnelle. Giuseppe Massari mais aussi Gabriele Rossetti, ses interlocuteurs réguliers en même temps que ses anciens collaborateurs en 1820 et 1848, ont été parmi les premiers relecteurs de l’ouvrage12. Exilé en Grande-Bretagne depuis les années 1820, Rossetti y voit l’œuvre d’un « Héros Italique » (Italico Eroe), « un vrai aigre-doux », proprement romantique, qui permettrait de relancer le combat des peuples italiens pour l’indépendance13.
7Les circuits qui ont permis l’édition de ces textes ont également profité des sociabilités d’exil dans lesquelles les libéraux méridionaux se sont insérés. La très grande majorité d’entre eux ont été publiées en Piémont, où ils ont profité d’une législation beaucoup plus libérale sur l’expression publique. Massari fait ainsi paraître ses Casi di Napoli en 1849 chez l’éditeur turinois Ferrero e Franco, spécialisé dans la publication d’écrits patriotiques italiens14. Ce sont encore les sociabilités libérales piémontaises qui permettent à Francesco De Sanctis de faire éditer à Turin en 1851 ses écrits de prison, alors qu’il se trouve encore dans les prisons napolitaines : le rôle de ses correspondants réguliers Giacomo Savarese et Giacomo Tufano a été déterminant15. Les dénonciations de la monarchie bourbonienne ont donc porté sur les outils de gouvernement et de coercition. C’est ce qui explique qu’à la différence de la période précédente, la très grande majorité de ces écrits s’attache à décrire avec précision les dynamiques politiques propres au moment 1848, précisément parce qu’il est considéré comme un tournant majeur dans les rapports de l’opposition libérale napolitaine avec la monarchie bourbonienne. Alors qu’ils s’attachent à situer la révolution de 1848 dans la continuité de la conjoncture politique antérieure du royaume, héritée de l’époque moderne, les auteurs libéraux soulignent le traumatisme de la répression, dont Giuseppe Massari montre qu’il a représenté « le funèbre spectacle de l’agonie violente et du meurtre (uccisione) de la patrie libérale »16. Ils montrent la chronologie de la révolution, dont le 15 mai 1848 constitue l’un des temps forts. Il concentre l’essentiel de la production mémorielle, à la fois par sa valeur traumatique et par sa fonction mobilisatrice. Les très nombreuses références dont il est l’objet permettent de rallier des sujets étrangers à la cause des patriotes napolitains. L’évocation des faits du 15 mai constitue donc un passage obligé de ces écrits17, précisément parce qu’ils placent les révolutionnaires napolitains en victimes de la tyrannie bourbonienne. Elle s’inscrit dans une reconstruction plus large des faits du « moment 1848 », qui cherche à promouvoir une image consensuelle et acceptable du combat libéral napolitain.
2. Une mémoire compatible avec les tendances majoritaires du Risorgimento
8La mise en œuvre de la mémoire de 1848 s’est faite de manière à montrer sa compatibilité avec le mouvement national italien à l’œuvre, alors qu’il est récupéré par la monarchie piémontaise dont une grande partie des libéraux méridionaux espèrent s’assurer le soutien. Les circuits mémoriels révèlent donc la volonté des acteurs de présenter systématiquement la révolution de 1848 comme un fait politique italien, à rebours des références à la « nation napolitaine » très nombreuses dans les discours des patriotes pendant le déroulement de l’insurrection. C’est ce qui explique que les auteurs s’attachent à préciser leurs sources, qu’il s’agisse de la documentation écrite produite par l’administration napolitaine ou de témoins dont ils entendent restituer le point de vue. Alors que les écrits de témoignage se multiplient, Guglielmo Pepe dit s’appuyer sur ceux des patriotes italiens de 1848, signe que l’expérience de la révolution a été consensuelle, en même temps qu’elle aurait permis le brassage du personnel politique libéral péninsulaire. Sans que les témoins mobilisés ne soient tous nommés, l’auteur en mobilise une dizaine, issus de l’ensemble des États italiens qui ont participé aux soulèvements. À propos de la révolte de Reggio de 1847, il dit « suivr[e] le récit qui [lui] en a été fait par un Calabrais, homme de patriotisme et de cœur », et étaye sa narration par des documents visant à prouver le patriotisme italien des sujets calabrais18.
9Le même procédé permet de restituer les révoltes extérieures au royaume des Deux-Siciles, par les témoignages d’« illustres martyrs de la cause italienne » en partie empruntés aux troupes que Pepe a dirigées à Venise en 1848. D’autres sont cités nommément, comme Gaetano Lizabe Ruffoni, patriote romain à qui Pepe attribue le dernier chapitre de l’ouvrage, consacré à la défense italienne de Rome19. Pepe souligne les relations d’amitié qu’il entretient avec chacun d’entre eux, créant une communauté italienne unie par des liens personnels qui sont aussi des relations de fraternité politique. Le cas de Pepe constitue l’exemple le plus abouti de construction symbolique d’une communauté italienne par la mise en forme des mémoires de l’insurrection. La plupart des reconstitutions de 1848 publiées en exil vont dans le même sens, même si elles sont davantage centrées sur la participation des Napolitains au Risorgimento et sur les formes de la réaction dans le royaume. Alors que les patriotes du royaume revendiquent une morale politique fondée sur la vertu, qu’ils partagent depuis le début du XIXe siècle avec une grande partie des acteurs de la construction nationale italienne, ils assimilent l’opposition à la tyrannie bourbonienne à la lutte plus large pour l’indépendance italienne.
10Ces reconstitutions de la situation politique du royaume visent à justifier l’implication et le rôle des libéraux dans la révolution, en rappelant sa compatibilité avec la voie piémontaise de la construction nationale italienne. Alors que celle-ci s’appuie principalement sur la monarchie des Savoie, les mémoires napolitaines de la révolution s’attachent à rappeler l’attachement commun des libéraux au principe monarchique. La mémoire de 1848 se développe donc à rebours des nombreuses réflexions des modérés qui ont insisté sur le pouvoir subversif de la révolution, sur sa capacité à créer une situation d’anarchie par la diffusion d’idées extrêmes et fausses. L’économiste Costantino Baer, resté dans le royaume après la révolution, en fait partie, lorsqu’il évoque les effets néfastes de l’insurrection sur la stabilité politique et économique du royaume20. Dès lors, la mémoire libérale cherche à donner l’image d’une révolution modérée, qu’elle oppose au radicalisme des révolutions étrangères et notamment française. Giuseppe Massari insiste ainsi sur l’absence de « parti républicain » dans le royaume des Deux-Siciles, à la différence d’autres États italiens où la Giovine Italia de Mazzini est beaucoup plus développée21. Du démocrate calabrais Giovannandrea Romeo, pourtant proche des milieux radicaux de sa province fortement marqués par le républicanisme, il affirme ainsi la fidélité à l’institution monarchique, prétendant qu’il n’aurait combattu la monarchie des Bourbons que parce qu’elle est tyrannique22. C’est pour les mêmes raisons que le leader révolutionnaire calabrais Domenico Mauro, exilé en Piémont à partir de 1850, expose dans un ouvrage publié à Gênes en 1851 les raisons de son ralliement à Victor-Emmanuel II, qu’il juge davantage capable que Mazzini de rassembler les Italiens autour de l’indépendance nationale23. Mauro passe sous silence la révolte de son village, à San Demetrio Corone dans la province de Cosenza, qui a poussé une grande partie de ses concitoyens à proclamer une république locale à la tête de laquelle ils l’ont placé24.
11Cette volonté de présenter comme acceptable l’évolution d’un royaume présenté comme peu connu et mal jugé explique la reconstruction de certains épisodes d’insurrection, dont le plus significatif est la révolte des provinces calabraises à l’été 1848. Massari s’attache à la présenter comme une série de débordements liés au fait qu’après les émeutes du 15 mai, la révolution aurait trouvé refuge dans les provinces les plus périphériques du royaume, créant « une révolte ouverte »25. Domenico Mauro, qui en a été l’un des principaux acteurs, adopte une lecture plus nuancée, parce qu’elle lui a semblé une nécessité dans un royaume où « il n’y avait pas de vie politique populaire »26. Seul Ferdinando Petruccelli, un démocrate de la Basilicate, dénonce ouvertement l’attitude trop modérée de certains acteurs, dont D’Ayala, Scialoja, Massari et Imbriani sont les plus importants27. Tous les autres auteurs s’accordent à déplorer la confusion et l’anarchie créées par les insurgés, ou tout au moins à en minimiser l’importance en rappelant qu’il s’agissait d’un dévoiement. Celui-ci est rapporté à la faillite du système politique napolitain, imputée à plusieurs catégories d’acteurs dont le roi Ferdinand II est chargé des responsabilités les plus lourdes.
3. « Un paradis terrestre gouverné par des diables »
12La cruauté et la tyrannie de la monarchie bourbonienne et sa capacité à générer des martyrs libéraux constituent un point central des mémoires de la révolution, et font l’objet d’évocations abondantes, chargées de connotations morales. Massari rappelle ainsi que le thème du « paradis terrestre habité par des diables » propre aux très nombreux récits de voyage consacrés au Mezzogiorno est avant tout un thème politique, au point que le royaume serait plutôt « un paradis terrestre gouverné par des diables »28. Il reprend une idée déjà développée dans la littérature libérale, celle des exactions de la monarchie, qui l’apparentent au despotisme oriental tel qu’il a été théorisé par les Lumières. En 1847, Luigi Settembrini assimilait déjà les Bourbons de Naples à l’institution ottomane du sultanat, parce qu’ils lui apparaissaient à la fois tyranniques et archaïques29. La comparaison n’est pas nouvelle, et a connu des précédents, notamment en Espagne30. De la même manière, les notations des mémorialistes libéraux évoquent à la fois l’absolutisme et la tyrannie des Bourbons, que révélerait leur pratique du pouvoir. Carlo Poerio évoque ainsi la révocation fréquente des magistrats, pour les besoins du gouvernement, alors que leur statut les rend pourtant inamovibles31. Il montre la capacité de la monarchie à se défaire des serments politiques, alors qu’ils se sont imposés comme l’un des outils principaux de la cohésion sociale dans l’Europe post-révolutionnaire, maintenu dans le contexte de la Restauration.
13Mais l’essentiel des observations concerne les pratiques répressives mises en œuvre par la monarchie à l’encontre des opposants. Guglielmo Pepe rappelle qu’en réprimant les émeutes de Reggio en septembre 1847, la monarchie bourbonienne a ouvert « des jours de deuil et de terreur » destinés à perdurer et à enrichir le martyrologe libéral par la multiplication des victimes politiques32. Massari, lui, relie plutôt ces pratiques à des continuités historiques et à des solidarités familiales qui font des Bourbons de Naples les héritiers des souverains espagnols de l’époque moderne, longtemps considérés comme les archétypes du malgoverno. Massari rappelle ainsi qu’à l’image des rois espagnols administrant leurs possessions coloniales de Naples, la branche locale des Bourbons s’est livrée à des exactions contre les opposants dont la répression des révolutions de 1799 et de 1820-1821, pourvoyeuses de martyrs, sont les attestations principales. Le despotisme s’incarne donc dans la figure du roi, mais il est aussi le fait de l’administration napolitaine dans son ensemble, dont les dysfonctionnements et les abus accréditent l’idée d’un État défaillant. Carlo Poerio relève ainsi le rôle des administrateurs locaux et notamment des intendants, « satellites les plus féroces » de la monarchie, évoqués comme les acteurs centraux de la réaction. Il évoque ainsi le rôle de l’intendant calabrais Nicola De Matteis, nommé en 1821, qui avait soumis les attendibili de sa province au jugement de la cour martiale et à des pratiques de torture. Poerio dénonce ainsi une institution sclérosée, destinée « à prêcher, à promouvoir et à encourager l’assassinat des libéraux », alors même que certains intendants de province ont soutenu les révolutionnaires en 1848, comme Tommaso Cosentini à Cosenza ou Mariano D’Ayala dans les Abruzzes. Ils sont donc évoqués comme les représentants d’un système politique archaïque, centralisé et réactionnaire, au même titre que le clergé, dont Poerio rappelle qu’il s’est considérablement enrichi depuis le Concordat de 181833. Guglielmo Pepe, lui, évoque plus volontiers le rôle des soldats du régime et notamment des gardes suisses du roi de Naples, dont il signale « la barbarie » exacerbée au point qu’elle « est devenue de la fureur », à la suite d’évocations antérieures de leurs exactions sur des civils, notamment lors de la répression des civils du 15 mai34.
14Cette dénonciation des exécutants de la répression, qui insiste sur ceux qui y ont pris la part la plus active, donne également à voir le rôle de quelques libéraux dont l’évolution conservatrice ou l’inefficacité politique aurait nui au développement de la révolution. À l’inverse de la propagande libérale de 1848, les mémorialistes insistent peu sur la responsabilité des ministres dans l’échec de la révolution, à l’exception du ministre de l’Intérieur des premiers mois de la révolution, Francesco Paolo Bozzelli. Giuseppe Massari lui consacre deux chapitres entiers de son ouvrage, alors qu’il le classe parmi les responsables du tournant conservateur de la monarchie bourbonienne. Jugé responsable de l’échec de la révolution, il est alors taxé d’opportunisme : Massari rappelle son évolution idéologique, du courant libéral modéré partagé avec Carlo Poerio et Mariano D’Ayala dans les années 1840, à un conservatisme assumé comparable à celui « d’un très mauvais (pessimo) ministre anglais », le tory Robert Peel, principal acteur du développement de la police de Londres dans les années 182035. Les autres libéraux dont la responsabilité est rappelée sont des héritiers de Murat, apparentés au partito francese, dont on souligne la vision sociale inadaptée aux réalités du Mezzogiorno et l’incapacité à politiser le peuple. Massari dénonce ainsi la « tradition muratienne » qui caractériserait par exemple Francesco Dentice ou Giuseppe Torella, hommes de cour qui se sont opposés aux modifications de la constitution de 1848 et dont le premier a été député de Terre de Bari36.
15L’ensemble de ces dénonciations donne à voir un système politique défaillant dont les exactions sur les civils et l’abus de la violence d’État sont présentés comme les manifestations principales. Alors que se construit une réflexion globale sur la réforme et la modernisation du royaume des Deux-Siciles, appuyée sur les développements antérieurs de l’économie politique napolitaine, elle situe le royaume méridional à l’écart de la civilisation européenne qui s’est affirmée depuis l’époque des Lumières. Cela s’explique en partie par la tyrannie des Bourbons, parfois ramenée à des précédents antiques ou à des figures antérieures de l’histoire politique napolitaine. Ces discours s’inscrivent dans la continuité des perceptions napolitaines du Mezzogiorno telles qu’elles ont été développées au XVIIIe siècle37, mais se chargent d’une connotation politique dénonciatrice plus forte. Guglielmo Pepe évoque ainsi « des horreurs dignes de Néron » alors que Carlo Poerio perçoit l’attitude de Ferdinand II comme une répétition des cruautés de la reine Jeanne au XIVe siècle38. D’autres auteurs y voient l’expression du retard des Napolitains sur les autres sociétés d’Europe, expliquant leur statut d’éternels spectateurs des évolutions internationales, dont les seules formes d’implication politique occasionnent des flots de larmes et de sang39. Cette lecture doloriste des révoltes, qui relève d’un imaginaire romantique très présent dans l’Europe du premier XIXe siècle, contribue à faire de Naples le symbole de la réaction européenne de l’après-184840. Elle confirme l’idée, avancée par les écrits des voyageurs européens depuis l’époque moderne, que le royaume de Naples se situe à distance de l’Europe. Carlo Troya, resté dans le royaume de Naples, rappelle ainsi en 1849 que les cruautés de la monarchie bourbonienne ont corroboré cette image, rappelant que « Naples ne fait plus partie de l’Europe »41. Alors qu’une partie des élites du royaume est en exil, la littérature patriotique italienne se fait l’écho de cette exclusion. Les débats sur l’unité de l’Italie interrogent donc les limites géographiques du territoire, que le Piémontais Gioberti ou le Toscan Francesco Forti situent sur le fleuve Garigliano, qui marque la frontière entre l’État de l’Église et le royaume des Deux-Siciles42. En réponse à ces points de vue, l’évocation des horreurs de Naples donne à voir des figures de martyrs méridionaux, qu’elle cherche à intégrer au martyrologe italien alors en formation.
B. L’inclusion des martyrs napolitains au panthéon national italien
16L’évocation des martyrs napolitains rejoint un objectif politique, celui de réaffirmer la place centrale du royaume des Deux-Siciles dans le Risorgimento en revalorisant le rôle de patriotes exemplaires. Ceux-ci deviennent ainsi des martyrs de l’italianité, au moment où se construisent des martyrologes italiens à partir des victimes du Risorgimento43.
1. La construction du primat napolitain dans le Risorgimento
17Le martyrologe que construisent les mémorialistes napolitains de 1848 s’appuie sur une tradition antérieure, qui a construit des généalogies fictives à fondement national, dans un but de légitimation. En 1849, Giuseppe Massari fait des très nombreux martyrs libéraux napolitains, dont les victimes de la répression de 1848 sont les représentants les plus récents, les héritiers du philosophe humaniste Giordano Bruno dont il rappelle l’origine napolitaine. L’histoire napolitaine apparaît alors structurée autour de références identitaires qui présentent les sujets méridionaux comme des acteurs constamment mobilisés pour les libertés civiles, politiques et religieuses44. Les liens de filiation entre ces générations de martyrs sont précisés : ils s’ancrent dans des valeurs morales, dont Massari définit « la résignation virile et confiante du chrétien » comme la plus importante45. Dans la continuité des constructions religieuses de la révolution auxquelles il a participé dans les années 1840, en tant que proche de Gioberti et que l’un des principaux partisans du courant néo-guelfe, il présente le martyre libéral comme un avatar moderne du martyre chrétien de l’Antiquité. D’autres développent, à l’image de Guglielmo Pepe, la fraternité de la nation napolitaine et italienne avec les martyrs de 184846. Plus largement, l’évocation régulière des martyrs libéraux napolitains est surtout un moyen de rappeler le primat méridional dans le Risorgimento. Massari souligne ainsi le rôle pionnier de Luigi La Vista, élève de Francesco De Sanctis mort pendant la répression et premier Napolitain à avoir théorisé le martyre comme l’une des structures sociales et anthropologiques de la nation napolitaine47. Une fois arrivé en exil en Piémont en 1853, Francesco De Sanctis propose à un autre de ses élèves, Pasquale Villari, de recueillir les écrits de La Vista afin de les faire connaître du public italien. Bien que leur publication n’intervienne qu’en 1863, De Sanctis et Villari en débutent la collecte dès le milieu des années 1850 afin de souligner l’implication des patriotes méridionaux dans le Risorgimento48. On perçoit là l’intervention décisive et symbolique des exilés méridionaux dans l’édification de figures de martyrs libéraux et nationaux. Le lien entre la culture du martyre et l’exil s’appuie en effet sur des ressorts émotionnels communs, destinés à montrer les souffrances endurées pour la liberté et la souveraineté de la patrie. Ceux-ci permettent d’envisager les exilés comme des martyrs vivants qui, par leurs parcours et leurs expériences, sont les porteurs légitimes d’un discours sur le sacrifice politique49.
18La promotion des figures de martyrs locaux dans la construction nationale italienne suppose de les envisager comme des représentants du caractère national péninsulaire, objet de discours théoriques de plus en plus nombreux au lendemain de la révolution de 184850. Massari fait ainsi des Napolitains des patriotes italiens emblématiques par leur capacité à la résistance, par leur ténacité, par leur noblesse statutaire et morale qui en font une élite naturelle51. Pepe, lui, souligne sa propre exemplarité au regard de l’insertion des Napolitains dans la cause italienne. Il fait référence à son parcours carcéral, à son expérience de l’exil, à son exposition à la politique répressive bourbonienne à diverses étapes de sa vie, qui constituent le cursus honorum du patriote du Risorgimento. Ses Casi d’Italia, en 1851, articulent dans leur construction son propre parcours personnel avec la chronologie générale de l’histoire des révolutions italiennes de 1848, montrant qu’elles sont directement liées52. Les identités multiples que revendiquent les libéraux du royaume montrent leur insertion plus large dans l’italianité. Alors que la nation napolitaine demeure un cadre politique de référence, dans la continuité des constructions idéologiques antérieures, les auteurs sont de plus en plus nombreux à se présenter comme italiens. Pepe se qualifie ainsi en tant que sujet italien et invoque l’expérience de plusieurs patriotes de la péninsule, afin de montrer les convergences de leurs parcours avec le sien. Néanmoins, la chronologie envisagée par Pepe s’appuie s’abord sur l’histoire intérieure napolitaine, des révoltes calabraises de septembre 1847 aux lendemains du 15 mai 1848. Elle classe parmi les premiers martyrs italiens de 1848 le Calabrais Domenico Romeo, fils de Giovannandrea, dont il rappelle les circonstances de la mort, achevé par les gardes urbains de son village alors qu’il était malade et délaissé par ses compagnons d’armes qui continuaient à combattre les soldats des Bourbons53. Il constitue ainsi, au même titre que les cinq fusillés de Gerace, un précurseur de la révolution napolitaine et italienne de 1848.
19L’évocation des martyrs méridionaux clarifie donc le lien entre les appartenances multiples des libéraux, entre patrie napolitaine et patrie italienne. Sans qu’il y ait consensus sur cette dernière, elle reprend les grandes lignes du projet national porté par la monarchie des Savoie après 1848, en grande partie parce qu’il apparaît aux libéraux méridionaux comme l’une des seules voies possibles de la construction nationale italienne. Ce ralliement de circonstances explique l’absence de définition formalisée de l’Italie, à l’inverse de celles projetées par des lettrés piémontais ou lombards dans la première moitié du XIXe siècle54. C’est donc la fraternité avec les combattants italiens qui définit la communauté nationale : pour Guglielmo Pepe, c’est l’attachement à la construction d’une nation libérale italienne qui est l’un des principaux éléments constitutifs de l’italianité. Cela explique une conception exclusive et restrictive de la nation, dont les adversaires des libéraux ne font donc pas partie. Pepe définit ainsi les sanfédistes calabrais qui ont participé à la répression de la révolution de 1799 comme des « étrangers, désireux de dicter des lois » aux patriotes méridionaux55. C’est à ce titre que les martyrs méridionaux apparaissent comme des patriotes italiens exemplaires, à la fois les plus précoces et les plus nombreux. Dès lors, Luigi Dragonetti, député libéral des Abruzzes et ministre des Affaires étrangères du royaume en 1848, est présenté par Massari comme « l’italianité assumée par le gouvernement », pour son implication constante en faveur de la cause nationale italienne. La valorisation des martyrs méridionaux s’est donc effectuée parallèlement à la promotion des initiatives napolitaines dans le Risorgimento. Le martyrologe relève donc moins d’une évolution globale des patriotes méridionaux vers l’italianité que d’une adaptation de ceux-ci aux conditions de la construction nationale italienne dans l’après-1848, où elle est dominée par le Piémont. C’est ce qui explique le déploiement d’entreprises littéraires et éditoriales destinées à promouvoir l’action des « ardents amis de l’Italie » (G. Pepe), patriotes méridionaux dont on cherche à montrer à la société piémontaise la force patriotique et l’implication au service de la cause nationale italienne56.
2. « Ardents amis de l’Italie » ou acteurs périphériques du Risorgimento ?
20La place prise par les exilés méridionaux dans le paysage culturel piémontais a facilité le déploiement d’entreprises éditoriales destinées à promouvoir la place des acteurs méridionaux dans la construction nationale italienne57. Ils posent la question de leur rôle dans ce processus : s’agit-il de soutiens agissant au nom de la fraternité politique italienne ou d’acteurs secondaires impliqués de manière consciente dans le Risorgimento ?
21La littérature mémorielle est dominée par une œuvre collective, le Panteon dei martiri della libertà italiana, destinée à doter la nation italienne d’un ensemble de héros fondateurs ayant combattu pour elle. Sa rédaction est engagée à partir de 1850, dans les rangs des exilés affiliés aux sociétés de bienfaisance piémontaises qui se développent depuis 184858. Elle s’est effectuée sous la direction d’un avocat napolitain en exil, Gabriele D’Amato, établi à Turin à partir de 1849 où il a établi des contacts avec des dignitaires piémontais, dont le Premier ministre Massimo D’Azeglio59. Il a réuni une trentaine de contributeurs, dont 21 membres napolitains. Ils produisent une série de biographies individuelles ou collectives de martyrs napolitains et italiens, d’abord publiés entre 1850 et 1851 sous la forme de fascicules individuels, illustrés de lithographies exaltant l’héroïsme des martyrs, puis en deux volumes édités en 1851 puis en 185260. L’ouvrage a été produit dans la proximité des élites turinoises modérées, qui ont facilité son édition et sa diffusion. Ses objectifs rejoignent les intentions du ministère D’Azeglio et de la monarchie piémontaise, qui entendent produire l’acculturation nationale des Italiens par l’histoire. D’Amato rappelle alors le « but moral et philanthropique » de l’entreprise, celui de faire « l’éducation politique » de tous les Italiens par l’exemple des martyrs. Elle veut ainsi s’apparenter à une « protestation des vaincus » visant à expier des tyrannies dont les Bourbons de Naples ont constitué l’exemple le plus évident. De ce point de vue, la surreprésentation des martyrs napolitains correspond à un état de fait, celui de l’existence d’un cas extrême d’absolutisme monarchique, entériné par les constructions qui se sont développées dans les milieux patriotiques italiens autour des Bourbons de Naples61. Elle montre le rôle d’acteurs non-étatiques dans le Risorgimento, envisagé comme un mouvement issu du peuple et né de la société civile.
22La composition des contributeurs et le choix des martyrs sur lesquels portent les célébrations révèlent néanmoins l’intégration de tendances diverses au sein de la voie majoritaire du Risorgimento. Les auteurs des notices viennent principalement des milieux modérés, à l’image de Gabriele D’Amato ou de Mariano D’Ayala, mais ils coexistent avec quelques démocrates, comme les frères Silverio et Calisto Cappelli, officiers napolitains qui ont participé à l’expédition de Venise aux côtés de Guglielmo Pepe62. Giovanni La Cecilia appartient au même courant et a rejoint l’équipe en 185363. Giuseppe Del Re, prêtre de la Terre de Bari, proche des frères Musolino et ancien député de Bari, présente un parcours comparable64. Ces coexistences idéologiques montrent le brouillage entre des catégories idéologiques différentes, en raison de l’expérience et des parcours des acteurs impliqués. Del Re et La Cecilia ont déjà fait la preuve de leurs compétences littéraires et éditoriales : le premier était cofondateur, avec Mariano D’Ayala, de la revue Il Topo letterario à Naples en 1833, et le second est en même temps le directeur du journal turinois La Voce del Progresso, fondé en 1852 à son arrivée en Piémont65. À ces auteurs s’ajoutent des associés démarchés par D’Amato lui-même dans l’ensemble du Piémont. Ils contribuent à la fois à la production et à la diffusion des volumes, prises en charge par des exilés. Francesco Guarino s’occupe de les faire passer hors du royaume par colportage, alors que Giuseppe Del Re les vend dans la librairie napolitaine qu’il a ouverte à Gênes en 1852, pour l’usage exclusif de ses compatriotes66.
23Ainsi constitué, ce collectif d’auteurs a mis en évidence 96 martyrs ou groupes de martyrs supposés avoir contribué, de manière directe ou indirecte, à l’indépendance italienne que beaucoup d’exilés cherchent alors à construire aux côtés de la monarchie piémontaise. L’origine géographique de ces martyrs est indiquée en figure 25.
24Les Méridionaux représentent la majorité des martyrs évoqués par l’ouvrage, avec 40 % des notices. On y retrouve les patriotes de 1799, les exilés de 1821 (Pietro Colletta) et les victimes des guerres de 1848 (Alessandro Poerio). À l’exception du Piémont-Sardaigne, tous les martyrs antérieurs à 1848 sont napolitains, rappelant encore une fois l’initiative méridionale dans le processus d’indépendance italienne. Les Napolitains sont d’autre part les seuls à disposer de notices collectives commémorant des martyrs populaires, acteurs des révoltes qu’a connues le royaume dans ses périphéries, dont toutes sont représentées.
25À la publication du Panteon dei Martiri s’ajoutent d’autres formes de célébration, qui permettent d’affirmer le rôle moteur des Napolitains dans la construction nationale italienne. Lorsqu’a lieu le quatrième anniversaire de la constitution piémontaise en 1853, Mariano D’Ayala y voit l’occasion de commémorer les martyrs des campagnes militaires de 1848, publiant des listes révélant, une fois de plus, la prégnance des éléments napolitains67. Alors que les appartenances patriotiques sont multiples, cette insertion dans les dynamiques de la construction nationale italienne n’est que partielle et coexiste avec des identités locales persistantes, qui relèvent de la tradition campaniliste méridionale. En 1849, Giuseppe Massari montre les limites de cette dernière à travers le rôle de Luigi Dragonetti et de Luigi Blanch, qu’il considère « trop imbus de la tradition municipale de 1820 », rappelant des pesanteurs qui ont fait obstacle au réel développement de l’idée italienne68. Il faut y voir une réécriture de l’histoire récente du royaume, dont on cherche à montrer la dimension italienne plutôt que l’ancrage local. Les solidarités locales et régionales demeurent cependant premières dans la célébration des martyrs. Francesco Carrano, démocrate napolitain converti au giobertisme à la fin des années 1840, exilé à Gênes puis à Turin, consacre ainsi deux biographies à des martyrs napolitains, Florestano Pepe en 1851 et Innocenzo Marceno en 1853, en les présentant comme des acteurs décisifs de la construction nationale italienne et comme des illustrations du primat méridional69. Il entend ainsi montrer la capacité du royaume à fournir à la nation italienne des héros ordinaires, signe de la participation des masses à la construction nationale italienne.
26D’autres initiatives soulignent le poids des identités régionales parmi les acteurs du Risorgimento, phénomène dont la communauté calabraise offre les exemples les plus nombreux. Calabrais de Squillace, Guglielmo Pepe attribue aux Calabrais l’initiative de la révolution de 1848, dans le premier chapitre de ses Casi d’Italia. Il y voit l’expression d’un caractère régional calabrais, marqué par le courage, la ténacité et l’ardeur au combat, déjà montré par la tradition ethnographique locale dans les années 184070. Pepe souligne ainsi la mobilisation permanente des Calabrais dans les combats pour la liberté et l’indépendance italienne, en la justifiant par la situation géographique de la Calabre, sur l’une des frontières naturelles de l’Italie. Il n’est pas le seul représentant de ce campanilisme calabrais : le médecin cosentin Biagio Miraglia, exilé en Piémont après avoir participé aux développements locaux de la révolution de 1848 où il a consacré plusieurs écrits aux martyrs calabrais, identifie en 1856 une tradition martyrologique régionale71. Au total, la variété des célébrations consacrées aux martyrs révèle leurs implications différenciées dans la cause italienne, dont ils constituent une voie méridionale, au nom d’intérêts politiques communs et de la fraternité des peuples. Ce martyrologe complexe s’enrichit de nouveaux éléments, avec l’intégration aux célébrations nationales italiennes des deuils politiques d’acteurs italiens méridionaux au milieu des années 1850.
3. Les mutations du deuil politique
27Par rapport aux cérémonies funèbres des années 1840, celles célébrées en Piémont en l’honneur de patriotes méridionaux dans les années 1850 témoignent d’un double changement d’échelle : elles sont à la fois beaucoup plus massives, en même temps qu’elles apparaissent comme des festivités politiques italiennes associant notamment des acteurs piémontais du Risorgimento. Lors des funérailles de Raffaele Poerio en 1853 puis de Guglielmo Pepe en 1855, toutes les deux célébrées à Turin, le déroulement des célébrations témoigne de l’intégration des défunts au panthéon national italien, par le rappel de leur implication dans le processus à long terme de la construction nationale italienne. Au lendemain de sa mort, le 21 décembre 1853, Raffaele Poerio est présenté dans le journal turinois La Gazzetta del Popolo comme l’un des principaux patriotes italiens, de naissance noble, « le septième du nom [à avoir été] retiré (tolto) à la tyrannie »72. Le journal, qui fait partie des premiers périodiques turinois à grand tirage, appelle ainsi les Italiens à s’associer en masse à l’événement, « à déposer une fleur et une larme » sur la dépouille du martyr méridional. Les funérailles de Guglielmo Pepe, en décembre 1855, s’appuient sur des discours légitimateurs comparables, publiés quelques jours plus tard avec l’aide financière de la monarchie piémontaise73. Les obituaires établissent la continuité entre le martyre napolitain, révélé par les révolutions successives du royaume, et le martyre italien, produit par la mobilisation armée pour l’indépendance, qui est précisément celui que célèbre alors la société piémontaise.
28La presse piémontaise et les obituaires décrivent des obsèques fastueuses, dont l’ampleur et la richesse s’expliquent par le rôle de premier plan des deux défunts dans le Risorgimento. Le lendemain de l’enterrement de Raffaele Poerio, la Gazzetta del Popolo rappelle que les funérailles ont été « splendides de révérences à la vertu et d’attachement pour la patrie »74. Dans le cas de Pepe, elles sont présentées comme « un deuil national » digne d’« informe[r] [l’]esprit et [de] réchauffe[r] le cœur de tous les Italiens »75. Les discours prononcés lors des funérailles exaltent cette double appartenance, en même temps qu’ils rappellent les qualités morales des deux patriotes, insistant sur leur éthique conforme à celle de la nation italienne en construction. Ils sont d’abord le fait d’autres exilés méridionaux installés à Turin, ayant pour les uns combattu aux côtés de Pepe à Venise, pour les autres contribué au mouvement libéral méridional. Le journal turinois L’Unione rappelle ainsi que Mariano D’Ayala et Pier Silvestro Leopardi ont célébré la mémoire de Raffaele Poerio76, alors que dans le cas de Guglielmo Pepe, les intervenants ont été plus nombreux, comme Francesco Carrano, Paolo Emilio Imbriani, Mariano D’Ayala ou encore Francesco De Sanctis77. Ce sont des figures politiques napolitaines de premier plan, bien intégrées dans les sociabilités patriotiques piémontaises et bénéficiant d’une relative proximité avec les élites dirigeantes. Chacune des deux cérémonies est marquée par la présence de dignitaires piémontais, à l’image de Massimo D’Azeglio qui n’exerce alors plus de charges ministérielles depuis 1853, et surtout du prince héritier Charles-Albert, dont l’assistance témoigne de la caution apportée par la monarchie piémontaise au déroulement des obsèques78.
29Les funérailles de ces deux patriotes se présentent donc comme des rituels intégrateurs, visant à la fois l’acculturation nationale des Italiens et l’inclusion de la composante méridionale dans la nation en construction. Elles s’insèrent dans un répertoire symbolique destiné à prendre de l’importance dans l’Italie post-unitaire79. L’investissement de l’espace public turinois par les funérailles témoigne de leur fonction de politisation à grande échelle. Le parcours effectué par les cortèges funèbres dans la capitale du royaume de Piémont-Sardaigne l’illustre : les comptes rendus des obsèques de Guglielmo Pepe permettent de le connaître avec une relative précision, alors que le cortège associe la garde nationale turinoise, systématiquement intégrée depuis 1848 au répertoire festif du Risorgimento80. Les célébrations débutent ainsi à l’est du Pô, à la villa Radicati où est conservée la dépouille du général napolitain, pour se rendre ensuite à l’église de la Gran Madre di Dio, où se trouve la plaque funéraire en son honneur, avant d’emprunter les principaux axes du quartier royal avec les vie Po et San Massimo, traditionnellement arpentées lors des cortèges royaux. La procession se dirige ensuite vers le cimetière monumental de Campo Santo, au nord du centre-ville. Elle s’achève par l’inhumation du général napolitain, dont la tombe porte l’épitaphe dictée par Paolo Emilio Imbriani, qui fait référence à ses vertus morales de patriote et à son implication au service de la cause italienne. Imbriani fait de Pepe l’un des pères fondateurs de « la grandeur et [de] la félicité de l’Italie » et exhorte les Italiens à prier pour lui et à suivre son exemple81.
30Les célébrations journalistiques et littéraires ultérieures dont les martyrs sont l’objet confirment leur intégration nationale italienne. Elles insistent sur la présence des représentants du Piémont, qu’il s’agisse du prince héritier ou de notables turinois, comme l’avocat Albino De Marini : elle est évoquée comme le signe de la cohésion nationale des Italiens autour du deuil des patriotes méridionaux82. L’association de la monarchie piémontaise aux célébrations contribue à délégitimer la monarchie bourbonienne au profit de l’autorité alternative de la monarchie des Savoie. Mais cette italianisation se limite aux acteurs de premier plan du courant libéral méridional, ceux dont la célébrité internationale est la plus importante, en partie forgée dans les guerres d’indépendance de 1848. Des initiatives plus isolées rappellent l’implication d’autres acteurs, au rôle plus secondaire, comme l’avocat cosentin Tommaso Ortale, resté dans le royaume après la répression de la révolution de 1848, auquel Giuseppe Massari consacre un obituaire dans le journal turinois Il Cimento. Il en fait une figure représentative de l’implication des Calabrais dans la cause italienne, pour exposer à la société piémontaise des acteurs plus nombreux que ceux retenus par la mémoire du Risorgimento alors en formation83. Son projet rejoint celui que poursuivent plus largement les proscrits du royaume : alors que la question italienne devient un objet de premier plan du débat international des années 1850, ils contribuent surtout à faire émerger une « question napolitaine » auprès des libéraux européens84.
C. Les circuits internationaux de la question napolitaine
31La diffusion de l’image internationale de la nation napolitaine, facilitée par l’exil, permet la formation d’une « question napolitaine » à forte dimension politique, qu’elle entend imposer dans le débat européen aux côtés des questions diplomatiques qui agitent l’espace public européen après 184885. La dénonciation des « horreurs de Naples » devient donc un objet privilégié de la diplomatie des peuples dans les années 1850. Elle crée de nouvelles figures de martyrs et tente d’engager des mobilisations politiques transnationales qu’elle justifie par l’intérêt de la nation napolitaine.
1. La défense internationale de la patrie napolitaine en danger
32Appuyée sur l’image d’une nation-martyre, la formation des sympathies internationales pour la cause napolitaine a profité de réseaux anciens, liés à la présence de communautés étrangères sur le territoire du royaume, parmi lesquelles les Britanniques occupent une place de premier ordre. Ces contacts, d’abord liés aux mobilités du Grand Tour, renforcés ensuite au cours du premier XIXe siècle, ont indéniablement contribué à l’élaboration des sympathies napolitaines en Grande-Bretagne, mais ces dernières ont surtout profité du voyage familial du parlementaire britannique William E. Gladstone, alors conservateur et ancien ministre de Robert Peel dans les années 1840. Effectué à l’automne 1850, il répond d’abord à des raisons personnelles, destiné à guérir les problèmes de vue de l’une de ses filles86, mais il prend un aspect politique avec la visite donnée au libéral Giacomo Lacaita, ancien employé à l’ambassade britannique de Naples. Démocrate et ancien membre de la société secrète des Pugnalatori en 1848 et 1849, il a été mis en prison un an plus tôt pour « conspiration » et « aversion pour le gouvernement », au terme du procès destiné à juger les membres de l’organisation87. Les hommes de la suite de Gladstone contribuent aux observations effectuées : l’économiste Nassau William Senior, qui en fait partie, rencontre ainsi le modéré Carlo Troya, dont il évoque les idées modérées et la contribution décisive à la connaissance du royaume88.
33C’est donc au contact de libéraux napolitains restés dans le royaume que se sont constitués les appels à défendre le peuple napolitain contre la tyrannie des Bourbons. En Grande-Bretagne, la multiplication des références dans les journaux personnels d’acteurs politiques montre qu’il s’agit d’un objet du débat public89, mais la contribution principale demeure les deux lettres adressées par Gladstone au premier ministre britannique alors en fonction, lord Aberdeen, publiées ensuite en 185190. À la suite des rencontres qu’il a effectuées avec des libéraux détenus pour faits politiques, il concentre son analyse sur les prisons du royaume, qu’il perçoit comme le signe des « horreurs […] auxquelles se livre le gouvernement de ce pays ». Il évoque alors une situation « douloureuse », « révoltante même au dernier degré », qui entre en contradiction avec la religion chrétienne, pourtant revendiquée par la monarchie bourbonienne comme l’un de ses fondements principaux91. Gladstone énumère les signes de la faillite de l’État napolitain, évoquant ses blocages, ses dysfonctionnements, la corruption permanente qui mine la police, l’armée et la magistrature, autant d’éléments qui lui permettent de conclure à la « négation de Dieu érigée en système de gouvernement ». Les prisons lui apparaissent constituer le principal révélateur de cette tyrannie, à la fois parce que les droits les plus élémentaires des détenus n’y seraient pas appliqués et parce qu’elles seraient le théâtre d’une contre-société fondée sur le rôle de chefs locaux qu’il appelle gamorristi [sic]. Des travaux spécialisés ont depuis confirmé cette affirmation, alors que le milieu carcéral a vu s’effectuer les premiers regroupements de camorristes dès les années 1820 et 1830 avant de se diffuser plus tard hors des prisons, à l’appui des sociabilités de quartier92. Le phénomène n’est cependant pas encore massif dans les lendemains immédiats de la révolution de 1848 et son évocation apparaît dès lors exagérée. Comme l’a montré Nelson Moe, elle traduit les convergences entre les dimensions européennes et napolitaines du discours négatif sur les Bourbons93 : celles-ci permettent de constituer la « question napolitaine » en problème majeur du débat européen, en insistant sur le martyre collectif de la nation napolitaine.
34Si elles décrivent abondamment les exactions de la monarchie napolitaine sur les civils, les lettres de Gladstone représentent cependant beaucoup moins un soutien affiché à la construction nationale italienne qu’une défense du peuple napolitain pour des raisons philanthropiques94. À la suite de réflexions antérieures sur l’arriération et la corruption de la monarchie bourbonienne, il situe entre Naples et le reste de l’Europe une « muraille de Chine », alors que, depuis la guerre de l’opium des années 1840, la Chine apparaît aux observateurs européens comme l’image même du despotisme. Le discours de Gladstone est dès lors fortement marqué par les intérêts politiques britanniques : c’est ce qui explique le refus constant du républicanisme, considéré comme l’un des points de repli possibles des opposants à la tyrannie des Bourbons. Il écrit en tant que conservateur, au nom d’une faction politique qu’il considère, de façon abusive, comme similaire aux « constitutionnels » napolitains. Alors que le débat politique britannique est polarisé entre libéraux et conservateurs, l’expression permet de ne pas utiliser le terme « libéraux », qui renvoie à la faction whig95. Gladstone les définit alors comme monarchistes, légalistes et progressistes, « dont le modèle est plutôt en Angleterre qu’en Amérique ou en France »96. Il présente le problème des persécutions politiques comme une affaire intérieure, avec l’intention d’orienter l’espace public transnational tout en empêchant la prolifération des réactions républicaines à la tyrannie des Bourbons. La traduction italienne, immédiate, est le fait de Giuseppe Massari, qui voit dans l’ouvrage de Gladstone une contribution décisive à la « question napolitaine », expression qu’il fait figurer dans le titre de l’édition turinoise de 1851 alors qu’elle n’apparaît pas dans l’original anglais97. Celle-ci circule abondamment parmi les milieux patriotiques italiens, à l’appui des contacts anciens entre Massari et Vincenzo Gioberti, dont la célébrité s’explique autant par les écrits que par les fonctions ministérielles qu’il a occupées dans le royaume de Piémont-Sardaigne à partir de 184898. Gioberti avait déjà contribué à faire circuler les Casi di Napoli parmi les patriotes italiens en 1849 et 1850 et notamment auprès du Romagnol Luigi Carlo Farini : il présente les lettres de Gladstone comme une contribution nouvelle à la dénonciation des horreurs de Naples99.
35La presse britannique relaie le thème de la tyrannie napolitaine, et se fait l’écho de la traduction italienne de l’ouvrage, qu’elle perçoit comme une caution portée aux propos du député britannique100. Alors qu’elle connaît une diffusion nouvelle à la faveur de la législation de 1851 sur les œuvres imprimées, dans un contexte d’alphabétisation quasi-générale, elle a contribué à sensibiliser l’opinion britannique à la question italienne en diffusant auprès d’elle des situations et des figures empruntées au Risorgimento au sens large101. Les journaux développent des références régulières aux condamnés politiques du royaume. Sans qu’ils soient connus précisément (les journaux ne s’accordent pas sur le nombre de prisonniers)102, un certain nombre d’entre eux sont l’objet de mentions régulières dans la presse britannique, aux côtés des exilés méridionaux (fig. 26).
36Les données, établies pour les cinq prisonniers les plus référencés à partir de la presse quotidienne d’information en circulation dans les îles Britanniques103, font apparaître la chronologie de ces mentions. Elles sont les plus nombreuses en 1851, au lendemain immédiat de la publication des lettres de Gladstone, et en 1856, lorsque la question des prisonniers politiques du royaume méridional est évoquée au Congrès de Paris. Les autorités françaises et britanniques demandaient alors leur libération, en évoquant nommément les cas de Carlo Poerio et de Luigi Settembrini. La demande d’amnistie a été très suivie par la presse britannique lorsqu’elle a été formulée en septembre 1856. Les articles consacrés aux prisonniers politiques napolitains évoluent cependant d’une évocation commune, celle des victimes du re Bomba, à des portraits individuels ou collectifs de ces derniers104, dans lesquels l’ancien député Carlo Poerio est de très loin le mieux représenté.
2. Le cas Poerio : la fabrique internationale d’une icône de la révolution
37Figure majeure de la révolution napolitaine de 1848, à la fois par sa place dans les milieux libéraux et par sa participation aux institutions du gouvernement constitutionnel, Carlo Poerio est une figure centrale de la très importante littérature de soutien aux patriotes napolitains qui s’est développée des lendemains de la révolution au Congrès de Paris. Sa relative célébrité internationale date de la médiatisation de sa détention dans les prisons du royaume pour faits politiques. S’il est l’auteur d’une riche correspondance personnelle, inédite, c’est au voyage de Gladstone à Naples en 1850 que l’on doit la diffusion de l’image de ce prisonnier napolitain, qui apparaît emblématique de la condition faite aux opposants politiques dans le royaume méridional. Rencontré en décembre 1850 à son procès, sur conseil de Giacomo Lacaita, lui-même ami de Poerio, revu en prison en février 1851, il est longuement évoqué dans les lettres à Aberdeen, érigé en emblème de la violation des droits des patriotes et du martyre collectif infligé à la nation napolitaine par son souverain. D’autres détenus, comme Michele Pironti ou Luigi Settembrini, sont mentionnés par Gladstone, mais Poerio fait l’objet d’un traitement spécifique. Il en souligne les qualités morales et politiques, « gentilhomme honorable et accompli », « orateur fécond et exempt de tout blâme ». Dès lors, la restitution précise de son arrestation, dont Gladstone rappelle qu’elle n’était fondée sur aucun élément concret, entre en contradiction avec la réputation modérée de Poerio. Ces qualités en font une figure politique jugée comparable à des hommes d’État britanniques comme le comte Russell et le marquis Lansdowne, tous deux ministres libéraux dans les premières décennies du XIXe siècle105. Plus que pour son importance dans la vie politique méridionale donc, c’est surtout au nom de sympathies politiques et idéologiques que Poerio a été retenu par Gladstone comme une figure représentative, précisément parce qu’il apparaît compatible avec la culture politique britannique, à l’inverse d’un Settembrini, jugé beaucoup trop radical.
38La presse britannique, y compris quotidienne et provinciale, a suivi Gladstone dans l’édification de ce héros-martyr de la liberté et de la résistance à la tyrannie. Le 26 juillet 1851, le Spectator rappelle l’exemple de ce « strict Constitutionnaliste selon le respectable modèle anglais »106. Il s’inscrit dans une vague de publications d’articles consacrés au personnage, objet de 1 537 articles publiés dans des quotidiens britanniques entre 1851 et 1856 (fig. 27).
39La répartition des articles est conforme aux évocations d’ensemble du groupe libéral napolitain. Comme l’ensemble de la presse italophile, ils couvrent de manière globale le territoire britannique en incluant largement les provinces anglaises, mais aussi les marges écossaises et irlandaises traversées par des revendications identitaires ou indépendantistes107. Poerio y est en effet évoqué comme « le fameux prisonnier de Naples »108 ; les journaux rappellent ses conditions de vie, « confiné », « toujours très triste »109. En 1852, un journal provincial de tendance whig s’inquiète du fait qu’« il souffre beaucoup, et ne devrait pas vivre très longtemps », qu’il « décline rapidement, et crache beaucoup de sang »110.
40Les références à Poerio rejoignent donc les évocations italiennes des victimes des Bourbons, qui en font un martyr111, parfois présenté dans la presse à grand tirage comme le « Socrate italien »112. Il apparaît à la fois comme une figure de vertu politique et comme un patriote exemplaire du Risorgimento, dont on insiste sur les expériences politiques de l’opposition et de la prison. Dès lors, la prison de Montesarchio dans laquelle il est enfermé à partir de 1852 devient un lieu emblématique de l’oppression, dont la presse britannique rappelle qu’elle renferme des partisans des libertés politiques, « hommes dont les noms sont connus de tous en Europe et à qui le Gouvernement craint de rendre justice »113. Des relais italiens et britanniques ont servi cette diffusion. Depuis la prison de Montesarchio en juin 1855, Carlo Poerio adresse ainsi une lettre à sa sœur Carlotta, épouse de Paolo Emilio Imbriani, en lui demandant de la faire publier en anglais dans le Times, principal quotidien britannique des années 1850 et l’un des principaux acteurs de la propagande italophile. Carlotta Poerio utilise ainsi des relations nouées à Naples en 1848, demandant à l’ambassadeur anglais Henry Wrepord, lui-même correspondant du Times, de faciliter la publication du courrier114. Alors que la lettre rappelle l’atrocité des conditions de détention de Poerio, elle contribue à relancer l’intérêt de l’opinion britannique autour du sort des prisonniers politiques.
41Bien que principalement développées en Angleterre, les références au martyre de Carlo Poerio ont connu d’importantes résonances auprès des patriotes français et italiens. En France, elles sont néanmoins beaucoup plus éparses et ne constituent qu’un élément beaucoup plus diffus des soutiens apportés aux patriotes méridionaux, relativement marginaux dans la mobilisation pro-italienne de 1848. En 1851, le caricaturiste Honoré Daumier représente Poerio dans une lithographie de sa série consacrée aux affaires napolitaines, publiée en Une du Charivari115. En 1852, Victor Hugo, alors en exil à Jersey, fait référence à Carlo Poerio comme victime de la réaction européenne aux côtés des patriotes hongrois Batthyany Lajos et Nagy Sandor, ce dont il conclut que « Naple [sic] est un tombeau »116. Poerio prisonnier apparaît donc comme l’incarnation du malgoverno bourbonien, mais à la différence de ce qui se passe en Angleterre, il est surtout l’objet de mentions dans des revues savantes, beaucoup plus que dans la presse périodique ordinaire, ou alors dans des journaux italophiles à l’image de la Revue franco-italienne117. En Piémont, la diffusion de l’image de Poerio a surtout profité des liens personnels qui l’unissaient à une partie des libéraux. Dès 1849, Giuseppe Massari faisait l’éloge de cette famille de la noblesse libérale pour qui « la liberté est une tradition » et dont « le martyre est le blason (stemma gentilizio) »118. C’est surtout la présence de plusieurs de ses collatéraux dans les milieux patriotiques italiens qui contribue à sa relative célébrité à Turin et à Gênes. Son oncle Raffaele Poerio s’est en effet installé en Piémont après 1848 et son cousin Errico Poerio a aussi connu l’exil à Turin à partir de 1850, où il a contribué activement au Panteon dei Martiri de Gabriele D’Amato119. Dès lors, la mort de Raffaele Poerio à Turin en décembre 1853 réoriente l’attention autour du sort de son neveu Carlo, dont on rappelle à la fois l’engagement constant en faveur des libertés politiques et de l’indépendance de l’Italie, en même temps que la condition de prisonnier politique120. Poerio constitue donc l’une des principales icônes du martyre du peuple napolitain par les Bourbons, qui présente la particularité d’avoir été construit par des observateurs internationaux plutôt que par les acteurs méridionaux du courant libéral. Il a donc contribué à la formation des sympathies napolitaines à l’échelle internationale, même si elles ont échoué à constituer une mobilisation politique structurée et effective (fig. 28).
3. L’impossible mobilisation transnationale pour Naples
42À la faveur de l’image internationale de Naples se sont constituées deux mobilisations contradictoires, l’une légitimiste, largement nourrie des critiques bourboniennes des écrits de Gladstone121, l’autre libérale. Alors que les soutiens au Risorgimento se sont principalement intéressés à l’indépendance de la péninsule dans son ensemble, les mouvements qui se sont concentrés plus précisément sur le cas napolitain ont été plus limités. La mobilisation en faveur de Lucien Murat, constituée dans les débuts des années 1850 et réaffirmée au moment du Congrès de Paris, a de ce point de vue été spécifique, en grande partie parce qu’elle reconnaissait la souveraineté napolitaine sans l’intégrer à un projet plus large d’État italien construit autour de la monarchie des Savoie. Elle vise au contraire à remplacer les Bourbons par Lucien Murat, deuxième fils de l’ancien roi Joachim Murat, dont la légitimité vient du statut de prince héritier de la dynastie. Notable français rentré en 1847 de trente-deux ans d’exil aux États-Unis, il a affirmé des prétentions au trône de Naples, apparues à une partie de l’opinion française et des patriotes italiens comme une alternative à la captation du Risorgimento par le royaume de Piémont-Sardaigne. Député du Lot et de la Seine dès les débuts de la IIde République, dignitaire de la franc-maçonnerie française, il tire sa célébrité du renouveau du légendaire militaire lié à son père à partir de 1848. Elle lui a assuré son succès politique dans plusieurs départements marqués par le passé napoléonien, qu’il s’agisse du Lot, lieu d’origine de sa famille et son principal foyer électoral, ou de la Corse qui a vu transiter Joachim Murat à l’été 1815 et qui lui a fourni plusieurs soutiens122.
43C’est surtout son rôle d’ambassadeur de France à Turin, en 1850, qui a été décisif dans la mise en place de sympathies politiques en sa faveur, alors que cette mission lui a permis de créer des liens personnels avec des patriotes italiens. Murat est alors entré en correspondance avec des patriotes méridionaux en exil comme Guglielmo Pepe et Aurelio Saliceti. Les sympathies muratiennes se sont donc constituées hors du royaume et sont liées à des facteurs exogènes123. Les réseaux ont eu un poids déterminant, notamment dans le royaume de Piémont-Sardaigne et, dans une moindre mesure, en France. Plusieurs initiatives se sont développées de ce point de vue afin d’assurer la promotion de l’option muratienne, en particulier chez les exilés démocrates. Le 13 mai 1852, Guglielmo Pepe, pourtant installé à Turin, se rend alors à Nice pour les besoins de la propagande de Murat et pour y rencontrer Mazzini124. C’est encore parmi les milieux du démocratisme méridional que se constitue l’un des principaux banquets donnés en l’honneur de Lucien Murat, à l’initiative de Guglielmo Pepe, le 2 septembre 1853. Les convives, tous des démocrates méridionaux en exil à Gênes, assurent le prétendant de leur soutien125, puis amplifient la mobilisation à l’appui d’une correspondance importante. Celle-ci, principalement mise en œuvre par Enrico Cosenz et Francesco Carrano, réunit plusieurs exilés qu’elle renvoie vers deux intermédiaires principaux, présents à Paris, le démocrate abruzzien Aurelio Saliceti, devenu précepteur des enfants de Lucien Murat, et le modéré napolitain Girolamo Ulloa126. Cette mobilisation qui échappe aux catégories traditionnelles de la politique méridionale réunit donc des représentants d’options politiques contradictoires, même si elle a principalement compté des éléments empruntés aux rangs du démocratisme.
44Saliceti et Ulloa ont cherché à coordonner les réseaux mis en place, en s’appuyant principalement sur les correspondances ordinaires échangées entre les membres du groupe. Fort des liens personnels qu’il entretient avec le prétendant au trône, Saliceti prend en charge cette tâche, parfois relayé par Giuseppe Ricciardi, exilé à Tours et rallié à Murat127. Il est alors le principal correspondant des libéraux ou démocrates italiens qui, à des degrés divers, posent la question de la place de la solution muratienne dans la réalisation de l’indépendance. Entre 1854 et 1857, il correspond ainsi avec des libéraux méridionaux comme Francesco Trinchera ou Giovanni La Cecilia, avec des muratiens italiens comme Gaetano Lizabe Ruffoni, avec des démocrates comme Garibaldi et Mazziotti. Les brochures qui ont cherché à justifier le ralliement à Murat montrent cette volonté d’étendre aux patriotes exilés en Piémont les cadres de la mobilisation muratienne. La plus importante d’entre elles, La Questione italiana. Murat ed i Borboni, parue en 1855, évoque la solution muratienne comme un problème italien, qui constituerait une voie médiane entre le Risorgimento piémontais, qui apparaît comme la solution majoritaire depuis 1848, et le démocratisme appuyé sur les modèles garibaldien ou mazzinien. La brochure, anonyme128, est donc une initiative de promotion du muratisme, qui s’appuie sur l’ambiguïté des références patriotiques mises en œuvre. Elle fait l’objet d’une republication la même année, dans le contexte de la guerre de Crimée, qui reprend les grandes lignes de l’argumentation de Gladstone sur la tyrannie du roi de Naples, connue des patriotes italiens dans la traduction de Giuseppe Massari129.
45L’hésitation entre patrie napolitaine et patrie italienne est révélatrice des incohérences du mouvement muratien, qui se définit davantage comme une solution par défaut que comme une contribution positive au débat sur la construction nationale italienne. Cette incertitude, ajoutée à la faible transmission de la mémoire du roi Murat auprès des libéraux méridionaux, explique que la mobilisation muratienne ait surtout concerné des patriotes méridionaux de premier plan qui se sont trouvés mis à l’écart des logiques majoritaires du Risorgimento. Elle explique la faible capacité d’identification du mouvement, qui promouvait une figure politique peu connue de la majorité des patriotes, sauf dans le cas très précis d’acteurs ayant sollicité les faveurs du prétendant. Les mobilisations muratiennes ne se constituent donc que de façon ponctuelle et localisée, comme l’atteste le cas de l’organisation de soutien mise en place dès 1851 à Marseille autour du démocrate calabrais Salvatore Montuori. Ce médecin de la province de Catanzaro, exilé en France depuis 1852, a cherché à organiser localement le soutien à Murat en profitant de l’appui de son beau-père, Eugenio De Riso, qui doit son installation à Marseille à l’intermédiation de Lucien Murat auprès du préfet des Bouches-du-Rhône en 1850130. Les mêmes raisons expliquent l’absence de ralliements massifs du côté des sympathisants français de Lucien Murat, et les seuls à lui avoir témoigné d’un appui actif sont des Français ayant connu à titre personnel la situation politique napolitaine, comme le négociant Jules Simon de Gournay, qui a passé plusieurs années à Naples131. Le contexte de la guerre de Crimée a vu se développer le ralliement des soutiens à Lucien Murat, mais ceux-ci restent très limités (53 Français et 28 Italiens), ne permettant pas une mobilisation structurée et efficace. Les développements réels du courant muratien sont en effet beaucoup plus tardifs, autour de la transition unitaire italienne, et sont marqués par des blocages comparables, qui traduisent la difficile imposition de cette option dans le paysage politique italien132.
46Faute d’avoir été capable de mobiliser réellement des soutiens internationaux autour de la question napolitaine, le mouvement muratien a été l’un des seuls courants politiques à avoir tenté de structurer une mobilisation politique et militaire pour défendre le royaume des Deux-Siciles contre la tyrannie des Bourbons. Les quelques projets d’expédition armée en Calabre pour délivrer le royaume de la tutelle bourbonienne, qui persistent tout au long des années 1850 dans les milieux de l’exil libéral, prévoient un débarquement armé à Pizzo Calabro et témoignent ainsi d’une parenté évidente avec la campagne de Joachim Murat dans les années 1850, mais ils se font à l’écart de la mobilisation pour Lucien Murat. Plusieurs intentions s’expriment ainsi, entre 1853 et 1855, de la part de sujets de Basilicate ou des Calabres en exil à Malte et à Corfou, dans lesquels le démocrate Vincenzo Marsico joue un rôle décisif133. Mais l’éclatement des projets envisagés témoigne davantage de la diversité du monde libéral napolitain et des lignes de fracture qui le traversent que de sa capacité d’organisation et d’insertion dans les enjeux politiques transnationaux dans les années 1850.
47La culture méridionale du martyre telle qu’elle s’est affirmée depuis les années 1840 a donc constitué le point de départ des mises en scène de l’expérience de la révolution napolitaine de 1848 à l’échelle internationale. Alors que se développent les discours internationaux sur l’arriération du royaume de Naples, ils ont permis de valoriser la place des éléments méridionaux du Risorgimento contre la captation de ce dernier par la monarchie de Piémont-Sardaigne après 1848. C’est ce qui explique l’inclusion quasi-systématique des martyrs méridionaux dans les logiques fédératrices du patriotisme italien, justifiant ainsi le primat méridional dans la libération de l’Italie et dans le déclenchement des révolutions. Le déploiement de la « question napolitaine » dans le débat public européen le confirme : fondée sur des sociabilités libérales spécifiques, elle élabore de nouvelles figures de martyrs, mais peine à mobiliser les libéraux européens en faveur de la cause napolitaine.
Notes de bas de page
1 Voir sur ce point Sarlin 2012.
2 Petrusewicz 1998, et Moe 2002, p. 126-155.
3 Poerio 2014.
4 De Sanctis 1851.
5 Poerio 2013, p. 13.
6 Massari 1851, Mancini 1851 et Leopardi 1856.
7 Voir par exemple, sur l’insurrection calabraise de 1848, Marulli 1849.
8 Massari 1849, Michitelli 1849, Petruccelli della Gattina 1850, Processo per gli avvenimenti 1851, et Dragonetti 1853.
9 Pepe 1851 et La Farina 1851.
10 Pagano 1853 et D’Ayala 1856, qui reprend plusieurs articles précédemment publiés dans le journal turinois Il Diritto à partir de 1853. Voir ASNa, Alta Polizia, 17, 81.
11 Pepe 1851, p. 2.
12 Cette correspondance, entre 1849 et 1850, est destinée à juger des apports de l’ouvrage de Pepe et à en corriger les éventuelles erreurs. Voir Istituto per la Storia del Risorgimento italiano (Vittoriano), fonds Pepe, 1103/32.
13 Ibid., lettre de Gabriele Rossetti à Guglielmo Pepe, Londres, 21 janvier 1850.
14 Il publie notamment plusieurs écrits de Luigi Carlo Farini et de Cesare Cantù dans les débuts des années 1850. Sur le rôle des éditeurs et la vitalité culturelle turinoise, voir De Fort 2008.
15 De Sanctis 1851, p. 2.
16 Massari 1849, p. 161.
17 Mellone 2013b, qui donne un aperçu global de la littérature mémorielle consacrée à l’événement.
18 Pepe 1851, p. 5-7.
19 Pepe 1851, ch. 25, « Roma ».
20 Baer 1855. Sur le parcours de Baer, voir Corvaglia 2014, p. 60-74.
21 Massari 1849, p. 13.
22 Massari 1849, p. 56.
23 Mauro 1851, p. 51.
24 ASNa, Borbone, b. 1044, f. 17.
25 Massari 1849, p. 184.
26 Mauro 1851, p. 70.
27 Petruccelli della Gattina 1850.
28 Massari 1849, p. 3.
29 Settembrini 1847, p. 7.
30 Sur l’Espagne de Ferdinand VII, voir Martykánová – Simal 2015.
31 Poerio 2014, p. 18.
32 Pepe 1851, p. 9.
33 Poerio 2014, p. 20-27.
34 Pepe 1851, p. 118.
35 Massari 1849, p. 59. Peel est aussi et surtout l’auteur de l’évolution de la Grande-Bretagne vers le libre-échange dans les années 1840, qui fait l’objet d’importants débats parmi les intellectuels napolitains au moment de la révolution de 1848. Voir sur ceux-ci Di Ciommo 1993, chap. 3.
36 Massari 1849, p. 27. Membres de l’entourage direct de la reine, Dentice et Torella ont fait partie du Club Aristocratico en 1848 et ont pris une part active dans le financement de l’expédition des volontaires napolitains en Lombardie et à Venise. Voir ASNa, Borbone, b. 1044, f. 38.
37 Tuccillo 2014.
38 Pepe 1851, p. 118, et Poerio 2014, p. 41.
39 Massari 1849, p. 5-7.
40 Voir pour la France et pour le début du XIXe siècle Bouyssy 2012.
41 Cité par Moe 2002, p. 133, d’après Senior 1871, vol. 2, p. 2..
42 Moe 2002, p. 139-141.
43 Notamment Vannucci 1848. Voir sur ce point Conti 2017, p. 66-69.
44 Massari 1849, p. 161.
45 Massari 1849, p. 163.
46 Pepe 1851, p. 117.
47 Massari 1849, p. 164. Voir pour rappel « Ultimo scritto di Luigi La Vista », dans La Vista 1863, p. 196-199.
48 Lettre de Francesco De Sanctis à Pasquale Villari, Turin, 5 octobre 1853, citée dans De Sanctis 1965, vol. 1, p. 173-175.
49 Voir sur ce point De Lorenzo 2013, p. 52-54.
50 Patriarca 2010.
51 Massari 1849, p. 6.
52 Pepe 1851, p. 1.
53 Pepe 1851, p. 9.
54 Parmi des attestations très nombreuses, voir Giacomo Leopardi, auteur d’un Discours sur l’état présent des mœurs en Italie (1824) ou encore les réflexions de Mazzini sur l’État italien. Voir sur ce point Bruni 2010.
55 Pepe 1851, p. 10.
56 L’expression est empruntée à Pepe 1851, p. 118.
57 De Fort 2008. Voir pour des développements plus amples Delpu 2017a.
58 Furiozzi 1979.
59 ASTo, Sezioni Riunite, Esuli, I, m. 22, ad nomen.
60 Panteon dei martiri 1851.
61 Moe 2002, p. 141-145.
62 ASTo, Sezioni Riunite, Esuli, I, m. 14, ad nomen
63 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81, ad nomen.
64 ASTo, Sezioni Riunite, Esuli, I, m. 23, ad nomen.
65 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81.
66 ASTo, Sezioni Riunite, Esuli, I, m. 23, ad nomen.
67 D’Ayala 1853. L’auteur consacrera par la suite de très nombreux écrits aux mêmes martyrs (D’Ayala 1860 et D’Ayala 1861).
68 Massari 1849, p. 102.
69 Carrano 1851 et Carrano 1853.
70 Pepe 1853, p. 10.
71 Miraglia 1856.
72 « Onori funebri renduti a Raffaele Poerio », Gazzetta del Popolo, VI, 302, 21 décembre 1853, p. 5. La phrase fait référence à l’implication historique de sa famille au service de la cause libérale de la patrie.
73 Onori funebri 1855.
74 « Notizie interne », Gazzetta del Popolo, VI, 303, 22 décembre 1853, p. 2.
75 Onori funebri renduti a Guglielmo Pepe, op. cit., p. 3.
76 L’Unione, I, 28, 22 décembre 1853, p. 8.
77 Onori funebri renduti a Guglielmo Pepe, op. cit., p. 6.
78 Pour Poerio, voir « Onori funebri al generale Poerio », Gazzetta piemontese. Giornale uffiziale del regno, 306, 23 décembre 1853, p. 19. Pour Pepe, voir Onori funebri 1855, p. 6.
79 Sur l’importance et la fonction des rituels intégrateurs, voir Brice 2010, chapitres 4 et 5, ou encore Porciani 1997. Ces pratiques demeurent peu étudiées pour la période pré-unitaire.
80 Onori funebri 1855, p. 8-9. Voir sur ce point Francia 1999.
81 Onori funebri 1855, p. 5.
82 Onori funebri renduti al generale Poerio, art. cité.
83 Giuseppe Massari, « Necrologio. Tommaso Ortale », Il Cimento, 14 août 1854, p. 6.
84 Voir sur ce point Petrusewicz 1998.
85 L’historiographie allemande a montré, à l’appui des travaux de Jürgen Habermas sur l’espace public, la formation d’un « espace de communication » européen à la faveur des révolutions de 1848 (Langewiesche 1998).
86 Le détail du voyage est raconté dans le journal personnel de l’épouse de Gladstone : voir Gladstone 2014, p. 85-96. Voir aussi les biographies consacrées à Gladstone : Shannon 1982, vol. 1, p. 228-242, et Jenkins 1995, p. 110-111 et 116-126.
87 ASNa, Borbone, b. 953, f. 5.
88 Senior 1871, vol. 2, p. 2.
89 Dans le volume 2 de son journal, cité supra, p. 2-10, Senior évoque par exemple la très grande pauvreté des habitants de Naples et la forte domination de pouvoirs informels produits par la corruption politique. Voir sur ce point Fiore 2012, p. 245-289.
90 Gladstone 1851a. Les citations qui suivent sont tirées de la traduction française parue la même année (Gladstone 1851b).
91 Gladstone 1851b, p. 2.
92 Gladstone 1851b, p. 14. D’autres observateurs étrangers confirmeront cette hypothèse au début des années 1860 (Monnier 1863). Sur la structuration de la camorra dans les prisons de Naples, voir Fiore 2012, p. 24.
93 Moe 2002, p. 127.
94 Schreuder 1970.
95 Parry 2006, p. 221-276.
96 Gladstone 1851b, p. 7.
97 Les lettres paraissent dans un recueil de plusieurs contributions : Massari 1851.
98 Gioberti a été premier ministre de Charles-Albert Ier entre 1848 et 1849, puis ambassadeur de Piémont-Sardaigne à Paris en 1849.
99 Lettre de Vincenzo Gioberti à Luigi Carlo Farini, Turin, 1er juillet 1850, cité par Moe 2002, p. 132.
100 Voir par exemple « The Felon Government », The Gloucester Journal, 6 septembre 1851, p. 4.
101 Bacchin 2014, p. 123-134.
102 En 1852, le journal écossais Falkirk Herald évoque 45 prisonniers (édition du 1er janvier), alors qu’en 1856, le Paisley Herald n’en recense que 27. Aucun ne s’appuie sur des statistiques nominatives, et ces données sont de très loin inférieures aux statistiques de prisonniers politiques du royaume établies par la police napolitaine.
103 Les données s’appuient sur 253 quotidiens londoniens, provinciaux, écossais et irlandais recensés dans la base de données en ligne « The British Newspaper Archive » (requêtes nominatives pour les cinq prisonniers les plus souvent évoqués, entre 1851 et 1856).
104 Par exemple « The Prisoners of Naples », Wells Journal, 13 décembre 1856.
105 Gladstone 1851b, p. 18.
106 Mr Gladstone’s Pamphlet on Naples, dans Spectator, 26 juillet 1851, p. 14.
107 Bacchin 2014, p. 136.
108 Norfolk Chronicle, 31 décembre 1853.
109 Sheffield Independent, 24 avril 1854, p. 8.
110 Baron Poerio and his Companions, dans Northern Star and Leeds General Advertiser, 13 mars 1852, p. 3.
111 Martyrdom of Carlo Poerio, dans Bell’s New Weekly Messenger, 27 juin 1851, p. 4.
112 The Italian Socrates, dans London Daily News, 22 décembre 1853, p. 1.
113 Illustrated London News, 14 décembre 1854, p. 3.
114 ASN, Poerio Pironti, III, b. 7, 1, lettre de Carlo Poerio à Carlotta Poerio Imbriani, Montesarchio, 8 juin 1855. Sur le rôle du Times dans la propagande italienne, voir Bacchin 2014, p. 138-142.
115 Honoré Daumier, Une rencontre au bagne de Naples, dans Le Charivari, 8 septembre 1851, p. 1.
116 Victor Hugo, « XII. Carte d’Europe », dans Hugo 1853, I. Le poème est daté de Jersey, novembre 1852.
117 Parmi quelques exemples : Journal des Débats politiques et littéraires, 28 septembre 1851, 29 septembre 1851, 30 septembre 1851, 20 février 1852, 24 décembre 1853, 21 septembre 1856, 23 novembre 1856 ; Revue de Paris, t. 33, septembre 1856 ; Revue des Deux-Mondes, 2, t. 6, novembre 1856. Parmi la presse italophile, voir surtout la Revue franco-italienne (notamment n° 2/32 du 17 août 1855).
118 Massari 1849, p. 32-33.
119 Il est l’auteur de plusieurs des notices consacrées aux martyrs napolitains dans les deux volumes de l’ouvrage. Voir ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81, 10.
120 ASNa, Poerio Pironti, III, b. 2, f., voir en particulier Gazzetta del Popolo, VI, n° 302, 21 décembre 1853.
121 Les auteurs français Alphonse Balleydier et Jules Gondon sont les principaux contradicteurs de Gladstone, appuyés sur des réfutations publiées en italien (Rassegne delle errori 1851, voir Gajo 1973). Il s’agit surtout d’une mobilisation légitimiste, portée par des catholiques français globalement hostiles au mouvement national italien parce qu’ils sont attachés à la défense des États pontificaux (Hérisson 2018).
122 Delpu 2015b.
123 C’est ce qui explique le relatif désintérêt de l’historiographie du Risorgimento pour ce phénomène, qui a été réduit au statut de « pauvre chose », de « réalité artificielle » dépourvue de toute consistance politique (Bartoccini 1955).
124 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81, 344.
125 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81. Il s’agit de Damiano Assanti, cousin de Guglielmo Pepe, de Francesco Carrano et d’Errico Cosenz.
126 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81.
127 ANP, 31 AP 62 et 31 AP 63.
128 La questione italiana 1855. La brochure est attribuée par certains à Aurelio Saliceti, par d’autres à Francesco Trinchera.
129 La Questione Napoletana 1855.
130 ADBDR, 4 M 2358, lettre de Lucien Murat au préfet des Bouches-du-Rhône, Turin, 28 janvier 1850.
131 ANP, 31 AP 62, Le Roi de Naples a cessé de régner !, mémoire manuscrit adressé à Lucien Murat, 6 octobre 1855.
132 Voir sur ce point Trincanato 2012, p. 92-102.
133 ASNa, Alta Polizia, b. 17, f. 81, 154.
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