Reconstruire le monde libéral après la révolution de 1848
p. 335-337
Texte intégral
1Pour une grande partie des historiens du Risorgimento, la révolution de 1848 est apparue comme un moment de basculement ouvrant la voie à des constructions politiques nationales. Dans le cas du Mezzogiorno, elle aurait ainsi permis l’insertion accélérée des problématiques politiques méridionales dans celles de la construction nationale italienne1. L’exil politique auquel ont pris part de très nombreux patriotes napolitains dès le début des années 1850 en fait partie, alors qu’il s’est principalement dirigé vers le royaume de Piémont-Sardaigne. Il témoigne de l’italianisation des parcours politiques des libéraux et a renforcé la prise de conscience des similitudes entre les situations italiennes, mais il n’a représenté qu’une voie très partielle des recompositions politiques qui ont servi l’après- 1848. Cette intégration dans les combats politiques du Risorgimento a été soulignée par l’historiographie classique de la construction nationale italienne, qui en a fait l’une des manifestations principales de la « décennie de préparation » au cours de laquelle un nationalisme politique péninsulaire se serait construit depuis le Piémont, profitant d’un cadre politique favorable et de l’appui relatif des patriotes de la totalité de la péninsule2. L’une des manifestations les plus représentatives de cette évolution serait l’inclusion de figures politiques napolitaines au légendaire national italien alors en formation : le général Guglielmo Pepe, « homme des trois révolutions », en constitue l’une des incarnations principales, alors que ses funérailles en 1855 prennent l’aspect d’une fête révolutionnaire italienne appuyée par la monarchie piémontaise des Savoie3.
2S’il faut discuter la forme de cette italianisation, en grande partie parce qu’elle n’a été ni généralisée ni constante, cette historiographie fournit un cadre chronologique cohérent, marqué par la difficile reconstruction du courant libéral dans un contexte de sortie de crise. Les échos du 15 mai 1848 sont permanents, révélés par la mise en mémoire de l’expérience révolutionnaire de 1848- 1849. Les écrits de libéraux napolitains se multiplient en effet pour justifier leur implication dans les révolutions, dans des proportions beaucoup plus larges qu’en 1821 : la massification de la révolution et l’ampleur du bouleversement politique qu’elle a représenté dans les Deux-Siciles contribuent à l’expliquer. Ces constructions mémorielles se font surtout dans l’exil, mais elles s’articulent avec un cycle réactionnaire dans la politique intérieure du royaume autour de 1849. Il s’appuie sur les besoins de l’ordre public et de la sécurité de l’État, et est passé par la limitation de l’expression publique des idées libérales en éliminant du commerce les livres jugés pernicieux (perniciosi) ou en abolissant la liberté de la presse (1850). Cette politique, amplement commentée par les contemporains, aboutit à la dénonciation internationale de la tyrannie des Bourbons de Naples, notamment au Congrès de Paris de 1856. Le sort fait aux opposants à la monarchie, aux condamnés politiques nourrit cette image noire du royaume bourbonien, érigé en incarnation européenne du malgoverno au même titre que la Russie qu’elle a refusé de combattre dans la guerre de Crimée de 1854-18564.
3Les développements du problème napolitain, constitué en « question » diplomatique européenne, représentent un autre aspect majeur de la période. Il s’est nourri de la circulation des mémoires de la révolution et de l’intégration des patriotes en exil dans les milieux élitaires piémontais. Plus que la « question méridionale » qui se développera dans l’Italie post-unitaire, ces circulations ont permis la formation d’une question napolitaine à l’échelle de l’Europe, appuyée sur des relais transnationaux5. La très riche documentation policière produite à la fois dans le royaume des Deux-Siciles et dans les sociétés d’accueil des exilés permet de restituer les mobilisations complexes qui ont permis la défense du royaume contre la tyrannie des Bourbons. Là encore et même si les connexions entre révolutions ne sont pas toujours apparentes, ces mobilisations articulent les échelles napolitaine et transnationale, et les liens maintenus par les exilés avec la société du royaume demeurent constants. Alors que l’histoire intérieure du royaume dans les années 1850 est très peu couverte par l’historiographie, traditionnellement attentive aux connexions entre les grandes figures du courant libéral méridional et de la construction nationale italienne, il faudra donc élargir l’approche au-delà des seuls exilés. Le chapitre 10 s’attachera ainsi à montrer la marginalisation progressive des libéraux dans l’espace politique du royaume à partir de 1848, par des condamnations nombreuses à mort, à la prison ou à l’exil. Le chapitre 11 montrera les circuits de la mémoire immédiate de la révolution, érigée en événement fondateur des combats libéraux des années 1850. Le chapitre 12 abordera enfin les recompositions des mobilisations libérales dans le royaume, entre connexions avec les révolutions étrangères et notamment italiennes et diffusion de plus en plus nette du démocratisme, en particulier dans les provinces les plus périphériques.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Di Ciommo 1993, Petrusewicz 1998 et Francia 2012. On consultera, pour un bilan, De Lorenzo 2013, p. 50-73.
2 Voir, sur ces interprétations, Riall 1994.
3 Sur les célébrations, voir Manfredi 2009.
4 Sur les mécanismes de cette dénonciation, voir Moe 2002, p. 126-154.
5 Sur l’origine de la « question méridionale » dans les années 1850, voir Petrusewicz 2009. Sur les relais internationaux de la mobilisation libérale, voir Delpu 2013b.
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