L’intégration progressive du peuple à la révolution (années 1830-1849)
p. 225-227
Texte intégral
1Avec le début des années 1830 s’ouvre une séquence de politisation nouvelle, qui a profité du renouvellement des forces politiques à l’œuvre dans le royaume. Les contemporains ont insisté sur l’unité de cette période, qui aurait accéléré la mise en place d’une révolution nationale, à la fois démocratique et pro-italienne, en 1848. Carlo Poerio, par exemple, évoque dans un écrit rédigé en prison au début des années 1850, la polarisation accrue de la vie politique entre des radicaux de plus en plus influents, globalement républicains et italophiles, et des modérés qui perdent progressivement de l’importance dans les milieux d’opposition1. La place décisive prise par le peuple dans le jeu politique méridional explique ces évolutions. La notion est est de plus en plus invoquée dans les discours politiques, sous une forme essentialisée alors courante, dans les sociétés européennes depuis le XVIIIe siècle2. Cette catégorie est d’abord l’objet d’une prise en compte progressive, à travers le développement de projets démocratiques endogènes comme les Figliuoli della Giovine Italia sont le cas le plus emblématique. La période voit d’autre part s’accroître la participation du peuple méridional dans les stratégies politiques du monde libéral, évolution qui culmine avec la révolution de 1848.
2Ce processus, engagé à la faveur des révolutions européennes du début des années 1830, n’est pas propre au royaume des Deux-Siciles. En Italie du Nord, le développement considérable que connaît le courant mazzinien à partir de 1832 s’appuie sur la référence constante au peuple comme moteur de l’évolution politique italienne. En Espagne, la fraction dite avanzada du courant libéral prend de l’ampleur dès 1833, autour d’arguments comparables3. Or partout où il s’est développé, le démocratisme libéral est rarement doté d’un corpus idéologique cohérent et s’est plutôt constitué de manière empirique, à travers les expériences successives des révoltes et des révolutions4. Plus que la souveraineté nationale, c’est la question de la cohérence de la politique nationale avec le peuple du royaume qui est ciblée, notamment chez les patriotes des périphéries. La récurrence des révoltes et des révolutions l’illustre : elles éclatent d’abord dans les Abruzzes (1841), puis dans les Calabres (1843, 1844, 1847 et 1848), avant de se généraliser à partir de février 1848.
3Cette systématisation du fait insurrectionnel pose la question des acteurs politiques impliqués et des stratégies de politisation à l’œuvre. Les sources policières et judiciaires sont plus nombreuses et plus riches, du fait des réformes que ces administrations ont connues depuis les années 1820. Les rapports d’intendants et les sources de haute police révèlent un suivi régulier de l’opinion, hebdomadaire ou mensuel5. Ils décrivent les formes de l’activité politique d’opposition, en même temps qu’ils en listent les acteurs, à travers des registres de suspects (attendibili). Construits sous la forme de tableaux normés, ces derniers répertorient les antécédents politiques personnels et familiaux, les chefs d’accusation, les liens qu’ils entretiennent avec d’autres acteurs. Ils reposent sur une typologie construite selon la part prise aux insurrections, en distinguant capi (chefs révolutionnaires), secondatori (« suiveurs ») et gregarii (révolutionnaires de moindre implication, qui se sont agrégés à un mouvement déjà constitué). Ces sources permettent donc de reconstituer l’activité politique interne au royaume, tout en percevant les liens qu’elle entretient avec les communautés d’exilés. La documentation met en évidence l’intégration réelle du peuple aux phénomènes politiques, et pose la question des circuits qui ont accéléré ce phénomène, entre « descente de la politique vers les masses » telle que l’a montrée Maurice Agulhon pour la France de la même époque6 et déploiement de pratiques politiques autonomes. On analysera donc les trois voies principales utilisées par les libéraux du royaume des Deux-Siciles, pour comprendre l’intégration du peuple à la politisation libérale. Elle a d’abord reposé par l’intérêt de plus en plus constant accordé à l’espace local, qui est à la fois une ressource d’action et une référence constante, pris dans une tension systématique avec l’échelle péninsulaire italienne. Le recours de plus en plus systématique à un répertoire religieux constitue une deuxième voie de politisation. Il a souvent été perçu comme évocateur dans une société marquée par une très forte religiosité populaire, et a reposé sur l’intermédiation des prêtres, aux figures morales des martyrs ou au mythe de la croisade. Enfin, le déploiement des révoltes et des oppositions au roi autour de 1848 permet d’interroger les modèles politiques à l’œuvre dans la révolution, et la difficile pénétration de l’idée italienne dans la société napolitaine du XIXe siècle. Toutes appuyées sur l’investissement décisif des formes ordinaires de mobilisation, ces voies posent la question de l’intégration du royaume méridional dans la modernité politique alors en construction.
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