D’autres droits politiques :
Citoyennes et citoyens de l’Athènes classique
p. 229-245
Résumé
The notion of political rights did not apply to Greek antiquity. Even the concept did not exist. The question we have to ask is whether women had any active place in the community and if so, if we can call this participation in public affairs a political participation. I propose to discuss the words ancient Greeks employed when they spoke of citizens and citizenship. We can also consider the words they employed to bar bad people from political activity. I will indicate how the male/female differenciation operated in these different linguistic practices. So, the point is to understand what politics, as we know it today, meant for ancient Greeks at that time and how different it was from our present day conception. In underlining the differences we might be able to understand how other societies like the ancient Greek one should be understood without anachronistic lenses. In a way, putting women back into the question helps us to understand that Greeks had indeed a very different concept of citizenship and of political rights.
Texte intégral
1Au moment de la parution de l’Histoire des femmes en Occident, l’idée largement dominante était celle de l’exclusion des femmes du politique, un phénomène présenté comme originel, durable et stable jusqu’au premier XXe siècle. Cette idée, encore très répandue et correcte si l’on s’en tient à la définition moderne et européenne de la citoyenneté1 et qu’on inscrit celle-ci dans une perspective évolutionniste, a été portée par une brillante historiographie, notamment en France et dans le milieu des spécialistes de l’Antiquité. Pour cette période de l’histoire, ce n’est que récemment que les critiques, venues surtout des États-Unis et de l’Europe du Nord, se sont fait entendre. En utilisant des sources plus diverses – des documents dits de la pratique – les travaux menés depuis les années 2000 ont souligné à la fois la capacité d’action des femmes dans l’espace public et l’existence d’une déclinaison féminine du vocabulaire de la citoyenneté.2 Il reste cependant difficile de franchir le pas qui conduit de la constatation de l’existence d’un vocabulaire symétrique pour les citoyens et les citoyennes à la conclusion que ces dernières aient pu agir politiquement. Pourtant, d’une part l’importance des résultats apportés par l’approche anthropologique dans l’étude du politique antique, d’autre part l’essor des recherches sur les sociétés hellénistiques et sur l’Orient romain, qui ont apporté aux classicistes un matériel (les inscriptions) dont ils avaient peu l’usage, ouvrent pour les questionnements portés par l’histoire des femmes et du genre des perspectives inédites.
2Un manuel récent de sciences économiques et sociales définit les « droits politiques » comme « le droit de suffrage et le droit électif », des droits qui sont parfois désignés comme « droits civiques » et opposés aux « droits civils ».3 Pour qui s’en tient à cette définition contemporaine des « droits politiques », la question de savoir si de tels droits étaient accordés à des femmes de l’Antiquité grecque n’a aucune pertinence : aucune femme ne votait en assemblée. On soulignera pourtant la fécondité heuristique de la question quand elle permet d’interroger l’ensemble du fait politique dans les cités grecques, autrement dit de le décentrer.4 Qu’est ce que les Grecs mettaient derrière les mots de polis (cité), de politikê (politique), de politeia (régime, citoyenneté), de politai (citoyens) ?5 Quelle était la part des droits ? Quelle était la part des actes ? Quelle était la part des compétences ? Pour retrouver les contours de ces réalités anciennes il est nécessaire à la fois de déconstruire les présupposés modernes sur la place des femmes dans l’antiquité classique et sur ce que signifiait être citoyen dans une cité grecque comme Athènes (la plus documentée). Cette démarche permet de proposer une description de l’agir politique qui soit conforme aux pratiques antiques. Ce n’est pas un moindre succès de l’Histoire des femmes en Occident que d’avoir suscité la recherche sur la place des femmes dans ce dispositif réputé le plus inaccessible aux femmes.
Perspective contemporaine : les femmes longtemps exclues du politique
3Il est couramment admis que les femmes des cités grecques étaient des éternelles mineures, toujours représentées par leur tuteur (un homme de leur famille). Elles n’ont jamais été des citoyennes, du moins pas au sens moderne.6
4L’idée de l’exclusion des femmes grecques du dispositif antique a été validée par les spécialistes du domaine, dans le domaine francophone notamment, avec les formules bien connues de Pierre Vidal-Naquet désignant la cité comme un « club d’hommes » ou celles de Nicole Loraux affirmant qu’il n’existe pas plus de « citoyenne » que « d’Athénienne », et que « le citoyen athénien pourrait donc être tout simplement défini comme celui qui, des deux côtés, n’a que des citoyens pour pères : le sien propre et celui de sa mère ».7 Cette dernière a plus subtilement montré, comme Yan Thomas le rappelle dans son chapitre du volume 1 de l’Histoire des femmes en Occident, que « la division des sexes » était au cœur de la pensée politique et de l’imaginaire des Grecs.8 La polarité masculin/féminin y est centrale pour exprimer de manière symbolique, explique Nicole Loraux, l’opération générale de la division. Celle-ci est manifeste dans la psychè individuelle – identifié par des désirs, des expressions, des comportements qui peuvent être socialement qualifiés de féminins ou de masculins – ou dans l’ordre social et politique – ainsi dans la guerre qui oppose combattants et non-combattants, héros et lâches.9 Cela-dit, comment, pour l’historien.ne, passer de ce registre métaphorique et anthropologique où le « féminin » sert souvent à discriminer – par le verbe – des hommes parmi d’autres, au registre des capacités sociales, autrement dit à la discrimination par le droit qui, cette fois, opposerait les individus selon leur sexe ? Comment articuler « représentations » et « pratiques », pour utiliser les catégories des pionnières de l’histoire des femmes ?
5Les travaux accomplis depuis la parution du volume 1 de l’Histoire des femmes en Occident, notamment dans le sillage de la contribution de Giulia Sissa sur Aristote et, plus généralement, les riches travaux sur le regard porté par les médecins antiques sur les femmes,10 ont souligné le caractère sexiste et misogyne de la production textuelle de l’Antiquité grecque. Un certain nombre de poètes, à commencer par Hésiode et on peut lui associer Simonide d’Amorgos, Aristophane ou les poètes tragiques, l’ont souvent rappelé : des hommes ont vilipendé les femmes – isolées comme un groupe distinct et hostile aux hommes – pour leur caractère violent, bavard, lascif, gourmand, voleur, etc. Pour en rester à notre propos, je m’en tiendrai au célèbre récit rapporté par Saint Augustin citant Varron, l’érudit romain qui vécut au Ier siècle avant J.-C. Ce récit a été un argument central de la démonstration de Nicole Loraux concernant l’exclusion des femmes d’Athènes de l’espace politique à l’époque classique.
6Selon Varron, les Athéniennes furent exclues du domaine politique suite au conflit qui opposait la déesse à Poséidon pour la possession de l’Attique. Plus nombreuses d’une voix que les hommes, c’est leur vote unanime qui permit à Athéna de devenir la déesse poliade de la cité. Mais pour calmer la colère du dieu vaincu, les Athéniens décidèrent, dit Varron, d’exclure à jamais les Athéniennes du vote, de leur interdire de transmettre leur nom et de se désigner comme Athéniennes.
7Or, comme l’a montré Cynthia Patterson en 1986, le récit rapporté par saint Augustin associe différents ingrédients empruntés à la tradition mythique ancienne tout en innovant sur certains points. En l’occurrence, l’arbitrage rendu par les habitants de l’Attique, hommes et femmes, et les sanctions prises contre ces dernières, n’a aucune attestation antérieure au Ier siècle avant J.-C. Ceci conduit C. Patterson à interpréter le texte de Varron comme un jeu d’érudit, autrement dit une variation mythographique de la production sexiste précédemment évoquée.11 Par ailleurs, la situation que le récit est censé expliquer – les trois interdits frappant les femmes – n’est pas conforme à une réalité historique connue. En effet, si les Athéniennes sont bel et bien exclues du vote dans l’Athènes classique, elles peuvent transmettre leur nom à leurs enfants. Certes, comparé à celui du patronyme, l’usage du matronyme (mêtrothen) est rare.12 Cependant, la règle générale de la dénomination grecque antique, contrairement à la pratique romaine du cognomen transmis par le père à tous ses enfants et ajouté au praenomen personnel, est celle du nom unique attribué peu de temps après la naissance par les parents. Cette dévolution se fait selon des règles qui font en général alterner un nom de la branche maternelle à un nom de la branche paternelle. Enfin, comme l’a encore rappelé Anne Jacquemin dans un article de 2005 qui étudie les dédicaces inscrites sur les offrandes déposées par les Athéniennes à Delphes, les femmes d’Athènes se font bel et bien appeler Athéniennes.13
8La question des « droits politiques » a été ainsi l’occasion, notamment pour Nicole Loraux, de faire interagir à la fois le registre symbolique et le registre institutionnel (selon le récit de Varron) : exclusion des femmes sur les plans institutionnel et mythique ; centralité psychique de la distinction des sexes et des opérations – plus ou moins problématiques – de mélange des genres masculin et féminin. Depuis, les approches des spécialistes de l’Antiquité se sont beaucoup diversifiées. À l’étude des textes issus de la tradition manuscrite s’est ajoutée celle de textes issus des découvertes archéologiques et produits sur des supports variés : papyri, inscriptions sur pierre, métal ou céramique, sans compter celle mobilisant les objets et les configurations spatiales. Un nouveau domaine de recherche s’est révélé, suite à la ténacité de pionniers particulièrement actifs et productifs, celui des jurigrécistes.14 À l’époque de l’Histoire des femmes en Occident, le droit antique connu était surtout le droit romain et les spécialistes du monde grec étaient peu nombreux. De fait, l’Antiquité grecque, contrairement à l’empire romain, n’a pas produit un Digeste de l’ensemble des règles et des droits appliqués dans le monde hellénophone. À la fragmentation politique du monde grec correspond une égale fragmentation des droits et de la documentation. Même à Athènes au IVe siècle avant J.-C., alors que nous disposons d’un corpus de plaidoyers judiciaires conséquent, nous savons que le droit n’existait pas en dehors des pratiques litigieuses qui s’en référaient. Autrement dit, les discours prononcés devant les tribunaux attiques s’attachaient, pour chacun d’eux, à discuter, modifier, voire inventer une réponse judiciaire au cas qui leur était soumis. Si des ressemblances et des caractéristiques communes entre les différentes résolutions discutées devant les tribunaux attiques du IVe siècle et les codes juridiques connus depuis la Crète archaïque jusqu’à l’Égypte ptolémaïque justifient l’expression, aucun caractère systématique n’est attaché à ce que l’on désigne comme le droit grec. Il en va différemment en ce qui concerne le fait politique. Pour répondre aux questions relevant de ce domaine, les historiens, les philosophes et les politistes se tournent spontanément vers Aristote, auteur d’un important essai nourri d’une étude analytique des systèmes politiques connus dans le monde grec à la fin du IVe siècle, le traité Tôn politikôn. Or c’est bien Aristote qui livre la définition la plus stricte de ce que nous nommons les « droits politiques ».
Aristote et la citoyenneté : un statut et des fonctions politiques (archai politikai)
9Dans le traité au sujet des choses politiques (Tôn politikôn), Aristote définit le citoyen comme « celui qui a la possibilité de participer au pouvoir délibératif (archê bouleutikês) et au pouvoir judiciaire (archê kritikê) », une formulation résumée dans l’expression archai politikai souvent traduite par « droits politiques », « charges politiques » ou « fonctions politiques » et où la composante archê, qui indique le pouvoir partagé entre les citoyens, prend une place prépondérante.15 Les femmes ne sont pas interprétées, dans ce passage d’Aristote, comme des citoyennes, ou du moins comme des citoyennes au sens strict : elles n’en ont pas les droits (archai).16
10Le même Aristote ajoute cependant, et aussitôt après la première affirmation, que cette définition est contredite par les pratiques observées : « dans l’usage, dit-il, le citoyen est celui qui est né de deux citoyens, un père citoyen et une mère citoyenne ». Aristote utilise alors deux mots formés sur le même radical, polit-, l’un décliné au masculin (politês), l’autre au féminin (politis). Cette seconde définition, issue de l’observation des pratiques, souligne le fait que, à Athènes dans les années 330-320 avant J.-C., la citoyenneté est d’abord un statut17 qui s’applique à des hommes et des femmes et leur donne un droit fondamental (à condition d’en respecter les règles), celui de produire des citoyens des deux sexes. L’organisation de la filiation, qui passe par l’institution du mariage légitime,18 est au fondement du statut de citoyen.ne. La capacité d’engendrer des enfants citoyens est le droit politique fondamental réservé aux citoyen.ne.s.
11En énonçant dans une même phrase deux affirmations qui nous semblent contradictoires (les femmes n’ont pas de droits politiques ; les femmes sont citoyennes), Aristote construit l’ambivalence de la citoyenneté : elle se présente à la fois comme un statut, lié à la reconnaissance de la filiation légitime – ceci est la définition résultant de l’observation des pratiques – et un ensemble de fonctions qui sont aussi des privilèges – ceci est la définition issue de l’analyse classificatoire d’Aristote.
12Les recherches menées à partir des décrets civiques honorifiques analysent aujourd’hui la complexité des fonctions effectivement incluses dans le statut citoyen et parfois distribuées, de manière partielle, à des non-citoyens, confirmant ce que les documents narratifs d’époque classique montraient déjà : l’enjeu de la citoyenneté est la participation aux affaires communes, une participation qui implique des droits ou capacités bien plus largement définis que les archai politikai d’Aristote.19 Mais, selon les documents pris en compte et la formation des historiens, la définition des fonctions – les fameux « droits » des citoyens – est extrêmement variable.
Les timai des documents de la pratique politique : des honneurs, des droits, des charges
13Selon les études récentes, une distinction très opérante dans les documents de la pratique politique (discours des orateurs attiques, inscriptions publiques) est celle qui oppose les epitimoi aux atimoi, autrement dit ceux qui ont tous les honneurs (timai)20 et ceux qui en sont privés.21 Entre ces deux pôles, il y a une importante gradation de situations pour les citoyens qui subissent des privations partielles ou les étrangers qui, au contraire, acquièrent parfois des droits.22
14Parmi les documents de la pratique politique athénienne du IVe siècle avant J.-C., un seul, un discours d’Andocide prononcé au tout début du IVe siècle, détaille de manière exhaustive les droits des citoyens (timai) en jeu dans les procédures de déchéance de droits : confiscation des biens, exclusion des sanctuaires et des fêtes, interdiction de commerce dans certaines zones, interdiction de prise de parole à l’assemblée, interdiction d’être tiré au sort pour siéger au Conseil (Boulê).23 Ces diverses peines soulignent que la déchéance publique s’exerce dans toute la sphère sociale. Aucune distinction n’est faite entre droits politiques (au sens aristotélicien des archai politikai), avantages économiques et privilèges juridiques. Les sanctions sont prise pour des raisons variées qu’Andocide expose : malversation financière envers le trésor public, action sacrilège vis-à-vis des dieux, lâcheté à la guerre, etc. Ce document de la pratique dévoile ainsi une conception très large des timai qui englobe à la fois du politique et du social (selon le sens et le découpage contemporain). Le droit de participer aux assemblées et tribunaux comme la capacité d’exercer des magistratures ne sont pas distingués comme des droits spécifiques ni a fortiori présentés comme supérieurs aux autres modalités de participation à la vie sociale. Les timai ne se réduisent pas aux archai politikai.
Des femmes dotées de timai
15Un discours d’Eschine daté de 345 environ présente le cas intéressant d’une atimie concernant des femmes. Alors qu’il s’agit de discuter le cas de Timarque, un citoyen engagé en politique aux côtés de Démosthène et accusé par Eschine de s’être prostitué et de mener une vie de plaisirs, Eschine cite une loi attribuée à Solon qui interdit toute parure à la femme qui a été surprise accomplissant un acte adultère (moicheia) et qui lui défend de s’associer aux cérémonies religieuses publiques. La loi prévoit, dit Eschine, que si, en dépit de cette défense, la femme coupable prend part aux fêtes ou revêt des ornements, quiconque peut les lui arracher, avec ses vêtements, et la battre (sans lui causer la mort ni l’estropier). Selon les mots d’Eschine, le législateur a ainsi prévu de frapper la femme coupable de la peine d’atimie afin de lui rendre la vie insupportable.24
16Dans un autre discours, quasi contemporain, la même loi est citée différemment.25 Le terme d’atimie y est alors réservé pour décrire la sanction réservée à l’époux qui persisterait à vivre avec une femme coupable/victime d’un acte adultère. Pour cette dernière les sanctions (interdiction des sanctuaires et de manifester publiquement son rang) pourraient néanmoins être assimilées à une atimie partielle puisqu’elles apparaissaient dans la liste d’Andocide.
17Comme l’ont souligné Vincent Azoulay et Paulin Ismard, la sanction publique, une privation d’honneurs (atimia), ne peut frapper qu’une femme appartenant à la catégorie des individus dotés de timai.26 Celles qui sont concernées par la loi de Solon citée par Eschine sont celles dont la sexualité est surveillée, ou protégée selon le point de vue, et qu’un discours de Démosthène énumère : les épouses, mères, filles, sœurs ou concubines du maître de maison.27 Ces femmes-là sont destinées à produire des enfants libres, voire citoyens, dans la maison ancestrale. La gravité du crime de moicheia, souvent traduit par adultère (mais la signification est moins sexuelle que patrimoniale puisqu’elle ne vise pas les relations extra-conjugales de type homosexuel ni les relations de type hétérosexuel engagées avec une femme esclave), ne tient pas compte de l’éventuelle violence subie (viol) par la femme. Le crime peut concerner une épouse ou une jeune fille non mariée, comme une veuve. Seule importe l’offense faite au maître de l’oikos, responsable de la descendance des femmes libres de sa maison.
18Pour le public d’Eschine, la femme adultère, celle qui possède des timai qui lui sont retirées, appartient au groupe de la maison citoyenne. Elle ne peut être esclave puisque nul n’a le droit de la mettre à mort ou de l’estropier : son corps est libre. Pourrait-elle être étrangère, accueillie dans la maison en tant que concubine ? Il est probable que non car les sanctions contre les métèques coupables de transgressions (homicide d’un citoyen, fraude sur le statut personnel de leur personne ou celle d’un membre de leur famille) sont la mort ou la vente comme esclave, sorte d’alternative à l’atimie qui, même partielle, frappe les seuls individus citoyens.
19Elle reçoit probablement d’autres marques d’infamie puisque sa vie devra être « insupportable ». Cette expression évoque pour nous les diverses pratiques (épilation des parties génitales, aveuglement, parade enchaîné dans la ville, raphanismos…) connues pour avoir frappé les amants masculins.28 La femme, coupable ou victime, ne peut plus porter les signes de sa richesse et de son statut social, les bijoux.
20Au milieu du IVe siècle avant J.-C., il aurait ainsi été normal de parler de privation des droits, atimie, pour une citoyenne, en contexte institutionnel et devant les jurés du tribunal d’Athènes. Si le cas est rare, sinon unique dans notre documentation, cela s’explique probablement par le moindre intérêt prêté aux affaires concernant les citoyennes par des citoyens qui réglaient surtout des comptes entre eux.
21Les individus qui disposent de l’intégralité des droits ou des honneurs, les epitimoi, sont ceux qui se comportent selon les règles de la communauté : appartenance à une famille identifiée comme athénienne, filiation légitime, concordance de l’âge avec la fonction exercée, concordance du sexe avec la fonction exercée, manière de vivre conforme aux règles (sophrôsunê). Les femmes citoyennes sont soumises aux mêmes contraintes de comportement que les hommes citoyens, des contraintes d’adéquation de leur personne avec les règles d’attribution des fonctions civiques. Elles doivent être reconnues comme filles légitimes par leur père citoyen, avoir été présentées dans la phratrie du père. Elles ne peuvent, en raison de leur sexe, être juré, bouleute ou magistrat (excepté les prêtrises). Dans la mesure où elles respectent ces règles, elles disposent de toutes les timai. Les citoyennes, sauf cas de déchéance prononcée de manière individuelle, font bien partie des epitimoi.29 Par la naissance ou l’acte de dation à un époux (egguê), les offenses qu’elles commettent ou subissent comme les honneurs qu’elles reçoivent, rejaillissent non seulement sur elles mais aussi sur la maison entière et particulièrement sur son maître.
Statut des personnes, statut de la maison
22Les spécialistes du droit ont toujours traités les catégories juridiques par catégories de personnes, au masculin générique.30 Or, dans les cités antiques, le droit des personnes était dépendant de la filiation, sauf cas, plutôt rare à l’époque classique, d’acquisition des droits par décret (ainsi les Platéens en 427).31 Le statut des personnes reste donc dépendant de celui de la maison, l’oikia, ce que souligne la question posée lors de l’examen des archontes entrant en charge. Les Athéniens demandent aux candidats « s’ils possèdent des tombes familiales et où elles sont, et s’ils se comportent correctement avec leurs parents ».32 Il s’agit toujours des tombes des hommes et des femmes de la famille, des soins à apporter aux parents maternels et paternels, jamais aux seuls pères.33
23En tant que membres légitimes de la maison, les citoyennes ne sont jamais traitées comme des étrangères et encore moins comme des esclaves. Dans le traité sur la Constitution d’Athènes attribué à l’école d’Aristote, le tribunal du Palladion est décrit comme le lieu où sont jugés tous les homicides sans préméditation34 ainsi que les meurtres d’esclaves, de métèques et d’étrangers. On oublie souvent de préciser que les femmes étaient incluses dans toutes les grandes catégories statutaires décrites par l’auteur du traité : femmes esclaves, métèques, étrangères. Les meurtres de citoyennes, comme de citoyens et de leurs enfants mineurs, étaient ainsi traités à l’Aréopage, pas au Palladion, le tribunal réservé pour les étrangers.35 La transposition mythique donnée par l’Orestie d’Eschyle au milieu du Ve siècle à Athènes en témoigne : le tribunal de l’Aréopage est institué pour juger le meurtre de Clytemnestre par son fils Oreste.
24Que les citoyennes soient responsables de leurs actes devant la justice, le procès intenté par Apollodore contre Nééra à la fin des années 340 le montre. Nééra ne serait pas l’Athénienne qu’elle prétend être mais, accuse Apollodore, une ancienne esclave, étrangère à Athènes, qui aurait fait passer ses enfants pour citoyens grâce à la complicité de l’Athénien Stéphanos.36 Pour le prouver, l’accusateur Appollodore s’attaque directement à elle, non à son époux, Stéphanos dont la qualité citoyenne n’est jamais mise en cause. Nééra risque la vente sur le marché aux esclaves puisque la loi prévoit, en cas de fraude avérée sur le statut de citoyen, que l’individu, homme ou femme installé dans une maison de citoyens en tant que partenaire sexuel légitime alors qu’il ne l’est pas, soit poursuivi devant les tribunaux et, s’il est reconnu coupable, vendu comme esclave. Le citoyen qui reçoit une étrangère comme épouse légitime est frappé d’une amende de mille drachmes.37 Un citoyen qui donne en mariage une étrangère à un autre citoyen en la faisant passer pour citoyenne subit, quant à lui, une privation des droits (atimie) incluant la confiscation de sa propriété.38 Le cas de la citoyenne qui reçoit un étranger au titre d’époux légitime (donc citoyen) n’est pas mentionné. Il ne faut pas s’en étonner : le crime n’est pas le mariage mais la reconnaissance des enfants. Or celle-ci dépend du partenaire masculin, responsable de la déclaration qu’il produit devant tous d’en être le père citoyen.
25Les citoyennes peuvent en outre parler devant les Athéniens : on connaît le cas d’Agaristè, épouse d’Alcméonidès, qui a dénoncé devant le Conseil trois citoyens ayant pris part à la parodie des Mystères à Athènes en 415 et qu’Andocide fait comparaitre devant le tribunal en 399.39 La surreprésentation des citoyens par rapport aux citoyennes dans les procès s’explique sans doute par le contexte de documents qui émanent d’une pratique politique masculine.
26Le cercle des légitimes membres de la cité (désignés avec l’ethnonyme athéniens, athéniennes, corinthiens, corinthiennes, etc) réunissait ceux qui disposaient des timai, les « droits politiques », par leur naissance, leur reconnaissance légitime et leur croissance dans le cadre des institutions civiques. Ces droits étaient distribués, et en règle générale hérités, selon différents critères : la naissance de parents athéniens, la « bonne naissance » qui distinguait ceux et celles qui pouvaient prétendre à revêtir certaines prêtrises, les prêtrises héréditaires. La richesse permettait à certains d’agir avec munificence et d’être honorés pour cette raison. L’âge était un critère important pour accéder à de nombreuses fonctions. Le sexe traçait enfin une distinction fondamentale entre les adultes athéniens : les femmes n’étaient pas admises à prendre la parole à l’assemblée, à voter, à être magistrats ou à participer à l’armée civique.
27L’inégalité de fond entre citoyens et citoyennes qui, selon leur sexe, n’ont pas accès au même éventail de fonctions publiques ne peut masquer l’inclusion des citoyennes dans la citoyenneté, si l’on donne à ce terme son sens antique de participation à la politeia, à la cité et que l’on prenne en compte que cette participation trouve sa justification dans l’appartenance à une maison citoyenne. En revanche, l’inégalité d’accès aux fonctions civiques selon le statut individuel indique que la différence sexuelle construit, à l’intérieur de la maison, une stricte polarité citoyen/citoyenne.
Droits politiques : les archai politikai des citoyens et les timai des citoyens et des citoyennes
28En isolant la double pratique de la délibération et du judiciaire et en la désignant comme étant celle qui, au sens strict, définit le citoyen, Aristote prend volontairement des distances par rapport aux pratiques observées : il produit au sens propre une définition restrictive de la citoyenneté en limitant les droits à l’exercice de fonctions très ciblées, celles de la participation active aux assemblées et tribunaux.40 Aristote valide ainsi l’idée d’une distinction entre activités délibératives et judiciaires, et tout le reste (qu’il ne détaille pas). Il est par conséquent logique qu’il distingue les archai politikai, charges politiques des citoyens appelés à siéger aux assemblées et exercer des magistratures, des timai, ensemble des droits ou privilèges propres aux Athéniens et susceptibles de leur être retirés.41
29Si Aristote restreint le champ des droits politiques aux charges publiques que sont la faculté de juger et de commander (krisis et archê), c’est parce qu’il choisit de focaliser son étude sur la question du partage du pouvoir (archê) au détriment d’une analyse des modalités de participation (metechein) et parce qu’il dresse le portrait du citoyen selon les critères d’une cité dans laquelle le pouvoir de délibérer et juger est confié à tous (les magistrats dit généralistes) sans se limiter à ceux qui déclareraient des compétences spécifiques, comme c’est le cas dans les oligarchies.42 L’objet de sa recherche est de définir l’individu qui, au sens strict (haplôs) selon son expression,43 exerce de telles fonctions. L’objet est aussi de définir le « bon citoyen », celui qui est capable à la fois de bien obéir et de bien commander.44 Aristote compare la position de ce dernier à celle occupée par le mari, d’une part, et par l’épouse, d’autre part.45 Un tel portrait du citoyen (qu’il ait les vertus requises ou non) est davantage prescriptif que descriptif. Le rédacteur anonyme de l’entrée « Politique » de l’Encyclopédie nomme d’ailleurs Aristote comme le premier à avoir défini les éléments fondateurs d’une « philosophie politique », c’est-à-dire un savoir instituant la bonne conduite « de l’état ».46
30En élargissant la notion de droits politiques aux significations sociales des timai, l’observateur contemporain observe que, dans l’Athènes classique, la pratique de l’action politique englobait des actes de la vie collective qui étaient pris en charge, selon les contextes, par des hommes et des femmes. Il faut le rappeler : la césure politique est d’abord une césure statutaire du corps social qui distingue les maisons citoyennes. Les actes de la vie collective sont ensuite répartis selon des variations statutaires internes au corps citoyen : l’âge, le sexe, la capacité économique ou la dignité héritée font partie des paramètres discriminants. Par ailleurs, le comportement individuel est également un motif de distinction sociale, dans un sens positif ou négatif (atimie).
31En ce qui concerne les citoyennes l’inégalité essentielle vient de leur exclusion de l’armée, des assemblées et des tribunaux ainsi que des magistratures. Pour le reste, elles disposent de droits à partager la polis, donc de timai qui sont comparables sinon équivalents à ceux des citoyens et que des recherches futures doivent préciser : participation aux fêtes religieuses, aux échanges économiques et financiers, à la protection juridique de leur corps (toujours avec les critères des Grecs : le viol que nous considérons comme une atteinte au corps n’est pas interprété de la même manière puisqu’il est considéré comme un adultère), à la propriété du sol. Sur tous ces points, le monde grec ne fonctionne pas de manière homogène, des droits peuvent être accordés aux citoyennes dans telle cité et refusées dans telle autre, comme ils peuvent l’être pendant une période et pas une autre.47
32En définitive, poser la question des droits politiques des citoyennes permet, au lieu de raisonner en termes d’exclusion des femmes (comme si hommes et femmes avaient toujours et en toutes circonstances été distingués comme deux catégories absolument étrangères l’une à l’autre), d’historiciser la notion de droit politique et, plus généralement, d’historiciser le fait politique lui-même. Dans l’Athènes classique, le politique est affaire de participation pour des gens qualifiés par leur naissance, ou par décision du peuple, d’un ensemble de timai qui sont autant de droits, non définitifs, liés à la fois au statut personnel et aux manières de se comporter. Ceci explique que des individus de statuts différents (qu’ils soient citoyens ou étrangers) puissent partager des timai similaires et que des individus de même statut (citoyen ou étranger) puissent ne pas disposer des mêmes timai. Dans toutes ces configurations, on trouve des femmes et des hommes, les premières étant exclues en bloc des archai politikai. De fait, lorsque la politique des Grecs devient un savoir et une science – voire une philosophie – avec Aristote plus encore qu’avec Platon, c’est, en mettant l’accent sur ces archai, un écart puissant qui se marque par rapport aux pratiques participatives de la vie en cité (polis). Et ce n’est pas un moindre paradoxe qu’à la même époque, lorsque la pratique épigraphique se développe, les cités grecques offrent parfois la citoyenneté (politeia) à des femmes.48
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Pour une mise en perspective de la définition occidentale de la citoyenneté, voir en dernier lieu Barthélémy – Sebillotte Cuchet 2016.
2 Pour un récent bilan : Sebillotte Cuchet 2016.
3 Deubel – Montoussé 2003, p. 304-305 : les droits civils sont les droits universels dont bénéficient tous les individus sans distinction d’âge, de sexe et de nationalité (liberté de parole, de pensée, de religion, de propriété, etc). Les droits politiques (ou droits civiques ou droits-participation) sont ceux qui permettent à un individu de participer à l’exercice du pouvoir politique (droit de vote et d’être élu, essentiellement). À ses droits sont associés des devoirs (payer des impôts).
4 L’idée de décentrer le politique fait écho à la méthode anthropologique telle qu’elle a été utilisée, entre autres, par Strathern 1988. Sur cette méthode, voir Lebner 2016. Pour l’Antiquité classique, voir Loraux 1993.
5 La liste pourrait être prolongée : politeiai, au pluriel, peut désigner les actions menées par les puissants au bénéfice ou contre les intérêts de la cité, soit « la politique » au sens trivial actuel (voir Démosthène, 3ème Philippique, 2) et politikos, ce que nous appelons « l’homme d’État » (voir Aristote, Politique 1278b3). Pour une étude précise : Bordes 1982.
6 Pour des positions nuancées : Thomas, 1991, p. 131-200, part. p. 132, 139, 199 ; Mossé 1993 p. 63-64. Tous sont confrontés à un problème de traduction où le linguistique et le culturel entrent en jeu comme l’attestent les différentes formulations utilisées selon que le chercheur est francophone ou anglophone. Voir à ce propos le chapitre « Full citizens : female » dans Kamen 2013.
7 Vidal-Naquet 1991 [1981], p. 269. Loraux 1981, p. 121.
8 Thomas 1991, p. 139.
9 Si la lecture de la différence des sexes comme métaphore structurante pour penser le politique manifeste un héritage remontant à Claude Lévi-Strauss, la manière dont Nicole Loraux aborde la question des identités individuelle relève d’une approche redevable à sa lecture de Freud qui avait mis en avant les composantes mixtes des identités psychiques, d’où l’importance, chez N. Loraux, de la notion de « mélange ».
10 Pour une synthèse récente : Bonnard 2013.
11 Patterson 1986, p. 57 pour la discussion du mythe rapporté par Saint Augustin, citant Varron, Cité de Dieu, 18, 9.
12 Schmitt Pantel – Sebillotte Cuchet 2015.
13 Jacquemin 2005.
14 Il faut souligner le rôle des travaux collectifs menés dans le cadre du Symposium international de droit grec et hellénistique, réuni pour la première fois en septembre 1971, sous les auspices du Zentrum für interdisziplinäre Forschung de l’université de Bielefeld. En dernier lieu : Gagarin – Cohen – Lanni 2015.
15 Aristote Politique III, 1275b 18-19. Les compétences du citoyen, et ses droits, dans cette définition, englobent participation à l’Assemblée, au Conseil, aux tribunaux et aux magistratures spécifiques (archonte, stratège, trésorier, etc). Voir aussi Aristote Politique III, 1279a 8-9.
16 Aristote précise que sa recherche porte sur « le citoyen au sens strict (ἁπλῶς πολίτης) », lequel est défini comme « celui qui participe au pouvoir de juger et d’exercer des magistratures (μετέχειν κρίσεως καὶ ἀρχῆς) », Politique III, 1275a19 et 22.
17 Le terme est très discuté. Je m’en tiendrai à la définition de Hunter 2000, p. 1. On retiendra que contrairement aux droits, le statut ne se retire pas. Il est acquis par la naissance et pour toujours.
18 Il existe différentes formes d’union : Cantarella 1997. Leduc 1990 a ouvert la voie aux recherches en ce domaine : récemment, Damet 2015.
19 Müller 2014. Pour des documents d’époque classique, voir Bordes 1982 et une perspective plus large : Schmitt Pantel 1987 ; repris dans Murray, Price 1992, p. 234 : « Redonner une place dans l’explication historique globale aux pratiques collectives peut avoir des conséquences inattendues : celles, par exemple, de devoir s’interroger sur le contenu de catégories que l’on croyait clairement établies comme celle du politique ».
20 Les documents désignent comme timai ce que nous désignerions comme des privilèges, parfois des honneurs, et nous disons aussi des « droits », qui peuvent être issus de la naissance, de l’âge ou du sexe, voire être acquis sur décision du peuple. Ces droits peuvent également se perdre par décision du peuple.
21 La formule d’octroi de la citoyenneté est clairement énoncée dans le premier décret de ce type connu à Athènes : les réfugiés de la cité de Platées, accueillis à Athènes au début de la guerre du Péloponnèse, seront « epitimoicomme les autres Athéniens », autrement dit comme le sont les Athéniens en vertu de leur statut d’Athéniens (Kapparis 1995 p. 376-377). Les Platéens ont le privilège de « partager la cité » (polis), d’accéder aux timai : droit de participer aux fêtes religieuses en accédant aux sanctuaires, droit de donner sa fille en mariage légitime, droit de posséder de la terre, etc. Le détail des occurrences de ces termes (issues du TLG) est donné par Canevaro 2013, p. 203, note 70.
22 Essentiellement à l’époque hellénistique et impériale. Voir Müller 2014, p. 768-773.
23 Andocide, Sur les mystères (I), 73-76. Pour une présentation d’ensemble de la bibliographie, du discours et du passage en question : Azoulay – Ismard 2018.
24 Eschine, Contre Timarque 183 : ἀτιμῶν τὴν τοιαύτην γυναῖκα καὶ τὸν βίον ἀβίωτον αὐτῇ παρασκευάζων.
25 [Démosthène] Contre Nééra (LIX), 87. Selon Canevaro, The documents in the Attic orators, p. 191-192, le texte authentique de la loi de Solon connue à Athènes à cette époque est celui transmis dans le manuscrit d’Eschine qui évoque l’atimie de la femme.
26 Azoulay – Ismard 2018.
27 Démosthène, Contre Aristocratès (XXIII), 53. MacDowell 1963, p. 74-77.
28 Cantarella 2005. Schmitt Pantel 1981.
29 Marchiandi 2011.
30 Dans le chapitre consacré aux « Personal status », la classification de MacDowell distingue les « citizens by birth », « citizenship confered on aliens », « outlawry and disfanchisement », « aliens », « resident aliens (metics) », « privileged aliens », « slaves », « freedmen », « public slaves » : MacDowell 1978, p. 67-83.
31 Osborne 1981-1983 avec la liste des décrets d’octroi de citoyenneté connus (IV 210-21) : les 4 premiers cas datent entre 480 et 322. Voir aussi Todd 1993, p. 167-200.
32 [Aristote], Constitution d’Athènes, 55.3. Maffi 2005 p. 254-289.
33 Le récent dossier Gherchanoc 2015, documente utilement la place des mères dans le dispositif civique.
34 La notion (bouleusis) est plus complexe : [Aristote], Constitution d’Athènes, 57.3 ; MacDowell 1963, p. 58-68.
35 MacDowell 1963, p. 69. Les enfants sont perçus comme des membres de la cité, de statut citoyen : Plutarque, Etiologies grecques 22 à propos de la « tombe des enfants » à Chalcis.
36 [Démosthène] Contre Nééra (LIX), 85-87.
37 [Démosthène] Contre Nééra (LIX), 16.
38 [Démosthène] Contre Nééra (LIX), 52.
39 Andocide, Sur les mystères (I), 16.
40 Sur les glissements de sens de timê (droit, honneur, charge politique), voir l’ambiguïté d’Aristote qui, en Politique 1278a35, joue sur la signification homérique du terme qui englobait alors des honneurs variés, de type aristocratique, et la signification étroite qu’il promeut par la définition restreinte aux charges publiques (de cette ambiguïté découle des divergences dans les traductions : Müller 2014, p. 761 n. 45).
41 Aristote, Politique III, 1279a8-9 pour les archai politikai et 1278a36 et 38 pour les timai. L’expression d’archai politikai apparaît pour la première fois avec Platon (Politique 291d ; République 345e [au sg.], 521b ; Lois 917a).
42 Aristote, Politique III, 1275b 11-29.
43 Aristote, Politique III, 1275a19 et 22. Voir note 15.
44 Aristote, Politique III, 1277a 25-27 et b 13-16.
45 Aristote, Politique III, 1277b 20-25. La comparaison entre le gouvernant et le gouverné est du même ordre que celle entre la sagesse et le courage d’un époux et d’une épouse : « un mari passerait pour lâche s’il n’était courageux que comme une épouse courageuse, et une épouse aurait des propos trop libres si elle n’avait que la réserve d’un homme de bien, puisque même la manière de tenir la maison est différente pour l’époux et pour l’épouse : le rôle de l’un étant d’acquérir, celui de l’autre, de conserver », une opinion qui n’engage que son auteur.
46 Bordes 1982 p. 16. Au préalable, Platon est le premier à avoir ouvert la réflexion sur la politique comme science : Azoulay 2014 p. 692-694. On notera que dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le terme « politique » donne lieu à un long article commentant le substantif dans son usage au singulier : la « politique » équivaut à la « philosophie politique ». D’Aristote à Machiavel, le rédacteur inconnu de la notice explique que la politique « enseigne aux hommes à se conduire avec prudence, soit à la tête d’un état, soit à la tête d’une famille ». La politique, d’une pratique participative, est devenue une science de l’action (Encyclopédie, 12, 917-919 : s.v. politique. http://0-encyclopedie-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/).
47 Sur tous ces aspects il faut regarder la documentation de la pratique et ne pas se fier aux énoncés souvent misogynes ou sexistes des discours prononcés devant les assemblées ou tribunaux par des hommes qui parlent à d’autres hommes. Les variations géographiques et chronologiques méritent d’être étudiées en détail.
48 SEG XV 384 (IVe s. av. J.-C.) : Davies 2000, p. 246-247. Divers exemples de femmes recevant la citoyenneté sont cités dans Heller, Pont 2012.
Auteur
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne-ANHIMA
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