Chapitre 5. De la vieille ville aux faubourgs : développement urbain et dynamiques du peuplement italien dans une ville coloniale
p. 233-301
Texte intégral
1L’histoire des villes algériennes à l’époque coloniale a surtout été entreprise par le biais de l’urbanisme et de l’architecture dans un souci de montrer les ruptures et les continuités pré et post-coloniales1. Les enjeux contemporains des politiques urbaines passées continuent de susciter de nombreux travaux universitaires de part et d’autre de la Méditerranée2. La question du peuplement des villes est en revanche peu abordée contrairement à celui des zones rurales3. Cela tient notamment à un problème de source. Les listes nominatives de recensement, si utiles à l’histoire du peuplement des villes en métropole, ont été peu exploitées pour les communes algériennes parce qu’elles ont été détruites ou sont impossibles à localiser4. Certes, les publications des recensements généraux par le Gouvernement Général donnent un aperçu de la population par commune dans les trois départements, mais uniquement de façon agrégée.
2De ce point de vue, Bône fait figure d’exception. Les listes nominatives de 1872 à 1954 ont été très bien conservées5. David Prochaska s’en est servi pour étudier la distribution résidentielle des populations européennes et algériennes de 1872 à 19546. Son analyse s’appuie sur la comparaison des « indices de concentration relative »7 et des « indices de dissimilarité »8. Il en tire la conclusion que la ségrégation résidentielle demeure très forte entre les trois grands groupes ethniques (Algériens musulmans, juifs, Européens) tout au long de cette période et que Bône, vu sous cet angle, était bien une « ville coloniale »9. Même si elle est aujourd’hui discutée tant la diversité des situations est grande au sein des différents espaces impériaux10, l’expression « ville coloniale » synthétise un ensemble de marqueurs qui en fondent la spécificité11. Bône, nous y reviendrons, n’échappe pas à ce modèle.
3Le travail inédit de Prochaska possède cependant plusieurs limites que nous souhaitons dépasser dans ce chapitre afin d’étudier la place occupée par les Italiens dans l’évolution démographique et spatiale de Bône, et identifier leurs dynamiques résidentielles dans la seconde moitié du XIXe siècle. La première concerne la corrélation entre immigration et urbanisation qui demeure marginale dans sa réflexion. Si l’expansion bônoise est étroitement liée au développement « planifié » de la colonisation dans la région12, elle est aussi le fruit de la croissance continue de la population européenne13. Comme en métropole à la même époque14, un ensemble d’acteurs publics et privés intervient ainsi dans l’aménagement de la ville pour loger les Européens, et pas seulement dans une logique de zonage sécuritaire ou ethnique propre aux villes algériennes15. Il convient donc d’interroger la nature d’une éventuelle politique urbaine à Bône en considérant la place qui est faite aux différentes catégories des populations algérienne et européenne, notamment en matière de logement. Dans son mémoire de géographie urbaine, Lucette Travers avait décrit la transformation progressive de la ville en une agglomération en présentant pour chaque étape les interventions des autorités militaires et civiles16. À partir de ce travail, nous tenterons de comprendre dans quelle mesure l’occupation française puis l’agrandissement de la ville entrepris dès les années 1860 ont favorisé l’accès des Italiens à la ville et à ses différents quartiers.
4En ce qui concerne le peuplement de la ville à proprement parler, David Prochaska en est resté à l’échelle des quartiers ou plutôt des grands ensembles urbains, en respectant les frontières administratives fixées par les états récapitulatifs des recensements quinquennaux17. Mais quid de sa répartition à l’intérieur de ces délimitations ? Comment les différentes composantes de la population citadine se répartissent-elles au sein des quartiers, à l’échelle des rues ou des immeubles ? L’histoire de l’immigration en France, en particulier celle de l’immigration italienne, a montré l’intérêt d’affiner les frontières spatiales de la résidence pour saisir les regroupements de population18. En utilisant cet agrandissement d’échelle, nous tenterons de saisir la formation de quartiers italiens et verrons dans quelle mesure ils peuvent intégrer la famille des « Petites Italies ». Cette expression, qui apparait tardivement en métropole, est utilisée dès la fin du XIXe siècle aux États-Unis19. Les « Little Italies » désignent les espaces de forte concentration italienne « nourries par des chaînes migratoires puissantes » et considérée comme quasiment « hermétiques » à la société d’accueil20. En Afrique du Nord aussi, les appellations « Petite Sicile » et « Petit Naples » apparaissent au début du XXe siècle pour qualifier les quartiers à dominante italienne qui se forment dans plusieurs villes portuaires du littoral nord-africain comme Alger21, Alexandrie ou Tunis22. Tous situés à proximité de l’enceinte portuaire, ces zones de forte densité italienne se caractérisent par leur identité singulière liée à l’origine régionale des individus qui les fréquentent, y résident, y travaillent. À Bône, où la population d’origine italienne est importante mais composite, régionalement et professionnellement diversifiée, nous pouvons nous demander si de tels regroupements se sont formés et s’ils s’apparentent d’avantage aux « isolats ethniques » nord-américains ou plutôt aux « creusets migratoires » de métropole23.
5Enfin, dans son analyse de la résidence, David Prochaska n’a pas traité des mobilités. S’il a bien introduit une dimension diachronique qui lui permet de comparer les grandes évolutions par groupe à chaque date de recensement, il ne suit pas les itinéraires résidentiels des individus et des familles. Identifier les habitants, leurs pratiques résidentielles, leurs mobilités, est pourtant indispensable pour comprendre les villes algériennes et plus largement la société coloniale. Nous nous demanderons ainsi ce qui caractérise la mobilité résidentielle dans une ville coloniale ? Est-elle si différente de celle des villes métropolitaines ? Peut-on parler de « stratégies résidentielles »24 ? Et si oui, quels sont les facteurs qui permettent ou pèsent dans le choix de changer ou non de résidence ? Les études sur les migrations et la mobilité résidentielle ont montré les multiples éclairages qu’apporte l’observation des mobilités hors et à l’intérieur de la ville, notamment en ce qui concerne le degré d’insertion locale25. Les pratiques résidentielles des Italiens seront surtout interrogées dans l’optique de montrer la diversité des enjeux qui les régit et dépasser le seul critère ethnique de la résidence mis en avant par Prochaska. On tentera ainsi de réinterroger la catégorie supposée « homogène » d’Européens à travers l’analyse des itinéraires résidentiels des Italiens.
La formation de la ville moderne et son peuplement : trois ensembles urbains, trois temporalités migratoires (1832-1914)
6Si « Bône n’est pas une création de la colonisation »26, celle-ci a profondément modifié son visage. Son essor démographique et spatial est étroitement lié à l’implantation européenne et aux mutations que connaît sa région tout au long du XIXe siècle. À la différence d’Alger et d’Oran, Bône n’était pas véritablement destinée à devenir le premier port de son département, ni la quatrième ville d’Algérie en nombre d’habitants. À l’époque ottomane, elle est un poste militaire, une citadelle entourée de remparts, une petite ville que l’on traverse « en moins de dix minutes » et où sont concentrés quelques souks d’artisanat local27. Au cours des premières décennies d’occupation, Bône connaît une croissance mesurée en raison notamment de l’ombre que lui fait sa voisine Philippeville. Ce n’est qu’à partir des années 1860 que son port, modernisé sous le Second Empire, devient une plaque-tournante du Constantinois et que la ville s’affirme progressivement comme le poumon économique de l’Est algérien.
7Les Italiens, présents dès le début de la période coloniale, ne sont pas étrangers à la croissance que connaît Bône au XIXe siècle. L’évolution du courant migratoire entre la péninsule italienne et la ville offre même une grille de lecture assez pertinente pour comprendre les transformations successives de sa morphologie. L’époque de la migration maritime correspond à l’ouverture de la ville sur la Méditerranée et l’aménagement des quartiers situés près du port, la première stabilisation des années 1860 à la construction de la ville nouvelle, la sédentarisation massive des années 1880 au développement des faubourgs.
Une vieille ville rapidement saturée (1832-1861)
La ville déployait sa triple architecture,
Le luxe de détails d’une simple nature ;
Près du dôme sacré base d’un minaret,
L’Italien jaloux et dédaigneux étale
Son amour des balcons à l’ombre occidentale
Des murs où l’Europe apparait28.
8Cette citation tirée d’un poème d’Eugène Barbier, ouvrier menuisier parisien transporté à Bône suite aux journées de juin 184829, met en lumière le bouleversement structurel des villes qui se produit dès les premières décennies d’occupation. Ce que l’on peut désigner comme la première phase coloniale, celle de l’occupation militaire des villes, se caractérise par une destruction partielle de l’espace urbain existant et son appropriation par les nouveaux arrivants. Elle s’étend, pour Bône, de 1832, date de sa conquête par l’armée française, jusqu’aux années 1860 et rejoint, dans ses grands traits, la métamorphose commune aux autres villes du littoral algérien. Néanmoins, comme le souligne François Béguin, cette transformation a été plus brusque et plus importante30. Le modèle fonctionnel pensé par les militaires est plaqué sur l’ancien, superposant à la ville arabe et turque une strate supplémentaire européenne. Les descriptions de la ville pour cette époque sont peu nombreuses mais les récits ultérieurs de Bouyac et de Maitrot donnent une vision assez complète des travaux effectués après 183231.
9Depuis sa fondation au XIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, Bône ne connaît guère de transformations qu’à l’intérieur de ses murailles32. La ville est composée d’enceintes percées de quatre portes et dominées par une citadelle, la Casbah, où siège la garnison turque. Celle-ci, indépendante de la cité, est entièrement réaménagée après 183233. Le premier plan de l’époque coloniale est établi en 1833. Il montre une dizaine de rues étroites décrites par René Bouyac comme un agrégat de « boyaux tortueux »34. Ce dernier évoque « un amas de décombres et de maisons en ruines » infesté par les maladies et la putréfaction35. Sicard, membre de la Commission d’Afrique de 1834 rapporte également l’image d’une ville « dans un assez triste état […] un amas de maisons mal construites et malsaines »36. Même son de cloche dans les descriptions faites par Don Giacinto Amati, représentant catholique italien qui voyage à Alger et Bône au début des années 1840. Pour ce dernier, l’atmosphère pestilentielle déteint sur les habitants qui ne ressemblent « non pas à des hommes, mais à des bêtes et des cadavres […] dont il faut craindre la contagion »37. Seules les deux mosquées (Bou Merouane au sud-est, Salah Bey au centre) et la synagogue (au nord-ouest) font l’objet d’un jugement positif des Européens38. En 1855, Alexandre Dumas, y faisant un bref séjour, raconte : « Nos promenades en ville furent assez courtes. La ville ne renferme rien de bien curieux : une assez belle mosquée, voilà tout, et une bible fort miraculeusement enfermée dans la synagogue juive »39. Toutes ces considérations méprisantes sur le patrimoine urbain existant appellent, en quelque sorte, sa destruction et son remplacement.
10Dans la décennie qui suit la prise de Bône, les ingénieurs du Génie réorganisent ce que l’on nommera à partir des années 1860 le quartier de la « vieille ville », en contrebas de la Casbah, c’est-à-dire la ville précoloniale. De nombreux immeubles sont détruits, des rues sont percées ou agrandies, la place centrale de la mosquée, future place d’Armes, est réaménagée40. Des axes larges et rectilignes sont créés pour favoriser la circulation entre le centre, la mer et la Casbah. L’enceinte médiévale est percée en plusieurs endroits pour faciliter l’accès vers l’extérieur. Ces premières transformations d’importance suivent la logique militaire et la rationalité économique valorisées par les officiers du Génie. Comme l’explique Xavier Malverti, la nouvelle organisation spatiale n’a pas d’autres objectifs que de faciliter la mobilité des troupes et d’acheminer les marchandises41.
11Ces interventions architecturales s’accompagnent d’un bouleversement des structures de propriété. Les édifices qui ne sont pas détruits sont pour la plupart réinvestis par les militaires42. C’est le cas de la mosquée Sidi Bou Merouane, réquisitionnée dès 1832 pour y installer l’hôpital militaire43. En 1836, l’armée occupe un total de 266 bâtiments dont une majorité sont transformés en casernes et seulement 22 destinés aux civils44. L’armée n’est pas toujours propriétaire du bâti qu’elle occupe puisque les bailleurs sont généralement des privés, récents acquéreurs européens ou propriétaires autochtones, ce qui n’est pas sans créer des contentieux entre les deux parties. En 1837, dix-neuf propriétaires bônois se plaignent auprès des Chambres métropolitaines de l’impayé des loyers des immeubles loués aux militaires45.
12La première décennie d’occupation est la période au cours de laquelle les Français exproprient le plus massivement les anciens occupants. En 1840, les Européens possèdent déjà 358 bâtiments contre seulement 191 pour les autochtones46. De même, les premiers sont propriétaires de 202 établissements de commerce contre 56 pour les seconds47. L’abbé Banvoy, émissaire de la Congrégation pour la Propagation de la Foi, explique dès 1833 que « les riches commencent par acheter des terres et dans peu de temps, abonderont à Bône les colons qui se consacreront au commerce et à l’industrie. Déjà, nous ne sommes plus dans cet État bédouin, tous se sont soumis et nous sont solidaires »48. Cette élite urbaine, presque exclusivement française49, s’empare dans un premier temps du bâti urbain puis s’approprie les terres et les forêts concédées par le gouvernement de Louis-Philippe. La mainmise sur la campagne environnante par les « colons en gants jaunes »50 et les « fricoteurs »51 est immédiate : les plaines sont transformées en grandes exploitations de culture intensive, les forêts en concessions de liège et de bois destinés à la construction, et les premières mines de la région sont ouvertes dans les années 184052.
13Cet élan économique a pour conséquence d’impulser l’immigration en provenance d’Europe et le départ de quelques familles autochtones même si contrairement à Oran et Alger, Bône compte une population peu importante avant 183053. Elle abrite une garnison turque de 130 hommes logés dans la Casbah et quelques 2500 habitants juifs et musulmans qui résident tous à l’intérieur des fortifications54. La proche campagne est elle aussi faiblement peuplée : quatre tribus, vivant d’agriculture et d’élevage, regroupant environ 8500 individus, habitent la plaine, les montagnes et la forêt de l’Edough55. En 1833, les Européens sont également peu nombreux (225 Français et 559 étrangers). Alimentée par une immigration continue mais irrégulière jusqu’aux années 1860, la composante européenne suit alors de très près l’évolution démographique de la population autochtone, ne la dépassant qu’en 1855 (fig. 47).
14Entre 1833 et 1860, la population européenne augmente de manière presque continue. Celle-ci ne se maintient que par l’immigration puisque l’accroissement naturel reste largement négatif, au moins jusqu’en 1855. Au cours de cette période, le nombre de femmes reste extrêmement faible (1/7 jusqu’en 1840 puis 1/2), ce qui en fait la ville algérienne où la proportion d’Européennes est la moins importante56. Les conditions sanitaires déplorables et les maladies endémiques sont les principales causes de mortalité. Sur les deux graphiques (fig. 59 et 60), les pics décroissants de 1849-1850 et de 1852-1853 sont la conséquence des grandes épidémies de choléra et de malaria qui frappent l’ensemble de la population bônoise57. En outre, la ville, isolée, peine à se ravitailler. Dès 1833, l’Abbé Banvoy rapporte :
Ici c’est très difficile, il n’y a pas de légumes, ni frais, ni secs, les patates aussi manquent ou se vendent quatre sous la livre, nous n’avons pas de viandes, pas de poissons, je ne sais, votre excellence, plus quoi faire. Je ne le demande pas plus pour les Français qui sont ici, parce qu’ils ont trop peu de religion, mais principalement pour les Italiens et les Maltais qui feront leur possible pour choisir quand il sera possible d’établir la loi de l’Église58.
15Très présente dans ces premières années, l’Église chrétienne cherche à s’implanter en s’appuyant sur les immigrants maltais et italiens de plus en plus nombreux. Mais sont-ils si nombreux à résider à Bône au tout début de la période coloniale ? Les premiers chiffres dont on dispose montre que les Français ont toujours été en nombre inférieur aux étrangers européens hormis lors de l’hécatombe de 1849 (fig. 62). Ils sont 723 contre 1244 étrangers en 1836, 1671 contre 2854 en 1846 et 2584 contre 3665 en 1856. On pourrait imaginer que les immigrants italiens et maltais, appartenant aux couches pauvres de la population et bénéficiant d’un accès aux soins limité, sont les plus durement touchés par l’épidémie de choléra 1848-1849, mais « plus de Français décèdent que tous les autres Européens combinés »59. En réalité, la chute de 1849 est liée à une baisse de la fréquentation des coraillères60 ainsi qu’à l’attrait croissant d’autres ports de la région, en particulier Djidjelli, situé à l’Ouest de Bône61.
16Parmi les étrangers, il est difficile d’évaluer le chiffre exact d’Italiens puisque les recensements ne donnent pas systématiquement le détail de la population étrangère avant 1852. La littérature de l’époque et les sources laissent entendre que les Maltais sont en nombre supérieur et ce jusqu’au recensement de 1886. Estimés à un peu plus de 500 en 184262, les Italiens dépassent à peine le millier en 1852 alors que les Maltais sont 1647. Le déséquilibre entre Maltais et Italiens doit toutefois être nuancé. Jusqu’en 1861, les dénombrements annuels effectués au début du mois de janvier ne rendent pas nécessairement compte de la classe maritime italienne souvent en mer à cette période de l’année, ni du séjour transitoire effectué par les braccianti qui rejoignent d’autres points du Constantinois63. On est à l’exact opposé de l’immigration maltaise qui, si elle compte une petite frange de marins-pêcheurs, est essentiellement formée de commerçants et d’éleveurs sédentaires.
17Ceux qui apparaissent dans les chiffres constituent ainsi la population stable de la colonie italienne, essentiellement des artisans, des négociants et des armateurs qui ont fait le choix de se fixer durablement, comme les Palomba originaires de Livourne évoqués dans notre premier chapitre. Ils forment avec d’autres familles françaises et maltaises le premier noyau de peuplement européen de Bône. Les plus riches de ces « pionniers » n’habitent pas, comme à Alger, « des maisons de plaisances louées par des Turcs émigrés »64. Les « folies » n’existent pas à Bône. Ils résident à l’intérieur des murs de la ville, soit dans la partie basse à proximité du port où se concentrent les bâtiments administratifs et militaires, soit dans le quartier réaménagé à l’ouest de la Place d’Armes.
18Certaines familles de pêcheurs italiens ont construit des petites cahutes en bois relativement loin de la ville, le long des plages de la côte Nord, comme la plage Fabre et la plage Chapuis où ils démêlent leurs filets et réparent leurs matériels de pêche65. Beaucoup de mariniers n’ont qu’un pied sur terre, passant les nuits sur leurs navires. Les corailleurs en particulier, éternels nomades, ne quittent le bord de mer que pour se ravitailler dans les commerces intra-muros, renouer contact avec leurs connaissances, fréquenter les cafés et les cabarets, et se signaler comme tout bon marin à la capitainerie du port. C’est ainsi au rythme des saisons de pêche que la ville s’anime, se gonfle et se dégonfle66. La précarité de l’habitat italien et les difficultés à accéder aux logements en dur de la ville s’accroît dans les années 1850, alors que la législation adoptée dans le domaine de la pêche et de la navigation engendre leur enracinement progressif67.
19Comment interpréter cette tendance de la population maritime italienne, qui reste parfois plusieurs mois à terre, à loger sur les navires de pêche ou dans des baraques rudimentaires ? Moins qu’un usage, elle est sans doute une conséquence du manque de logement. Dès le milieu des années 1840, la ville est bel et bien saturée. L’insuffisance de bâtis destinés à l’habitation et le délabrement des maisons où s’entassent les nouveaux arrivants s’imposent comme des problèmes épineux. En 1845, le Tableau des établissements français signale qu’« il ne reste plus aujourd’hui de terrains à bâtir et l’agrandissement de la ville est indispensable »68. Peu de constructions privées ont pu être entreprises à proximité de la ville. D’une part, dans le contexte de « pacification » de la région, l’armée a interdit à la municipalité de délivrer des permis de construire à plus de soixante mètres des enceintes69. D’autre part, la ville est entourée de zones marécageuses nécessitant un plan d’assainissement et d’importants travaux de drainage pour être habitées70. La municipalité civile n’est pas en mesure de prendre en charge ces travaux qui représentent un budget conséquent. L’économie tourne encore au ralenti et la ville échoue à obtenir des subventions de l’État qui concentre alors son effort sur la ville voisine de Philippeville. Malgré l’élaboration de plusieurs projets au cours des années 1850, il faut attendre les années 1860 pour que l’agrandissement de la ville soit enfin entrepris.
Ville nouvelle, ville française (1861-1891)
20Alors qu’Alger et Oran débordent rapidement de leur site primitif, Bône reste confinée dans ses murailles jusqu’au début des années 1860. L’extension tardive de Bône est certes liée aux facteurs économiques et démographiques évoqués précédemment, mais elle est surtout le fait des atermoiements des autorités civiles et militaires qui, bien qu’en accord sur la nécessité d’un agrandissement, peinent à s’accorder sur l’emplacement du futur quartier.
21Le conflit qui oppose les deux parties, somme toute classique dans l’Algérie du Second Empire, freine considérablement l’ouverture des premiers chantiers. La jeune municipalité, menée par Pierre-Auguste Lacombe71, souhaite abattre les enceintes conservées à l’origine pour se protéger d’un danger désormais éloigné. Lacombe, propriétaire et fils d’un chirurgien périgourdin qui se mariera en 1859 à une jeune veuve parmesane72, propose de bâtir la ville nouvelle sur la surface plane située au sud de la cité précoloniale73. Le projet est coûteux étant donné l’ampleur des travaux de drainage et de terrassements qu’il faut entreprendre pour rendre le domaine bâtissable. Au contraire le Génie veut conserver les fortifications pour garantir la sécurité du commerce et propose de construire la ville nouvelle au nord, sur les collines, entre la Casbah et le rocher du Lion. Les deux projets suivent toutefois une logique commune : la juxtaposition de la ville nouvelle à la ville précoloniale, que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble du Maghreb74.
22Ce conflit est définitivement réglé par le conseil du Gouvernement, chargé de valider les plans et de débloquer les crédits nécessaires. Après plusieurs plans rejetés, l’éphémère Gouverneur Alphonse Henri d’Hautpoul finit par répondre aux vœux des civils, le 12 novembre 185075. Comme en témoignent les archives de la municipalité d’Annaba où sont conservés les projets de construction des édifices publics, des commerces, des logements et des voies de communication intra-muros, l’érection de la ville nouvelle n’est entamée véritablement que dix années plus tard, au début des années 1860. La querelle autour des remparts perdura cependant jusqu’à la venue de l’Empereur Napoléon III en 1865, visite au cours de laquelle la population aurait présenté une supplique pour la destruction des murs76. Prescrite par l’arrêté ministériel du 10 juillet 1865, la démolition de l’enceinte médiévale est finalement entreprise en 1869.
23Conformément au projet de 1850, la ville nouvelle est construite aux confins de l’ancienne cité avec une architecture diamétralement opposée. Comme un symbole, les deux espaces sont séparés par une grande artère Nord-Sud, baptisée cours Napoléon (puis cours national à partir de 1870), reliant le port à l’Église principale. Le schéma choisi respecte un système préconçu commun au plan-type de la ville coloniale : une organisation en damier, des rues larges et rectilignes fidèles aux principes hygiénistes de l’époque77, des immeubles sur cinq étages avec les boutiques au rez-de-chaussée et les appartements à l’étage assez proches du modèle haussmannien adopté à la même époque en métropole. Le nouveau quartier est promis à devenir le nerf économique et culturel de la vie européenne locale. Il accueille les marchés et les commerces, mais également les grands hôtels et le théâtre (fig. 49). Dans une logique rigoureuse de zonage, l’essentiel des bâtiments administratifs et des services sont progressivement déplacés vers l’autre versant du cours Napoléon78. La vieille ville conserve toutefois un caractère commerçant et continue d’accueillir des casernes militaires et les entrepôts de l’administration maritime.
24Le nouveau visage donné à la ville en fait rapidement un symbole de la réussite coloniale d’autant que Bône entre dans une période de prospérité économique sans précédent. Dans une lettre adressée à Ismaïl Urbain, datée du 3 avril 1872, le docteur Vital revient sur les cérémonies organisées par la municipalité en l’honneur de la visite de l’Amiral De Gueydon. Il présente Bône comme une ville « prospère » et même « riche » :
Bône est en pleine prospérité […] La municipalité […] lui a fait préparer un punch monstre à 500 souscripteurs […] Ces actes de déférence de la part d’une ville riche et qui peut se passer de tout le monde plairont à l’Amiral. Là l’aisance règne partout, le commerce est actif, la moindre charrue à dix lieues à la ronde se paie 300 francs de location…79
25Le début des années 1870 correspondent en effet à l’âge d’or de Bône qui s’impose comme l’un des principaux centres de commerce de gros et le premier port d’exportation agricole et minier du Constantinois. À l’origine, Bône ne possède pas de véritable port mais seulement quelques zones de mouillage ne permettant pas aux bateaux de fort tonnage d’accoster à quai. La restructuration du port amorcée en 1855 s’est avérée coûteuse et insuffisante bien qu’elle soit considérée à l’époque comme « très réussie »80. La ville souffre également d’un réseau de communication extrêmement réduit et ne dispose pas de liaison directe avec Constantine. La résurrection vient du développement économique de sa région dont la production agricole, forestière et surtout minière s’accroît considérablement après 1860. Comme le remarque René Lespès en 1912, « le développement du port de Bône et la mise en valeur des richesses minières de l’Est constantinois sont deux faits connexes »81. L’augmentation des exportations entraîne la construction de nombreuses routes, de chemins de fer et un agrandissement considérable du port, entamé en 188582. Dynamisée par les opérations militaires en Tunisie dont elle est la rampe de lancement, l’économie bônoise connaît une croissance continue jusqu’à la fin des années 1880.
26Parallèlement à l’économie portuaire essentiellement tournée vers l’exportation, se développe une économie urbaine et coloniale, européenne et algérienne, décrite par David Prochaska comme une « économie urbaine duale »83. Celle-ci fait cohabiter deux univers professionnels distincts. À la population algérienne ses souks et ses cafés maures, aux Européens les échoppes de « denrées coloniales » et les hôtels modernes84. Si elle ne répond pas à un zonage géographique préétabli par l’autorité coloniale comme dans certaines colonies britanniques ou allemandes85, cette partition « ethnique » de l’économie locale contribue à compartimenter l’espace urbain. Il n’y a ainsi que dans la partie la plus éloignée du cours national où est installé le fondouk (marché arabe), ce petit carré entre la porte des Karézas et la rue Bugeaud, « que la vie arabe peut-être saisie sur le fait »86.
27D’un point de vue résidentiel, la ville nouvelle n’attire d’ailleurs que 4 % des Algériens musulmans et 3 % des juifs de Bône en 1872. Les Algériens musulmans habitent en majorité dans la vieille ville (64) et les faubourgs (32 %). Bien que s’amenuisant, cette disparité persiste jusqu’à la Première Guerre mondiale puisqu’en 1911, seul 9 % de la population musulmane habite la ville nouvelle. Si, comme nous le verrons, ils ne résident qu’en très faible proportion dans la « ville blanche », ils n’en sont pas moins présents dans le quotidien diurne pour accéder aux commerces et aux différents services. Au contraire, les Européens représentent 91 % de la population de la ville nouvelle contre 73 % du total de la vieille ville en 1872. Comme le montre le graphique ci-dessous (fig. 50), la vieille ville n’est cependant pas immédiatement désertée par les Européens contrairement à Alger où l’ancienne cité est rapidement délaissée par les allochtones qui préfèrent habiter les nouveaux quartiers. 47 % d’entre eux y résident encore en 1881 contre 31 % pour la ville nouvelle.
28Si la ville nouvelle s’impose comme le quartier européen de Bône, elle est surtout un quartier français (fig. 51). En 1872, alors que les chantiers ne sont pas tout à fait terminés, les Français accèdent en priorité aux nouvelles constructions. Le parc immobilier est réservé à l’élite économique capable de s’offrir les lots de terrains mis en vente par la municipalité et y faire bâtir des immeubles87. À cette époque, les Italiens et les Maltais sont encore peu nombreux à y habiter. Toutefois, le quartier continue de se bâtir dans les décennies suivantes et accueille une population de plus en plus diversifiée. Selon Lucette Travers, c’est la ville nouvelle qui absorbe les vagues d’immigration qui ne trouvent pas à se loger dans la vieille ville. Entre 1896 et 1901, elle aurait ainsi accueilli la moitié des nouveaux arrivants88. Comme nous le verrons par la suite, la quasi-totalité des immeubles de la ville nouvelle sont composés de nombreux appartements indépendants qui sont mis en location et dans lesquels s’installe, à la fin du XIXe siècle, une population extrêmement hétérogène d’un point de vue socio-ethnique.
29Étant donné que l’on ne dispose d’aucun chiffre sur la répartition par quartier des différentes composantes de la population européenne pour les années 1880 et 1890, il est impossible ici de se faire une idée exacte de l’évolution du peuplement de la ville nouvelle au cours de ces deux décennies89. Pour l’heure, il apparaît que sa création ne profite pas directement à la population étrangère qui est encore concentrée dans le vieux quartier. Ces derniers investissent toutefois les maisons et les appartements exigus quittées par les familles françaises rejoignant les logements modernes et lumineux de l’autre côté du cours national. Pour les Italiens, le véritable déplacement se fait surtout vers les quartiers périphériques qui se développent à la fin des années 1880, en particulier le faubourg de la Colonne Randon90.
Croissance démographique européenne et formation des faubourgs (1891-1914)
30La formation des faubourgs et l’extension quelque peu anarchique qui caractérisent la fin du XIXe siècle est la conséquence directe de la dynamique démographique européenne des trois décennies antérieures.
31La période qui s’étend de 1861 à 1891 se caractérise par un fort accroissement de la population européenne (voir fig. 66 ci-dessous). La plus forte augmentation se produit entre 1872 et 1881, une décennie au cours de laquelle le nombre d’Européens double, passant de 13185 à 2005391. La population européenne augmente progressivement dans les années suivantes pour atteindre 22453 individus en 1891. Tout au long de cette phase intense de peuplement, les Européens sont largement plus nombreux que les autochtones. En 1855, Algériens musulmans et juifs représentaient pourtant plus de 50 % de la population bônoise. Seulement six années plus tard, ils chutaient à 33,5 %, pour atteindre le seuil de 25 % en 1891. Plus la démographie européenne se porte bien, plus Bône s’affirme comme une sorte de « désert indigène ». Au XIXe siècle, ce phénomène est commun aux autres villes portuaires comme Alger qui compte, dès 1866, près de 80 % d’Européens92.
32Maltais et Italiens participent à la dynamique démographique européenne en même temps qu’ils alimentent l’évolution de la population française par le biais des naturalisations93. Comme le montre le graphique ci-dessus (fig. 67), les deux populations étrangères suivent une courbe ascendante identique jusqu’en 1876. Cette apparente égalité de croissance est biaisée par le taux très élevé de naturalisations italiennes qui contraste avec l’attrait mesuré des Maltais pour cette procédure94. De fait, ce n’est qu’en 1891 que les Italiens prennent définitivement le dessus sur les Maltais. Pourtant, le courant d’immigration italienne est bien plus intense que celui maltais dès la fin des années 1860. Entre 1866 et 1876, la population italienne augmente de 66 % contre 43 % pour celle maltaise. L’impulsion démographique européenne est donc portée surtout par les Italiens.
33À partir des années 1890, s’ajoute lentement à l’immigration venue d’Europe, une immigration interne de travailleurs tant Européens qu’Algériens qui profitent de la progression fulgurante de l’économie bônoise, progression qui contraste avec l’essoufflement de la colonisa tion rurale et la paupérisation des campagnes. Ce phénomène d’exode rural touche l’ensemble du Constantinois et consacre l’essor des villes du département. Comme le montre le graphique ci-dessous (fig. 54), entre 1881 et 1901, malgré une progression constante en valeur absolue, la population algérienne garde un accès limité à la ville et tombe en dessous des 30 % du total de la population, taux qu’elle ne dépassera qu’à la veille de la Première Guerre mondiale.
34Entre 1891 et 1901, la population française augmente de moitié (49 %) tandis que la population étrangère stagne en raison d’une immigration transméditerranéenne en baisse et l’assimilation continue de la seconde génération par le biais du jus soli. Seule la population italienne, alimentée par une migration en nette progression, double presque entre 1896 et 1906 et s’impose de loin comme la principale composante étrangère (66 %), devant les Maltais (28 %). Les Espagnols, qui composent plus des deux-tiers des étrangers dans l’ensemble des trois départements, ne sont que quelques centaines à Bône.
35La reprise de l’immigration italienne, qui touche l’ensemble des zones urbaines du Constantinois, n’a pas les mêmes propriétés que la grande migration des années 1860-1870. Comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, son augmentation est la conséquence directe de l’émigration massive en provenance de Sardaigne et surtout de Sicile. Ce flot de porions et de carriers est attiré par l’ouverture de mines gigantesques le long de la frontière tunisienne (Ouenza, Kouif, Djebel Onk) qui supplante la dégression progressive des mines de fer sur la route d’Aïn Mokra (Karézas, Mokta-el-Hadid)95. Il vient gonfler les faubourgs, en particulier la Colonne Randon. Les nouveaux quartiers périphériques, dont la construction est encouragée par les municipalités Prosper Dubourg (1878-1888) et Jérôme Bertagna (1888-1903), accueillent en partie les anciens habitants quittant la vieille ville, mais aussi les immigrants d’installation récente, ceux qui n’ont pas encore de situation et sont attirés par la modicité des loyers.
36Le plan ci-après (fig. 55), qui représente la ville telle qu’elle est au milieu des années 1880, est extrait de la toute nouvelle génération des Guides Joanne, publiés par Hachette en 188896. Avec le plan du Guide Piesse de 1891, il sont les seules ébauches topographiques de Bône qui ont été éditées la fin du XIXe siècle. Son intérêt est immense. Il offre une « photographie » de la ville à un moment décisif de son urbanisation. Les deux quartiers (vieille ville et nouvelle ville) semblent ne faire qu’un, entourés d’une vaste ceinture champêtre et maritime. Au sud de la nouvelle ville à peine terminée, sont représentés le champ de manœuvre et le port voulu par le projet de 1855 dans lequel se jette la voie ferrée acheminant le minerai du Mokta-el-Hadid. À l’ouest de la Casbah, une vaste zone rurale accueille quelques fermes éparses et isolées ainsi que la route menant au village voisin de Duvivier. Au nord du canal de la Zaffrania, à proximité du Palais de Justice flambant neuf, plusieurs routes traversent une large bande marécageuse avant de former un nœud97. L’une (future rue Sadi Carnot) rallie le hameau voisin de Sainte-Anne peuplé de quelques familles françaises jusqu’aux années 1880 et l’autre (future rue Garibaldi) mène au Pont Blanc où s’est installée une communauté de chevriers maltais. À l’embouchure de ces deux routes démarre la Colonne Randon qui deviendra dans l’entre-deux-guerres « le plus populeux et le plus grand faubourg de Bône »98.
37Contrairement aux autres espaces périphériques99, la Colonne Randon n’a pas fait l’objet d’une politique d’aménagement bien déterminée de la part des autorités locales. Elle s’est construite à mesure de l’assainissement des marais par un processus de rurbanisation qui a permis la jonction avec le hameau Sainte-Anne. Le faubourg ne se développe qu’à partir de 1891 après que l’exposition agricole et industrielle de 1890 ait incité la municipalité à assainir une partie de la zone contigüe de la ville nouvelle. Aménagé comme un espace de promenade et de loisirs par « le grand urbaniste de Bône »100, Ferdinand Marchis, adjoint municipal et futur maire (1903-1909), la « Colonne » garde un aspect rural dans ses premières années. On y trouve surtout quelques vieilles masures et de petites maisons le long des rues principales. La plupart d’entre elles ne sont pas carrossables et on y circule principalement à pied ou à bicyclette.
38L’urbanisation du Faubourg se fait à un rythme effréné. Le contraste est flagrant lorsque l’on compare les photographies montrant l’entrée de la Colonne, à la jonction de la rue Sadi-Carnot et de l’avenue Garibaldi à la fin du XIXe siècle (fig. 56) et celles du début du XXe siècle (fig. 57). Au fur et à mesure de l’aménagement des rues, des habitations de simple rez-de-chaussée ou des immeubles de rapport sur deux ou trois étages sont construits comme « à la débandade »101. Ces bâtisses contrastent avec les immeubles de la ville nouvelle, plus hauts, plus massifs. Leurs propriétaires sont des « Français de souche » ou des naturalisés. Ces constructeurs privés n’y résident pas pour la plupart mais louent leur propriété à des familles moins aisées tout en continuant de résider dans le centre-ville comme Gaetan Dominique Buovolo.
39Cet entrepreneur de travaux publics italien naturalisé y possède différents immeubles mais continue d’occuper un appartement sur le cours national. Successivement employé des Ponts-et-Chaussées, agent maritime et négociant, Gaetan Buovolo est né à Bône en 1845. Il est le fils d’un maçon originaire de Torre del Greco et d’une fille de corailleur sarde installés à Bône dans les années 1840102. En 1871, il épouse Marie Clémentine Julliot, venue de Paris avec son père Eugène, directeur de la succursale bônoise de la Banque d’Algérie.
40Gaetan Buovolo, qui investit massivement dans l’immobilier après son mariage, est un rouage essentiel de l’immigration italienne. Il est le notable référent, celui qui loge les nouveaux arrivants et les accompagne dans leurs démarches administratives. On le retrouve régulièrement comme témoin dans les actes d’état civil et les actes de notoriété joints aux dossiers de naturalisation. Les adresses indiquées par les Italiens dans les actes mentionnent comme adresse « chez M. Buovolo ». La famille Buovolo incarne ainsi, comme de nombreuses autres, ces familles italiennes bien ancrées dans la société locale qui, faute de posséder des terres ou des immeubles dans la vieille ville, ont accru leur capital foncier par la construction d’immeubles ou l’acquisition de surfaces à la périphérie à fin du XIXe siècle.
41La Colonne Randon n’est pas le seul quartier qui se développe sur les pourtours de la ville nouvelle. Des îlots sont construits avec le concours des grandes compagnies comme Joannonville, un petit quartier excentré situé au sud-ouest de la ville, sur les flancs de la Seybouse, où s’installent des cheminots employés par le Bône-Guelma103. La prolétarisation de la tranche ouest contraste avec l’enrichissement de la côte nord où fleurissent de luxueuses villas comme celle de l’ancien maire Lacombe104. Les baraques des pêcheurs italiens jonchant le littoral sont progressivement réinvesties par les baigneurs dominicaux qui rejoignent à pied ou en calèche les plages de Saint-Cloud et des Caroubiers. Avec la population dispersée dans les zones semi-rurales, cette constellation de petits quartiers détachés du centre forment la « banlieue » distinguée dans les recensements postérieurs à 1876 du Faubourg Sainte-Anne (future Colonne Randon). La banlieue regroupe à peine plus de 4500 habitants en 1901 dont plus de la moitié sont des Algériens. Sa population stagne jusqu’aux années 1920 puis explose sous l’effet de l’exode rural105.
42Au contraire, la Colonne s’impose dès le début des années 1900 comme le second quartier européen puisqu’elle accueille 28 % de la population européenne en 1901 contre 40 % pour la ville nouvelle et 25 % pour la vieille ville. Elle devient surtout un espace partagé entre Français et étrangers puisque 48 % de la population européenne qui habite alors la Colonne n’est pas française. Avec le recensement de 1906, qui laissent apparaître les Français naturalisés, le faubourg apparait comme un quartier largement dominé par la population d’ascendance étrangère.
43En 1906, les différents groupes qui composent la population bônoise sont inégalement répartis dans les trois principaux ensembles urbains (fig. 58). Les Algériens musulmans (55 %) comme les juifs (73 %) se concentrent principalement au sein de la vieille ville106. Leur présence reste très faible dans les zones récemment urbanisées malgré un léger déplacement à la fin du XIXe siècle vers la nouvelle ville. À première vue, la vieille ville, quartier le plus densément peuplé jusqu’au début des années 1930, forme l’ensemble le plus cosmopolite, toutes les catégories de la population étant représentées dans des proportions relativement conséquentes. Ce quartier a priori mélangé est en réalité compartimenté en des sous-zones au peuplement fortement disparate. En effet, les musulmans résident essentiellement dans la partie est, le long de l’ancienne muraille, tandis que les juifs se massent au nord-ouest aux alentours de la synagogue. La population « autochtone » se maintient ainsi dans les mêmes ensembles de rues tout au long du XIXe siècle. En réduisant encore l’échelle, nous verrons que la vieille ville est sans doute, du point de vue de l’habitat, le quartier où la ségrégation est la plus forte.
44Du point de vue résidentiel, Bône se caractérise donc par une forte inégalité de l’espace habité à l’échelle des grands ensembles urbains. Les Algériens, en particulier les musulmans, ont un accès quasi-nul aux nouveaux logements construits de l’autre côté du cours Bertagna (ex-cours national) et restent parqués dans les immeubles délabrés de la vieille ville laissés à l’abandon par la municipalité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Au contraire des Algériens musulmans et des juifs, les Européens ont investi massivement les trois quartiers. Le mouvement, on l’a vu, s’est enclenché à la fin des années 1860. En 1906, ils sont largement majoritaires dans la nouvelle ville (87 %) et la Colonne Randon (94 %), tandis qu’ils comptent pour la moitié de la population de la vieille ville. Toutefois, seuls 25 % des Européens s’y concentrent encore. Jusqu’en 1954, la vieille ville n’abritera d’ailleurs jamais plus de 28 % de la population européenne. Elle sera aussi fortement réinvestie par les Algériens à partir des années 1930107.
45La population européenne est cependant loin de former un ensemble homogène. Le déplacement vers les quartiers neufs ne concerne pas l’ensemble des Européens. Ce sont surtout les Français qui privilégient la Ville nouvelle. Près de la moitié d’entre eux (42 %) y résident en 1906. La surreprésentation de la population française dans ce quartier s’explique par la cherté des loyers assurément trop élevé pour la population étrangère d’installation récente. Les familles italiennes comme maltaises ont plutôt privilégié la Colonne Randon qui regroupe alors 36 % des Européens non-Français. De fait, les disparités résidentielles entre Français et étrangers se sont accentuées depuis les années 1870. Si l’on considère ensemble la population de naissance étrangère (naturalisés et étrangers), il ressort que la Colonne Randon, et dans une moindre mesure la vieille ville, s’imposent comme des espaces de peuplement nettement dominés par un peuplement d’ascendance non-française aux accents fortement italiens.
Des quartiers italiens ?
46Au début du XXe siècle, la population italienne est presqu’équitablement répartie dans les trois grands ensembles urbains bien qu’elle réside majoritairement dans la Colonne Randon (38 %). La comparaison des deux recensements de 1876 et 1906 donne une première indication sur la différence de temporalité dans le peuplement italien au sein de chacun des quartiers (tab. 16). Tandis que la vieille ville s’impose comme un espace de peuplement durable, la Colonne aimante une population italienne qui se densifie considérablement entre les deux dates. Elle n’accueille pas seulement les grandes vagues d’immigration mais aussi les anciens habitants attirés par la modicité des loyers. Les Italiens de la Colonne ne sont donc pas les mêmes que ceux de la vieille ville et de la nouvelle ville.
47La Colonne attire surtout une population d’ouvriers et d’artisans, tandis que les deux quartiers du centre-ville restent habités par des pêcheurs et des commerçants. La comparaison des comportements résidentiels des Italiens naturalisés nés en Italie avec les Italiens étrangers et l’ensemble des naturalisés permet d’émettre plusieurs hypothèses quant à l’importance de critères déterminant la résidence autres que la seule lecture ethnique proposée par David Prochaska. Les Italiens naturalisés nés en Italie forment une catégorie spécifique dans le groupe des naturalisés. Le graphique ci-dessous (fig. 59) montre que la répartition résidentielle des Italiens naturalisés nés en Italie n’est pas représentative de celle de l’ensemble des naturalisés.
48Ces données montrent une divergence des pratiques résidentielles des immigrants italiens naturalisés par rapport à celles des Maltais naturalisés et même des Italiens naturalisés qui eux sont nés sur le sol algérien. Deux variables peuvent être avancées pour expliquer cette différence : l’ancienneté de résidence et la profession qui sont d’ailleurs deux facteurs connexes. Le fait que plus de 40 % des Italiens naturalisés Français nés en Italie habitent la vieille ville peut ainsi s’expliquer par la surreprésentation des individus exerçant un métier de la mer. Au contraire, la faible proportion d’Italiens naturalisés dans la Colonne s’explique par la proportion réduite des ouvriers de l’industrie dans cette catégorie. Si la résidence n’est pas un indicateur infaillible de la condition sociale, elle en donne toutefois de nombreux indices109.
49Par rapport à l’ensemble des naturalisés, on retrouve beaucoup de nos pêcheurs dans la banlieue110 puisqu’ils sont encore nombreux à habiter des baraques de fortune situées près de la Seybouse et des plages de la côte nord111. Dans un rapport remis en 1890 à Édouard Barbey, alors ministre de la Marine, l’inspecteur général des pêches maritimes Bouchon-Brandely nous renseigne sur l’habitat des familles de pêcheurs italiens qui se sont groupés à l’embouchure de la Seybouse, à son confluent avec l’Oued Bou-Djema112 :
Sur une grève plate et sablonneuse, entre les touffes de cactus et de ronces, s’élèvent une douzaine de gourbis, bâtis en roseaux […] De longues toiles de filets, tendues sur des pieux sèchent au soleil ; entre les barques halées sur les berges, dorment à demi-nus ces pauvres pêcheurs, ignorants de bien des joies, peut-être aussi de quelques peines, dont la seule ambition est de gagner un peu de pain. Ils prennent dans les oueds des anguilles et des aloses qui remontent jusqu’au lac Fetzara, des barbeaux, des soles et des crevettes. Ce poisson est généralement de faible qualité ; il est acheté à bas prix par la population israélite de la ville113.
50Pour Gaston Loth, qui compare les gourbis des pêcheurs de la Seybouse à des « campements d’Indiens sauvages », le regroupement de la population italienne dans certains pans de la ville répond davantage à « une nécessité de métier plutôt qu’à une préméditation »114. En effet, la formation d’îlots italiens à Bône est surtout régie, comme nous allons le voir, par des logiques d’activités.
Le quartier de la Marine : Un « Petit Naples » au cœur de la vieille ville ?
51Malgré l’attraction croissante de la ville nouvelle et le déplacement d’une grande partie des institutions et des commerces, la vieille ville continue d’accueillir une population nombreuse au début du XXe siècle. Comme le remarque Lucette Travers, « la vieille ville n’a pas été abandonnée par les hommes comme elle l’a été par les diverses activités »115. En 1911, elle accueille toujours 36 % de la population bônoise et demeure le principal lieu de vie et de sociabilité, un quartier populaire où les Italiens sont toujours bien représentés. Au début du XXe siècle, ils y possèdent l’indice de concentration le plus élevé116. En 1906, 30 % des Italiens résident encore dans l’ancienne cité tandis que les populations française (28 %) et maltaise (21 %) se sont davantage déportées vers les autres espaces.
52À première vue, la vieille ville apparait comme un quartier cosmopolite où cohabitent l’ensemble des composantes de la population bônoise dans des proportions relativement équivalentes à l’exception des Maltais dont le nombre décroit fortement à la fin du siècle. Les Italiens sont certes moins nombreux que les Français de nationalité mais si l’on distingue les Français d’origine des naturalisés, on peut supposer que la population d’ascendance italienne y est majoritaire. On y retrouve d’ailleurs un tiers (33 %) des Italiens naturalisés inscrits comme électeurs en 1905.
53En réalité, la vieille ville, bien que peu étendue, se divise en différentes zones qui n’ont ni la même architecture, ni le même peuplement. Le cœur de l’ancienne cité et la partie Ouest ont subi plusieurs transformations qui ont contribué à forger leur identité spatiale : les rues y sont relativement larges, animées et « très passantes », telle la rue Neuve Saint-Augustin surnommée « la petite rue de Rivoli de Bône »117. Longées de trottoirs, ces voies transversales accueillent des immeubles modernes sur plusieurs étages et des boutiques majoritairement européennes. On y retrouve plusieurs institutions civiles et militaires telles la Justice de paix et les maisons consulaires. Le vice-consulat d’Italie, notamment, se situe au 2 rue de l’artillerie près du Cercle des officiers, précisément au débouché de la spacieuse rue du 4 septembre menant au port118. Ses locaux se trouvent derrière la mairie, dans le mellah bônois119, près de la Synagogue autour de laquelle réside la communauté juive120.
54En revanche les parties Sud et Est, bien qu’ayant connu quelques modifications superficielles, abritent toujours de nombreuses ruelles escarpées, des impasses sombres et insalubres, des immeubles anciens, délabrés, et peu de boutiques. C’est dans cette zone que se concentre la population italienne au sein du quartier dit « de la Marine » où elle côtoie surtout des Algériens et des Français d’ascendance italienne.
55En Afrique du Nord, les quartiers dits « de la Marine » ont un certain nombre de points communs. Chaque grand port possède sa « Marine », poumon de la vie locale alors largement rythmée par les va-et-vient incessants des pêcheurs et des passagers débarquant des navires. Pour les nouveaux arrivants, il n’est d’autre moyen pour se rendre en ville que de la traverser. S’y concentrent de fait les garnis et les hôtels de passage qui côtoient les cafés, les négoces de matériels de pêche, les offices maritimes et commerciaux. Les « Marines » sont des lieux très fréquentés mais peu fréquentables, ils sont des « lieux-mêlés » faits de ruelles étroites où « les couteaux » sont toujours prêts à être sortis121. À la fin du XIXe siècle, ces quartiers sont associés à la population maritime italienne qui les fréquente, les habite, les font vivre. Alger possède ainsi son « Petit Naples », Tunis sa « Petite Sicile »122. Qu’en est-il de la Marine de Bône ?
56À Bône, la Marine se trouve au sud de la vieille ville (en grisé sur la carte, fig. 62). Ainsi que le note Alain Blanc, les rues et les venelles du sud de la place d’Armes sont « fréquentées surtout par la population indigène et napolitaine » mais aussi par les militaires et les administrateurs du port123. Dans les cafés se côtoient Européens et Algériens, proximité qui ne manque pas de surprendre certains visiteurs métropolitains comme le Provinois Bourquelot qui visite la place d’Armes au début des années 1880 : « À quelques pas de l’établissement maure existe un café très fréquenté par les officiers de la garnison avec lesquels je vis fraterniser plusieurs indigènes contrairement à ce que j’avais observé jusqu’alors. Pourquoi cette exception ici ? »124.
57La Marine est fréquentée par l’ensemble de la population maritime italienne qui y trouve les échoppes, les ateliers et les services dont elle a besoin. La place Faidherbe, qui fait face à la mer, accueille les locaux de la capitainerie du port à partir des années 1850125. Tout marin y présente son livret à chaque débarquement ou embarquement et se fait enregistrer dans les registres matricules126. Le quartier fonctionne un peu comme le « terrain de rencontre des sédentaires et des migrants »127. S’y croisent les foules de pêcheurs saisonniers, d’ouvriers débarquant des paquebots et les résidents à l’année, essentiellement des familles d’ascendance italienne.
58Au début du XXe siècle, les Italiens naturalisés exerçant les professions de capitaine, de marin, de pêcheur ou de matelot résident en majorité dans le quartier de la vieille ville (120 sur 201)128. Comme le montre la carte ci-dessous (fig. 81), près de 72 % (86 sur 120) d’entre eux habitent la partie basse de la ville entre la rue du 4 septembre, la place d’Armes, la rue d’Armandy et le front de mer. 55 % (66 sur 120) sont installés dans le quartier de la Marine, au sud de la rue Louis-Philippe. Les Italiens naturalisés domiciliés dans ces quelques rues sont majoritairement originaires de Campanie et des Pouilles. Les Campanais sont presque tous des corailleurs originaires de Torre del Greco. Les Apuliens, essentiellement originaires de Trani, habitent surtout aux abords de la place Faidherbe et de la rue du Bédouin mais ils sont aussi déclarés comme logeant « à bord de leurs balancelles »129. C’est le cas de Jean Pianotti et Felix Di Bello, deux marins-pêcheurs tranesi nés dans les années 1850 qui résident officiellement sur la balancelle Aurora armée à Trani. Ces exemples confortent l’idée que la naturalisation n’est pas nécessairement synonyme de sédentarisation.
59Le quartier de la Marine de Bône constitue à la fois un « port de premier entrée »130, c’est-à-dire un espace d’accueil des primo-arrivants, et un espace de sédentarisation durable de la population maritime sur le modèle de la Joliette, du Panier ou de Saint-Jean à Marseille131. À Bône, il semble que ces deux modèles aient coexisté jusqu’à la Première Guerre mondiale. Le quartier de la Marine a très tôt été investi par la population maritime italienne qui s’est sédentarisée au cours des années 1860, suivie par une immigration plus importante et plus diverse mais encore fortement composée de mariniers et d’ouvriers du port, y posant bagage le temps de se faire une situation et de trouver meilleur nid dans les zones de l’intérieur.
60Néanmoins, contrairement aux quartiers marseillais situés près du port, la Marine de Bône accueille des familles plutôt que des célibataires132. Si le poids de l’immigration familiale est important dans la population maritime italienne, en particulier chez les Tranesi133, la présence de nombreuses familles s’explique par la nature et surtout le coût des logements. Dans la vieille ville, les petits immeubles et les maisons étroites et peu confortables sont souvent partagées par plusieurs familles qui se divisent le prix de la location. Au contraire, les grands appartements individualisés de la ville nouvelle sont souvent trop chers pour les modestes familles de marins, même si nous le verrons, ils sont parfois occupés par plusieurs célibataires.
61Dans les rues du quartier de la Marine, les familles italiennes naturalisées cohabitent avec les familles italiennes et françaises d’origine, ainsi qu’avec quelques familles anglo-maltaises, mais elles ne partagent pas les maisons avec la population algérienne confinée dans les impasses sombres et étriquées. L’apparent cosmopolitisme de la vieille ville est ainsi brisé lorsque l’on réduit l’observation aux rues et aux immeubles. Nous pouvons prendre l’exemple de la rue et de l’impasse Joséphine qui se trouvent à l’ouest du quartier et qui joint la rue Louis-Philippe à la rue Saint-Louis (fig. 64). La rue Joséphine illustre dans des proportions relativement proches la composition de la population européenne de la vieille ville à la fin du XIXe siècle. Les six immeubles habités qu’elle compte sont principalement occupés par des familles dont le chef est d’origine italienne, qu’il soit étranger (7 cas) ou naturalisé (4 cas). Les deux foyers tenus par des « Français de souche » sont composés d’un jeune couple de condition modeste (l’homme est journalier, âgé de 21ans et sa femme est âgée de 16 ans) et d’une veuve sans profession avec un jeune garçon de 7 ans.
62Parmi les professions signalées des chefs de famille italiens, on retrouve cinq hommes dont un ancien marin, un portefaix, un journalier, un revendeur et un cordonnier, ainsi que deux femmes déclarées journalière et ménagère. L’immeuble le plus peuplé regroupe sept familles (3 italiennes naturalisées, 3 italiennes, et une anglo-maltaise) avec une moyenne de six individus par foyer. Les foyers mêlent des individus de statuts variés : les enfants d’étrangers peuvent être catégorisés comme Italiens naturalisés ou Français selon que s’applique à leur cas ou non la loi de 1889. La population européenne de la rue Joséphine est jeune (21 ans de moyenne) et ne compte que deux célibataires, un revendeur anglo-maltais et un jeune chauffeur italien de 20 ans, Daniel Sasso, sans doute originaire d’Ischia, dont on n’a point retrouvé trace dans l’état civil.
63L’exemple de la rue Joséphine témoigne du mélange européen en même temps qu’il fait apparaître la ségrégation de l’habitat entre Européens et Algériens. En effet, la composition européenne et familiale de la rue contraste avec celle de l’impasse qui lui est perpendiculaire. Celle-ci est presqu’exclusivement peuplée d’hommes célibataires tunisiens, « arabes », « kabyles ». Ces derniers sont tous portefaix ou manœuvres certainement employés aux travaux sur le port. On remarque aussi l’importance d’une population italienne qui semble sédentarisée, avec femmes et enfants, souvent nés dans la colonie et possédant le statut de Français. Un travail quantitatif approfondi sur les listes nominatives de recensement permettrait de faire un tableau précis de la population aux différentes époques et de mesurer les évolutions non seulement résidentielles, mais aussi socioprofessionnelles et familiales.
64Finalement, le zoom sur le quartier de la Marine de Bône incite à nuancer l’idée d’une vieille ville où se mélangent les Européens et les Algériens, du moins du point de vue de la résidence. La cohabitation existe mais se limite à l’échelle du quartier et n’est plus visible aux échelons inférieurs, de la rue ou de l’immeuble. Au contraire, les Européens d’origines diverses mais de situations sociales communes s’y mélangent. La concentration de familles italiennes et naturalisées, dont les chefs exercent une activité professionnelle tournée vers le port, sont les marques d’un territoire où l’Italie a pris durablement racine. Comme le carrefour de rues de la Villette à Paris, où se sont stabilisés durablement les Ciociari étudiés par Judith Rainhorn, les ruelles étroites de la Marine forment un espace de stabilisation pour les méridionaux de Trani et de Torre del Greco et ses environs, regroupés aussi à Bône derrière le vocable générique de « Napolitains »135.
65Cependant, malgré la concentration italienne autour du port, la Marine de Bône n’a jamais été qualifié de « Petite Italie », ni de « Petit Naples » comme à Alger136. L’empreinte laissée par la population maritime sur la vieille ville est d’ailleurs limitée et le folklore maritime des communautés de pêcheurs n’y est pas aussi visible que, par exemple, dans le quartier Saint-Jean de Marseille à la même époque137. Nous n’avons croisé aucune source mentionnant des manifestations ou des processions organisées par la population maritime. La dispersion des Italiens dans les trois quartiers en est certainement la cause. D’autres noyaux italiens, non moins importants, ont aussi été identifiés dans les deux autres ensembles urbains.
Un immeuble italien au cœur de la ville nouvelle : le 16 de la Rue Gambetta
66Au début du XXe siècle, la ville nouvelle est le quartier privilégié par les Européens (36 % y habitent en 1906). Mais contrairement à la vieille ville, les Français, écrasent les autres communautés : 67 % des Européens de la ville nouvelle sont Français. Cependant, parmi les 5867 Français, 2884 (soit 42 %) sont des Français naturalisés. Toutefois, même en additionnant les naturalisés aux Italiens (2157) et aux Maltais (1008), la vielle ville reste l’espace dans lequel la concentration de la population « française de souche » est la plus forte138.
67Dans ce quartier aux immeubles neufs et aux rues aérées, les prix du logement sont plus élevés que partout ailleurs. Le quartier profite d’abord aux Bônois depuis plusieurs générations et aux Européens les plus aisés qui ont fait le nécessaire pour s’assurer la propriété ou la location d’un bel appartement dans les premiers immeubles au cours des années 1870. C’est le cas, par exemple, de Jérôme Bertagna, futur maire de Bône d’origine italienne, qui acquiert un appartement sur la rue Perrégaux, première parallèle au cours national, dès la fin des années 1870. Au cours des années 1880, l’augmentation rapide de la population entraîne la construction d’immeubles sur deux étages, « à logements nombreux, aux pièces petites, où la place est utilisée au maximum »139. La densité varie très fortement selon les ensembles de rues. Globalement, plus on s’éloigne du centre du quartier, moins la densité est forte et plus l’on voit apparaître « quelques maisons à appartements bourgeois » en particulier dans la zone méridionale et celle longeant le cours national140. C’est surtout dans le centre que se concentre la population italienne et naturalisée.
68Comme le montre la carte ci-dessous (fig. 65), nos 128 immigrants italiens naturalisés habitant la ville nouvelle en 1905 ne sont pas dispersés aléatoirement mais sont essentiellement installés au centre du nouveau quartier141. Aucun d’entre eux ne réside dans la partie Sud qui est une zone peuplée par des fonctionnaires et de riches négociants français. On en retrouve quelques-uns au sud de la rue Thiers, sur la rue Prosper Dubourg, à proximité de la petite darse et de la Gare. Ceux qui habitent les immeubles monumentaux du Cours Bertagna, l’avenue des boutiques et des hôtels de luxe, sont entrepreneurs, industriels, débitants ou employés des grandes compagnies de navigation, comme Charles Gallo, ancien patron corailleur livournais installé depuis les années 1850 à Bône142. Son père, né à Torre del Greco, s’installe comme beaucoup d’autres corailleurs dans la paroisse littorale de Saint-Jacob en eaux-vives de Livourne au début du XIXe siècle, profitant de capitaux de la communauté juive pour faire les campagnes de pêche sur la côte du corail, avant de s’installer à son propre compte à Bône dans les années 1840.
69À côté de ces quelques privilégiés, les Italiens naturalisés se concentrent principalement autour de l’axe Gambetta-Bugeaud qui traverse de long en large la ville nouvelle. Leurs profils sont plus variés que dans la vieille ville puisqu’à côté des mariniers, on retrouve surtout des artisans, des commerçants et des employés du chemin de fer. Ces derniers travaillent tous pour la Compagnie du Bône-Guelma, l’un des principaux employeurs dans la région au début du XXe siècle143. Ils sont nettoyeurs, poseurs, monteurs, maçons, saboteurs, wagonniers. Originaires de Torre del Greco, Ischia ou encore Livourne, ce sont pour la plupart d’anciens corailleurs reconvertis dans le secteur bônois le plus actif depuis le déclin de la pêche au cours des années 1880. Beaucoup d’Italiens font carrière dans le chemin de fer, franchissant les échelons : de simple ouvrier à contremaître, de simple poseur de rail à chef de brigade. Comme le montre la carte ci-dessus (fig. 83), il n’y a pas de regroupements par origine relativement significatifs. La prédominance des Campaniens (en rouge vif) n’est que le reflet de la composition de l’immigration italienne à Bône.
70Les immeubles sur quatre ou cinq étages de l’axe Gambetta-Bugeaud possèdent plus de logements que les petits bâtis de la vieille ville, à l’image de ceux de la rue Joséphine. Dans ce quartier où la densité verticale est beaucoup plus forte, certains édifices comptent parfois une vingtaine d’appartements. C’est le cas du bâtiment que nous avons choisi d’explorer au n° 16 de la rue Gambetta (croix noire sur la fig. 65)144. Le 16 de la rue Gambetta est solidaire d’un bloc qui occupe tout un pâté de maison, traversé par une galerie commerciale, le passage Sens, qui appartenait à la famille Sens-Olive originaire de Cadéac dans les Hautes-Pyrénées145. Les frères Sens-Olive, Bertrand et Jean-Pierre, tous deux négociants et propriétaires, seraient venus dans les années 1860 et auraient acquis plusieurs immeubles à Bône146. Le bâtiment qu’ils possèdent est l’un des plus imposants de la rue (ci-dessous à droite avec le balcon au 3e). Au rez-de-chaussée, on distingue une enseigne de facteur (fabricant de Piano) du nom de Collin. Les larges trottoirs longent des vitrines bien achalandées qui mènent jusqu’au grand marché couvert, centre commercial de l’agglomération.
71En 1896, la municipalité recense trente-six ménages au 16 rue Gambetta : douze dont le chef est Italien, dix « Français de souche », six étrangers européens naturalisés, deux Maltais, deux « indigènes », un « israélite naturalisé » et un tunisien (fig. 67)147. L’unique famille de juifs naturalisés, dont le chef est cordonnier, fait figure d’exception puisque la population juive, très pauvre, celle dont l’indice de ségrégation est le plus élevé, réside presque exclusivement dans la vieille ville148. Toutefois, Lucette Travers explique que la maigre population juive de la nouvelle ville s’était regroupée dans cette zone entre la rue Messmer et la rue Bugeaud, au point de jonction du fondouk et du marché européen149.
72La forte présence italienne dans cet immeuble ne cadre pas avec la composition globale de la population de la ville nouvelle mais elle concorde plus avec la population de la rue Gambetta et du nœud de rues dont elle dépend. Aucun des chefs de foyer italiens n’exerce la profession de marin. En revanche, la moitié d’entre eux sont des journaliers, sans autre précision. On retrouve également deux cordonniers, un maçon, un briquetier, un portefaix ainsi qu’un musicien. La population italienne de l’immeuble est, comme l’ensemble des occupants européens de la ville nouvelle, davantage tournée vers l’industrie et l’artisanat urbain. Les « Français de souche » ne sont d’ailleurs guère mieux lotis que leurs voisins italiens : ils sont aussi journaliers, portefaix, carrossiers ou encore maçons.
73Dans cet immeuble vivent plusieurs célibataires et sans doute des gens de passage comme ce musicien italien accompagné de sa femme et dont on ne retrouve aucune trace dans l’état civil. Peut-être est-il venu à Bône pour collaborer à l’une des nombreuses sociétés musicales dirigées par des Italiens naturalisés et qui animent la société locale150. Les cinq célibataires sont tous des journaliers. On retrouve un Italien, deux Arabes et deux Kabyles, les quatre derniers partageant peut-être un seul et même appartement151. Ces travailleurs isolés sont en quelque sorte des « célibataires géographiques » contraints à rejoindre la ville pour travailler152. Contrairement aux foyers de la rue Joséphine, plusieurs ménages européens de l’immeuble regroupent trois générations, les parents veufs vivant sous le même toit que leurs enfants ou leurs petits-enfants. Ces derniers restent très tardivement au domicile de leurs parents, ne le quittant qu’après le mariage. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, l’âge de mariage étant relativement avancé chez les Européens d’Algérie, le départ du domicile familial se fait généralement tardivement.
74Le 16 de la rue Gambetta rappelle la composition des populations des hôtels meublés des villes de métropole avec ses travailleurs temporaires et ses familles d’immigrants mais il n’en est pas un153. À la fin du XIXe siècle, Bône est encore une ville en mouvement où, nous le verrons, la mobilité résidentielle est très forte, les parcours de vie souvent instables et la progression sociale rapide. L’exemple du 16 de la rue Gambetta n’est pas représentatif de l’ensemble de l’habitat de la ville nouvelle mais il montre un certain visage des villes coloniales algériennes qui, en perpétuelle transformation, ne sont jamais figées. Les différents quartiers ne sont pas socialement homogènes mais regroupent des populations diverses même s’il existe un zonage entre Européens et Algériens. Moins qu’une ségrégation ethnique que Prochaska a mise en avant, ce qui ressort du recensement du n° 16 de la Rue Gambetta est surtout que des facteurs socioprofessionnels et familiaux régissent davantage les pratiques de l’habitat dans les grandes villes algériennes.
Un « territoire italien » dans le faubourg : le coin de la « vraie Colonne »
75Le troisième espace de concentration italienne se trouve à la périphérie de la ville nouvelle, au tout début de la Colonne Randon. Quartier italien par excellence, où les Algériens musulmans représentent à peine 5 % de la population avant la Première Guerre mondiale, le faubourg accueille surtout le prolétariat européen154. Contrairement aux travailleurs maritimes, aux commerçants ou aux artisans, les ouvriers sont sensiblement plus nombreux à se loger dans les rues de l’industrieuse Colonne Randon.
76Parmi les naturalisés qui exercent dans le secteur industriel, on ne trouve pas uniquement des ouvriers sans qualification et des simples manœuvres mais un certain nombre d’entrepreneurs, notamment dans le secteur de la construction.
77À Bône, l’industrie du bâtiment compte parmi les secteurs les plus structurés au sein duquel les Italiens ont prospéré rapidement, dès les premières années de la conquête. Dans les villes du littoral algérien fraîchement occupées, le besoin de la construction, notamment de logements, nécessitait le concours de nombreux ouvriers mais aussi d’entrepreneurs et d’architectes à qui confier la responsabilité des chantiers. Ces derniers étaient en revanche peu nombreux. De fait, comme l’explique Louis de Baudicour « à défaut d’architectes, on prenait des maçons, à défaut des maçons, des manœuvres »155. Selon Gaston Loth, cette situation favorisa l’ascension sociale d’un grand nombre d’ouvriers italiens : « les plus habiles d’entre eux, ayant réalisé quelques économies, se haussèrent d’un degré dans l’échelle sociale. De simples ouvriers ils devinrent tâcheron, c’est-à-dire qu’ils obtinrent la construction à la tâche de bâtiments d’importance secondaire »156. Ainsi, à Bône, les patrons du bâtiment forment aux côtés des armateurs une frange importante de l’entreprenariat local, que Luigi Testa nomment « l’élément transformateur de la colonie italienne »157. Ils ont trouvé dans les rues de la Colonne Randon un lieu où établir leurs entrepôts et leurs ateliers comme Charles Morandi, fils d’un maçon carlofortain immigré à Souk-Ahras, qui installe sa menuiserie rue Tirman, derrière l’église Sainte-Anne, à la fin du XIXe siècle.
78La migration des travailleurs du bâtiment n’a pas la même structure que celle des marins et des pêcheurs. Elle ne provient pas des même régions, ni ne possède les mêmes leviers. Sur les trente-neuf naturalisés exerçant dans le secteur de l’industrie, six sont des entrepreneurs et aucun d’eux n’est Campanais. Ils sont Piémontais, Lombards, Sardes ou encore Latins. Ces entrepreneurs solidement implantés ont développé au cours des décennies leurs propres filières de recrutement158. Lorsque les chantiers l’exigent, ils font venir des terrassiers, des monteurs, des maçons, des chauffeurs, des charpentiers et des menuisiers. Contrairement aux patrons, les ouvriers sont plus jeunes et viennent surtout des régions de Trapani et d’Agrigente, ainsi que des villages de l’intérieur campanais comme Roccapiemonte. Au début du XXe siècle, les entrepreneurs naturalisés sont d’ailleurs accusés par les Délégations financières algériennes de favoriser l’emploi de la main-d’œuvre étrangère plutôt que de recruter des ouvriers de nationalité française159.
79Comme dans la ville nouvelle, la répartition résidentielle des Italiens naturalisés est inégale selon les différentes zones. Ils habitent principalement sur les deux grands axes que sont l’avenue Garibaldi (ancienne rue de la Fontaine) et la rue Sadi Carnot (ancienne rue de l’Edough), mais aussi sur la rue des Prés salés (future rue Eugène François) et l’avenue Célestin Bourgoin160. Cet ensemble correspond au début de la Colonne, ce que Alain Blanc appelle « la vraie Colonne », celle où « se démènent les faubouriens »161. C’est ici que se concentrent alors les modestes immeubles « coloriés à la mode italienne »162, les cafés et les guinguettes, les commerces et les petits ateliers où se forgent les premiers sédiments de la conscience ouvrière bônoise. Les bâtisses n’y sont pas toutes numérotées. On habite des « maisons » qui portent le nom du propriétaire français ou naturalisé, descendant généralement de vieilles familles bônoises d’origine française (Bouyac, Sénac Pagès, Galland), maltaise (Borg, Bussutil) ou italienne (Pagano, Urtis, Scognamiglio). Ces maisons sont parfois suffisamment grandes pour être partagées par plusieurs familles, ce qui laisse présager des pratiques résidentielles régies par des « espaces de la parenté »163. Au commencement des deux voies principales, l’avenue Garibaldi et la rue Sadi Carnot, les Italiens étrangers sont également les plus nombreux. En 1896, Lucette Travers en compte 257 sur la première, 203 sur la seconde, qui cohabitent avec 373 « Français de souche » et naturalisés164.
80Au tournant du XXe siècle, la Colonne Randon est très prisée par les Bônois. Proche de la ville, cette zone semi-urbaine attire une population à la recherche de verdure et d’air frais. La composition hétéroclite des Italiens qui y habitent montre qu’à cette époque il n’y a pas de clivages marqués de la résidence entre les différentes couches, ce qui explique peut-être que les entrepreneurs et les journaliers habitent les mêmes rues. Dans un certain sens, la Colonne Randon ressemble au quartier espagnol de Bab-el-Oued à Alger. Un quartier populaire d’une très forte mixité sociale et ethnique, mais où les Algériens sont absents165. À Bône, le bas de la Colonne reste le premier espace de peuplement italien jusqu’à la fin de la période coloniale, laissant dans les mémoires une empreinte profonde puisqu’il est encore appelé aujourd’hui « le quartier des Italiens ».
81Finalement, Bône possède sous bien des aspects les traits d’une ville coloniale dans laquelle la population allochtone occupe une position dominante. Les Algériens y sont peu nombreux et sont surtout confinés dans un quartier durant tout le XIXe siècle, ce qui est non seulement un signe de la stagnation démographique de cette population, mais renvoie aussi à un certain immobilisme de ses conditions de vies. Tandis qu’une large frange des Européens, tant français qu’étrangers, accède au confort de la nouvelle ville et à l’atmosphère paisible de la Colonne Randon, les Algériens restent en marge de ces espaces où se forgent l’identité française d’Algérie. Contrairement à eux, les Italiens sont pleinement intégrés au processus d’urbanisation. C’est bien dans ces dernières décennies du XIXe siècle que la dimension italienne de Bône s’affirme pleinement et que les empreintes laissées par la diversité italienne marquent durablement le territoire urbain et son histoire comme c’est le cas dans certains quartiers de Marseille à la même époque166. Il y a certes des disparités dans la résidence entre les différents sous-groupes européens, mais l’étude des trois îlots italiens montre que malgré la formation de zones de peuplement fortement italianisées, celles-ci ne sont pas coupées du reste de la ville. Au contraire, elles sont pleinement intégrées à chacun des quartiers, déteignant sur leurs identités singulières. Derrière ces disparités, il faut ainsi comprendre des degrés d’insertion sociale et professionnelle propres à chaque temporalité migratoire plutôt que des inégalités purement ethniques ou juridiques, la naturalisation n’étant encore une fois qu’une donnée parmi d’autres de la stabilisation des Italiens. À la veille de la Première Guerre mondiale, les quartiers italiens de Bône s’apparentent déjà à des « creusets migratoires » plutôt qu’à des « isolats ethniques », creusets renforcés, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, par la construction d’un devenir commun.
Habiter hors et à l’intérieur de la ville : itinéraires résidentiels et parcours de vie en situation coloniale
82La reconstitution des « trajectoires résidentielles » est une pratique relativement courante en histoire de l’immigration comme en géographie urbaine mais jamais utilisée dans le cadre algérien167. Or, les villes algériennes offrent un terrain d’observation fertile malgré une évidente carence de sources168. Le temps colonial n’est pas le même que celui de la société métropolitaine. Les mobilités des Européens à l’intérieur de la colonie sont incessantes du fait de l’ancrage très récent des familles, des fluctuations imprévisibles du marché de l’emploi et des opportunités nouvelles offertes par les villes qui s’agrandissent à une cadence effrénée à la fin du XIXe siècle, alors que les campagnes tombent en désuétude. L’amélioration globale de la condition des Européens entraîne également des changements de résidence fréquents à l’intérieur des villes afin d’accéder à un meilleur cadre de vie.
83Les parcours de vie des Italiens naturalisés de Bône illustrent ces phénomènes. Pour les reconstituer, nous avons choisi d’établir des « biographies fragmentaires », permettant notamment de mesurer la mobilité résidentielle des individus observés dans et hors de la ville169. L’échantillon utilisé (136 individus), bien que faible, suffit pour mettre en valeur la temporalité urbaine très spécifique de Bône, fortement marquée par le contexte local, mais aussi rythmée par d’incessants échanges avec l’extérieur170. Clarisse Lauras rappelle la valeur d’une étude des mobilités pour comprendre à la fois les trajectoires individuelles et les évolutions des territoires urbains. Elle avance ainsi :
Étudier les allers-retours, c’est prendre le pouls d’une population, de son bien-être, de ses quêtes, de sa structuration, de ses réseaux. C’est aussi, en positif, prendre le pouls d’une ville, de son caractère attractif ou répulsif. C’est tenter de savoir si elle est un port d’attache […] ou si elle n’est qu’un lieu de passage vers lequel on revient parfois, par choix ou obligation. En négatif, c’est analyser l’éventuelle attirance par d’autres cités171.
84L’historienne et géographe se propose d’établir des fiches individuelles permettant de suivre le parcours des migrants pour reconstituer des carrières migratoires, c’est-à-dire l’ensemble des changements et des lieux de résidence d’un individu. Quelque soit le territoire étudié, cette approche pose un certain nombre de difficultés, notamment lorsque l’on désire avoir une vision globale, c’est-à-dire connaître les tendances générales d’un groupe, tirer des résultats collectifs à partir de données singulières172. Néanmoins, l’échelle macroscopique permet de saisir au-delà des phénomènes d’ensemble la nature des liens qui peuvent exister entre la mobilité et l’accès à certaines filières professionnelles, l’obtention de la naturalisation, le mariage ou encore la naissance d’un enfant173.
85Dans cette partie, il s’agit d’abord de resituer un territoire d’immigration, Bône, dans le parcours des immigrants italiens pour comprendre dans quelle mesure il constitue pour eux un espace de sédentarisation durable. En identifiant les tendances à la mobilité et/ou à la sédentarité des principaux groupes professionnels formés par les Italiens, nous tenterons de mettre en relation les évolutions de carrière et le changement de résidence à différentes échelles : d’une ville à une autre, d’un quartier à un autre, d’une rue à une autre.
Bône, point de convergence de l’Est algérien à la fin des années 1880
86Nous avons montré que Bône, si elle n’est pas le seul espace d’implantation des Italiens dans le Constantinois, constitue la zone d’installation privilégiée des premières générations d’immigrants issues de la migration maritime. Mais si elle demeure la principale ville italienne jusqu’à la Première Guerre mondiale, c’est aussi parce qu’elle constitue un espace de sédentarisation pour des individus dont la carrière professionnelle est déjà avancée et offre une possibilité de reconversion professionnelle pour les pêcheurs et les ouvriers de l’industrie désœuvrés qui se sont installés à l’origine dans un autre point de la colonie. Au début du XXe siècle, la ville apparait ainsi comme la dernière étape de nombreux parcours migratoires.
87À partir des années 1880, Bône exerce une très forte attraction sur la population italienne qui habite dans les autres villes du département. Suite à la baisse d’activité des grands travaux dans le Constantinois et aux restrictions successives de la pêche imposées aux pêcheurs étrangers, de nombreux centres urbains du département se dépeuplent de leurs Italiens. C’est le cas par exemple de La Calle et dans une moindre mesure de Philippeville. Certains groupes professionnels, particulièrement affectés par les crises de leur secteur d’activité, sont contraints d’envisager un départ vers une autre destination. La diversité et le dynamisme de l’économie bônoise incitent alors de nombreuses familles à rejoindre la ville après une ou plusieurs étapes en d’autres points du littoral ou dans l’intérieur des terres. Parallèlement, les enfants issus de la première génération d’immigration, dont une partie est arrivée en bas âge ou née dans la colonie, quittent le lieu où se sont installés leurs parents pour tenter leur chance à Bône, alors en plein essor.
88Dans les renseignements que certains demandeurs fournissent au moment de l’enquête jointe au dossier de naturalisation, les agents de police relèvent parfois les années d’errance des nouveaux arrivants ou de leurs parents avant l’installation définitive. Près d’un tiers des immigrants italiens naturalisés qui habitent Bône au début du siècle (37 sur 136 inscrits en 1905) ont déjà été domiciliés dans au moins une autre ville algérienne avant de s’installer à Bône.
Tab. 20 – Principales villes-étapes algériennes relevées dans les parcours résidentiels des Italiens naturalisés. Base de données des 200.
La Calle | 22 |
Philippeville | 7 |
Alger, Guelma, La Calle CM, Souk-Ahras | 2 |
Ain Mokra, Bugeaud, Djidjelli, Herbillon, Mers-el-Kebir | 1 |
89La première ville par laquelle sont passés nos naturalisés est La Calle. La majorité d’entre eux sont des patrons corailleurs d’Ischia, de Torre del Greco et de Naples, qui se sont établis à La Calle dans les années 1860, ville où ils se sont aussi parfois mariés, naturalisés et ont même acquis quelques propriétés174. Dans ce port tourné exclusivement vers la pêche du corail, la crise du secteur corallin a entraîné le départ de la quasi-totalité de la population italienne. Elle passe ainsi de 1896 individus en 1876 à 452 en 1906 étant entendu qu’une frange importante s’est aussi naturalisée et « fondue » dans la population française175. Ni l’exploitation du chêne-liège, ni l’activité des mines de cuivre et de plomb de Kef Oum Theboul alors en dégression, ni même les importantes ressources viticoles, ne suffisent à maintenir la population italienne de La Calle176.
90Face à cette disparition des activités liées à la pêche du corail, certaines familles de pêcheurs décident de quitter l’Algérie pour rejoindre les littoraux sarde et tunisien, en particulier Tabarka177. D’autres préfèrent rester en Algérie où ils ont pris attache, en particulier ceux qui possèdent des intérêts autres que professionnels, notamment familiaux et fonciers. Bône est leur destination privilégiée. C’est le cas, par exemple, de la famille de Lubrano Farese, patron corailleur né à Ischia en 1842178. Fils d’une famille de corailleurs napolitains, son père s’installe avec femmes et enfants comme armateur à La Calle en 1860. Lubrano se marie dans cette ville en 1872 avec la fille d’un cultivateur originaire de Torre del Greco, puis il s’installe directement à Bône où il se fait naturaliser en 1876. Dans un premier temps, il habite le quartier de la Marine puis, à la fin des années 1890, sur les bords de la Seybouse où il exerce encore, en 1905, la profession de « marinier ».
91La trajectoire résidentielle de Lubrano Farese laisse supposer que le déplacement des corailleurs vers Bône n’a pas nécessairement permis une amélioration des conditions de vie. Autrefois armateur, propriétaire de sa coraillère, l’homme finit simple marinier habitant avec sa famille dans la zone la plus insalubre de Bône. Aucun de leurs quatre enfants retrouvés dans l’état civil de Bône, tous nés entre 1877 et 1888 après l’obtention de la naturalisation par le père, n’atteint d’ailleurs l’âge des deux ans179. Signalé « en mer », Lubrano n’est jamais présent pour constater la naissance ou le décès de ses enfants. Comme beaucoup de pêcheurs, il continue d’effectuer d’incessants va-et-vient entre les côtes algériennes et tunisiennes.
92Les catégories professionnelles concernées par une mobilité ne sont pas uniquement maritimes. On retrouve également des ouvriers employés par les chemins de fer de l’État ou les Ponts-et-Chaussées. Cantonniers de Longare (Vénétie), maçons de Varese (Lombardie), « hommes d’équipe » livournais ou palermitain, ils parcourent l’arrondissement de Bône (Souk-Ahras, Barral, Duvivier ou encore Mondovi), explorent les terres constantinoises, allant jusqu’aux mines du Djebel Kouif et au bout des voies ferrées d’El Kantara. Les ouvriers de l’industrie extractive, en particulier, sont plus mobiles que les autres. Un cas exemplaire est celui de Mariano d’Agostino, taupin salernitain né en 1886 à Postiglione et qui connaît huit résidences en 15 années à peine180. Fils de père inconnu, sa mère l’emmène en Algérie alors qu’il n’a que 9 ans. C’est sans doute à cette époque qu’il se fait employer comme galibot dans les mines181. Il parcourt ensuite les mines du Constantinois : de l’Arba, de l’Oued Kouina, de Nado, d’El Maten, aux Achaiches, à Hadjar Souk puis enfin à Aïn Barbar. Il s’installe finalement à Bône au nord de la vieille ville en 1908 où il se marie, trois années plus tard, à Marie Thérèse Caputo, née dans cette ville mais originaire elle aussi de Postiglione. Après s’être porté volontaire dans l’armée française au début de la Première Guerre mondiale, il obtient la naturalisation en 1918, six ans après l’instruction de sa demande.
93Nombreux sont les Italiens qui circulent aux aléas des ouvertures et des fermetures des chantiers et des mines. Selon Gaston Loth, cette « perpétuelle mobilité » concerne avant tout les ouvriers originaires des provinces septentrionales182. Il oppose ainsi les Sardes, qui font venir femmes et enfants et se fixent près de la mine, aux Piémontais célibataires ne demeurant « guère un an ou deux sur la même exploitation »183. Ce modèle est difficilement vérifiable. Les travailleurs indépendants qui débarquent en Algérie sans avoir véritablement défini leur avenir proche sont nombreux mais comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, ils ne forment qu’une minorité à s’installer dans les villes algériennes. À la fin du siècle, les mines ferment l’été en raison des chaleurs excessives et selon Gérard Crespo, à peine plus de 5 % des mineurs sardes demeurent en Algérie184.
94Port de transit, Bône est donc une zone d’installation non seulement pour les gens de mer, mais aussi pour des catégories d’immigrants différents qui y trouvent un contexte favorable à leur sédentarisation. Au début des années 1870, la ville exerce une forte attraction sur l’ensemble du département grâce à l’industrialisation de son port et au développement global de son économie. Cependant, ce type d’approche excluant la prise en compte des phénomènes d’évaporation ne permet pas de mesurer l’attraction croissante de la Tunisie sur la population italienne de Bône à partir des années 1890185. Or, la crise économique qui touche toute l’Algérie au milieu des années 1890 entraîne le départ de nombreux travailleurs italiens de l’autre côté de la frontière qui profitent de l’ouverture des grands chantiers et du développement de l’industrie halieutique. À Bône, la baisse de la population italienne, qui tombe à moins de 5000 âmes au cours des années 1890, s’explique ainsi en partie par l’attraction nouvelle de la Tunisie.
L’instabilité résidentielle des primo-arrivants
95Une fois installés à Bône, quelles sont les trajectoires résidentielles de nos Italiens naturalisés ? Pour les reconstituer, nous avons compilé les adresses déclarées par chacun d’eux dans les différents registres. L’acte de naissance ou de mariage, la constatation de décès ou encore la demande de naturalisation sont autant de documents dans lesquels nous avons pu relever une indication de domicile186. Nous avons considéré les adresses relevées entre la première apparition dans les sources et l’inscription sur la liste électorale de 1905187. De fait, la durée d’observation varie d’un individu à l’autre, le temps moyen entre la première adresse connue et 1905 étant de 18 années188.
96L’état civil montre que les Italiens naturalisés arrivés au terme de leur trajectoire migratoire à Bône changent fréquemment d’adresse. Sur les 136 cas étudiés, 82 connaissent au moins deux résidences, soit 65 %. Parmi eux, 50 habitent au moins à quatre adresses différentes. Cette forte mobilité résidentielle est bien sûr liée à la longévité de présence dans la ville bien que les différences entre chaque groupe ne soient pas excessives.
Tab. 21 – Mobilité résidentielle des Italiens naturalisés. Base de données des 200.
Durée d’observation en années | Nombre d’individus | Nombre total de résidences | Moyenne |
De 2 à 12 | 28 | 80 | 2,9 |
De 13 à 22 | 29 | 101 | 3,4 |
De 23 à 49 | 25 | 95 | 3,8 |
97Plus la durée d’observation (et de présence) est longue, plus la moyenne de résidences par individu est élevée. Toutefois, les chiffres sont trompeurs puisque c’est surtout lors des premières années de présence dans la ville que l’on constate un taux de changement élevé. Ainsi la mobilité est intense surtout dans les premières années de la période d’observation.
98La forte mobilité résidentielle des primo-arrivants est un phénomène somme toute logique et intrinsèque au processus migratoire, le premier logement étant généralement temporaire et le rythme des mobilités décélérant à mesure que se pérennise l’installation189. C’est ce que montre le parcours de Giuseppe Escato. Ce matelot corailleur a 18 ans lorsqu’il se fixe à La Calle en 1873. Il rencontre des difficultés à se stabiliser dans ses premières années à Bône. Après son mariage avec une jeune italienne originaire de Gaeta, il rejoint Bône en 1887 dans un logement mis à disposition par Gaetan Buovolo au nord-est de la vieille ville, à proximité de la caserne d’Orléans. Buovolo, personne ressource de la communauté italienne dans son ensemble, l’appuie lors de sa demande de naturalisation comme premier témoin en 1889190. Dans les six années qui suivent, la famille de Giuseppe Escato déménage à quatre reprises : à proximité d’abord dans la rue Joinville adjacente, puis tout à l’ouest de la vieille ville, dans un immeuble neuf de la rue du 4 septembre, puis elle retourne à nouveau rue Joinville. Elle s’établit enfin dans la ville nouvelle, occupant un appartement dans l’immeuble de la famille Poggi située au bas de la rue Bugeaud, près du 16 rue Gambetta191. Ce n’est qu’en 1902 que la famille s’installe durablement dans le quartier de la Marine, au nord de la place Faidherbe, appartement qu’elle habitera jusqu’au début des années 1920.
99On peut s’interroger sur les catégories professionnelles les plus touchées par l’instabilité résidentielle et, comme Claire Lévy-Vroelant, questionner le lien entre mobilité résidentielle et profil professionnel192. Tandis que 50 % des marins-pêcheurs sont concernés par au moins un changement de résidence, on enregistre un déménagement pour 66 % des ouvriers de l’industrie et des artisans, et 83 % des employés et ouvriers du chemin de fer. Non seulement le pourcentage de gens de mer concerné est inférieur, mais leur moyenne de résidences est beaucoup plus faible que pour les deux autres secteurs. Les écarts ressortent également lorsque l’on compare l’indice moyen de mobilité résidentielle des gens de mer (0,27) à celui des ouvriers de l’industrie et des artisans (0,24) et des cheminots (0,20)193.
100La relative immobilité des marins-pêcheurs, pourtant reconnus pour être d’éternels nomades, peut s’expliquer par différents facteurs d’ordre sociodémographiques. Ils appartiennent pour beaucoup à une génération migratoire antérieure aux autres catégories d’immigrants. Ils fréquentent depuis longtemps la ville et sont intégrés, grâce à leur activité, au réseau économique local. Nombreux se déplacent en famille comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent. On peut imaginer que leur réseau de sociabilité est large et leur permet de trouver plus facilement un logement qu’un travailleur indépendant qui décide de s’installer en ville. On peut aussi se demander si l’immobilité des pêcheurs ne rime pas avec la stagnation voire la dégradation de leur condition sociale. La profession de pêcheur est soumise à rude épreuve en Algérie où la mutualité maritime tarde à s’organiser. Les gains peu élevés, irréguliers et incertains de cette activité, font des familles de marins, dont tous les membres sont généralement impliqués dans la pêche et la revente du poisson, une classe fragile. Il y a bien sûr une hiérarchie de poste et de salaire sur un navire mais pour tout l’équipage, la pêche n’est pas vraiment lucrative194. Malgré les garanties financières fournies par la Caisse des Invalides de la Marine, les familles de pêcheurs n’améliorent pas leurs conditions d’habitat et peinent à capitaliser pour acquérir un appartement dans le centre-ville ou construire une petite maison à la périphérie195.
101Il y a quand même des contre-exemples puisque l’individu qui possède le taux de mobilité le plus élevé est un marin pour lequel on enregistre cinq résidences en sept années. L’exception, comme souvent, concerne les Tranesi. Louis Francavilla est né en 1861 dans le village de pêcheurs de Trani situé au nord de Bari. Comme l’ensemble des Tranesi résidant alors en Algérie, il effectue des campagnes de pêches de longue durée et se fixe toujours temporairement près des lieux de pêche tant que le poisson est suffisant. Les migrations triangulaires de la famille Francavilla se font entre Trani, Port-Saïd et Bône196. L’administration algérienne enregistre sa première entrée dans la colonie en 1893. En 1896, il sollicite, auprès de la municipalité Bertagna, la naturalisation qu’il obtient dix mois plus tard, en même temps que sa femme et ses cinq enfants. Le ménage se fixe alors définitivement à Bône. En 1898, date de la première adresse bônoise repérée197, il est domicilié dans la vieille ville, au sein du quartier de la Marine qu’il habite encore en 1924, lorsque sa femme réclame la pension pour le décès au front de leur cadet lors de la Première Guerre mondiale198. Entre 1898 et 1905, les Francavilla sont localisés à cinq adresses différentes. La famille ne quitte pas la partie basse de la ville où résident de nombreuses familles italiennes et naturalisés : place Constantine, rue Suffren, rue Tabarka, à nouveau rue Suffren, puis rue Fréart.
102Comment interpréter ces changements de résidence répétés dans un laps de temps si court ? La mobilité résidentielle peut être motivée par des besoins familiaux, la famille s’agrandissant, ou être un indicateur d’élévation sociale. Dans le cas des pêcheurs de poissons « bleus » (migrateurs), d’autres facteurs interviennent. Suivant les bancs, souvent en mer, ils ne reviennent au port d’attache qu’irrégulièrement, et il est commun que leur balancelle est aussi leur domicile officiel. On peut imaginer qu’ils louent des appartements meublés qu’ils quittent aussitôt la mer reprise auprès de bailleurs appartenant à des réseaux de loueurs italiens et naturalisés.
103Pour les autres catégories professionnelles, la mobilité spatiale est surtout liée à une progression sociale. Le déplacement vers un autre quartier s’accompagne bien souvent d’un changement de statut professionnel traduisant une volonté d’accéder à un meilleur logement. La trajectoire d’Ulysse Minarelli, originaire d’Alfonsine (Émilie-Romagne), venu seul en Algérie dans les années 1860, est de ce point de vue exemplaire. On peut imaginer qu’il peine à se créer une situation et peut-être même à se sédentariser puisqu’il se marie tardivement, à l’âge de 39 ans. Peut-être appartient-il à l’origine aux convois annuels d’ouvriers du bois émiliens et toscans employés dans les forêts de la Seybouse. Son épouse, native de Philippeville, est originaire de Haute-Garonne. Margueritte Franquès travaille comme repasseuse et contribue donc aux revenus du foyer. Dans un premier temps, Ulysse, désormais menuisier, s’installe au domicile de Margueritte qui partage un appartement avec sa mère dans le quartier de la Marine, derrière la Mosquée El-Bey. Trois ans plus tard, à la naissance du premier enfant, ils sont domiciliés dans la zone italienne de la ville nouvelle, dans la rue Négrier qui borde le marché couvert. Dans les quatre années qui suivent, ils habitent deux autres appartements dans ce même ensemble de rues. Lorsqu’il obtient la naturalisation en 1889, Ulysse n’est plus simple menuisier mais « entrepreneur en menuiserie ». L’année suivante, le couple et les quatre enfants s’installent définitivement à Sainte-Anne, au début de l’avenue Garibaldi dans le coin de la « vraie Colonne ». Les liens avec la ville nouvelle où ils ont résidé près de dix années ne sont pas rompus. Ulysse conserve son atelier rue Perrégaux, l’une des plus commerçantes de Bône, au moins jusqu’aux années 1900199.
104L’instabilité résidentielle des primo-arrivants n’est pas plus marquée à Bône que dans les villes de métropole mais la stabilisation s’enclenche plus tôt, conséquence de l’évolution parfois rapide des carrières et de l’accroissement considérable du parc de logement à la fin du XIXe siècle. La mobilité résidentielle n’est cependant pas toujours ascendante. Avec l’étude des trajectoires résidentielles, on comprend mieux dans quelle mesure la population maritime voit sa condition se détériorer tandis que les individus exerçant dans d’autres secteurs professionnels comme l’industrie ou l’artisanat sont plus propices à une progression sociale. L’autre phénomène qui ressort concerne la nature des mobilités. À travers les quelques exemples déjà évoqués, les mobilités intraquartiers se révèlent nombreuses. Beaucoup emménagent dans la rue d’à côté où dans l’immeuble voisin. Il convient de s’interroger sur ces « déménagements dans un mouchoir de poche ». Sont-ils si courants ? Et comment peut-on les interpréter ?
Une mobilité peut en cacher une autre
105Les déplacements à l’intérieur de la commune de Bône peuvent se dérouler entre les grands ensembles urbains ou à l’intérieur de ceux-ci. Les mobilités résidentielles de courte distance, que Judith Rainhorn appelle le « nomadisme au coin de la rue », interrogent fortement l’existence d’une « Petite Italie » bônoise puisque contrairement à La Villette, les noyaux sédentaires au sein des différents quartiers, à l’exception peut-être de la Colonne Randon, apparaissent extrêmement restreints200. L’instabilité résidentielle qui caractérise Bône explique aussi peut-être la dilution permanente de la population italienne sur le territoire de la commune.
106Pour appréhender et analyser ces circulations intraurbaines, nous avons enregistré chacune des rues apparaissant dans les adresses relevées chez les 82 naturalisés concernés par un ou plusieurs changements de résidence201. À partir de là, nous avons codé les 236 mouvements enregistrés à l’intérieur ou entre les différents quartiers. Le tableau suivant présente les résultats de ce travail :
107Les 236 déplacements relevés ont lieu entre 1858 et 1905 mais 92 % d’entre eux se produisent sur une durée de 25 ans, entre 1880 et 1905. Globalement, il semble que les déplacements d’un quartier à un autre soient aussi fréquents que les mobilités au sein d’un même quartier. Les mouvements intraquartiers sont au nombre de 126 tandis que les mouvements interquartiers sont au nombre de 110. Ces derniers se font avant tout entre les trois principaux ensembles urbains (78 sur 120). Conséquence de la datation des dossiers consultés, ils concernent pour l’essentiel des déplacements de la vieille ville à la ville nouvelle. Les chiffres du tableau laissent également apparaitre une tendance à un mouvement des autres quartiers vers la vieille ville. Ce phénomène est intéressant puisqu’il laisse penser que les appartements de la vieille ville délaissés par les plus aisés qui rejoignent la ville nouvelle ou la Colonne Randon dans les années 1880 sont repeuplés par une population qui n’avait pas accès à la ville lorsque celle-ci était confinée à l’intérieur des remparts.
108Le fait de « graviter dans le voisinage » immédiat peut montrer un certain attachement au quartier, aux liens familiaux et sociaux qu’il incarne202. Le poids de l’immigration familiale à Bône joue nécessairement sur les choix des Italiens de s’installer dans tel ou tel quartier, dans telle ou telle rue. Une étude plus approfondie permettrait de mieux cerner les mécanismes des stratégies résidentielles de la population italienne. Néanmoins, il faut reconnaître que les changements de résidence semblent surtout guidés par des nécessités économiques et l’impossibilité d’anticiper des évènements qui imposent de changer de logement. Au moment du mariage, les jeunes couples habitent parfois plusieurs années au domicile des parents d’un des conjoints. L’adresse déclarée à la naissance du premier enfant est alors la même que celle mentionnée par l’un des époux dans l’acte de mariage. Étant donné la situation matérielle des individus et le peu d’ancrage de la plupart des familles italiennes à cette époque, les itinéraires résidentiels laissent une grande place à l’improvisation et le concept de « stratégie résidentielle » paraît peu approprié.
109Les données générales explorées dans le tableau montrent les tendances et nous renseignent sur les territoires mais elles n’indiquent pas grand-chose des trajectoires sociales des naturalisés. Pour s’interroger sur les motivations des uns et des autres à changer de résidence, il faut se pencher davantage sur les individus. Nous présentons ici trois des 200 biographies fragmentaires reconstituées, choisies parmi les 136 naturalisés mobiles qui nous intéressent ici.
Gennarol Canzano : la lente installation d’un corailleur
110Fils d’un patron corailleur italien, Gennarol Canzano est né à Torre del Greco en 1849. Ses parents s’installent à La Calle en 1862 où ils demeurent jusqu’au début des années 1880. La mère est fileuse pendant que le père et les quatre frères s’adonnent à la pêche du corail. En 1878, Gennarol Canzano épouse la fille d’un riche armateur torresi passé par Livourne. On retrouve parmi les quatre témoins du mariage, présentés comme les « amis des futurs conjoints », des personnages importants de la société maritime locale : deux négociants italiens, un brigadier des douanes et le courtier maritime du port de La Calle. Comme de nombreux compatriotes, Gennarol Canzano quitte La Calle pour Bône où il trouve à être embauché comme portefaix. Ses parents, ainsi que l’ensemble de la famille de la femme, choisissent, eux, de rentrer définitivement à Torre del Greco. Gennarol et son épouse s’installent dans un premier temps rue Jérusalem, à l’extrémité ouest de la ville nouvelle, non loin de la Caserne des gardes mobiles. Ils restent dans ce secteur, habitant rue Négrier et rue Lemercier, puis emménagent avec leurs trois enfants (l’ainé décède en 1884) dans le quartier de la Marine. En 1898, le couple se fait naturaliser afin, est-il dit, d’« avoir la même nationalité que leurs enfants »203. Ils quittent ensuite la vieille ville pour s’installer dans la Colonne Randon, avenue Garibaldi. Après la Première Guerre mondiale, la famille s’installe à Constantine, les enfants s’y marient, excepté l’un des fils qui épouse une Espagnole de Casablanca en 1927.
111L’itinéraire de Gennarol Canzano est le parcours-type des immigrants issus de la migration maritime qui fait souche à Bône au XIXe siècle : un passage par La Calle, une certaine endogamie sociale, la dispersion de la famille au moment de la crise du secteur corallin, une reconversion professionnelle par défaut et un itinéraire résidentiel tortueux qui se stabilise progressivement.
Michel Pisani : De l’impasse Casbah au Cours Bertagna
112Michel Pisani est un personnage singulier de la société européenne locale204. Successivement poseur de rail, agent de police puis propriétaire d’un café sur le cours Bertagna, sa trajectoire sort quelque peu de la norme. On sait que c’est une figure connue du milieu naturalisé en général et de la caste coralline en particulier, tant son nom apparait régulièrement comme témoin dans les actes de naturalisation et d’état civil des pêcheurs. Son influence grandissante et sa proximité avec les Bertagna sont dénoncées à plusieurs reprises dans la presse et dans des correspondances officielles. S’appuyant sur un rapport au procureur général d’Alger sur les fraudes électorales datant de 1898, Didier Guignard explique qu’un certain Pisani, « naturalisé depuis longtemps et s’occupant très souvent de faire naturaliser ses compatriotes [italiens], fournit de nouveaux électeurs au maire de Bône en échange de certificats de résidence antidatés »205. Il ne fait nul doute qu’il s’agit bien ici de Michel Pisani206. Son engagement dans la police en 1876 avant même sa naturalisation peut a priori surprendre mais sa proximité avec Jérôme Bertagna, qui possède déjà une certaine influence a pu jouer. Toutefois, l’italianité n’était en rien une barrière pour intégrer la police locale. Le recrutement d’Italophones par le commissariat municipal était même encouragé pour assurer le lien avec la population italienne207.
113D’un point de vue résidentiel, la trajectoire de Pisani semble étroitement liée à son évolution socioprofessionnelle. Arrivée de l’île d’Ischia en 1860 alors qu’il n’est pas encore majeur, il rejoint Bône après un court passage par La Calle. Il s’y marie en 1866 avec Hortense Panazeaud, fille d’un riche propriétaire maltais présent à Bône depuis au moins une vingtaine d’années208. Lorsqu’il débarque de Casamicciola, Michel Pisani est accompagné de son père, simple journalier. Lui-même débute comme poseur de rail pour la Compagnie du Mokta-El-Hadid. Il habite alors rue de Carthage, au pied de la Casbah, puis deux ans plus tard à quelque pas, dans l’étroite impasse Casbah où se concentre la population algérienne. Après avoir intégré la policie municipale, il se rapproche de la ville nouvelle et s’installe dans un appartement plus récent de la rue du 4 septembre. Il n’y reste que peu de temps puisqu’au moment de sa naturalisation en 1876, il est domicilié rue Bélisaire, au sud de la ville nouvelle, qui fait partie de la cité Chancel où est regroupée une population européenne d’employés et d’ouvriers209. Il retrouve ensuite rapidement la même zone où il habitait précédément, au nord-ouest de la vieille ville, avant de s’installer durablement sur le cours Bertagna.
114Si ce retour temporaire dans les rues sombres et peu prisées des Européens du quartier de la Casbah est difficile à expliquer (déchéance financière, choix de se rapprocher de son quartier d’origine), cet itinéraire illustre clairement la trajectoire d’ascension sociale qui mène de la vieille ville aux immeubles récents de la ville nouvelle.
Jean-Baptiste Rubini : un banlieusard des faubourgs
115Comme pour Michel Pisani, l’itinéraire résidentiel de Jean-Baptiste Rubini semble aussi corrélé à son évolution professionnelle. Originaire de l’île d’Elbe, il arrive en bas âge en Algérie avec son père qui se fait embaucher comme terrassier et sa mère qui travaille comme ménagère. Simple journalier, sans doute employé comme jardinier ou à des travaux agricoles dans la zone rurale de l’Oued Forcha, au nord de la ville, il épouse la fille d’un balayeur public d’origine maltaise née à Bône. Après la naissance de leur premier enfant, ils se rapprochent du centre en s’installant au sud de la vieille ville, près du pont d’Hippone. C’est un quartier pauvre et encore peu aménagé qui accueillera plusieurs cités ouvrières et des résidences destinées à la classe moyenne émergeante durant l’entre-deux-guerres. En compagnie de son père et de son oncle, Jean-Baptiste Rubini exerce alors la profession de fagotier, petit métier consistant à ramasser du bois de chauffe et à le revendre en ville. Avant sa naturalisation en 1903, il se rapproche un peu plus du centre-ville en s’installant sur l’avenue Célestin Bourgoin dans le quartier de la Colonne Randon. C’est là que résident son frère et sa sœur, nés à Bône, naturalisés, tous deux propriétaires de leur maison.
116Pour Jean-Baptiste Rubini, l’obtention de la naturalisation doit servir de tremplin. Il justifie sa demande de naturalisation par une volonté d’« ouvrir un café », motif qui ne plait guère au commissaire spécial qui dénonce une demande guidée par « pur intérêt », remarque à laquelle ne prêtent pas attention le sous-préfet et les autorités décisionnaires210. Trois ans après sa naturalisation, il est toujours charretier. Comme beaucoup de familles italiennes de Bône, le couple Rubini et leurs deux enfants quittent l’Algérie après la Première Guerre mondiale et s’installent en métropole, à Marseille, où le chef de famille décède en 1963, un an après la fin de la guerre d’Indépendance algérienne.
117L’étude des parcours résidentiels des Italiens naturalisés montre les spécificités locales de l’implantation italienne à l’échelle des sous-groupes et des individus. La mobilité des Italiens naturalisés est intense parce qu’ils sont aussi des immigrants. Il y a, comme dans les villes métropolitaines, des paliers à franchir. En Algérie, ils peuvent l’être d’autant plus rapidement après la naturalisation que les richesses du pays sont réservées à la minorité française. Pour la classe singulière des marins, Bône semble constituer le terminus de migrations circulaires et séculaires entre l’Italie et l’Algérie, mais aussi un espace privilégié d’installation en raison de l’attraction qu’elle exerce sur sa région. La sédentarisation des familles de marins et leur insertion dans la population française mettent en évidence le succès du couple protectionnisme/naturalisation appliquée à l’Algérie à partir des années 1860. Les parcours résidentiels des Italiens naturalisés ne sont toutefois pas linéaires et les conditions de vie des naturalisés à la veille de la Première Guerre mondiale restent plus mauvaises que celles des « Français de souche ».
Notes de bas de page
1 Voir notamment J.-L. Cohen, N. Oulesbir et Y. Kanoun (dir.), Alger : paysage urbain et architecture, 1880-2000, Paris-Besançon, 2003 et D. Pini, Origini, sviluppo e politiche urbane nelle grandi città coloniali, dans La città tra colonialismo e nuova dipendenza : il caso del Maghreb, Milan, 1981, p. 53-176.
2 Voir la bibliographie réalisée par Hélène Vacher dans Villes coloniales aux XIXe-XXe siècles, Paris, 2005.
3 En ce qui concerne le Constantinois tout du moins. On pense aux travaux d’histoire économique de Ouanassa Siari-Tengour (1981) et d’André Nouschi (1961) pour le XIXe siècle, et celui de Johan H. Meuleman pour l’entre-deux-guerres (1985).
4 C’est le cas à Alger où les listes nominatives antérieures à 1921 ont été détruites par la préfecture. R. Lespès, Alger : étude de géographie et d’histoire urbaines, Paris, 1930, p. 49.
5 La conséquence, sans doute, d’une politique de conservation spécifique au Constantinois datant de la période coloniale où contrairement aux départements d’Alger et d’Oran, les archives municipales restaient à la charge de la commune. Elles sont aujourd’hui conservées aux APCA mais leur mise à disposition au public est limitée.
6 Nous faisons ici référence à son article La ségrégation résidentielle en société coloniale : le cas de Bône (Algérie), 1872-1954, dans Cahiers d’histoire, 25, 1980/2, p. 148- 176.
7 L’indice de concentration relative consiste à diviser le pourcentage d’un groupe au sein d’un quartier par le pourcentage de ce même groupe dans l’ensemble de la population bônoise. D. Prochaska, Making Algeria French… cit., p. 289, n. 42.
8 L’indice de dissimilarité se « définit comme le pourcentage de gens qui, dans un groupe donné, devraient changer de résidence pour qu’il y ait intégration parfaite entre tous les groupes ». Ibid., p. 163.
9 D. Prochaska, La ségrégation résidentielle… cit., p. 149.
10 H. Blais, Reconfiguration territoriales et histoires urbaine, dans P. Singaravélou (dir.), Les Empires coloniaux (XIXe-XXe siècle), Paris, 2013, p. 169-214, p. 190. Voir aussi H. Vacher, Villes et colonisations aux XVIIIe et XXe siècles : approches problématiques d’un avatar urbain depuis la Seconde Guerre mondiale, dans D. Turrel (dir.), Villes rattachées, villes reconfigurées, (XVIe-XXe siècles), Tours, 2003, p. 367-386, p. 376.
11 Les différentes historiographies nationales identifient ainsi, à des degrés très divers, des éléments communs comme l’introduction de schémas architecturaux occidentaux, la création d’équipements urbains destinés aux Européens ou encore un « dualisme colonial » de l’espace. Voir O. Goerg et X. Huetz de Lemps, Histoire de l’Europe Urbaine, 5, La ville coloniale, XVe-XXe siècle, Paris, 2012.
12 À partir de 1834, la ville est administrée conjointement par un intendant civil et un capitaine militaire. Bône est ainsi la troisième ville à accueillir une administration civile. Les villes de l’intérieur des terres ne commencent à être peuplées d’Européens qu’à partir de 1839 et la prise définitive de Constantine.
13 L. Travers, La formation de la ville et les facteurs de son évolution, dans Annales de géographie, 364, 1958, p. 498-520.
14 M. Roncayolo, La production de la ville, dans M. Aghulon, Histoire de la France urbaine, 4, La ville de l’âge industriel : le cycle haussmannien, Paris, 1983, p. 73-155, p. 106 et 107.
15 Sur ce point et plus largement sur les plans d’urbanisme des premières décennies de la période coloniale, voir A. Picard, « Villes et colonisation : Algérie : 1830-1870 », thèse de doctorat en Aménagement du territoire, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 1987.
16 La ville de Bône… cit.
17 Les états récapitulatifs sont insérés à la fin de chaque registre de recensements et résument les données détaillées par rue et par foyer qui y sont contenues. Prochaska utilise les états récapitulatifs de neuf listes nominatives (1872 ; 1876 ; 1901 ; 1906 ; 1911 ; 1926 ; 1931 ; 1936 ; 1954).
18 Les exemples sont nombreux. Nous renvoyons ici aux deux ouvrages de Marie-Claude Blanc-Chaléard (2000) et Judith Rainhorn (2005).
19 L’expression émerge dès les premières installations d’Italiens à New-York, dès les années 1880. En Europe, elle n’apparaît qu’au début des années 1960 comme une « auto-désignation » des « micro-territoires » d’implantation italienne. M.-C. Blanc-Chaléard, Des Littles Italies aux Petites Italies, dans M.-C. Blanc-Chaléard et alii (dir.), Les Petites Italies dans le monde, Paris, 2007, p. 15 et 17.
20 J. Rainhorn, Les Petites Italies, le mot et la chose, dans J. Rainhorn (dir.), Petites Italies dans l’Europe du Nord-Ouest : appartenances territoriales et identités collectives à l’ère de la migration italienne de masse (milieu du XIXe siècle-fin du XXe siècle), Valenciennes, 2005, p. 7-20, p. 13.
21 À Alger, le « Petit Naples » désigne le quartier de la Marine où se concentre la population italienne. J.-J. Jordi et J.-L. Planche, 1860-1930 : une certaine idée de la construction de la France, dans Alger (1860-1930) : le modèle ambigu du triomphe colonial, Paris, 1999, p. 24-54, p. 42.
22 Voir D. Melfa, Regards italiens sur les Petites Siciles de Tunisie, dans IBLA, 199, 2007/1, 199, p. 3-27, et L. Ammar, Le quartier de la Petite Sicile à Tunis. Enjeux de l’héritage urbain et politique d’aménagement, Alexandrie, 2005.
23 C’est ainsi que Judith Rainhorn oppose les deux quartiers qu’elle compare dans sa thèse, La Villette à Paris et East Harlem à New York. Ces deux zones d’intense immigration italienne répondent à deux modèles d’implantation de natures très différentes. Paris, New York… cit.
24 Les « stratégies résidentielles » relèvent d’un ensemble de facteurs. Outre les « contraintes du moment » (profession, marché du logement, etc…), la part d’héritage familial dans les stratégies résidentielles est décisive. La notion d’héritage ne renvoie pas nécessairement à la transmission patrimoniale mais recouvre aussi une dimension d’insertion sociale et professionnelle intergénérationnelle. C. Bonvalet et A. Gotman (dir.), Le logement, une affaire de famille : l’approche intergénérationnelle des statuts résidentiels, Paris, 1993, p. 11.
25 J.-C. Farcy et A. Faure, La mobilité d’une génération de Français : recherche sur les migrations et les déménagements vers et dans Paris à la fin du XIXe siècle, Paris, 2003.
26 L. Travers, La formation de la ville et les facteurs de son évolution, dans Annales de géographie, 364, 1958, p. 498.
27 D. Prochaska, Making Algeria French… cit., p. 36.
28 Eugène Barbier, « Bône », 12 avril 1850, La Casbah de Bône. Poésies extraite du journal la Seybouse, Bône, Dagand, 1850. Cet extrait est tiré du poème intitulé « Bône », publié le 12 avril 1850 par Jean-Baptiste Eugène Barbier, ouvrier menuisier transporté à Bône en juin 1848, condamné à plusieurs reprises pour des « actes de violences » et « ses mauvaises chansons socialistes ». « Liste des Transportés de 1848 en ligne ».
29 Le premier décret de transportation est adopté le 27 juin 1848 mais ce n’est que le 8 juillet 1848 qu’est présenté à la Constituante le premier texte mentionnant l’Algérie comme destination de transportation. Selon Bertrand Jalla, les transportés de 1848 à Bône sont environ 500 et tous détenus dans la Casbah jusqu’au début de l’année 1851. Les colons d’Algérie à la lumière du coup d’État de 1851, dans Afrique et Histoire, 2, 2003/1, p. 123-137, p. 128.
30 F. Béguin, Arabisances : décor architectural et tracé urbain en Afrique du Nord (1830-1950), Paris, 1983, p. 103.
31 R. Bouyac, Histoire de Bône, Bône (Impr. du Courrier de Bône), 1891, et A.-C. Maîtrot, Bône militaire, Bône, 1934.
32 La ville est fondée par les Arabes à près de deux kilomètres de l’ancienne cité phénicienne, puis romaine, d’Hippone.
33 Par extension, la casbah désigne aussi le quartier maure dès lors qu’elle est, comme à Alger, au cœur de la cité habitée, ce qui n’est pas le cas à Bône où la Casbah conserve une fonction militaire. Elle est immédiatement transformée en pénitencier militaire.
34 R. Bouyac, op. cit., p. 218.
35 Ibid.
36 Séance du 24 janvier 1834, Procès-verbaux et rapports de la Commission d’Afrique, Paris, Imp. royale, 1834, p. 81.
37 G. Amati, Viaggio da Milano in Africa : visitando il Piemonte, la Savoja, il Mezzodi della Francia e l’Algeria col ritorno per Nizza e Genova, Milan (Angelo Bonfanti), 1845, p. 404. Giacinto Amati (1778-1850), conservateur de la bibliothèque Ambrosiana de Milan, séjourne à Bône en compagnie du premier évêque d’Alger Adolphe Dupuch en 1844. S. Bono, Archeologi italiani nel Maghreb dal XVII al XIX secolo, dans Atti del convegno su la presenza culturale italiana nei paesi arabi : storia e prospettive, Rome, 1984, p. 302-308.
38 Dans son étude sur la littérature de voyage algérienne, Frank Laurent explique que cette posture est un poncif des jugements émis sur l’architecture coloniale entreprise depuis l’occupation. Le voyage en Algérie : anthologie de voyageurs français dans l’Algérie coloniale (1830-1930), Paris, 2008, p. 350.
39 A. Dumas, Impressions de voyages Le Véloce ou Tanger, Alger-Tunis, 1855, p. 392- 393.
40 Z. Çelik, Empire, architecture and the city. French-Ottoman encouters, 1830-1914, Seattle, 2008, p. 75.
41 X. Malverti, Les officiers du Génie et le dessin des villes en Algérie (1830-1870), dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 73-74, 1994, p. 229-244.
42 Ce phénomène est commun aux autres villes du littoral occupées par l’armée. À Alger, c’est toute la ville entière qui est prise « pour une caserne ». L. Icheboudène, « Alger, système urbain. Histoire, changement social et développement », thèse pour le doctorat d’État, Université René Descartes-Paris V Sorbonne, 1994, p. 136. Voir aussi M. Sgroï-Dufresne, Alger (1830-1984) : stratégies et enjeux urbains, Paris, 1986, p. 11.
43 D. Prochaska, Making Algeria French… cit., p. 64. Selon Louis Arnaud, elle est volontairement mise à disposition par la population arabe. Bône, son histoire, ses histoires, Constantine, 1960, p. 74.
44 D. Prochaska, Ibid. Le processus de dépossession urbaine est très bien décrit pour Alger par Aumerat. Ce dernier explique que la rapidité de la constitution de la propriété civile européenne n’a été possible que parce qu’il y a eu réquisition immédiate et massive par l’État de la propriété mobilière indigène et turque avec un système de vente expéditif (pas de notaire, de courtier, de frais d’actes, etc…). La propriété urbaine à Alger, dans Revue Africaine, 42, 1898, p. 168-201, p. 172.
45 Aux chambres. Les propriétaires de Bône, Paris, 1837. Les requêtes sur les abus du Génie et de l’administration militaire sont réitérées dans les années suivantes. Mémoires pour les victimes du casernement militaire, de l’occupation civile, etc… à Bône depuis neuf années de conquête, Toulon (A. Baume), 1841.
46 D. Prochaska, op. cit., p. 65.
47 Ibid.
48 APF, Fond Barberia, vol. 14 (1833-1835), lettre de l’Abbé Banvoy de Bône, 29 décembre 1833.
49 On ne retrouve aucun Italien. Les premiers acquéreurs fonciers deviennent ensuite les grands possédants locaux comme Prosper Dubourg, futur maire de Bône, ou encore la famille Berthon-Lecoq. En 1849, le négociant parisien Charles-Louis Lecoq avait acquis la première concession de chêne-liège dans les forêts de l’Edough, près de 8500 hectares. D. K. Davis, Les mythes environnementaux… cit., p. 116.
50 L’expression désigne les notables de naissance aristocratique d’opinion légitimiste qui entreprennent la mise en valeur de la plaine de la Mitidja à proximité d’Alger. Par extension, elle désigne les grands propriétaires qui profitent des « vides juridiques et de l’absence de politique bien affirmée de l’administration » pour s’établir en Algérie dans les deux premières décennies de la période coloniale. C. Lamboley, Colons en Algérie : histoire d’une famille ordinaire, dans Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, Montpellier, 2011, p. 39-55, p. 40.
51 Dans l’Algérie de la période de conquête, les « fricoteurs » désignent les hommes d’affaires qui spéculent sur l’achat et la revente des biens fonciers et immobiliers. L. Veuillot, Les Français en Algérie : souvenirs d’un voyage fait en 1841, Tours (A. Mame), 1845, p. 22.
52 Mines de fer de Bou Hamra, Meboudja, Kareza et Ain Mokra.
53 A. Nouschi, Notes sur les migrations en Algérie dans la première moitié du XIXe siècle, dans M. Galley, Actes du premier Congrès d’études des cultures méditerranéennes d’influence arabo-berbère, Alger, 1973, p. 269-275, p. 272.
54 R. Cornulier-Lucinière, La prise de Bône et Bougie d’après des documents inédits (1832-1833), Paris, 1895, p. VI. En 1830, la population d’Alger est estimée à 30000 habitants, celle d’Oran à 10000. Y. Lacoste, A. Nouschi et A. Prenant, L’Algérie, passé et présent : le cadre et les étapes de la constitution de l’Algérie actuelle, Paris, 1960, p. 219.
55 D. Prochaska, Making Algeria French… cit., p. 43. Les Merdès et les Beni Urgine occupent la plaine, les Senhadja les montagnes, et les Beni Salah la forêt. D’autres groupes moins importants se partagent le territoire entourant le lac Fetzara et la côte à l’Ouest de Bône.
56 Ibid., p. 91.
57 D’autres épidémies ont lieu en 1832, 1835 et 1837.
58 APF, fond Barberia, vol. 14 (1833-1835), lettre de l’Abbé Banvoy de Bône, 29 janvier 1833.
59 D. Prochaska, op. cit., p. 89.
60 Près d’un tiers des coraillères se détournent des ports de la côte du corail : on en dénombre 154 en 1848 et seulement 107 en 1849. J.-L. Miège, Les corailleurs italiens… cit., p. 149-172, p. 172.
61 Pour Lucette Travers, la baisse de la population italienne au tournant des années 1850 est liée l’attraction exercée par le port de Djidjelli de l’Ouest constantinois, où sont alors entrepris de gros travaux. L. Travers, La ville de Bône… cit., t. II, p. 272.
62 Ibid., t. III, p. 245.
63 G. Loth, Le peuplement italien… cit., p. 111.
64 P. Darmon, Un siècle de passions algériennes : une histoire de l’Algérie coloniale (1830-1940), Paris, 2009, p. 182.
65 G. Loth, op. cit., p. 254.
66 Charles Carteron, qui effectue un long voyage en Algérie orientale au début des années 1860, décrit le séjour des pêcheurs de corail à La Calle et l’animation que procure à la ville chacune de leur venue. Voulez-vous connaître l’Algérie, tous les usages des Arabes, leur vie intime et extérieure ainsi que celle des Européens de la colonie ?, Mâcon (Imp. de Romand), 1866, p. 115.
67 Sur la législation maritime, se reporter au chap. 3-2.
68 Cité par L. Travers, op. cit., t. II, p. 78.
69 Ibid., p. 81.
70 Pierre Darmon cite plusieurs rapports du début des années 1850 qui décrivent les alentours marécageux de Bône et redoutent leur insalubrité, op. cit., p. 133.
71 Maire de Bône de 1848 à 1854 puis de 1857 à 1870, Lacombe est souvent présenté comme le premier maire de Bône. Toutefois, on retrouve préalablement des maires comme Fisson, ancien secrétaire de la sous-intendance civile d’Oran, qui est maire de Bône à partir de 1843. C. Esquer, Les débuts de l’administration civile à Alger (le personnel), dans Revue africaine, 286, 1912, p. 303-338, p. 337.
72 Liberata Forni, d’abord mariée à Joseph Nerva, originaire de Turin, employé des Ponts-et-chaussées à Bône avec qui elle a deux enfants nés en 1844 et 1847. Ce dernier décède à Turin en octobre 1858.
73 Les enceintes sont perçues comme étouffantes. Accusées d’empêcher l’air de circuler malgré le percement de nouvelles portes, elles sont considérées par la population comme l’une des sources des épidémies.
74 O. Goerg, et X. Huetz de Lemps, La ville coloniale… cit., p. 280. Comme l’explique aussi André Nouschi, le modèle urbain suivi en Algérie est ensuite appliqué dans les protectorats de Tunisie et du Maroc. Les limites du modèle européen dans le Maghreb colonial, dans C. Coquery-Vidrovitch et O. Georg (dir.), La ville européenne outre mers : un modèle conquérant ? (XVe-XXe siècles), Paris, 1996, p. 139-149.
75 Il est en poste moins de sept mois (22 octobre 1850-10 mai 1851). Cette courte durée de mandat est commune aux autres Gouverneurs durant la Seconde République.
76 Ce serait la femme de l’Empereur, Joséphine, qui émue de la supplique des Bônois, aurait sensibilisé ce dernier. L. Travers, op. cit., t. I, p. 19.
77 O. Goerg et X. Huetz de Lemps, op. cit., p. 227.
78 Z. Çelik, Empire, architecture… cit., p. 91.
79 A. Nouschi, Correspondance du Dr. A. Vital avec I. Urbain (1845-1874)… cit., p. 353.
80 Le port est construit avec le concours de la famille Talabot qui exploite le gisement du Mokta-el-Hadid, découvert en 1857, et qui fait la fortune de Bône dans les années 1865-1870. Bien que le Dr. Vital écrive le 5 mars 1867 que « le port était parfaitement réussi », la création de la petite darse s’avéra vite insuffisante pour accueillir des navires de gros tonnage.
81 R. Lespès, Le port de Bône et les mines de l’Est constantinois, dans Annales de géographie, 32, 1923, p. 526-541, p. 526.
82 Présenté par Jérôme Bertagna et Dupontal, et approuvé par décision ministérielle du 7 octobre 1885, le projet prévoit la construction d’une digue, d’un nouvel avant-port en remplacement de l’ancien qui devient la grande darse, et l’approfondissement de la nappe d’eau étendue permettant aux paquebots d’y accoster. Il marque la première étape de la transformation du port de pêche en port minier.
83 D. Prochaska, op. cit., p. 125.
84 Voir l’annexe 14.
85 L’exemple de Singapour, possession britannique, est souvent utilisé pour illustrer une division de l’espace à la fois ethnique et fonctionnelle organisée par les administrateurs coloniaux. O. Goerg et X. Huetz de Lemps, op. cit., p. 318.
86 A. Blanc, Tableautin sur l’Extrême-Orient, Bône (Puccini), 1887, p. 18.
87 Nous ne sommes pas en mesure de déterminer les modalités fixées par la municipalité pour délivrer les permis de construire. Des informations peuvent être trouvées dans les registres des délibérations municipales conservés aux ACPA et non consultés.
88 L. Travers, op. cit., t. II, p. 91.
89 David Prochaska ne rapporte pas ces détails pour les recensements de 1881- 1886-1891-1896, ni aucun chiffre pour les trois derniers.
90 Le quartier prend le nom de Colonne Randon du nom du monument érigé en l’honneur du Général Jacques-Louis Randon qui dirige l’expédition de Constantine depuis Bône en 1836.
91 Nous nous sommes appuyés sur les chiffres rapportés par Lucette Travers plutôt que sur ceux de David Prochaska, plus précis en ce qui concerne les étrangers.
92 O. Goerg et X. Huetz de Lemps, op. cit., p. 213.
93 On ne dispose pas du détail des nationalités étrangères pour 1861.
94 M. Donato, L’émigration maltaise en Algérie… cit., p. 49.
95 Ouvertes dès les années 1840, elles impulsent la construction du port et la réalisation du premier chemin de fer bônois. F. Tomas, Annaba et sa région agricole, dans Revue de géographie de Lyon, 44, 1969, p. 37-74, p. 37.
96 La collection est fondée par Adolphe Joanne en 1855 avec la collaboration de Louis Hachette. À partir de 1886, son fils Paul Joanne innove en lançant une collection de guides monographiques. H. Morlier, Les Guides Joanne : invention d’une collection, dans In situ, 2011, 15, http://insitu.revues.org/524.
97 À l’origine, les deux routes sont créées pour pénétrer les forêts de l’Edough et permettre la surveillance de la plaine. Elles sont traversées par le chemin des Prés salés (future rue des Prés salés) et rejointes par le chemin de la Ceinture. L. Travers, op. cit., t. II, p. 99.
98 L. Arnaud, op. cit., p. 47.
99 Par exemple, les cités ouvrières aménagées dans la continuité Sud de la ville nouvelle sur l’ancien champ de manœuvre destiné à l’origine aux manœuvres militaires.
100 L. Travers, op. cit., t. II, p. 129.
101 A. Blanc, op. cit., p. 43.
102 Son père, Antoine Buovolo, né à Torre del Greco en 1804, décède à Bône en 1869. Sa mère, Catherine Fadda, née à Alghero en 1814, décède à Bône en 1885 (ECA). Gaetan décède à Bône en 1910, cinq ans avant son frère cadet Augustin, commis banquier à Mustapha (Alger), dont le fils Marcel intègre l’École des Ponts-et-Chaussées en 1919. « Liste des élèves inscrits à l’école depuis 1749 », consultable sur enpc.fr.
103 Du nom d’un viticulteur lyonnais qui crée un vaste vignoble sur le domaine de Darroussa (Randon) dans la plaine de Bône. H. Isnard, La vigne en Algérie… cit., p. 486. Antonin Joannon est conseiller général en 1860 et décoré de la légion d’honneur lors du voyage de Napoléon III en 1863. Voir sa nécrologie présentée par M. Olivier-Delamarche dans Bulletin de l’Académie d’Hippone, 12, 1876, p. 17-18.
104 ECA.
105 Se reporter au chap. 8-2.
106 Bien que naturalisés français par le décret Crémieux, les juifs sont comptés à part dans les recensements dans la catégorie « Israélites naturalisés ».
107 Se reporter au chap. 8-2.
108 En 1876, la Colonne Randon est intégrée à la banlieue dans les recensements.
109 P.-A. Rosental, Les sentiers invisibles, Paris, 1999, p. 15.
110 Nous avons exclu jusqu’ici la banlieue qui comprend l’ensemble des espaces de peuplement de la périphérie à l’exception de la zone du Faubourg Sainte-Anne. Ces zones dispersées ne regroupent que 7 % de la population européenne. Leur peuplement augmente surtout après la Première Guerre mondiale (se reporter au chap. 8-1).
111 G. Loth, Le peuplement italien… cit., p. 254.
112 L’Oued Boud-Jema ou Boudjimah est un des deux fleuves qui se jettent dans le golfe de Bône. Il trouve sa source dans le Lac Fetzara, où est installée depuis 1863 une société d’exploitation de pêche fondée par des Italiens.
113 G. Loth, op. cit., p. 257.
114 Ibid., p. 335.
115 L. Travers, La formation de la ville… cit., p. 27.
116 L’indice de concentration relative est de 0,84 pour les Italiens contre 0,63 pour les Maltais, 0,62 pour les « Français de souche » et 0,79 pour les naturalisés. D. Prochaska, La ségrégation résidentielle… cit., p. 167.
117 A. Blanc, Tableautin… cit., p. 87. Voir l’annexe 15.
118 En 1868, la rue de l’artillerie, ancienne rue Bonnefoy, est rebaptisée rue Moreau en mémoire du Docteur Moreau, président de la Société d’Agriculture bônoise dès 1840. C’est dans cette rue qu’est regroupée la majeure partie des officines consulaires.
119 Le « mellah » est le nom donné aux quartiers à dominante juive des villes marocaines. À Bône, il se situe au nord-ouest de la vieille ville et demeure le quartier d’installation privilégié de la population juive jusqu’à l’indépendance.
120 Le premier consul italien de l’époque coloniale, Giovanni Paolo Bensamoni, juif originaire de Livourne installé à Bône depuis le début du XIXe siècle, installe son office dans ce quartier. Au cours des années 1880, le vice-consulat obtient un petit bureau au sein du Palais consulaire, avant d’être à nouveau déplacé au début des années 1930.
121 R. Gallissot, Les villes du Maghreb, dans J.-L. Biget et J.-C. Hervé (dir.), Panoramas urbains : situation de l’histoire des villes, Fontenay/Saint-Cloud, 1995, p. 337-348, p. 346.
122 Plusieurs villes de Tunisie abritent des quartiers appelés à l’époque « Petites Siciles » qui sont des espaces de concentration d’immigrés italiens, en majorité siciliens. À Sousse, deux quartiers italiens sont désignés du nom de Capaci, hameau de l’Isola delle Femine d’où sont originaires de nombreux immigrants. D. Melfa, Regards italiens sur les Petites Siciles… cit., p. 3-27.
123 A. Blanc, Tableautin… cit.
124 E. Bourquelot, Souvenirs d’un Provinois, Paris, 1881, p. 236.
125 Le 24 septembre 1856, l’arrêté portant règlement sur la pêche maritime en Algérie fixe les limites des différents quartiers maritimes. Les quartiers créés sont au nombre de cinq dont trois sont situés sur le littoral constantinois (Bône, Philippeville, La Calle), un à Oran et l’autre à Alger.
126 Ces registres sont riches en informations. En effet, l’Inscription maritime est généralement présentée comme « l’état civil du marin ». Y sont inscrites, outre son identité, l’ensemble des informations relatives à sa carrière dans la marine de commerce, la pêche ainsi que ses « services à l’État ». Voir M. Astorkia, L’inscription maritime : l’état civil du marin, Toulon, 1987.
127 L’expression est empruntée à Catherine Levy-Vroelant, Séjourner ou demeurer à Versailles au XIXe siècle, dans Les Annales de la recherche urbaine, 41, 1993, p. 27-33, p. 28.
128 APCA, liste électorale, 1905.
129 Sur la carte, ce sont les onze points alignés dans la zone du port au sud du quai Warnier.
130 Patrick Simon utilise cette expression pour expliquer que les quartiers d’immigration prennent différentes formes successives : un temps zones de passage, ils deviennent ensuite des espaces de « centralité immigrée » où les étrangers s’installent dans la durée. Les quartiers d’immigration : « ports de première entrée » ou espaces de sédentarisation ? L’exemple de Belleville, dans Espace, populations, sociétés, 11, 1993/2, p. 379-387, p. 380. Le terme de « centralité immigrée » est utilisé par Jean-Claude Toubon et Khelifa Messamah pour décrire le peuplement du quartier de la Goutte d’or à Paris. Centralité immigrée : le quartier de la Goutte d’or, Paris, 1990.
131 E. Temime, R. Lopez, Histoire des migrations à Marseille… cit., p. 36 et L’emploi italien à Marseille, dans L’immigration italienne dans les années 1920,Paris, 1988, p. 355- 369, p. 364.
132 Voir E. Temime, Marseille transit : les passagers de Belsunce, Paris, 1995.
133 Se reporter au chap. 4-4.
134 Ici, le statut du foyer correspond à celui du chef. Les foyers regroupant souvent des individus aux statuts variés, il ne faut pas corréler les chiffres des deux colonnes.
135 Les Ciociari sont les migrants originaires de la région de Vallerotonda, à cheval du Latium, de la Campanie, de la Molise et des Abruzzes, qui se concentrent durablement dans le quartier de la Villette de la fin du XIXe siècle à la fin des années 1930. J. Rainhorn, Paris, New York… cit., p. 169.
136 J.-J. Jordi et J.-L. Planche, 1860-1930 : une certaine idée de la construction de la France, dans Alger (1860-1930)… cit., p. 24-54, p. 42.
137 Voir A. Sportiello, Les pêcheurs du vieux-port : fêtes et traditions de la communauté des pêcheurs de Saint-Jean, Marseille, 1981.
138 En 1906, son indice de concentration dans la ville nouvelle est de 1,62 contre 0,62 dans la vieille ville. Les écarts sont importants avec les indices de concentration des Français naturalisés (1,32 ; 0,79) et surtout des Italiens (0,94 ; 0,84). D. Prochaska, La ségrégation résidentielle… cit., p. 166.
139 L. Travers, op. cit., t. II, p. 91.
140 Ibid.
141 Il faut tenir compte de l’effet de concentration ou de dispersion résultant du choix d’interprétation de la numérotation des rues. Nous nous sommes tenus à interpréter le sens de numérotation des rues selon les tenants et les aboutissants donnés dans la nomenclature du Guide de la ville de Bône (Les Guides Pilote), Alger, 1959.
142 Il se marie à une couturière maltaise native de Sousse, Carmela Farruggia, dont le père marin s’installe lui aussi définitivement à Bône au début de la période coloniale.
143 La ligne reliant Bône à Guelma est ouverte en 1874 puis prolongée jusqu’au Khroubs, près de Constantine, en 1877. Elle est dans un premier temps exploitée par la Compagnie des Batignolles. Puis, la Compagnie Bône-Guelma développe le chemin de fer joignant Duvivier à la ville tunisienne de Medjerda. Pour un historique, voir G. Lartigue, « Une expérience ferroviaire en Afrique du Nord », thèse pour le doctorat, Faculté de droit de Paris, 1936.
144 La rue Gambetta s’appelle aujourd’hui rue Ibn Khaldoun. En feuilletant la liste nominative de 1896, l’immeuble a attiré notre attention en raison de la densité et de la diversité de sa population.
145 On trouve dans certains actes d’état civil la désignation « 16 rue Gambetta, Maison Sens ». En 1893, Théobald Fischer signale lors de son séjour à Bône un M. Sens qu’il décrit comme « un riche propriétaire qui a acquis, restauré, et transformé en maison de campagne l’ancien pénitencier militaire d’El Artran ». Le Golfe de Bône, dans Bulletin de l’Académie d’Hippone, 26, 1893, p. 63-104.
146 Parmi leur fils, on compte un membre de la Trésorerie d’Afrique, Jean Nicéphore.
147 Les boulangers tunisiens ne sont pas des Arabes mais des Maltais nés en Tunisie et établis à Bône. Leur patronyme Mikalef laisse peu de doutes sur leurs origines.
148 David Prochaska montre que 77 % des juifs naturalisés par le décret Crémieux habitent la vieille ville en 1906. Seuls 19 % habitent la ville nouvelle. Cependant, leurs enfants y résident pour 32 %. Autrement dit, la seconde génération de juifs naturalisés s’est davantage déportée dans la ville nouvelle. Making French… cit., p. 162.
149 L. Travers, op. cit., t. II, p. 87.
150 Se reporter au chap. 6-3.
151 Le foyer ne correspond pas nécessairement à un appartement.
152 L’expression « célibataire géographique » est empruntée à Cécile Vignal, Devenir géographique ? Arbitrages conjugaux et familiaux suite à la délocalisation d’une usine, dans Cahiers du Genre, 41, 2006, p. 139-157.
153 On pense par exemple au garni du 62 rue de la Part-Dieu sur la rive gauche lyonnaise étudié par Jean-Luc Pinol. En 1896, s’y mêlent surtout des célibataires et quelques familles ouvrières. Les mobilités de la grande ville… cit., p. 101.
154 Pour rappel, le dénombrement de 1906 fait état de 530 Algériens musulmans qui représentent moins de 6 % de la Colonne Randon. Ce pourcentage double en 1911.
155 L. Baudicour, op. cit., p. 74 et 75.
156 G. Loth, Le peuplement italien… cit., p. 239.
157 Boll. Cons., 1889.
158 Le développement de la Colonne autour d’un secteur d’activité à dimension communautaire rappelle très fortement les pages de Marie-Claude Blanc-Chaléard sur les métiers du bois à Charonne et Sainte-Margueritte. Les Italiens dans l’Est parisien… cit., p. 316 et suiv.
159 Boll. Cons., 1902. Le CGA fait ici référence à la séance du 23 juin 1902 des Délégations financières.
160 Eugène François est avec Célestin Bougoin l’un des pionniers de la Colonne. Venu en 1848 par le 11e convoi de colons parisiens, il acquiert, dans les années 1860, 4500 km2 de terrain sur lequel sera construit le quartier de la Colonne Randon. http://83130.free.fr/index.php/repdb/109-eugene-francois.
161 A. Blanc, op. cit., p. 44.
162 Ibid., p. 42.
163 C. Zalc, Petits entrepreneurs étrangers en ville : localisations urbaines, réseaux migratoires et solidarité professionnelles dans la Seine pendant l’entre-deux-guerres, dans Société française d’histoire urbaine, 4-2, 2001, p. 67-82, p. 73.
164 L. Travers, op. cit., t. III, p. 105.
165 J.-J. Jordi et J.-L. Planche, 1860-1930… cit., p. 40.
166 S. Mourlane et C. Regnard, Empreintes italiennes… cit.
167 Les travaux déjà cités de Paul-André Rosental et celui de Jean-Claude Farcy et Alain Faure sont les ouvrages de références sur lesquels nous nous sommes appuyés dans cette sous-partie.
168 Dans le cas de l’Algérie, les sources sont en théorie les mêmes que celles que l’on utilise en métropole : actes d’état civil, listes nominatives de recensement, et tout autre registre contenant une indication relative au domicile. En pratique, ces volumes sont rarement disponibles quand par chance ils ont été conservés.
169 D. Courgeau, E. Lelièvre et O. Wolber, Reconstruire des trajectoires de mobilité résidentielle. Éléments d’une analyse biographique des données de l’EDP, dans Économie et statistique, 316-317, 1998, p. 163-173.
170 Dans les paragraphes qui suivent, nous avons choisi de nous concentrer sur un échantillon réduit de 136 individus en sélectionnant seulement ceux présents dans la base des deux-cents et inscrits sur la liste électorale de 1905. Cette année est commune à tous comme fin du parcours migratoire puisqu’il aurait été difficile de les poursuivre au-delà de 1905, l’état civil numérisé s’arrêtant en 1910. Rappelons qu’aucun des naturalisés n’est né en Algérie bien que ces derniers représentent une part non négligeable de la population naturalisée de Bône.
171 C. Lauras, Les Arméniens à Saint-Étienne : une escale dans un parcours migratoire ?, Saint-Étienne, 2006, p. 71.
172 La principale étant l’analyse de séquence pour laquelle on utilise des données qui n’ont pas de datations précises et ne sont pas uniformes selon les individus. En effet, chaque individu s’inscrit dans un espace-temps précis, ce qui introduit une dimension diachronique et nécessite d’utiliser prudemment certaines variables comparatives. F. Foroni, Mesurer les migrations à partir de différentes sources nominatives : bilan d’une recherche menée dans le Jura Français aux XIXe et XXe siècles, dans Collectes des données et connaissance des populations, Bordeaux, 2008.
173 P.-A. Rosental, op. cit., p. 105.
174 Ce mouvement est noté par Pénissat qui constate que Bône constitue le principal point de fuite des corailleurs italiens de La Calle dans les années 1880. La navigation et la pêche côtière en Algérie, Alger (Giralt), 1889, p. 13.
175 Recensements généraux du GGA.
176 C. Mussard, Archéologie d’un territoire de colonisation en Algérie… cit., p. 47.
177 G. Loth, op. cit., p. 257.
178 AN, BB//877x76.
179 Comme en métropole, le taux de mortalité infantile est encore très élevé en Algérie à la fin du XIXe siècle. En 1894, il estde 180‰ en Algérie et 170‰ en métropole. C. Robert-Guiard, Des Européennes en situation coloniale… cit., p. 143.
180 AN, BB//35320x14.
181 On est galibot entre huit et dix ans. L’emploi d’enfants de moins de dix ans est pourtant interdit depuis la promulgation du décrêt impérial de 1813.
182 G. Loth, Le peuplement italien… cit., 1905, p. 150.
183 Ibid.
184 G. Crespo, op. cit., p. 82. L’auteur s’appuie ici sur le récit du Comte Jean de Kergolay qui effectue un voyage en Sardaigne en 1900. Souvenirs de Sardaigne, dans Revue des deux mondes, 5, 1909, p. 669.
185 On pourrait le voir avec la seconde génération grâce à certains actes d’état civil que nous n’avons retrouvés qu’en trop petit nombre.
186 Certaines rues traversent des quartiers distincts mais ne possèdent pas forcément de numérotation (ou celle-ci nous est inconnue). Il est ainsi délicat d’identifier le changement de domicile lorsqu’un individu habite successivement des immeubles situés à deux numéros différents d’une même rue. En cas de doute sur une adresse, nous avons préféré minorer le phénomène.
187 La chronologie migratoire et familiale de chaque individu influe fortement sur la collecte des données. De fait, la récolte des informations est inégale en fonction de la disponibilité des sources mais aussi selon le degré de visibilité des individus dans ces sources.
188 La durée d’observation varie entre 2 et 49 ans.
189 J.-L. Pinol, Les mobilités de la grande ville… cit., p. 241.
190 AN, BB//5657x91.
191 Comme Gaetan Buovolo, Jean Dominique Poggi est un natif de la colonie qui a acquis plusieurs immeubles à Bône. Né à La Calle en 1846, il est le fils d’un maçon corse qui a fait fortune dans l’industrie du bâtiment après avoir assuré la construction de plusieurs immeubles dans le quartier de la nouvelle ville (ECA).
192 C. Lévy-Vroelant, Contribution à l’étude de la mobilité résidentielle : l’exemple de Versailles au XIXe siècle, dans E. Lellièvre et C. Lévy-Vroelant (dir.), La ville en mouvement : habitat et habitants, Paris, 1992, p. 31-40, p. 33.
193 La formule utilisée consiste à diviser la moyenne globale de résidence par le nombre total de résidences pour chaque groupe.
194 Sur le niveau de vie des gens de mer, se reporter au chap. 7-3.
195 V.-F. Garau, Traité de pêche maritime pratique et des industries secondaires en Algérie, Alger (Imp. P. Crescenzo), 1909, p. 124. Ce dernier précise que la pension des Invalides, qui constituent une sorte de retraite accordée par l’État aux marins de plus de cinquante ans, est « un secours […] qui ne peut les aider beaucoup ».
196 Les lieux de naissance de ses enfants mentionnés dans son dossier de naturalisation nous permettent de suivre les pérégrinations de la famille Francavilla depuis leur premier départ de Trani jusqu’à leur installation à Bône. Partis de Trani en 1888 avec sa femme et ses deux premiers enfants, tous nés dans le même lieu, ils font une étape égyptienne à Port-Saïd en 1889, où Thérèse Stella accouche d’un troisième garçon. On les retrouve à Trani en 1892 où nait leur première fille. Entre temps, ils font un cinquième enfant en 1894 qui nait aussi à Port-Saïd. La première bônoise nait en 1898, puis suivent encore deux enfants. AN, BB//5987x97.
197 L’adresse n’est pas précisée dans le dossier de naturalisation.
198 AN, BB//5987x97. La demande est intégrée au dossier en 1925. Le cadet, François, appartient à la classe 1905. Il est mobilisé comme 2ème classe dans le 7ème régiment d’infanterie coloniale. Blessé au combat dans la Somme, près de Villers Bretonneux, il y décède le 18 février 1915. L’acte est consultable sur la base : http://www.memoiredes-hommes.sga.defense.gouv.fr.
199 Annuaire du département de Constantine administratif, commercial, industriel, agricole et vinicole, Alger (GGA), 1908.
200 J. Rainhorn, Paris, New York… cit., p. 71.
201 Au total nous avons enregistré 324 adresses pour ces 82 individus.
202 J. Rainhorn, op. cit., p. 72.
203 AN, BB//2786x98.
204 Le caveau familial est l’un des plus imposants du cimetière d’Annaba (voir annexe 29). Nous revenons sur ce personnage dans le chapitre suivant.
205 D. Guignard, Abus de pouvoir… cit., p. 269. En note, l’auteur précise que « l’instruction montre que quatre Italiens résidant à Bône depuis trois mois s’en sont remis à Pisani pour les formalités de naturalisation. Le maire reconnaît avoir signé les certificats de résidence « sans se rendre compte de [leur] contenu, ignorant ce que voulaient en faire les intéressés »».
206 Il y a quatre Michel Pisani à cette époque à Bône, dont un Maltais.
207 APCA, Police générale, 1887. Plusieurs correspondances insistent sur la nécessité de recruter des « agents parlant la langue italienne ».
208 Hortense y née en 1848.
209 AN, BB//1713x76.
210 AN, BB//4382x03.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002