Introduction
p. 1-18
Texte intégral
1« Quel inconvénient y aurait-il à ce que de l’Afrique à son tour sortent de nouveaux Français ? »1. En posant cette question deux semaines avant l’adoption du sénatus-consulte de 1865, le sénateur Claude Alphonse Delangle interpellait ses pairs encore sceptiques quant à la nécessité de favoriser la naturalisation des étrangers européens installés en Algérie. Soixante-dix années plus tard, revenant sur la politique menée depuis 1865, René Lespès célébrait dans une publication officielle « la formation d’un nouveau peuple, de provenance européenne, essentiellement latin, qui constitue la synthèse la plus originale et la plus parfaite qui soit dans les pays méditerranéens »2. Gommé de ses innombrables atermoiements, le processus d’intégration des étrangers à la population française d’Algérie finissait par être unanimement présenté comme un des succès marquants de la colonisation française.
2Il en est resté un récit figé de la francisation des étrangers en Algérie, encore largement présent dans l’historiographie aujourd’hui. L’une des ambitions de ce livre est de bousculer ce récit trop linéaire. Nous privilégions pour cela une approche monographique, adossée aux problématiques et aux méthodes forgées par l’histoire de l’immigration en France. L’histoire de l’immigration italienne à Bône que nous proposons ici prend en compte un corpus de sources peu utilisées par les historiens de l’Algérie coloniale. En plus d’apporter un regard nouveau sur les relations entre immigration et colonisation en Algérie, cet ouvrage élargit le propos en invitant également à reconsidérer la place de l’Algérie dans les rapports franco-italiens au Maghreb et à réactualiser les différents enjeux liés aux mobilités italiennes en Méditerranée occidentale aux XIXe et XXe siècles.
Les Italiens en Algérie entre histoire coloniale et histoire de l’immigration
3L’histoire des Européens en Algérie s’est construite en marge des riches débats produits par la recherche historique sur l’immigration en France, très dynamique depuis les années 1980. Ce domaine est resté quelque peu cloisonné dans le champ colonial, voire mémoriel, et ce malgré l’implication initiale d’historiens spécialistes des phénomènes migratoires comme Émile Temime. En 1982, ce dernier avait fait soutenir la première thèse du genre sur les Espagnols en Oranie3. Les travaux universitaires produits dans la foulée sur les Maltais4, les Allemands5, les Anglais6, les Alsaciens-Lorrains7 et enfin les Italiens8 ont tous été dirigés par des spécialistes du Maghreb et de la colonisation. Parallèlement, les nombreux ouvrages collectifs sur les étrangers en France n’ont pas intégré l’Algérie, davantage considérée comme un territoire colonial malgré son statut de département ou comme un simple territoire d’émigration9. Exception faite toutefois au champ de l’immigration italienne à la fin des années 1980, alors porté par le Centre d’Histoire Sociale du XXe siècle et le Centre d’Études et de Documentation de l’Émigration Italienne autour desquels gravitait l’historien italien Romain Rainero10.
4L’Algérie offre pourtant un cadre fertile pour questionner les thématiques liées à l’immigration aux XIXe et XXe siècles. Tout au long de la période coloniale, plusieurs dizaines de milliers d’immigrants européens s’y installent. Ils viennent de métropole mais aussi de toute l’Europe, en particulier d’Espagne, d’Italie et de Malte. En 1866, le Gouvernement Général de l’Algérie recense plus de 200000 Européens. Près de la moitié sont des étrangers. Ces derniers sont encore 220000 au début du XXe siècle. Décrits comme des ouvriers et des petits paysans déshérités poussés par la faim et la répression politique, ces immigrants des classes pauvres de l’Europe méditerranéenne forment une composante essentielle du peuplement européen. Dans les enclaves occupées dès les premières années de la conquête militaire, la part des étrangers dans la population européenne est considérable jusqu’à la Première Guerre mondiale. À Oran, les étrangers, presque tous Espagnols, sont majoritaires jusqu’au milieu du XIXe siècle et représentent encore près d’un tiers des Européens au début du XXe siècle. À Bône, les Italiens et les Maltais sont plus nombreux que les Français jusqu’aux années 1870 et comptent encore pour 35 % des Européens en 1911. Ces proportions sont sans commune mesure avec les grandes villes d’immigration de la métropole11.
5« Non désirées », ces migrations ne font pas l’objet d’une politique d’immigration déterminée, le Gouvernement Général cherchant d’abord à financer la venue d’immigrants de métropole12. Elles sont cependant rapidement envisagées par la France comme un « réservoir » indispensable au peuplement français de la colonie, ligne directrice de la politique coloniale algérienne à partir des années 1860. Il faut « fabriquer du Français » avec ces étrangers afin de garantir la suprématie française face à la croissance démographique de la population algérienne13. C’est dans ce but qu’est instaurée la procédure de naturalisation par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et qu’est appliquée la loi métropolitaine du 26 juin 1889 introduisant le jus soli14. Les enfants issus de ces immigrations transméditerranéennes obtiennent alors la nationalité française dans des proportions considérables, contribuant à terme à la formation d’une population française d’Algérie cosmopolite. À la fin de la période coloniale, plus d’un Français natif d’Algérie sur deux possède une ascendance étrangère. Du milieu des années 1860 à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le courant continu d’immigration étrangère se fond ainsi progressivement dans la population française.
6Selon la lecture proposée dès 1968 par Charles-Robert Ageron15, la politique de peuplement menée par la France est présentée encore aujourd’hui comme un « échec », l’assimilation des étrangers comme une solution couronnée de succès16. Ce constat, qu’il convient de questionner, a contribué à renforcer la représentation d’une population européenne homogène, formant un « bloc » partageant une identité propre, une culture commune17. Comme si être un étranger ou un national ne changeait rien dès lors que l’on était un Européen. En insistant toujours sur la dynamique inclusive, les historiens ont ainsi négligé toute la dynamique exclusive qui caractérise l’évolution du statut des étrangers en Algérie et qui se joue aussi en métropole à la même époque.
7L’histoire de l’immigration en France a en effet démontré que la politique d’ouverture de la nationalité engagée dès la seconde moitié du XIXe siècle s’accompagne d’une fermeture progressive des droits politiques et des professions auparavant accessibles aux étrangers18. À mesure que le nombre d’étrangers présents sur le sol français augmente, l’immigration devient un « problème national ». Dans les années 1880, les manifestations de rejet de la société d’accueil se multiplient creusant une frontière entre les nationaux et les étrangers qui s’accroît encore dans l’entre-deux-guerres. À bien des égards, cette opposition se retrouve dans la colonie mais elle n’apparait que très peu dans l’historiographie. Le premier défrichement par nationalité a bien montré que la dégradation de l’économie algérienne et la montée du séparatisme au cours des années 1890 fragilisent temporairement la situation de la population d’origine étrangère. Mais la position des étrangers au sein de la société coloniale algérienne n’a jamais été envisagée sur la longue durée autrement que dans une perspective de « fusion ». Hormis son volet assimilateur, on connaît mal la législation adoptée à leur égard de 1830 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. La question du statut des étrangers et de la place qu’il faut leur accorder dans la colonisation est pourtant débattue très tôt en Algérie, dès les premières années de la conquête19. En sachant que les étrangers européens représentent un vivier démographique qui garantit la sauvegarde de la suprématie française sur la population autochtone, on est tenté de s’interroger sur la manière dont se trace la ligne de démarcation entre nationaux et étrangers et comment celle-ci évolue dans le temps.
8On connait encore moins les revers locaux de l’intégration des étrangers à la population française, en particulier pour les Italiens. Si les travaux de Jordi et Vilar évoquent les tensions relatives à l’intégration des immigrants espagnols et de leurs enfants, en raison notamment de leur concentration dans certains arrondissements comme celui d’Oran20, celle des Italiens n’a pas, semble-t-il, posé « de semblables problèmes vu leur nombre beaucoup plus restreint » de sorte qu’ils « se fondirent plus facilement dans la population française »21. Par rapport aux Espagnols qui sont plus de 150000 à la fin du XIXe siècle, les Italiens ne sont jamais plus de 45000, ne dépassant pas 10 % de la population européenne. Pourtant, Gérard Crespo, qui insiste surtout sur ce qu’il appelle les « facteurs de la fusion » faisant ainsi écho à l’étude écrite cent ans plus tôt par Gaston Loth22, signale l’émergence d’un discours xénophobe dénonçant le « péril italien » dans les villes du Constantinois où se concentre l’immigration italienne. En métropole, les Italiens sont les premiers à subir la xénophobie de masse et le protectionnisme ouvrier qui se développent dans les premières décennies de la Troisième République, occupant une place déterminante dans le processus de construction de l’État-nation23. La xénophobie, non seulement alimente les discours, mais s’enracine dans les pratiques sociales, en particulier dans les régions de forte immigration comme les départements frontaliers du nord et du sud-est24. Les « Vêpres marseillaises » de 188125 ou le massacre d’Aigues-Mortes de 189326 symbolisent à l’extrême la violence qui résulte du climat d’hostilité qui règne dans les deux dernières décennies du siècle à l’encontre de la population italienne27.
9L’histoire des Italiens en Algérie, et plus largement des étrangers, souffre enfin de l’absence d’études de cas à des échelles plus réduites que les études régionales permettant d’effectuer des comparaisons avec les bassins d’immigration de métropole. Les nombreuses monographies sur l’immigration italienne ont permis de saisir les spécificités de l’immigration transalpine et les dimensions locales de ses dynamiques d’insertion. Très fertile, ce champ de recherche a mis en évidence la pluralité des modèles d’intégration en accordant une dimension très importante au territoire, soulignant l’ambivalence d’une tradition communautaire italienne liée au double localisme et en même temps une certaine habileté par rapport à l’intégration, notamment en milieu urbain28. Comme nous le verrons pour Bône, les parallèles possibles avec certaines villes d’implantation italienne, en particulier Marseille, sont nombreux.
10Ainsi, dans quelle mesure l’Algérie peut-elle offrir un territoire d’immigration permettant de décaler le regard porté en métropole sur les phénomènes d’immigration et d’intégration ? Sur cette terre coloniale où Français et étrangers sont tous des allochtones, quels sont les politiques d’immigration et les schémas d’intégration de la population étrangère ? Bône, très vite identifiée comme un espace de forte implantation italienne tout au long de notre période, est-elle un « creuset migratoire » comparable au modèle métropolitain ou éloigné du fait de ses spécificités coloniales ?
De l’Italie à l’Algérie : migrations méditerranéennes et peuplement des ports à la lumière de la colonisation maritime
11Ces premières convictions sur le besoin de reconsidérer l’histoire des étrangers en Algérie en centrant l’attention sur le versant franco-algérien ne doit cependant pas mener à négliger le versant italien. Il convient ainsi de déplacer l’attention portée au couple métropole/ colonie vers un espace méditerranéen intégrant les relations entre l’Italie et l’Algérie. Sous cet angle, le but est d’appréhender les différents enjeux soulevés par la migration italo-algérienne de l’autre côté de la Méditerranée, en particulier les politiques mises en œuvre à son égard par l’État italien, depuis l’Unité amorcée en 1861 jusqu’à la période fasciste. Ce courant migratoire, ses causes et l’impact qu’il a pu avoir sur les localités de départ demeurent peu étudiés par la vaste histoire de l’émigration italienne29. Aucune thèse n’a d’ailleurs été produite en Italie sur cet objet30. La formation d’importantes communautés d’espatri sur le pourtour méditerranéen occidental, en particulier au Maghreb, représente pourtant un élément déterminant de la politique extérieure de l’Italie post-unitaire31.
12Si l’on connait dans ses grands traits l’exceptionnelle diversité du courant migratoire et son évolution entre 1830 et 1962, il demeure ainsi difficile de comprendre véritablement ce que représente, pour un Italien, de migrer vers l’Algérie au XIXe siècle, dans une zone mixte à la frontière du métropolitain et du colonial, du commun et de l’exception. Il apparaît nécessaire de revenir sur les raisons qui poussent des milliers d’émigrants d’horizons divers et de conditions hétéroclites à franchir la Méditerranée et à s’installer sur un territoire qui ne leur est pas tout à fait inconnu avant le début de la conquête française. Dans le cas des Italiens de Bône, fil directeur de ce livre, le contexte qui précède l’installation massive dans la seconde moitié du XIXe siècle conduit vers un aspect méconnu de la colonisation française de l’Algérie et spécifique au courant migratoire italo-algérien, celui de la « colonisation maritime ».
13Dans l’historiographie de l’Algérie à la période coloniale, le lien entre les mobilités maritimes et la présence italienne en Algérie au XIXe siècle apparaît secondaire bien qu’il soit l’élément qui caractérise l’immigration italienne par rapport aux autres composantes européennes de la colonie. Les grandes synthèses historiques sur la conquête de l’Algérie ont fait peu de cas de la « colonisation maritime », expression utilisée dès la fin du XIXe siècle pour définir les politiques de mise en valeur du littoral algérien et d’exploitation des ressources maritimes32. La mise en place d’un service maritime dès 1834 et l’élaboration d’une législation visant à territorialiser le domaine maritime algérien dans les premières décennies d’occupation sont passées presqu’inaperçues. Charles-André Julien ne rapporte rien des projets menés par les premiers administrateurs maritimes, ni des réformes entreprises par les Gouverneurs Généraux et les ministres de la Marine et des Colonies à partir des années 184033. Ces éléments marquent pourtant une volonté immédiate de la France d’asseoir sa souveraineté sur une ressource qui a commencé à lui échapper depuis le début du XIXe siècle.
14Bien avant le début de la conquête de l’Algérie par l’armée française en 1830, Bône est une rade fréquentée par une importante population de gens de mer et de négociants européens. Placée sous l’aurorité du Dey de Constantine, la ville est rattachée depuis le XVIe siècle à la province ottomane d’Alger qui constitue un embryon d’État quasi-indépendant de Constantinople. Son économie repose essentiellement sur les revenus engendrés par l’activité corsaire, la « course », inféodée aux interventions militaires turques, le négoce du blé et la pêche du corail34. Toute une bibliographie consacrée aux pêcheries de corail sur le littoral oriental de l’Algérie a intégré cette petite ville fondée au XIe siècle dans le vaste espace d’échanges commerciaux qui liait les littoraux de l’Europe et l’Afrique du Nord aux époques médiévale et moderne35. À la veille de la prise de Bône en mars 1832, la pêche du corail est devenue l’enjeu central des relations diplomatiques entre les grandes puissances européennes présentes dans la région. La France, qui obtient le monopole de cette activité en 1741 auprès du dey de Constantine et de la représentation ottomane, est contrainte de déléguer ses droits à l’Angleterre entre 1806 et 1816, puis voit les grands ports de l’Italie occidentale, Gênes, Livourne, Naples, devenir les maîtres de cette pêche36. Si Bône compte parmi les premières enclaves occupées par les militaires, n’est-ce pas justement parce que sa soumission doit permettre à la France de rétablir son monopole perdu sur l’exploitation du corail ?
15L’absence du fait marin dans l’historiographie de la conquête de l’Algérie, période qui se clôt à la fin des années 1870, tient surtout au fait qu’à côté des péripéties militaires, les modalités d’administration du territoire et des populations soumises sous l’angle de la « dépossession foncière » concentrent encore aujourd’hui l’intérêt de la recherche37. Pourtant, le nouvel ordre des choses imposé au territoire algérien à partir de 1830, cette « greffe coloniale » décrite par Marc Côte38, n’a pas seulement un impact sur les populations autochtones, il bouleverse tout un monde qui fonctionne avant 1830 et au centre duquel se trouve la population maritime italienne affiliée à la pêche et la vente du corail. Comme nous le montrerons dans la première partie de ce livre, la comparaison entre la dépossession du sol et l’appropriation des ressources maritimes tout au long du XIXe siècle est intéressante car ce sont les mêmes mécanismes rhétoriques et juridiques qui interviennent bien que la population concernée ne soit pas la même. On se demandera ainsi dans quelle mesure la délimitation du territoire maritime et l’affirmation de la souveraineté française sur celui-ci permettent d’interroger les fondements et les rouages du processus de colonisation en Algérie.
16Les problématiques soulevées par la colonisation maritime ne se limitent pas seulement à des considérations d’ordre économique et territorial mais se rapportent également à la question du peuplement, notamment des ports. Il semble ainsi qu’il y ait un lien entre la désertion par les historiens de ces deux terrains, celui de la mer et du peuplement européen des villes au XIXe siècle. La concentration des Européens dans les zones urbaines du littoral, en particulier de sa composante non-française largement majoritaire jusqu’aux années 1880, est un phénomène constant tout au long de la période coloniale39. Or l’immigration européenne, qui se développe dès les années 1840, a toujours été envisagée du point de vue de la colonisation agricole et donc du peuplement des campagnes40. Cela explique en partie que les Français, à qui sont réservées les terres, et les Espagnols, qui fournissent une importante main-d’œuvre agricole, soient davantage présents dans l’historiographie que les Italiens, essentiellement tournés vers la mer.
17Cet ouvrage veut donc s’inscrire dans les espaces délaissés par la recherche sur l’implantation européenne en Algérie. L’objectif est d’étudier les corrélations entre colonisation maritime et dynamiques de peuplement en centrant le regard sur l’immigration italienne dans le principal port de l’Est algérien. Ainsi, quelles sont les raisons extrinsèques à la présence française qui font de Bône et de sa région le premier noyau de peuplement italien tout au long du XIXe siècle ? En quoi la mise en œuvre d’une politique visant à développer les infrastructures maritimes et à territorialiser les industries halieutiques favorise-t-elle l’implantation durable d’une population originaire de la péninsule ? Plus largement, dans quelle mesure le développement de la migration maritime italienne après 1830 éclaire-t-il le peuplement des villes du littoral algérien ?
18Enfin, l’un des objectifs majeurs de ce livre consiste à reconsidérer la dichotomie « indigènes/Européens » héritée de l’histoire coloniale, en interrogeant le statut étranger des Italiens, tant dans leur rapport à la colonisation qu’à la nation. Cette démarche conduit à repenser la nationalité dans son rapport au territoire au sein d’un cadre urbain et colonial. Les bornes chronologiques couvrent une période qui court de l’adoption du sénatus-consulte du 14 juillet 1865 donnant aux étrangers résidant en Algérie la possibilité de solliciter la naturalisation française à l’année 1940 durant laquelle le gouvernement de Vichy révise le statut des étrangers et des Français naturalisés installés en métropole comme en Algérie.
Qu’est-ce que devenir Français en Algérie ? Les spécificités du parcours d’intégration des étrangers dans un cadre urbain et colonial
19En nous appuyant sur l’historiographie récente qui invite à reconsidérer les formes d’allégeance en Tunisie au XIXe siècle41, nous souhaitons appréhender la question de l’appartenance autrement que dans ses seuls rapports à un groupe ou une nation42. Appliquée à l’Algérie, cette approche par le bas permet d’envisager sous un autre angle la formation de la communauté française qui se construit de 1865 à 1940 et de nuancer le caractère a priori « communautariste » de la société coloniale algérienne43. Certes, les revendications autonomistes de la population européenne d’Algérie à la fin du XIXe siècle et la tendance à se qualifier comme « Algériens » obligent à envisager le renforcement d’une supposée identité européenne dans son opposition aux autochtones et à la métropole44. Mais ce processus politique et culturel ne détermine pas à lui seul la condition de chaque individu et ses interactions avec les membres issus d’autres groupes.
20Pour comprendre ce que signifie « devenir Français en Algérie », nous concentrons notre regard sur les familles des immigrants italiens qui se sont tournés vers la naturalisation à partir de 1865. Pour ce faire, nous avons recomposé les itinéraires migratoires d’Italiens nés en Italie, naturalisés français et installés à Bône afin de les suivre de leur lieu de naissance jusqu’à leur naturalisation et parfois au-delà. Nous avons construit plusieurs bases de données à partir des listes électorales conservées aux Archives de l’Assemblée Populaire et Communale d’Annaba (APCA), de 154 dossiers de naturalisations dépouillés aux Archives Nationales de Paris (AN) et de l’état civil d’Algérie numérisé par le Centre des Archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence (ANOM)45. Ce travail quantitatif a pour dessein d’évaluer les itinéraires migratoires, les pratiques matrimoniales, les évolutions de carrière et les trajectoires résidentielles sur une, deux, voire trois générations dans la mesure où les sources, souvent lacunaires, ont permis de constituer des échantillons se prêtant à ce type d’observation.
21En Algérie, ce genre d’étude n’a jamais été mené à l’échelle d’une ville ou d’un quartier tandis que la métropole jouit sur ce terrain d’une large bibliographie46. En retraçant l’histoire de Bône et de son peuplement italien, nous voulons donc étudier les modalités d’insertion de l’immigration italienne dans un espace urbain et colonial des années 1860 à la fin des années 1930. Nous nous demanderons ainsi selon quelles configurations les Italiens participent-t-ils à la croissance urbaine et économique de la quatrième ville d’Algérie d’un point de vue démographique, mais aussi dans quelle mesure l’immigration italienne, qui n’est pas la destinataire originelle de la politique de peuplement menée par l’administration coloniale, occupe une place centrale dans l’accroissement de la population française de Bône ?
Bône, une ville à reconstituer
22Le choix de cibler Bône plutôt qu’une autre ville à dominante italienne comme Philippeville ou La Calle est d’abord lié au fait que, par sa croissance économique autant que sa position géographique, elle constitue un pôle d’attraction durable pour les migrants italiens. Occupée par l’armée française dès 1832, Bône est l’enclave qui sert de brèche au développement de la colonisation dans la région, de base aux deux expéditions de Constantine en 1836-1837 et d’assise pour l’invasion de la Tunisie en 1881 où réside alors une importante population originaire de la péninsule qui s’accroît considérablement dans les décennies suivantes. La mainmise quasi immédiate des Européens sur les richesses maritimes, forestières et agricoles de la région bônoise contribue à sa transformation en port industriel, à laquelle participent activement entrepreneurs et travailleurs italiens. Premier port de l’Est algérien, Bône s’impose comme la capitale économique du Constantinois dès les années 1870. Jusqu’aux années 1920, elle concentre la plus forte colonie italienne et demeure l’objet d’une attention particulière de l’État italien tout au long de la période étudiée47.
23Tandis que les monographies urbaines manquent pour la période de la Troisième République, Bône a été l’objet de deux études de premier plan. La première est un mémoire de DES soutenu à Paris en 1955, au tout début de la guerre d’Indépendance algérienne. Sous la direction du professeur de géographie Jean Dresch, spécialiste du Maroc et plus largement du « monde africain », Lucette Travers réalisa une vaste étude de géographie urbaine basée sur les archives de la municipalité de Bône48. Étrangement peu connue, La ville de Bône ne fut jamais publiée mais donna naissance à deux articles parus quelques années plus tard, en 1958, dans les Annales de Géographie49. La seconde est l’œuvre de David Prochaska, premier historien de l’époque post-coloniale à s’être penché sur l’histoire d’Annaba durant la période coloniale50. Son travail dresse un portrait du modèle colonial algérien de 1870 au début des années 1920 à travers l’exemple de Bône. Il montre la dualité rigide de l’économie locale et la ségrégation résidentielle qui scinde en trois blocs Algériens musulmans, juifs et Européens51. Il insiste également sur la dépendance régionale de l’économie bônoise vis-à-vis des campagnes alentours et le rôle moteur du port dans l’aménagement des différents quartiers à la fin du XIXe siècle.
24Ces travaux sont précieux pour se familiariser avec le terrain algérien. Car une recherche sur une ville algérienne à l’époque coloniale est avant tout un travail de terrain. Des séjours sur place sont indispensables pour s’approprier les différents quartiers, y trouver des repères ou s’en fabriquer. Parcourir la ville, discuter avec ses habitants d’hier et d’aujourd’hui pour identifier les immeubles et les rues, leur emplacement quand les premiers avaient été détruits et les secondes modifiées, comprendre le sens de la ville, la numérotation des rues, situer les monuments rapatriés après l’indépendance, retrouver à sa place la statue de la Diane Chasseresse qui ouvre la Colonne Randon, aujourd’hui encore surnommée « le quartier des Italiens », reconnaître l’emplacement du café Sainte-Hélène où se réunissaient les membres du fascio local dans les années 1930, le marché couvert et ses étales de poissons frais, les bâtiments de l’Inscription maritime où se pressaient les marins italiens qui faisaient escale dans le port après un long séjour en mer.
25Dans ce travail de reconstitution important pour un passé qui n’est finalement pas si lointain, l’iconographie produite à l’époque coloniale constitue un soutien non négligeable, notamment les plans du génie civil conservés aux ANOM et à la BNF, les guides et surtout les cartes postales dont la production se développe à partir des années 1890 en lien avec les progrès du tourisme52. La photographie n’aide pas seulement à comprendre la création, les transformations et l’agencement des différents quartiers, elle aide également à sentir l’ambiance, à s’orienter et même parfois à mettre des visages sur les noms des immigrants italiens dont nous retraçons ici l’histoire. Comment restituer autrement leur identité aux individus comme aux quartiers ? Les descriptions de la ville sont peu nombreuses, en particulier pour la période qui précède la Première Guerre mondiale. Au XIXe siècle, Bône ne suscite guère la curiosité de voyageurs qui se contentent souvent de dépeindre les docks et leur agitation, leur atmosphère « bruyante » et « cosmopolite ». Les quelques observateurs qui parcourent la ville de long en large et livrent leurs impressions, comme Alain Blanc, sont peu nombreux53. Ils sont d’ailleurs peu attentifs aux hommes et à leur condition. Il faut dire que Bône n’est pas vraiment « exotique ». La ville précoloniale est largement détruite et remaniée dans les années 1830- 1840, et les populations algériennes y sont finalement peu visibles jusqu’aux années 1920.
26Étant donné le contexte démographique de Bône, il est bien difficile d’intégrer au récit la population algérienne musulmane jusqu’au début du XXe siècle. Si elle est certes minoritaire, elle est surtout largement ignorée par le monde européen. On sera ainsi amené à se demander dans quelle mesure la vie citadine peut favoriser une forme d’isolement des Européens et de désintéressement voire d’aversion pour ceux du dehors, les Algériens, avec qui ils sont cependant en contact permanent.
Pérégrinations méditerranéennes
27Les sources qui permettent d’étudier l’immigration italienne à Bône sont abondantes mais éparses. Elles se trouvent dans des lieux relativement éloignés : en France, en Italie, mais aussi en Algérie. La quête n’est pas toujours heureuse. La discontinuité des séries, notamment pour le XIXe siècle, l’absence d’inventaires et les conditions restrictives d’accès aux archives algériennes, la position de Bône vis-à-vis d’Alger ou de Constantine dans la hiérarchie administrative rendant accessoire le classement des fonds locaux comme aux ANOM54, au Service Historique de la Défense de Toulon (SHDT)55 et au Ministère des Affaires étrangères italiennes (ASDMAE)56, la destruction totale ou partielle des fonds comme ceux de la chambre de commerce d’Annaba et de l’Archivio del Municipio di Carloforte (AMC), constituent autant d’éléments pratiques qui entravent la collecte des informations.
28Comme tout historien qui se penche sur un courant migratoire, la première tâche consiste à quantifier les flux, et à utiliser pour cela les chiffres de l’émigration par région publiés par l’État italien et compilés dans l’Annuario statistico dell’emigrazione italiana et les recensements quinquennaux du GGA publiés dès 185657. Nous reviendrons au moment voulu sur ces deux documentations statistiques qui donnent à voir deux facettes du courant migratoire entre la péninsule et la colonie, en ce sens qu’elles ne concernent pas exactement les mêmes populations et sont élaborées dans des contextes politiques qui leurs sont propres. Les récapitulatifs des listes nominatives de recensements permettent eux de mesurer le poids de la population italienne résidant à Bône et sa distribution au sein des différents quartiers58. Si la valeur de tous ces chiffres est souvent mise en cause par les historiens, c’est surtout leur catégorisation qui pose problème59. D’un dénombrement à l’autre, les catégories administratives sont parfois refondées aux aléas du glissement juridique des différentes populations. En Algérie, l’administration française distingue plusieurs catégories de Français (« de souche », « naturalisés », « sujets »), chacune d’elles évoluant dans le temps. Il convient ainsi d’analyser méthodiquement les textes juridiques concernant la nationalité, de vérifier les conditions de leur application en Algérie et les débats parlementaires que celle-ci peut provoquer en métropole et dans les assemblées algériennes, de retrouver la trace des étrangers et des naturalisés dans le Bulletin Officiel du Gouvernement Général de l’Algérie60. En somme, l’étude du matériau juridique et administratif permet de réordonner la chronologie législative relative au statut des étrangers et des Français d’origine étrangère circulant et habitant l’Algérie de 1830 à 1940.
29Le Centre des Archives d’Outre-Mer, étape incontournable des chercheurs travaillant sur l’Algérie, renferme une partie de la documentation produite par la haute administration de la colonie, le Gouvernement Général et les préfectures. Ces sources contiennent moins d’informations sur la population italienne que sur la manière dont s’organise la politique à l’égard des étrangers en général. Elles permettent surtout de comprendre le fonctionnement des différentes institutions de la colonie et leur rôle vis-à-vis des étrangers. Au niveau local, c’est d’abord dans les correspondances entre les services préfectoraux et ceux de la municipalité bônoise, notamment entre le service de surveillance des étrangers et le commissariat central, que l’on croise les immigrants italiens qui apparaissent le plus souvent comme une population suspecte. Coutumiers des archives policières, les historiens qui s’intéressent aux populations étrangères de métropole ont bien montré les biais qu’elles offrent au lecteur contemporain mais aussi leur apport pour cerner le regard de l’administration et plus largement de la société sur des individus jugés souvent indésirables61. Le migrant n’est pas surveillé seulement parce qu’il est étranger, mais aussi parce qu’il est mobile. Dans le cas de la population italienne essentiellement ouvrière et marine, la surveillance est à hauteur du nomadisme qui la caractérise. Les registres de matricules tenus par les services de l’inscription maritime regroupés au SHDT comme les rapports des services portuaires chargés du contrôle de la pêche et de la navigation conservés ANOM sont autant de documents qui témoignent d’une volonté constante de mesurer et de contrôler des mobilités se développant à mesure que s’améliorent les routes et les moyens de transport terrestres et maritimes. Dans l’entre-deux-guerres, alors que le courant migratoire qui lie les deux territoires tend à s’essouffler, le regard de l’administration algérienne se déplace progressivement de la population italienne à leurs représentants consulaires. La documentation est foisonnante pour cette période. Les prétentions du gouvernement fasciste et sa tendance à « l’exportation » au Maghreb – qu’il nous faut discuter – tend à renforcer le contrôle de la diplomatie implantée en Algérie62. De ce point de vue, les archives du Ministère des Affaires étrangères (AMEF) permettent non seulement d’appréhender les rapports franco-italiens autour de la question algérienne mais aussi de cerner la position qu’occupe l’Algérie dans la politique menée par l’Italie à l’égard des pays arabes.
30Pour atteindre les échelons inférieurs de l’administration française, il est nécessaire de se rendre sur place. Peu nombreux sont les chercheurs européens qui se rendent en Algérie pour y consulter les archives même si leur nombre augmente depuis la fin des années 200063. La documentation conservée par l’APCA est importante mais son examen demeure délicat puisqu’elle n’est que partiellement classée et inventoriée64. L’APCA conserve une partie des archives dites de gestion (délibérations municipales, cadastres, titres de propriété, travaux publics, etc…), conséquence du compromis trouvé pour le rapatriement des archives après l’indépendance65. La méconnaissance des archives municipales constitue un véritable manque pour l’histoire des populations et des rapports sociaux en Algérie durant la période coloniale, un manque pour l’histoire locale aussi, c’est-à-dire l’histoire des villes et des villages, de leurs quartiers, de leurs rues, de leurs immeubles et donc de leurs habitants.
31Les archives italiennes forment le dernier pan de la documentation utilisée pour ce livre. Elles informent à la fois sur la politique menée par l’État italien à l’égard des espatri qui se dirigent vers l’Algérie au XIXe siècle, mais aussi sur celle menée sur place pour administrer cette population. Les sources italiennes aident ainsi à appréhender la Méditerranée comme un espace politique des migrations italiennes aux XIXe et XXe siècles. Durant toute la période coloniale, l’Algérie demeure une région ouverte sur le monde. Ses grandes villes accueillent un nombre important de représentations consulaires : celles des nations européennes présentes en Méditerranée comme l’Angleterre, de pays qui possèdent des intérêts économiques dans la région comme les États-Unis, mais aussi celles de petites nations comme Haïti qui détient des antennes consulaires à Alger et Bône. L’Italie dispose d’un réseau consulaire pyramidal particulièrement étendu au XIXe siècle : un consulat général à Alger, dépendant de l’Ambassade italienne à Paris, des vice-consulats à Bône et à Oran, et une myriade d’agences consulaires. Ces archives regroupent les correspondances entre les différents organes qui composent le réseau et les rapports transmis par le personnel consulaire au ministère des Affaires étrangères basé à Rome. Outre les charges administratives communes, les consuls sont tenus de rendre compte de la situation économique et politique par des communiqués souvent très détaillés. Ces rapports, dont certains sont publiés dans les volumes des Bollettino Consolare, offrent à l’historien un angle oblique d’observation sur la politique menée par la France en Algérie, et notamment sur les Algériens66. Leur point de vue diffère à bien des égards de celui des administrateurs français sur de nombreux points épineux : l’attribution des droits politiques, le fonctionnement des écoles, la conscription, etc… mais aussi sur la politique menée localement. La convoitise de l’Italie pour la Tunisie et l’Algérie orientale, depuis l’affaire tunisienne de 1881 jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, fait que les consuls ont un regard attentif à l’égard de ce qu’ils appellent « l’état d’esprit des indigènes » et prennent en permanence la température politique et sociale de la société algérienne. Le développement de la présence consulaire italienne en Algérie dans le second XIXe siècle témoigne également de l’importance qu’accorde l’État italien au courant d’émigration qui se dirige vers les trois départements. Les Italiens qui émigrent vers l’Algérie laissent des traces dans les archives des différents échelons de l’administration italienne. La consultation d’archives départementales et municipales en Sardaigne et dans les Pouilles éclaire ainsi les conditions et les causes des départs, permet d’identifier les différents acteurs qui interviennent dans le parcours d’un émigrant pour l’Algérie, de tracer les routes maritimes empruntées par celui-ci et enfin de récolter de nombreuses informations relatives aux Italiens venus à Bône (état civil, service militaire, etc…). Enfin, la fréquentation de plusieurs centres d’archives situés à Rome (Archives des Missionnaires d’Afrique, Archivio Propaganda Fide, Archivio Dante Alighieri) aide à saisir l’enjeu que représentait pour les institutions religieuses et culturelles la présence d’Italiens en Algérie.
Notes de bas de page
1 C.-A. Delangle, Rapport de M. Delangle au nom de la commission chargée d’examiner le projet de sénatus-consulte sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie, Paris, Ch. Lahure, 1865, p. 27.
2 R. Lespès, Pour comprendre l’Algérie, Alger, Imp. du GGA, 1937, p. 31.
3 J.-J. Jordi, « Problèmes de migration et d’insertion des Espagnols en Oranie (1840- 1950) », thèse de doctorat d’Histoire, Université de Provence, 1982. En 1991, Jordi copublie un ouvrage issu du mémoire soutenu par Gérard Crespo à l’EHESS en 1990, L’immigration espagnole dans l’Algérois (1830-1914) : histoire d’une migration, Versailles, 1991.
4 M. Donato, « L’émigration maltaise en Algérie au XIXe siècle », mémoire de maîtrise d’Histoire, Université de Provence, 1983 (dir. Jean-Louis Miège).
5 M. Di Costanzo, « L’émigration allemande en Algérie (1830-1890) », mémoire de DEA d’Histoire, Université de Nice, 1998 (dir. Guy Pervillé).
6 J. Redouanne, « Les Anglais et l’Algérie (1830-1930) », thèse pour le Doctorat d’Histoire, Université de Rennes-2, 1988 (dir. Jacques Thobie).
7 F. Fischer, « Émigration séculaire et émigration mythique : la colonisation alsacienne et lorraine en Algérie de 1830 à 1914 », thèse pour le doctorat d’Histoire, Université de Provence, 1994 (dir. Marc Michel).
8 G. Crespo, « Les Italiens en Algérie (1830-1960) : histoire et sociologie d’une migration », thèse de doctorat d’Histoire, Université de Provence, 1998 (dir. Lucette Valensi).
9 Les pages consacrées aux ANOM dans le quatrième volume de Les étrangers en France : guide des sources d’archives publiques et privées, XIXe-XXe siècles envisagent la question migratoire presqu’exclusivement dans sa dimension sud-nord. Dans l’historiographie française, l’expression « migration coloniale » désigne ainsi les seules migrations des territoires coloniaux vers la métropole, y compris les migrations dites de retour des Français rapatriés à la fin des périodes coloniales.
10 Sa collaboration avec Ralph Schor et Pierre Milza occasionne la publication de plusieurs contributions sur les communautés italiennes du Maghreb, notamment d’Algérie (se reporter à la bibliographie).
11 Par exemple, à Marseille, le pourcentage d’étrangers dans la population totale n’atteint pas les 20 % à la fin du XIXe siècle. E. Temime, R. Lopez, Migrance : histoire des migrations à Marseille, II, L’expansion marseillaise et « l’invasion italienne » (1830-1918), Aix-en-Provence, 1990, p. 7.
12 E. Temime, La migration européenne en Algérie au XIXe siècle : migration organisée ou migration tolérée ?, dans Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 43, 1987, p. 31-45.
13 G. Pervillé, La France en Algérie (1830-1954), Paris, 2012.
14 L. Blévis, L’invention de l’« indigène », Français non citoyen, dans A. Bouchène, J.-P. Peyroulou, O. Siari Tengour et S. Thénault (dir.), Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-1962), Paris-Alger, 2012, p. 212-217, p. 217.
15 Dans sa thèse publiée en 1968, Charles-Robert Ageron consacre deux chapitres aux Européens d’Algérie à travers l’analyse de la crise économique et politique des années 1890 qu’il décrit comme une « révolution manquée » au bout de laquelle est consacrée la « fusion » entre Européens : Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Paris, 1968, chap. XXI et XXII.
16 La thématique de l’échec du peuplement français de l’Algérie est l’argument d’un essai historique d’Alain Lardillier (1992) encore largement repris aujourd’hui. Voir notamment le récent grand format de L’Express « Les pieds-noirs : histoire d’une déchirure », 2014.
17 Dès 1953, l’ancien directeur de l’instruction publique au Maroc Georges Hardy affirme que « soumise aux influences communes du creuset algérien, cette population, si diverse dans ses origines, formait un bloc de plus en plus homogène et donnait naissance à un type social bien campé : le colon nord-africain » : Histoire sociale de la colonisation française, Paris, 1953, p. 155.
18 Voir notamment G. Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle) : discours publics, humiliations privées, Paris, 2007.
19 J. Sessions, « L’Algérie devenue française » : the naturalization of non-french colonists in french Algeria, 1830-1849, dans Proceedings of the Western Society for French History, 30, 2002, p. 165-177.
20 La recherche ibérique occupe dès les années 1970 le terrain de l’immigration espagnole sous l’impulsion de Juan Bata Vilar. Je renvoie à la bibliographie de son ouvrage le plus diffusé : Los españoles en la Argelia francesa : 1830-1914, Madrid, 1989.
21 C.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine… cit., p. 125. Constat repris par C. Liauzu, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale, Paris, 1996, p. 65.
22 L’étude de l’historien Gaston Loth, professeur au Lycée Carnot de Tunis puis directeur de l’Instruction publique au Maroc (1912-1919), s’appuie sur une riche documentation écrite et orale. Son ouvrage demeure encore aujourd’hui une référence sur la présence italienne en Algérie au XIXe siècle : Le peuplement italien en Algérie et en Tunisie, Paris, 1905.
23 Voir notamment G. Noiriel, Le creuset français : histoire de l’immigration XIXe-XXe siècle, Paris, 2006 (1988).
24 L. Dornel, La France hostile : socio-histoire de la xénophobie (1870-1914), Paris, 2004.
25 R. Lopez, E. Temime, op. cit., p. 127.
26 G. Noiriel, Le massacre des Italiens : Aigues-Mortes, 17 août 1893, Paris, 2010.
27 P. Milza, Voyage en Ritalie, Paris, 2004, p. 113 et suiv.
28 On pense ici au modèle de chaîne migratoire entre Ferrière et Nogent étudié par M.-Cl. Blanc-Chaléard, Les Italiens à Nogent hier et aujourd’hui, dans Espaces, populations, sociétés, 2-3, 1996, p. 367-375.
29 À travers deux contributions de Paola Corti et Nicola Labanca à la monumentale Storia dell’emigrazione italiana publiée en 2001, l’Algérie, comme l’ensemble du Maghreb français, a récemment intégré le large panel des destinations de la grande émigration italienne. Selon Nicola Labanca, cet intérêt tardif de la recherche italienne est lié au fait que les émigrations vers les territoires nord-africains « non coloniaux », ont longtemps été ignorées par les Italiens car elles faisaient apparaître l’échec du peuplement de la Libye. Oltremare : storia dell’expansione italiana, Bologne, 2002, p. 36.
30 La Tunisie concentre l’essentiel des travaux sur la présence italienne au Maghreb alors même que, comme nous le montrons dans ce travail, la population italienne d’Algérie est numériquement plus importante durant une grande partie du XIXe siècle. L’unique monographie italienne consacrée à ce sujet porte sur une courte période et n’a jamais été publiée. G. Santonocito, « L’emigrazione italiana in Algeria dal 1861 al 1866 nei manoscritti inediti del ASDMAE », tapuscrit conservé au Centro studi emigrazione (Rome), 1992.
31 C. Liauzu, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale… cit., p. 49 et suiv. Voir aussi D. J. Grange, L’Italie et la Méditerranée (1896-1911) : les fondements d’une politique étrangère, Rome, 1994, t. II, p. 571 et suiv.
32 Louis Lacoste, directeur de l’Inscription maritime au tournant des années 1930 et auteur d’un ouvrage retraçant le développement de la navigation et de la pêche depuis 1830, consacre cette notion dans La colonisation maritime en Algérie, Paris, 1931. Il n’est toutefois pas le premier à l’utiliser puisqu’elle est employée dans plusieurs travaux sur la pêche algérienne au début du XXe siècle. L’expression semble être spécifique à l’Algérie et n’est pas utilisée pour les autres territoires coloniaux.
33 C.-A. Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine : la conquête et les débuts de la colonisation (1827-1871), Paris, 1964. Les synthèses récentes comme celle de Guy Pervillé (2012) n’y font pas non plus référence.
34 Sur la structure du pouvoir dans la province ottomane d’Alger, se reporter à la présentation de Lemnouar Merouche dans H. D. Grammont, Histoire d’Alger sous la domination turque : 1515-1830, Saint-Denis, 2002. Sur l’économie de la course, voir son ouvrage La course, mythes et réalité, Saint-Denis, 2007.
35 Voir notamment les études de T. Filocamo (2005), P. Gourdin (2008), P. et C. Grenié (2010), H. B. Hassine (2000), O. Lopez (2013) et L. Piccino (2008).
36 De ce point de vue, on peut considérer que le processus d’appropriation des ressources maritimes par les Européens dans la région intervient bien avant le début de la période coloniale. Décrivant celui-ci sur la longue durée, Xavier de Planhol emploie lui-même l’expression « colonisation maritime » : L’Islam et la mer : la mosquée et matelot (VIIe-XXe siècles), Paris, 2000, chap. V.
37 Pour un aperçu de la recherche actuelle sur la période 1830-1880, se reporter à la première partie de Histoire de l’Algérie à la période coloniale (1830-1962)… cit., p. 19- 155.
38 M. Côte, L’Algérie ou l’espace retourné, Paris, 1988, p. 103 et suiv.
39 Les études démographiques de l’époque coloniale, notamment celles de René Ricoux et de Victor Demontès, avaient déjà mis en évidence le caractère urbain du peuplement européen.
40 C’est ce que conste Charles-Robert Ageron qui décrit une histoire « légendaire » et « épique du peuplement européen en Algérie ». Français, juifs et musulmans : l’union impossible, dans C.-R. Ageron (dir.), L’Algérie des Français, Paris, 1993, p. 103-118, p. 104.
41 J. Clancy-Smith (2011) ; M. D. Lewis (2014) ; A.-M. Planel (2015).
42 C’est aussi l’approche privilégiée par Nourredine Amara en ce qui concerne la « nationalité algérienne » des sujets algériens dans les protectorats marocains et tunisiens : Être algérien en situation impériale, fin XIXe-début XXe siècle : l’usage de la catégorie « nationalité algérienne » par les consulats français dans leur relation avec les Algériens fixés au Maroc et dans l’Empire Ottoman, dans European Review of History – Revue européenne d’histoire, 1, 2012, p. 59-74.
43 J. Dakhlia, Islamicités, Paris, 2005.
44 M. Yelles, Cultures et métissage en Algérie : la racine et la trace, Paris, 2005, p. 206.
45 Pour une explication des sources et des méthodes utilisées pour élaborer, se reporter à l’annexe 5.
46 Pour l’immigration italienne en métropole, nous pouvons mentionner l’étude de Linda Guerry (2013). Sans utiliser les dossiers de naturalisation, deux travaux récents ont toutefois proposé une étude démographique de la population européenne d’Algérie. L’un de Claudine Robert-Guiard (2009) est davantage centré sur les femmes, l’autre de Guy Brunet (2012, 2014), basé sur le dépouillement de plusieurs milliers d’actes d’état civil pour la période 1830-1894, concerne l’ensemble des Européens.
47 Avant l’unification de l’Italie en 1861, les royaumes du Piémont-Sardaigne et des Deux-Siciles s’efforcent de sauvegarder leurs intérêts économiques dans la région, essentiellement les revenus engendrés par la pêche et la vente du corail. Nous verrons qu’après l’Unité, alors que le courant d’émigration vers l’Algérie s’intensifie, l’État italien cherche à s’implanter plus fortement sur le territoire algérien et fait de Bône le centre de gestion des populations italiennes présentes dans le Constantinois.
48 « La ville de Bône », mémoire pour le DES de Géographie, Faculté de Lettres, Paris, 1955. Celui-ci est conservé en un exemplaire unique, dactylographié, non relié, et conservé à l’Institut de géographie de Paris.
49 La formation de la ville et les facteurs de son évolution, dans Annales de géographie, 364, 1958, p. 498-520 ; La mise en valeur du lac Fetzara, dans Annales de géographie, 364, 1958, p. 260-264.
50 D. Prochaska, Making Algeria French : colonisalism in Bône, 1870-1920, Cambridge, 1990.
51 Nous privilégions l’emploi du terme « Algériens » pour désigner les populations musulmanes et juives habitant le territoire avant 1830. Selon le contexte, les catégories administratives comme « indigènes musulmans » ou « israélites naturalisés » seront utilisées avec des guillemets.
52 J.-C. Humbert, Jean Geiser, photographe-éditeur d’art, Alger, 1848-1923, Paris, 2008, p. 75. La documentation iconographique présentée dans ce travail provient essentiellement de la collection mise à notre disposition par Yves Marthot, membre de l’Amicale des enfants de Bône d’Aix-en-Provence. Sur le développement des circulations et des activités liées au tourisme, se reporter à l’article de C. Zytnicki, Faire l’Algérie agréable : tourisme et colonisation des années 1870 à 1962, dans Le Mouvement Social, 242-1, 2013, p. 97-114.
53 A. Blanc, Tableautin sur l’Extrême-Orient, Bône, Puccini, 1887.
54 Nous regrettons de n’avoir pu utiliser le fond de la sous-préfecture de Bône, classé et mis à la disposition du public en octobre 2014.
55 Les archives de l’Inscription maritime de Bône (1882-1951) et d’Oran rapatriées originellement à Paimpol ont été reversées début 2013 au SHD de Toulon et sont en cours de classement.
56 Le fond du VCB n’a pas été classé. Pour la période postérieure à 1861, seul celui du consulat général d’Alger est disponible.
57 Dès 1856, le GGA effectue des recensements généraux de la population. Comme en métropole, le personnel municipal est donc tenu de réunir tous les cinq ans les données de recensement qu’il transmet au préfet de son département, qui lui-même les transmet, après traitement, au service central de statistique du GGA, définitivement établi en 1878. Sur ce point, voir K. Kateb, La statistique coloniale en Algérie (1830- 1962) : entre la reproduction du système métropolitain et les impératifs d’adaptation à la réalité algérienne, dans Courrier des Statistiques, INSEE, 112, 2004, p. 3-17.
58 Les états récapitulatifs sont insérés à la fin de chaque registre de recensement et résument les données détaillées par rue et par foyer qui y sont contenues. Prochaska utilise les états récapitulatifs de neuf listes nominatives (1872 ; 1876 ; 1901 ; 1906 ; 1911 ; 1926 ; 1931 ; 1936 ; 1954) dont une partie est rapportée dans son article : « La ségrégation résidentielle en société coloniale : le cas de Bône (Algérie), 1872-1954 », Cahiers d’histoire, 1980/2, p. 148-176.
59 Ces variations rendent cette source plus délicate à manier que leurs homologues de métropole. Ageron se montre d’ailleurs très prudent à l’égard de la statistique du GGA qu’il répugne à utiliser : Les classes moyennes dans l’Algérie coloniale : origines, formation et évaluation quantitative, dans Les classes moyennes au Maghreb, Paris, 1980 (Les Cahiers du CRESM, 11-6), p. 52-75, p. 53.
60 Le Bulletin officiel du Gouvernement Général de l’Algérie est ainsi titré à partir de 1862. Pour la législation antérieure, il convient de se référer au Bulletin officiel des actes du gouvernent (1830-1858), puis au Bulletin officiel de l’Algérie et des colonies (1858-1860) ou encore au Moniteur Algérien (1832-1858) puis Moniteur de l’Algérie (1861-1892).
61 Voir G. Noiriel, État, nation… cit., p. 331 et suiv., et E. Blanchard, « Encadrer des « citoyens diminués » : la police des Algériens en région parisienne (1944-1962) », thèse pour le doctorat d’Histoire, Université de Bourgogne, 2008, p. 8 et suiv., et M.-C. Blanc-Chaléard, C. Douki, N. Dyonet et V. Milliot (dir.), Polices et migrants : France (1667- 1939), Rennes, 2001, p. 251-262.
62 F. Dumasy, , Le fascisme est-il un « article d’exportation » ? Idéologie et enjeux sociaux du Parti National Fasciste en Libye pendant la colonisation italienne, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 53-3, 2008, p. 85-115.
63 R. Bader, D. Guignard et A. Kudo, Un terrain algérien pour la recherche, dans Vingtième Siècle, 77, 2003, p. 110-112 ; A. Lacroix, C. Marynower et H. Vermeren, Carnet de terrain : retour sur les archives algériennes, dans Vingtième Siècle, 110-2, 2011, p. 147-149.
64 Le classement effectué par Prochaska au milieu des années 1980 n’a plus aucune valeur aujourd’hui puisque les différents cartons ont été déplacés et dispersés dans le bâtiment.
65 Sur ce point, voir A. Bozzo, Archivi e decolonizzazione : il caso algerino, dans G. De Luna, P. Ortoleva, M. Revelli et N. Tranfaglia, Gli strumenti della ricerca, collezione « Il Mondo Contemporaneo », vol. X, t. III, Questioni di Metodo, Florence, 1983, p. 1063-1084.
66 L’apport de la documentation étrangère, c’est-à-dire ni algérienne, ni française, a longtemps été négligé par les historiens de l’Algérie coloniale. Depuis les années 2000, plusieurs chercheurs travaillant sur la guerre d’Indépendance ont exploité les archives des ambassades implantées en Algérie. On peut citer les travaux de Matthew Connelly (2003) et d’Irwin Wall (2001).
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