Le remploi des enduits peints en Gaule
Quelques exemples concrets
p. 47-48
Texte intégral
1Dans le prolongement de la réflexion menée par A. Coutelas et O. Vauxion, nous souhaitons ici porter l’attention sur la diversité des situations que recouvre le terme fréquemment employé de « remblais ». Même si on considère que, durant l’Antiquité, de nombreux matériaux sont triés et récupérés pour la reconstruction (moellons, tuiles intactes, poutres…), les démolitions occasionnent inéluctablement des masses de gravats importantes qu’il faut en grande partie évacuer avec les moyens de l’époque. Ce sont ces pratiques que nous nous proposons de mettre en lumière, à partir de quelques exemples gallo-romains.
Remploi comme matériaux de comblement
2Dans un premier temps, pour réduire ces gravats et faciliter leur déplacement, ce qui devait être particulièrement problématique en milieu urbain, on va bien entendu les utiliser pour combler les structures creuses (fosse, cave, puits…) afin de niveler le terrain avec des matériaux solides et durs qui vont garantir la stabilité du sol pour la reconstruction. Les enduits muraux, grâce à la qualité compacte de leur support en mortier de chaux, font partie de ces matériaux de comblement, jetés pêlemêle avec les mortiers, bétons, terres cuites architecturales ou autres.
3Ainsi, lors des fouilles, il est très fréquent qu’une cave livre les vestiges de plusieurs décors épars, du plus simple au plus somptueux, sans distinction.
Remploi comme radier de sol
4Sur de nombreuses fouilles, on a pu observer que les enduits étaient triés à part. Ils sont utilisés comme matériau homogène et dense, souvent lié par une matrice sableuse pour constituer un radier de sol dans des espaces extérieurs ou semi-extérieurs. À Soissons (Aisne) par exemple, rue Arago, dans une domus qui a connu de nombreuses phases de réaménagement avec rehaussement de sol, le remploi des fragments peints a pu être observé à divers niveaux. Ainsi, lors de la phase IIB (deuxième moitié du IIe s. ap. J.-C.)1, les vestiges d’enduit blanc avaient été réutilisés pour former le radier du sol de la cour (pl. VIII.2). On rencontre cette façon de faire également dans la galerie bordant le bâtiment 7 de la villa de Jonzac (Charente-Maritime), où les enduits et les stucs ont été détachés du mur et répartis de manière aléatoire afin de constituer un sol de circulation (pl. VIII.3)2.
5Ce procédé permet de drainer le sol et d’obtenir un espace non boueux.
6Bien entendu, ce contexte a un impact direct sur l’état de conservation des enduits.
Remploi comme couche de fondation.
7Toujours durant la phase IIB, la domus de Soissons nous livre une autre façon de remployer des enduits. En effet, on les observe, tels des gros graviers, en couche de fondation pour la dalle inférieure de l’hypocauste 6 (US 1029)3. L’épaisseur de la couche est d’environ 40 cm. Les fragments y étaient mêlés à de petites pierres calcaires.
8À Ribemont-sur-Ancre (Somme), lors de la monumentalisation du site (sous Trajan ou Hadrien) les enduits de la cella du temple ont été étalés sur la surface du socle en craie (65 m2) pour rehausser le sol de la nouvelle aire-autel. Le surplus des déblais a été retrouvé jeté dans une fosse à l’extérieur de l’enclos sacré4.
Recyclage en composant de mortier ou de béton
9Occasionnellement, on observe que des fragments d’enduit sont additionnés au mortier des supports muraux ou de sol. Bien que cela n’ait rien de surprenant, il semblerait que ce ne soit pas une pratique aussi fréquente qu’on le pense. Parmi les nombreux dossiers traités au Centre des Peintures Murales Romaines de Soissons, les exemples sont rares.
10À Clermont-Ferrand par exemple, rue de l’Oratoire5, des fragments de béton de sol (US 1200) présentaient de nombreuses inclusions de fragments d’enduit polychrome (pl. VIII.4)6. Les décors sont variés et les fragments fins et de petites tailles (max 5 cm2), comme s’ils avaient été préalablement concassés. Des fragments présentant les mêmes décors ont été mis au jour dans une fosse ailleurs sur le site (US 1525).
11À Orange, dans la maison E3 (RHI St-Florent, premier tiers du Ier s. ap. J.-C.), le décor de la zone inférieure de la salle DU-EA avait fait l’objet d’une réfection et des fragments d’enduit du premier état avaient été amalgamés à la couche de préparation du deuxième état, ainsi que des fragments d’amphore7 (pl. IX.1). Ce qui surprend dans le cas présent, c’est la taille importante des fragments (13 x 9,5 cm) qui a dû être une contrainte pour l’application du mortier sur le mur.
Quelques cas liés à des fours à chaux ?
12Citons encore deux exemples où des enduits peints ont été découverts dans des contextes liés à l’exploitation de la chaux sans que l’on ait pu vraiment en comprendre l’usage.
13À Bayeux (Calvados), rue Saint-Patrice, une quantité importante d’enduit (environ 4 m3) a été exhumée d’une fosse d’extraction de lœss appartenant à un complexe de four à chaux8. À Tongres (Belgique), lors des fouilles du « Vrijthof » (au pied de la basilique Notre-Dame), les débris de 18 décors différents ont été exhumés dans ce qui semble être un bac à chaux9. Les fragments présentent ponctuellement des traces de contact avec la chaux.
14Ces quelques exemples montrent des pratiques d’artisans du bâtiment confrontés à la gestion de gravats abondants. Ces pratiques semblent correspondre à une logique de situation, soucieuse d’économiser les moyens en utilisant les matériaux à disposition.
15Sabine Groetembril
Notes de bas de page
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