Conclusion
Texte intégral
1Au terme d’une journée d’études dont les objectifs et ambitions ont été affirmés avec force, les conclusions ne peuvent que tenter d’assumer la tâche, semble-t-il plus aisée, de mesurer le succès de l’entreprise. Dispose-t-on désormais d’une « explication satisfaisante » du concept de sacer ? Les huit contributions réunies dans ce volume réussissent-elles à désépaissir le « mystère » qui entoure cette notion ? Comme le rappellent plusieurs contributeurs, les historiens et linguistes contemporains, en cherchant à comprendre la sacerté, poursuivent ce faisant un travail au long cours puisque les Anciens n’eurent de cesse eux-mêmes de vouloir définir sacer et les autres termes du nuage sémantique auquel appartient la notion. L’ensemble des communications présentées lors de la journée d’études et aujourd’hui rassemblées dans cet ouvrage enrichit assurément cette œuvre collective, fournissant tout à la fois des clarifications bienvenues et des pistes nombreuses pour la prolonger.
Que comparer ?
2Inscrite sous le signe du comparatisme, la rencontre montre tout l’intérêt scientifique de cette méthode, dès lors qu’elle est conduite sur de « nouvelles bases », telles qu’énoncées par D. Dehouve, c’est-à-dire dans le cadre d’une réflexion qui intègre pleinement l’étude des contextes historiques et sociologiques des concepts, ainsi que leurs évolutions sémantiques, y compris à l’intérieur des champs lexicaux auxquels ils appartiennent. Cette rencontre tire ainsi tous les bénéfices du renouvellement méthodologique dont a bénéficié l’approche comparative depuis plusieurs années, au prix d’un effort de réflexivité critique mené par les chercheurs sur leurs pratiques scientifiques1.
3Plusieurs contributions poursuivent ce chemin fructueux et les langues de la péninsule italienne fournissent comme attendu le premier terrain de la comparaison : latin et étrusque, latin et ombrien, latin et osque. Toutes ne permettent pas une étude comparative terme à terme ; comme le souligne l’article de V. Belfiore, seule une enquête sur la notion de sacralité et ses différentes formes d’expression est possible pour l’étrusque : l’étude du lexique autorise à identifier des mots qui ont un rapport avec le concept de sacré et, dans un deuxième temps seulement, à proposer de possibles équivalents étrusques au polysémique sacer latin. En revanche, deux lexèmes ombriens, sakra et sakref, présentent la même étymologie que sacer et sācris. Cela dit, postuler d’emblée l’équivalence complète de ces deux couples reste une hypothèse tant que l’étude des contextes d’emploi des termes ombriens n’a pas clarifié leur signification et, de manière plus inattendue, contribué à éclairer en retour les sens de sacer et sācris. C’est assurément là l’un des mérites majeurs de cette journée d’étude que de mettre sur le devant de la scène les pièges de la sémantique lexicale. Si toute comparaison exige d’abord une traduction2, la contribution d’E. Dupraz en est une illustration particulièrement riche : la difficulté à déterminer le sens de certains termes ombriens contrarie plus d’une fois l’ambition comparative. L’enquête menée sur sakra et sakref est exemplaire dans sa méthode puisqu’elle dévoile le complexe travail de traduction qui doit précéder toute ambition comparative. Si on a pu traduire l’adjectif substantivé sakref par « porcelets », sur la base des rares attestations de sacris en latin, plusieurs contextes d’emploi invitent à prolonger la réflexion pour faire ressortir la richesse des traits sémantiques de l’adjectif. Si, substantivé, il rejoint la signification de sacris la mieux attestée, c’est aussi un terme technique qui permet de désigner une victime apte et destinée à être sacrifiée, et également, dans un sens plus large, un adjectif qualifiant la jeunesse d’un animal. Parallèlement, un autre signifié perdure : « relatif à ce qui est sakra ». La comparaison avec le latin se révèle sans aucun doute fructueuse mais, sans un travail préalable et continu de traduction des termes ombriens, la polysémie de sakra et sakref échapperait à l’analyse. Répétons-le, la documentation en langue non-latine n’a pas toujours une place suffisante dans la réflexion des historiens sur l’Italie préromaine et romaine, parce qu’elle est d’un accès difficile pour les non-spécialistes. La lecture des contributions réunies dans cet ouvrage remplit pourtant un double objectif : démontrer l’intérêt que les spécialistes d’histoire romaine ont à s’y confronter et offrir une voie pour le faire autour de l’étude d’une notion, mais aussi, si l’on suit les nombreuses pistes qui se dessinent au fil des analyses proposées, autour de séquences rituelles par exemple.
4La méthode comparative se développe également à une échelle inférieure, où elle devient une confrontation entre lexèmes proches ou appartenant à un même champ lexical. En effet, approcher la notion de sacer signifie en réalité devoir affronter une constellation de termes dont les tentatives de définition de chacun tracent les contours sémantiques des autres. C’est en construisant un dialogue constant entre des lexies proches que les contributions réussissent à faire émerger les usages spécifiques de celles-ci. L’étude menée par E. Tassi Scandone sur le couple sacer/sanctus se fonde sur une première clarification de sanctus, dont trois significations se dégagent des sources : sanctus peut désigner ce qui a obtenu l’augurium divin, ce qui est protégé et enfin ce dont toute violation est punie par la loi. Ainsi, les rites de fondation de la cité romaine illustrent parfaitement la sanctitas qui résulte de l’augurium de Jupiter. De là, une extension sémantique a conduit à adjoindre à sanctus le sens de munitus, autrement dit ce qui est protégé, si l’on suit Marcien, de l’iniuria des hommes. Enfin, à travers les cas de la lex et des loca, sanctus se présente comme l’adjectif qualifiant tout ce dont la violation est punie d’une sanction prévue par la loi. Seule la mise en évidence de cette richesse de sens – et la prise en compte des réalités multiples susceptibles d’être concernées par la sanctitas : loca, res, leges – détoure sacer de son environnement sémantique : une chose peut être sancta sans être sacra, et inversement, mais également être simultanément sancta et sacra.
5Ainsi, cette journée d’études le confirme sans ambiguïté, les différences entre les comparés sont souvent plus heuristiques que les parallèles. Cette règle implicite de la méthode comparative, où la connaissance s’appuie en priorité sur les dissemblances et les contrastes, et sa mise en œuvre réussie dans les contributions, se révèlent efficaces, tant pour les couples sacer/sacris et sacer/sakref étudiés par E. Dupraz, que pour l’homo sacer et l’impius exsecratus mis en confrontation par R. Fiori. Et comme le souligne E. Tassi Scandone, Ulpien, en cherchant à définir sanctus par rapport à sacer, adoptait en un sens une méthode voisine. De ce point de vue, l’étude du cippe d’Abella par O. de Cazanove se présente comme une confirmation paradoxale de cet aspect commun de la réflexion collective. En choisissant d’utiliser deux termes pour désigner le lieu de culte d’Hercule (sakaraklúm et fíísnú), les rédacteurs du texte semblent offrir aux Modernes une voie pour mieux comprendre l’un et l’autre, et nombre d’exégètes ont ainsi construit une distinction entre d’un côté un lexème désignant la totalité de l’espace à l’intérieur duquel se trouve le temple (sakaraklúm) et de l’autre un mot plus précis indiquant le temple lui-même (fíísnú). Or, à aucun moment du texte il n’est possible de déceler un sens « englobant » pour le terme sakaraklúm, et celui-ci s’est imposé non pas tant au prix d’un débat scientifique contradictoire, que grâce au succès de la traduction sanctuary. Sont ici mises à nu deux limites de la méthode comparative et de l’exégèse contrastive, intimement liées d’ailleurs. Confronter deux termes pour les expliciter repose sur un postulat : celui selon lequel les rédacteurs des textes offerts à notre analyse ont usé du lexique à disposition en respectant les définitions et acceptions précises de chacun des termes employés, ce qui n’est pas toujours le cas. Accepter ce postulat est une nécessité si l’on veut pouvoir avancer dans la réflexion ; néanmoins, les historiens et les linguistes comptent parallèlement sur l’effet de masse des différentes attestations, littéraires ou épigraphiques, pour pallier ce risque. La langue latine offre ici un exemple difficilement transposable : les études sur le riche vocabulaire utilisé pour désigner les lieux de culte ont apporté des résultats dont le très large socle documentaire garantit la justesse. Rien de tel pour nombre de termes italiques dont les occurrences n’atteignent jamais un seuil quantitatif critique. Les contributeurs de cette journée n’ont ainsi pas minimisé les difficultés de l’entreprise proposée, ni cherché à celer les limites des résultats obtenus. Plusieurs communications se confrontent à un corpus documentaire extrêmement limité – les inscriptions mineures d’Ombrie ne fournissent par exemple que quatre occurrences de l’adjectif sacer. Ajoutons à cela le défi que constitue pour l’historien et le linguiste la volonté de cerner le sens d’un lexème au sein de documents dont la compréhension reste partielle – le liber linteus –, dont l’interprétation de certains termes clefs demeurent sujette à caution – à l’instar du cippe d’Abella et de la traduction problématique de slagi –, ou, enfin, dont l’authenticité a pu être contestée, ainsi du passage consacré à sanctus par Ulpien. La comparaison entre langues italiques doit aussi être comprise comme une solution au faible nombre d’attestations de tel ou tel terme : proposer une large étude de sacer aux spécialistes des différents idiomes créé un corpus éphémère, plus fourni mais dont les contours demandent à être très finement tracés, où de nouvelles analyses se développent.
Linguistique, histoire et archéologie : l’importance des rituels
6En lien avec un renouvellement de l’étude des religions antiques, celle de Rome comme celles des peuples italiens, où les rites ont retrouvé toute leur place, il est particulièrement clair au terme de cet ouvrage que les approches linguistiques ont tiré tous les bénéfices de ces évolutions historiographiques. Se révèle au fil des contributions une attention en partie nouvelle aux contextes archéologiques, et donc à l’intelligence des espaces cultuels et des rites qui s’y déroulaient. L’étude de G. Rocca sur les inscriptions mineures d’Ombrie concerne quatre dossiers, dont deux soulignent plus particulièrement le caractère décisif d’une approche topographique et archéologique pour comprendre ce que sacer signifie. Le premier, une inscription retrouvée à Assise au milieu du XVIIIe siècle, évoque l’achat et la délimitation d’un terrain de la part de magistrats ; le texte se clôt sur la formule sacre stahu (sacre sto) et classe la pierre parmi les inscriptions parlantes. La compréhension de la sacerté de la pierre – qui ne se trouve ni aux limites ni dans l’enclos d’un lieu de culte – ne s’obtient que par la mise en contexte archéologique et topographique. La confrontation avec d’autres exemples, Ostia et Vercelli notamment, permet de déterminer que la pierre est sacrée en tant qu’elle se trouve sur un ager ayant-lui-même été consacré à une divinité. L’hypothèse est celle d’un terrain agricole où était cultivé l’épeautre mentionné comme tribut dans les Tables de Gubbio. Une deuxième inscription illustre tout le bénéfice d’une analyse où l’archéologie des rituels a toute sa place. La pierre, retrouvée en 1618 dans les environs de Foligno, présente un formulaire simple (Supunne | Sacr), où le datif du théonyme marque l’appartenance à la divinité. Cependant, une analyse plus poussée du nom de la divinité est nécessaire pour avancer dans la compréhension du caractère sacré de la pierre. S’agissant d’un testis unus, l’étymologie et le comparatisme avec le latin fournissent une première base de réflexion. La démonstration de G. Rocca permet de rapprocher Supunna de la « teologia del nome atto », explicitée par A. L. Prosdocimi, et bien documentée dans les Actes des frères Arvales. C’est donc à une séquence rituelle que renvoie le nom de la divinité, à travers la forme verbale supunda. Celle-ci pourrait désigner, comme le suggère notamment un rapprochement avec l’insipere latin, le moment où l’on jette la farine dans l’eau en vue de l’obtention d’une préparation (mola salsa, puls) nécessaire à l’accomplissement du rituel. L’archéologie des espaces religieux et du rituel permet alors de définir plus précisément la sacerté du cippe, celui-ci ayant probablement servi à délimiter une annexe du sanctuaire dédié à la confection de préparations nécessaires aux sacrifices, ou à des banquets, que les inscriptions latines désignent généralement du terme de culina.
7L’étude des termes sakra et sakref dans les tables Eugubines s’appuie elle aussi sur une utile analyse des étapes rituelles des sacrifices décrits. Dans la mesure où sakref est employé pour qualifier non seulement des offrandes, des victimes, mais également des vases (kapi) – l’élucidation du rôle de ceux-ci dans les différentes phases du rituel se révèle nécessaire. En effet, la traduction « propre à être sacrifié », bien attestée et documentée, ne peut alors satisfaire. Trois étapes sont ainsi identifiées grâce aux verbes employés : ampentu signale le moment de l’immolatio latine, purtuvitu celui de la redditio, alors que les deux termes subra :spafu informent de l’existence d’un dernier temps dont le contenu nous échappe en partie. On peut néamoins le comprendre comme un ensemble d’« opérations complémentaires » impliquant, entre autres, des sacrifices de gâteaux rituels et le creusement d’une cavité dans le sol. C’est seulement en révélant la présence et le rôle des kapi, tant dans la phase désignée par le verbe purtuvitu que dans celle dite des « opérations complémentaires », qu’il devient possible de proposer l’hypothèse d’un usage métonymique de sakra et sakref et la persistance d’un sens archaïque de sakref qui peut signifier « relatif à ce qui est sakra », en l’occurrence la victime sacrifiée.
8Inversement, pourrait-on dire, et en écho à l’appel lancé dès l’introduction de cette journée, archéologues et historiens peuvent eux aussi se confronter, à côté des linguistes et avec leurs propres armes, à la documentation épigraphique italique, avec des objectifs qui diffèrent de l’étude proprement linguistique des textes. C’est une position revendiquée par O. de Cazanove que celle de favoriser « la discussion entre spécialistes de diverses disciplines », particulièrement autour d’inscriptions dont l’intérêt historique dépasse les frontières des spécialités universitaires. Qu’apporte le regard de l’historien et de l’archéologue sur le cippe d’Abella ? La connaissance fine de l’organisation des espaces religieux, italiques et romains, se révèle déterminante dans la révocation en doute du terme « sanctuaire », accepté par la grande majorité des linguistes pour traduire sakaraklúm. Celle-ci repose en effet sur une vision faussée de ce que sont les lieux de culte pour les Anciens et de leur agencement : loin de pouvoir former un tout – dont « sanctuaire » se voudrait la traduction –, ils se composent d’espaces nettement différenciés juridiquement et religieusement dont l’hypothétique réunion au sein d’un seul et même ensemble contredit les conceptions romaine et italique du sacré.
9Les contributions le prouvent, les ressources de l’archéologie, et plus spécifiquement la compréhension des espaces cultuels et des rituels, sont des supports à disposition des enquêtes linguistiques : les résultats toujours plus nombreux de fouilles attentives à recomposer les lieux et les gestes des rituels se présentent comme une voie fructueuse qui aidera à proposer de nouvelles interprétations, ou à infirmer d’anciennes hypothèses, sur la sacerté, comme cette journée d’études l’a démontré, mais aussi sur le vocabulaire technique religieux en général. Le dialogue entre spécialistes des divers domaines donne déjà, au terme de cette journée, des résultats probants qui sont une invitation à poursuivre l’effort. Un ouvrage comme celui-ci trouve ainsi toute sa place dans le paysage scientifique de l’histoire des religions antiques, à côté d’approches relevant de « l’archéologie du sacré » et visant moins à comprendre la complexité d’une notion qu’à en cerner l’un de ses aspects, certes non marginal, celui du passage de propriété des hommes aux dieux3.
Sacré et société
10La réunion de ces études lexicologiques, archéologiques et historiques, ne se clôt par sur elle-même mais ouvre au contraire, au fil de la lecture, des voies pour des réflexions futures qui devraient stimuler sans aucun doute d’autres chercheurs. L’effort collectif de définition de la sacerté réaffirme, dans la lignée des travaux de G. Agamben, que sacer ne doit pas être limité au domaine religieux et que la notion trouve sa place au cœur de la société politique romaine. Écartant toute définition trop univoque de sacer, qui bornerait l’adjectif à ne désigner que ce qui appartient à la divinité, R. Fiori se confronte à la figure de l’homo sacer pour éclairer in fine les contours de la citoyenneté romaine. Si elle ne doit pas être placée au centre de la réflexion sur la sacerté, la question de l’homo sacer demeure incontournable. Partant du problème juridique posé par les conséquences d’une déclaration de sacerté non suivie de mise à mort, R. Fiori démontre l’existence d’une structuration juridique de la société romaine archaïque plus complexe que nous l’envisageons souvent, dont la variété des sanctions encourues par les citoyens, et les statuts juridiques qui en découlent, sont les témoins visibles. La compréhension de la sacratio, et sa distinction du sacrificium, apparaît alors comme le jalon essentiel de cette analyse puisqu’elle dément l’idée d’une mise à mort nécessaire de l’homo sacer. Y. Berthelet, à son tour, ébauche à partir d’une réflexion sur l’homo sacer et sur la contingence de sa mise à mort, ce que devrait être une analyse approfondie de la consecratio : s’il n’y a pas de sacrifice sans consecratio, l’inverse n’est pas vrai. Encore une fois, l’article souligne les vertus d’une étude contrastive : déterminer ce que l’homo sacer n’est pas ouvre la voie à une possible comparaison, plus fructueuse, entre consecratio capitis et deditio. Ces retours sur l’homo sacer et le sacrifice romain et, partant, sur ce qui fonde la relation des hommes aux dieux, souligne une fois encore la nécessité de mettre au cœur de toute analyse de la communauté civique la double vie des dieux romains et, plus largement, le rapport du droit et du religieux.
11Sacer, dont cette rencontre n’aura cessé de réaffirmer la polysémie, se révèle carrefour de la péninsule. L’étude sémantique que les spécialistes réunis au sein de ce volume lui consacrent rappelle que l’Italie « préromaine » n’existe pas puisqu’elle supposerait un ensemble de peuples italiens vivant isolés de Rome qui, de son côté, n’entrerait en contact avec la péninsule qu’au moment de la conquérir. Or, à travers la notion de sacerté, se lisent non pas des situations identiques d’une aire culturelle/linguistique à l’autre mais bien les traits d’une communauté de pensée, telle que suggérée en introduction. Certes, que l’Italie ait connu une koiné culturelle avant d’être sous domination romaine n’est pas un fait nouveau, mais une rencontre comme celle-ci permet de redonner du sens et de la chair à cette expression. Le latin, l’étrusque, l’ombrien, l’osque donnent à voir dans tous les cas une notion qui ne se réduit pas à la définition simplificatrice de « ce qui appartient à la divinité », mais se trouve bien plutôt en un point où se rejoignent la technique, la religion et le droit. Aucune des sociétés que les langues italiques nous font connaître n’a fait l’économie d’une construction juridique pour penser la relation aux dieux, dont les sources révèlent des facettes plus qu’un panorama complet. Il est certain qu’un déséquilibre demeure entre Rome et le reste de la péninsule. Bien qu’esquissée seulement au sein de cet ouvrage, la question de l’homo sacer et du pouvoir politique dans les sociétés anciennes ne prend corps que pour le monde romain, laissant les peuples italiens hors d’une réflexion pour laquelle les sources littéraires s’avèrent indispensables.
12Pointé en ouverture de ce livre par T. Lanfranchi, le poids des « surdéterminations anthropologiques » supporté par le concept de sacer est rendu très concret par la confrontation de l’ensemble des communications : l’existence de termes en apparence identiques à sacer dans le vocabulaire de langues non-latines ne signifie pas qu’il y ait un décalque de sens de l’une à l’autre. Ce que recouvre la notion ou le concept de sacer ne se recoupe pas entièrement et n’a même guère d’équivalents dans le cas de l’étrusque. En outre, c’est une notion en évolution constante que nous donnent à envisager les différentes contributions, et plus particulièrement celle d’E. Tassi Scandone. Sa réflexion, fondée sur le couple sanctus/sacer, incarne la nécessité d’un effort de définition contextualisé historiquement, illustrant une fois encore les écueils d’une certaine anthropologie trop prompte à s’appuyer sur de supposés invariants religieux pour proposer des significations commodes et universelles, dont le sacré a fait les frais plus qu’à son tour. Les termes qui désignent la sacerté ont subi des transformations sémantiques importantes à l’intérieur d’un même idiome. Le latin offre une documentation suffisamment riche pour le démontrer : des réalités archaïques définies par l’adjectif sacer aux définitions proposées par la jurisprudence classique, les glissements de sens sont importants. Nul doute ainsi qu’au terme de ces huit dossiers sacer a perdu le halo qui le protégeait en partie des tentatives de définition historique. L’invitation à poursuivre l’enquête n’est pas que formule rhétorique puisque la compréhension et l’interprétation des corpus à disposition ne sont pas achevées. En ce sens, les progrès des techniques herméneutiques ne sont pas à négliger, et ce d’autant moins qu’ils trouvent une aire de dialogue dans la collaboration entre les différentes disciplines, un chemin prometteur sur lequel linguistes, archéologues, historiens et juristes s’engagent toujours plus nombreux.
Notes de bas de page
Auteur
Université Paris-Est / Marne-la-Vallée – audrey.bertrand@u-pem.fr
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002