Épées, cocardes, tuniques et poignards
Fraternité, violence et appartenances politiques en Italie durant la longue année 1848
p. 73-98
Résumé
Pendant la longue année 1848, le scénario omniprésent d’une guerre d’indépendance invoquée, combattue, et finalement perdue, provoque une évolution marquée de l’idéal normatif d’une nation solidaire de « frères (et de sœurs) d’Italie » en faveur du combat. Après nous être arrêtés, dans une première partie, sur quelques considérations générales relatives au rôle de la métaphore fraternelle dans ce contexte politique, nous analyserons, dans les deux suivantes, la déclinaison combattante typique du cas italien – les images et les expériences des frères en armes, comme ils se désignaient eux-mêmes, au cours de la première phase du cycle révolutionnaire –, puis le caractère opératoire de ce dispositif au travers d’exemples tirés de deux contextes spécifiques, Rome et le Grand-Duché de Toscane qui furent le théâtre, à partir de l’été 1848, d’une radicalisation de l’affrontement politique. Ici, la circulation d’armes et d’hommes en armes en dehors du plein contrôle de gouvernements affaiblis par les transitions institutionnelles répétées et par les revers militaires, au sein de sociétés civiles politisées de manière aussi rapide qu’intense, même au niveau populaire, cause de considérables tensions, au point que les marqueurs et les gages symboliques de fraternité – paroles, sentiments, gestes, objets – peuvent finalement se trouver détournés en signes de sédition, de violence et de guerre civile.
Texte intégral
Frères par les sentiments et dans les faits
1En France, les premiers mois de la Deuxième République ont été judicieusement décrits comme un « printemps de la fraternité ». Dans l’Italie de 1848, on voit apparaître, sous des formes particulières, plusieurs mois auparavant, une floraison similaire des métaphores, des symboles et des rituels qui définissent l’imaginaire de la fraternité au XIXe siècle – entre discours et pratiques de la politique, d’abord informels, puis institutionnels –, qui était appelée à conserver une forme de crédibilité, pour ainsi dire, tout au long des différentes saisons de cette « année des miracles ». Les résultats d’une diffusion aussi surprenante et aussi affirmée de déclinaisons politiques de la fraternité n’en sont pas pour autant univoques et, surtout, inclusifs. Appliquée au domaine politique, la métaphore fraternelle contribue au contraire – tout comme pendant la Grande Révolution – à (re)définir des limites de groupes qui trahissent parfois de profondes divisions.
2C’est sur ces phénomènes que portera cette étude, particulièrement en relation avec une expérience qui compte parmi les plus significatives de la politicisation masculine de l’Italie de 1848 : la prise d’armes. Le scénario omniprésent d’une guerre d’indépendance invoquée, combattue, et finalement perdue, provoque en effet, au cours de cette période, une évolution marquée de la fraternité en faveur du combat. Mais la circulation d’armes et d’hommes en armes en dehors du plein contrôle de gouvernements affaiblis par les transitions institutionnelles répétées et par les revers militaires, au sein de sociétés civiles politisées alors de manière aussi rapide qu’intense, représente désormais aux yeux de nombreux observateurs, à la fin de l’année 1848, une situation inacceptable.
3Après nous être arrêtés, dans cette première partie, sur quelques considérations générales relatives au rôle de la métaphore fraternelle dans ce contexte politique, nous analyserons, dans les deux suivantes, la déclinaison combattante typique du cas italien – les images et les expériences des frères en armes, comme ils se désignaient eux-mêmes, au cours de la première phase du cycle révolutionnaire –, puis le caractère opératoire de ce dispositif au travers d’exemples tirés de deux contextes spécifiques, Rome et le Grand-Duché de Toscane qui furent le théâtre, à partir de l’été 1848, d’une radicalisation de l’affrontement politique. On pourra ainsi approfondir la formulation, les métamorphoses, les réappropriations, les recours contrastés à la fraternité d’armes au cours des mois du repli sans gloire de la guerre d’indépendance, d’abord dans l’attente, puis au lendemain de l’armistice signé le 9 août entre le Royaume de Sardaigne et l’Empire habsbourgeois – c’est-à-dire au cours d’une époque qui devrait être, et qui fut pour beaucoup, celle de la démobilisation et du retour à l’ordre (frères d’armes contraints à déposer les armes, pourrait-on dire, pour demeurer sur le terrain de notre métaphore), mais que caractérise la relance de l’initiative radicale et populaire, dont certaines des nombreuses conséquences furent violentes (frères d’armes qui reprennent les armes)1.
4L’objectif est ici de saisir les aspects pratiques des ressources et des effets de la métaphore fraternelle sur la structuration – tout à la fois en termes de narration et d’expérience – du champ et des subjectivités politiques2.
5Depuis les réflexions de Mona Ozouf sur le cas français, il est en effet évident qu’il serait vain de chercher à distinguer analytiquement la fraternité comprise comme métaphore du discours politique et la fraternité (politique) comme expérience vécue, la fraternité comme patrimoine discursif formé de tropes, de symboles, d’exemples – historiques, littéraires ou mythologiques – auquel sont associés des contenus spécifiques de valeur, et la fraternité comme grammaire de sentiments découverte, ressentie et cultivée par le partage d’expériences, quotidiennes ou exceptionnelles, que l’on peut assigner à différents titres au champ politique (manifestations, rituels et fêtes ; la guerre ; l’associationisme)3. Il faut toutefois garder présent à l’esprit que c’est précisément en tant que grammaire de sentiments projetée sur le champ politique au cours d’une phase de première organisation – pour ainsi dire : en tant que sentiment politique – dans l’Italie « du long 1848 », que la fraternité est en cours d’apprentissage dans le cadre des pratiques politiques mêmes qui l’évoquent et prétendent l’avoir découverte ou instituée4. En d’autres termes, la fraternité se révèle être une possession instable et en devenir, disputée, sujette à des configurations multiples, à des glissements, à des redéfinitions, à des tensions qui émergent en parallèle aux apories, aux conflits, aux nouveaux confins de groupe que suscite l’expérience même de la politicisation. C’est précisément ce qui invite à s’intéresser aux rebuts, aux échecs, aux ruptures, aux renversements, aux incompréhensions, aux refus conscients.
6En effet, si l’idéal normatif d’une nation solidaire de « frères (et de sœurs) d’Italie » ne cesse d’être revendiqué, dans les faits, la réalité qui émerge des communautés d’intention et de sentiments, différentes et compétitives, qui structurent l’espace public au cours du cycle révolutionnaire, surtout après l’échec de la guerre, porte à la multiplication et à la radicalisation de points de vue rivaux à l’intérieur même du camp national patriotique, au point que les marqueurs et les gages symboliques de fraternité – paroles, sentiments, gestes, objets, etc. – peuvent finalement se trouver détournés en signes de sédition et de guerre civile.
7Rien d’étonnant par conséquent – autant du fait de la menace sociale potentielle représentée par la circulation d’hommes en armes que pour des raisons symboliques liées aux codes de l’honneur et du déshonneur, qui informent les processus de légitimation et de délégitimation politique – à ce que ce soit précisément sur la fraternité en armes que ce double regard ait produit les effets les plus diviseurs et conflictuels. Selon que les observateurs accordent plus ou moins de légitimité aux raisons de la prise et du port d’armes, en effet, le regard externe sur les « frères » peut être d’adhésion, de correspondance, de reconnaissance, de partage, de soutien, ou au contraire de refus, de scandale et de dénonciation d’un pacte vil et scélérat qui introduit un élément de danger et de rupture dans le corps social (c’est-à-dire une fraternité qui divise au lieu d’unir, dont on peut donc se sentir ou vouloir demeurer exclu).
Esthétique et éthique de l’épée : serments patriotiques fraternels
8Le laboratoire de définition et d’apprentissage d’une fraternité représentée au contraire comme irrévocable et non-conflictuelle consiste en manifestations, en cortèges, en fêtes, en banquets, en commémorations de héros et de lieux d’une mémoire nationale en cours de formation, qui scandent en 1847 la vie dans les villes, grandes ou petites, des anciens États, lorsque se relâche le strict contrôle sur l’espace public, et avec la concession des premières réformes libérales5. Elle est logiquement fondée sur l’affirmation d’une descendance commune de tous les Italiens de la même mère-patrie, et considérée comme susceptible de modifier, voire d’extirper les appartenances et les identifications collectives concurrentes, que ce soit au niveau municipal ou à celui des fidélités dynastiques, mais aussi considérée idéalement comme capable de transcender les différences de classe sociale ou de fonction dont les signes traversent visiblement les sociétés et les mentalités préunitaires, à partir des stratégies de la distinction inscrites dans les pratiques corporelles et dans l’habillement. C’est alors que le lexique de la fraternité fait irruption dans le discours public en accompagnant, au nom de la nation, les premiers signes, encore contenus et partiels, de fissures dans la souveraineté absolue, et c’est précisément dans le nouvel espace public en formation que les patriotes et les opinions leaders libéraux le traduisent en une série nourrie de dispositifs rituels « à taux élevé de densité sémantique »6, et de profonde valeur émotive : baisers, accolades, mains droites qui se serrent, larmes partagées, échanges de drapeaux et de dons, rituels solennels de réconciliation, serments prononcés le bras ou l’épée levée. Comme le résume un fonctionnaire toscan, « Riches et plébéiens, Seigneur et manants, Anciens et jeunes gens, tous pleins d’énergie et palpitants de la même émotion »7 participent dans les rues et les places aux manifestations, jamais vues auparavant, d’un lien qui se prétend transparent et unanime.
9Les médias de l’époque, depuis les journaux désormais affranchis de la censure préventive jusqu’aux agiles feuilles volantes, des hymnes et des chansons aux premières chroniques par images de l’actualité, produisent à partir de ces gestes même – porter des symboles partagés (souvent des cocardes), marcher ensemble, échanger des baisers et des accolades, pour témoigner d’une appartenance commune et d’un lien affectif (fig. 1) – des icônes mémorables de la recomposition morale d’une société qui semble se reformer au nom de la fraternité patriotique retrouvée et de la concorde entre ses différentes composantes : civils et militaires, laïcs et ecclésiastiques, classes subalternes et privilégiées, individus, familles ou communautés entières séparées par des rivalités personnelles ou par de vieilles traditions municipales8. Le terme de frères devient véritablement, dans ce contexte, un mot magique, brandi jusqu’au paroxysme dans d’authentiques rituels de refondation de l’appartenance communautaire bénis par le clergé – pacifications entre membres de familles et groupes rivaux, fédérations entre deux communautés limitrophes ou plus, accueils publics réservés à des membres d’autres États préunitaires –, toujours orientés vers le « Risorgimento » d’une patrie italienne commune où se dessine, en toile de fond de cette régénération – dans les discours, religieux ou civiques, dans les poèmes, dans les écrits de circonstance, dans les hymnes, dans les symboles –, la nécessité d’une guerre d’indépendance9.
10C’est la raison pour laquelle les défilés de pelotons d’hommes qui s’avancent en rangs serrés, tambour battant, bras dessus bras dessous, en mimant la guerre et en prêtant serment de « verser son sang » pour le Risorgimento de l’Italie, parfois en tirant l’épée, sont des éléments rituels classiques dans les fêtes fédératives et dans les commémorations patriotiques10, et se répandent aussi dans des occasions moins solennelles, plus ordinaires et conjoncturelles11.
11Comme on pouvait le prévoir, ces affirmations répétées d’une fraternité ancestrale appelée à s’accomplir dans la guerre pour l’indépendance et pour l’« union » entre les Italiens – un terme vague et polysémique dont les connotations, bien loin de préfigurer des développements institutionnels nécessaires ou univoques, sont plutôt de caractère moral et émotif, et convergent en grande partie dans le lexique de la fraternité, fondé sur des valeurs comme la concorde, la solidarité, la promesse d’une aide réciproque, la charité, etc. – ne se traduisent pas pour autant en un sentiment partagé, en dépit de l’enthousiasme des leaders libéraux. À Florence, par exemple, un prêtre qui avait participé publiquement au défilé grandiose de la fédération du 12 septembre 1847, déclare dans le secret de sa chronique manuscrite :
en ce jour, tous, soit par amour, soit par crainte (qu’il s’agisse de prêtres, de frères ou de laïcs de toute sorte) devaient porter sur leur poitrine ou à leur chapeau la cocarde jaune, blanche ou rouge, et je crois que tous la portaient, sans quoi on aurait été traité de réactionnaire ; moi aussi, bien que je le fusse effectivement, je dus la porter12.
12L’unanimisme revendiqué des comportements et des sentiments fraternels sur la scène publique est une construction rhétorique projetée vers l’avenir, mais qui peut inclure, parfois momentanément mises à l’écart, les tensions issues de la fidélité à des appartenances antérieures. Ce qui confirme l’instabilité du néo-sentiment de fraternité patriotique, et justifie l’exigence réitérée pour celui-ci de faire ses preuves au travers de la guerre.
Enivrez-vous donc, mes frères, de la joie des baisers échangés et des accolades – exulte Leonardo Romanelli, orateur de la fête fédérative d’Arezzo – ; saluez l’aube de la régénération commune, et l’Ange du Vatican qui la suscite ; invoquez la réalisation des réformes promises […]. Restaurez l’antique valeur, enflammez votre enthousiasme par des hymnes et des chants guerriers. Des armes, des armes, donc, et tous les types de vertus, car le temps de l’épreuve pourrait être proche13.
13La projection en direction du champ de bataille sert par ailleurs à dépasser un deuxième élément de tension inhérent au discours sur la fraternité. Celle-ci n’est pas seulement invoquée pour transcender et recomposer des différences manifestes et bien enracinées (sociales, territoriales ou d’opinions), mais elle doit aussi prendre en compte un arsenal symbolique qui, en puisant dans les mythographies les plus diverses – la tradition biblique ou classique, les histoires médiévales italiennes, le souvenir des « fraternisations » jacobines et de la Terreur –, ne peut dissimuler parmi ses principaux archétypes la possibilité du fratricide. Dès 1847, on se réfère fréquemment, par antiphrase, à Caïn, ou bien on rappelle ces « affrontements municipaux qu’il faudrait effacer de l’histoire » – Guelfes et Gibellins, Bianchi et Neri – « ces frères qui, leur bouche encore souillée d’un sang fraternel, entonnent l’hymne de la victoire » ou encore – avec le renversement du symbole qui, plus que tout autre, incarne désormais l’appel au sursaut patriotique – « ils plongent leurs épées sanglantes dans le cœur de leurs frères », en condamnant la nation à la discorde civile et à la domination étrangère14.
14Le manifeste intitulé Romani !, signé par Uno che vi ama, est exemplaire à cet égard : rédigé en 1847, alors que la garde civile avait été instituée à Rome au milieu des tensions et des rumeurs d’une conjuration ourdie par le clergé contre les réformes de Pie IX. Son auteur (il s’agissait du barnabite Alessandro Gavazzi, qui fut par la suite un orateur républicain influent) renvoie à l’image alors très répandue d’une croisade pour l’indépendance et à une fraternité d’armes retrouvée en tant que dépassement des discordes traditionnelles : « Lorsque le clergé italien embouchera la trompette contre le rapace bicéphale, nous ne serons plus des frères qui combattent leurs frères, mais c’est dans un combat commun que nous pousserons les Italiens à chasser les barbares d’Italie ». Son auteur ne cache pourtant pas que la politisation croissante des relations sociales pourrait se traduire en épisodes de violence intestine. De fait, il apostrophe ainsi les gardes civils :
Employez-vous surtout à tempérer l’excitation des âmes de vos concitoyens incités à la violence ou par l’attente, ou par l’insulte de forbans bien connus. Ils ont trop bien mérité de l’exécration universelle ; mais c’est précisément la raison pour laquelle il faut les préserver. Dieu ne les a pas abandonnés au couteau du peuple, mais à son mépris, une peine plus terrible et plus longue. Quelle que soit leur noirceur, leur mort violente ne justifierait nullement, devant le tribunal de l’Europe, la main qui l’aurait provoquée. Le sang de Prina, quoi qu’il se soit agi d’un individu exécrable et d’un irréductible ennemi, retombe cependant, comme une tache indélébile, sur le peuple milanais qui l’a répandu avec fureur. Que Rome, vierge à ce jour de sanglantes vengeances, ne souille point sa main reine du poignard du sicaire.
15Une autre image est celle de la vengeance, que l’auteur présente comme légitime, celle qui rachète « le sang des frères versé perfidement à Lucques et à Sienne, le martyre inutile mais glorieux des Parmesans sans armes » : c’est-à-dire la guerre de tous les Italiens contre les oppresseurs étrangers, qu’il ne craint pas de dépeindre, par ailleurs, avec des accents sanguinaires et apocalyptiques (« Dieu ouvrira les sépulcres du Boème et du Hongrois afin que les débris en fuite de la Teutonie exécrée y soient entièrement précipités »15).
16Le risque de perdre de vue la « vengeance qui seule est noble »16 porte à opposer, dès le début du cycle révolutionnaire, les icônes méprisées du couteau et du poignard – qui renvoient au stéréotype international sur le caractère des Italiens dépeints comme pleutres, déloyaux, vils, assassins17, ainsi qu’à la mémoire autochtone de vengeances de faction séculaires et féroces – à une éthique/esthétique de dérivation chevaleresque, centrée sur la valeur symbolique de l’épée (avec ses variantes, de la dague au sabre) comme seul instrument légitime de rédemption collective. C’est une épée, par exemple, que l’on voit descendre du ciel, comme instrument divin qui va venger la mort des patriotes et permettre la résurrection d’une génération de partisans, sur une gravure qui reprend le style néoguelfe au début des années 1850 (fig. 2). C’est une dague – et la référence procède ici plutôt du classicisme – le symbole du nouveau pacte établi entre les sujets (hommes) et les princes réformateurs, afin que « l’Italie [soit] sauvée et rachetée », sur une gravure toscane qui célèbre la presse et la garde civile, concédées en 1847 par le Grand-Duché (la garde civile fut effectivement dotée d’une dague en Toscane : fig. 3). On voit encore des épées, des dagues, des sabres, voire des cimeterres pendre aux côtés des habits dits « à la lombarde » ou « à l’italienne », littéralement inventés quelques mois plus tard comme costume national, et utilisés au cours des premiers mois de 1848, pendant les fêtes pour l’octroi de la constitution à Turin ou dans la Milan libérée peu après les Cinq journées, mais connus aussi dans l’iconographie politique des autres États préunitaires (comme le rappelait encore, à la fin de l’année 1849, la satire contre-révolutionnaire romaine : fig. 418).
17Lorsque la guerre éclata finalement entre Royaume de Sardaigne et Empire d’Autriche, au printemps 1848, il n’est donc pas étonnant que ce soit à ce vaste répertoire symbolique qu’aient puisé aussi bien le discours public que les volontaires eux-mêmes, au cours des marches vers les champs de bataille en Lombardie et en Vénétie, à l’occasion des cérémonies d’accueil et des triomphes qui y reçurent, et des cérémonies de fraternisation entre bataillons19.
Poignards et complots contre l’unanimisme : les anciens combattants et la politicisation populaire
18Les thèmes du sentiment fraternel et d’une vengeance patriotique légitime nourrissent les lettres et les comptes rendus des combattants, et donc probablement l’expérience même du volontariat. Mais les écrits des volontaires révèlent en même temps que le ciment idéologique de l’indépendance nationale et les codes symboliques de l’héroïsme et de l’honneur concourent, avec d’autres sentiments et expériences, à forger le noyau le plus intime peut-être d’une appartenance de groupe ; la dureté, les privations, les incertitudes, la désorganisation, la désillusion de la vie vécue au camp ; l’exaltation partagée pour la bataille ; la crainte, mais aussi la fascination pour le sang et pour la mort (la sienne comme celle d’autrui), c’est-à-dire le partage des aspects les plus brutaux, les plus controversés et les plus dangereux d’un exercice actif de violence contre l’ennemi20.
19La présence simultanée et complètement fusionnelle de sentiments patriotiques et d’expériences partagées qui, au moins en partie, opposent des groupes de volontaires à des institutions fréquemment hésitantes et inefficaces dans la conduite de la guerre est évidente, entre autres, au travers des documents publiés au cours de l’été 1848 par Bartolomeo Galletti. À la fin du mois de juillet, ce colonel guida le retour à Rome de quelque 400 anciens combattants. Son Giornale storico della prima legione romana revisite une à une les occasions qui ont le mieux contribué à construire l’appartenance au groupe. Outre le ciment idéologique, dans la perspective des combattants, il semble qu’un rôle de premier plan ait été tenu par les désagréments matériels et d’équipement, non moins que par les polémiques sur la défense et la capitulation de Vicence. S’étant enrôlés à la hâte au mois de mars, chacun est parti « vêtu pour son compte », et ce n’est qu’au cours des semaines suivantes qu’ils reçurent un uniforme, inadapté et insuffisant :
les chemises qu’on nous offrit à la place de celles dont on nous écrivait qu’un grand nombre avaient été rassemblées grâce à la gentillesse des femmes romaines, étaient faites d’un grossier canevas noir que l’on ne pouvait porter sans douleur – la Légion éprouvait de la Douleur devant un tel abandon, et l’on nous écrivait pourtant que Rome pensait à elle ; mais elle souffrait et se taisait : et si, au sein de l’amertume, une voix s’échappait de son cœur, c’était une voix qui clamait – Tout pour l’Italie, vive l’Italie !
20Ce n’est que fin mai « qu’il nous est finalement donné de déposer nos capotes et d’endosser cette blouse de coton que Vous, nos concitoyens, vous, nos généraux, vous voyez » : une tunique légère de couleur gris-bleu, descendant jusqu’au genou, fermée à la taille par une cartouchière. Cette blouse est le « seul objet qui ait été remis à tout le bataillon », quelques jours avant la bataille de Vicence : c’est aussi la raison pour laquelle elle devint un symbole identitaire, en sorte que bien des anciens combattants continuèrent à la porter après leur retour en ville (fig. 5)21. Un peu plus tard, le 10 juin, la défense de Vicence fut
une aventure d’amour fraternel pour secourir, transporter, assister les blessés ; pour préparer les munitions, sortir en chargeant l’assaillant à la baïonnette et le repousser, pour soutenir en somme une attaque obstinée pendant dix heures, en nous construisant au-devant de nouvelles barricades faites de cadavres autrichiens.
21C’est le partage de souffrances, de dangers et de brutalités qui nourrit et authentifie les sentiments fraternels et patriotiques de ces hommes. À la fin de la journée, la légion comptait huit morts : « le vœu de notre cœur fut unanime : les venger »22. Dorénavant, promet Galletti, les anciens combattants « ne déposeront pas les armes tant que, les forteresses de la Péninsule une fois abattues, on n’en n’aura pas érigé bien d’autres au sommet de ces montagnes qui séparent ce jardin de l’Europe des autres pays »23.
22Le colonel répète ces intentions, au nom de toute la légion, dans un manifeste adressé aux frères de la garde civile romaine, au siège de laquelle les légionnaires auraient voulu loger, à condition de n’être pas dispersés et réaffectés aux bataillons d’où ils étaient issus :
nous avons dû nous résoudre à prendre une demeure séparée, seul et unique moyen de notre existence ; toute autre disposition porterait à notre dissolution immédiate : et c’est bien là ce qui ne devrait jamais se produire. Nous nous sommes consacrés à la guerre de l’indépendance : nous ne pouvons nous dissoudre que la guerre terminée. Lorsqu’on a juré l’épée au poing, on ne doit la reposer que vainqueurs, ou exterminés. Tel est bien notre serment24.
23L’espoir d’être enfin constitués en corps séparé ne fut pas abandonné par au moins 200 membres des anciens combattants volontaires, qui commencèrent à représenter un problème aux yeux des observateurs modérés et du gouvernement lui-même. Profitant de la faiblesse et des divisions de l’exécutif, ceux-ci occupèrent en effet un bâtiment dès les premiers jours de leur retour, en attendant qu’on leur attribue une caserne, et continuèrent par la suite à refuser d’abandonner leur uniforme lorsqu’ils participaient à la garde civile (voire, tout nettement, de reprendre du service au sein de celle-ci). Beaucoup d’entre eux ne rejoignirent pas le corps d’armée qui, mené par le charismatique Galletti, fut envoyé dans les provinces adriatiques avec l’espoir d’éloigner un élément de désordre de la capitale. Ils restèrent donc à Rome, où la fraternité d’armes continua à représenter pour eux un vecteur privilégié de relations sociales, d’apprentissage politique et de revendications de groupe. Sous la conduite informelle d’un autre officier de la légion, Luigi Grandoni, ils expérimentèrent alors de nouvelles formes radicales de socialisation politique. En exhibant au début l’uniforme « vicentin » qui se faisait de semaine en semaine plus délabré, et toujours moins adapté à l’automne, ils incarnaient manifestement la performance d’une identité – celle de frères d’armes – qui perdurait malgré la démobilisation, et exerçaient des pressions pour que l’on reconnaisse leurs droits, qu’ils considéraient avoir acquis sur le champ de bataille. Ils formèrent d’abord de bruyantes réunions à l’extérieur, puis organisèrent des rencontres moins turbulentes, le soir, sur le modèle des cercles populaires (ils étaient du reste étroitement en contact avec celui de Rome), qui se tinrent dans la salle de l’orchestre philharmonique près de la place Navone, puis au théâtre Capranica, entre septembre et novembre. Ils se réunissaient d’ordinaire après minuit, et leurs rencontres étaient agitées de revendications spécifiques – la demande d’une médaille ou d’une attestation de la mairie en souvenir de la bataille de Vicence, l’organisation d’une caisse commune pour les anciens combattants les plus nécessiteux, la volonté d’être réorganisés en un bataillon armé, de manière à pouvoir s’entraîner et promouvoir la reprise de la guerre – et elles étaient le théâtre de discussions d’orientation très radicale, contraires à la politique de Pie IX et de son premier ministre, Pellegrino Rossi25.
24Le fait que cinq à six dizaines d’anciens légionnaires en uniforme aient été présentes le 15 novembre 1848 dans l’atrium du Palais de la Chancellerie, le fait que ce soit très probablement l’un d’entre eux qui porta le coup de poignard qui blessa mortellement Rossi au cou, enfin, le fait que le lendemain d’anciens légionnaires aient pris part à la journée insurrectionnelle qui devait culminer avec l’assaut au Quirinal, à la suite duquel Pie IX décida d’abandonner la ville, aurait suffi à jeter sur tout le corps un soupçon de complicité dans le cadre d’une vaste conjuration prête à se déclencher pour l’extermination complète des cardinaux et des aristocrates, et pour l’instauration de la République à Rome dans un bain de sang. Ces fantasmes commencèrent alors à circuler, et demeurèrent bien présents dans la ville et dans l’État pendant toute la première moitié de la décennie suivante, lorsque se terminèrent les procès engagés pour ces désordres, entre autres, et pour les délits qui s’étaient produits entre 1848 et le début des années 1850, au cours desquels ce furent désormais les républicains – « la secte », placée aux ordres d’un Mazzini que la littérature réactionnaire présente comme constamment occupé à affiler des lames et à empoisonner des poignards26 – qui figurèrent comme les authentiques fratricides, refusant tout pacte social, et seulement assoiffés de pouvoir. Au cours de ces mêmes années, la police laissera circuler d’innombrables rumeurs, dont les chroniques se font l’écho, sur des lettres interceptées, des listes de proscription d’individus condamnés à mort, des dépôts de bombes et de poignards, des lots d’objets (chapeaux, cravates) aux couleurs et aux symboles sectaires, en alimentant ainsi stratégiquement la paranoïa autour de ces fraternités de faction sanguinaires27, souvent imaginaires, considérées désormais comme la réalisation la plus authentique des formes et des manifestations de la politicisation populaire de 1848.
25En particulier, par rapport aux événements du 15 novembre, dès les premières enquêtes menées juste après l’assassinat de Rossi, puis dans la mémoire locale28, on allait précisément voir se fixer – comme « signe de convention » du serment de fraternité criminelle entre les anciens légionnaires – les « hardes ridicules et pouilleuses endossées par les anciens combattants de Vicence »29 qui, d’emblème de sursaut patriotique, s’inversaient en un habit « déshonoré, et d’opprobre »30, en tant que symbole d’un pacte secret et délictueux, et d’un assassinat (fig. 6). Avec cette blouse, l’imagination visuelle hostile à 1848, aiguillonnée par les enquêtes de police et de justice conduites au cours de la deuxième Restauration, puis par le texte de la sentence publié en 1854, s’animait de fantomatiques serments nocturnes, poignards levés, auxquels participaient des dizaines d’individus des bas-fonds menés par l’un des plus influents médiateurs de la politicisation populaire, Ciceruacchio, ou évoquait l’« urne couverte à la manière d’un reliquaire, devant laquelle on allumait des cierges », et dont on affirmait qu’elle contenait, dans une maison privée non mieux localisée, le poignard qui avait tué Rossi31.
26On est ici en présence d’une parodie et d’une inversion des mots, des gestes, des symboles qui avaient fondé la fraternité patriotique retrouvée jusqu’à l’été 1848. Une fois que celle-ci eût révélé une teinte radicale qui n’était plus équivoque, pour devenir franchement républicaine par la suite, tout le patrimoine symbolique qui entoure la fraternité – ses signes matériels et visuels ; la ritualité solennelle des serments collectifs ; l’honneur fondé sur le recours aux armes contre un ennemi extérieur (l’Allemand, le Croate) dépeint comme un monstre et un barbare, tyran et cannibale, voleur et violeur, sacrilège et assassin ; les sentiments de camaraderie et de solidarité de groupe – aux yeux de ceux qui ne partageaient pas ces considérations, et en particulier les résultats les plus controversés de la socialisation politique, pouvait être vidé de son sens primitif et resémantisé pour caractériser les complots d’hommes violents et factieux, sinon tout simplement animés d’intentions criminelles, et qui n’étaient plus de toute façon des frères que les uns pour les autres.
27En Toscane aussi, « le moment démocratique » du cycle de 1848 permet de retrouver des dynamiques similaires32. Après les désordres répétés qui s’étaient produits à Livourne entre août et octobre 1848, et l’accession de Giuseppe Montanelli au gouvernement, l’alarme des observateurs modérés se concentra en particulier sur l’existence de corps armés d’extraction populaire – « va-nu-pieds et canailles […], des malfaiteurs, complètement ignorants » soulignait le Livournais Carlo Cecconi33 – que tolérèrent ou autorisèrent, dans le naufrage du monopole étatique de la violence, et devant l’incertitude du soutien des forces régulières, des gouvernements qui s’apprêtaient à un affrontement direct avec leurs couronnes respectives dans le Grand-Duché, comme dans l’État pontifical. Aux yeux des modérés, ces corps, leur vocabulaire et leurs liturgies (qui continuaient toutefois, des appels à la fraternité aux serments collectifs, à appliquer des pratiques publiques antérieures de quelques mois) apparaissaient non plus comme les instruments de défense de la mère-patrie italienne, mais plutôt comme ceux d’une lutte politique interne, organisée par le front radical, qui était à la recherche de consensus et disposée à relayer aussi le mécontentement des combattants démobilisés.
Ce Matin – écrit encore Cecconi, en décembre, en se référant à Livourne – le Major A. Petracchi a réuni le Premier Bataillon qu’il commande, lui a fait un vrai discours qu’il a conclu en disant qu’il est de notre intérêt de soutenir de tout notre sang le Ministère actuel. C’est sur son existence que reposent nos espérances, nos vies. Nous courrons aveuglément à sa défense, chaque fois qu’il nous appellera. Je le jure pour mon compte ; et Vous, le jurez-vous ? Les choristes habituels répondirent, oui, nous le jurons ; […] voilà que le Ministère Démocratique, le premier, s’est créé un corps de Prétoriens, avec les Municipaux, et par la suite, sans s’en contenter, avec un Bataillon de Vénitiens, des gens qui agissent sans réfléchir, on crée un corps de sbires, pour faire peur et imposer, et éventuellement pour agir [… ]34.
28Le chroniqueur se réfère ici à deux corps d’armée créés dans la ville à deux moments différents35. Mais derrière des expressions telles que « les choristes habituels » (c’est-à-dire les prétendus stipendiés habituels des manifestations publiques), « prétoriens » et « gens qui agissent sans réfléchir […] sbires » (comme sont définis les habitants du quartier populaire de Livourne appelé Venise), c’est un mécanisme plus subtil qui est à l’œuvre : il juxtapose ces nouveaux frères d’armes, si différents des volontaires du printemps précédent, à l’image des classes dangereuses et au profil, physique et moral, du criminel. Entre les mains, ou aux côtés de personnages de ce genre, les auteurs modérés, de même que les conservateurs, signalent de plus en plus souvent l’apparition de stylets et de poignards, les armes de la trahison et de l’embuscade, les moyens privilégiés des menaces, des agressions et même des homicides politiques, dont leurs chroniques alarmées ou leurs correspondances dénoncent l’augmentation, et dont les leaders radicaux sont considérés comme les complices36. Et avec les armes, parlant des nouveaux opposants politiques d’extraction populaire – qui étaient quelques mois auparavant des frères que l’on étreignait dans les banquets, les défilés et les fêtes civiques –, ces auteurs signalent seulement désormais les sinistres personnages, les vêtements inconvenants, les manières grossières, la culture et les habitudes de bas-fonds, l’immoralité patente, le plaisir du vice, du jeu, des femmes37.
Ils erraient dans Florence avec des pistolets et des stylets à la ceinture, sales, négligés et en haillons ; ils provoquaient les passants au beau milieu des rues ; ils mangeaient sans payer ; ils prenaient d’assaut les maisons pour violer les femmes : en somme, une maison du diable. Si je ne les avais vus de mes yeux, je n’aurais pu croire ce qu’on m’en racontait.
29L’auteur de ces lignes est le poète Giuseppe Giusti, dans une lettre d’avril 184938. Il fait allusion aux colonnes armées appelées de Livourne dans la capitale depuis plusieurs semaines, et utilisées par le gouvernement provisoire dirigé par l’avocat démocrate livournais Francesco Domenico Guerrazzi après la fuite de Léopold II, aussi bien pour la défense préventive de la frontière entre Pistoia et la région de Modène que, plus tard, pour réprimer les insurrections favorables aux Lorraines qui se produisaient déjà dans différentes aires rurales de la Toscane interne, et au moyen desquelles le groupe dirigeant de modérés florentins comptait favoriser la restauration du Grand-Duc. L’un de ces bataillons, mené par un petit entrepreneur maritime et ancien contrebandier, Antonio Petracchi (que nous avons déjà rencontré plus haut), avait pris le nom de Giovanni dalle Bande Nere et associait au tricolore un drapeau noir portant la devise de l’ancien capitaine, Vaincre ou mourir. Le second prit pour nom Ferruccio, du nom du dernier défenseur de la république florentine en 1530 ; il était dirigé par Giovanni Guarducci, et animé par le prédicateur radical Pietro Meloni. Ce fut ce second bataillon qui fut pris d’assaut au cours des affrontements survenus à Florence les 10 et 11 avril 1849, qui précédèrent la chute de Guerrazzi, survenue le lendemain, et contraignirent les colonnes à se retirer en direction de leur ville d’origine, en traversant une Toscane où, soit du fait de leur comportement déréglé antérieur, soit du fait d’une habile propagande modérée, s’était répandue une légende noire centrée sur l’esprit sacrilège, violent, usurpateur que l’on attribuait à ses membres, et sur la menace qui pouvait dériver des actions criminelles auxquelles ils étaient accoutumés, et non de leur réelle valeur (« Habitués à jouer du stylet aux carrefours, ils sont perdus en terrain ouvert », écrit ailleurs Giusti au gonfalonier de Pescia39).
30Avec ces bataillons, nous nous trouvons face à des groupes d’hommes en armes au profil résolument populaire, en grande partie de gens du peuple de Livourne socialisés à la vie politique, sinon grâce à l’expérience directe du volontariat en Lombardie, du moins grâce à ses multiples échos dans la sociabilité populaire, aux exercices militaires dans les rangs de la garde civile et d’autre corps, encouragés précisément par Petracchi, et à la participation active aux événements, parfois violents, de la place et des cercles. Des hommes qui avaient mûri une politicisation autonome de matrice patriotique et radicale, qui prenait les contours d’une fidélité à outrance à leur propre corps et à un gouvernement provisoire qui les encadrait avec un contrat d’engagement qui prévoyait qu’ils demeurassent sous les armes « toute la durée de la guerre » et fussent traités « comme tous les autres corps d’Armée »40. Une fois renversé Guerrazzi, ils refusèrent de se dissoudre et réussirent à se réfugier à Livourne, où peu de temps après ils devaient opposer une résistance acharnée à l’entrée des Autrichiens dans la ville.
31Toutefois, en dépit de la légende noire qui les concernait, elle aussi destinée à demeurer longtemps41, la fraternité d’armes de ces hommes du peuple (présumés) dangereux, fondée sur des liens qui étaient même parfois ceux du quartier, pouvait s’élargir au-delà de toute espérance. C’est ce que l’on constate dans les pages de la chronique manuscrite inédite du Pistoien Tommaso Maccanti, que la Révolution avait rapproché de la sensibilité radicale. Selon une mécanique symétrique et inverse de celui des auteurs modérés, Maccanti voit plutôt et signale, scandalisé, « des stylets et des pistolets », ainsi qu’un « fusil à deux cannes, des pistolets, des hachettes, des stylets », dans les mains de femmes, d’enfants et de plusieurs dizaines d’hommes qui soutiennent déjà en février les premiers signes de la réaction42. Et tel est, pour lui, le véritable déclencheur de la guerre civile que modérés et conservateurs semblent désormais prêts à engager dans différentes villes – à Florence comme à Turin ou à Rome43. Il peut donc prendre le parti des Livournais en rapportant les affrontements d’avril à Florence : « ces soldats marchant dans la Capitale de la Toscane, dans la civile et aimable Florence, dans cette cité amie, sœur, se croyaient en lieu sûr », et pourtant ils furent contraints pendant trois heures à une véritable « guerre entre frères », obligés de se défendre, de se disperser, de se cacher, de se dissimuler, certains finissants tués, parfois même à coups de sabre44. Maccanti dénonce ceux qui répandent la rumeur que « les Livournais sont des voleurs, qu’ils saccagent, violent, se conduisent en somme en Croates » et soutient qu’à Pistoia, où ils sont longtemps demeurés, ils n’ont rien fait de ce dont on les accuse généralement, et que « ce ne sont pas des assassins ».
Pourquoi donc commettre contre ces Toscans, qui nous sont proches, des actes hostiles, dont on n’userait pas envers ses propres ennemis ? – écrit-il, en faisant allusion aux préparatifs militaires mis en place par les communautés locales au passage des colonnes livournaises – Et nous voulons être libres ? Et nous nous sommes proclamés des frères ? Mensonges, illusions45.
32Au contraire, selon Maccanti, les Livournais n’auraient absolument aucune tentation fratricide. La version du chroniqueur semble se fonder sur des récits et des documents que les bataillons eux-mêmes diffusaient sur leur passage, dans lesquels ils se présentaient comme de sincères patriotes, et comme les victimes d’un traquenard et d’une trahison qu’ils s’étaient refusé à faire suivre d’un massacre, en préférant se retirer de la capitale après une mêlée défensive et la chasse à l’homme qu’ils avaient subie, « parce que les traîtres étaient aussi nos frères, et les véritables Italiens abhorrent la guerre civile »46. C’est ce qu’on lit dans un de ces textes, qui recourent parfois du reste à des scènes pathétiques inspirées d’une morale aux échos classiques, comme celle relative à un membre du bataillon qui, « s’il n’était pas désarmé, s’étant appuyé sur son épée, voulait se transpercer le cœur, ne pouvant survivre à la guerre civile »47.
33Si le symbole de l’épée fait ici sa réapparition, dans un texte destiné à légitimer l’action des Livournais auprès d’un public plus large, au beau milieu d’un choc de représentations opposées sur le rôle et la valeur de tels corps armés, il n’est pas moins intéressant, cependant, que le poignard y soit également devenu en réalité une icône – pleinement légitime – dans laquelle se reconnaître pour certaines franges du mouvement radical, ainsi qu’un instrument utile pour poursuivre une lutte politique exacerbée au-delà des revers de la Révolution. C’est précisément Petracchi qui signa, en avril 1849, un manifeste Aux rétrogrades de Toscane, qui fut affiché au moins à Livourne et à Florence, et qui dépeignait les adversaires de la Révolution d’une manière réservés une année plus tôt seulement aux ennemis extérieurs, en les vouant donc à la vengeance. S’adressant à ces « individus abhorrés », capables de se réjouir des malheurs de la Péninsule, tout aussi incapables de « rougir » que « de sentiment d’honneur », privés de « tout autre instinct que celui du mal » et de tout désir qui ne soit pas la « ruine de l’Italie », Petracchi menaçait :
mais tremblez ! Vous irez sous la terre, et Vous, et les perfides couronnes, auxquelles vous vous êtes lâchement vendus […] quand bien même tout serait terminé pour nous, et que le Croate fût aux portes de nos Villes, Vous, infâmes, vous tomberez tous sous nos poignards, et vous n’aurez pas le temps de contempler la destruction de ce Pays, contre lequel vous avez toujours conspiré48.
34Une proclamation publiée le 3 mai 1849 par la typographie gouvernementale de la République romaine ne craignait pas non plus de dépeindre comme des « Cannibales » les soldats napolitains levés par le gouvernement des Bourbons contre l’État, en arrivant ainsi implicitement à nier la fraternité italienne commune :
Romains ! Ces buveurs de sang ont les mains plus accoutumées au saccage qu’à la bataille, ils ont davantage la rage de la Hyène que le sentiment de l’homme, plus l’avidité du loup que la générosité du soldat. Connaissez-vous leurs œuvres ? Ils ont détruit Messine, dévasté Catane, égorgé les enfants, violé les femmes, saccagé les Églises. S’ils se donnent tant de mal pour nuire à leur Patrie, que ne feraient-ils dans un pays qui n’est pas le leur ?
35Selon un procédé inverse, mais symétrique de celui entrevu chez les auteurs modérés, dans un texte qui invite à la défense à outrance, les Napolitains, naguère frères, sont désormais dépeints avec les traits de l’ennemi extérieur et du tyran, et ainsi condamnés sans espoir de rédemption. C’est en effet plutôt dans l’effusion collective de leur sang que le texte retrouve un sentiment de fraternité, mais qui ne concerne désormais que les seuls défenseurs de la République :
Que chacun jure de tuer un ennemi. Que chaque maison soit un rempart, chaque fenêtre une meurtrière, chaque buisson un traquenard, chaque objet une arme. Ne comptons pas les ennemis : nous compterons ensuite leurs cadavres, et nous les offrirons en impure hécatombe au mauvais génie qui les a conduits ici. Bienheureux qui tue le sien ! La patrie de Brutus n’accueille que morts les brigands des Bourbons. Courage, mes Frères ! Les gloires antiques du Capitole attendent de rivaliser avec de nouvelles gloires49.
Conclusions
36Dans le cadre du mouvement dialectique décrit ici, fait de regards contraposés sur les différentes expériences de fraternité en armes du 1848 italien, devenues progressivement inconciliables au cours du cycle révolutionnaire, on put donc parvenir, au sein de la culture politique radicale, à assumer consciemment et à revendiquer les thèmes, y compris les plus violents, du stéréotype du frère de secte, interprétés dans une perspective patriotique à la lumière des codes de l’honneur, de la vengeance et de la justice de réparation. Si l’allégorie féminine de l’Italie, au cours des années qui vont suivre jusqu’à l’Unité, continuera généralement à être armée d’une épée dès lors qu’on lui demande de véhiculer l’appel à venger les ancêtres ou les frères récemment tombés en son nom (fig. 8)50, du côté radical, on voit en réalité apparaître aussi des représentations explicites qui célèbrent des agressions effectivement perpétrées, souvent précisément avec des stylets ou des poignards, aux dépens d’individus qu’il était possible aux yeux de ces patriotes, dans le contexte de la réaction et de l’occupation militaire, de définir comme des traîtres, des espions ou des collaborateurs des gouvernements restaurés et des étrangers (fig. 9).
37Giuseppe Mazzini lui-même, en réponse à la polémique soulevée par Daniele Manin en 1856, relative à la répétition de ces épisodes sanglants qui n’avaient jamais été condamnés par la direction du mouvement radical, exprimait sa compréhension non pas pour l’assassinat politique élevé en système ordinaire d’action (« la théorie du poignard » dénoncée par Manin), mais pour « le fait du poignard », c’est-à-dire l’existence (temporaire) d’épisodes violents réitérés, qui se reproduisaient, selon lui, à cause des « abus de pouvoir » de « petits tyrans subalternes connus de chaque individu de nos villes, qui ne sont pas grandes », et qui étaient amenés à disparaître « quand l’Italie aura une vie propre, des droits reconnus et la justice » :
Aujourd’hui, je n’approuve pas, je déplore ; mais je n’ai pas le cœur à maudire. Lorsqu’un homme, Vandoni, à Milan, déploie toutes ses ruses pour forcer un vieil ami à accepter de lui un billet de l’Emprunt national, puis court le dénoncer à la police de l’étranger – si un homme du peuple se lève et, le jour suivant, transperce le Judas à midi, sur la voie publique – je ne me sens pas le courage de jeter la pierre à cet homme du peuple, qui prend sur soi de représenter la justice sociale abhorrée par la tyrannie51.
38Une « arme de guerre non régulière » peut aussi répondre légitimement à cet objectif52, dans l’optique de larges franges du mouvement radical qui ne cessent de s’inspirer de la philosophie du tyrannicide dans le contexte de politicisation des relations sociales postérieures à 1848, alors que même la figure classique du tyran se trouve démocratisée et reconnaissable dans celle de fonctionnaires les plus divers de la réaction, jusqu’aux niveaux les plus humbles des hiérarchies de l’ordre.
39À partir des derniers mois de la longue année 1848, cette apologie, de la part des radicaux, d’une arme irrégulière et à la portée de sujets populaires comme le poignard, invite à repenser aussi les contradictions, les apories et le paternalisme avec lesquels, au début du cycle révolutionnaire, les frères du peuple avaient été accueillis dans les fêtes et dans les manifestations patriotiques exaltant la guerre, la défense armée, la vengeance nationale. Nous avons vu, en effet, que pour bien des observateurs modérés (et sûrement pour les conservateurs et les réactionnaires), des objets chargés d’une profonde valeur symbolique, comme le poignard, qui se réfèrent à des pratiques sociales controversées, mais aussi à des canaux, à des opportunités, à des relations, à des expériences de politicisation populaire qui restaient en dehors de leurs possibilités de contrôle et de tutelle, vinrent marquer une frontière profondément clivante au sein de la communauté des « frères (en armes) d’Italie ». L’éthique/esthétique du poignard conçue comme parodie, renversement, et enfin trahison d’une fraternité jurée à l’origine sur l’épée, permettait ainsi de nier la légitimité d’une politicisation populaire « partisane », et de réduire à des présences corrompues ou criminelles ces représentants des classes subalternes qui commençaient à s’organiser et à agir dans la nouvelle sphère publique de 1848.
40Dans un cas comme dans l’autre, l’un des legs les plus controversés, et peut-être aussi les plus inattendus de la fraternité de 1848 comme sentiment politique, en particulier dans le répertoire des mots, des gestes, des objets liés aux narrations et aux expériences de sa déclinaison combattante, semble bien être une politicisation inédite de la frontière entre « nous » et « eux » au sein des mêmes sociétés locales, avec pour résultat tantôt de créer des lignes de fracture jusqu’alors inexistantes le long des nouvelles articulations du champ politique, tantôt de confirmer ultérieurement de précédentes divisions et stéréotypes, qu’ils soient municipaux ou sociaux.
Notes de bas de page
1 La reconstruction la plus récente des événements de 1848 en Italie figure dans E. Francia, 1848 : la rivoluzione del Risorgimento, Bologne, 2012. Voir en outre G. L. Fruci et A. Petrizzo, Risorgimento di massa (1846-1849), dans A. M. Banti, avec la collaboration de P. Finelli, G. L. Fruci, A. Petrizzo et A. Zazzeri (dir.), Nel nome dell’Italia : il Risorgimento nelle testimonianze, nei documenti e nelle immagini, Rome-Bari, 2010, p. 150-256. La périodisation d’un « long 1848 », utilisée de longue date dans les études sur le cas italien, remonte à S. Soldani, Il lungo Quarantotto degli italiani, dans G. Cherubini et al. (dir.), Storia della società italiana, XV, Il movimento nazionale e il 1848, Milan, 1986, p. 259-343. Voir enfin Ead., Approaching Europe in the Name of the Nation : the Italian Revolution, 1846-1849, dans D. Dowe, H.-G. Haupt, D. Langewiesche et J. Sperber (dir.), Europe in 1848 : Revolution and Reform, New York-Oxford, 2001, p. 59-88.
2 F. Rigotti, Il potere e le sue metafore, Milan, 1992. Aux côtés d’une fonction ornementale des métaphores politiques, la philosophe Francesca Rigotti en identifie d’autres qui rendent les métaphores inséparables du discours politique tout court : la fonction évocative, qui vise à susciter une reconnaissance de la part de ses destinataires, et la fonction constitutive, qui définit au travers des images les significations mêmes de la politique ; voir Ead., Metafore della politica, Bologne, 1989. Par rapport à la perspective fondamentalement textuelle de Rigotti, cette contribution prêtera une attention aussi soutenue aux pratiques, aux gestes et aux objets qui concrétisent, aux yeux des contemporains, identités et appartenances. Voir à cet égard, Ph. Bourdin, M. Bernard et J.-C. Caron, La voix et le geste : une approche culturelle de la violence socio-politique, Clermont-Ferrand, 2005. L. Auslander, Des révolutions culturelles : la politique du quotidien en Grande-Bretagne, en Amérique et en France, XVIIe-XVIIIe siècle, Toulouse, 2010. R. Taws, The Politics of the Provisional : Art and Ephemera in Revolutionary France, University Park, 2013.
3 M. Ozouf, La Révolution française et l’idée de fraternité, dans Ead., L’homme régénéré : essais sur la Révolution française, Paris, 1989, p. 158-182. M. David, Fraternité et Révolution française, Paris, 1987, ainsi que Le Printemps de la fraternité : genèse et vicissitudes 1830-1851, Paris, 1992. Sur la nécessité d’équilibrer Begriffsgeschichte et analyse historico-culturelle des pratiques politiques, voir G. Bertrand, C. Brice et G. Montègre (dir.), Fraternité : pour une histoire du concept, Grenoble, 2012. En dernier lieu, M. Alpaugh, Les émotions collectives et le mouvement des fédérations (1789-1790), dans Annales historiques de la Révolution française, 372, 2013, p. 49-80.
4 Pour un cadre d’ensemble des usages de la fraternité dans les langages et les pratiques politiques de 1848 en Italie, ainsi que pour les références aux reprises de traditions discursives et de saisons politiques antérieures (que j’ai choisi de ne pas reprendre dans ces pages), je renvoie à l’essai de Gian Luca Fruci, ici même. Sur différents aspects spécifiques de cette question, voir s. v. Fratelli, dans P. Brunello (dir.), Voci per un dizionario del Quarantotto : Venezia e Mestre marzo 1848-agosto 1849, Venise, 1999, p. 91-104 ; A. Petrizzo, Spazi dell’immaginario : festa e discorso nazionale in Toscana tra 1847 e 1848, dans A. M. Banti et P. Ginsborg (dir.), Storia d’Italia. Annali 22. Il Risorgimento, Turin, 2007, p. 509-539 ; S. Petrungaro (dir.), Fratelli di chi : libertà, uguaglianza e guerra nel Quarantotto asburgico, Santa Maria Capua Vetere, 2008 ; E. Leso, Lingua e rivoluzione : ricerche sul vocabolario politico italiano del triennio rivoluzionario 1796-1799, Venise, 1991.
5 Cf. D. Orta, Le piazze d’Italia 1846-1849, Rome, 2008. Sur la morphologie et les fonctions du discours national-patriotique italien, voir A. M. Banti, La nazione del Risorgimento : parentela, santità e onore alle origini dell’Italia unita, Turin, 2000 et, dans une perspective comparatiste, Id., L’onore della nazione. Identità sessuali e violenza nel nazionalismo europeo dal XVIII secolo alla Grande Guerra, Turin, 2005.
6 S. Bertelli et M. Centanni (dir.), Il gesto nel rito e nel cerimoniale dal mondo antico a oggi, Florence, 1995, p. 11.
7 Archivio di Stato di Firenze (ASF), Presidenza del Buongoverno 1814-1848, Archivio Segreto (BGS), Negozi 1847, f. 439, Rapporto straordinario del Sottoispettore di Polizia, Pietrasanta, 10 septembre 1847.
8 Cf. Nobili e popolani, article publié en première page de L’alba, Florence, 11 décembre 1847 (« Treize siècles de tyrannie, domestique et étrangère, ont fait payer à l’Italie la désunion entre Nobles et Peuple ; mais Nobles et Peuple n’ont pas su tirer d’enseignements des erreurs et des maux soufferts par les citoyens dissidents. Il y eut des moments où les Italiens éprouvèrent le besoin d’être tous des frères ; et c’est alors qu’ils redevinrent libres »).
9 Pour une étude analytique des dynamiques rapidement synthétisées ici, voir A. Petrizzo, Spazi dell’immaginario… cit. (note 4) et C. Sorba, Il 1848 e la melodrammatizzazione della politica, dans A. M. Banti et P. Ginsborg (dir.), Il Risorgimento… cit. (note 4), p. 481-508.
10 « Il y avait cinq peuples rassemblés en une seule famille, jurant de répandre leur sang pour la défense et l’indépendance de la patrie » commente la chronique de la fédération de Radda, avec les communautés de Panzano, Greve, Castellina et Casole, parue sur Il popolo de Sienne, le 19 ottobre 1847.
11 En septembre 1847, deux sujets du pape, Lucien Bonaparte, prince de Canino, et Luigi Masi, en uniforme de gardes civils romains, traversèrent la Toscane pour se rendre au neuvième congrès des savants à Venise. Présentés dans leurs différentes étapes par les médiateurs locaux les plus influents (Francesco Domenico Guerrazzi à Livourne, Giuseppe Montanelli à Pise, les libéraux des Cafés de la Garde Nationale et Ferruccio à Florence), les deux hommes prononcèrent des discours depuis les balcons de maisons privées, d’auberges, de cafés, sur les places, dans les gares ferroviaires, en tirant leurs épées et en invitant leur public à prêter serment de « verser leur sang » pour la « juste cause » de la guerre italienne : ASF, BGS, Negozi 1847, f. 429, Rapporto riservato del terzo Sotto-ispettore, Florence, 11 septembre 1847 et f. 455, Rapporto dell’Ispettore di Polizia, Pise, 10 septembre 1847.
12 C. Ganci, Cronica delle cose appartenenti all’I. e R. chiesa e parrocchia di S. Felicita in Firenze, dans P. Barbaini, Problemi religiosi nella vita politico-culturale del Risorgimento in Toscana, Turin, 1961, p. 267. Antonio Zobi fut témoin de cette même journée ; il pense lui aussi que les nombreux ecclésiastiques qui prirent part au cortège en direction du palais Pitti étaient mûs par la peur, ou par la duplicité : A. Zobi, Storia civile della Toscana dal 1737 al 1848, V, Florence, 1852, p. 129-130.
13 C. Pigli et L. Romanelli, Relazione delle feste aretine, Arezzo, 1847, p. 95-96.
14 Les passages cités, qui renvoient en effet à une narration collective réitérée, proviennent des sources suivantes : Pel calendario pratese del 1848. Memorie e studi di cose patrie, Prato, 1847, p. 12 ; Allocuzione dal proposto Alessandro Vincenti Presidente dell’Accademia Scientifico-Letteraria Seravezzese degli Iniziati pronunziata in occasione della festa popolare eseguita dai versiliesi riuniti nel prato del R. Palazzo di Seravezza il 12 settembre 1847 per solennizzare l’istituzione della guardia civica toscana, Pise, 1847, p. 5-6 ; Per le feste nazionali. Discorso di Alessandro Bulgarini, in Il chiericato di Toscana plaudente alle riforme civili. Raccolta corredata di varie voci e dedicata al chiericato italiano, Turin, 1847, p. 66-67.
15 Romani ! (tract sans date ni pagination), dans Biblioteca di storia moderna e contemporanea [BSMC], Rome, 21 13 E 9.8. L’épisode historique auquel fait allusion ce texte est le lynchage de Giuseppe Prina, ministre des finances de la République italienne, puis du Royaume italique, qui se produisit à Milan le 20 avril 1814.
16 Il corriere livornese, Livourne, 8 ottobre 1847. Cet article, consacré aux fêtes fédératives dans la région de la Versilia, continue à répéter que celles-ci ont attiré « un peuple entier non pas pour égarer l’intellect en de viles manifestations d’allégresse, mais pour fraterniser tous ensemble sous l’étendard de l’indépendance. […] Non, par Dieu !, que les fêtes nationales n’affaiblissent pas, qu’elles forgent le cœur des Italiens en vue de cette vengeance qui, seule, est noble ».
17 Cf. P. Finelli et G. L. Fruci, « Que votre révolution soit vierge » : il « momento risorgimentale » nel discorso politico francese (1796-1870), dans A. M. Banti et P. Ginsborg (dir.), Il Risorgimento… cit. (note 4), p. 764-767, et S. Patriarca, Italianità : la costruzione del carattere nazionale, Rome-Bari, 2010, p. 3-37.
18 « […] il consistait en une longue chemise, ou blouse, de velours noir, de fabrication nationale, serrée aux flancs par une ceinture en cuir d’où pendait une dague ou une épée ; large col blanc, retombant sur les épaules ; caleçons courts de velours noir ; bottes montant jusqu’aux genoux ; chapeau à la calabraise, avec une plume ; et un collier qui descendait sur la poitrine, d’où pendait un médaillon, qui était d’ordinaire le portrait de Pie IX » : G. Visconti Venosta, Ricordi di gioventù : cose vedute o sapute 1847-1860, Milan, 1904, p. 112-113. À Milan, rapporte l’auteur, le secrétaire du Gouvernement provisoire, Cesare Correnti, adopta le costume avec le sabre bien en évidence, et des « épées et des sabres de cavalerie » apparurent aussi aux flancs de « nombreuses femmes élégantes ». Sur ce phénomène, voir C. Sorba, Il 1848… cit. (note 9), p. 490-496, et Ead., Ernani Hats : Italian Opera as a Repertoire of Political Symbols during the Risorgimento, dans J. F. Fulcher (dir.), The Oxford Handbook of the New Cultural History of Music, Oxford, 2011, p. 428-451.
19 « Je t’écris de Pietrasanta dans un grand moment d’émotion – écrit à l’un se ses amis Carlo Livi, étudiant qui s’était enrôlé volontairement dans le bataillon universitaire pisan – : la ville est toute entière triomphe et mouvement ; il en sort des militaires de tous les côtés. Cette nuit, nous avons dormi dans les églises, moi dans un confessionnal. On voit à tout instant arriver de Massa des soldats d’Este avec des drapeaux tricolores : que de baisers, que de marques d’affection. […] Les gens de Massa sont déjà en route pour fraterniser » : F. De Feo, Carteggi di Cesare Guasti, I, Carteggi con Carlo Livi e Ferdinando Baldanzi, Florence, 1970, p. 235. Au cours des mois de guerre, on retrouve fréquemment de tels termes dans la presse. Ainsi, en avril 1848, les journaux toscans accordèrent-ils une large place à la rencontre qui s’était produite à Livourne entre les croisés provenant de Naples et les volontaires siciliens (dont le séparatisme était contrecarré par le gouvernement constitutionnel de la capitale des Bourbons) : on vit les Napolitains, « remplis de joie et le cœur plein d’affection… courir à la rencontre de leurs frères » ; une scène qualifiée de « profondément émouvante ! » du fait des « marques d’accueil bienvenues » et des « accolades ferventes que ces courageux jeunes gens s’échangeaient » ; L’alba, Florence, 23 avril 1848.
20 On trouvera un témoignage particulièrement éclairant à cet égard, aussi bien pour la position personnelle de l’auteur que pour celles des volontaires qu’il commandait, dans les Lettere di Luciano Manara a Fanny Bonacina Spini (7 aprile 1848-26 giugno 1849), éditées par F. Ercole, Rome, 1939.
21 Giornale storico della prima legione romana compilato dal colonnello Bartolomeo Galletti, Rome, 1848, p. 12.
22 Ibid., p. 13-14.
23 Ibid., p. 16.
24 I reduci legionari ai loro fratelli della guardia civica romana, manifeste signé Per la legione romana il colonnello Bartolomeo Galletti et daté Roma 28 luglio 1848. Ce texte est riche en topoi, tels que nous les avons décrits ici : « Après quatre mois d’absence, nous revenons parmi vous, ô, nos compagnons d’armes. Nous échangeons le baiser de la fraternité, nous renouons les liens de notre parenté au nom de la patrie, et nous crions, tous unis, “Vive la liberté et l’indépendance de l’Italie”. Lorsque nous étions loin de vous, notre pensée volait à nouveau vers vous, et tandis que nous combattions sur les terres de Vénétie contre les hordes affamées des Croates, nous étions bien certains que vous combattiez les ennemis de l’intérieur, et que vous ne leur céderiez pas même un pouce du terrain politique de nos droits et de nos acquis ».
25 La principale source d’information relative aux épisodes évoqués ici demeurent les enquêtes menées entre octobre 1849 et le début des années 1850 dans le cadre de la Causa di Lesa Maestà con Omicidio in persona del Conte Pellegrino Rossi : voir en particulier Archivio di Stato di Roma (ASR), Tribunale della Sacra Consulta. Processi politici (1849-1870) (SCP), b. 293.
26 « Le souci, peut-être supérieur à tout autre, qui occupa Mazzini du temps de son triumvirat, fut la confection de trois stylets incomparables par leur matière et par leur travail. Ils coûtèrent au peuple qu’ils devaient saigner cent écus chacun ; Mazzini voulut en garder un, et fit présent des deux autres à ses dignes collègues, Saffi et Armellini » : [Luigi Bado], Fatti atroci dello spirito demagogico negli Stati romani. Racconto estratto da’ processi originali, Florence, 1853, p. 166.
27 N. Roncalli, Cronaca di Roma, III, 1852-1858, éditée par D. M. Bruni, Rome, 2006, p. 38-39, 79-80, 101, 122 et 128.
28 N. Costa, Quel che vidi e quel che intesi, édité par G. Guerazza Costa, Milan, 1927.
29 ASR, SCP, b. 293, c. 38-39 (déposition d’Ilario Tozzi, 19 octobre 1849).
30 Ibid., c. 103 (déposition de Lodovico Buti, 13 novembre 1849).
31 Ibid., c. 170 (déposition de Niccola Giuseppe Dek, 23 novembre 1849). Pour le serment nocturne, qui aurait été prêté dès le mois de mai 1848, voir BSMCR, Lesa Maestà con Omicidio in persona del conte Pellegrino Rossi Ministro di Stato (volume publié relié, avec la Relazione sur les vicissitudes processuelles relatives à la conspiration présumée, à l’homicide Rossi et à l’insurrection du 16 novembre 1848, avec les chefs d’inculpation des différents suspects), p. 13-14 : « Brunetti [Ciceruacchio, nda] élevant le premier un poignard, imité par les autres qui en étaient armés, tous ensemble déclarèrent qu’ils étaient prêts à obéir aux ordres de Brunetti et des Chefs », c’est-à-dire à reconnaître Pie IX comme « traître à la patrie » – parce qu’il avait retiré son appui à la guerre et choisi de « sacrifier leurs frères partis combattre pour l’indépendance » – et « à lui retirer le Gouvernement de l’État ». Ce n’est donc pas un hasard si l’iconographie contre-révolutionnaire fait de Ciceruacchio le bouclier d’une Révolution représentée comme une harpie, armée du traditionnel stylet (fig. 7).
32 Sur l’évolution des représentations (et des comportements) des milieux populaires, voir E. Francia, Provincializzare la rivoluzione : il Quarantotto « subalterno » in Toscana, dans Società e storia, 116, 2007, p. 293-320.
33 E. Ripoli, Il Risorgimento italiano a Livorno nel diario di Carlo Cecconi. Aprile 1847-Febbraio 1849, Pise, 1998, p. 99.
34 Ibid., p. 110.
35 Sur les complexes dynamiques sociales et politiques livournaises et toscanes, voir F. Bertini, Risorgimento e paese reale : riforme e rivoluzione a Livorno e in Toscana (1830-1849), Florence, 2003.
36 Giovanni Scarpellini, sonneur de cloches de la cathédrale de Livourne, rapporte avec indignation, dans une chronique manuscrite, l’épisode de novembre 1848 durant lequel le gouverneur controversé de la ville, le radical Carlo Pigli, ayant terminé de prononcer son discours de prise de fonction depuis la terrasse du Palais prétorien, « après avoir tiré de sa poche un stylet, le montra au public, en prononçant ces mots précis : “Si je devais cesser de demeurer fidèle à mes principes, et à vos droits, et si je voulais jouer au César avec vous, soyez mon Brutus, en retournant ce stylet contre ma poitrine” » : G. Scarpellini, Torbidi di Livorno : diario 1848-1849, Livourne, 1997, p. 122. L’auteur s’attarde souvent sur cette arme comme symptôme de désordre civil croissant, depuis les soulèvements populaires de la seconde moitié de l’année 1848 jusqu’à différents épisodes mineurs de mars 1849, comme l’attentat (manqué) contre le colonel Reghini Costa (« on vit luire les Stylets, et les Pistolets » ; ibid., p. 162), ou les manifestations nocturnes de carnaval d’une « multitude de vauriens avec des Drapeaux, des Tambours et des Torches », qui parcouraient la ville en entonnant des slogans et des chants républicains, avec « un homme du peuple (un certain Montagni, fabricant de casseroles) entièrement habillé en rouge avec un Bonnet de même couleur, un Drapeau tricolore dans la main gauche, et un stylet dans la main droite. Il était censé représenter la République » (ibid., p. 165).
37 Sur la formation (y compris littéraire) de ce stéréotype et sur sa circulation transnationale, voir D. Kalifa, Les bas-fonds : histoire d’un imaginaire, Paris, 2013. Cf. aussi, plus généralement, les considérations récentes de F. Benigno, L’imaginaire de la secte : littérature et politique aux origines de la camorra (seconde moitié du XIXe siècle), Annales. Histoire, Sciences Sociales, 3, 2013, p. 755-789.
38 Epistolario edito ed inedito di Giuseppe Giusti, édité par F. Martini, III, Florence, 1904, p. 309 (à Costanza Arconati, de Florence, le 20 avril 1849).
39 Ibid., p. 307 (à Giorgio Magnani, de Florence, le 17 avril 1849).
40 Note de l’Auditeur Militaire, Florence, 19 mars 1848, cité dans F. Bertini, Risorgimento e paese reale… cit. (note 35), p. 584.
41 Des décennies plus tard, on se rappellait encore des « bandes ivres des Livournais » comme de celles qui « avaient fait souhaiter les Autrichiens !… », dans M. Gioli Bartolommei, Il rivolgimento toscano e l’azione popolare, 1847-1860 : dai ricordi familiari del marchese Ferdinando Bartolommei, Florence, 1905, p. 37 et 41.
42 Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze (BN), Manoscritti Rossi Cassigoli (MRC), 255, T. Maccanti, Cronaca pistoiese con notizie di altri Paesi Italiani, IV, Dal primo gennaio a tutto il 31 marzo 1849 inclusive, c. 64.
43 Durant ces mêmes journées, l’auteur dénonce le projet d’intervention militaire en Toscane caressé par Vincenzo Gioberti à Turin. « Des Troupes Italiennes étaient destinés à se battre contre des Troupes Italiennes, tandis que l’Allemand se promenait dans les villes Italiennes. L’aberration mentale de Gioberti paraît incroyable ! Nous priver en ce moment d’une partie de nos forces ! Remplacer la guerre contre l’Autrichien par la guerre civile ! C’est là une espèce de fureur, c’est une horrible horreur, une politique insensée et illibérale » (ibid, c. 73). En avril, la situation empire. « À Rome aussi, les Prêtres, et les Doctrinaires qui suivent la voie des réactionnaires-rétrogrades-austro-jésuites et plus nuisibles que ceux-ci, tentent par tous les moyens de diviser les esprits pour obtenir, fût-ce au prix de la Guerre Civile, la Restauration tant désirée » ; et entretemps les « braves Piémontais qui ont refusé de se battre avec les Allemands doivent agresser et assassiner leurs frères » en bombardant Gênes pour remettre la ville, alors aux mains d’insurgés radicaux, sous le contrôle des Savoie (BN, MRC, 256, T. Maccanti, Cronaca pistoiese con notizie di altri Paesi Italiani, V, Dal primo Aprile a tutto il 30 Giugno 1849 inclusive, c. 19-21).
44 Ibid., c. 23.
45 Ibid., c. 30-33.
46 Comme le souligne le manifeste Toscani daté de Pistoia, le 16 avril 1849, signé Per il Battaglione Ferruccio Capitano Ignazio Reynier Estensore (ibid., document n. 39).
47 Ibid.
48 Cité in F. Bertini, Risorgimento e paese reale… cit. (note 35), p. 591.
49 BSMC, Bandi a.199/43.
50 Sur cette image et son contexte, voir S. Morachioli, Caricatura e allegoria : Don Pirlone a Roma e le immagini politiche a stampa intorno al 1848, dans V. Fiorino, G. L. Fruci et A. Petrizzo (dir.), Il lungo Ottocento e le sue immagini : politica, media, spettacolo, Pise, 2013, p. 179-192.
51 G. Mazzini, A Daniele Manin (1856), dans Scritti editi ed inediti di Giuseppe Mazzini, vol. 55, Imola, 1929, p. 154-156. Sur cet épisode spécifique de 1851, le meurtre par le poignard d’Alessandro Vandoni, dont la dénonciation avait entraîné l’arrestation de son collègue et médecin subalterne Gaetano Ciceri, accusé de posséder des documents relatifs à l’emprunt mazzinien, voir C. Arrigoni, L’assassinio del dottore A. Vandoni nella Milano rivoluzionaria di cento anni fa, dans Rassegna storica del Risorgimento, 2-3, 1955, p. 180-192.
52 G. Mazzini, A Daniele Manin… cit. (note 51), p. 152.
Auteur
IEA Collegium (Lyon, France)
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