Chapitre 11. L’élasticité des fidéicommis : réinvestissement des capitaux et gestion patrimoniale
p. 469-527
Texte intégral
1Les arrêtés de levée de dépôt prononcés par les Juges du Procurator se prêtent à deux types d’approche. L’une, mis en oeuvre dans le chapitre précédent, consiste à analyser l’appareil normatif, le mode de fonctionnement, les techniques et les pratiques des officiers de la Cour dans leur travail de contrôle et de certification. Elle laisse entrevoir des usages quand les Juges s’en prennent aux montages financiers consistant, pour l’usufruitier, à prêter de l’argent du fidéicommis à soi-même. Une telle pratique, formellement interdite au milieu du XVIIe siècle et de nouveau au milieu du siècle suivant, n’en demeure pas moins répandue et légalement cautionnée par la magistrature dont le positionnement oscille entre la défense des fidéicommis et l’appréciation de l’intérêt du titulaire. L’autre voie délaisse l’étude de la pratique de la Cour pour s’intéresser aux usages qu’en font les acteurs. À son tour, elle peut être empruntée en mettant en œuvre une double méthodologie. La première repose sur l’analyse sérielle des arrêtés qui est utile pour reconstituer l’activité de la Cour, identifier l’origine des capitaux et leur destination, et dessiner le profil social des requérants. Cette enquête quantitative a été conduite à partir d’échantillons limités qui, à défaut d’offrir des données exhaustives, donnent à voir les éléments structurants auxquels il est possible de rapporter les comportements individuels. Ce sont eux que privilégie la seconde voie d’analyse que nous avons suivie. Elle repose sur la reconstitution longitudinale d’histoires patrimoniales en prenant en compte tous les arrêtés prononcés en faveur du même requérant. Cette méthode a la vertu de faire de chaque arrêté la pièce d’une mosaïque dont l’assemblage met au jour les choix, les préférences, les orientations qui président à la gestion des capitaux. Leurs usages s’avèrent d’une grande variété démontrant toutes les potentialités de la présence de capitaux dans un fidéicommis. Elle permet d’envisager une gestion plus souple et élastique sans s’affranchir des frontières qui séparent le disponible et l’indisponible, mais en jouant des avantages que procurent les liquidités. Il faut y voir une ressource, inégalement partagée, pour ne pas dire socialement très concentrée, à même d’adapter, voire de remodeler la composition du fidéicommis en fonction de la conjoncture et des objectifs que s’assigne son titulaire.
Rythme des levées de dépôt
2À l’échelle du siècle, le rythme des concessions de levée de dépôts est marqué par de notables variations. Il demeure stable entre 1730 et 1756 – 140 par an – avec toutefois des sauts d’une année à l’autre. L’activité s’accélère en 1757, passant de 126 arrêtés à 214, et continue sa progression pour atteindre, en 1763, 279 arrêtés. Un ralentissement s’observe à la fin des années 1760, avant un redémarage au début des années 1770 qui culmine en 1776 avec 311 arrêtés. Après 1783, le rythme baisse brutalement pour retrouver l’étiage de la première moitié du siècle. Comment interpréter ces variations ? L’activité, beaucoup plus soutenue, dans la seconde moitié du siècle est, sans doute, à mettre en relation avec les opérations de remboursements de la dette publique, sans qu’il y ait de corrélations fortes. Ainsi l’ouverture de la caisse d’amortissement en mars 1767 n’entraîne pas de hausse significative des demandes car priorité était donnée aux capitaux libres sur les capitaux conditionnés. Pourtant l’origine des dépôts auprès du Procurator montre que les capitaux proviennent durant cette année majoritairement de la caisse d’amortissement.
3À l’évidence, certains titulaires de fidéicommis saisissent l’occasion offerte par l’affranchissement des anciennes rentes publiques pour effectuer des investissements qui avaient été retardés faute de liquidités suffisantes. Ainsi le 9 avril, Alvise Mocenigo II, dit Zuanne, q. Alvise, adresse une requête au Procurator au sujet des travaux urgents que nécessitent le palais et ses dépendances situés dans la Villa d’Abano (Padovano) et les greniers (barchessa) des Valli Mocenighe, tous deux propriété de la primogéniture fondée en 1647 par Alvise Mocenigo. À l’appui de sa demande il fournit un rapport de l’expert public et architecte Giorgio Fossati qui évalue la dépense respectivement à 3886 et 3050 ducats. Les arguments employés ne sont pas sans rappeler ceux utilisés par les propriétaires de biens en ruine auprès des Provveditori di Comun pour demander la levée de l’inaliénabilité : le péril imminent de ruine (« in pericolo d’imminente rovina »), l’incapacité d’assumer avec son propre argent une dépense injuste qui résulte des manquements de ses aïeux, la nécessité d’effectuer des travaux pour mettre fin à un état d’abandon préjudiciable à la primogéniture1. Il sollicite donc que soient libérés des capitaux détenus dans les dépôts publics au titre de la primogéniture et d’autres fidéicommis en échange de la subrogation de biens.
4La hausse de l’activité de la Cour dans la première moitié des années 1770 peut ête imputée à la vente de propriétés ecclésiastiques par la Deputazione ad pias causas, mise en place en 1766, qui confisque le sixième des propriétés du clergé régulier, opérant un transfert massif de biens fonciers à la faveur de ventes aux enchères qui bénéficient à la composante la plus riche du patriciat. Andrea Querini, qui est l’un des trois Députés ad pias causas, profite des opportunités offertes par sa position pour reconvertir l’immense fortune mobilière des Querini Stampalia, estimée à 619000 ducats en 1763, en biens fonciers acquis aux enchères2. Ces rentes publiques étaient pour partie libres et pour partie assujettis à quatre fidéicommis. En mai 1772, il obtient la libération de 59200 d. composés de Depositi fuori Zecca et du dépôt Regolazione del Ghetto, pour payer des terres confisquées aux moines olivétains de la Riviera di S. Fidenzio di Polverara et, en septembre de la même année, la sortie de 69158 d. du Deposito Novissimo, en échange de biens du monastère des Santi Quaranta de Trévise3.
5Les conditions de paiement des biens ecclésiastiques sont fixées par un décret du Sénat du 16 mai 1771 et un arrêté prononcé le 22 par la conférence formée par le Savio cassier et les Deputi ed Aggiunti sopra la provision del denaro. L’article premier autorise l’emploi de rentes publiques, libres et conditionnées, mais à condition pour ces dernières que les arrérages n’aient pas été hypothéqués, ce qui est une évidente limitation compte tenu de la diffusion de cette pratique4. L’article 4 impose une dépréciation de valeur de rachat des capitaux, formés par les intérêts cumulés, par rapport à leur valeur nominale (57 %)5. L’article 10 oblige, enfin, le titulaire à se présenter dans un délai d’un mois auprès des « magistrats compétents » pour prononcer la subrogation du fidéicommis6. Ces magistrats sont, à l’évidence, les Juges du Procurator ; mais est-ce que ce sont les seuls ? Si leur activité a bien augmenté dans la première moitié des années 1770, elle ne semble cependant pas à la mesure des achats de biens ecclésiastiques de la part des patriciens les plus riches.
6La hausse de l’activité, observée à partir de 1775 et qui culmine en 1776 à un niveau jamais atteint au cours du siècle, est provoquée par l’affranchissement de rentes publiques et le paiement des arrérages en retard. La décision prise en mars 1775 de rembourser les anciennes dettes – prioritairement celles détenues par des sujets de Terre Ferme et des étrangers – et les intérêts cumulés s’accompagne d’une décote de la valeur de rachat par rapport à la valeur nominale (la première étant fixée à 57 % de la seconde). En dépit de cette dépréciation, la mesure entraîne une sortie importante de capitaux au point qu’en 1776 (tableau ci-dessus) plus de la moitié des arrêtés de la Cour du Procurator portent sur des rentes publiques affranchies. Les magistrats ont à gérer un afflux de demandes qui portent sur des volumes supérieurs aux dépôts « ordinaires » et qui nécessitent des modalités de contrôle différentes de celles qu’ils ont l’habitude de mettre en œuvre. L’essentiel de leur tâche consiste à faire la part des arrérages qui ont été hypothéqués ou cédés et qui ne sont donc pas disponibles pour être agrégés au capital restitué en vue du nouvel investissement. Une fois cette phase d’amortissement de la dette passée, l’activité retrouve l’étiage qui était le sien dans la première moitié du siècle.
Profil des requérants
7Pour cerner le profil des requérants, deux méthodes d’observation ont été croisées. La première a consisté à prendre en considération l’ensemble des arrêtés d’une année en opérant trois coupes à quelques décennies de distance (1740, 1760, 1775) ; la seconde à suivre, année après année, les arrêtés prononcés pour des demandeurs dont le nom commence par la lettre G (1032 arrêtés, soit 10 % du total). Des critères simples ont été utilisés : le sexe, l’appartenance au patriciat ou à la noblesse de Terre Ferme, l’origine institutionnelle. Les femmes qui représentent, en 1740 et 1760, 20 % des demandes interviennent majoritairement en qualité de tutrice des leurs enfants mineurs. Quant aux institutions ecclésiastiques et pieuses, elles peuvent être amenées à demander le réinvestissement de capitaux reçus en legs dans le cadre d’une fondation de messe.
8La moitié des arrêtés concernent des demandeurs patriciens, tout sexe confondu : 50 % en 1740, 60 % en 1760 et 53 % en 1775. Le suivi de la cohorte G met en évidence, outre une oscillation plus forte des proportions d’une année à l’autre, une présence accrue du patriciat qui est à l’origine des deux tiers des demandes en moyenne sur la période 1728-1778. Cet écart est sans doute à mettre sur le compte de la présence de familles patriciennes particulièrement actives, comme le met en lumière un autre mode d’observation, fondé sur l’occurrence des mêmes requérants. Entre 1728 et 1778, 274 personnes ont sollicitée 892 arrêtés. Celles qui n’apparaissent qu’une seule fois représentent 65 % de l’effectif, mais seulement 20 % des arrêtés. Tandis que celles qui reviennent plus de 10 fois ne sont que 19 (7 %) mais totalisent 47,7 % des arrêtés. 7 personnes (2,5 %) sont présentes plus de 20 fois et en accaparent à elles seules 30 %. La sociologie des requérants traduit donc une très forte polarisation entre une majorité qui n’a recours aux Juges qu’exceptionnellement et une petite poignée qui est omniprésente. Parmi les premiers figurent des Vénitiens qui jouissent de fidéicommis modestes sans beaucoup de capitaux. Il faut aussi avoir à l’esprit que les Juges du Procurator sont aussi sollicités pour réinvestir des capitaux attachés à une dot. Le mari en a la jouissance et peut les gérer à sa guise, mais il ne peut pas en disposer sans l’aval des Juges. Ainsi NH Annibale Fonte q. Zuanne fait-il déposer sur le compte du tribunal en septembre 1753 187 : 12 ducats VC qui appartiennent à la dot de sa femme, Marina Gabrielli, en provenance du Deposito nuovo Macina qu’il propose de faire entrer dans un investissement de 500 ducats dans un autre dépôt public, le Deposito Olio7. Ces requérants d’un jour sont majoritairement des propriétaires non-patriciens pour qui la procédure de levée de dépôt, si elle est connue et utilisée, n’et pas un outil de gestion ordinaire de leur patrimoine. Ces sollicitations occasionnelles contrastent avec l’usage qu’en fait une minorité particulièrement active qui se recrute parmi les familles les plus riches du patriciat. Dans l’échantillon, parmi les 19 personnes se présentant plus de dix fois, ne figurent que deux non-patriciens : Giuseppe Gaudio et Giovanni Domenico Garelli. Deux se recrutent parmi des familles agrégées (Giovanni Andrea Giovanelli, Iseppo Maria Gallo) quand tous les autres appartiennent aux case vecchie. Quatre casati se partagent plus de la moitié des arrêtés : les Gradenigo (19 %), les Grimani (15 %), les Giustinian (13 %), les Gritti (8 %). Mais à l’échelle de chaque casato, quelques figures de premier plan sont particulièrement actives. Les Gradenigo sont représentés par 13 personnes, mais Gerolamo Gradenigo q. Piero compte pour le tiers des arrêtés, Bortolamio Gradenigo q. Gerolamo pour un cinquième. Les écarts sont les mêmes parmi les membres du casato Grimani (au nombre de 18), parmi lesquels émergent Lorenzo Grimani (36 %), Michiel Grimani (9 %), Marc’Antonio (8 %) et Zuanne (8 %). Dans la famille Giustinian (représentées par 17 personnes) se détachent Sebastian (28 %) et Marc’Antonio (24 %). Quant à Tridian Gritti, il concentre le quart des arrêtés sollicités par les 15 membres du casato. Les femmes patriciennes qui sont répertoriées en fonction du nom de leur famille d’origine peuvent agir au nom de leur descendance et gérer des biens appartenant à la famille cognatique : c’est le cas de Cecilia Grimani, veuve de Girardo Sagredo, ou d’Alba Giustinian, veuve de Niccolò Corner et tutrice de ses enfants. Plus que les familles élargies, ce sont les représentants de très riches case qui accaparent l’activité des Juges. Bortolo Gradenigo q. Gerolamo (1665-1750), procurateur de Saint-Marc, déclare en 1740 aux X savi alle decime un revenu 3190 ducats (hors intérêts de la dette publique non imposable), quand ses neveux Gerolamo Gradenigo q. Piero (1692-1762) et Carlo Gradenigo q. Zuanne et ses frères (1714-1760) disposent respectivement d’un revenu foncier de 5642 et 3700 ducats8. Le revenu de Michele Grimani Santa Maria Formosa s’élève à 3247 ducats, celui de Marc’Antonio Grimani San Polo à 9175 ducats, ce qui en fait un des patriciens les plus riches. Pourtant, il ne sollicite le Procurator qu’une dizaine de fois entre 1734 et 17789. Si les requérants les plus actifs sont aussi les patriciens les plus riches, il n’y a pas de corrélation entre le niveau de fortune et les demandes de levée de dépôts. Ce qui est déterminant, c’est la part des prêts et des titres publics attachés au fidéicommis et non la valeur globale de celui-ci. Un fidéicommis composé essentiellement de biens immobiliers n’a pas vocation à passer devant le Procurator. De même si les capitaux sont libres, ils sont destinés à être réemployés sans être examinés par les Juges. Ainsi Marc’Antonio Grimani dont les revenus déclarés sont près du double de ceux de Gerolamo Gradenigo q. Piero est-il cinq fois moins présent (10 contre 54) parmi les requérants de levée de dépôt.
9Un autre point attire l’attention : la fondation des fidéicommis dont les capitaux sont réinvestis est récente. Les deux tiers ont moins de 30 ans, le quart a moins de 10 ans et aucun n’a été institué plus d’un siècle avant le passage devant la Cour. Cette jeunesse des fidéicommis contraste avec l’ancienneté de ceux pour lesquels on demande la permutation ou l’aliénation d’un bien immeuble et de ceux qui sont examinés par le Procurator lors des substitutions. Il ne faut pas en déduire que des fidéicommis plus anciens ne comportaient pas de capitaux, en particulier des rentes publiques. Mais ils échappent en grande partie à l’observation car ils ne sont disponibles qu’en cas d’amortissement et sont souvent convertis dans de nouveaux emprunts, de sorte qu’ils ne passent pas entre les mains des Juges du Procurator. Qui plus est, l’enquête a porté sur les levées de dépôts prononcés entre 1730 et 1760, soit la période qui précède les grandes manœuvres d’amortissement de la dette. Le peu d’ancienneté des fidéicommis d’où sont tirés les capitaux n’en demeure pas moins significatif de la volonté d’adjoindre aux biens immeubles des liquidités. J’en veux pour preuve l’exemple de Gerolamo Gradenigo q. Piero qui se présente dans sa déclaration patrimoniale aux Dieci savi alle decime en 1740 comme le représentant de la primogéniture instituée en 1647 par Bortolamio Gradenigo q. Giovanni Giacomo, le frère de son arrière-grand-père. Or cette primogéniture n’apparaît jamais dans les demandes de levée de dépôt qu’il formule auprès des Juges, laissant entendre qu’elle ne comporte que des biens immeubles. En revanche, il intervient comme le représentant de six fidéicommis différents institués entre 1691 et 1748 : celui de son grand-père, Gerolamo Gradenigo q. Daniel (1691) ; de son grand-oncle, Bortolo q. Daniel, ancien évêque de Brescia (1697) ; de son père, Piero q. Gerolamo (1711) ; de ses oncles, Marco q. Gerolamo (1734), ancien patriarche de Venise, Bortolo q. Gerolamo (1752), Vicenzo q. Gerolamo (1736) ; et de sa sœur, Marietta Gradenigo Renier (1748). Les fidéicommis de son grand-père, de son grand-oncle et de sa sœur sont partagés avec d’autres ayants droit. Alors que l’essentiel du patrimoine immobilier et foncier est indisponible de longue date, les représentants des deux dernières générations instituent tous un fidéicommis qui comporte des capitaux, parfois en grand nombre comme pour les fidéicommis de Bortolo q. Daniel, ancien évêque de Brescia, et Piero q. Gerolamo. Sans doute y-a-t-il un rapport entre la fondation systématique de nouveaux fidéicommis, qui ne relève pas seulement du mimétisme familial, et la nécessité de protéger les capitaux qui permettent une gestion plus élastique de l’ensemble du patrimoine.
10En se polarisant sur les requérants qui sollicitent avec une certaine régularité la Cour du Procurator, l’enquête se concentre sur des individus très fortunés, qui disposent de capacités de gestion, d’agents, de relations à même de tirer le meilleur parti de la présence de capitaux dans les fidéicommis dont ils ont la jouissance.
De prêts en prêts : les fidéicommis comme source de crédits
11L’enquête a, d’abord, cherché à établir l’origine des capitaux en dépôt et la destination des investissements. L’examen de 328 arrêtés prononcés entre 1730 et 1760 met en évidence une certaine continuité sans qu’il y ait, pour autant, reconduction à l’identique10.
12Les deux tiers des réinvestissements utilisent des capitaux provenant de remboursements de prêts aux particuliers. Les rentes publiques, composées de dépôts fuori Zecca et de prêts aux scuole et aux corporations, représentent le quart, mais dominent en valeur. Notons que des arrérages de rentes publiques attachés aux fidéicommis sont également utilisés dans une moindre mesure. Quant aux investissements, ils sont orientés, dans des proportions équivalentes (2/3), vers de nouveaux prêts aux particuliers, qu’il s’agisse de prêts stipulés devant notaire avec hypothèque ou du rachat d’un livello plus ancien dans lequel subroge le fidéicommis. Viennent loin derrière l’acquisition de biens immeubles à Venise et en Terre Ferme (13 %), auxquels on peut ajouter l’achat de biens libres et des remboursements dus à l’usufruitier (3 %). Les investissements en rentes publiques occupent une position marginale (6 %) et, plus encore, ceux destinés à reconstruire et restaurer des biens immeubles appartenant au fidéicommis (3 %).
13La faible utilisation des rentes publiques doit être interprétée à l’aune de plusieurs éléments : le volume des capitaux, plus important que dans les prêts aux particuliers, et leur disponibilité qui est dépendante de l’affranchissement décidé par les pouvoirs publics. Dans ces années 1730-1750, les dépôts proviennent pour l’essentiel du remboursement d’un emprunt fuori Zecca, le Deposito Macina, et de l’arrivée à échéance de prêts aux institutions (capitali instrumentati). Dans des périodes d’affranchissement de la dette (comme dans les années 1775-76), la moitié des dépôts provient de rentes publiques et la répartition des investissements est la même, l’autre moitié est constituée de prêts hypothécaires.
14À l’autre bout du circuit, le faible investissement en emprunts publics ne doit pas être interprété comme un signe de la défaveur de ce type de placement. Nous ne raisonnons que sur les capitaux conditionnés déposés auprès de la Cour du Procurator et réinvestis. Les achats à partir de capitaux libres nous échappent complètement et surtout l’essentiel des rentes publiques anciennes, reconverties dans les nouveaux emprunts, nous sont invisibles. Les capitali instrumentati, placés auprès des scuole et des corporations, sont très présents car ils nécessitent un enregistrement devant notaire comme les autres prêts hypothécaires. Compte tenu de ces données structurelles, ce que l’on observe à partir des levées de dépôt du Procurator, c’est une sortie des capitaux des rentes publiques, qui est loin d’être compensée par l’investissement de capitaux mis en dépôt à l’occasion du remboursement de prêts. Cela rend d’autant plus atypiques les choix de Giovanni Battista Caliari Fantinelli, de San Maurizio, qui, entre 1741 et 1762, a recours 14 fois au Procurator11. Il rachète deux livelli dont il avait en propre la créance et institue quatre nouveaux prêts privés, mais surtout place à six reprises les capitaux remboursés par des particuliers auprès de la Scuola de la Misericordia et de l’Hôpital des Incurables. Et quand en 1762, la Scuola lui restitue à l’échéange 6500 d., il les réemploie dans un prêt au susdit Hôpital. Sans être exclusive, une telle préférence pour le placement des capitaux auprès des institutions publiques de la ville aux dépens des prêts aux particuliers apparaît à contre-courant des tendances de fond des investissements.
15Les prêts aux particuliers constituent la source et la destination principales des capitaux qui transitent par la Cour du Procurator. Ils sont aussi omniprésents parce qu’ils ont vocation à être remboursés, à plus ou moins brève échéance, et à revenir devant la Cour dont la procédure de contrôle est destinée à maintenir les liquidités remboursées dans les limites et aux conditions du fidéicommis. La conservation et l’institution de nouveaux prêts ne manquent pas de susciter des interrogations surtout si on les rapporte aux efforts mis en œuvre pour se prémunir contre les risques de défaillance de l’emprunteur. On peut y voir le signe d’une difficulté à trouver des placements alternatifs comme de la forte demande de liquidités dans une société qui vit à crédit. On peut aussi l’interpréter comme la volonté de conserver un volant de capitaux qui constitue une ressource pour des investissements ultérieurs. C’est le moyen de ménager l’avenir en conservant des marges de manœuvre que n’autorisent pas les biens immeubles figés à jamais dans le fidéicommis. Surtout, on peut lire dans le remplacement d’un prêt par un autre le souci d’entretenir un réseau relationnel dont le crédit est le support.
16Le patricien Gerolamo Gradenigo q. Piero, comme d’autres Gradenigo Rio Marin, fait partie des requérants qui reviennent régulièrement solliciter la Cour du Procurator : 49 fois entre 1730 et 1760 pour réaliser 45 nouveaux investissements. Comme tant d’autres, il a utilisé des capitaux provenant des rentes publiques et acheté quelques biens fonciers, en particulier des maisons à Venise où la famille possède déjà un patrimoine considérable. À l’exception de ce chassé-croisé, qui n’est pas mécanique puisque ce ne sont pas nécessairement les rentes qui servent à acheter des biens, la structure des capitaux échangés a très peu évolué : les prêts fournissent l’essentiel des dépôts et constituent le principal débouché des réinvestissements. En valeur, ils renforcent même leur position. Gerolamo Gradenigo a régulièrement recours au Procurator car des prêts arrivent à échéance et doivent être réinvestis ; il ne cherche pas à reconvertir les capitaux, mais à les reconduire sous la forme de prêts hypothécaires afin de conserver les avantages que procurent des créances en abondance. La reconversion ne répond à aucune nécessité car il dispose en 1740 d’un revenu foncier de 5642 ducats tandis que son oncle Bortolo q. Gerolamo et ses cousins Carlo q. Zuanne q. Gerolamo, avec qui il partage plusieurs fidéicommis de famille, déclarent respectivement 3163 et 3700 ducats12. Les ressources financières à la disposition de Girolamo lui permettent de renouveler un large cercle de débiteurs : les 38 livelli octroyés ont bénéficié à 26 personnes différentes, dont 20 sont patriciennes. Parmi ses débiteurs se détache le comte Benetto Valmarana qui contracte cinq prêts entre 1749 et 1760 pour un montant de 27400 ducats. Antonio Diedo le sollicite à trois reprises et 5 autres emprunteurs deux fois quand tous les autres ne lui empruntent de l’argent qu’une seule fois. L’entrepreneur en bâtiment, Antonio Sardi, est bénéficiaire de deux prêts en 1754 et 1761 après lui avoir vendu des maisons en 1736. La présence de Sardi attire l’attention car il a emprunté de l’argent et vendu des biens à d’autres des fidéicommis étudiés.
17À l’évidence, les représentants des fidéicommis, dont nous avons suivi les investissements et que nous avions retenus de manière alléatoire, ont des emprunteurs en commun. La reconstitution a porté sur les prêts accordés par neuf représentants de fidéicommis sur une période allant de 1730 à 1760. Gerolamo Gradenigo q. Piero, Vicenzo Gradenigo q. Gerolamo, Bortolo Gradenigo q. Gerolamo, Bortolo et fr. Gradenigo q. Zuanne sont quatre patriciens apparentés appartenant à une des plus illustres case vecchie ; Agostino Maffetti et Flaminio Cassetti deux riches patriciens dont la famille a été admise au XVIIe siècle ; Giovanni Battista Ferracina, Giovanni Giacomo Hertz, et Giovanni Battista Caliari Fantinelli, trois cittadini fortunés.
18Nous n’avons fait figurer sur le schéma que les débiteurs qui sont communs à deux fidéicommis et le lien de crédit entre un fidéicommis et le titulaire d’un autre fidéicommis, empruntant en son nom propre. La mention de tous les emprunteurs aurait rendu le schéma illisible, mais il faut garder à l’esprit que la majorité des débiteurs n’est rattachée qu’à un seul fidéicommis. Ainsi sur 26 des débiteurs de Gerolamo Gradenigo, 11 sont partagés avec les autres fidéicommis de l’échantillon. La prise en compte d’un plus grand nombre de fidéicommis aurait eu pour effet d’accroître le nombre d’emprunteurs isolés, mais aussi l’intensité des connexions entre quelques emprunteurs et certains fidéicommis. Ce que donne à voir ce schéma réticulaire, ce sont non seulement les denses relations entre d’importants prêteurs et de gros emprunteurs, mais aussi l’ambivalence de certains usufruitiers qui agissent comme créanciers en qualité de titulaires de fidéicommis ou se présentent sous les traits d’emprunteurs en leur nom propre. Explicitons ces connexions à partir du réseau centré sur Gerolamo Gradenigo. Flaminio Cassetti et ce dernier se prêtent mutuellement de l’argent : le premier a reçu un prêt de l’oncle de Gerolamo, Bortolo, à partir de fonds provenant des mêmes fidéicommis et il a aussi acheté de nombreuses maisons dans la paroisse de San Stin à Luchese Zane, la femme d’Antonio Loredan Ruzini, endettée auprès de Gerolamo et Bortolo Gradenigo et d’Agostino Maffetti, qui est aussi le créancier de Flaminio Cassetti. Gerolamo Gradenigo et Agostino Maffetti ont en commun 6 débiteurs, parmi lesquels l’entrepreneur Antonio Sardi qui a vendu des maisons et emprunté de l’argent à Giovanni Giacomo Hertz, lui-même débiteur de Gerolamo Gradenigo.
19Comment expliquer la densité de ces connexions ? La parenté est une des premières variables explicatives qui vient à l’esprit compte tenu de l’étroit milieu d’appartenance. Son rôle n’est pas probant si on raisonne au niveau de la fratrie et de la famille agnatique ; il n’est pas à exclure entre cognats et entre personnes unies par un chaînon de parenté horizontale. Il semble néanmoins qu’on prête de l’argent hors des cercles familiaux immédiats pour consolider d’autres types de relations. Relations horizontales, à l’image de celles nouées avec Antonio Valmarana qui emprunte des sommes très importantes grâce aux garanties offertes par ses biens libres et qui est, par ailleurs, créancier au titre de son propre fidéicommis (non étudié). C’est aussi le moyen de nouer des relations verticales au sein du patriciat pour se forger une clientèle utile au moment des élections et en direction des groupes immédiatement inférieurs pour consolider sa position sociale. Sans nul doute, la parenté a joué un rôle dans le cas des Gradenigo dans le choix de certains emprunteurs qui sont communs aux différents représentants de la famille. C’est l’indice d’une gestion coordonnée des fidéicommis, qui ont pourtant été divisés, et d’une circulation de l’information entre les administrateurs. Mais l’explication la plus convaincante réside dans l’implication des notaires auprès de qui les contrats livellaires sont enregistrés13. On sait le rôle important qu’ils jouent dans la mise en relation des créanciers et des débiteurs. Or un petit nombre de notaires est employé par plusieurs représentants de fidéicommis : Iseppo, puis Marco Maria, Uccelli sont les notaires privilégiés de Gerolamo Gradenigo et travaillent également pour Giovanni Battista Fantinelli. Piero et Alvise Zuccoli sont utilisés par Agostino Maffetti et les Ferracina. Mais l’argument a aussi ses limites car Agostino Maffetti a surtout recours à Giacomo Bellan qui n’est pas employé par les autres. La médiation des agents et des notaires, le bouche-à-oreille, l’interconnaissance contribuent à ce que les prêteurs soient identifiés par ceux qui ont besoin de liquidités et les emprunteurs, disposant de garantis, connus des créanciers. Le débiteur qui a déjà reçu de l’argent d’un fidéicommis est passé sous les fourches caudines des administrateurs, des notaires et des Juges du Procurator qui ont procédé à la vérification de leur solvabilité. Ce travail doit, certes, être mis à jour à chaque nouvel emprunt, mais il a le mérite d’exister et de certifier la capacité de remboursement des débiteurs. Prêter à des clients habituels, à ceux des autres, à ceux qui bénéficient d’une bonne réputation et qui ont été l’objet de contrôles est le moyen de réduire les risques. La même logique est à l’œuvre dans les prêts consentis aux détenteurs de fidéicommis qui sont, par ailleurs, de très actifs créanciers. Les prêts sont gagés sur leurs biens propres, mais les capitaux conditionnés offrent indirectement des assurances car ils peuvent servir à racheter l’emprunt, une pratique illégale, mais largement tolérée.
20Les réseaux du crédit à Venise sont si peu connus qu’on ne peut que s’interroger sur l’originalité des pratiques mises au jour au sujet des capitaux appartenant aux fidéicommis. Si singularité il y a, elle tient aux modalités de contrôle et à la tutelle des Juges, mais rien ne dit qu’elle aille au-delà. Les usages du crédit sont largement indépendants du statut juridique des capitaux, mais ils varient en fonction de la position sociale des acteurs. Que le créancier occupe une position inférieure au débiteur et celui-ci sera en mesure de retourner la relation de crédit en sa faveur. Mais que le créancier soit en position dominante, l’asymétrie du rapport contractuel en sera renforcée. C’est précisément ce qui se passe avec ces fidéicommis-créanciers, disposant d’importants capitaux mis au service de la construction d’une position sociale dans le cas de nouveaux patriciens et de la consolidation des relations pour des familles de l’oligarchie. C’est le motif pour lequel il est si utile de réemployer les capitaux remboursés dans de nouveaux prêts en dépit des risques qu’ils peuvent comporter. Le remboursement des prêts, quand il advient parfois des décennies après la signature du contrat et après avoir changé de débiteurs, offre la possibilité de conforter ou de renouveler ses relations de crédit. Pour qui possède beaucoup de créances, le moment de réinvestir est l’occasion d’opérer des ajustements, en direction de nouveaux débiteurs, mais aussi d’autres secteurs. Outre le fait d’asseoir une position, les capitaux prêtés ont pour vertu de ménager l’avenir et d’être demain disponibles pour d’autres investissements si l’usufruitier en exprime le besoin.
La conversion des capitaux en biens immeubles
21Au Livre III des Libri della famiglia, Alberti exprime ce que l’argent a de paradoxal : il n’est utile que s’il circule, ce qui l’expose à la perte et à la dilapidation. Qui veut conserver la richesse doit donc préférer les « possessions », les « terres », les « biens stables »14. Cette hiérarchie, qui rèflète l’opinion commune, se retrouve, à l’identique, dans les volontés exprimées par maints testateurs, qui demandent à ce que soient réinvestis les fruits de la vente de leurs biens meubles ou qui prodiguent des conseils à leurs héritiers, en recommandant généralement que les capitaux soient « investis en biens immeubles hors et dans Venise, ou dans n’importe quelle sorte de rentes, publiques ou privées »15. Tous ces investissements leur paraissent interchangeables car ils apportent des garanties de préservation de la valeur. D’autres expriment des préférences en fonction de la composition du patrimoine, de la conjoncture, des opportunités de placement et des valeurs sociales et symboliques associées aux types de biens. Les terres et les maisons occupent une place de choix dans cette hiérarchie car elles ont l’avantage de produire une rente, de conserver la richesse et de matérialiser un pouvoir sur les lieux que sublime le palais urbain ou la résidence de campagne.
22Les biens de la Dominante occupent une position singulière, non seulement parce qu’ils forment une catégorie juridique autonome, mais parce que tout l’enjeu pour le praticiat, qui possède collectivement la majorité du bâti, est de conserver cette emprise qui est la trace de la part prise dans l’édification de la ville et le signe matériel de son pouvoir politique. Dans une ville qui a cessé de croître à la fin du XVIe siècle, la conservation des structures de la propriété est un objectif partagé au service de l’équilibre politique et de la stabilité des familles. Les fidéicommis sont précisément un instrument de cette ambition. Mais parce que des biens libres demeurent et sont mis en vente à la suite de revers de fortune, investir à Venise est néanmoins possible pour qui dispose de capitaux. C’est même un impératif social de la part de familles admises au Grand Conseil au XVIIe siècle, en particulier celles d’origine marchande enclines à imiter les vieilles familles jusque dans la structure de leur implantation urbaine.
23À l’opposé, l’achat de terres dans l’arrière-pays rencontre des horizons sans limites et n’a jamais vraiment cessé depuis la conquête de la Terre Ferme et l’élan des bonifications du XVIe siècle qui a rattaché l’agriculture à l’économie du profit. Le XVIIIe siècle n’est pas en reste : non seulement parce que demeure intact le prestige associé à la possession de la terre, mais aussi parce que les prix des grains, au milieu du siècle, offrent des perspectives de rendements élevés, alors que faiblissent les intérêts des rentes publiques. La vente de biens du clergé au début des années 1770, sous l’impulsion de la Deputazione ad pias causas, renforce ce mouvement d’autant que les biens peuvent être acquis avec des titres publics. Sont donc réunies des conditions favorables à l’investissement en direction des campagnes. Ce mouvement est illustré par la famille Querini Stampalia dont la fortune est essentiellement composée de rentes publiques pour un montant de 619000 ducats en 1763. Elle en réoriente une grande partie vers la terre à la faveur de la vente des biens ecclésiastiques dans les années 177016.
24L’attrait pour les investissements fonciers, jugés les plus sûrs, se lit sous la plume de nombreux testateurs. En 1691, Girolamo Gradenigo q. Daniel rappelle les choix radicaux qu’il prit en « ayant pour partie affranchi et pour partie cédé à d’autres des capitaux qui se trouvaient dans les dépôts publics ou dans des prêts et qui étaient soumis au fidéicommis du patriarche Marco, notre méritoire oncle ». En contrepartie, il exige que « soient soumis aux mêmes conditions tant de biens qu’il a acquis » en les soumettant à un fidéicommis au bénéfice de ses fils et de leur descendance masculine17. Il ne semble pas qu’il y ait à proprement parler subrogation des biens dans le fidéicommis vidé de ses capitaux, mais institution d’un nouveau en faveur des mêmes ayants droit. Toujours est-il que la composante mobilière a été délaissée au profit de la terre et de la pierre. En 1690, dans son testament, Alvise Tomà Mocenigo, outre d’instituer une primogéniture sur son neveu Francesco Soranzo faute de descendance, ordonne que « la vente de ses meubles, or, argenterie, bijoux et habits soit employée dans des fonds sûrs et appropriés, dans cette ville comme en Terre Ferme de l’État vénitien, et si la Zecca, les autres magistratures ou dépôts dans les quels ce testateur possède de l’argent le remboursaient, que cet argent soit immédiatement investi comme ci-dessus, et ainsi veut-il qu’il soit fait également avec les prêts s’ils étaient entièrement remboursés »18.
25On le voit, le fidéicommis ne fait pas obstacle à la réorientation du patrimoine que certains testateurs appellent de leurs voeux. À vrai dire, le facteur déterminant, c’est la disponibilité ou non de capitaux pour de nouveaux investissements. Un fidéicommis qui ne contient que des biens immeubles est voué à l’immobilité car la sortie des biens est exceptionnelle et quand elle a lieu les fruits de la vente sont souvent utilisés pour acquérir le même type de bien, le placement en rentes publiques étant une solution d’attente. En revanche, lorsque les capitaux sont nombreux et même occupent une place prépondérante dans le fidéicommis, le dispositif contrôlé par les Juges du Procurator permet d’en changer profondément la composition, si telle est l’intention de l’usufruitier. C’est ce que donne à voir les investissements réalisés par la famille Cassetti dans le second quart du XVIIIe siècle, sur lesquels je voudrais plus longuement m’attarder.
26Enrichie dans le commerce, originaire de Bergame et installée à Venise à la fin du XVIe siècle, la famille Cassetti achète 100000 ducats son entrée dans le patriciat vénitien en 1662. Iseppo (1637-1717), qui est l’artisan de cet anoblissement avec ses oncles Gerolamo (1589- 1662) et Gasparo (1584-1673), se conforme au modèle d’implantation urbaine des nouvelles familles d’origine marchande en imitant les vieilles familles par l’achat d’une résidence et d’un patrimoine de rapport19. Habitant, au pied du pont de San Stin dans la paroisse de San Polo, il acquiert tout le palais dont il ne possède que le premier étage, en 1661, grâce à deux transactions payées au prix fort en 1672 et en 167920. Le bâtiment discret, qui ressemble davantage au Castelforte de San Rocco qu’aux palais ostentatoires construits par de nouvelles familles, lui offre cependant une ca’ qui participe de son nouveau statut nobiliaire. Iseppo Cassetti poursuit la conversion de la fortune de la famille en investissant des capitaux issus du commerce dans la rente. Entre 1661 et 1712, il porte le revenu foncier (urbain et rural) de 479 à 870 ducats et le revenu des prêts de 986 à 1784 d.21. L’entrée dans le patriciat et le choix patrimonial de la rente coïncide avec l’instauration de fidéicommis. Le père d’Iseppo, Zuanne avait désigné en 1649 celui-ci comme unique héritier de son résidu, sans poser aucune condition. En revanche, en novembre 1662, quatre mois après son entrée dans le patriciat dont il n’aura pas goûté longtemps les privilèges, son oncle Gerolamo teste en instituant un fidéicommis perpétuel au bénéfice de son unique neveu et de sa descendance masculine22. À son tour, Iseppo instaure un fidéicommis au bénéfice des fils et de leur descendance masculine née d’un mariage légitime, cette clause visant à garantir la transmission des biens aux seuls patriciens. Le testament est publié à sa mort en septembre 1717, faisant confluer les deux fidéicommis Cassetti entre les mains de Zuanne (1662-1724) et de Flaminio (1669-1738)23. À la mort de Zuanne en 1724, Flaminio, est l’unique représentant des fidéicommis de son père et de son grand-oncle. Outre les décès précoces, ce resserrement du patrimoine s’explique par la limitation des mariages superflus aux deux premières générations. En revanche, Flaminio, qui a épousé en 1696 Francesca Persico q. Piero, a cinq fils dont quatre auront une descendance. Sur le plan de la carrière politique, il a assumé en Terre Ferme des charges conformes à ce que pouvaient espérer les membres de nouvelles familles, exclus des cercles du pouvoir : celle de podestat et capitaine de Crema et de Trévise. Selon Giacomo Nani, les Cassetti se rattachent à la classe III, celle des familles riches « che hanno il loro bisogno ». Cette place, que V. Hunecke juge – à tort – surévaluée24, se base sur les revenus fonciers et les prêts livellaires déclarés aux Dieci savi alle decime qui ne tiennent pas compte des capitaux possédés sous forme d’emprunts publics. Sur la base de la documentation réunie, ces dépôts en 1730 se répartissent ainsi25 :
27Forte de plus de 148000 ducats dans les dépôts publics, la richesse mobilière des Cassetti, emprisonnée dans deux fidéicommis, apparaît donc bien supérieure à ce que pourrait laisser envisager leurs biens immeubles. Mais la progression de ces derniers depuis le milieu du XVIIe siècle dessine la dynamique d’un patrimoine dont la fortune mobilière fait l’objet d’une profonde reconversion.
28De 1725 à 1729, la situation demeure inchangée sans doute parce que les capitaux à la Zecca ne sont pas disponibles. En revanche, à partir de 1730, Flaminio, agé de 60 ans et secondé par son fils Zuanne II, dit Pietro, modifie radicalement la destination des capitaux au profit d’investissements fonciers et immobiliers en sollicitant à 24 reprises leur libération de la Cour du Procurator.
29Le 30 mars 1730, il achète plusieurs maisons à Santa Maria Formosa26 avec des fonds provenant d’un livello au crédit de son père Iseppo (5500 d.) et de son oncle Gerolamo (2375 d.). Le 14 avril de la même année, il se porte acquéreur aux Gambarare de 240 campi et d’une auberge et d’une abattoir (osteria, beccaria) auprès de NH Giovanni Basadonna q. Girolamo, procurateur de Saint-Marc, qui vient d’entrer en possession des biens à la faveur du paiement de la dot de sa femme, Cecilia da Lezze, dont il est l’héritier. La transaction s’élève à 12741 : 20 d. Les conditions de paiement trahissent l’endettement des vendeurs. Cassetti doit verser 2066 : 16 d. aux Governatori delle entrate pour acquitter les impôts impayés et 2066 : 16 d. comptant. Sur les 8608 : 12 d. restant, 3306 : 16 d. vont être employés pour rembourser un prêt contracté par les Basadonna en 1712 (au crédit de Pietro Pisani). Le contrat prévoit que le solde (5301 : 20 d.) sera versé quand Cassetti aura à sa disposition les 21000 ducats déposés dans le Deposito Macina. Flaminio Cassetti, qui a avancé une partie des fonds, est autorisé à disposer librement de deux dépôts de 3027 d. VC27 et 2249 d. VC. Mobiliser ses fonds propres, quand ils sont suffisants, est le moyen le plus rapide pour s’acquitter d’une transaction d’autant plus que l’accord des Juges du Procurator est toujours donné après la signature du contrat. Flaminio Cassetti joue donc avec une double trésorerie, la sienne – la première débitée – et celle du fidéicommis qui vient dans un second temps l’abonder. C’est ainsi qu’il demande en septembre 1730 à être remboursé de l’achat d’une boutique à San Silvestro (323 : 8 d. VC), qui en échange fait son entrée dans le fidéicommis, et des frais occasionnés (impôts, notaires) par les acquisitions auprès des Molin et des Basadonna (447 : 4 d. VC et 1147 : 20 d. VC). À nouveau en juillet 1732, il demande à disposer du solde d’un dépôt antérieur (mars 1732) en remboursement des frais engagés dans la restauration d’une maison soumise au fidéicommis28. Elle avait été déclarée en ruine par l’expert-architecte des Provveditori di Comun et avait été entièrement restaurée par Cassetti pour un montant de 290 : 12 d. ; comme les travaux ont été réalisés au bénéfice du fidéicommis, il est autorisé à se rembourser partiellement en recevant 159 ducats. Encore en août 1733, Flaminio achète avec ses propres fonds un campo dans la villa di Fossò, mais après avoir déclaré que le bien est la propriété des fidéicommis, il demande à disposer de 196 d. dont 164 servent pour couvrir l’achat et les frais. Il s’engage à consacrer les 32 d. restant « pour le compte du prochain achat que le NH requérant doit faire auprès de Zuan Maria Sennavin, barbier, à Camponogara, près de Piove di Sacco »29.
30À l’opposé, il a recours à des montages financiers, qui reçoivent l’assentiment des Juges, pour libérer des capitaux à son profit. En février m. v. 1730, il entend utiliser le solde de deux dépôts pour acheter une maison à Padoue en pleine propriété. En contre-partie des 2700 d. qu’il compte employer, il propose de faire entrer dans les fidéicommis une somme équivalente constituée par les intérêts des capitaux conditionnés qui s’élèvent au total à 14094 : 12 d., intérêts qui lui appartiennent en propre30. Ces intérêts sont dus, car ils correspondent à des ratte passées, mais n’ont pas encore été payés. Il ne peut donc pas encore librement en disposer à la différence des 2700 ducats.
31Mais l’acrobatie financière ne s’arrête pas là puisqu’il demande, dans la foulée, à l’officio del Provveditore ai prò in Zecca la libération des intérêts, désormais liés au fidéicommis, pour former le capital d’un livello de 2000 d. au débit de Girolamo Scroffa31. Ce type de montage a la vertu de faire circuler le capital en le faisant sortir du fidéicommis, sans que ce dernier soit altéré, car il est compensé par le versement d’intérêts accumulés et provisoirement indisponibles.
32Compte tenu de la découverte de la faiblesse des garanties sur la beccaria des Gambarare, Cassetti négocie l’échange des biens initialement achetés contre 27 unités locatives dans la paroisse de San Silvestro qui sont aussi de la libre propriété de Giovanni Basadonna. L’accord et les modalités de paiements sont validés par la Cour du Procurator.
33C’est en septembre 1732 que Cassetti opère une reconversion radicale du fidéicommis sans doute à la faveur de l’affranchissement de dépôts de la Zecca. Il demande à ce que soient extraits 59000 ducats de deux dépôts : l’un de 46079 : 20 VC ducats dans le Deposito 3 % appartenant au fidéicommis Girolamo Cassetti, l’autre de 32553 : 15 VC soumis au fidéicommis Iseppo Cassetti. Avec ces fonds, il achète, le 25 septembre, 28 unités locatives (dont 7 boutiques et un four) que Luchese Zane possède dans la paroisse de San Stin, voisine de leur lieu de leur résidence et dans laquelle il possède déjà des biens mitoyens. Luchese Zane est entrée en possession des biens, pour moitié partagés avec sa sœur, épouse de Nicolò Venier, à l’issue d’une querelle de succession survenue à la mort du dernier représentant de la lignée des Zane San Stin en 1715. Luchese Zane est contrainte de vendre en bloc compte tenu des dettes accumulées par son mari Antonio Loredan Ruzini et de son beau-frère Zuan Francesco dont elle est solidaire. Les Juges du Procurator décrètent que Cassetti pourra « délier et rendre libre la somme et la quantité de 59000 ducats, et l’aliéner et la transférer à une autre personne dans le seul et unique but que le NH Sieur Flaminio Cassetti ou l’acheteur de cette somme la dépose entièrement dans cette très Excellente magistrature afin qu’elle soit uniquement utilisée à cette acquisition en exécution du présent arrêté et de celui ultérieur des Provveditori in Zecca »32. Si l’achat excède les capitaux libérés, Cassetti s’engage à payer la différence avec son « pécule », « entièrement pour le compte et la raison des susdits fidéicommis ». Si au contraire il était inférieur, le solde devrait être réinvestis dans les dépôts publics « au crédit et à caution des mêmes fidéicommis ». Comme le revenu du nouvel investissement est inférieur à la rente produite par les 59000 ducats libérés à la Zecca, Cassetti accepte la mise en place d’un mécanisme compensatoire : l’entrée dans le fidéicommis des intérêts des dépôts qui sont de sa libre propriété. À ces conditions, les Juges estiment que pourra être réalisé « un achat sûr, avantageux et nécessaire pour cause de mitoyenneté ».
34La vente porte sur une valeur de 18200 d. pour un rendement de 910 d. ; or les 59000 d. de titres publics libérés produisaient une rente de 1180 ducats : « resterait donc découverte au préjudice des susdits fidéicommis la somme de 270 ducats par an ». Flaminio Cassetti notifie l’ordre au Provveditore ai prò in Zecca de verser chaque année au bénéfice des fidéicommis l’équivalent en intérêts accumulés (ratte corse). Un doute subsiste sur la destination de l’argent non-investi dans l’achat des maisons. Les 18200 d. nécessaires à l’achat sont formés de 17700 d. provenant du dépôt de 59000 d. VC et 500 d. du remboursement d’un prêt. Où sont passés les 44840 d. VC non utilisés, mais libérés ? Sont-ils réinvestis comme le demandait l’arrêté cité plus haut, sans qu’on en retrouve la trace ? Sont-ils à la libre disposition de Cassetti dès lors que le rendement du fidéicommis a été préservé ? La question est, pour l’heure, sans réponse.
35En mars 1733, Cassetti poursuit le remodelage des fidéicommis en se portant acquéreur des deux tiers d’un domaine composé de 1000 campi, appelé Vallon et Lagon, sous Santa Margarita di Calzinara, dans le district de Piove di Sacco33. En location de longue date à Fortunato Antonio Sambo, ce domaine procure une rente annuelle de 810 d. Il a été acheté à NH Zuanne Magno au prix de 22957 : 10 d., qui sont employés pour rembourser les dettes transmises par l’abbé Marco Magno. Cassetti propose de se défaire de titres publics se trouvant dans les deux fidéicommis. Après avoir rappelé que les fonds ne peuvent être employés qu’à cet achat et que si le nouvel investissement rend moins que le précédent, alors le requérant sera obligé de verser au fidéicommis un rente annuelle couvrant la différence, les Juges du Procurator procèdent au recensement des capitaux déposés à la Zecca au nom de Flaminio pour faire la part de ceux qui ont été déjà utilisés et de ceux qui sont encore disponibles en prenant soin de les rattacher à un fidéicommis particulier même si leur gestion est désormais confondue.
36La somme a été réunie en prélevant 19198 ducats dans les dépôts 1 et 2 et en réinvestissant 4134 : 6 d. à peine remboursés par NH Benetto Valmarana (parmi lesquels 1298 : 6 sont possédés en propre par Flaminio qui accepte leur entrée dans le fidéicommis). Comme pour l’achat des maisons de San Stin, le revenu que procure la nouvelle acquisition est inférieur à celui des capitaux employés : 850 d. au lieu de 1124 d. Pour combler la différence de 274 d., il est tenu par les Juges de réunir un capital de 5480 d. de sa propre faculté à 5 % d’intérêt34. Que fait-il ? Et bien, il a anticipé cette nécessité en demandant en septembre 1732 au Provveditore ai prò in Zecca que la somme de 2420 : 9 d. VC qui correspond aux intérêts de mars 1732 à mars 1633 soient investis dans le fidéicommis (ou ils devaient rester « giacenti, fermi et indisponibili »), mais également des intérêts à venir (juillet 1733 – novembre 1736) pour un montant de 2455 : 18 d. VC.
37Après cette grosse opération, Flaminio Cassetti se contente de racheter en 1738 des créances qui pesaient sur l’héritage de Zuanne Magno et qu’il devait solder en guise de paiement des biens acquis et d’instituer un livello en 1738, peu avant sa mort qui survient en avril 1739. Avec Francesca Angelica Persico, il eut six enfants : deux filles, Elisabetta, mariée en 1725, et Marietta, et quatre fils, Iseppo, Piero, Gerolamo, Anzolo et Fabio. L’aîné, Iseppo, est mort en 1728 laissant un fils vivant, Flaminio et une fille Angelica. En août 1739, Angelica Persico reçoit au titre de la restitution de sa dot 6200 ducats qui sont divisés, après sa mort ab intestat en mai 1740, en six lots égaux de 1033 : 8 d., l’un étant partagé à parts égales entre les enfants de son fils défunt.
38Sous la conduite de Piero, le régime de la fraterna maintient dans l’indivision une partie du patrimoine : les résidences de la famille à Venise et dans la Villa di Camponogara, l’ensemble des propriétés foncières dont les valli de Santa Margherita di Calcinara, une créance de 9200 d. auprès de l’Arte de’ laneri et une autre de 8000 d. auprès de la Camera del Purgo ainsi que les dépôts à la Zecca d’un montant de 30178 d. VC. Le revenu déclaré lors de la redecima de 1740 s’élève à 1898 d. (auquel il faut ajouter la rente des emprunts d’État)35. Les biens urbains de rapport sont l’objet d’une division actée le 31 mai 1739 : tous les complexes immobiliers sont fractionnés, comme il est d’usage. Celui de San Stin est partagé entre Pietro (4), Gerolamo (8), Anzolo (8) et Fabio (4) et leur neveu Flaminio q. Iseppo (5). Les lots des biens immobiliers sont à peu près d’égale valeur, à l’exception de celui revenant à Flaminio dont la rente s’élève à 1898 : 15 d. et qui contient presque la totalité des biens achetés en 1713 par son grand-père à S. Giovanni e Paolo36. Par ailleurs, un prêt de 6200 ducats auprès de la Camera del Purgo est partagé en 6 au bénéfice de Marietta, de ses frères et de son neveu37. Les critères qui ont présidé à la répartition des biens entre le partage et l’indivision n’ont rien à voir avec l’existence de fidéicommis. Le fait que la quasi-totalité du patrimoine y soit assujettie interfère assez peu puisque la fratrie aurait bien pu décider de les maintenir dans l’indivision ou de pratiquer des lots qui conservent des blocs homogènes. Elle a fait, au contraire, le choix de morceler les regroupements de maisons comme si le régime de propriétaire était un paramètre négligeable. Mais par-delà la division, le fractionnement des ensembles unitaires est non seulement le moyen de diversifier le patrimoine de chacun, mais aussi de maintenir la cohésion du groupe familial qui a à gérer des biens mitoyens et assujettis au même régime successoral. Par ailleurs, la fraterna, sous la conduite de Pietro, joue un rôle de premier plan dans la gestion du fidéicommis car elle a conservé la possession des capitaux.
39Pietro sollicite le Procurator, sans toutefois réaliser des opérations aussi importantes que celles de son père ni poursuivre la réorientation vers la rente foncière en privilégiant des prêts aux particuliers. Il doit aussi gérer la contestation de ses droits sur les biens acquis à San Stin avec l’appui des Juges pour préserver les intérêts du fidéicommis. L’argent qu’il est contraint de rembourser est partiellement compensé par le versement d’arrérages de rentes publiques dont il possède en propre. Il utilise cette ressource pour réalimenter le fidéicommis. Entre 1743 et 1762, à six reprises, les intérêts accumulés, parfois associés au résidu de dépôts précédents, sont réinvestis dans des prêts aux particuliers qui entrent dans les fidéicommis : 7464 d. VC ont été investis de la sorte. Rappelons qu’en 1730 les intérêts accumulés s’élevaient à plus de 14000 d. ; 30 ans, plus tard, ils sont presque entièrement réinvestis en faveur du fidéicommis alors qu’ils auraient pu les employer autrement. Ces capitaux disponibles leur ont permis de faire face à des situations imprévues et à régler des situations compliquées sans n’avoir rien à débourser : certes, cet argent est le leur, mais ils n’en ont jamais disposé.
40Ces prò decorse s’avèrent à l’usage un instrument d’une grande souplesse pour solder des dettes. En octobre 1743, Piero Cassetti doit rembourser un prêt de 1000 d. qui avait été accordé en 1735 par Zuan Battista Fantinelli à son père qui avait transféré l’argent à Francesco Foscari pour éteindre une dette de Marco Magno dont il venait d’acheter les Valle et Acque. Il aurait pu se passer de l’accord des Juges du Procurator s’il n’avait utilisé que les ratte di prò qu’il possède en pleine propriété, mais il se propose d’y ajouter le remboursement d’un prêt assujetti au fidéicommis. Il justifie le paiement d’une dette de son père par le fait qu’elle avait servi à libérer des biens de servitudes financières.
41En moins d’une décennie, Flaminio Cassetti a profondément transformé la physionomie des deux fidéicommis, qu’il a gérés comme une unique entité, en parachevant une évolution amorcée au XVIIe siècle : la conversion de la fortune familiale en maisons et en terres, au prix d’un désengagement des dépôts publics. Entre 1730 et 1738, ce sont les trois quarts des emprunts publics qui ont été réemployés au profit d’investissements immobiliers et fonciers38. Ce mouvement est commun à beaucoup de familles qui ont saisi l’opportunité de l’amortissement des dépôts à la Zecca ou l’échéance de prêts accordés à des institutions pour opérer une reconversion vers la terre, qui présente au milieu du XVIIIe siècle des perspectives de profit supérieur. À la génération suivante, les fidéicommis ne subissent pas de transformations significatives car les dépôts ne sont plus en quantité suffisante ou doivent être conservés. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont négligés, tout au contraire. Au nom de la fraterna, Piero Cassetti s’emploie à réduire les menaces qui pèsent sur les acquisitions de son père et à alimenter le fidéicommis avec les arrérages des rentes publiques qui sont capitalisés sous forme de prêts aux particuliers. Il s’agit d’une gestion assurément moins spectaculaire, mais orientée vers le renforcement du fidéicommis et la reconstitution d’un volant de capitaux puisque les prêts ont vocation à être remboursés.
42La trajectoire du patrimoine Cassetti illustre, jusqu’à l’excès, la parabole de la conversion du commerce vers la rente qui a accompagné tant de familles marchandes sur le chemin de l’aristocratisation. Elle a été une condition de l’entrée dans le patriciat et s’est prolongée bien après ; elle a débuté alors que le patrimoine était en libre propriété et n’a pas été entravée par la fondation de fidéicommis. Le choix de la rente a sans doute été scellé quand les liquidités ont conflué dans les rentes publiques et les prêts aux particuliers. C’est la présence de ces capitaux qui a permis une ultime conversion achevant une évolution séculaire avant que l’omniprésence des biens immeubles ne fige le fidéicommis.
43Ces investissements qui reposent sur une équivalence entre les capitaux investis et les biens acquis ont cependant un coût pour le fidéicommis. Comme l’écrivent les Juges en 1766 dans un arrêté de levée de dépôt en faveur de Francesco Maria Celsi : il est « juste d’être remboursé avec l’argent du fidéicommis du q. NH sieur Giacomo Celsi pour le compte duquel celui-ci fit les acquisitions »39. La taxe sur les mutations partagées pour moitié avec le vendeur (messenaria) et les frais de notaire sont pris en charge par le fidéicommis contribuant à ce que l’achat ne soit pas un investissement à somme nulle. Parce que ces dépenses sont inévitables, il est convenu qu’elles soient assumées par celui auquel la transaction bénéficie.
Financer restauration, construction et bonification
44Sous la plume des Provveditori di Comun et du Sénat, les fidéicommis sont accusés depuis le XVIe siècle d’être la cause de la dégradation matérielle d’immeubles, leurs représentants n’ayant ni les moyens de financer les travaux, ni la possibilité de vendre. Ce cas de figure advient quand ces derniers sont sans liquidités et quand le fidéicommis n’est constitué que de biens immeubles. En revanche, quand il comporte des capitaux, il constitue une réserve mobilisable pour entreprendre des travaux à l’avantage de l’usufruitier qui n’a pas à utiliser ses fonds propres et du fidéicommis dont l’assise matérielle est consolidée.
45L’opération est validée par les Juges du Procurator car elle repose sur le postulat d’une équivalence entre le montant de la dépense et la revalorisation du capital du bien restauré. Une telle équivalence n’est possible que parce que la valeur du bien est une valeur d’estimation et non une valeur de marché. La dépense est mécaniquement incorporée au capital, de sorte que le mécanisme n’est d’aucun coût pour le fidéicommis dont la valeur reste inchangée. Dans un achat, le bien vient se substituer au capital ; ici, la valeur des améliorations matérielles compense la dépense.
46Les modalités de contrôles de la part des Juges sont différentes de celles mises en oeuvre pour vérifier les garanties offertes dans les prêts et les acquisitions. Le système probatoire ne repose pas sur des titres et des actes, mais sur l’expertise du proto de la magistrature qui est diligenté sur les lieux, avant et après les travaux, et qui est tenu de rendre compte de sa visite dans un rapport sous serment40. Le déplacement in situ et le recours à un homme de l’art s’avèrent indispensables pour procéder à l’évaluation du montant des capitaux à libérer. La démarche est à l’opposé de celle utilisée pour les prêts et les achats dont le montant est connu, mais pour lesquels il est nécessaire de vérifier la sûreté des garanties. Il s’agit ici de déterminer, au préalable, le prix des travaux pour y adapter le montant des capitaux libérés. Cet objectif suppose que les chiffres avancés par le requérant, parfois sur la base de devis d’artisans, soient vérifiés sur le terrain par une autorité, neutre, indépendante et légitime qui s’incarne dans la figure de l’expert assermenté. Les étapes de la procédure peuvent être reconstituées à partir de la déclaration adressée en avril 1754 par Agostino Maffetti aux Juges du Procurator, dans laquelle il dit son intention de restaurer une auberge située dans la paroisse de S. Giminiano dont la moitié appartient au fidéicommis paternel. La restauration apparaît comme un préalable indispensable à location. Instruit de la procédure, Maffetti demande à la Cour qu’elle « ordonne à l’expert de cet office de se rendre sur les lieux pour examiner l’état dans lequel se trouve la dite auberge et la dépense nécessaire pour la réparer, et qu’une fois la reconstruction reconnue indispensable par le dit expert il soit permis, par l’autorité de cette même magistrature, au susdit NH Maffetti de pouvoir se prévaloir de l’argent qui viendrait à être déposé dans cet office de la raison du fidéicommis du susdit NH Piero Maffetti, son père »41. Le jour même, la Cour ordonne une expertise « pour que la justice puisse se déterminer ensuite en fonction de ce qu’elle croira opportun pour l’intérêt du fidéicommis »42. L’expert, Gasparo Montan, se porte sur les lieux et remet le 2 mai un rapport dans lequel il détaille les travaux à réaliser qu’il chiffre à 2300 ducats. Sans doute à l’instigation du propriétaire, il ajoute qu’on « pourrait saisir l’opportunité de la reconstruction pour surélever les chambres, à l’avantage de l’édifice et pour l’utilité des propriétaires », évaluant la dépense supplémentaire à 1400 ducats qu’il rapporte à une augmentation escomptée des loyers de 60 ducats. Le rapport d’expertise combine donc description de l’état du bien, estimation des travaux et évaluation du gain pour le fidéicommis, offrant ainsi aux Juges des arguments pour se prononcer sur l’opportunité de la levée de dépôt. Les travaux de restauration et de surévaluation sont approuvés pour un montant, à charge de Maffetti, de 1500 ducats, qui sont prélevés sur le dépôt que vient d’effectuer le comte Giovanni Maria Savorgnan. Maffetti se tourne, de nouveau, vers la Cour au mois de juillet à cause du dépassement du coût des travaux. Le 16 du mois, l’expert constate que les travaux sont presque achevés, mais ont déjà coûté, sur la foi des reçus des artisans, 1900 ducats à Maffetti car la surélévation a été plus onéreuse que prévu. Le 19 juillet, les Juges autorisent le déblocage de 512 : 6 ducats supplémentaires prélevés sur le même dépôt43. Leur vigilance s’exerce donc en amont par l’évaluation de la pertinence et du coût des travaux et en aval lors du contrôle de la bonne exécution des travaux afin de réajuster, si besoin, le montant des capitaux libérés. À ce stade, la vérification oculaire de la part de l’expert se double de l’examen des factures et des reçus remis par les artisans qui vont rejoindre le matériel probatoire dans les carte allegate des archives de la Cour. Leur versement advient, d’ordinaire, avant le début des travaux, d’où le soin apporté au contrôle a posteriori pour vérifier qu’ils ont été correctement employés. Il arrive, parfois, que le requérant ait avancé les fonds et sollicite le Procurator une fois les travaux réalisés, privant les Juges de la comparaison de l’état des lieux.
47La mobilisation des capitaux s’avère un instrument remarquablement efficace non seulement pour entretenir mais valoriser le patrimoine immobilier. Les choix de Nicolò Tron q. Andrea (1685- 1771) en convainquent. Représentant d’une des plus riches familles patriciennes, ancien ambassadeur à Londres, fondateur en 1718 de la manufacture de laine de Schio et co-propriétaire en 1749 de celle de Follina, Nicolò incarne la figure du patricien-entrepreneur soucieux d’introduire en Vénétie de nouvelles techniques industrielles et agronomiques44. Il met le même esprit d’initiative dans la gestion du fidéicommis de son père dont il hérite en 1723 avec son frère, Zuanne45. En 1729, il investit 19820 ducats dans la construction de bâtiments d’habitation et d’un four sur un terrain « vide et inculte », situé dans la villa del Dolo, près de Padoue, à partir de ses fonds propres alors que le bien était propriété du fidéicommis paternel46. Arguant du fait que « les nouvelles fabriques sont d’un profit considérable, une partie étant déjà louée et l’autre à venir »47, il obtient des Juges du Procurator l’autorisation de rembourser son avance en récupérant deux créances, l’une de 8963 ducats appartenant au fidéicommis paternel, l’autre de 10857 ducats venant de la primogéniture instituée à son bénéfice en 1698 par sa grand-mère, Loredana Mocenigo. La sortie de capitaux est compensée, pour les deux fidéicommis, par une entrée dans la propriété des nouvelles constructions, à proportion de la contribution de chacun : « qu’à la place de l’argent sujet de ce fidéicommis paternel, succède et subroge l’équivalente propriété »48.
48Le même procédé est mis en œuvre en 1732 pour reconstruire complètement des édifices « en ruine, et pour partie effondrés » que la famille Tron possède à Venise dans la paroisse de S. Nicolò et une maison dans la paroisse des Santi Apostoli49. La contribution personnelle de Nicolò Tron est calculée par capitalisation des loyers que procureraient les nouvelles maisons de rapport (414 ducats x 4 % =10350 ducats). L’expert de la Cour, Domenico Rossi, après avoir visité les deux paroisses, corrobore dans son rapport du 26 septembre 1732 l’état « inhabitable et en ruine » des édifices et valide le mode de calcul de la reconstruction qui ne repose pas sur le coût des travaux mais sur le rendement à venir, suivant le procédé habituel de capitalisation de la rente. Mais dans le cas présent, le loyer n’est pas réel, mais une estimation par comparaison avec les loyers pra tiqués pour des biens équivalents50. Les travaux de restauration sont rondement menés puisque le même expert conclut, à l’issue d’une visite fin décembre, à leur achèvement. Les dépôts de quatre anciens livelli d’un montant équivalent sont sortis du fidéicommis paternel « afin qu’il puisse en disposer selon son plaisir comme de son propre bien, en juste et équivalente compensation et satisfaction du coût des édifices »51. Pour le fidéicommis, l’opération, strictement interne, s’apparente à une permutation : les capitaux réinvestis dans des travaux accroissent la valeur de l’édifice d’un montant équivalent. En se déplaçant des biens meubles vers des biens immeubles, la valeur globale reste théoriquement la même, mais la structure du patrimoine en est changée, fût-ce aux marges.
49Ces deux opérations, conçues par l’un des vénitiens les plus entreprenants de son temps, démontrent toutes les potentialités d’un dispositif qui peut faire l’objet d’une double interprétation. Il permet de faire payer le fidéicommis à la place de l’usufruitier, mais le système ne fonctionne que si les capitaux disponibles sont en nombre suffisant. Prendre en charge les travaux sur fonds propres, serait le moyen « vertueux » de le réalimenter, à l’image de Gerolamo Venier qui dédie dans son testament 40000 ducats à la construction ex nuovo de la ca’ de San Vio52. Déposer des capitaux dans un fidéicommis peut aussi être lu comme le moyen d’assurer une certaine autonomie au fidéicommis qui prend en charge lui-même l’entretien de ses biens, sur l’ordre de son représentant, mais sans être dépendant de ses ressources propres. Une telle pratique s’avère conforme à l’esprit des fidéicommis qui, dans l’idéal, doivent se suffire à eux-mêmes.
50Un dernier exemple donne à voir l’étroite association des capitaux conditionnés et des capitaux libres dans les montages financiers qu’échaffaudent des héritiers. Représentant de la primogéniture instituée par Alvise Tomà Mocenigo en 1693, Giovanni Tomà Mocenigo Soranzo met à profit, entre 1733 et 1757, sa position de podestat de Chioggia et l’affranchissement du Deposito Macina pour réinvestir les fonds dans des terrains d’alluvions à l’embouchure du Pò, à Sant’Andrea della Marina, près de Loreo. À sept reprises, il achète aux Savi alle acque des lots qui s’étendent sur 4713 campi, dont le prix unitaire varie selon la qualité des terres. Au total, il débourse 25122 : 12 d., provenant presque exclusivement du remboursement de rentes publiques53. En 1740, il met également à profit l’important affranchissement du Deposito Macina de 11451 d. pour acheter des terres près de Vicence où il exerce la charge de capitaine54. Sans négliger d’autres types d’investissements55, il a saisi la double opportunité de l’affranchissement d’emprunt fuori Zecca et des ventes organisées par le Magistrato alle acque pour acheter des terres alluviales qui offrent des perspectives de profit à condition d’être bonifiées : « ces simples palluds envahis par les eaux salées (auraient été) incapables de produire quoi que ce soit sans l’art et sans les grandioses travaux qui étaient nécessaires pour les mettre en culture »56. Giovanni Tomà Mocenigo Soranzo s’y emploie en finançant sur ses fonds propres d’importants travaux d’irrigation (canaux, retenues, digues, ponts) et la construction d’une véritable colonie agricole avec son église, les maisons du chapelain, de l’intendant et des paysans, deux auberges et une boulangerie, des bâtiments destinés à abriter plus d’une centaine d’animaux… S’il a pris à sa charge la dépense, c’est qu’il était nécessaire d’engager vite la bonification pour espérer en tirer quelque profit et que les capitaux du fidéicommis immobilisés sous forme de rentes publiques n’étaient pas disponibles. Tout change en 1767 quand est mise en place une caisse d’amortissement des anciens dépôts financée par le lancement d’un nouvel emprunt. En mai, il obtient le dépôt de 27092 : 20 VC qui étaient jusqu’ici détenus dans le Deposito alli 3 e mezo % et se tourne vers les Juges du Procurator pour que le montage financier qu’il envisage reçoive leur approbation. Il souhaite garder l’argent en échange de quoi il propose que les améliorations qu’il a apportées aux terres de Sant’Andrea subrogent dans le fidéicommis. Or cette manoeuvre, que les Juges estiment conforme à la loi, repose sur une dissociation de la propriété – le fonds appartenant au fidéicommis et les améliorations à celui qui les a financées – qui nécessite de calculer la valeur avant et après la bonification. À la demande du Procurator, les Savi alle acque diligentent donc sur les lieux au mois d’avril un expert public, Stefano Fain, qui estime la valeur totale des terres à 89566 ducats en appliquant un coefficient multiplicateur (19 d./campo). Mais cette valeur globale ne permet pas de déduire le coût des améliorations qu’il évalue, après les avoir minutieusement décrites, à 32000 d. pour les bonifications et à 19089 d. pour les nouvelles constructions, soit un total de 51089 d. qui établit le montant du capital que le requérant possède en propre sur le bien. L’expert procède, enfin, à la comparaison fictive de la rente des biens avant et après bonification par capitalisation : l’une est de 1000 d. (25122 : 12 d. de capital) et l’autre de 4200 d. (89566 d.). Il en déduit que la rente propre de Mocenigo Soranzo s’élève à 3200 d. Cette série d’estimations s’avère indispensable pour valider une demande de subrogation qui équivaut à un achat pour lequel il nécessaire d’établir le montant du capital et de la rente. Le rapport d’expertise apporte aux Juges l’assurance que les capitaux sortant du fidéicommis ne sont pas supérieurs aux améliorations censées les remplacer qui ont été évaluées sous la forme d’un capital et d’une rente pour permettre d’établir une équivalence monétaire. Comme les capitaux libérés s’élèvent à 34958 : 12 d., Mocenigo Soranzo dispose encore d’un capital de 15000 d. en libre propriété sur les améliorations qu’il a réalisées. La subrogation étant acceptée, il ordonne le virement de l’argent à ses créanciers pour éteindre des dettes.
51Si les capitaux contenus dans les fidéicommis constituent une ressource pour financer la construction d’édifices et la bonification de terres, corrigeant l’idée selon laquelle les fidéicommis conduiraient à leur stérilité, il faut toutefois admettre, à la lumière de ces études de cas, que les capitaux libres sont tout aussi importants. Ce sont eux qui permettent d’anticiper les dépenses et d’attendre que des capitaux conditionnés soient disponibles sans avoir à renoncer aux travaux. Plus que les uns et les autres pris isolément, c’est leur utilisation conjointe qui constitue une ressource d’une grande élasticité. De même, les capitaux fidéicommissaires peuvent être employés dans la construction ou l’amélioration des terres car les experts publics sont en mesure, sur la base d’estimation, d’établir des équivalences monétaires entre des valeurs de nature différente. S’il alourdit la procédure, le recours à l’expertise participe de la fluidité du dispositif.
Réservoir de liquidités et inventivité de gestion
52Aucun des représentants de fidéicommis, qui sollicitent à plusieurs reprises l’approbation des Juges du Procurator, ne manque d’utiliser toutes les ressources de la procédure de levée de dépôt pour libérer des capitaux. Si on peut parfois les suspecter de manœuvrer pour les conserver sans réelle contrepartie pour le fidéicommis, la plupart d’entre eux cherche seulement à utiliser les facilités de gestion qu’offre le dispositif. En dépit de la rigidité de la procédure, il s’avère d’une grande souplesse car il permet au représentant du fidéicommis, d’un côté, d’optimiser la disponibilité de liquidités et, de l’autre, d’épargner ses fonds propres. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont gérés de façon séparée. Tout au contraire, le suivi des demandes de levée de dépôt montre combien ils participent d’une gestion dynamique du patrimoine qui joue de toutes les ressources du franchissement des frontières du fidéicommis.
53J’en veux pour preuve l’inventivité déployée par Agostino Maffetti q. Piero (1696-1758), unique représentant d’une riche famille de marchands bergamasques agrégée au patriciat vénitien en 165457. Le testament qu’il confie au notaire Florio Bellan le 13 mars 1758, et qui est rendu public deux jours plus tard, est d’une extrême brièveté : sa femme, Dolarice Bollani, reçoit en remboursement de sa dot de 5000 d. une rente à 6 % et des bijoux qui sont « de sa propre raison indépendamment de fidéicommis ». Il ne fait aucun legs et ne donne aucun ordre particulier, si ce n’est celui de « toujours garder son facteur général, Francesco Palla, dont (il) eut l’expérience de l’habilité et de la fidélité »58. Sans doute était-il à la manœuvre derrière les investissements des Maffetti. Il n’institue pas de fidéicommis pour la bonne raison que l’essentiel du patrimoine est déjà assujetti à celui de son grand-père Lodovico (1669), de son oncle, Agostino q. Carlo (1707) et de son père Piero (1719)59. Son fils, Piero, dont il n’est pas fait mention dans le testament, en est l’unique héritier. Le premier membre de la famille à avoir instauré un fidéicommis, Lodovico, était l’aîné des six frères admis dans le patriciat en 1654. La conjonction de décès prématurés et d’entrées au monastère a resserré le patrimoine dans les mains de Pietro q. Lodovico en 1707. La présence d’un seul héritier aux trois générations suivantes a permis de maintenir l’intégrité et l’unité de gestion du patrimoine. En l’état des recherches, il est difficile d’évaluer précisément le montant et la composition de la fortune de la famille que Giacomo Nani place dans la classe II, celle des familles riches. La déclaration de decima de 1740 ne comporte pas le montant global des revenus fonciers, mais les biens de rapport à Venise, au nombre de 90, rapportent environ 1760 d. par an et Agostino déclare pour son usage propre le palais du campo San Polo et une résidence à la Giudecca ainsi que deux villas en Terme Ferme (villa di Rovigo et villa di Caltana)60.
54Entre 1728 – date de conservation de la documentation – et 1758 – date de son décès à l’âge de 62 ans – lui ou ses agents se tournent 54 fois vers les Juges du Procurator pour réinvestir des capitaux des fidéicommis de famille. Le montant des dépôts s’élève à 166218 d., parmi lesquels 23294 d. concernent des fonds qui ont été réinvestis deux fois durant la période. Quant aux nouveaux investissements, ils s’élèvent à 163256 d., la différence s’expliquant par le fait que des résidus de dépôts n’ont pas encore été complètement réemployés. Ce phénomène, qui porte d’ordinaire sur des sommes bien plus modestes, est courant car il n’est pas toujours possible de faire correspondre un dépôt et un investissement. Sur les 54 arrêtés prononcés par la Cour, 16 concernent des investissements comportant le résidu de dépôts antérieurs qui étaient restés inutilisés.
55La comparaison de l’origine des dépôts et de la destination des investissements montre une prédominance des prêts aux particuliers. Les 4/5 des dépôts viennent de remboursement de livelli et la même proportion des capitaux est réinvestie sous cette forme. Le chiffre est quelque peu gonflé par le fait que des capitaux passent d’un prêt à l’autre durant la période et sont comptabilisés deux fois. Si on tient compte du capital et non des flux, les livelli représentent encore les ¾ des entrées et des sorties.
56Mais le fait marquant ne tient pas aux types d’investissements, mais à leurs destinataires. Agostino Maffetti est bénéficiaire, directement ou indirectement de 35972 d., soit le cinquième des capitaux dont la Cour du Procurator autorise la sortie des fidéicommis. Bien sûr, le mouvement n’est pas à sens unique, et chaque libération de capitaux est accompagnée d’une compensation de valeur équivalente. Il n’en demeure pas moins que, avec le concours des Juges, Maffetti et ses agents utilisent toutes les ressources que procure le réservoir de capitaux à leur disposition.
57Il est, d’abord, utilisé pour racheter les dettes contractées à titre personnel par Agostino Maffetti. Lui et son frère Lodovico – qui meurt en 1733 – sont tenus par les dispositions testamentaires de leur père, Piero, de doter leur sœur Zanetina, promise en 1730 à Costantin Carminati61. La dot que le père avait fixée à 30000 ducats se compose de 2000 d. de meubles, 10000 d. comptants et 9200 d. de 3 livelli dont l’un est soumis à fidéicommis, le reste devant être payé par un versement annuel de 1000 ducats. La moitié des 10000 d. comptants provient d’une créance attachée au fidéicommis paternel qui est remboursée en août 1731 et dont Agostino Maffetti obtient la libération. En contrepartie, il engage 31 ratte d’intérêts qu’il possède en pleine propriété à la Zecca sur deux dépôts conditionnés de 6256 : 19 et 27029 : 21 ducats.
58En février m. v. 1731, les frères Maffetti empruntent, par ailleurs, 4500 d. au fidéicommis Gallo qu’ils remboursent, de la même manière, en utilisant des arrérages sur des rentes et des capitaux du fidéicommis. En mars 1732, ils donnent l’ordre au Provveditor ai prò in Zecca de réserver au bénéfice du fidéicommis Gallo les intérêts courant depuis novembre 1721 sur un capital 10019 : 12 d. VC dans les Depositi 2 et 3 %. Trois virements (3629 : 6 d.) servent à constituer des livelli à caution du fidéicommis Gallo. Quant au solde, il est acquitté grâce à l’emploi de capitaux issus du fidéicommis Maffetti, qui sont investis dans un livello en faveur du fidéicommis Gallo ou qui servent à subroger dans la dette initialement contractée qui est ainsi annulée62.
59Agostino Maffetti utilise au moins à deux autres reprises les arrérages en sa possession, en compensation. En janvier m. v. 1737, il obtient la sortie de 7115 ducats déposés par le Deposito Nuovo Macina qui sont virés à NH Bernardo Manin en remboursement d’un prêt contracté en 1735. En contre partie, il demande à ce que 8112 d. d’arrérages soient capitalisés au bénéfice des fidéicommis. L’année suivante, son agent utilise le même procédé pour libérer 1198 ducats (VC) en échange de 7 ratte de 171 : 7 ducats sur des capitaux conditionnés déposés fuori Zecca auprès de l’Office du Sel63.
60La subrogation du fidéicommis à la place de ses créanciers est le moyen de se libérer de ses dettes. En août 1751, il demande à ce que le fidéicommis rachète le prêt de 4000 d. consenti en 1750 par Anzolo Maria et Paulo Labia. Le prêt était garanti sur une casa domenicale dans la villa dell’Orobiato et des terres dans la villa di Pienico (territoire de Bergame), avec la caution de 5 ratte maturate (148 d. VC par ratta). Les conditions de remboursement prévoyaient que ces arrérages et ceux à venir soient déposés en dépôt au Procurator jusqu’à l’extinction de la dette envers le fidéicommis Labia, exigible au terme de cinq ans. Maffetti sollicite le rachat du prêt « afin que le fidéicommis du NH sier Pietro Maffetti, son père, subroge dans les raisons, anciennetés, privilèges et hypothèques des dites ratte »64. Dans leur arrêté, les Juges reconnaissent « qu’ainsi le NH sier Agostino Maffetti, débiteur livellaire envers le fidéicommis paternel avec l’engagement de ne pas faire un autre investissement sur les sus-dits dépôts de capitaux, s’oblige à effectuer le remboursement des dits 4000 ducats au terme de 5 années, comme il s’y était engagé auprès des NNHH Labia »65. Or, c’est précisément ce type de montage qui est interdit par la loi de 1664 et qui continue à être ouvertement pratiqué avec l’aval de la Cour. Subrogation dans un livello au débit et institution d’un livello sur soi-même sont strictement identiques puisqu’ils reviennent à ce que le fidéicommis soit le créancier de son représentant. En juillet 1750, les Juges autorisent l’octroi d’un prêt de 3398 d. « au débit de la propre spécialité de ce NH sieur Agostino », par l’hypothèque de biens situés dans la villa di Pienico dans le territoire de Bergame, auxquels s’ajoute la caution de 12 ratte d’intérêts66. Cette pratique, qui est le moyen de disposer de liquidités sans jamais avoir à les rembourser, est suffisamment répandue – on l’a dit – pour obliger le Sénat à légiférer de nouveau en 1759.
61D’autres procédés, qui ne sont pas illégaux cette fois, sont utilisés par Agostino Maffetti pour libérer des fonds à son profit. En 1743, le fidéicommis est crédité de 1783 d. de la part des Governatori delle entrate à la suite de deux jugements d’annulation de ventes « par lesquels l’héritage fidéicommissaire du dit NH sieur Lodovico Maffetti est spolié des biens par lui achetés et, en conséquence, demeure créditeur de la caisse publique »67. Agostino Maffetti demande à disposer librement des liquidités en échange de quoi il fait entrer dans le fidéicommis 13 carats d’une maison à Sant’Antonin et la moitié d’une maison à San Giobbe qu’il possède en libre propriété68. Il s’agit d’une permutation entre biens libres et capitaux conditionnés, tout ce qu’il y a de plus légal, mais qui permet une immédiate disposition des fonds.
62Quelques années auparavant, en 1735, à la suite d’une sentence de la Cour du Mobile et des enchères du Sopragastaldo, il était entré en possession des biens d’Angela Bigolini, veuve d’Antonio Milani, qui était débitrice d’un livello contracté auprès de Pietro Maffetti en 1713 d’un montant de 6200 d., auxquels s’ajoutaient 3117 : 8 d. d’intérêts non payés. Il propose au Procurator que les fidéicommis lui achètent les biens équivalents au montant des intérêts afin de garder pour lui des capitaux mis en dépôt. En août 1743, 2191 : 19 ducats sortent ainsi des trois fidéicommis et, en juin 1744, 900 ducats69.
63Agostino Maffetti a une vision très pragmatique de la gestion des capitaux conditionnés qui est validée par les Juges. Tantôt il n’hésite pas à avoir recours à des montages en théorie interdits (prêt à soi-même, subrogation), tantôt il emploie les arrérages en sa libre possession pour compenser la sortie des capitaux, soit pour se libérer de dettes antérieures, soit pour disposer de liquidités. Le rapport instrumental qu’il entretient avec le fidéicommis se lit aussi dans des opérations réalisées au bénéfice de celui-ci.
64Par exemple, l’utilisation des arrérages n’est pas à sens unique puisque Maffetti complète à trois reprises des capitaux des fidéicommis pour former de nouveaux prêts. Ainsi en octobre 1734, fait-il déposer par le Provveditore ai prò in Zecca 1213 d. au Procurator : 717 : 18 d. sont employés en complément de 1200 d. remboursés par Francesco Savorgnan dans un nouveau livello au débit de Giovanni Andrea Muttoni. En décembre, le résidu du dépôt d’arrérages et un autre remboursement des Savorgnan constituent un capital de 1248 : 12 d. sur lequel 1000 d. sont prélevés pour former un nouveau prêt.
65Les demandes de levée de dépôts en sa faveur sont aussi motivées par le remboursement de dépenses qu’il a engagées sur ses fonds propres pour l’acquisition de biens ou des travaux de restauration. En août 1745 et en août 1746, Agostino Maffetti acquiert auprès du Sopragastaldo trois biens dans la paroisse de S. Giminiano appartenant à Nicolò Olmo qui était débiteur d’un prêt de 1500 d., contracté en 1720 envers le fidéicommis Piero Maffetti70. Le prix s’élève à 3378 : 19 d. pour couvrir le capital, les intérêts dus, les frais de justice et de restauration. La boutique avec son habitation, une autre maison et un magasin apportent un loyer de 204 : 12 d. par an. Maffetti procède alors à la répartition entre le fidéicommis de son père et ses biens propres : il assigne au fidéicommis 90 d. de loyer, sans préciser sur quel bien ils sont assis, et qui correspondent au capital de 1500 d. en appliquant un taux de 6 % ; et il conserve à sa libre disposition 114 : 12 d. de loyer en échanges des dépenses et des travaux qu’il a engagés. Il décide néanmoins de les « assigner et [d’] y renoncer librement pour lui et ses héritiers au fidéicommis du NH sier Pietro Maffetti, son père », en appliquant un taux de capitalisation qui porte la valeur à 2862 : 12 ducats. Mais la cession appelle un remboursement « qui est liquidé pour un montant de 2862 : 12 ducats à partir des dépôts qui seront faits dans le présent Office au nom de ce même fidéicommis »71. En octobre 1746, il demande à disposer d’un dépôt de 900 d. et en décembre reçoit 2022 d. qui soldent les comptes72. En 1754, il entreprend la restauration et l’agrandissement d’une osteria, dans la même paroisse, appartenant au fidéicommis en demandant l’emploi de 1662 ducats73. Et en 1757, un an avant sa mort, ce sont 1250 d. qui servent à reconstruire une maison à Sant’Angelo74. L’investissement rencontre l’assentiment des Juges car il est entendu que la valeur des biens croît à proportion de l’investissement.
66En 30 ans, la structure des capitaux en circulation est restée à peu près inchangée : les prêts aux particuliers sont majoritaires parmi les dépôts et les investissements ; des rentes publiques ont été liquidées, et pour partie reconstituées par l’entrée d’arrérages convertis en titres publics ; des biens fonciers sont entrés dans le fidéicommis et des maisons ont été restaurées. A y regarder de plus près, on découvre qu’Agostino Maffetti a fait des fidéicommis des « machines à cash » utilisant toutes les ressources des montages financiers pour disposer de liquidités, qu’il s’agisse du prêt à soi-même ou du transfert d’arrérages dus, ou pour alléger ses dettes en les faisant racheter par le fidéicommis. Avec l’accord des Juges, les capitaux ont franchi la barrière de l’indisponibilité pour satisfaire ses besoins. Mais ce système ne peut se passer de biens libres pour correctement fonctionner car les flux doivent être théoriquement compensés. Faire du fidéicommis son créancier nécessite de proposer des biens en hypothèque, qui sont spécifiés dans le contrat et vérifiés par les Juges, même si in fine le prêt n’est pas toujours remboursé. De la même manière, le rachat de la dette n’est concevable que parce que le prêt reposait initialement sur des garanties possédées en libre propriété. L’utilisation des arrérages pour recapitaliser le fidéicommis fonctionne sur le même principe, à la différence près que ces capitaux qui appartiennent de plein droit à l’usufruitier sont retenus par la Zecca qui change leur titulaire par un jeu d’écriture. Le système exige des biens libres, mais aussi des liquidités propres qui permettent des avances et des paiements anticipés qui sont ensuite remboursés. Ce que donnent à voir les opérations de Maffetti, c’est une gestion fluide qui joue des ressources de tous les régimes de propriété, qui jongle avec les biens libres et les capitaux conditionnés. Si le fidéicommis fonctionne comme un réservoir de liquidités, c’est parce que le système de compensation repose sur une équivalence théorique entre les capitaux sortants et l’investissement. Dans leur pratique, les Juges du Procurator semblent plus attachés au formalisme de l’équivalence qu’aux implications effectives de l’investissement, jusqu’à ce que certaines manoeuvres apparaissent comme trop dommageables à l’intégrité des fidéicommis pour ne pas susciter de réactions.
Division du fidéicommis et gestion différenciée
67Comme la propriété d’un bien peut être partagée entre des fidéicommis différents ou être en partie libre et en partie conditionnée, le même fidéicommis peut être en possession de plusieurs titulaires dont le nombre évolue selon les caprices des générations. Sur le plan de la gestion, ces deux types de configuration requièrent d’identifier les biens et de tenir une stricte comptabilité, ce à quoi s’emploient les administrateurs des familles. On peut se demander s’ils ne nécessitent pas une forme de coopération pour contenir des situations potentiellement litigieuses. Cela ne fait guère de doute pour financer l’entretien des biens immeubles, mais la dégradation d’édifices partagés par de nombreux propriétaires montre que l’accord est difficile à trouver à cause du manque de solvabilité. La perception du fruit des immeubles n’est pas compliquée par la multiplicité d’ayants droit car le locataire est censé payer directement la quote-part revenant à chacun. La gestion des capitaux assujettis à fidéicommis semble plus encore libérée de toutes contraintes. À la manière des loyers, les intérêts d’un prêt sont divisés entre les bénéficiaires et versés par le débiteur. Au moment du remboursement des capitaux, la mise en dépôt auprès de la Cour du Procurator décharge sur un tiers la responsabilité du partage, les ayants droit devant fournir copie de leurs titres et faire savoir à quel investissement ils destinent leur part. Des capitaux appartenant au même fidéicommis et provenant du même dépôt peuvent donc suivre des voies séparées car ils ne sont que pure valeur tandis que les portions d’un bien immeuble ne peuvent échapper à leur unité matérielle. Les capitaux suivent leur destin de capitaux, serait-on tenté de dire, revêtant la forme que leur confère chaque nouvel investissement. Cette autonomie de gestion s’avère parfaitement adaptée aux situations où les ayants droit sont des parents éloignés. Mais qu’en est-il quand les titulaires sont des frères, des oncles et des neveux, des cousins qui doivent réinvestir au même moment les capitaux mis en dépôt ? Est-ce que la division entraîne une autonomie des choix ou est-ce que demeurent des formes de collaboration effective au-delà de la séparation juridique ?
68Faute de réponse univoque, il est préférable de développer quelques études de cas qui démontrent la complexité des situations. La première porte sur les fidéicommis institués par Zuandonà (1674) et Agostino Correggio (1678) qui sont parvenus, après le suicide en 1738 du représentant de la lignée masculine, Zuandonà Agostino, et après une mémorable controverse judiciaire, aux descendants des deux filles de Zuandonà, Cristina qui a épousé Alessandro Gritti et Giulia qui a été mariée à Faustin Giustinian75. Chacune des branches se voit reconnaître par le tribunal de la Quarantia civil vecchia la moitié des fidéicommis dont la division est effectuée en décembre 1741. La moitié revenant aux Giustinian est gérée en indivis par Lorenzo et ses frères (la fratrie comportant 17 enfants), tandis que la moitié échouant aux Gritti est sudivisée en trois parts – in singulis corporibus – entre Ottavian et Agostino et leurs neveux, Alessandro et Zuanne q. Francesco. Ces derniers disposent donc du sixième des deux fidéicommis qui sont désormais confondus puisqu’ils obéissent aux mêmes conditions de substitution. Lors de la constitution des lots, les capitaux ont été divisés en quote-parts, de sorte que tous les ayants droit sont amenés à réinvestir l’argent au même moment et aux mêmes conditions. Le traitement administratif de leur demande repose sur la même base documentaire et l’acte de levée de dépôt cite, dans les mêmes termes, les testaments fondateurs, les décisions judiciaires et les divisions qui s’en sont suivies afin de calculer la part des capitaux versés revenant à chaque requérant. Chacun agit ensuite pour son compte utilisant les capitaux selon une logique propre.
69À la suite de l’amortissement du Deposito nuovo Olio, la Fraterna dei poveri vergognosi, en qualité de commissaire de l’héritage de Zandonà Agustin, a fait virer, en mai 1742, sur le compte des Juges du Procurator, au bénéfice des fidéicommis, 1400 d. VC qui doivent être répartis entre les différents ayants droit. Le 21 juillet 1742, Lorenzo Giustinian q. Faustin, au nom de la fratrie, est le premier à présenter à la Cour pour disposer de la moitié des capitaux. Il explique avoir fait l’acquisition, quelques jours plus tôt, de portions de biens à Venise et en Terre Ferme auprès de la Fraterna dei poveri vergognosi qui les tenaient en libre propriété de l’héritage de Zandonà76. La portion du casin a pour particularité de se trouver dans la villa de Paluella aux côtés de la casa dominicale assujettie aux fidéicommis. Afin de faire coïncider continuité spatiale et structure de la propriété, il propose donc que les capitaux libérés servent à payer les biens qui entreront dans le fidéicommis.
70Au mois de septembre, c’est au tour d’Ottavian et Agostino Gritti de se présenter pour que leur part (1/6, soit 233 : 8 d. VC) soit investie dans le Deposito 3 % de la dette publique, ce qui est effectif au début du mois de décembre77. C’est alors que leurs neveux Alessandro et Zuanne Gritti q. Alessandro se manifestent pour demander à disposer librement de leur part (1/6), en échange de quoi ils proposent le transfert d’arrérages sur des capitaux placés au Deposito 3%78. L’utilisation des dépôts ultérieurs qui a pu être reconstituée démontre la même autonomie de gestion, chacun des ayants droit usant des capitaux en fonction de besoins propres. Ainsi Ottavian et Agostino Gritti emploient-ils en 1746 leur part pour racheter un livello dont ils sont débiteurs à titre personnel puis en 1754 pour payer les dettes contractées à l’occasion de l’achat de terres. Mais l’autonomie de gestion ne signifie pas le cloisonnement d’autant que des parents proches peuvent avoir opéré la division d’un fidéicommis et continuer à pratiquer l’indivision pour un autre. C’est précisément le cas des Gritti, qui se sont accordés avec les Giustinian et ensuite entre oncles et neveux pour diviser les fidéicommis Correggio, mais qui continuent à administrer dans le cadre de la fraterna le fidéicommis d’Alessandro Gritti q. Ottavian.
71La seconde étude de cas met en évidence une coopération en apparence plus forte entre les ayants droit. La famille cittadina Ferracina en donne l’exemple entre 1730 et 1760. En 1682, Antonio Ferracina q. Zuanne, marchand installé à Cannaregio, instaura un strict fidéicommis perpétuel sur tous ses biens au bénéfice de ses quatre fils, Giovanni Battista, Antonio, Bortolamio et Giovanni Antonio, puis de leur descendance masculine79. Après la mort d’Antonio, le fidéicommis est possédé par ses trois frères et son fils Giovanni Antonio, qui deviendra guardian grande de la Scuola della Misericordia. Lors de la redecima de 1740, seuls Bartolamio et Giovanni Battista présentent une déclaration de leur revenu foncier. Ils habitent tous deux dans la paroisse de S. Felice et possèdent en indivision une boutique à S. Giminiano, mais ils déclarent séparément leur patrimoine. À l’exception des terres du fidéicommis situées à Camposanpiero appartenant à Bortolomio, il est difficile de distinguer dans les deux déclarations quels sont les biens libres et les biens liés80. Les deux patrimoines produisent un revenu à peu près équivalent aux alentours de 300 ducats annuels. La composante mobilière du fidéicommis Ferracina, qui n’apparaît pas dans la déclaration fiscale, est bien plus importante.
72Indivision et partage, tant pour les capitaux que pour les biens immeubles, cohabitent sans qu’on puisse établir leur proportion faute d’avoir retrouvé l’acte de division. Les membres de la famille jouent aussi de cette imprécision en intervenant tour à tour auprès des Juges du Procurator sans qu’il soit spécifié s’ils agissent en leur nom propre ou en celui de l’indivision.
73En 1730 et 1763, les frères et leur neveu demandent aux Juges du Procurator de valider des réinvestissements de capitaux pour un montant de 64756 ducats. Sur cette somme, 28281 ducats correspondent à des capitaux qui sont réinvestis ultérieurement, à deux reprises. Les arrêtés ne donnent de précision ni sur le moment du partage, ni sur la répartition entre les trois bénéficiaires, Giovanni Battista étant, une fois, qualifié d’« erede usufrutuario per la sua portion del medesimo »81. Tous les bénéficiaires du fidéicommis n’agissent qu’une seule fois de concert auprès de la Cour pour instituer successivement deux livelli avec les mêmes capitaux en 1740 et 1743. Le plus actif est Giovanni Battista qui utilise un important dépôt fuori Zecca (au Deposito Olio) pour octroyer à Michele Grimani q. Zuan Carlo et ses frères, un prêt de 13600 ducats, qui sert à éteindre d’autres dettes82. Michele Grimani du rameau de Santa Maria Formosa est une personnalité de premier plan, propriétaire des théâtres de San Samuel et de San Giovanni Grisostomo ; fort endetté, il rembourse cependant sa dette, en 1748-49 en utilisant des capitaux en provenance de fidéicommis dont il est l’héritier, en particulier du fidéicommis Vettor Grimani Calergi83. Giovanni Battista Ferracina réinvestit immédiatement les 12880 ducats qui viennent de lui être remboursés sous la forme d’un nouveau prêt de 12600 au débit des frères Antonetti84. Le surplus de 1000 ducats « doit rester dans le présent office jusqu’à leur investissement dans les rentes publiques, des arts et des scuole de cette ville »85. Quant à Bortolamio Ferracina, il n’apparaît qu’en 1742 pour demander l’emploi de 3000 ducats dans un livello au débit de Giovanni Corner. Après sa mort, c’est son frère, Giovanni Battista, qui, en 1748, se charge de les réinvestir.
74Leur neveu, Giovanni Antonio, manipule des sommes de moindre envergure86, mais avec une plus grande dextérité. En juillet 1748, il demande au magistrat des Scansadori le paiement de la dot de sa mère, Cecilia Callone, qui est morte ab intestat87. Il en est l’unique héritier car sa sœur, Maria Maddalena, a été mariée, en 1721, à Nicola Scardua avec une dot de 3000 ducats (2255 ducats ont été effectivement versés comptants). La dot de Cecilia Callone a été constituée en 1698 : d’une valeur de 3000 ducats, elle comportait 1700 ducats comptants, 1000 ducats de meubles et une petite maison d’une valeur de 300 ducats. Giovanni Ferracina obtient la restitution de la dot à la suite de deux arrêts du magistrat des Scansadori : le 22 mars 1750, il reçoit 502 ducats en mobili et 2000 ducats, auxquels il doit soustraire les vêtements de veuve de sa mère, les frais de médecine, les dépenses funéraires, le loyer de la maison, les aliments, soit 325 ducats. Le 16 décembre 1654, il est autorisé à percevoir un complément de 400 ducats. L’argent qui sert à rembourser la dot vient pour partie des avoirs libres de la famille Ferracina (502 ducats) et de capitaux assujettis aux fidéicommis d’Antonio Ferracina : un livello de 2000 ducats qui avait été contracté, en 1718, par Annibale Papafava et un autre livello de 400 ducats conclu avec les frères Pietro et Valerio Sagredo en 1740. Les capitaux ont été déposés à la Zecca sur le compte des Juges du Procurator, qui ont émis un arrêté de levée de dépôt respectivement le 11 mars 1750 et le 17 janvier 1754. Giovanni Antonio se trouve placé aux deux extrémités du transfert : il était le bénéficiaire du fidéicommis avec son oncle, il est l’unique héritier de la dot de sa mère remboursée en partie grâce à celui-ci. L’opération n’est pas un jeu à somme nulle pour autant car les capitaux ont entre temps changé de statuts. Liés par le fidéicommis avec comme seule possibilité d’être réinvestis, ils sont libérés par la restitution de dot et possédés en pleine propriété par Giovanni Antonio Ferracina qui peut en disposer comme il l’entend. La restitution de la dot, faute de biens libres suffisants, conduit à libérer des capitaux assujettis et à les mettre en circulation.
75En trente ans, la physionomie des capitaux soumis au fidéicommis Ferracina a profondément changé : les emprunts publics ont été cédés au profit de prêts à des particuliers, des patriciens de premier plan, mais aussi des personnes appartenant à d’autres groupes sociaux. En sens inverse, un seul livello a été réinvesti auprès de l’Arte dei luganegheri. Une partie des capitaux a également servi à rembourser une dot, et a ainsi été libérée. Sauf exception, les différents bénéficiaires ont agi séparément auprès de la Cour qui n’a jamais cherché, dans leur cas, à éclaircir ce qui appartient aux uns ou aux autres. Mais ils demeurent soudés par des intérêts communs : la gestion de prêts passés qui arrivent à échéance et la perspective d’hériter des parts de celui qui est sans descendance.
Tableau 27 – Réinvestissements des capitaux assujettis à fidéicommis de membres de la famille Ferracina.
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76La mission assignée aux Juges du Procurator résout, au moins formellement, les contradictions propres aux capitaux retenus dans un fidéicommis : leur valeur doit être sauvegardée et leur utilité doit être préservée ; or celle-ci exige que les capitaux circulent et soient employés. Le contrôle qu’ils exercent visent donc à ce que ces capitaux demeurent un réservoir de liquidités dont l’attrait se lit dans la multiplicité des usages dont ils peuvent faire l’objet : des prêts, qui servent à asseoir une position sociale et qui permettent de retrouver des liquidités au moment du remboursement pour d’ultérieurs investissements, laissant ainsi ouvert le champ des possibles pour l’avenir ; des travaux de restauration et de construction sans avoir à employer des capitaux libres ou qui, sans ce mode de financement, dépériraient ; des achats fonciers et immobiliers qui conduisent à une reconfiguration du fidéicommis dont le périmètre demeure inchangé en valeur, mais dont la composition peut s’en trouver profondément modifiée ; des montages financiers en tout genre qui permettent de racheter ses dettes en faisant payer le fidéicommis, d’éviter de débourser les fonds ou, au contraire, de rembourser une anticipation. Les capitaux constituent une ressource d’une grande plasticité car leur circulation permet de franchir la frontière qui sépare le fidéicommis des biens libres, brouillant la distinction entre le disponible et l’indisponible.
77Les potentialités qu’offre la présence de capitaux dans un fidéicommis permet a contrario de mesurer le drame que cause leur absence. Les fidéicommis formés de biens immeubles ont besoin d’être réalimentés pour ne pas dépérir88. Or le secours d’apports extérieurs rencontre des difficultés d’ordre structurel : l’absence de plan d’amortissement, l’insuffisance des biens libres ou leur utilisation à d’autres fins. Placer des capitaux dans un fidéicommis, c’est lui donner les moyens de se réalimenter et de s’adapter, si besoin est. Au-delà de l’habitus culturel, ce n’est sans doute pas un hasard si les membres de familles déjà pourvues de fidéicommis riches de biens immeubles continuent à en instituer de nouveaux en prenant soin d’y placer des capitaux. Ils assurent au fidéicommis une forme d’auto-financement qui est une des meilleures garanties de sa pérennité. Tant qu’elle n’est pas elle-même épuisée par une conversion trop rapide, cette ressource donne au titulaire de réelles marges de manœuvre pour répondre à la conjoncture, privilégier un type d’investissement ou détourner les liquidités à son avantage. La vision des fidéicommis en sort transformée : au lieu de dire qu’ils immobilisent le patrimoine, il serait plus juste d’écrire qu’ils figent la valeur. La première proposition est juste quand ils comportent des biens immeubles qui sont voués à ne jamais en sortir ; elle est fausse quand on veut l’appliquer aux capitaux dont la fonction est de circuler sans être dilapidés. Ils confèrent aux fidéicommis une adaptabilité et une élasticité qui introduisent d’évidentes disparités entre ceux qui en disposent et ceux qui en sont privés, et entre ceux qui manquent de capitaux et de biens libres et ceux qui en sont si richement pourvus qu’ils peuvent en utiliser toutes les ressources à leur avantage.
Notes de bas de page
1 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 66, n° 17, 9 avril 1767 : « Ma non potendo a ciò supplire col proprio dannaro, né essendo giusto che tal dispendio abbia a cadere a peso d’esso NH per diffetto di suoi autori, né essendo conveniente che fabriche di tanto valore, e tanto necessarie debbano lasciarsi in abbandono in pregiudizio della primogenitura sudetta e di che deve averne il godimento ».
2 R. Derosas, I Querini Stampalia : vicende patrimoniali dal Cinque all’Ottocento, dans G. Busetto et M. Gambier (dir.), I Querini Stampalia : un ritratto di famiglia nel Settecento veneziano, Venise, 1987, p. 55-60. Contrairement à ce qu’affirme Derosas, les rentes utilisées pour acheter les terres ecclésiastiques ne sont pas toutes libres.
3 Ces capitaux appartiennent aux fidéicommis Zuan Francesco Querini 1614, Polo Querini 1663, Polo Querini 1727 et Chiara Tron, ép. Zuanne Querini. Andrea utilise le quart des dépôts qui sont partagés avec ses frères. Les sommes libérées comportent les capitaux proprement dits auxquels sont ajoutés les arrérages dus : ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 75, n° 19 et 63.
4 Ibid., filza 75, n° 19 : « Primo. Che saranno ricevuti in pagamento del respettivo acquisto solamente quelli capitali liberi, ovvero fideicomissi capaci, che possederanno liberamente e senza dipendenza da veruna ipoteca ovvero cessione tutte et intiere ratte delli prò corsi, e che correranno derivanti delli stessi capitali liberi, ovvero fideicommissi ».
5 Ibid. : « Quarto. Che li capitali esistenti nelli depositi tutti dell’offitio del Proveditor alli prò fuori Zecca e nelli due depositi dell’offitio del Proveditor alli prò in Zecca, l’uno denominato al trè, l’altro regolazione del Ghetto, saranno ricevuto in pagamento al valor di effettivi ducati 57 per ogni 100 numerari di capitale in quaderno ».
6 Ibid. : « Nono Se li capitali da esser dati in pagamento di essi beni sarano di ragione fideicommissa, l’acquirente che rappresenta il fideicommisso o che si trova in possesso delli capitali doverà entro al termine al più di un mese far seguire, con le forme delle terminazioni dipendenti dalli magistrati alli quali esse terminazioni competono, la surrogazione delle azioni del fideicommisso, che esistevano sopra li capitali delli pubblici depositi ».
7 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 37, n° 60, 17 septembre 1753.
8 ASVe, SD, Condizioni di decima, 1740, b. 325, n° 86 et 95, 106.
9 Ibid., b. 318, n° 563 et b. 323, n° 98.
10 Un mot de méthode. Pour comparer l’origine et la destination des capitaux, deux voies se présentaient à nous : effectuer des coupes annuelles des arrêtés de levée de dépôts ou exploiter les arrêtés rassemblés pour un nombre limité de requérants. C’est cette seconde direction qui a été choisie car elle permettait à la fois une vision d’ensemble et la reconstitution longitudinale des investissements de certains propriétaires. La première méthode avait l’avantage de pouvoir mettre en lumière des évolutions d’une coupe à l’autre, mais était trop lourde à mettre en œuvre compte tenu du temps nécessaire à la collecte des informations dans chaque arrêté. Notre attention s’est donc portée sur un échantillon de requérants, choisis de manière empirique à partir du Repertorio. Nous avons retenu, d’abord, les lettres F, G et T qui comportent peu de noms et choisi de manière aléatoire des requérants qui revenaient de manière régulière, en y associant leurs parents les plus proches (Gradenigo). Puis, nous avons ajouté à ce premier groupe des personnes dont nous avions identifié la forte occurrence et sur lesquelles nous possédions d’autres informations pour les avoir déjà croisées dans des recherches antérieures (Flaminio Cassetti, Francesco Maria Celsi, Agostino Maffetti). Enfin, au fil de la recherche, nous avons ajouté ponctuellement quelques arrêtés d’autres représentants de fidéicommis qui avaient des connexions avec les précédents (sans enregistrer l’ensemble des arrêtés prononcés en leur faveur). Au total, les 328 arrêtés regardent 57 personnes différentes, mais la moitié concerne quatre patriciens (Agostino Maffetti, 55 ; Gerolamo Gradenigo q. Piero, 49 ; Flaminio Cassetti, 37 ; Bortolo Gradenigo q. Gerolamo, 18). Si l’échantillon est dominé par des patriciens, de riches patriciens même (244 arrêtés sur 328), un tiers est formé de fortunés popolani ou cittadini (Giovanni Giacomo Hertz, 17 ; Giovanni Battista Caliari Fantinelli, 14 ; Giovanni Battista Ferracina, 15).
11 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 14, n° 7, 52, 152 ; 18, n° 46 ; 26, n° 42 ; 27, n° 33 ; 30, n° 37 ; 31, n° 17 ; 36, n° 46, 47, 86, 87 ; 50, n° 116 ; 55, n° 80. En 1740, il déclare aux Dieci savi alle decime 899 : 8 d. de revenu foncier, dont 336 d. de revenu immobilier, une résidence dans la paroisse de S. Maurizio et une villa dans la Villa di Casal, près de Trévise, cf. ASVe, SD, Condizioni di decima 1740, b. 314, n° 268.
12 ASVe, SD, Condizioni di decima 1740, b. 325, n° 95, Gerolamo Gradenigo q. Piero ; n° 86 et 144, Bortolo Gradenigo q. Gerolamo ; n° 106, Carlo et fr. Gradenigo q. Zuanne q. Gerolamo.
13 Sur le rôle d’intermédiaire des notaires dans le crédit « formel traditionnel », voir G. Postel-Vinay, La terre et l’argent… cit., p. 29-127.
14 Leon Battista Alberti, I libri della famiglia, édités par R. Romano, A. Tenenti, F. Furlan, Turin, 1994, Livre III, p. 262-263 : « E quanto io, mai seppi a che fusse utile il danaio, altro che a satisfare a’ bisogni e volontà nostre. Ma vedi ora quanto io sia da te più oltre in diversa opinione. Se tu stimi più utili i danari ch’e terreni, ove tu truovi te manco avere perduto danari che possessioni, ti per egli però che’e denari si possino meglio serbare che le cose stabili ? parti però più stabile richezza quella dela danaio, che quella della villa ? parti più utile frutto quello del danaio, che quello de’ terreni ? Quale sarà cosa alcuna più atta a perdersi, più difficile a serbare, più pericolosa a trassinalla, più brigosa a riavella, più facile a dileguarsi, spegnersi, irne in fumo ? Quale a tutti quelli perdimenti tanto sarà atta, quanto essere si vede il danaio ? Niuna cosa manco si truova stabile, con manco fermezza, che la moneta ? Fatica incredibile serbare e danari ! fatica sopra tutte le altre piena di spospetti ! piena di pericoli ! pienissima d’infortuni ! Né in modo alcuno si possono tenere rinchiusi i danari : e se tu gli tieni serrati e ascosi, sono utilinè a te, né a’ tuoi. Niuna cosa ti si dice essere utile, se non quanto tu l’adoperi. E potrei ancora raccontarti a quanti pericoli sia sottoposto il danaio ! ». Sur le statut des biens immeubles, voir. R. Ago, Il gusto delle cose : una storia degli oggetti nella Roma del Seicento, Rome, 2006, p. 53-54.
15 ASVe, GP, Sentenze a legge, reg. 190, f° 128v-130r, 12 juillet 1738, extrait du testament d’Agostino Correggio, 20 juillet 1675 : « et tutto quello ch’è investituto in beni stabili cosi fuori come nella città, rendite di qualunque sorte pubbliche, livelli o altro com’anco quello che nuovamente s’investisse possino esser francati, cioè li livelli et vendute le rendite pubbliche, cioè li depositi reinvestiti ».
16 R. Derosas, I Querini Stampalia : vicende patrimoniali dal Cinque all’Ottocento, dans G. Busetto et M. Gambier (dir.), I Querini Stampalia : un ritratto di famiglia nel Settecento veneziano, Venise, 1987, p. 55-60.
17 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 32, n° 39, copie du testament de Gerolamo Gradenigo q. Daniel, 6/09/1688, publié le 2/12/1691 : « dichiaro in oltre che avendo io in parte affrancato et in parte ceduto ad altri alcuni capitali, che si ritrovano nei publici depositi e de livello quali erano soggetti al fideicomisso del q. monsignor patriarca Marco nostro benemerito zio, voglio et ordino che in luogo de medesimi soggiaciono alle sopradette condizioni tanti degli acquisti che sono stati da me fatti, quali acquisti tutti, che ò fatto e che col divino aiuto farò insime con tutta la mia facoltà niuna cosa eccettuata sottopongo a stretissimo perpetuo fideicommisso ne miei figli maschi e nei loro discendenti maschi legitimi atti al Maggior Conseglio in infinito ».
18 Ibid., filza 5, n° 5, copie du testament du 25 mai 1696, enregistré par le notaire Andrea Porta : « ordina che il tratto de suoi mobili, ori, argenti, zoggie e fornimenti, sia impiegato nell’investita in fondi sicuri et idonei, si in questa città che fuori in Terra Ferma nello Stato veneto però, e se la Zecca s’affrancasse, come pure li altri magistrati o depositi, ne quali esso testator tiene denari, vuole et ordina che anco quel danaro sia immediatamente investito come sopra, e cosi vuole sia fatto anco delli livelli che si affrancassero in tutto e per tutto conforme si legge in detto testamento ».
19 P. Sabbadini, L’acquisto della tradizione : tradizione aristocratica e nuova nobiltà a Venezia, Udine, 1995, p. 141-160 ; V. Hunecke, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica, Rome, 1997, p. 253-354 et L. Megna, Comportamenti abitativi del patriaziato veneziano (1582-1740), dans Studi veneziani, 22, 1991, p. 253-323.
20 J.-F. Chauvard, La circulation de la propriété à Venise : stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, 2005, p. 317-318.
21 ASVe, SD, Condizioni di decima 1661, b. 423, n° 318, 319, 320. En 1713, 17 logements situés dans la calle del Volto à Santa Croce qui appartenaient à l’Hôpital des Santi Giovanni e Paolo depuis une donation effectuée en 1704. Ibid., Giornale di Traslati, reg. 1299, f° 13r, 3 juillet 1713.
22 Testament du 25 novembre 1662, publié le 27, par le notaire Francesco Ciolla.
23 Testament du 21 janvier m. v. 1691, enregistré par le notaire Domenico Garzoni Paulini, le 22 mai 1693, et publié le 17 septembre 1717. Deux fils, Gerolamo et Gasparo, sont morts l’année de leur naissance (1665 et 1668) et les deux filles d’Iseppo et de Giulia Bonvicini ont été mariées : Elisabetta en 1686 avec Daniel Morosini q. Alvise et Barbara en 1695 à Gregorio Rotta q. Francesco.
24 V. Hunecke, op. cit., p. 81, n. 122 et 246.
25 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 6, n° 14 et SD, Condizioni di decima 1740, b. 325, n° 296.
26 Ibid., filza 3, n° 9 : « la casa grande, la bottega da luganegher, la bottega da oglio, la metà di casa vicina à detta grande, alcuni caratti sopra la casa e magazen di malvasia, e sopra una bottega nell’istesso luoco, il tutto posto in questa città in calle longa nella contrada di Santa Maria Formosa ».
27 Ibid. : « quali ducati 3027 : 21 VC formano ducati 3625 al corrente valor della piazza, e ciò stante che in detto instrumento ha dichiarato esso NH Cassetti fare il medesimo acquisto per la metà e per egual portion per conto e raggione di detto fideicomisso del q. Gerolamo Cassetti, di raggione del quale è il prenarrato deposito, et inoltre si è riservato il proprio rimborso sopra li capitali et effetti di detto fideicommisso et anco dell’altro del q. NH sier Iseppo di lui rapresentante per quelle summe esborserà del proprio respetivamente per conto di detti due fideicommissi, come in detto instromento di acquisto al quale ».
28 Ibid., filza 5, n° 81, 28 juillet 1732 : « esponente, quale ha anco talmente verificato col rifabricare a fundamentis un stabile di raggione del q. NH sier Iseppo suo padre, e sogetto al fideicommisso dallo stesso ordinato, posto detto stabile in questa città nella contrada di Santa Croce in calle del Volto alla Croce, qual stabile era tutto rovinato e diroccato, come risulta dalla fede del sopraluoco fatto da don Bernardo Bettin Zani protto del magistrato eccelentissimo de signori Proveditori di Commun d’ordine e commissione di detto eccelentissimo magistrato sotto li 2 aprile 1732, che viene presentata ala giustizia di questo eccelentissimo magistrato per comprobatione dell’eccenata verità ; così che per rimettere l’antedetto stabile in conzo e colmo ha dovuto esso NH esponente soggiacere alla spesa di lire 1801 de’ piccoli, che formano ducati 290 : 12 da L 6 : 4, l’uno, tutti impiegati in rifabricare lo stesso stabile ; onde in tal forma ha repristinato all’eredità del q. NH Iseppo Cassetti et alli rappresentanti successori nel fideicommisso dal detto q. NH Iseppo instituito una rendita che stante il diroccamento dello stesso stabile già era perduta e svanità, e perciò fatta una certa e sicura investita per conto di detto fideicommisso ».
29 Ibid., filza 6, n° 133, 1er octobre 1733.
30 Ibid., filza 3, n° 144, 15 février 1730 : « ha esso NH sier Flaminio annottato li 12 febraro corrente un costituto nell’officio dell’eccelentissimo signor Proveditor alli prò in Cecca con il quale facendo lui sier Flaminio come patron delli prò in summa di ducati 14094 : 12 dipendenti da capitali conditionati che esistono nel suo nome, volontariamente ha obligato et ippotecato a favore et a credito delli fideicomissi instituiti dalli q. NNHH sier Iseppo et sier Gerolamo fratelli Cassetti, di lui padre e zio paterno, respective ducati 14094 : 12 di ratte sino al di ultimo del mese corrente e liberamente spettanti ad esso sier Flaminio, quale ciò disse fare per cauzione, e sicurezza di un capitale di ducati 2700 correnti esistenti come sopra in questo eccelentissimo magistrato per conto di detti fideicommissi e che intende esso NH sier Flaminio levare e liberamente conseguire, con dichiaratione che le ratte sudette, che la Zecca anderà a suoi tempi pagando debbano esser levate a credito dell’officio del Proveditor agl’ori et argenti in Zecca per conto di deposito di questo eccelentisismo magistrato sino alla summa delli sudetti ducati 2700 correnti, quando però esso NH sie Flaminio non avesse rimesso la detta summa delli detti ducati duemillesettecento in questo officio di Procurator overo fatta l’investita d’equivalente capitale a credito de sudetti fideicommissi, mentre allora adempito nell’una, o nell’altra forma alla summa delli andetti ducati 2700 s’intenderanno libere e sciolte dalla sudetta obligatione le ratte ippotecate in vigor di detto costituto 12 febraro corrente ».
31 Ibid., filza 5, n° 6, 5 mars 1732 : « Come pure intesa l’istanza sopradetta fatta in secondo luoco da esso NH sier Flaminio Cassetti per rendere sciolte libere e svincolate le ratte sopradetta, visti li di lui costituti 12 e 13 febraro 1730 annotati nell’officio dell’eccelentissimo Proveditor alli prò in Zecca, et atteso il detto costituto di deposito 2 genaro presente passato di ducati 2700 correnti per l’effeto della liberazione di dette ratte et in restituzione dell’altretanta summa da lui levata da quest’officio in vigor della terminazione a di lui istanza seguente li 15 febraro 1730 ».
32 Ibid., filza 5, n° 115, 11 novembre 1732 : « sia perciò terminato e terminando da sue Eccellenze giudici competenti in tal materia decretato che del corpo de’ sopranominati capitali possa lui NH sier Flaminio Cassetti svincolare e render libera la summa e quantità de’ ducati 59000, e in conseguenza vaglia ad alienar questi e ragirarli ad altra persona per il solo et unico effetto che da esso NH sier Flaminio Cassetti, o da tal compratore di quelli, debba esserne depositato in questo eccelentissimo magistrato il di loro intiero tratto afinché restino esecutivamente alla presente terminazione et alla susseguente del magistrato eccelentissimo de signori Proveditori in Zecca impiegati unicamente nel soprariferito acquisto, per l’adempimento del qual, nel caso che il sudetto tratto non si rendesse sufficiente alla quantità del prezzo che sarà firmato e stabilito per il sudetto acquisto, si obbliga esso NH sier Flaminio di aggiungervi del proprio peculio a fine di veramente effetuarlo per conto e raggione totalmente de’ sopradetti fideicommissi ; che se poi ne sopravanzasse, doverà tal sopravanzo essere nuovamente rimesso per investita ne’ publici depositi in Zecca a credito e cauzione de’ medesimi fideicommissi e non altrimenti ; dichiarandosi inoltre pronto esso NH sier Flaminio esponente, che allora quando la rendita annua de sudetti stabili da acquistarsi come sopra non uguagli quella che di presente ricavati annualmente di prò dalli predetti ducati 59000, che implora di render liberi et alienabili del corpo de sopradetti capitali er effetuare lo steso acquisto, egli suplirà con assogettare al vincolo de’ sudetti fideicommissi tanti altri suoi effetti di sua libera raggione quanti pareggino unitamente a quelli da acquistarsi come sopra la quantità della presente vendita esigibile di prò derivanti dallo stesso capitale de’ ducati 59000, così che in tal forma continui e sussisti a favore de’ sudetti fideicommissi Cassetti et a beneffitio delli eredi fideicommissari pro tempore una consimile et equivalente rendita a quella che al giorno d’oggi ricavasi dalli predetti ducati 59000, onde quelli non restando in verun conto pregiudicati, possa in conseguenza col tratto di detta summa verificarsi per conto de’ medesimi fideicommissi un acquisto cotanto sicuro, giovevole e necessario per raggion di confine come sopra ».
33 Ibid., filza 6, n° 14.
34 Ibid., filza 18, n° 41.
35 ASVe, SD, Condizioni di decima 1740, b. 325, n° 296.
36 Ibid., b. 325/281, Pietro Cassetti fu Flaminio, revenus fonciers de 448 : 9 d. ; b. 325, n° 281, Angelo Cassetti fu Flaminio, revenus fonciers de 465 d. ; b. 325, n° 283, Gerolamo Cassetti fu Flaminio, revenus fonciers de 472 : 20 d. ; b. 325/295, Flaminio Cassetti fu Iseppo, revenus fonciers de 1898 : 15 d. ; b. 325, n° 297, Fabio Cassetti fu Flaminio, revenus fonciers de 429 : 19 d.
37 Ibid., b. 325, n° 298.
38 Demeure en suspens la question des 44840 d. VC sur 59000, libérés, mais non utilisés.
39 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 66, n° 49, 16 juin 1767 : « et essendo giusto d’esser rimborsato con li dinari del fideicomisso del q. NH sier Giacomo Celsi, per conto del quale fece detti acquisti ».
40 Les procédures d’évaluation des biens ont été explorées dans un dossier thématique « Questioni di stima », sous la direction de M. Barbot, J.-F. Chauvard et L. Mocarelli, dans la revue Quaderni storici, 135, 2010. Le terrain milanais est particulièrement bien étudié par M. Barbot, « A ogni cosa il suo prezzo. Le stime degli immobili della Fabbrica del Duomo di Milano fra Cinque e Settecento », MEFRIM, 119-2, 2007, p. 251-262 ; Ead., Stima, stime ed estimi : la valutazione di beni e persone nella Milano d’Antico Regime, dans G. Alfani et M. Barbot (dir.), Richezza, valore e proprietà in età preindustriale (1450-1800), Venise, 2009, p. 31-41. Pour une dimension comparative, cf. C. Rabier, Fields of expertise : a comparative history of expert procedures in Paris and London, 1600 to present, Newcastle, 2007.
41 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 39, n° 31 : « essersi fatta ruinosa l’Osteria all’insegna del Salvadago posta in contrà di S. Giminian di ragion per mettà del fideicomisso del q. NH sier Piero Maffetti padre del sudetto sier Agostin e rendendosi necessaria quella riffabricare per ridurla in stato di pottersi affittare instò che ordinato fosse al protto di questo offitio di portarsi sopra luoco per esaminare il stato in cui s’attrova l’osteria sudetta e la spesa occorente per ripararla, perché riconosciuta dal detto protto indispensabile la reffabrica venisse poi dall’autorità del magistrato stesso permesso al sudetto NH Maffetti di pottersi vallere de dannari che un questo offitio venissero depositati di ragione del fideicomisso del sudetto q. NH Piero Maffetti di lui padre ».
42 Ibid. : « e però naque atto di detto eccelentissimo magistrato nel sudetto giorno 24 aprile registrato nel libro estraordinario de nodari, che ordinò la sudetta peritia per determinarsi in seguito la giustitia a tutto ciò fosse creduto opportuno all’interresse del fideicomisso del sudetto q. NH sier Pietro Maffetti ».
43 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 39, n° 34.
44 Nicolò Tron q. Andrea était, par ailleurs, le père de Andrea Tron (1712-1785), le « paròn », figure centrale de la politique vénitienne du milieu du XVIIIe siècle. Sur la carrière politique et l’activité entrepreneuriale de Nicolò, voir : W. Panciera, L’arte matrice : i lanifici della Repubblica di Venezia nei secoli XVII e XVIII, Trévise, 1996, p. 78-86 ; Id., A Follina, da Schio e dall’Europa : la compagnia Tron – Stahl, dans D. Gasparini et W. Panciera (dir.), I lanifici di Follina : economia, società e lavoro tra medioevo ed età contemporanea, 2000, Vérone, p. 161-177 ; G. Gullino, L’anomala ambasceria inglese di Nicolò Tron (1714-1717) e l’introduzione della macchina a vapore in Italia, dans Non uno itinere : studi storici offerti dagli allievi a Federico Seneca, Venise, 1993, p. 186-207 ; V. Hunecke, Il patriziato veneziano alla fine della Repubblica, 1646-1797, Rome, 1997, p. 149-150.
45 En 1740, les revenus immobiliers et fonciers déclarés par Nicolò Tron s’élevaient à 1290 : 7 ducats tandis que ceux de son frère Zuanne, dans lesquels entraient les biens sous fidéicommis, étaient de 4278 : 13 ducats. ASVe, SD, condizioni di decima 1740, b. 326, cond. 401 et 402.
46 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 2, n° 42, 11 juin 1729 ; ibid., filza 3, n. 150, 1er février 1730 m. v. La construction portait sur 9 maisons, 2 casini, un four et 4 petites habitations.
47 Ibid., f. 2, n° 42 : « Come però le sudette fabriche riescono di considerabile utile trovandosi presentemente parte affitatte, e parte prossime ad affittarsi, cosi volontariamente cede rinontia al detto fideicomisso paterno, e dichiara da ora inanzi, e per sempre di raggione del medesimo tanta portione di dette fabriche, quanta equivaglia, e rilevi la sopradeposita summa di ducati 8963 g- da L 6 : 4 ».
48 Ibid. : « così che in luoco di tale dennaro sogetto allo stesso fideicomisso paterno, succedi, e subentri l’equivalente proprietà, et importare delle sudette fabriche ».
49 Ibid., filza 5, n° 164, 9 janvier m. v. 1732 ; ibid., f. 11, n° 64 : « […] che dopo la morte di detto q. NH sier Andrea Tron di lui padre avendo trovato esso NH sier Nicolò cavalier diversi stabili a S. Nicolò in questa città tutti rovinosi e parte precipitati, e per conseguenza resi inabitabili, e cosi similmente altro in contrà di Santi Apostoli pure in questa città, ch’era solito affittarsi al forner com’è al presente ; sicché nulla ricavavasi d’annua intrada da sudetti stabili per il motivo sopradetto, la onde lui NH esponente pensò e risolse di gettar à terra que’ misero avvanzi di muri et altro ruvinoso, e col suo proprio dennaro rifabricar intieramente da nuovo le medesimi stabili sul’istesso fondo ed in tal forma ha rigenerata la rendita nella quantità di ducati 414 correnti all’anno, conforme spicca dalle affittanze di detti stabili ».
Le nouveau complexe est décrit dans G. Gianighian et P. Pavanini, Dietro i palazzi : tre secoli di architettura minore a Venezia 1492-1803, Venise, 1984, p. 166-167.
50 En fixant le prix en fonction de ceux pratiqués aux alentours pour des biens équivalents, l’expertise s’appuie sur l’opinion commune, et non sur une évalutation technique. Les modalités de formation des prix sont exposées par M. Halbwachs, Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900), Paris, 1909 ; et discutées par B. Lepetit, L’appropriation de l’espace urbain : la formation de la valeur dans la ville moderne (XVIe-XIXe siècles), dans Histoire, économie, société, 13-3, 1994, p. 551-559.
51 Ibid., filza 5, n° 164 : « così che di questi se possa egli disporre a suo piacere come di cosa propria in giusto et equivalente compensatione, e sodisfatione dell’importar di detti stabili ».
52 La construction du palais Venier requiert l’achat de nombreux biens dont la plupart sont soumis à différents fidéicommis. Voir J.-F. Chauvard, Fedecommessi, dei beni fuori mercato ? Il caso della fabbrica del palazzo Venier nella Venezia del Settecento, dans Quaderni Storici, 1, 2017, p. 73-105.
53 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 4, n° 89 ; filza 4, n° 108 ; filza 5, n° 5 ; filza 8, n° 100, 14 ; Filza 29, n° 7, 10. Le récapitulatif figure dans un arrêté autorisant un prêt de 10000 d. de Francesco Maria Celsi à Giovanni Tomà Mocenigo Soranzo : ibid., filza 65, n° 107, 27 janvier m. v. 1767.
54 Ibid., filza 13, n° 125, 24 janvier m. v. 1740 : 3829 : 9 d. VC en provenance du Deposito Macina investis dans la villa di Lorigo près de Vicence.
55 Il ne reconvertit pas tous les capitaux libérés en biens immeubles puisqu’en 1731 14000 ducats, libérés du Deposito Macina, sont prêtés à Giust’Antonio Erizzo (ibid., filza 4, n° 67, 5 septembre 1731). Et quand en 1764, il a en dépôt 872 d., il les investit en rentes publiques dans le Deposito Novissimo 3,5 % (ibid., filza 59, n° 38, 21 mai 1764).
56 Ibid., filza 65, n° 46, 49, et 107, 27 janvier m. v. 1767 : « si rilleva dalla di lui perizia 16 aprile prossimo passato aver ritrovati li campi sudetti parte alti, parte mezani e parte bassi del valore di uno per l’altro di ducati 19 al campo, che ascende a ducati 89566, li quali al tempo delli referiti acquisti erano semplici palludi, stropazi d’aque salse et inabili a dare alcun prodoto senza l’arte e senza le grandiose opere che doverano farsi per ridurli a migliore coltura e che furono incontrate dal detto NH in cavamenti, arginature, canali interni et esterni, per l’introduzione delle torbide e per il scolo delle acque chiare, imbonimenti di canali, scavezadure di mare, laghi, chiaviche e ponti di pietre, formazioni di retrati e ridoti, piantagioni e molti altri lavori a benefitio e riparo di detto beni per le quali tutte cose considerò esso perito che possa aver spesso esso NH per lo meno la summa di ducati 32000 non compreso le fabriche. Considerate poi le fabriche stesse che consistono in una chiesa con cinque altari, che serve ad uso di parochia, casa dominicale, due osterie, una pistoria, casa per il capellano, casa per il gastaldo, due fenilloni, sive casarie, capaci per cento e più animali per una, case di lavoratori di pietra et altre case di cana n° dieci sette per gl’abitanti, stimò esso perito tutte esse fabriche del vallore du ducati 19089 ; quali uniti al vallor de miglioramenti sudetti ducati 32000 summano in tutto ducati 51089 ».
57 Le Barbaro (vol. IV, p. 367-368) nous dit qu’Agostino Maffetti q. Piero (1696- 1758) a occupé les charges de podestat de Chioggia, de provveditor di Comun, de podestat et de capitaine de Crema dont il fut chassé en 1740, de podestat de Vérone, dont il fut également privé, qu’il se fit abbé et qu’il a épousé Doralice Bollani q. Francesco.
58 BMCC, Miss. P.D. c. 2213/XIX, testament d’Agostino Maffetti q. Piero : « Voglio et espressamente comando che sia fermato e stabilito per sempre il moi fattor general Francesco Palla di cui n’ebbi esperienza di sua abilità e intiera fedeltà ».
59 Testament de Lodovico Maffetti q. Agostino (12/05/1669, publié 9/07/1669, Francesco Ciola q. Pietro Antonio) ; testament d’Agostino Maffetti q. Carlo (23/03/1707, publié 25/03/1707, Alvise Centon) ; testament de Piero Maffetti q. Lodovico (12/03/1719, publié 23/06/1723, Pietro Bosello, notaire de Rovigo. Le testament d’Agostino institue un fidéicommis perpétuel sur son frère et sa descendance masculine à l’exclusion des femmes.
60 ASVe, SD, Condizioni di decima 1740, b. 324, n° 358.
61 Dans son testament (12 mars 1719) Piero Maffetti entend laisser à sa fille Giovanna 30000 d. qui devront être réunis en plaçant chaque année 2500 d. de rente dans des investissements sûrs. Dans un codicille (23 juin 1723), il ordonne que la somme soit portée à 5000 d. par an et qu’il faudrait continuer à effectuer les versements si elle se mariait avant que le montant ne soit atteint. Comme l’investissement de 5000 d. n’a pas été fait à cause de « contingenze accadute sopra la facoltà paterna », Agostino et Lodovico sont contraints de procéder autrement en attaquant le fidéicommis (puisqu’il s’agit de la légitime) en cédant un livello de 6200 d. (au débit d’Angela Bigolini Milani de Trévise depuis 1713) et en libérant des capitaux qu’ils sont tenus de compenser. ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 4, n° 68, 7 septembre 1731.
62 ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 8, n° 105, 17 décembre 1735.
63 Ibid., filza 11, n° 14.
64 Ibid., filza 34, n° 27 : « con altretanta summa del corpo del sopradeposito, affinché il fideicomisso del q. NH Piero Maffetti di lui padre abbia a subentrare nelle raggioni tutte anzianità, privileggi et ippotecche delle ratte, ut supra obligate colli due costituti annotati nell’offitio del Provveditor ai prò fuori di Cecca li 23 30 maggio 1750 che competescono a detti NNHH Labia ».
65 Ibid. : « e conciò facendosi esso NH Maffetti debitor livellario verso il fideicommisso paterno con l’oggetto di non aver pronta altra investita del sopradepositato capitale, s’obliga di effetuare l’affrancazione delli predetti ducati 4000 entro il termine d’anni cinque, come s’obligò verso li NNHH Labia ».
66 Ibid., filza 31, n° 40, 15 juillet 1750 : « oltre l’obligation generale di tutti gl’altri beni di libera raggione di esso NH Maffetti, il quale in oltre restò incaricato con detto instrumento di livello a dover depositar nel presente officio al tempo della patuita affrancazione altretanta summa di capitale per esser nuovamente investita per conto del sudetto fideicommisso, e come in detto instrumento si legge e contiene ».
67 Ibid., filza 17, n° 34, 16 juillet 1743 : « con li quali restò spogliata l’eredità fideicommissaria del detto q. NH sier Lodovico Maffetti delli beni come sopra da lui acquistati et in consequenza rimasta creditrice l’eredità stessa dalla pubblica casa per il che nacque terminazione del predetto eccellentissimo magistrato dei Governatori dell’entrade sotto li 12 giugno presente passato ». Lodovico Maffetti avait acheté 10 et 4 campi dans la villa di Casier à Zuanne Corner qui les avait lui-même acquis à l’encan auprès des Governatori delle entrate en 1655 et 1656 (324 et 124 d.). À son tour, en 1666, Lodivico avait acheté en 1666 aux enchères 19, 8 et 6 campi. Ces ventes, d’un montant total de 1783 d., furent contestées auprès du collège des XX savi qui rendit deux jugements d’annulation (taglio) : les 2 août 1742 et 22 avril 1743.
68 Ibid. Pour apporter la preuve de la disponibilité des maisons, il produit des actes qui démontrent qu’elles sont entrées en sa possession à l’issue d’un procès auprès de la Cour du Mobile et du Sopragastaldo pour récupérer un prêt de 520 d. accordé en 1680 et gagé sur les dites maisons.
69 Ibid., filza 18, n° 27, 26 août 1743 ; filza 20, n° 16, 16 août 1744.
70 Ibid., filza 24, n° 31, 1er octobre 1746 ; filza 24, n° 14, 15 décembre 1745.
71 Ibid. : « e li restanti ducati 114 : 12 di essa rendita essendo rimasti a libera disposizione del detto NH sier Agostino per prò a lui dovuti e per spese e ristauri come sopra fatti con suoi proprii dennari, furono con la terminazione stessa assegnati essi ducati 114 : 12 al detto fideicommisso paterno per conseguire però lui NH esponente il suo rimborso, che fu liquidato nella quantità di ducati 2862 : 12 dalli depositi che veranno fatti nel presente officio di ragione del medesimo fideicommisso e come dalla terminazione sudetta diffusamente si legge e contiene ».
72 Après le remboursement de 900 d., Agostino Maffetti avait encore une créance de 1962 d., à laquelle s’ajoutait un solde d’intérêts de 60 d. (pour la période allant du 22 août au 22 décembre).
73 Ibid., filza 39, n° 31, n° 34.
74 Ibid., filza 45, n° 10.
75 La primogéniture instituée par Agostino revient après 1738 à la branche napolitaine de la famille qui n’appartient pas au patriciat. Quant aux biens libres du dernier représentant de la branche patricienne, Zuandonà Agostino, ils échouent à la Fraterna dei poveri vergognosi suivant ses dispositions testamentaires. Voir le chapitre 2, p. 120-130.
76 Il s’agit de portions de 12 maisons à S. Geremia (22 : 10), d’une portion d’un casino dans la villa et de 6 : 16 d. d’une rente annuelle sur des habitations et des champs aux Gambarare. ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 15, n° 59, 27 juillet 1742 : « tutti essi beni pervenuti in essa pia Fraterna come beni liberi dell’eredità del q. sier abbate Correggio sudetto e posti tra suoi confini descritti in esso instrumento ».
77 Ibid., filza 15, n° 70.
78 Il transfère au bénéfice du fidéicommis 6 traites de 39 : 18 dues pour la période allant de novembre 1738 à mars 1741. Ibid., filza 16, n° 58 : « dover esser girate in questo eccelentissimo magistrato per esser investite a credito delli sudetti fideicommissi per l’effetto di conseguire liberamente ducati 233 : 8 del corpo del sudetto deposito che sono il 6° ad essi NNHH esponenti spetante in forza delle sudette divisioni ».
79 Le testament du 28 janvier m. v. 1682, publié le 12 février m. v. par le notaire Christoforo Brombilla, mentionne trois fils. Antonio ajoute le 30 janvier m. v. un codicille quand il apprend que sa femme est enceinte, désignant ses fils comme héritiers (ASVe, GP, Terminazioni di levo di deposito, filza 14, n° 40). Extrait du testament à la note 16 du chapitre 1.
80 ASVe, SD, Condizioni di decima 1740, b. 319, n° 23, Giovanni Battista Ferracini q. Antonio déclare 4 maisons calle dei Botteri à S. Cassiano, une maison aux Santi Apostoli, une boutique en indivis à San Giminiano, et 9 campi villa dell’Ospedaletto sous Este, pour un revenu total de 308 ducats. Quant à Bortolomio q. Antonio (ibid., cond. 21), il possède l’autre portion de la boutique, une maison et une partie d’une boutique à S. Giovanni Novo (pour 41 ducats) ainsi que des terres sous Camposampiero dont une partie appartient au fidéicommis parternel (24 d.) et dans le territoire de Padoue (54 campi et deux habitations) pour un revenu total de 289 ducats.
81 ASVe, GP, Terminazione di levo di deposito, filza 3, n° 67, 25 août 1730. Un prêt de 6000 ducats aurait déjà été consenti en 1729, mais il n’a pas fait l’objet d’un arrêté ; il est évoqué en 1749. Ibid., filza 30, n° 54, 4 juin 1749.
82 Ibid., filza 3, n° 67.
83 Ibid., filza 27, n° 72, 21 janvier 1748 m. v.
84 Ibid., filza 30, n° 54, 4 juin 1749. Le prêt est gagé sur 60 campi et des bâtiments, dans la villa di Zerman, près de Trévise. L’amortissement est prévu au bout de 18 ans par le remboursement de 46 traites. Les Juges se préoccupent du réinvestissement au bénéfice du fidéicommis : « dette ratte di tempo in tempo investite col mezzo della giustizia di questo magistrato nelli publici depositi, arti, o scole di questa città, perché dette investite da forza e li prò dalle medesime derrivanti, e cosi le ratte sudette di ducati 193 : 18 ».
85 Ibid. : « ducati 1000 restar debbano nel presente officio sino all’investita delli medesimi nelli publici depositi, arti, scole di questa città conforme restò nel sudetto instrumento patuito ».
86 En juillet 1749, il reçoit un versement des 354 : 20 d. de Michele Grimani, attestant qu’il avait également des intérêts dans le prêt consenti en 1730. Cet argent sert à payer une loge au théâtre de San Samuel dont Grimani leur avait laissé l’usage ; il est viré à Alba Giustinian dont Grimani est débiteur.
87 Ibid., filza 31, n° 6, 11 mars 1750 et filza 39, n° 71, 17 janvier 1754.
88 J.-P. Dedieu, Familles, majorats, réseaux de pouvoir : Estrémadure, XVe-XVIIIe siècle, dans J.-P. Dedieu et J. L. Castellano, Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, 1998, p. 122-125 (111-146).
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2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002