Histoire de la famille et histoire politique
Réflexions autour d’un domaine de recherche commun1
p. 15-37
Résumé
La famille a constitué l’un des domaines de recherche les plus fertiles de ces dernières décennies. En favorisant l’histoire des dynamiques sociales et des pratiques politiques, à l’intersection du public et du privé, les études sur la famille – de la fin de l’époque moderne à l’époque contemporaine – ont participé, à bien des égards, à la réécriture de l’histoire politique. Elles ont, en outre, permis d’appréhender les relations entre groupe et individu, biographies individuelles et collectives, appartenance et autodétermination. S’inscrit dans cette perspective une historiographie récente, attentive au bagage sémantique et aux catégories que partagent l’histoire politique et l’histoire de la famille. C’est le cas, par exemple, de « génération » et de « fraternité », catégories historiques qui permettent d’éclairer avec efficacité les parentés biologiques ou électives. D’un point de vue méthodologique, les sources autobiographiques et les mémoires qui renvoient au domaine familial peuvent avoir une valeur politique importante et représenter des exemples significatifs d’une mise en écriture stratifiée d’événements à la fois personnels, familiaux et publics.
Texte intégral
Entre 1790 et le début du XIXe siècle, les lignes de parenté radicales se développent horizontalement, comme le rapport frère-sœur. Dans la construction freudienne, elles se développent verticalement, comme dans la relation parents-enfants. Le complexe d’Œdipe est inévitablement marqué par la verticalité. Ce changement est fondamental : Œdipe prend la place d’Antigone1.
1C’est ce qu’écrivait George Steiner, en démontrant magistralement que les multiples relectures de la tragédie d’Antigone qui se sont succédé au cours des siècles confirment l’éternité du mythe et la vitalité de sa fonction explicative, tout en parlant de la manière dont le conflit entre Créon et Antigone s’est réglé au cours de différentes époques historiques : « Ces deux personnages et leur opposition morale suscitent, illustrent par des exemples et polarisent les éléments primaires du discours sur l’homme et sur la société, tel qu’il a été abordé en Occident »2. Celui de l’opposition entre la famille et la cité, entre les règles intemporelles des affects et la loi positive d’une société déterminée, entre l’ordre impératif d’un ius moral et celui, non moins inéluctable, de la lex du souverain est l’un des thèmes les plus prégnants, et qui compte parmi les plus repris, surtout au cours du XIXe siècle3. Le mythe d’Antigone a également permis de s’interroger sur la force symbolique, ainsi que juridique, des liens parentaux, de montrer le poids différent attribué à différentes époques aux liens organisés dans un sens vertical, ou plutôt dans un sens horizontal4.
2Aujourd’hui encore, aborder ces thèmes signifie affronter un enchevêtrement de questions importantes – et ceci alors que les thèmes de l’héritage et de la transmission, à partir du champ de réflexion spécifique de la psychanalyse, irriguent largement le discours public, et que la figure de Télémaque est appelée à se substituer à celle d’Œdipe, parce qu’elle incarne son renversement : lui ne tue pas son père (qui est déjà mort) mais attend, mal à l’aise mais avec confiance, son retour et son témoignage5. C’est une manière de réfléchir à la signification que nous accordons à la force des liens parentaux et aux formes plus larges de notre vie associative ; à la transmission de valeurs domestiques et politiques ; à la physionomie sociale que prend la famille dans la société civile, ainsi que dans notre monde affectif ; aux modalités de construction culturelle de nos appartenances et aux généalogies où nous puisons pour penser notre identité6. Il suffit à cet égard de rappeler combien de temps la clef de lecture du « familisme » a été appliquée, en la compromettant fortement, à la lecture de l’histoire italienne, en interprétant le poids des liens familiaux exclusivement comme un obstacle à l’évolution économique et politique « moderne » du pays ; ou combien les considérations pessimistes de Saba, qui minaient ab origine les fondements du vivre ensemble des Italiens ont été reprises chaque fois que l’on constatait l’incapacité de l’Italie à se doter du pouvoir politique qu’on attendrait d’un pays politiquement mûr.
Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l’Italie n’a pas eu dans toute son histoire – de l’Antiquité romaine à aujourd’hui – une seule vraie révolution ? La réponse – qui ouvre de nombreuses portes – réside peut-être dans l’histoire de l’Italie, en peu de lignes. Les Italiens ne sont pas parricides, ils sont fratricides. Romulus et Rémus, Ferruccio et Maramaldo, Mussolini et les socialistes, Badoglio et Graziani…
« Nous combattrons – proclame ce dernier dans un de ses manifestes – frères contre frères . […] Les Italiens sont le seul peuple (je crois) qui ait placé un fratricide à l’origine de son histoire (ou de sa légende). Et ce n’est qu’avec le parricide (le meurtre du vieux) que peut commencer une révolution. Les Italiens veulent se donner au père et recevoir de lui, en échange, la permission de tuer leurs frères »7.
3Dans ce cas aussi, pour émettre un jugement sur l’histoire politique italienne, il faut faire appel, entre légende et histoire, aux relations de sang, aux relations ancestrales dont le lexique et les catégories renvoient à la famille.
4Compte tenu de l’ampleur (parfois insidieuse) des thématiques que peut mobiliser ce couple – famille et politique –, et des multiples directions dans lesquelles il pourrait nous entraîner, ces pages ont un objectif bien plus modeste et rassurant : celui de réfléchir à la manière dont la famille a fourni une clef de lecture différente de la société et des dynamiques politiques tardo-modernes et du début de l’époque contemporaine, notamment en Italie. Un nombre croissant, et désormais considérable de recherches, a montré la multiplicité des variables historiques (et donc les limites de nombreux modèles), et conféré profondeur et caractère concret aux relations politiques ; d’autres études, par ailleurs, ont placé l’attention sur le lexique, sur les concepts, sur les métaphores mobilisées par la famille, qui ont été toujours plus fréquemment utilisés pour repenser le pouvoir et les formes historiques de son organisation. On se gardera par ailleurs de négliger le fait que le renouvellement historiographique, mené au travers de l’étude de cas et de l’analyse des formes discursives et culturelles, s’est accompli en recourant à différents types de sources trop longtemps négligées, personnelles et familiales. Notons deux observations à cet égard. La première concerne la limite intrinsèque de ces pages : le thème est trop vaste et trop complexe pour que les réflexions qu’elles proposent puissent être un apport plus structuré qu’une contribution au débat. La seconde, que je considère en revanche comme un point de force : mon argumentation tient en effet pour acquis qu’une perspective « moderniste », entendue dans une perspective chronologique de longue durée, est extrêmement fructueuse, et que le dialogue entre modernistes et contemporanéistes doit être encore encouragé. Le débat ouvert autour de la fraternité dans le cadre de cette recherche en offre une opportunité exemplaire, comme l’a été celui, tout aussi interdisciplinaire et sur la longue durée, qui a porté sur la catégorie de génération8.
L’histoire de la famille et les autres histoires
5Peu de disciplines comme celle de l’histoire de la famille ont été concernées par un double mouvement : d’une part, s’être constitué, en particulier au cours de ces dernières années, comme un champ de recherche en soi ; d’autre part, présenter un niveau aussi élevé d’interdisciplinarité congénitale, une propension convaincue à se placer aux confins entre les disciplines et à s’élargir à de nombreux autres domaines d’études, ceux des sciences sociales, du droit et de la politique. Il peut exister une histoire de la famille au service de nombreuses autres histoires, et beaucoup d’autres histoires, pour mieux se raconter, ont appris à recourir aux histoires familiales, de même que l’histoire de la famille, entretemps, s’est construite une généalogie d’études autonome et ramifiée.
6C’est à partir d’un focus sur la famille que s’est développé et consolidé un filon important de recherche et d’histoire économique et sociale, même si, récemment encore, Gérard Delille a pu souligner le retard de cette enquête tant sur le plan de la théorie économique – « La théorie économique a consacré une attention limitée aux problèmes relatifs à la sphère familiale »9 – que sur celui de la recherche historique :
La recherche historique a suivi un long chemin qui n’est pas très différent, les grandes œuvres d’histoire économique et sociale des années cinquante aux années quatre-vingt du XIXe siècle, de F. Braudel à R.S. Lopez, n’ont jamais intégré réellement le rôle éventuel des systèmes familiaux dans l’étude des mécanismes du marché10.
7La route est encore longue pour exploiter pleinement, avec les moyens propres à la recherche historique, l’outillage conceptuel et interprétatif que sociologues et anthropologues ont élaboré pour comprendre les systèmes sociaux à partir, par exemple, de l’étude de la parenté, de la filiation, des choix matrimoniaux et dotaux, de la transmission et des systèmes héréditaires, de l’organisation domestique et de son rapport avec le contexte économique et étatique. Paul Ginsborg a bien souligné l’insuffisance des études portant sur le rapport entre famille et société civile au cours des deux derniers siècles :
Les relations entre la famille et la société civile ne sont aujourd’hui pas suffisamment théorisées ou étudiées. Il n’y a presque pas d’ouvrages qui prennent ces relations comme leur point de départ méthodologique, ou qui les utilisent de façon systématique dans leur reconstruction de sociétés ou de périodes historiques11.
8Si nous nous intéressons à présent au domaine spécifique des études italiennes, certains comme Franco Ramella, se référant au manque d’influence exercée par les études sociologiques et anthropologiques britanniques au cours des années soixante du siècle dernier sur l’historiographie de la famille, relève qu’« un dialogue constructif sur ces thèmes n’a en réalité jamais commencé », et constate de plus « que la présence des historiens dans la recherche sur la famille dans l’Italie contemporaine s’est progressivement raréfiée (à quelques exceptions près) »12.
9Ces témoignages d’insatisfaction indiquent bien que les possibilités heuristiques du sujet historique « famille », avec son poids et son rôle économique, social et politique, mais tout autant avec l’univers conceptuel, lexical et métaphorique qu’il mobilise, demeurent à exploiter pour comprendre les sociétés contemporaines, tout comme leur passé.
10Nous abordons donc ici un domaine de recherche aux confins toujours plus tourmentés (raison pour laquelle, selon certains, il serait en crise)13 ; au travers de perspectives méthodologiques multiples, même si certaines sont hégémoniques (le poids que l’approche démographico-anthropologique exerce sur bien des recherches très récentes est toujours important), en dépit de l’affirmation progressive de perspectives interprétatives qui privilégient l’approche culturelle, de genre ou d’histoire des sentiments : en d’autres termes, les « âmes » plutôt que les « chiffres »14.
La famille et l’histoire politique
11En dépit de la pseudo-crise et des constatations circonstanciées sur ce qu’il reste à faire dans le domaine socio-économique, on ne peut nier que les études consacrées à la famille ont représenté l’un des champs de recherche les plus fertiles de ces dernières décennies. Pour ce qui nous concerne ici, les études qui se sont développées autour de la famille ont eu également l’intérêt de corriger la formalisation excessive qui avait connoté l’histoire politique et son interprétation en termes de droit public. En favorisant une histoire des dynamiques sociales et des pratiques politique au carrefour du public et du privé, les études d’histoire de la famille – de la fin de l’époque moderne à l’époque contemporaine – ont représenté un terreau idéal pour réécrire à bien des égards l’histoire politique, et proposent une perspective d’enquête plus complexe et articulée par rapport aux recherches qui ont répondu aux limites explicatives des macrocatégories, à rebours, en privilégiant les individus et la subjectivité. L’histoire de la famille permet en effet de raconter cette zone intermédiaire entre individu et groupe, entre biographies personnelles et collectives, entre autodétermination et appartenance.
12Quelques décennies se sont écoulées seulement, pourtant, depuis que l’historiographie italienne de toutes les époques – médiévale, moderne et contemporaine – déplorait cette absence d’intérêt de l’histoire politique pour l’histoire de la famille. En 1995, Igor Mineo publiait sur Storica un article intitulé Stati et lignaggi in Italia nel tardo medioevo : qualche spunto comparativo, qui reprenait les considérations formulées deux ans plus tôt par Paul Ginsborg dans Famiglia, società civile et stato nella storia contemporanea : alcune considerazioni metodologiche. Mineo observait que « les études d’histoire de la famille n’ont abordé que sporadiquement le thème de la relation entre famille et politique »15. Deux ans plus tard, en 1997, dans La famiglia italiana in età moderna, Cesarina Casanova reprenait également, pour l’époque moderne, des considérations inspirées par cette question16. Ce chœur de voix indique que c’est précisément sur le terrain de l’histoire politique, et pour une longue période qui va du Moyen Âge à l’époque contemporaine, que le sujet « famille » n’était pas parvenu à trouver sa juste place. Comme on l’a rappelé plus haut, bien que de féconds chantiers d’études aient été ouverts dans une perspective d’histoire sociale et économique, à partir des recherches de Delille et de Macry, pour ne citer que deux références reconnues dans le domaine des études portant sur l’Italie17, la relation entre famille et pouvoir était encore embryonnaire, et non pas considérée comme une perspective thématique et méthodologique autonome.
13Si toutefois, comme nous le verrrons plus loin, l’histoire moderne avait commencé à exploiter un filon de recherche qui devait se révéler extrêmement fécond pour la relecture de l’histoire du pouvoir, et cela à partir précisément de la réflexion sur le poids public de la famille et du père, ce n’est que depuis le début du nouveau millénaire, que l’histoire contemporaine italienne allait mettre la famille au centre de l’intérêt de l’histoire politique – et en particulier de celle du Risorgimento –, au point d’engendrer la discontinuité manifeste de cette relecture par rapport à celle de la tradition passée.
14Dans les conclusions de son essai intitulé Famiglia et nazione nel lungo Ottocento, paru en 2002 sur Passato et presente, puis réédité en 2006 dans le volume de mélanges qui porte ce même titre (mais avec l’adjonction de l’adjectif « italien »), Ilaria Porciani insistait sur un point crucial de son raisonnement : « La grande difficulté de l’individu à émerger en tant que tel, même après la fracture de la Révolution », et ajoutait « […] dans les faits, c’est la famille qui domine véritablement la scène », en rangeant autour de la figure du pater familias une multitude de sujets qui se définissent par leur rapport avec lui. Elle conclut au caractère « absolument central », de cette figure « en Europe, où pèsent l’héritage de l’Ancien Régime, la force ancienne des corps constitués et de la tradition ». En invitant à déplacer l’attention sur la « codification de la figure juridique et non seulement symbolique du bon père de famille », Porciani invitait à « regarder en arrière, à construire un discours plus serré en liaison avec des thèmes fréquemment abordés au cours de ces dernières années par les modernistes »18.
15Différentes recherches avaient effectivement, depuis quelque temps, attiré l’attention sur le thème de l’autorité du père entre sphère domestique et sphère publique, ainsi que sur la famille comme sujet politique. Si l’on peut reconnaître dans le livre de Daniela Frigo de 1985 intitulé Il padre di famiglia l’un des premiers textes à attirer l’attention sur le gouvernement domestique et le gouvernement civil à partir des traités d’Ancien Régime, l’ensemble des essais consacrés à « Familia » del Principe e famiglia aristocratica déclinait, sur le versant théorique aussi bien que sur celui des variables historiques, italiennes et européennes, le thème d’un « ordre qui ne connaît même pas la séparation entre public et privé, entre gouvernement de la maison et gouvernement de la cité, entre père et prince »19. Ces recherches donnaient corps à ce filon d’études portant sur les aristocraties, sur les patriciats urbains et les noblesses territoriales qui, depuis près d’une décennie, avait renouvelé l’étude des élites20, en amorçant ainsi la mise en discussion des modèles théoriques au travers desquels on appréhendait l’histoire de l’État et du pouvoir. L’histoire du pouvoir, que le paradigme modernisateur avait inséré de force dans celui de l’État moderne jusqu’à le faire coïncider avec lui, se trouvait prendre ainsi des voies multiples, et la famille, avec les autres sujets qui avaient été écartés par cette vision (la cour, par exemple), gagnaient une pleine dignité politique et la capacité à rendre compte des dynamiques publiques21.
16Au cours de ces dernières décennies, la recherche s’est poursuivie dans cette direction jusqu’à tenir aujourd’hui pour acquis l’apport des histoires de famille à l’étude de la politique et de l’État. Les essais d’Elena Fasano Guarini sur Centro e periferia, et plus encore ceux de Giorgio Chittolini sur Pubblico et privato, présentés au congrès de Chicago en 1993, et publiés dans le volume intitulé Origini dello Stato22, commençaient à intégrer, dans la discussion portant sur les processus d’affirmation de l’État dans l’Italie de la Renaissance, des perspectives de recherche qui mettaient en crise leur paradigme centralisateur et modernisant. Sur ces deux fronts, ouvrir aux dynamiques de construction de la communication politique entre centre et périphérie, et à la constatation de leur caractère informel, signifiait porter sur le devant de la scène des personnages et des familles qui étaient les titulaires les plus directs de ces canaux et de ces modalités.
17En ce sens, l’histoire des familles, dans ses différentes manifestations géographiques, temporelles ou sociales, a contribué à nous mettre en contact avec la réalité des pratiques, à déstructurer la lecture formalisée du pouvoir en nous permettant d’entrer dans les dynamiques concrètes qui lient l’État à la société : « L’histoire de la famille est la variante soumise de l’histoire politique », soumise, mais avec « le plein droit de se déclarer fille légitime de la grande histoire », écrit Silvana Seidel Menchi23.
Relations verticales
18L’analyse du rôle joué par les familles dans l’évolution des différents systèmes constitutionnels et des différentes formes d’organisation du pouvoir ont nécessairement impliqué l’étude des familles des élites, des aristocraties, des noblesses territoriales ou des groupes dirigeants des villes24.
19Les logiques de reproduction du sang et du nom, et de perpétuation du poids socio-politique de la famille sont des logiques hiérarchiques, masculines, patrilinéaires et de primogéniture, des logiques agnatiques et de défense du lignage. Elles ordonnent les relations des figures parentales « à partir du père ». La multiplication des études de cas se double aussi d’une attention portée à la discussion théorique autour de la catégorie de paternité. La réflexion sur la figure du roi/ père et l’utilisation de la métaphore familiale pour structurer la société d’Ancien Régime occupe une place importante dans la doctrine politique et juridique : c’est l’un des grands thèmes qui parcourent les traités, l’iconographie et la littérature sur la souveraineté, qu’il s’agisse des grandes monarchies ou des petits principats25. Les études de ces dernières années ont approfondi l’analyse historique de la figure du père, de manière inversement proportionnelle à la crise de son autorité et à la profonde redéfinition de son rôle dans la société actuelle ; et si nous n’avons pas encore de réponse à la question posée par Delumeau voici quelques années – « Le père a-t-il un avenir en Occident ? »26 –, les recherches consacrées à son passé se sont multipliées et les directions qu’elles ont prises peuvent difficilement être inventoriées brièvement. On ne peut citer ici que des exemples : l’étude de Marco Cavina qui retrace la parabole de la patria potestas ; les essais rassemblés dans Pater familias, qui questionnent différentes études de cas au travers du genre ; l’essai d’Anne Verjus consacré au lien entre l’évolution du modèle patriarcal et celle des modèles politiques républicains ; enfin, le récent numéro monographique de The History of the Family intitulé The Power of Fathers, qui couvre un arc chronologique compris entre l’Antiquité et le XIXe siècle. Ces contributions donnent seulement quelques exemples – importants, car impliquant la longue durée, la discussion théorique ou ses applications – d’un domaine de recherche toujours plus structuré et toujours plus large27.
20Si la famille n’est pas un produit naturel, le recours à cette catégorie dans le discours politique l’est moins encore. Il faut donc faire porter l’analyse sur la construction culturelle du concept de famille et sur la représentation des relations sociopolitiques que nous suggère son utilisation. La prise en considération, menée en termes d’histoire culturelle28, de personnages qui appartiennent au panorama familial et de catégories politiques ancrées en profondeur dans la culture d’Ancien Régime, comme celle de l’honneur, ont offert une image de la nation comme une « communauté de parenté et de descendance, dotée de sa généalogie et de son historicité spécifiques. Selon cette conception, le lien biologique entre les individus et les générations devient un lien essentiel »29. C’est le lexique qui exprime le plus clairement une construction culturelle qui puise dans la sphère intime et domestique aussi bien que dans la sphère publique, en soudant vocabulaire familier et vocabulaire politique. « De cette conception dérive aussi un système linguistique évocateur, fait de “mère patrie”, de “pères de la patrie”, de “frères d’Italie”, tandis que la “famille” devient constamment un synonyme de la communauté nationale dans son ensemble »30. Le lexique politique emprunte à celui de la famille et s’exprime au travers de métaphores et d’expressions récurrentes dans la communication politique occidentale, parce que celles-ci font référence à un horizon émotif et cognitif primaire, parce qu’elles sont directes et empathiques – on ajoutera au moins à une possible cartographie de ce lexique les « républiques sœurs », les « enfants de la Patrie », et le fait que le genre de la patrie, dans d’autres contextes, est masculin (« fatherland »).
21Une lecture sur la longue durée – qui ne signifie pas désintérêt pour une historicisation pertinente, mais capacité à saisir la persistance de différentes catégories et concepts dans l’imaginaire collectif – permet à présent de procéder, autour de la figure du roi/père et de la famille du roi, à un réexamen de la monarchie italienne, « rarement associée à la notion de modernisation »31, et pour cela même souvent oubliée, en replaçant la dynastie des Savoie au centre de la question de la nationalisation des Italiens et de la formation de la nation.
Hérédité et générations : transmission et appropriation
22L’adoption d’une vision ordonnée en sens vertical et patrilinéaire dans la lecture du pouvoir a suscité un vif intérêt pour la question de l’hérédité et de la transmission. Transmission des biens et des valeurs, matériels et immatériels32. La réciprocité qui s’établit dès lors entre système politique et choix de succession a orienté la recherche vers des dispositifs qui ont été pensés pour renforcer les familles sur le plan patrimonial, vers l’institution juridique de la substitution et de ses variables, fidéicommis et droit d’aînesse in primis33. Il en est donc issu une perspective ordonnée dans le sens du temps, qui a souligné la force prescriptive et d’orientation de l’aspect intergénérationnel, qui a fréquemment convoqué le terme controversé de « stratégie »34. Les alliances matrimoniales, les choix de succession, la politique dotale, la division des rôles et des carrières pour les descendants d’une famille impliquaient la présence de celle-ci sur la scène d’un pouvoir politique qui était gouverné par des logiques analogues et complémentaires de la logique domestique. En mettant l’accent sur la stratégie, les relations entre hommes et femmes ont été considérées en termes de complémentarité, comme un « jeu d’équipe » au sein duquel l’action des femmes est canalisée et subordonnée aux modalités par lesquels les « fronts parentaux » organisaient leur perpétuation privée et publique.
23Même si, comme le rappelait voici quelques années Marco Meriggi, « aucune branche de l’historiographie n’a ignoré les femmes (comme objets ou comme sujets des rapports de pouvoir) à l’égal de l’histoire politique », la visibilité croissante que leur ont accordé des enquêtes historiques récentes a contribué simultanément à modifier la conception même de pouvoir et d’espace public35 et à corriger l’idée d’une transmission exclusivement masculine. Les femmes aussi transmettent, en termes de biens patrimoniaux et de statut36. Toutefois, le rôle des mères et la transmission matrilinéaire ont également emprunté un canal privilégié dans le transfert générationnel de mémoire et de valeurs idéales37. Marquée par la différence de genre, la famille est actrice de la socialisation de ses membres et, pour ce qui nous intéresse ici, de leur « socialisation politique »38.
24La verticalité des liens entre générations et la nature publico-privée de la famille permettent donc de mieux comprendre les appartenances et les choix politiques pris entre hérédité et autodétermination, entre apprentissage d’un lexique des émotions et des idéalités qui s’entremêlent au choix politique. Ce dernier peut avoir été alimenté dans le cadre des liens familiaux, et orienté par le genre ; toutefois, pour être assumé, elle doit être actualisé, élaboré dans le temps contemporain. Les « mots » – les gestes, les idéalités, l’univers des valeurs – doivent être effectivement « recueillis » pour que l’hérédité puisse être concrètement actualisée39.
25Des réflexions récentes à propos de la catégorie de génération ont montré que la clef de lecture générationnelle se révélait utile à condition d’être utilisée comme une catégorie mineure, comme une perspective de recherche bien éloignée de la caractérisation catégorielle qui a toujours, par le passé, soulevé des doutes récurrents et une certaine insatisfaction parmi les historiens, qui persistaient toutefois à l’interroger40. Elle permet d’embrasser l’expérience privée et publique, familiale et politique, individuelle et collective, et peut donc être comprise comme un point d’observation intermédiaire depuis un espace historico-politique donné. En outre, elle s’offre comme clef de lecture du temps, un temps de la transmission ordonné verticalement et de la réception de cette tradition, ou de son refus : comme le rappelait Ortega y Gasset, il existe des « époques cumulatives », qui fonctionnent dans le sillon d’une tradition, et des « époques éliminatoires et polémiques », qui inaugurent des horizons non encore pensés41. Au-delà de cet enchevêtrement et de cette superposition de tradition et de changements, d’un passé qui passe ou d’un passé qui s’actualise, ce qui nous intéresse dans la perspective générationnelle est surtout son aspect de construction culturelle d’un discours d’identification commun.
Reconfigurations de la famille : horizontale et mobile
26La relation qu’entretiennent public et privé, et les formes par lesquelles la métaphore familiale restitue les hiérarchies familiales (et sociales) dans un contexte politico-historique donné sont, on le sait, changeantes : au cours de certaines époques, la force des liens horizontaux prédomine, ou s’est imposée comme principale clef historico-interprétative. La phrase de Steiner qui ouvre ces pages nous rappelle que les conquêtes idéales de la Révolution française ont modelé les constitutions du XIXe siècle sur la force des liens horizontaux et, in primis, sur l’égalité entre les frères ; elle nous rappelle aussi que ces frères sont redevenus des fils, à la faveur de la crise du début du XIXe siècle42.
27S’intéresser aux frères signifie placer l’attention sur le plan d’autres dispositifs, que la verticalisation du regard sur la famille, inscrit dans le rapport pères/fils a plutôt négligés, et qui s’intéressent, en général, aux liens collatéraux, précisément ceux d’une représentation intragénérationnelle des liens familiaux, mais aussi des liens sociaux et politiques que cultivent les différents sujets. Cette perspective – horizontale et synchronique – permet de mesurer l’accomplissement des parcours de construction des appartenances et des identités politiques des individus entre orientation domestique et autodétermination, tout en s’intéressant à une autre forme de famille, aux confins élargis, affranchie de sa verticalité mais aussi, dans certains cas, de sa permanence, et donc de ces caractères qui la qualifient à partir du lignage et de la maison.
28Différentes études récentes consacrées aux migrations internes et internationales des familles et des individus ont permis de réexaminer – grâce à la catégorie de la mobilité – la relation entre famille et systèmes sociaux, politiques et économiques, avec le double avantage d’avoir ainsi contribué à définir les changements qui ont affecté au fil du temps le sujet « famille », tout en repensant les narrations de l’histoire européenne dans son ensemble. En effet, si la famille n’est plus identifiée par la caractérisation prévalente dérivant de son « sedentary setting » – cet Haus où domine le Hausvater brunnerien –, tout un champ s’ouvre pour analyser les modalités et le poids – souvent dans la longue durée et dans un espace géographique inévitablement plus large – d’autres relations parentales, plus finement relevées par l’analyse des réseaux43.
29Dans la société actuelle, les changements introduits dans les relations entre parents et enfants, en termes d’identité culturelle et de conception de l’autorité des parents, dès lors que la mobilité contraint les familles à se confronter à des contextes culturels différents, sont tout à fait clairs à nos yeux44. Nous ne nous sommes pourtant pas longuement interrogés sur les répercussions que la comparaison avec les contextes sociopolitiques en pleine mutation a pu avoir, également dans les sociétés du passé, sur l’organisation des familles – non seulement en ce qui concerne les possibilités économiques ou d’ascension sociale à l’intérieur d’un contexte politique nouveau, ou modifié, mais aussi pour l’influence qu’elle a pu avoir sur la redéfinition des liens familiaux et sur les différents rôles et hiérarchies assumés par les figures parentales.
30La configuration différente qu’a pu prendre le rapport entre famille et contexte politique au fil du temps est particulièrement évidente à la faveur des moments de rupture et de changement politique et social : il est inutile de revenir ici sur l’impact de la Révolution française sur la désacralisation des catégories de paternité et de filiation, et donc sur les relations entre pères et fils, entre maris et femmes, sur la naissance d’une sphère domestique séparée de la sphère politique, en d’autres termes, sur les conséquences de ce grand « roman familial » que fut la Révolution française45.
31S’il est banal de considérer que le temps change la famille, le déplacement, le détachement de certains des membres de la famille-maison, la disposition dans un espace qui n’est plus de résidence partagée ont entraîné des changements dans les relations parentales et dans leurs hiérarchies internes, en créant une condition de « plasticité du noyau domestique » au sein duquel « on identifie surtout la force des liens familiaux horizontaux – entre siblings (frères et sœurs), beaux-frères proches du groupe parental et d’âge voisin, c’est-à-dire entre pairs, afin de compenser la faiblesse des liens verticaux »46, en laissant émerger des liens de solidarité et de remplacement : cela implique, par exemple, les reconfigurations des relations parentales dues à l’exil47, mais aussi celles qui concernent tous ceux qui sont en rapport avec une frontière48.
32Ces perspectives invitent à souligner d’autres aspects des relations parentales, et à ouvrir aux relations extra-parentales, pas toujours et pas uniquement en fonction d’une approche fonctionnaliste (le rôle des alliances politiques, économiques, matrimoniales), et permettent aussi de relever d’autres aspects qui les qualifient, comme la proximité, le partage ou la réciprocité : une galaxie de concepts qui nourrissent la collatéralité et qui sont applicables aux liens entre membres d’une même famille, tout en étant pertinents pour qualifier les réseaux sociaux et politiques qui les projettent vers l’extérieur. On compte parmi eux les liens d’amitié et de parenté spirituelle. Les premiers montrent comment la catégorie d’amitié doit aussi être reconnue comme l’un des parcours qualifiants d’accès à la vie civile et politique, et pas nécessairement comme la cause de leur dégénérescence49 ; les seconds, tout autant, comme mode de reconstruction des relations d’individus et de groupes parentaux qui peuvent ou se superposer, ou se substituer aux liens de sang50.
33Parmi les autres liens de collatéralité, les liens de fraternité sont dans le même cas. Les différences de genre et d’état juridique (aîné/ cadets, légitimes/illégitimes) qui marquent la vie des frères (et des sœurs) dans l’Ancien Régime, et conditionnent leur accès à l’héritage, à la formation, aux parcours de socialisation, en d’autres termes à la construction de leur identité, nous invitent à questionner leur définition sur les plans social et culturel.
34Dans le panorama des études consacrées à la famille, l’attention portée au lien entre les frères est un phénomène récent, et dont toutes les approches possibles n’ont pas encore été explorées – entre autres, celle du genre demeure certainement sous-exploitée. « Le lien de germanité est donc resté le parent pauvre de l’histoire de la famille, toutes périodes confondues » constatait récemment Didier Lett dans un texte qui précise toutefois que l’on constate actuellement un renouveau d’intérêt très significatif pour cette question51.
35Si les sciences sociales ont surtout enquêté sur différents aspects du lien entre frères (conflits/solidarité, ou structures de la fraternité), en en négligeant d’autres52, et si l’histoire du droit a montré la capacité des constitutions modernes à se conformer à l’idéal de fraternité53, différentes recherches historiques ont trouvé précisément une clef de lecture dans l’analyse des relations entre frères. Les frères de différentes générations de la famille des Bracci Cambini, étudiés par Roberto Bizzocchi, et en particulier ceux des générations du XIXe siècle, ou les Segardi racontés par Benedetta Borello, nous parlent à la fois de la vie et des choix (différents) opérés par les individus, du changement de signification de la famille et de l’horizon publico-politique54. La capacité à élargir ou à restreindre le champ de lecture, ou à mieux aborder ensemble l’individuel et le collectif, se mesure significativement, dans ces différentes recherches, au choix des sources : sources personnelles, papiers de famille.
Mémoire familiale et histoires de famille
36L’une des conditions fondamentales d’une lecture renouvelée de l’histoire du XIXe siècle et du Risorgimento, notamment dès lors qu’il s’agit de cerner la parenté comme la première des « figures profondes » sur lesquelles repose la construction de l’image de la nation, réside certainement dans l’intérêt qu’elle a porté à d’autres sources par rapport à celles de l’histoire politique traditionnelle. Ces sources ont suscité un renouvellement interprétatif de l’histoire politique entre public et privé et ont été largement utilisées dans l’historiographie italienne des dernières décennies, simultanément à l’intérêt parallèle que leur témoignaient les différentes historiographies européennes55. Mémoires, journaux, souvenirs, autobiographies, lettres, écrits privés de différents types qui sont à la base de bien des contributions les plus originales de la « nouvelle vague » historiographique56, portent sur le plan des sources, une fois encore, la crise herméneutique des sujets collectifs et la réémergence d’une attention portée à l’individu et à la dimension biographique57.
37La fécondité éditoriale relative à ces thèmes est aujourd’hui une évidence ; les études de cas se multiplient, tout comme les réflexions méthodologiques. La nouvelle sensibilité historique encourage aussi un réexamen des écrits personnels de personnages politiques sous un éclairage différent, plus attentif à l’utilisation de ces ensembles documentaires – parfois divisés en différents types – en tant qu’expression globale d’une biographie existentielle et politique. Je pense en particulier aux écrits de Karl von Zinzendorf, de Giuseppe Bencivenni Pelli ou de Paolo Mantegazza, pour me limiter ici à quelques exemples de documentation exceptionnellement importants entre le XVIIIe et le XIXe siècle58.
38Les chercheurs s’intéressent probablement moins, en revanche, à d’autres sources, qui permettent cependant de pénétrer la relation complexe entre famille et individu aussi bien au cœur de l’époque moderne qu’au XIXe siècle. Je me réfère ici aux livres de famille et aux histoires familiales. La rhétorique de l’affirmation de l’individu (pensée plus souvent comme antagoniste des stratégies de la famille, noble ou non), d’une part, et la séparation entre sphère publique et sphère privée comme qualification de la modernité de la politique, de l’autre, ont longuement eu pour corollaire une absence d’intérêt pour les écrits appartenant au registre familial : les histoires de famille ou, pour l’Ancien Régime, cet ensemble très diversifié d’écrits connus sous le nom de « livres de famille », n’ont pas été considérées comme des sources significatives, parce que centrées sur un sujet « collectif » et « privé ». Or, les écrits de famille peuvent au contraire avoir une grande importance, pas seulement en tant que « témoignage » documentaire, mais surtout comme « narration ». De ce dernier point de vue, il s’agit de véritables constructions discursives qui stratifient mémoire personnelle, mémoire familiale et mémoire politique.
39Les histoires de famille du XIXe siècle reconnaissent en effet la logique de cette construction et la reprennent, fût-ce en fonction d’une prétendue objectivité historique, sans simplifier ou séparer la complexité de la dimension existentielle érigée entre public et privé. Une première évidence de la recherche que j’ai entreprise sur la production historique concerne Mirabeau, entre histoire familiale et modèle politique. Elle montre qu’un trait significatif des études consacrées à Honoré Gabriel Mirabeau – aussi bien des articles de journaux les plus manifestement partisans que des études historiques – réside dans l’importance accordée à sa vie privée, à son enracinement dans la biographie et dans l’histoire familiale des Mirabeau, en insistant notamment sur le rapport avec son père. Ce sont donc les histoires monumentales de la famille Mirabeau, compilées au cours du XIXe siècle, qui sont susceptibles de renfermer biographie et histoire familiale insérées de manière exemplaire, dans ce cas précis, dans une reconstruction historique et dans un jugement politique59. Les pages – plus de 3 000 – que Louis de Loménie a rédigées avec l’ambition de régler ses comptes avec la Révolution comme il s’applique à le faire, de manière plus circonstanciée, au travers du personnage d’Honoré Gabriel, concernent « la famille tout entière de Mirabeau […], comme la personnification la plus originale de cette époque pleine de contrastes qu’on nomme le dix-huitième siècle »60. Une fois encore, la famille représente le cadre à l’intérieur duquel jauger biographie et histoire, jugement moral et jugement politique ; le passage générationnel entre père et fils est celui où le temps de l’Ancien Régime se « personnifie », et où s’inscrivent les termes de son épiphanie.
L’autobiographie entre histoire de famille et histoire générationnelle
40Si nous considérons la constellation variée d’écrits sur soi (autobiographies, mémoires, confessions, souvenirs, lettres), nous réaliserons qu’à travers elles – narrations volontaires et conscientes d’un sujet, expressions par excellence de son individualité –, nous pouvons voir comment leur auteur enracine sa propre définition dans l’histoire familiale. La construction personnelle s’y exprime, en effet, après s’être attardée sur la construction du mythe familial et la recherche d’une physionomie individuelle doit encore être bâtie dans le rapport (pacifique ou non) avec les autres membres de la famille.
41Si Rousseau, avec ses Confessions, inaugure un genre d’écriture profondément autoréférentiel, qui a été reconnu comme le modèle par excellence des écrits romantiques et des autobiographies du XIXe siècle, cela ne signifie pas pour autant que chaque cas d’auto-représentation suppose l’oblitération de son origine et la négation de ses racines. Ainsi, George Sand s’attarde-t-elle longuement sur l’histoire de sa famille comme prélude à sa biographie. Dans l’Histoire de ma vie, elle consacre une centaine de pages à identifier son « pacte autobiographique » avec un « pacte solidaire » vis-à-vis de son passé familial : « George Sand se dit surtout descendante d’une lignée, fille de ses pères, de ses ancêtres, patres et matres »61. Ce n’est qu’à partir de là – mais en en tenant dûment compte – que se définissent les contours de son individualité, et qu’une différente orientation du sentiment de solidarité dans lequel se reconnaître peut s’établir avec ses contemporains, plutôt qu’avec ses ancêtres. Cet « Écoutez ; ma vie, c’est la vôtre »62 est adressé à sa génération, et l’écriture autobiographique a pour ambition de se faire écriture générationnelle.
42La reconnaissance de la transmission de valeurs éternelles est souvent ramenée à l’horizon domestique, même quand la vie de l’auteur s’en écarte. C’est dans cette direction que vont I miei ricordi de Massimo d’Azeglio : maintes fois pensés comme un témoignage à l’intention des générations futures, rédigés au cours des dernières années de la vie de l’auteur, complétés et publiés un an après sa mort, en 1867. Un épisode de sa vie, la mort de son frère aîné Roberto, lui offre l’opportunité de prendre connaissance de son histoire familiale ou, comme il l’écrit, d’« examiner nos papiers et nos documents, en sorte que mon érudition archéologique sur l’histoire de ma famille a pu me projeter dans le passé même avant mon grand-père, une époque que je n’avais pas pu dépasser jusque-là »63. Si la mort de son frère aîné offre un prétexte à cette prise de conscience et à sa volonté de renouer avec un passé familial auquel il dit avoir été indifférent jusqu’alors, une suite de regards croisés constitue le dispositif, extrêmement intéressant, qui lui permet de parler de son père au travers du portrait qu’en a fait sa mère. Les parents, le père et la mère, font leur apparition dès les premières pages, dans lesquelles il explique ce qui le pousse à écrire. En relation étroite avec la définition du héros – « J’appelle héros ceux qui se sacrifient pour les autres : et non ceux qui sacrifient les autres à eux-mêmes » –, Massimo D’Azeglio dénonce ce qu’il considère comme une situation privilégiée :
Une chance toute à moi. Pour trouver des esprits choisis, dignes d’être placés en pleine lumière en tant que modèles de noble sacrifice et de vie intrépide, je n’ai pas à sortir de chez moi ; et je ne saurais mieux commencer cette étude critique de nombreuses existences, parmi lesquelles la mienne ne figure que pour fournir sa trame à une plus noble étoffe, je ne saurais, dis-je, mieux la commencer que par mon père et ma mère. Je voudrais inscrire leurs noms sur un monument bien plus pérenne et illustre que ne le sont ces pauvres pages, que je dédie à leur mémoire chérie et honorée64.
43La vie de D’Azeglio s’éloignera en tout, dans sa conduite privée comme dans ses choix politiques, de l’univers de valeurs des personnages qu’il inscrit ainsi dans son panthéon personnel65. Mais là n’est pas la question : ce qui nous intéresse ici, c’est de relever que la référence aux ancêtres, à l’histoire familiale, le tribut – fût-il désavoué dans les faits – à la généalogie, et de plus, la nécessité de partir de ce préambule narratif et symbolique pour raconter sa vie doivent nous amener à considérer l’importance de la permanence d’un schéma d’interprétation et de narration qui commence par la famille et la mesure de soi par rapport à ses membres.
« Tu es mon frère par l’âme et non par le sang »
44Développer des considérations plus approfondies sur la manière dont évoluent les rôles familiaux dans le récit sur soi et sur son origine, sur la manière dont les choix de position ou d’action politique mûrissent en rapport avec le contexte familial et la formation reçue, exigerait une analyse plus détaillée, et en même temps plus circonstanciée, que nous ne pouvons ici qu’effleurer. Toutefois, je voudrais introduire ici pour terminer – toujours dans le périmètre des écrits personnels – le cas d’une fraternité de sang qui est en même temps une fraternité d’élection profonde et réciproque. Carlo et Giani Stuparich, figures de l’irrédentisme triestin, intellectuels élevés dans les idéaux mazziniens, en collaborateurs de La Voce de Prezzolini, et surtout dans la conviction générationnelle de donner leur vie pour ce qu’ils considèrent comme leur patrie, nous ont laissé des pages d’une profonde intensité dans lesquelles le lien biologique entre frères est le présupposé d’une croissance morale et politique en totale syntonie, qui permet elle-même de mesurer avec quelle syntonie la jeune génération affronte la première guerre mondiale. Le père étant absent, c’est la figure maternelle qui assume ici la fonction parentale, en indiquant la direction idéale dans laquelle vont s’orienter leurs choix politiques :
La correspondance avec maman me donne toute une saveur, toute une plénitude, c’est le plat que l’on mange quand on a faim au retour d’une excursion ; elle te communique du bien-être, je sens que j’ai des liens indéracinables, un point auquel je reviens toujours. Sans ma famille, je me rends bien compte que je serais perdu : de combien de crises elle m’a sauvé ! […] Je me demande encore comment maman, qui m’a donné parfois une impression de fragilité, a eu au contraire cette force. Je lui ai écrit une fois en plaisantant qu’elle est un homme politique de tout premier plan, et je me rends compte peu à peu que cette plaisanterie était tout à fait sérieuse66.
45La famille représente un point de référence irremplaçable, comme le rappelle Carlo à plusieurs reprises dans ses pages. Si « la famille était centrée sur la mère », comme devait le souligner Giani quelques années plus tard67, dans les écrits de Carlo – lettres et pensées, rassemblées par son frère après sa mort au front – c’est le lien entre les deux frères, qui apparaît comme le résumé de l’univers moral et idéal qui dirige leurs vies, dans lequel ils mûrissent les raisons de leur adhésion à la guerre, en désertant l’armée autrichienne pour se ranger aux côtés des soldats italiens pour la libération de Trieste. De même, à la fin de ce conflit au cours duquel Carlo perdit la vie, la perte de son frère biologique devait représenter, pour celui des deux destiné à survivre, la mesure du désenchantement générationnel. C’est dans la réciprocité de leurs relations que les frères se forment, bien que celle-ci soit en partie déséquilibrée par une maturité que le plus jeune reconnaît au plus âgé auquel il se remet, bien qu’il n’existe entre eux que trois années de différence. Giani est le guide de Carlo : « Si tu n’existais pas, je me serais perdu, et peut-être pour toute la vie »68 ; un guide affectif, mais également un exemple au travers duquel se voir soi-même, et surtout un compagnon, un ami, un frère, parce qu’ils partagent un même patrimoine de projets et de sentiments, davantage que parce que le même sang coule dans leurs veines. Carlo écrit à cet égard :
Giani ! Je suis seul, très seul ; je suis aussi fort, je ne céderai jamais, je n’ai pas de larmes. Mais je ne peux et ne veux demeurer entièrement refermé en moi-même, il me faut une âme qui soit proche de la mienne et qui me libère de cette réclusion granitique et douloureuse, à laquelle aussi je puisse m’appuyer. Toi seul peux être cette âme. Oui. Tu sais, je ne fais pas de rhétorique, je parle avec émotion et conviction. Je ne t’ai jamais aimé autant qu’aujourd’hui. Auparavant, bien sûr, je t’aimais, mais avec une stupide admiration, et avec un stupide préjugé lié au sang qui coule dans nos veines. Non ! Aujourd’hui, je t’aime pour ton âme, pour ton esprit, tu es mon frère par l’âme et non par le sang69.
46Plus loin : « Toi seul peux me comprendre, tu me comprends, et mon esprit doit vivre avec le tien. Giani : c’est ainsi que tu dois être mon frère »70. C’est un rapport volontairement choisi, de partage total et d’aliment réciproque que Carlo demande à Giani : la fraternité d’âmes et la communion d’intentions dans laquelle on n’est pas, mais on « se sent » semblables, une fraternité vécue comme élective, et non de condition : semblable à celle qui unissait les frères Schlegel, dans une perspective romantique, ou un autre couple illustre de frères, Bernardo et Silvio Spaventa, intellectuels voués à la cause politique, dans une perspective idéaliste71.
47À la fin de la guerre, le lien spirituel avec Carlo est continuellement vivifié dans la mémoire de Giani, qui poursuit une conversation idéale avec « ce frère perdu, ce seul ami de ma vie » – comme il l’écrit en faisant coïncider, dans le rapprochement des termes, fraternité et amitié – dans ses Colloqui con mio fratello, un « livre qui ressemble à un temple », comme l’écrivit Svevo72.
Parfois, j’essaie de discuter ave l’âme de mon frère. […] Et je reviens aux choses de la vie après chaque entretien avec un sens de plus grand équilibre et surtout d’humilité. […] et je vois bien alors l’inanité de l’apostolat, je frémis en pensant que quelques hommes, au nom d’un idéal abstrait, aient pu faire mourir de faim et de douleur des millions et des millions d’autres, alors je reprends ma petite place, je cherche à vivre plus concrètement parmi les miens73.
48La perte du frère est la mesure existentielle du jugement moral plus général et pessimiste porté sur la guerre, sur la violence et sur la mort comme conséquence de l’idéal politique. Giani Stuparich devait continuer à compter avec la perte et la fin d’une illusion générationnelle, et à le faire en reprenant les écrits de Carlo, ces papiers, les « notes, les lettres, les cartes postales, pleines de cette écriture mâle et vibrante […], ces pages retrouvées, ces cartes postales militaires qui portent encore la trace de la boue des tranchées, certaines phrases intenses » qui le bouleversaient au point de l’obliger à interrompre son travail de classement pour dominer son émotion, « pour laisser passer la crue »74. Ce ne sont pas sur les affects de la relation fraternelle, si puissants soient-ils, qu’il faut nous attarder, mais plutôt sur l’importance, pour la reconstruction de la mémoire, de la prégnance des écrits et des mots de Carlo, de la prégnance même physique dont ils sont lourds : la matérialité de l’écriture, les traces de boue, ces aspects non négligeables de la documentation privée. Ces papiers ne sont pas seulement le témoignage de sa vie mais aussi, dans le projet de les publier que nourrit son frère, des « écrits [dans lesquels] se reflète la crise intellectuelle et psychique de toute une génération d’avant-garde »75. Ils portent les signes tangibles de son apocalypse.
Notes de bas de page
1 G. Steiner, Le Antigoni, Milan, 2011 (ed. or. : Antigones, Oxford, 1984), p. 29.
2 Ibid., p. 127.
3 Parmi les relectures politiques les plus connues, signalons seulement celles d’Anouilh et de Brecht. Cf. Sofocle, Anouilh, Brecht, Antigone : variazioni sul mito, éd. par M. G. Ciani, Venise, 2007.
4 Parmi de nombreux exemples, voir l’essai de M. Bettini, Il fratello di Antigone : dilemmi parentali, survivals e regole del lutto, dans Id., Affari di famiglia : la parentela nella letteratura e nella cultura antica, Bologne, 2009, p. 321-338.
5 Cf. M. Recalcati, Il complesso di Telemaco : genitori e figli dopo il tramonto del padre, Milan, 2013 et Id., Cosa resta del padre ? La paternità nell’epoca ipermoderna, Milan, 2011 ; E. Bianchi, M. Cacciari, I. Dionigi, P. Grossi, M. Recalcati, B. Spinelli, Eredi : ripensare i padri, Milan, 2012 ; F. Stoppa, La restituzione : perché si è rotto il patto tra le generazioni, Milan, 2011.
6 Pour une discussion du thème de l’« arbre » et de l’utilisation complexe du terme de « racines », cf. M. Bettini, De l’arbre aux racines : une question à Christiane, dans I. Chabot, J. Hayez, D. Lett (dir.), La famille, les femmes et le quotidien (XIVe-XVIIIe siècle) : textes offerts à Christiane Klapish-Zuber, Paris, 2006, p. 105-109 qui fait référence à C. Klapish-Zuber, L’ombre des ancêtres : essai sur l’imaginaire médiéval de la parenté, Paris, 2000 et voir aussi Id., Contro le radici : tradizione, identità, memoria, Bologne, 2011.
7 U. Saba, Scorciatoie e raccontini, éd. par S. Perrella, Turin, 2011 (1a éd. 1946), p. 8.
8 L. Casella (dir.), Generazioni familiari e generazioni politiche, dans Cherion, 49, 2008 [2010].
9 G. Delille, L’economia di Dio : famiglia e mercato tra cristianesimo, ebraismo, islam, Rome, 2013, p. 148.
10 Ibid., p. 149.
11 P. Ginsborg, Uncharted Territories : Individuals, Families, Civil Society and the Democratic State, dans J. Nautz, P. Ginsborg, T. Nijhuis (dir.), The Golden Chain : Family, Civil Society, and the State, New York-Oxford, 2013 p. 17.
12 F. Ramella, Appunti su famiglia, mobilità, consumi, dans P. Lanaro (dir.), Microstoria : a venticinque anni da L’eredità immateriale, Milan, 2011, p. 79-88.
13 On trouvera une riche discussion sur le sort et la direction donnée actuellement à l’histoire de la famille dans le recueil d’articles intitulé A proposito di quattro libri recenti di storia della famiglia, dans Quaderni storici, 143, 2013, p. 1-52.
14 J’emprunte ici les termes du titre d’un essai de Giorgio Ferigo, repris à présent dans celui du premier des volumes qui rassemblent ses écrits : G. Ferigo, Le cifre, le anime : scritti di storia della popolazione e della mobilità in Carnia, éd. par C. Lorenzini, Udine, 2010. Les recherches qui se fixent explicitement comme objectif de dépasser l’approche anthropologique de la parenté ou de la démographie historique, et de lire les liens familiaux à l’aune des sentiments et de l’agency sont devenues beaucoup plus nombreuses au cours de ces dernières années, comme en témoigne un récent numéro de Clio consacré précisément aux Liens familiaux. Cf. l’essai introductif dans A. Fine, C. Klapish-Zuber, D. Lett (dir.), Liens familiaux, dans Clio. Histoire, femmes et société, 34, 2011 et, plus récemment, A. Bellavitis, L. Casella, D. Raines (dir.), Construire les liens de famille dans l’Europe moderne, Rouen, 2013.
15 I. Mineo, Stati e lignaggi in Italia nel tardo medioevo : qualche spunto comparativo, dans Storica, 2, 1995, p. 55-82 ; P. Ginsborg, Famiglia, società civile e stato nella storia contemporanea : alcune considerazioni metodologiche, dans Meridiana, 17, 1993, p. 179-208.
16 C. Casanova, La famiglia italiana in età moderna (secoli XVI-XIX), Rome, 1997, p. 45.
17 G. Delille, Famille et propriété dans le Royaume de Naples (XVe-XIXe siècle), Paris-Rome, 1985 (trad. it. Famiglia e proprietà nel Regno di Napoli, XV-XIX secolo, Turin, 1988) ; P. Macry, Ottocento : famiglia, élites e patrimoni a Napoli, Turin, 1988.
18 I. Porciani, Famiglia e nazione nel lungo Ottocento, dans Ead. (dir.), Famiglia e nazione nel lungo Ottocento italiano : modelli, strategie, reti di relazioni, Rome, 2006, p. 52 et 53.
19 C. Mozzarelli, Premessa, dans Id. (dir.), « Familia » del Principe e famiglia aristocratica, vol. I, Rome, 1988, p. X.
20 Pour approfondir cette phase des études, on se reportera à L. Casella, Patriziati : una categoria in disuso ?, dans M. Fantoni, A. Quondam (dir.), Le parole che noi usiamo : categorie storiografiche e interpretative dell’Europa moderna, Rome, 2008, p. 133-148.
21 Les recherches de Cesare Mozzarelli ont largement contribué, et de manière anticipée, à la « rupture du paradigme de l’État moderne » : dans son dernier volume, Franco Benigno en rappelle certaines, dont il met l’importance en évidence au cours de cette phase des études (F. Benigno, Parole nel tempo : un lessico per pensare la storia, Rome, 2013, p. 179), dans le chapitre intitulé Stato moderno (p. 163-184), auquel je renvoie aussi pour une discussion sur la parabole de cette locution dans l’historiographie européenne. D’autres « mots », qui forment le récent volume de Benigno, sont utiles dans le cadre qui nous occupe ici : Potere (p. 141-162), Generazioni (p. 37-77) et Identità (p. 31-56). De nombreux écrits de Cesare Mozzarelli sur ces questions sont aujourd’hui rassemblés dans C. Mozzarelli, Antico regime e modernità, Rome, 2008.
22 G. Chittolini, A. Molho, P. Schiera (dir.), Origini dello Stato : processi di formazione statale in Italia fra medioevo ed età moderna, Bologne, 1994. Pour le débat qui s’est ouvert au cours des années suivantes autour des catégories d’« État » et de « moderne », voir encore F. Benigno, Parole nel tempo… cit., p. 163 sq.
23 S. Seidel Menchi, Storia alta, storia sommessa : dicotomia della ricerca e storia della famiglia, dans A. Bellavitis, I. Chabot (dir.), Famiglie e poteri in Italia tra Medioevo ed Età moderna, Rome, 2009, p. 17-31, p. 29.
24 On en a quelques exemples, pour l’Italie, rassemblés dans A. Bellavitis, I. Chabot (dir.), Famiglie e poteri… cit. Cf. aussi L. Coste (dir.), Liens de sang, liens de pouvoir : les élites dirigeantes urbaines en Europe occidentale et dans les colonies européennes (fin XVe-fin XIXe siècle), Rennes, 2010.
25 A. Du Crest, Modèle familial et pouvoir monarchique (XVIe-XVIIIe siècles), Aix-en-Provence-Marseille, 2002. ; I. Chabot, Le gouvernement des pères : l’État florentin et la famille (XIVe-XVe siècles), dans J. Boutier, S. Landi, O. Rouchon (dir), Florence et la Toscane, XIVe-XIXe siècles : les dynamiques d’un État italien, Rennes, 2004, p. 241-263. Les considérations qui m’ont été les plus utiles, et qui vont dans la direction que je me suis proposée de suivre ici, figurent dans C. Brice, Métaphore familiale et monarchie constitutionnelle : l’incertaine figure du roi « père » (France et Italie au XIXe siècle), dans G. Bertrand, C. Brice et G. Montègre, Fraternité : pour une histoire du concept, Grenoble, 2012, p. 157-185.
26 J. Delumeau, Préface, dans J. Delumeau, D. Roche (dir.), Histoire des pères et de la paternité, Tours, 1990, p. 9.
27 M. Cavina, Il padre spodestato : l’autorità paterna dall’antichità a oggi, Rome-Bari, 2007 ; A. Arru (dir.), Pater familias, Naples, 2002 ; A. Verjus, Du patriarchalisme au paternalisme : les modèles familiaux de l’autorité politique dans les Républiques de France et d’Amérique, dans P. Serna (dir), Républiques sœurs : le Directoire et la Révolution atlantique, Rennes, 2009, p. 35-51 ; M. Lanzinger (dir.), The power of fathers, dans The history of the family, 17-3, 2012.
28 C. Brice, La storia culturale del politico : stato dell’arte, risultati, proposte, dans Memoria e ricerca, 40, 2012, p. 55-74.
29 La « nouvelle vague » historiographique reconnaît son origine dans le volume de A.M. Banti, La nazione del Risorgimento : parentela, santità e onore alle origini dell’Italia unita, Turin, 2000 et dans A.M. Banti, P. Ginsborg (dir.), Il Risorgimento, Turin, 2007 (Storia d’Italia, Annale, 22), qui offre une première représentation importante des différents parcours de recherche qui en procèdent. Voir aussi A.M. Banti, A. Chiavistelli, L. Mannori, M. Meriggi (dir.), Atlante culturale del Risorgimento : lessico del linguaggio politico dal Settecento all’Unità, Rome-Bari, 2011 et A.M. Banti, Sublime madre nostra : la nazione italiana dal Risorgimento al fascismo, Rome-Bari, 2011, d’où sont extraites (p. 15) les citations données ici.
30 Ibid.
31 C. Brice, J.M. Luzón, Introduzione à Monarchia, nazione e nazionalismo in Europa (1830-1914), dans Memoria e ricerca, 42, 2013, p. 7-13, p. 7 et C. Brice, La monarchia e la nazionalizzazione degli italiani (1861-1900), dans Memoria e ricerca, 42, 2013, p. 69-85.
32 A. Bellavitis, L. Croq, M. Martinat (dir.), Mobilité et transmission dans les sociétés de l’Europe moderne, Rennes, 2009 ; A. Bellavitis, I. Chabot (dir), La justice des familles : autour de la transmission des biens, des savoirs et des pouvoirs (Europe, Nouveau Monde, XIIe-XIXe siècles), Rome, 2011.
33 Cf. J.-C. Chauvard, A. Bellavitis, P. Lanaro (dir.), Fidéicommis : procédés juridiques et pratiques sociales (Italie-Europe, Bas Moyen Âge-XVIIIe siècle), dans MEFRIM, 124-2, 2012, p. 321-605.
34 Voir les considérations figurant dans D. Lombardi, Famiglie di antico regime, dans G. Calvi (dir.), Innesti : donne e genere nella storia sociale, Rome, 2004, p. 199-221 ; I. Fazio, « Legami forti » e storia della famiglia in Italia : questioni di metodo, questioni di genere, dans Storica, 33, 2005, p. 7-39 ; I. Fazio, D. Lombardi (dir.), Generazioni : legami di parentela tra passato e presente, Rome, 2006.
35 M. Meriggi, Privato, pubblico, potere, dans G. Calvi (dir.), Innesti… cit., p. 39-51, p. 41. Le volume de L. Arcangeli et S. Peyronel (dir.), Donne di potere nel Rinascimento, Rome, 2008, a été l’occasion d’une large discussion autour de cette question.
36 G. Calvi, I. Chabot (dir.), Le ricchezze delle donne : diritti patrimoniali e poteri familiari in Italia (XIII-XIX), Turin, 1998.
37 M. D’Amelia, La mamma, Bologne, 2005.
38 C. Brice, La storia culturale del politico… cit., p. 71.
39 Pour paraphraser le titre d’A. Arisi Rota, « Noi raccogliemmo quelle parole » : engagement politique et échange intergénérationnel dans la Giovine Italia, dans L. Bantigny, A. Baubérot (dir.), Hériter en politique : filiations, génerations et trasmissions politiques (Allemagne, France et Italie, XIXe-XXIe siècle), Paris, 2011, p. 237-251 ; voir aussi A. Arisi Rota, I piccoli cospiratori : politica ed emozioni nei primi mazziniani, Bologne, 2010.
40 Cf. L. Casella (dir.), Generazioni familiari… cit., et l’article, déjà cité, Generazioni, dans F. Benigno, Parole nel tempo… cit.
41 J. Ortega y Gasset, Il tema del nostro tempo, Varese, 1994 (éd. orig. 1923), p. 77
42 Ou comme les « enfants de la patrie » deviennent les « fratelli di Francia » dans une récente traduction italienne ; cf. P. Serna, Fratelli di Francia : storia e storiografia di una rivoluzione divenuta repubblicana (1792-1804), Milan, 2013.
43 Voir les études de cas rassemblées dans C. H. Johnson, D. W. Sabean, S. Teuscher, F. Trivellato (dir.), Transregional and Transnational Families in Europe and beyond, New York-Oxford, 2011, qui couvrent une période comprise entre le Moyen Âge et nos jours et, pour des considérations générales, l’introduction de ses éditeurs (p. 1-21). Cf. aussi C. H. Johnson, D. W. Sabean (dir.), Siblings Relations and the Transformations of European Kinship, 1330-1900, New York-Oxford, 2011 ; D.W. Sabean, S. Teuscher, J. Mathieu (dir.), Kinship in Europe : Approaches to Long-Term Development (1300-1900), New York-Oxford, 2007.
44 « Ce n’est pas un hasard si l’on dit souvent des fils des émigrés qu’ils sont les médiateurs culturels de leurs propres parents, en assumant parfois le rôles d’adultes, “de géniteurs” par rapport à eux, avec des effets qui ne sont plus linéaires sur les rapports d’autorité. Dans tous les cas, la discontinuité, aussi bien culturelle que de contexte produite par les migrations met rudement à l’épreuve les rapports et les mandats intergénérationnels » (C. Saraceno, Un comandamento inattuale ?, dans G. Laras, C. Saraceno, Onora il padre e la madre, Bologne, 2010, p. 85-130, p. 105).
45 J. Delumeau, D. Roche (dir.), Histoire des pères… cit. ; A. Verjus, Le bon mari : une histoire politique des hommes et des femmes à l’époque révolutionnaire, Paris, 2010 (trad. it. Bari 2012) ; G. Fraisse, Les deux gouvernements : la famille et la Cité, Paris, 2000 ; J. Heuer, A. Verjus, L’invention de la sphère domestiques au sortir de la Révolution, dans Annales historiques de la Révolution française, 327, 2002, p. 1-28 ; L. Hunt, Le roman familial de la Révolution française, Paris, 1995 (ed. or. 1992).
46 S. Cavallo, L’importanza della « famiglia orizzontale » nella storia della famiglia italiana, dans I. Fazio, D. Lombardi (dir.), Generazioni : legami di parentela tra passato e presente, Rome, 2006, p. 69-92, p. 72 et 73.
47 C. Brice, S. Aprile (dir.), Exil et fraternité en Europe au XIXe siècle, Bordeaux, 2013.
48 Cf. L. Casella, A. Bellavitis, D. Raines (dir.), Famiglie al confine, dans MEFRIM, 125-1, 2013, p. 5-140.
49 G. Angelini, M. Tesoro (dir.), De Amicitia Scritti dedicati ad Arturo Colombo, Milan, 2007. Un congrès, organisé par C. Continisio et D. Frigo, a placé l’attention sur cette catégorie durant une longue période (XVe-XIXe siècle), et dans un vaste champ disciplinaire : Amicizia : legami sociali et forme della politica in età moderna et contemporanea, Milan, 29 novembre-1er décembre 2012.
50 G. Alfani, V. Gourdon (dir.), Spiritual kinship in Europe, 1550-1900, Londres, 2012.
51 D. Lett, L’histoire des frères et de sœurs, dans A. Fine, C. Klapish-Zuber et id. (dir.), Liens familiaux… cit., p. 182-202, p. 183 auquel je renvoie notamment pour la richesse de ses références bibliographiques. F. Boudjaaba, C. Dousset, S. Mouysset (dir.), Frères et sœurs du Moyen Âge à nos jours, Brothers and Sisters from the Middle Ages to the Present, Berne, 2016.
52 A. Fine, Frères et sœurs en Europe dans la recherche en sciences sociales, dans A. Fine, C. Klapish-Zuber, D. Lett (dir.), Liens familiaux… cit., p. 167-181.
53 M. Borgetto, La notion de fraternité en droit publique français : le passé, le présent et l’avenir de la solidarité, Paris, 1993 ; F. Pizzolato, Appunti sul principio di fraternità nell’ordinamento giuridico italiano, dans Rivista internazionale dei diritti dell’uomo, 2001, p. 745-806.
54 R. Bizzocchi, In famiglia : storie di interessi e affetti nell’Italia moderna, Rome-Bari, 2001 ; B. Borello, La « tirannia di quelle canaglie di Francesi » e i sacrifici « alla conservazione della casa » : la generazione rivoluzionaria a Siena (secc. XVIII-XIX), dans L. Casella (dir.), Generazioni familiari… cit., p. 179-210., mais voir maintenant B. Borello, Il posto di ciascuno : fratelli, sorelle e fratellanze (XVI-XIX secolo), Rome, 2016.
55 G. Ciappelli (dir.), Memoria, famiglia, identità tra Italia ed Europa nell’età moderna, Bologne, 2009 ; R. Dekker (dir.), Egodocuments and history : autobiographical Writing in social context since the Middle Ages, Hilversum, 2002 ; J.-P. Bardet, E. Arnoul, F.-J. Ruggiu (dir.), Les écrits du for privé en Europe du Moyen Âge à l’époque contemporaine : enquêtes, analyses, publications, Bordeaux, 2010.
56 Au sein d’un panorama éditorial auquel il est tout à fait impossible de rendre ici justice de manière même approximative, je renvoie du moins aux mélanges édités dans M. L. Betri, D. Maldini Chiarito (dir.), Dolce dono graditissimo : la lettera privata dal Settecento al Novecento, Milan, 2000 et Id., Scritture di desiderio e di ricordo : autobiografie, diari, memorie tra Settecento e Novecento, Milan, 2007 ; pour l’époque contemporaine, au projet et aux publications liées à la Fondazione Archivio diaristico nazionale di Pieve Santo Stefano. On a consacré une attention particulière aux recueils de lettres qui ont nourri pour la plupart une relation familiale, amoureuse ou amicale : ces sources révèlent une forme de communication qui parvient à restituer à la fois la nature intime et la dimension civique, parfois même l’épaisseur de l’engagement politique d’une existence ; cf. M. Bonsanti, Amore familiare, amore romantico e amor di patria, dans A. M. Banti, P. Ginsborg (dir.), Il Risorgimento… cit., p. 127-152 ; M. Pacini (dir.), Da casa Pintor, un’eccezionale normalità borghese : lettere familiari, 1908-1968, Rome, 2011.
57 S. Loriga, Le petit x : de la biographie à l’histoire, Paris, 2010 ; L. Riall, Garibaldi : l’invenzione di un eroe, Rome-Bari, 2007.
58 Sur von Zinzendorf et Bencivenni Pelli, voir respectivement A. Trampus, Autobiografia e costruzione della memoria : Karl von Zinzendorf (1739-1813), la sua vita e il suo diario, dans R. Pasta (dir.), Scritture dell’io fra pubblico e privato, Rome, 2009, p. 207- 223 et certains des essais figurant dans le même volume. Pour Mantegazza, je renvoie à F. Millefiorini, Il 1848 a Milano nel diario di Paolo Mantegazza, dans M. L. Betri, D. Maldini Chiarito (dir.), Scritture di desiderio… cit., p. 333-349.
59 L. Casella, « Comment, en dix ans, ce démon d’une famille est-il devenu le dieu d’une nation ? Question profonde ! » : storia familiare e storia politica nella storiografia ottocentesca sui Mirabeau, dans L. Casella (dir.), Generazioni familiari… cit., p. 137-157.
60 L. et Ch. De Lomenie, Les Mirabeau : nouvelles études sur la société française au XVIIIe siècle, Paris, 1879, vol. I, p. IV.
61 S. Bernhard-Griffiths, « Histoire de ma vie » de George Sand : les opacités dialectiques d’une écriture autobiographique, dans S. Bernard-Griffiths et J.-L. Diaz (dir.), Lire « Histoire de ma vie » de George Sand, Clermont-Ferrand, 2006, p. 5-23, p. 12-13.
62 G. Sand, Histoire de ma vie, éd. par M. Reid, Paris, 2004, vol. II, p. 199.
63 M. D’Azeglio, I miei ricordi, Milan, 1956, p. 23.
64 M. D’Azeglio, I miei ricordi… cit., p. 23-24.
65 Cf. P. Ginsborg, Romanticismo e Risorgimento : l’io, l’amore e la nazione, dans A.M. Banti, P. Ginsborg (dir.), Il Risorgimento… cit., p. 5-67, p. 48 sq.
66 C. Stuparich, Cose e ombre di uno, éd. par G. Stuparich, Caltanissetta-Rome, 1968 (3e éd.), p. 131. Les lettres, les écrits et les pensées de Carlo ont été rassemblés à la fin de la guerre par son frère Giani, et publiés en 1919. En mai 1916, sur le mont Cengio, Carlo, sous-lieutenant des grenadiers « presque tous ses hommes étant morts ou blessés, et les munitions étant épuisées, se donna la mort pour ne pas tomber vivant entre les mains de l’odieux adversaire », comme l’indique la motivation formulée pour l’obtention de la médaille d’or au courage qui lui fut alors conférée : cf. C. Stuparich, Cose e ombre… cit., p. XX.
67 Ce sont les termes de la Prefazione à la seconde édition des écrits de Carlo (1933), cf. C. Stuparich, Cose e ombre… cit., p. XVII. Sur la « grande intensité émotive qui caractérise au cours de ces années le rapport entre mère et fils », voir M. D’Amelia, La mamma… cit., chapitre Madri e Grande guerra ; cette citation se trouve à la p. 169. On trouvera une analyse de l’importance du rôle du père dans l’éducation au patriotisme de leurs fils par rapport à une génération trop souvent interprétée en termes auto-référentiels et juvéniles dans E. Papadia, Di padre in figlio : la generazione del 1915, Bologne, 2012.
68 C. Stuparich, Cose e ombre… cit., p. 92.
69 C. Stuparich, Cose e ombre… cit., p. 93-94.
70 Ibid., p. 94.
71 Ce même Carlo évoque ces exemples dans une lettre à Giani : cf. F. Salimbeni, Prefazione, dans C. Stuparich, Cose e ombre di uno : pagine scelte, Monfalcone, 2001, p. 8.
72 G. Stuparich, Colloqui con mio fratello, éd. par C. De Michelis, Venise, 1985 (1re éd. 1925). La citation est en revanche issue de la Prefazione de G. Stuparich dans Id., Cose e ombre… cit., p. XIII.
73 Lettre, Trieste, 5 juillet 1922, dans F. Senardi, Il giovane Stuparich. Trieste, Praga, Firenze, le trincee del Carso, Trieste, 2007, p. 298.
74 Prefazione de G. Stuparich, dans C. Stuparich, Cose e ombre… cit., p. XIII
75 Ibid., p. XIV. Cf. aussi les considérations de I. Payet, Lien fraternel et fraternité dans la littérature narrative italienne (1860-1920), dans G. Bertrand, C. Brice et G. Montègre, Fraternité : pour une histoire du concept, Grenoble, 2012, p. 207-226, p. 223 sq.
Notes de fin
1 Toutes les citations ont été traduites de leur langue originale en français.
Auteur
Università di Udine, Dipartimento di studi umanistici e del patrimonio culturale (DIUM) (Udine, Italie)
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