Chapitre 8. « La voluta utilità in vantaggio del fideicomisso » : les dérogations par la grâce
p. 345-379
Texte intégral
1Parce que les fidéicommis relèvent de la loi positive, la doctrine s’est accordée pour reconnaître au prince la faculté de lever l’inaliénabilité des biens, en posant toutefois comme condition que ce soit pour une juste cause2. À Venise, la libération des biens conditionnés cum licentia Principis est fixée dans le dernier paragraphe de la loi du 4 septembre 1546 qui est, pour l’essentiel, consacré à la vente des biens en ruine. Le Grand Conseil, qui a adopté la loi, se réserve le pouvoir de délier un bien par la concession d’une grâce réunissant les cinq-sixièmes des votants3. À l’instar d’autres États italiens4, la faculté de libérer ce que le système politico-judiciaire défend avec vigueur est du ressort de la plus haute magistrature. Comme le rappellent les Avogadori di Comun dans un de leurs avis, la loi, en précisant l’instance qui a autorité pour lever l’inaliénabilité, réaffirme implicitement la prohibition qui frappe les biens sous fidéicommis, de sorte que la dérogation revêt toujours un caractère exceptionnel, qui requiert l’intervention de la puissance souveraine.
2À la différence d’autres États italiens où les dispenses relatives aux biens fidéicommissaires sont conservées dans une série spécifique, elles sont mêlées à Venise aux autres grâces octroyées par le Grand Conseil, ce qui rend leur identification et leur pesée plus compliquées. Cette occultation archivistique, que la Chancellerie tente de corriger au milieu du XVIIIe siècle, explique pourquoi la connaissance de la procédure conduisant à la grâce est restée aussi lacunaire. De même, l’extension de la juridiction du Grand Conseil à la Terre Ferme, qu’établit la jurisprudence, pose la question de l’existence ou non d’instances locales qui auraient des prérogatives en matière de vente et de permutation de biens conditionnés.
3Si la puissance souveraine se croit autorisée à la levée de la prohibition, elle ne sort pas du cadre conceptuel érigé autour de la défense des fidéicommis. C’est au nom de leur préservation qu’elle agit, à leur « avantage » qu’elle accepte une permutation, pour leur « utilité » qu’elle prend une décision apparemment en contradiction avec les volontés du testateur. En s’immisçant entre le fondateur et l’héritier, elle se fait l’interprète des intérêts du fidéicommis.
La concession parcimonieuse de la grâce
La voie de la grâce
4La conquête par la Sérénissime d’un domaine maritime, puis d’un domaine continental, s’est accompagnée du maintien des privilèges et des traditions juridiques locales par l’intermédiaire des actes de dédition5. L’État vénitien se caractérise donc par l’existence de deux systèmes juridiques autonomes : celui de la Dominante, fondée sur la coutume et la médiation de juges issus du patriciat et qui ne sont pas des professionnels du droit, et celui de Terre Ferme, polycentrique et régi par le droit commun, entre les mains des pouvoirs locaux. Ces deux systèmes n’ont cependant pas évolué pas de façon séparée car Venise se réserve les juridictions d’appel des causes civiles et contrôle, par l’intermédiaire du Conseil des Dix, les cours locales compétentes en matière pénale. De même, les sujets disposent du droit de s’adresser, par une supplique, à l’autorité souveraine pour obtenir par la voie de la grâce ce qui ne peut pas être obtenu par la voie ordinaire, en particulier une accélération de procédure, la modification d’un parcours judiciaire, ou le transfert de la cause, par délégation, à un tribunal vénitien pour obtenir un arbitrage plus équitable6. Ces demandes se rencontrent dans des situations de conflits où le dépaysement du procès vers la Dominante est le moyen d’échapper aux pressions des factions locales. L’adresse d’une supplique pour demander la levée de l’inaliénabilité des biens s’inscrit dans un contexte différent à double titre : d’abord, parce qu’elle n’a pas lieu dans le cadre d’un litige judiciaire entre deux parties ; ensuite, parce qu’elle ne demande pas à emprunter une voie extraordinaire du fait de la lenteur, de l’obstruction ou de la partialité de la voie ordinaire. La concession d’une grâce du Grand conseil est la seule voie possible pour vendre légalement un bien lié7.
5Outre la levée de l’inaliénabilité des biens conditionnés, le Grand Conseil se réserve les demandes de suspension de bannissement, de pensions de la part d’anciens marins et soldats en échange des services rendus à la République (povero al pevere), de pensions en faveur de nobles ou de cittadini désargentés (Cento offizii) et de validation des codicilles testamentaires non enregistrés devant notaire. Quel est le point commun entre tous ces domaines ? Aucun, si ce n’est la sollicitation d’une grâce. Pourquoi l’organe souverain n’a-t-il pas délégué le traitement de ces suppliques à d’autres magistratures ? Pourquoi a-t-il considéré qu’elles relevaient du domaine de la grâce dont il était le seul dispensateur ? Toutes sollicitent l’obtention d’une faveur qui déroge au cours ordinaire des choses. En matière pénale, la levée du bannissement vaut remise de peine ; dans le domaine civil, la levée de la prohibition de vendre va à l’encontre de la volonté du testateur. Parce qu’elle est soumise à un régime dérogatoire, la grâce requiert l’examen de la situation personnelle du suppliant. Par elle, le Prince exprime son sens de l’équité en accédant à une demande individuelle dans le respect de l’intérêt commun. Il s’agit d’un acte éminemment politique par lequel le patriciat, comme corps, réaffirme qu’il est non seulement le législateur, mais aussi le dispensateur suprême de la justice.
6Les fascicules des grâces concédées par le Grand Conseil sont conservés, par ordre chronologique, indépendamment de la typologie des demandes. Ceux relatifs au fidéicommis se trouvent donc mélangés avec d’autres dossiers, avec parfois, au côté du nom du requérant au revers du double feuillet, la mention « bona conditionata » ou « permuta fidecommisso ». Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, les grâces font l’objet d’un classement typologique sur feuillet libre inséré en début de chaque année. Cette opération est liée à la compilation, en 1777, dans un unique registre des grâces de biens conditionnés depuis 1701, qui sera complété jusqu’en 17958. Y sont recopiées les spedizioni rédigées par le notaire ducal après le vote de la grâce du Grand Conseil et qui sont insérées dans les liasses des grâces en tête de chaque fascicule. L’absence d’une série exclusivement dédiée aux dérogations est partiellement compensée par le recensement des grâces antérieures et par une mise à jour qui permet de mieux identifier les fascicules relatifs aux biens conditionnés. Une telle compilation conduit à respecter l’unicité du fonds des grâces, tout en individualisant celles qui concernent les fidéicommis. Ordonnée par le grand chancelier, Giovanni Colombo, elle répond sans doute à la volonté de compenser un manque de visibilité archivistique afin d’avoir une meilleure connaissance de la jurisprudence en matière fidéicommissaire à un moment où les pouvoirs publics semblent se donner les moyens d’un enregistrement systématique en chancellerie de tous les testaments. Le croisement de cet unique registre de spedizioni avec les liasses de grâces apporte un certain nombre d’indications quantitatives sur les dérogations accordées par le Grand Conseil.
7Les sondages réalisés à partir d’un sixième des grâces, du milieu du XVIe siècle à la fin de la République, met en évidence trois périodes : un siècle (1550-1650) durant lequel les grâces sont au nombre de 40 à 60 par an, un second XVIIe siècle au cours duquel leur nombre est divisé par quatre et, enfin, un XVIIIe siècle où leur nombre est stable oscillant autour d’une dizaine par an. La concession des grâces est limitée par des raisons structurelles qui tiennent à la lourdeur de la procédure devant une assemblée comptant des centaines de membres et dont les réunions plénières sont réduites. Ces conditions de votation expliquent pourquoi elles sont finalement peu nombreuses. La baisse observée dans le dernier tiers du XVIIe siècle n’en est pas moins significative, sans que la raison apparaisse clairement. Un deuxième enseignement surgit de ce tableau : les grâces concernant les biens conditionnés sont très minoritaires dans un ensemble où dominent, de loin, les demandes de pensions d’anciens marins ou de patriciens ou de citoyens sans le sou. Mais leur part augmente à mesure que le nombre total de grâces diminue. Leur croissance relative s’explique par leur maintien en valeur absolue : une fois passées les années qui suivent la loi de 1546 et qui correspondent aux premières séries conservées, où elles sont inexistantes à cause du temps nécessaire à l’appropriation d’un nouvelle ressource réglementaire, mais peut-être aussi de la faible demande de la part des propriétaires, elles sont stables dans la durée, mais à un niveau incroyablement bas : une à deux par an.
8Ces chiffres concordent avec ceux du registre des permutations 1701-1795 pour la bonne raison que ce dernier a été réalisé à partir des fascicules. La correspondance n’est pas toujours parfaite : quelques grâces n’ont pas été reportées dans le registre et celui-ci comporte quelques cas qui n’ont pas été retrouvés dans les fascicules.
9Le très faible nombre de grâces pour lever l’inaliénabilité de biens fidéicommissaires est un fait incontestable. Il ne manque pas de susciter des interrogations car, durant les trois siècles envisagés, la croissance des biens assujettis est évidente même s’il est impossible de la mesurer, et la juridiction du Grand Conseil concerne non seulement le duché mais aussi toutes les possessions de l’État vénitien. Ce sont des milliers de fidéicommis qui sont potentiellement concernés. Est-ce possible dans ces conditions qu’aussi peu de dérogations aient été réellement accordées ? Le Grand Conseil ayant le monopole de la grâce, est-ce que d’autres instances pouvaient octroyer des dérogations à la manière des Provveditori di Comun pour les biens en ruine ou des Provveditori sopra beni inculti dans les zones en cours de bonification ? Est-ce qu’existaient dans les possessions de Terre Ferme des juridictions qui pouvaient assumer cette fonction sans recourir à la magistrature suprême ? Il y a lieu d’en douter car, dans tous les États italiens, le pouvoir de délier les fidéicommis est réservé à la plus haute magistrature par délégation de l’autorité souveraine. Dans son traité Instituzioni del diritto civile privato per la provincia vicentina (1785), le juriste Antonio Lorenzoni ne fait référence qu’à la loi de 1546 et à l’approbation du Grand Conseil pour aliéner des biens assujettis à fidéicommis9. Pourtant, il est difficile de se résoudre à conclure à un usage des dérogations aussi parcimonieux compte tenu de la masse des biens concernés.
10De ce constat découle une seconde question : est-ce que ces dérogations sont aussi peu nombreuses parce que la demande est faible ou parce qu’un tri est opéré parmi les suppliques ? Ces deux options ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Les archives du Collège (Collegio) conservent les suppliques adressées à la Seigneurie dans deux séries en fonction de leur origine : dites di dentro si elles proviennent du duché, et di fuori si elles sont envoyées par des sujets de l’État. Contrairement à ce que laisse entendre la collocation archivistique qui résulte d’un abus de langage des contemporains eux-mêmes, les suppliques ne sont pas traitées par le Collège, qui réunit trois groupes de Sages (6 Savi grandi, 5 Savi di Terraferma, 5 Savi agli ordini) en plus de la Seigneurie (Signoria) proprement dite, qui est, pour sa part, composée du Doge, des six Conseillers ducaux (Consiglieri ducali) – formant le Petit Conseil (Minor Consiglio) – et des trois Chefs de la Quarantia criminal10. En vérité, elles sont seulement examinées par les six conseillers ducaux qui représentent la puissance souveraine et, qui à l’issue d’un vote, les ventilent vers les magistratures compétentes en fonction de la nature de la requête. Pour ce qui concerne les permutations et les aliénations de biens fidéicommissaires, les sondages effectués dans les deux séries pour les années 1740 démontrent une correspondance entre les suppliques enregistrées par les Conseillers ducaux et les grâces octroyées par le Grand Conseil11. Que quelques demandes aient reçu un avis défavorable en cours de procédure n’est pas à exclure ; mais ce qui frappe, c’est à la fois le très faible nombre de suppliques et leur issue très favorable. On peut penser que leurs auteurs avancent des arguments et des pièces justificatives qui ont quelque chance d’être jugés recevables, ne serait-ce parce que le vote a un coût et qu’une supplique à la Seigneurie engage la réputation de son auteur.
11Comme la grâce est l’unique voie pour obtenir la levée de l’inaliénabilité, les requêtes portent sur des biens d’une très grande variété, non seulement par leur localisation, leur typologie – du lopin de terres au palais du Grand Canal –, mais aussi leur valeur. Un quart concerne des biens qui procurent moins de 50 ducats de rente tandis qu’une poignée regarde des biens dont le revenu dépasse 1000 ducats. Rien de commun entre eux si ce n’est l’unicité de la procédure à laquelle ils sont soumis. Ce n’est pas la valeur qui détermine ici la saisie de telle ou telle magistrature12, mais c’est la nécessité de la grâce qui confère au Grand Conseil le monopole sur la levée de l’inaliénabilité des biens immeubles conditionnés quels qu’ils soient.
12L’acte notarié de permutation ou de vente du bien précède toujours l’envoi de la supplique, mais sa validité est conditionnée par la concession de la grâce. Entrons dans le cheminement procédural qui y conduit. La supplique adressée à la Seigneurie est examinée par les six Conseillers ducaux qui les transmettent à trois organes chargés de dire sa conformité avec la loi : « Alla presente supplicatione li Provveditori di Comun, Avogadori e Fiscali della Signoria nostra rispondino quanto le leggi ». Les avocats fiscaux de la Seigneurie et l’Avogaria di Comun13 examinent les titres présentés par le suppliant – testament instituant le fidéicommis, titre de propriété, contrat de permutation ou de vente – et se prononcent sur l’utilité de la permutation pour le fidéicommis. Quand aux Provveditori di Comun ou aux représentants du regimento d’appartenance quand le bien se trouve en Terre Ferme, leur avis s’appuient, moins sur les titres, même s’ils les examinent, que sur l’inspection des biens afin d’évaluer leur état et d’estimer leur prix pour calculer le gain escompté pour le fidéicommis. Cette phase d’investigation achevée, trois magistratures sont appelées à se prononcer successivement par un vote : la Seigneurie à l’unanimité (9), la Quarantia civil vecchia, avec au moins 36 voix sur 40, et enfin l’organe souverain de la République, le Grand Conseil, dont la grâce requiert un large consensus (5/6 des voix). La date et les résultats de chaque vote sont reportés, par plusieurs mains, au recto du fascicule. La procédure s’achève par la rédaction de l’acte de spedizione par le notaire ducal qui certifie la concession de la grâce.
13La durée de la procédure est très variable d’un cas à l’autre : un tiers dure moins de trois mois, un autre tiers entre trois mois et un an et un dernier tiers peut prendre plusieurs années (4 maximun)14.
14Les délais dépendent en grande partie du moment de réception de la supplique par rapport à la séance de Pâques du Grand Conseil au cours de laquelle sont généralement votées les grâces. Les délais les plus courts se rencontrent quand la supplique a été enregistrée à la fin de l’année m. v. (jusqu’au mois de février) et dans la période qui précède Pâques. Les temps sont plus longs quand elle est examinée dans les mois qui suivent, même si des grâces sont votées au cours d’autres séances de l’année. La procédure s’étire en longueur quand le passage au vote est suspendu. Les avis sont rendus dans les semaines qui suivent l’enregistrement de la supplique, démontrant la réactivité des institutions ; en revanche, les votes peuvent être repoussés et espacés, sans qu’on parvienne toujours à en comprendre les causes. Ainsi la demande de permutation de Christina Da Mula et Giovanni Francesco Labia en janvier m. v. 1733 est-elle traitée dans le mois suivant par les Provveditori di Comun et les avocats fiscaux ; en revanche, le vote de la Seigneurie et de la Quarantia civil vecchia n’a lieu qu’en mars 1736 et celui du Grand Conseil au mois d’avril de la l’année suivante15. Les délais peuvent être aussi rallongés par la nécessité de revoter si le quorum des voix n’a pas été atteint. C’est assez fréquent au tribunal de la Quarantia civil vecchia, non que les juges soient opposés sur le fond à la demande de permutation, mais parce qu’il est dans leur intérêt financier de multiplier les votes qui sont payants.
Profil des requérants et des fidéicommis
15Les 181 suppliants répertoriés dans le registre des permutations forment une liste hétéroclite où figurent des habitants du duché et des sujets de Terre Ferme, beaucoup d’inconnus dépositaires d’un fidéicommis, des membres des plus éminentes familles nobles des villes de Vénétie (Canossa, Cicogna, Cucina, Emilei, Maffei de Vérone, Trissino de Vicence, Collalto de Trévise), des représentants de nouvelles familles agrégées au patriciat (Viscardi, Manin, Rezzonico, Valmarana) comme des case vecchie (Balbi, Corner, Gritti, Mocenigo), et quelques figures patriciennes de premier plan (Alvise Emo, Antonio Capello, Pietro Foscarini, le patriarche Marco Gradenigo, Nicolò Venier).
16Une majorité des grâces reportées dans le registre des permutations (99 sur 181) portent sur des fidéicommis détenus par des habitants de Terre Ferme. Leur prédominance s’explique bien sûr par le poids démographique de l’arrière pays face à la Dominante. Que l’écart ne soit pas plus important entretient le doute sur le monopole du Grand Conseil sur les permutations et des levées d’inaliénabilité dans l’arrière-pays.
17La prise en compte du statut social des représentants des fidéicommis met en évidence une nette différence entre Venise et la Terre Ferme. Dans la Dominante, les suppliants sont très majoritairement des patriciens (66 sur 79) tandis qu’en Terre Ferme les nobles sont minoritaires (37 sur 99). Ces différences doivent être interprétées avec beaucoup de précaution, non seulement à cause de l’étroitesse de l’échantillon, mais surtout parce que rien ne dit que l’origine des demandes reflètent la distribution sociale des fidéicommis. Faut-il, par exemple, en conclure que le fidéicommis a connu une diffusion sociale plus profonde dans l’arrière-pays ? ou, au contraire, que les usufruitiers fidéicommissaires non-nobles se tournent davantage vers le Grand Conseil auprès duquel ils trouvent un appui juridique ? Quant au poids des fidéicommis patriciens parmi les fidéicommis vénitiens, peut-être est-il moins le reflet d’un discutable monopole que du nombre de biens qu’ils immobilisent. Ce ne sont pas les fidéicommis qui sont levés, mais des biens particuliers ; plus ils sont nombreux entre les mains d’un groupe social, plus grande est la probabilité de les voir apparaître parmi les demandes de grâce. C’est là peut-être une des clés explicatives de ces écarts.
18Les fidéicommis qui font l’objet de demandes de permutation s’inscrivent dans un large éventail chronologique. Le plus ancien du registre a été instauré par le vénitien Stefano Marioni en 1370 ; une de ses maisons, située à San Marcuola, est l’objet d’une permutation en 176316. Un fidéicommis aussi ancien est une exception : ceux, institués avant 1500, l’ont été après 1450. Quant aux plus récents, ils ont été institués par le père, l’oncle ou le frère du suppliant. Entre ces deux extrêmes prend place la masse des fidéicommis fondés par les aïeuls qui sont passés de génération en génération. La création de fidéicommis apparaît comme un processus continu et ininterrompu qui conduit à une accumulation sans cesse grandissante. Elle a néanmoins son rythme et sa géographie.
19L’ancienneté des fidéicommis n’est pas la même selon les groupes sociaux dans lesquels les suppliants ont été répertoriés. Ceux issus de la noblesse de Terre Ferme sont les représentants des fidéicommis les plus anciens : les deux tiers ont été institués il y a plus d’un siècle et un tiers il y a plus de deux cents ans. Les fidéicommis patriciens présentent une physionomie toute différente : près des deux tiers ont moins d’un siècle tandis que que ceux qui ont plus de 200 ans d’âge sont au nombre de 3 sur 66. Quant aux fidéicommis des habitants de Terre Ferme, hors la noblesse, ils apparaissent plus anciens que ceux du patriciat vénitien puisque la moitié ont plus d’un siècle, mais plus récents que ceux de la noblesse qui les entoure car ils excèdent rarement 200 ans (6 sur 64). Une fois encore, il faut redire que les fidéicommis qui font l’objet d’une grâce du Grand Conseil, ne sont pas nécessairement représentatifs de l’ensemble. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle ceux récemment institués sont exposés, en vue d’une meilleure rationalisation, à des remembrements que des fidéicommis plus anciens ont déjà subis. En dépit de la faiblesse des effectifs, les tendances observées ne s’accordent pas moins avec le peu que l’on sait sur la diffusion des fidéicommis dans les domaines vénitiens et dans la Dominante : la noblesse de Terre Ferme, de matrice féodale, y a eu recours plus précocement, dès la fin du Moyen Âge, tandis que la pratique s’étend à Venise à partir du XVIe siècle et se généralise au siècle suivant. Instituer plus tôt des fidéicommis, cela signifie pour la noblesse de Terre Ferme réduire la masse des biens disponibles pour de futurs fidéicommis. Le patriciat vénitien, qui les a adoptés plus tardivement, à la faveur du triomphe d’une économie de la rente, continue à en instituer de nouveau tout au long du XVIIe siècle.
20Le caractère exceptionnel de la dérogation ne se lit pas seulement dans le faible nombre de demandes, mais aussi dans le fait que la procédure est très rarement sollicitée par la même personne. Sur 181 suppliants répertoriés pour le XVIIIe siècle, 162 ne se manifestent qu’une seule fois, 6 d’entre eux deux fois, un trois fois et un autre quatre fois17. Les frères Filippo et Alvise Balbi q. Nicolò sollicitent à trois reprises, entre 1743 et 1752, une grâce pour libérer des biens du fidéicommis d’Alvise Balbi (1659), qui sont dispersés autour de Castelfranco, et les échanger avec des terres limitrophes des importants domaines qu’ils possèdent dans les villas di S. Florian et di Fanzolo18. La permutation est, clairement ici, un outil de gestion pour rassembler la propriété foncière, mais force est de reconnaître qu’elle ne modifie qu’à la marge des patrimoines dont la vocation est de rester immobilisés.
21Une dizaine de requérants agissent en tant que représentants de plusieurs fidéicommis qui ont été institués successivement sur des portions du bien dont ils demandent la permutation. La maison située dans la paroisse d’Asolo à Vérone que Flaminio Boschetti entend échanger en 1762 est entrée dans les fidéicommis de Piero et Francesco Boschetti, respectivement en 1705 et en 175219. Les 400 campi que veut céder Alessandro Sesso relèvent de deux fidéicommis institués en 1590 et en 172020. La maison en ruine, sise dans la paroisse de Santa Sofia de Padoue que Giacinto et Bernardin Speroni souhaitent permuter contre un livello, est assujettie à trois fidéicommis qui ont successivement immobilisé des fractions de la propriété : celui de Girolfo Sproni (1550), de son fils Giacinto (1591), et celui d’Isabetta Girardi, l’épouse de Bernardin Speroni (1706). Une villa, en mauvaise état et entourée de 88 campi de terres dans la villa di Selva près de Trévise, a pour caractéristique d’être soumise à quatre fidéicommis différents institués entre 1576 et 1681 et possédés en 1706 par deux branches de la famille comtale Collalto, représentées par trois personnes qui en demandent la vente pour 10500 ducats21. La conjonction de fidéicommis multiples – même s’ils portent sur des parties ou des portions différentes du bien – et de nombreux ayants droit est tout à fait exceptionnelle dans les actes de grâce. Les demandes portent dans leur écrasante majorité sur un seul fidéicommis (170 sur 181) et émanent d’un seul usufruitier (102). Quand ils sont plusieurs, ce sont le plus souvent des frères qui sont les héritiers à parts égales de fidéicommis dividui, dans une moindre mesure un père et ses fils, un oncle et ses neveux, et des parents éloignés qui agissent collectivement. Une fois encore, ces répartitions ne sont pas nécessairement à l’image de tous les fidéicommis car un unique usufruitier ou une fraterna ont une plus grande facilité de gestion qu’une pléiade d’ayants droit.
22Très peu d’actions collectives sont engagées au nom d’un fidéicommis partagé entre de nombreux titulaires car la permutation requiert une concertation qui est sans doute difficile à mettre en œuvre dans ces conditions. Si, en 1787, Francesco et Zuanne Pesaro, Nicolò et Alvise Venier, Orazio Dolce et Agostino Correggio cèdent la ca’ Dolfin – érigée par Jacopo Sansonivo entre 1536 et 1540 dans la paroisse de San Salvador – à Lodovico et Piero Manin, c’est que la supplique est déposée par ces derniers qui proposent d’instituer un livello e de verser, au prorata de leur participation, 2241 ducats d’intérêts22. Le contrat de prêt hypothécaire porte sur le palais, les comptoirs de vente du rez-de-chaussée, des édifices mitoyens sur l’arrière qui sont pour partie soumis à fidéicommis, pour partie possédés en libre propriété.
23À l’image de celle de Lodovico Manin, une vingtaine de suppliques ne sont pas adressées par le titulaire du fidéicommis mais par celui qui a pris l’initiative de la permutation. On y trouve des institutions, en particulier l’Hôpital de la Pietà, ou des patriciens qui sont à la manœuvre pour remembrer la propriété en vue d’une nouvelle construction. Dans quelques cas, il n’est pas interdit de penser que la position sociale supérieure d’un des contractants l’a conduit à déposer la demande afin de lui demander plus de poids, mais surtout pour ne pas déléguer à une personne de rang inférieur la défense de ses intérêts. Ainsi les patriciens Zuanne et Francesco Grimani q. Antonio supplient-ils la Seigneurie d’autoriser l’échange d’une maison sise à S. Marcilian dont Anna Maria Calichiopoli et son fils Andrea Sandelli sont les usufruitiers contre un capital déposé à la Zecca23.
Motifs et justifications
Des raisons extérieures au fidéicommis
24Supplier une grâce vise parfois à lever un obstacle qui nuit moins au fidéicommis qu’au bien commun. Si l’on prétend toujours agir à l’avantage du fidéicommis, la véritable raison de la requête peut venir de la nécessité de libérer un bien dont l’immobilité contrarie un projet d’aménagement au service de la communauté.
25La construction de l’église du Rédempteur sur la Giudecca en est l’exemple le plus fameux. Bartolomio Lippomano et ses frères possèdent une propriété, en partie soumise à fidéicommis, sur laquelle, en action de grâce au Seigneur pour la fin de l’épidémie de 1576, le Sénat décide d’élever une église votive confiée aux capucins24. L’opération s’apparente à une expropriation, mais la fiction de la procédure de levée de l’inaliénabilité est conservée puisque les frères Lippomano adressent une supplique, le bien fait l’objet d’une évaluation par le proto des Provveditori di Comun avant sa vente aux capucins et la grâce du Grand Conseil du 8 avril 1577 insiste sur la nécessité de réinvestir les fonds.
26C’est au nom du bien commun que la Pietà saisit la Seigneurie de la nécessité d’entrer en possession de biens limitrophes à l’Hôpital qui sont assujettis à fidéicommis, mais qui sont indispensables à sa mission d’accueil de « pauvres créatures abandonnées », cantonnées dans « l’étroitesse d’une maison » où elles dorment 4 à 5 par lit25. En mars 1718, il signe un pacte de permutation avec Chiara Civran, veuve de Francesco Bollani, et héritière du fidéicommis de Bernardo Gritti (1599). En échange de trois habitations mitoyennes qui lui permettraient d’établir un passage entre les bâtiments de l’Hôpital et une maison qui a déjà été prise en location, il cède une maison à Santa Marina et un magasin à S. Bartolomeo dont les loyers sont supérieurs et les « lieux plus estimables ». Saisis de la requête, les Avogadori di Comun l’examinent, d’abord, en fonction des besoins de la communauté, reconnaissant dans le projet « des effets profitables à la charité et au regard de la santé des enfants ». Mais ces arguments ne doivent pas faire oublier les intérêts des différents ayants droit fidéicommissaires. C’est pourquoi, ils insistent tout autant sur la disponibilité juridique des biens échangés par la Pietà – qui ne sont pas soumis à la loi sur la possession des Luoghi pii à cause de l’ancienneté de la propriété – et de « l’avantage qui résulte de la différence des sites, alors que les biens que reçoit l’Hôpital sont dans un site ingrat, dans la paroisse de S. Zuanne in Bragora, mais nécessaires à la réalisation de ce projet, ceux assignés par subrogation se trouvent dans les paroisses de Santa Marina et San Bortolamio, dans des lieux ouverts et libres qui promettent de jour en jour une amélioration des loyers »26. La procédure est conduite avec une grande célérité puisque la grâce est votée le 12 avril 1718, deux semaines après l’enregistrement de la supplique. En 1732, la Pietà engage une procédure similaire pour se porter acquéreur de six nouvelles maisons (266 d.) également détenues par Chiara Civran en échange de biens immeubles à Venise et en Terre Ferme dont la liste n’est pas arrêtée. Dans l’attente, l’Hôpital s’engage à verser annuellement 300 ducats, puis à déposer 10000 ducats auprès des Juges du Procurator pour procéder au réinvestissement27.
27Suivant la même logique, le besoin de lever la prohibition peut être exprimé par un particulier qui convoite le bien pour sa position. L’usufruitier demande alors à s’en défaire non parce qu’il lui trouve un inconvénient, mais parce qu’on lui propose d’y substituer un bien de plus grande valeur. C’est le plus souvent celui qui a pris l’initiative de la permutation qui adresse la supplique à la Seigneurie en accord avec le représentant du fidéicommis. Ainsi en 1750, Gasparo Pasini, noble d’Asolo, est disposé à céder une maison et deux créances d’une valeur de 900 ducats en échange d’une autre maison, immobilisée dans le fidéicommis de Francesco Beltramini depuis 1615, d’une valeur moindre (500 ducats), mais qui est contiguë à sa propre habitation28. Les comtes Gasparo et Giorgio Giusti de Vérone et le Mont-de-Piété, signent, en 1764, un contrat de permutation dans lequel ils trouvent un intérêt réciproque puisque les Giusti cèdent deux boutiques situées via del Corso sous le bâtiment du Mont-de-Piété en échange d’une habitation « incorporée » à leur propre résidence29. La même année, toujours à Vérone, l’évêché qui entend agrandir le séminaire acquiert une maison limitrophe, qui est la propriété du fidéicommis Brenzoni depuis 1516 ; il cède en retour deux habitations et la portion d’une troisième dans la même paroisse d’une valeur supérieure. Dans tous ces cas de figure, le bien libéré ne présente pas de défauts particuliers, mais la permutation procure pour le fidéicommis un gain, tout en renforçant la cohérence du patrimoine de l’autre partie.
28La permutation qui touche le palais Foscarini aux Carmini en 1746 s’appuie sur des motifs familiaux étrangers aux raisons du fidéicommis. Le premier étage du palais ainsi que les jardins appartiennent à la commissaria de Piero Foscarini tandis que le deuxième étage est divisé entre la susdite commissaria pour un tiers et le fidéicommis Giacomo Foscarini q. Zuan Battista (1630) pour deux tiers30. Giacomo Zuanne q. Anzolo en est le représentant depuis qu’il a obtenu une sentence favorable de la Quarantia civil vecchia, le 1er avril 1746. À peine en possession du fidéicommis, il adresse une supplique à la Seigneurie pour que soit validé l’acte de permutation, signé le 24 mai, par lequel les deux tiers du second étage (soler di sopra) sont échangés contre divers immeubles situés dans les paroisses de San Fantin, S. Giuliano et S. Cassiano. Il trouve un avantage à l’opération puisque ces biens sont estimés 15000 ducats contre 11000 ducats pour la portion de l’étage dont « l’usage et l’habitation étaient incommodes, et la location difficile ». Ce gain, nécessaire pour recevoir l’approbation du Grand Conseil, est un argument convaincant pour accéder à la requête présentée par la commissaria qui doit impérativement prendre possession du bien. Dans son testament (1740) et dans son codicille (1744), Piero Foscarini oblige, en effet, ses héritiers à habiter la totalité du palais des Carmini, en louant ou en achetant la portion du deuxième étage, sans quoi ils seraient privés de sa succession. Elisabetta Corner, sa veuve et son exécutrice testamentaire, n’a donc pas d’autres choix que de supplier Giacomo Foscarini, avec lequel avait éclaté un litige au sujet de la substitution du fidéicommis de Giacomo Foscarini 1630, de lui céder les deux tiers du second étage. Intérêts familiaux et avantages financiers se sont combinés pour trouver un compromis au bénéfice de toutes les parties. Si Giacomo Zuanne Foscarini a demandé la libération du bien, il a cédé aux volontés testamentaires d’un parent qui n’avait aucun droit sur cette portion du fidéicommis. Preuve s’il en est que les raisons du fidéicommis sont prises dans un faisceau d’intérêts familiaux plus larges.
Des biens pris en défaut
29L’essentiel des grâces est accordé pour des raisons internes aux fidéicommis. Si dans son déroulement, la procédure est semblable à celle en vigueur dans les États voisins - adresse d’une supplique, instruction de la demande, concession d’une grâce par le conseil souverain -, elle s’en distingue sur un point capital : les motifs recevables sont à Venise très limités. Dans le Grand-duché de Toscane, les suppliants demandent la levée de l’inaliénabilité pour constituer une dot (25 %), rembourser une dette envers des créanciers privés et publics (24,4 %), faire face à la nécessité et aux dépenses alimentaires (19,8 %), et dans une bien moindre mesure pour remodeler le fidéicommis (12 %) ou pratiquer de nouveaux investissements (5,8 %)31. Dans le duché de Milan, les raisons invoquées sont sensiblement les mêmes. Or à Venise les grâces du Grand Conseil ne concernent que des demandes qui relèvent de la gestion interne du fidéicommis : subrogation d’un bien libre, permutation, plus rarement vente, à la condition absolue de réinvestir les fonds. Tous les motifs qui, ailleurs, justifient la procédure de dispense sont absents des suppliques conservées dans les archives du Collège.
30Les arguments utilisés pointent souvent les défauts du bien que l’on entend libérer. Quand il s’agit de terres, on déplore leur localisation par rapport au reste du patrimoine qui rend incommode leur exploitation, leur exposition aux inondations ou leur médiocre fertilité. Quand il s’agit d’une maison, on justifie la démarche par son caractère incommode ou sa dégradation matérielle en convoquant des arguments qui rejoignent ceux mobilisés dans la procédure de mise à l’encan des biens en ruine par les Provveditori di Comun.
31En 1712, Antonia Viscardi souhaite permuter quelques habitations a pepian, « croulantes et en ruine »32 appartenant au fidéicommis institué par sa mère une décennie plus tôt, contre des terres dans la villa de S. Niccolò qu’elle possède en propre. En 1701, Antonio et Iseppo Roncali sollicitent « la permutation d’une maison qui n’est pas en bon état avec quatre campi, et un cabanon de paille en ruine dans la villa di Magnadola »33. Les comtes Collalto décident, en 1706, de vendre un domaine soumis à cinq fidéicommis, composé « d’une villa commencée il y a plus d’un siècle et laissée inachevée, qui est réduite à l’état de ruine croulante avec 88 campi alentour dans la villa di Selva »34. En 1757, le comte Giovanni Battista Valmarana veut se défaire d’un palais à Vicenza qui est « inoccupé et a besoin d’une prompte réparation »35.
32Tous ont choisi la voie de la grâce pour obtenir la levée de l’inaliénabilité alors qu’il existe une procédure spécifique pour les biens en ruine, encadrée par les Provveditori di Comun dont la juridiction s’est étendue à la Terre Ferme. En 1661 déjà, ces derniers déploraient « le fréquent recours à (leur) Magistrature de personnes qui possèdent des biens en ruine qu’elles permutent avec d’autres particuliers et pour lesquels elles ne reçoivent pas autant d’émoluments que si elles avaient recours aux enchères publiques »36. Le recours à la permutation en lieu et place de la vente à l’encan est un fait ; le préjudice qu’elle causerait au fidéicommis est en revanche plus contestable. Comment expliquer en effet que certains supplient une grâce, dont la procédure est plus lourde et coûteuse, au lieu de suivre la procédure, plus souple et rapide, de la vente aux enchères, si ce n’est pour l’avantage qu’ils comptent en tirer. La grâce est sollicitée par le suppliant après avoir signé l’acte de permutation ou l’acte de vente qui attend de recevoir la validation officielle. Comme la permutation n’est autorisée que si elle est profitable au fidéicommis, il a fallu trouver quelqu’un qui ait intérêt à acquérir le bien au-dessus de son estimation ou à l’échanger contre un bien de valeur supérieure. Ce dernier n’agit pas par altruisme, il est prêt à y mettre le prix car il espère en tirer d’autres avantages sur le plan de la rationalisation de ses propres biens ou sur le plan symbolique. Même si des pressions ne sont pas à exclure, il n’y a pas de permutation sans un intérêt partagé qui exclut l’idée que le prix soit inférieur à celui de la vente aux enchères. L’accord est le fruit d’une négociation qui témoigne d’une parfaite maîtrise des critères imposés par la loi et la pratique de la grâce. On ne conclut pas un accord de permutation de biens fidéicommissaires, qui a un coût, qui a demandé du temps et un engagement des parties, sans avoir l’assurance que les éléments de la requête sont recevables.
33En revanche, celui qui s’adresse aux Provveditori di Comun pour demander la mise à l’encan de son bien en ruine n’a pas les mêmes ressources : ou il ne dispose pas d’un acheteur ou il n’est pas en mesure de le convaincre de passer à l’acte car chacun sait que les enchères sont toujours plus avantageuses pour qui achète. Ainsi, en 1752, Francesco Maria Celsi fait-il pression par plusieurs actes extrajudiciaires sur Angelica Varotari, la veuve de son cousin Marc’Antonio, pour qu’elle sollicite des Provveditori di Comun la vente aux enchères des carats de la ca’ Celsi en fort mauvais état37. Il se porte acquéreur au prix de l’estimation de cette portion et de celle dont son propre père est l’usufruitier. Si une demande de grâce avait été envisagée, il aurait fallu majorer le prix pour le bénéfice du fidéicommis. Dans certains cas, les critères qui président au choix de l’une ou l’autre des procédures paraissent plus poreux. En 1601, Anzolo Malipiero sollicite du Grand Conseil la grâce de vendre par l’intermédiaire des Provveditori di Comun une maison incendiée appartenant pour moitié au fonds dotal de son épouse Cecilia Minio : la demande porte autant sur la levée de l’inaliénabilité, que sur la saisie de la magistrature au nom de l’analogie entre la dot et le fidéicommis38. En validant le choix de la procédure, la grâce du Grand Conseil garantit la sûreté de l’échange de propriété. Il n’est pas à exclure que l’on se tourne vers la magistrature suprême pour obtenir une certification qui offre une protection juridique perçue comme supérieure.
Pour « l’évidente utilité » des fidéicommis
34Énoncer les défauts du bien n’est pas une raison suffisante pour en obtenir la libération. La situation de départ n’est jamais évaluée pour elle-même, mais en fonction de l’autre terme de l’échange. C’est la confrontation entre l’un et l’autre qui permet de dire si la permutation présente pour le fidéicommis un avantage, une commodité, une « évidente utilité » (« per evidente utilità ») selon les termes de la loi de 1546, sans laquelle la levée de la prohibition n’est pas concevable.
35Or cette « évidente utilité » ne va pas de soi. D’abord, parce qu’elle est convoquée pour s’opposer aux volontés du testateur qui s’est explicitement opposé à la vente. La transgression est justifiée par le fait que le « bénéfice, qu’on peut raisonnablement supposer, serait approuvé par les testateurs s’ils étaient en vie »39. La volonté du testateur est moins exécutée à la lettre qu’interprétée dans le sens de l’intérêt actuel et futur des appelés même lorsqu’est exclue catégoriquement toute forme d’aliénation, y compris à l’issue de la procédure légale. L’usufruitier propose une modification, mais l’autorité souveraine dispose, au nom de l’intérêt des fidéicommis, ce qui la conduit à défendre l’inaliénabilité ou à la lever, sous certaines conditions, en fonction des circonstances. Il n’y a aucune contradiction entre ces deux actions car elles sont conduites au nom de l’intention ultime prêtée au testateur : la conservation de la valeur au bénéfice des usufruitiers futurs. Or, seule, la plus haute magistrature a la légitimité de se substituer à celui-ci en se faisant le porte-voix de sa volonté et en défendant ses intérêts aussi bien, si ce n’est mieux, qu’il ne l’aurait fait lui-même.
36« L’évidente utilité » pose aussi la question de la mesure. Est-ce une appréciation subjective ou est-ce un gain quantifiable ? La loi de 1546 ne répond pas ; l’usage, en revanche, a imposé le calcul en établissant, au XVIIIe siècle, l’accroissement souhaité au tiers de la valeur40. Le recours au calcul est en accord avec une société qui tient comptabilité de tout : des héritages, des dots, des créances, des revenus. Mais pour mesurer un gain, il faut disposer de données comparables : des revenus monétarisés à partir desquels extrapoler la valeur par capitalisation de la rente. Cette opération est souvent une estimation quand vient à manquer le montant de la rente, quand il faut vérifier qu’elle se conforme au juste prix ou quand il faut fixer le taux de capitalisation. C’est là qu’entrent en lice les experts, ces hommes de l’art au statut officiel – qui demeurent mal connus – que les Provveditori di Comun chargent, sur le commandement des Conseillers ducaux, de se rendre sur les lieux, de s’informer sur la valeur locative, d’évaluer l’état du bien et finalement de proposer une estimation. L’exercice comporte peu de marges de manipulation pour une maison du fait de la comparaison avec les valeurs de biens voisins ou similaires. Il est plus ardu lorsqu’il s’agit de biens ruraux dont les revenus peuvent être à la fois monétaires et en nature et qui sont parfois soumis à d’importantes variations annuelles41. L’estimation est une construction, qui doit être plausible pour être recevable, et qui est indispensable à l’évaluation du bénéfice escompté par la permutation.
37Plus de la moitié des spedizioni recopiées dans le registre des permutations comporte la mention de la valeur du bien libéré et de celle escomptée après la permutation. Il s’agit le plus souvent de la rente ou de l’association de la rente et de la valeur du fonds. De leur mise en série ressortent deux observations : une concentration autour de l’accroissement d’au moins un tiers, conformément à l’usage recommandé par les avocats fiscaux de la Seigneurie ; et l’existence de majoration considérable qui double, triple, quadruple la valeur de départ. Ces situations se rencontrent quand l’autre partie tient à acquérir le bien et est prête à y mettre le prix. En 1746, Appolonio Massa obtient l’autorisation de permuter une habitation qui est soumise au fidéicommis fondé par son ancêtre homonyme en 1590 et qui est incorporée dans la résidence du patricien Francesco Moro. Ce dernier lui propose de la permuter avec deux autres maisons qu’il possède en libre propriété dans la paroisse de Santa Sofia et qui sont d’un rapport de 64 ducats, contre 10 ducats pour le bien examiné42. C’est le prix à payer pour reconstituer l’unité de la propriété de l’édifice.
38Une dizaine de grâces concerne une permutation réciproque entre deux fidéicommis sur la base de la parité des biens échangés. Dans ce cas de figure, l’accroissement de valeur est impraticable car il se ferait nécessairement aux dépens de l’un des fidéicommis. Si le gain ne saurait être comptable, il peut néanmoins être mutuel dès lors que la permutation est une opération de remembrement de la propriété, de simplification des parcelles, de regroupement des biens sur un même site. L’équivalence, que présuppose la permutation réciproque, nécessite de constituer deux lots d’égale valeur, en ajustant leur composition et en jouant sur l’estimation pour faire correspondre des réalités différentes. En 1749, Tommaso Michiel et ses frères demandent ainsi la permutation de terres arables et de prés entre Torcello et Caorle, pour partie en libre propriété, pour partie assujettis au fidéicommis Tommaso Michiel 1691, avec l’étage inférieur du palais des frères Manolessi dans la paroisse des Santi Apostoli soumis au fidéicommis Domenico Lion 1611, sur la base d’une estimation identique de la rente à 280 ducats43. La permutation entre deux biens d’inégale valeur est cependant permise quand elle procure une commodité au fidéicommis qui est apparemment perdant sur le plan monétaire. En 1750, le comte Lucio Dalla Torre cède quatre maisonnettes situées à La Motta d’une rente de 142 lires à Ottavio Del Monteregale Mantica qui lui donne, en retour, d’autres maisons à Pordenone d’une rente de 96 lires, mais qui ont l’avantage d’être contiguës à sa résidence44.
39L’introduction d’une variable qualitative permet d’établir une équivalence en cas de discordance monétaire. Le jeu à somme nulle peut être aussi facilité par l’ajout de biens libres qui ne sont pas inscrits au débit du fidéicommis de leur propriétaire, mais qui sont portés au crédit de celui dans lequel ils font leur entrée. En 1717, Antonio Capello q. Antonio et Andrea Vendramin q. Andrea demandent à reconstituer l’unité d’une maison de campagne dans la villa di Stra au motif que « de la présence de deux patrons naissent des désordres, des incommodités, des dépenses pour les deux parties »45. Ils en possèdent, en effet, chacun la moitié : le premier au titre des fidéicommis instaurés par son aïeul Antonio Capello en 1638 et par son père en 1710 ; le second – avec ses frères – en libre propriété. La moitié rapporte 80 ducats, mais Andrea Vendramin en propose 120 ducats sous la forme d’une habitation à S. Cassiano d’une valeur locative de 56 ducats, appartenant aux fidéicommis d’Andrea et Gabriel Vendramin (1546, 1552) et d’une boutique d’huile à Rialto louée 54 ducats et parvenue comme bien propre par une restitution de dot (1713). Comme la boutique n’entre pas dans le calcul, l’opération de permutation réussit le tour de force d’apporter un bénéfice aux fidéicommis des deux parties : une majoration de 40 ducats de rente pour les fidéicommis Capello et de 26 ducats pour les fidéicommis Vendramin. Les suppliants présentent aux magistratures de contrôle un montage financier, qui fait davantage que se conformer à la nécessaire équivalence requise dans une permutation de ce type, en réussissant la prouesse d’un gain monétaire réciproque. Une telle maîtrise de la logique de la dérogation crée un jeu de miroir entre les souhaits du requérant et les attentes de la Seigneurie.
Biens entrants et garanties
40La forte ventilation autour du taux d’accroissement conventionnel conforte l’idée que chaque permutation est singulière et est traitée comme telle. Le seul critère homogène, c’est le gain escompté sur la base de l’évaluation des inconvénients du bien sortant et des avantages du bien entrant. Dans cette logique, le même type de bien peut être apprécié dans un cas et décrié dans l’autre, récusant l’idée d’une hiérarchie abstraite des investissements même si les suppliants sont enclins, à partir de leur situation particulière, à donner à leurs arguments une portée générale que les instances de contrôle ont tendance à relayer dans leurs avis. Qui de juger que la permutation d’une maison par un dépôt à la Zecca, « outre l’épargne de decima, le met à l’abri des infortunes causées par les vacances des locataires, les travaux, le manque de ponctualité des loyers, et de tant d’autres choses auxquelles sont soumis les immeubles, de telle sorte que l’échange est avantageux de toutes les manières »46. Qui de vanter la substitution d’un bien rural par une boutique située Place Saint-Marc au prétexte que le premier est soumis « au campatico, à des restaurations à cause des tempêtes et des inondations, et aux autres accidents qui affectent les biens de campagne », ce qui justifie de le « convertir en un bien immeuble de cette ville, situé en un lieu en vue et facilement louable »47. Qui de proclamer, au contraire, qu’il « est toujours plus avantageux pour un fidéicommis de remplacer un bien immeuble exposé à des vacances et à des restaurations par des champs et des terres fertiles et lucratives »48. Ici, les avocats fiscaux et les Avogadori di Comun déprécient la rente urbaine ; là, en font l’éloge sans qu’il y ait contradiction dans leur appréciation car chaque cas est traité séparément, non selon une hiérarchie préétablie des types de propriété, mais à partir du seul critère de l’utilité dont l’évaluation est toujours singulière.
41Il faut aussi avoir à l’esprit qu’en se focalisation sur la singularité de chaque permutation, on perd de vue que le bien libéré appartient à un patrimoine et que la décision qui est prise de le vendre ou de l’échanger obéit aux exigences de gestion d’un ensemble plus vaste. Il est donc tout à fait hasardeux d’établir des circuits préférentiels entre types de biens sortants et entrants sans connaître la composition du fidéicommis.
42Malgré tout, il faut bien reconnaître que les dérogations modifient à la marge le contenu du fidéicommis, à la fois parce qu’elles ne portent que sur une très faible portion et parce qu’elles entraînent rarement une réorientation des investissements : une maison située à Venise est échangée avec une autre maison de la ville, des terres agricoles avec d’autres terres agricoles, des habitations des villes de Terre Ferme avec d’autres maisons, etc. La réorientation la plus notable s’observe quand la procédure n’est pas engagée pour obtenir un bien en particulier mais pour se débarrasser d’une propriété peu lucrative : l’argent de la vente est investi en rentes publiques qui présente l’avantage d’être sûres et plus facilement disponibles.
43Sur les 181 grâces recensées, on compte seulement 32 ventes payées avec des créances ou des capitaux destinés à être réinvestis dans des secteurs où la préservation du capital était assurée : le foncier, la dette publique, les dépôts dans les institutions pieuses ou les scuole. Tous les autres cas concernent des permutations de biens (131) ou des subrogations par lesquelles le titulaire remplace un bien assujetti par un de ses biens libres (13)49. Les subrogations constituent d’utiles instruments de gestion qui permettent de mobiliser des capitaux et préserver les biens qui paraissent les plus utiles. Ainsi en 1703 le comte Alvise di Canossa de Vérone obtient-il l’autorisation de vendre 140 campi dans la villa d’Arcoli, soumis à primogéniture, au comte Antonio Ottolini pour 3000 ducats qu’il emploie au rachat de deux livelli qui étaient garantis sur des biens libres qui entrent dans le fidéicommis50.
44« Per dover li beni che saranno ricuperati o li fondi che saranno affrancati o gl’acquisti che fossero fatti o altre investite rimaner subrogate »51. La spedizione, regardant la vente, en 1706, d’une villa de la famille Collalto, exprime la préoccupation des pouvoirs publics : peu importe la nature du bien entrant dès lors qu’il subroge au bien sortant avec de solides garanties. Les différentes instances consultatives qui interviennent au cours de la procédure se posent en garant des intérêts du fidéicommis en contrôlant non seulement l’accroissement de valeur, mais aussi la sûreté du transfert de propriété. Ce sont ces conditions que les avocats fiscaux de la Seigneurie, Alessandro Priuli et Giovanni de Albertis, vérifient en février m. v. 1792 avant de rendre leur avis sur la supplique adressée par Gaetano Muneghina : celui-ci demande à échanger une maison sise à Padoue, assujettie à une primogéniture instituée en 1693, et louée au patricien Zuanne Barbaro contre des terres (36 campi près de Piove di Sacco) qui appartiennent à ce dernier, à proportion de la valeur de la maison augmentée d’un tiers et diminuée du montant de la dette accumulée52. En examinant les pièces fournies par les parties, les avocats fiscaux vérifient alors trois conditions nécessaires pour valider la légalité de la demande : l’absence de fidéicommis sur les biens donnés en échange, la capacité de Zuanne Barbaro à rembourser ses propres dettes et les dots dues sans avoir à recourir aux biens concernés qui doivent toujours servir de garantie, le gain escompté en capital et en revenu pour le fidéicommis Muneghina.
45Par mesure de précaution, il est toujours spécifié dans l’acte de spedizione que le bien libéré et l’ensemble du patrimoine de celui qui en a désormais la propriété servent de garantie en cas de dommage ou de perte du bien entrant.
46Si une permutation de biens n’échappe pas à l’incertitude inhérente au transfert de droits de propriété, elle présente cependant des garanties d’accroissement, mais surtout de conservation du capital, car un bien immeuble se substitue à un autre. Il en va différemment de la vente acquittée avec des capitaux plus facilement exposés à la dilapidation. Pour éviter que l’usufruitier n’en fasse un usage personnel aux dépens du fidéicommis, l’État veille à ce qu’il ne puisse pas librement en disposer en confiant aux Juges du Procurator le soin de procéder au nouvel investissement. La magistrature qui a la haute main sur la réaffectation des capitaux conditionnés met en œuvre une procédure à laquelle collabore activement l’usufruitier, mais dans laquelle il ne manipule jamais l’argent. Conscient des exigences des instances de contrôle, il est fréquent que l’usufruitier indique dans sa supplique la destination des fonds et les modalités de paiement.
47La permutation Bon/Rezzonico en donne l’exemple. Le 8 août 1750, les frères Pietro I et Pietro II dit Filippo Bon q. Giacomo se tourner vers la Seigneurie pour pouvoir procéder à la vente du palais de San Barnaba, sujet à fidéicommis, que Filippo Bon, leur grand-père, procurateur de Saint-Marc, avait commissionné en 1667 à Baldassare Longhena et dont les travaux, faute d’argent, s’étaient arrêtés en 1682 à la mort de l’architecte et du commanditaire au niveau du premier étage qui fut recouvert pendant des décennies d’une toiture provisoire en bois53. Giovanni Battista Rezzonico, issu d’une riche famille de banquiers lombards (agrégée au patriciat vénitien en 1687), se porte acquéreur au prix de 60000 ducats, auxquels doivent être retranchés 1575 ducats dus à l’église de San Barnaba pour le fonds, soit 58425 ducats. Dans leur supplique, les frères Bon promettent de les placer en dépôt auprès des Scuole Grandi escomptant une rente de 2337 ducats. Pour démontrer le bénéfice apporté au fidéicommis, ils citent deux expertises : l’une réalisée en 1745 qui estimait le palais à 46666 : 1 ducats et une plus récente qui ramenait la somme à 40615 : 8 à cause « des détériorations subies ces cinq dernières années », soit 39040 ducats en tenant compte du paiement des cens au chapitre de l’église.
48Le proto des Provveditori di Comun, Antonio Mazzoni, dépêché sur place le 14 août, juge que l’édifice a « la majesté d’un palais imposant », mais qu’il peut être considéré comme « en ruine » et impraticable car la toiture provisoire en bois et les poutres sont rongées par la pluie et les ouvertures sans fenêtres54. Sans tenir compte « de la dépense exorbitante pour transformer l’édifice de l’état de ruine extrême à un usage praticable et sûr », il estime le bâtiment à 41300 ducats à partir des factures fournies et de l’examen de la qualité et de la quantité des matériaux. Cette estimation concorde avec celles produites par les frères Bon, démontrant un gain évident pour le fidéicommis. Les Provveditori di Comun reprennent, le 17 août, dans leur propre avis, ces conclusions en ajoutant d’autres arguments dans l’esprit de la loi de 1546 : l’état de ruine du bien, la perception de la decima et la conservation du décor urbain. Les Avogadori di Comun et les avocats fiscaux avaient rendu, quelques jours auparavant, un avis favorable sur la seule base des estimations fournies par les suppliants. Notons qu’aucune des instances sollicitées ne jugent nécessaire de mentionner le fidéicommis auquel le bien appartient comme si cet élément allait de soi.
49Prenant acte de l’incapacité des Bon a achevé les travaux et du gain pour le fidéicommis, le Grand Conseil accorde sa grâce le 6 septembre, soit moins d’un mois après l’enregistrement de la supplique55. Compte tenu de l’état de l’édifice, inachevé et inhabitable, les Bon auraient pu se tourner vers les Provveditori di Comun pour que le bien soit déclaré en ruine. Mais ils avaient un acheteur qui les dispensait d’avoir recours aux enchères toujours moins avantageuses sur le plan financier. La grâce du Grand Conseil conférait une solennité qui seyait au statut social des deux contractants en dépit de la divergence de leur trajectoire. Les Rezzonico confient à Giorgio Massarini l’achèvement du palais conclu en 1757 tandis que la Seigneurie veille à la conservation du fidéicommis Bon en exigeant que, comme les suppliants s’y engageaient, le capital soit « investi ou viré par un ou plusieurs ordres sur une ou plusieurs des vénérables Scuole grandi de cette ville comme capital substitué et subrogé à cet édifice de sorte que les intérêts soient librement à disposition de qui y aura droit ou à qui ils seront dus, avec la condition qu’en cas d’amortissement ou de nouvel investissement les capitaux soient investis dans des biens immeubles de cette ville ou d’ailleurs, et toujours avec la perpétuelle garantie de ce gentilhomme acheteur, ainsi la permutation apporte un avantage de 18700 ducats et en cas d’incidents sur ces capitaux et ces investissements les vendeurs et leurs héritiers ont toujours un droit de retour sur le susdit bien permuté »56.
Les accommodements de procédure
50Les différentes instances impliquées dans la procédure de la grâce ont à donner un avis sur un acte de permutation, de vente ou de livellazione qui a déjà été stipulé devant notaire, mais qui doit attendre la concession de la grâce pour être effectif. Passer outre revient à frapper d’invalidité la vente et exposer l’acheteur à la restitution du bien57. En toute logique, le paiement n’advient qu’une fois la grâce accordée d’autant plus que la puissance publique, par le biais des Juges du Procurator, veille au réinvestissement du capital ou à la constitution d’une hypothèque sur le bien en cas de livellazione. Quelques cas mettent en évidence des pratiques peu respectueuses de cet ordre procédural que l’envoi tardif d’une supplique vise à légaliser58.
51En 1751, Antonio Donà q. Zuanne vend au comte Piero Emilei de Vérone un domaine dans la villa d’Albania, dans le Veronese, « en partie cultivé, en partie inculte à cause des innondations » d’un rapport annuel de 600 ducats (convertis en capital de 15759 : 11) pour un montant de 27500 ducats qui sont déposés au Santo Monte de Vérone. Donà ne se décide à réinvestir cette somme que le 18 avril 1753 en achetant à Antonio et Zuanne Grimani de nombreux biens à Venise pour une rente de 1186 ducats. Le 9 juillet, les fonds sont virés sur le compte des Juges du Procurator qui émettent, le 19 juillet, un arrêté (terminazione) de levée de dépôt par lequel l’achat aux Grimani est soldé sous la forme du rachat de livelli qui étaient hypothéqués sur les biens59. Quelques libertés sont prises cependant avec la procédure. Il est d’usage que le contrat de vente précède la demande de la grâce, mais le paiement n’advient qu’une fois qu’elle est autorisée. Or les deux contrats ont été signés et les capitaux virés sans que le Grand Conseil ne se soit prononcé, ni même ait été saisi, puisque ce n’est qu’en septembre 1756 que les Provveditori di Comun envoient leur proto, Antonio Mazzoni, pour inspecter les biens achetés et vérifier leurs loyers qui s’avèrent supérieurs (1310 d.), à cause d’améliorations apportées et qui valorisent le fonds à 30000 ducats. Devant une opération qui double la valeur de départ, les instances consultées font passer l’intérêt du fidéicommis avant le respect de la procédure. En concédant sa grâce, le Grand Conseil ne fait que parer des oripeaux de la légalité une situation de fait.
52L’Hôpital de la Pietà conduit également son programme d’agrandissement aux dépens des propriétés limitrophes, soumises à fidéicommis, en prenant quelques libertés avec la procédure. En mars 1732, il supplie, on l’a vu, la Seigneurie de valider l’acte de permutation conclu avec Chiara Civran qui reçoit en retour des biens de l’Hôpital. Le même mois, il se dispense, en revanche, de soumettre l’accord de permutation sous seing-privé établi avec Alvise Gritti q. Marc’Antonio et son frère pour l’achat d’une maison et d’un magasin assujettis au fidéicommis institué par Elena Gritti en 164760. Il s’engage à verser chaque année 90 ducats en attendant de lui remettre des biens immeubles situés à Venise ou en Terre Ferme. Dans le cas où cette cession ne pourrait avoir lieu, sans que l’échéance ne soit précisée, il promet de verser 3000 ducats aux Juges du Procurator afin qu’ils procèdent, à la demande des usufruitiers, à leur investissement dans des maisons ou des terres. Vingt ans plus tard, en janvier m. v. 1763, la même opération est reconduite par les mêmes protagonistes au sujet d’une habitation louée 80 ducats que la Pietà acquiert pour 3000 ducats convertis en titre public à 3,5 %, au bénéfice du fidéicommis dont la rente est majorée de 25 ducats. Entre temps, en 1741, l’Hôpital eut recours au même dispositif pour acquérir un édifice contigu et soumis, depuis 1710, à un fidéicommis dont Antonio Capello et ses frères étaient les représentants. Le contrat est signé sous seing-privé, mais le proto des Provveditori di Comun, Antonio Mazzoni, est sollicité pour fixer la valeur du bien (9333 : 8 d.) sur la base de la rente (270 d.) et suggérer un prix de vente (10500 d.) qui présente une majoration pour le fidéicommis (1166 : 16 d.). La vente a-t-elle été différée ? Reste que ce n’est qu’en septembre 1762 que les conditions de paiement sont précisées : elles reposent sur le versement d’une rente annuelle de 315 ducats ou, si les usufruitiers ont en vue un investissement, de tout le capital sur le compte des Juges du Procurator. Le nouveau contrat conclu en janvier m. v. 1763 pousse la Pietà à supplier la validation des permutations des fidéicommis Gritti et Capello par une grâce qui est concédée en avril 1764. Il est d’usage que la grâce intervienne après la conclusion du contrat ; or dans le cas présent, plusieurs décennies se sont écoulées sans que l’Hôpital ne demande l’assentiment du Grand Conseil. Dans le même temps, il a agi au grand jour en informant la Seigneurie de son projet d’agrandissement en 1732, en ayant recours au proto d’une magistrature publique dont l’expertise fut remise sous serment, en respectant les critères de permutation de biens conditionnés dans un sens favorable au fidéicommis et en veillant à ce que le capital, s’il n’était pas en mesure d’échanger des biens immeubles, soit placé sous la tutelle des Juges du Procurator en vue d’un investissement ultérieur. La permutation s’est faite sans la grâce, mais à ses conditions. La Pietà juge cependant bon de la régulariser et la Seigneurie d’accéder à sa requête.
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53La possibilité même de déroger au principe d’inaliénabilité, fût-elle limitée, démontre que les biens immobiliers en eux-mêmes comptent moins que leur valeur. La puissance publique interprète ainsi la volonté du testateur en privilégiant le maintien, voire l’accroissement du périmètre du fidéicommis et non l’absolue conservation de toutes ses composantes. Même lorsque l’objet de la permutation constitue le cœur du patrimoine, celui qui est doté d’une forte charge symbolique et celui pour lequel le fondateur a expressément interdit l’aliénation, la libération est possible si elle comporte, pour le fidéicommis, une utilité laissée à l’appréciation de la puissance publique. Ce qui compte alors par-dessus tout, c’est la capacité à maintenir et accroître une valeur marchande (capital ou rendement) ou une valeur d’usage (commodité ou rationalité). Cette manière de voir les choses contribue à unifier la pratique de la dérogation au-delà de la variété des biens conditionnés et des profils sociaux de leurs représentants.
54La pratique des dérogations conforte l’idée d’une approche très conservatrice du fidéicommis de la part des autorités vénitiennes. La comparaison avec le Grand-duché de Toscane ou le Milanais est éloquente de ce point de vue. Dans les États où le souverain a cherché à restreindre les fidéicommis (limitation des substitutions, obligation de l’enregistrement, monopole de la noblesse), la pratique en matière de dérogation est aussi plus souple et plus ouverte car elle va dans le même sens que les réformes : conserver le système au nom du passé et de l’avenir, mais en tenant compte des exigences du présent. Les motifs de dispense recevables sont d’une grande variété et ceux relevant de la gestion interne du fidéicommis sont très minoritaires. De plus, les données disponibles pour le Grand-duché de Toscane, où la totalité des dossiers d’instruction a été conservée, laissent transparaître une certaine bienveillance de la part de l’autorité souveraine dans le traitement des demandes de dérogation dont les deux tiers sont acceptées telles quelles (64,1 %), une infime proportion rejetée (6,7 %) et une part non négligeable (29,3 %) satisfaite, mais en posant certaines conditions61. Le Sénat de Milan agit de la manière en arbitrant entre la nécessité de conserver les biens dans le respect des intentions du testateur et de l’intérêt des futurs appelés et le souci de tenir compte des besoins et des obligations des bénéficiaires actuels62. La puissance publique s’immisce, de la sorte, dans la gestion des patrimoines privés en exerçant une forme de tutelle sur les fidéicommis qui ne sont pas remis en cause, mais dont elle entend se faire l’interprète, au cas par cas, à la demande des familles et dans leur intérêt supposé.
55À Venise, le Grand Conseil joue aussi ce rôle mais en ayant une approche beaucoup plus conservatrice des fidéicommis. En apparence, il impose des limites à sa propre action en limitant les motifs acceptables pour obtenir la levée de l’inaliénabilité à la seule gestion interne et en exigeant une « utilité », c’est-à-dire une majoration de la valeur marchande ou de la valeur d’usage du bien. Le nombre de grâces est à l’image de ces conditions très restrictives. Là réside le paradoxe de l’action publique qui s’immisce peu dans la gestion des fidéicommis car elle verrouille en amont le système en limitant fortement les conditions de sortie des biens immeubles. Les Avogadori di Comun ne s’y trompent pas quand ils rappellent dans leur avis que la loi de 1546 prohibe l’aliénation des biens conditionnés. Entre le testateur, les futurs appelés, et les représentants actuels du fidéicommis, l’État patricien a choisi son camp : c’est celui du passé et de l’avenir, contre le présent. Dans ces conditions, les usufruitiers fidéicommissaires disposent d’une faible marge de manœuvre qui les oblige à avancer des arguments qui correspondent exactement aux exigences légales. Cette circularité entre les motifs des requérants et les attentes officielles est sans doute un effet d’optique des grâces où ne figurent que les demandes qui ont abouti ; elle conforte aussi l’impression d’une parfaite assimilation des normes à observer pour activer le seul dispositif qui permette légalement de toucher aux biens immeubles.
Notes de bas de page
2 L. Tria, Il fedecommesso nella legislazione e nella dottrina dal XVI secolo ai giorni nostri, Milan, 1945, p. 48-49.
3 Novissima Veneta Statuta, 1729, f° 282r : « Non se intendendo però esser servata la via della gratia quelli che per evidente utilità supplicassero de poter vender, permutar, o livellar li lor stabili conditionati et che non fussero ruinati, la qual gratia servati servantis se li possa concieder ordinariamente et con li cinque sesti del nostro Mazor Conseglio nel qual etiam la presente parte se abbia metter ».
4 Ce pouvoir revenait au Sénat à Turin et à Milan, au Conseil de régence à Florence, au tribunal de la Rote à Rome. Cf. S. Calonaci, Dietro lo scudo incantato : i fedecommessi di famiglia e il trionfo della borghesia fiorentina (1400ca-1750), Florence, 2005, p. 197-199 ; L. Marchi, La legge sui fedecommessi toscana (1747), dans MEFRIM, 124/2, 2012, p. 579-592 ; A. Monti, Fedecommessi lombardi : profili giuridici e riflessi privati delle dispense senatorie, Ibid., p. 489-500 ; A. Cogné, Le fidéicommis, un instrument d’immobilisation des patrimoines ?, Ibid., p. 501-517. N. La Marca, La nobiltà romana e i suoi strumenti di perpetuazione del potere, Rome, 2000, vol. 1, p. 114-116 ; C. Bonzo, Dalla volontà privata alla volontà del principe. Aspetti del fedecommesso nel Piemonte sabaudo settecentesco, Turin, 2007, p. 419-454.
5 G. Cozzi, La politica del diritto nella Repubblica di Venezia, dans Id., Stato, società e giustizia nella Repubblica veneta (sec. XV-XVIII), Rome, 1980, p. 21-121 ; Id., Ambiente veneziano, ambiente veneto. Governanti e governati nel Dominio di qua dal Mincio nei secoli XV-XVIII, dans G. Arnaldi, M. Pastore Stocchi (dir.), Storia della cultura veneta, 4/II, Vicence, 1984, p. 495-539. Ce modèle a été révisé par C. Povolo, Un sistema giuridico repubblicano. Venezia e il suo stato territoriale (secoli XV-XVIII), dans I. Birocchi, A. Mattone (dir.), Il diritto patrio : tra diritto comune e codificazione (secoli XVI-XIX), Rome, 2006, p. 332-333.
6 A. Sambo, Les délégations de la Seigneurie (XVIe-XVIIIe siècle) : communication politique ou pratique de négociation entre Venise et la Terre ferme, dans Annales H.S.S., 4, 2015, p. 819-847.
7 Sur la pratique de la grâce, A. M. Hespanha, La economia de la gracia, dans Id., La gracia del derecho : economia de la cultura en la edad moderna, Madrid, 1993, p. 151-176, Id., Os juristas como couteiros. A ordem na Europa ocidental dos inícios da idade moderna, dans Análise social, 161, 2001, p. 1183-1208 ; H. Millet, Introduction, dans Ead. (dir.), Suppliques et requêtes : le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe-XVIe siècle), Rome, 2003, p. 1-14 ; C. Nubola et K. Härter, (dir.), Grazia e giustizia : figure della clemenza fra tardo medioevo ed età contemporanea, Bologne, 2011 ; R. Abbad, La grâce du roi : les lettres de clémence de la Grande Chancellerie au XVIIIe siècle, Paris, 2011 ; Y.-M. Bercé, La dernière chance : histoire des suppliques, Paris, 2014, chap. 3, p. 91-111.
8 ASVe, Cassier della bolla ducale, Registro Permute Fideicommissi fatto rinnovare essendo cancellier grande il magnifico Giovanni Colombo dal fedelissimo Marin Corniani casiere all’offizio della Cancelleria ducale alla bolla nell’anno MDCCLXVII (abrégé par Permute Fideicommissi), couvrant les années 1701-1795.
9 A. Lorenzoni, Instituzioni del diritto civile privato per la provincia vicentina, t. 1, parte 2, Vicence, 1785, § 603 : « Dal che apparisce, che l’espressione del testatore, con cui proibisce l’alienazione in favore di alcuno, per altro succedere, che l’alienazione di qualche stabile rovinoso, coll’impiego del ricavato, fosse utile al fedecommesso, o parimenti l’alienazione eziandio di uno stabile non rovinoso ; quindi è che le leggi in tali casi permettono l’alienazione, quando nel primo caso sia la stessa autorizzata dall’eccelentissimo Podestà (Stat. Venet. Leggi Civili Parte 1637 19 Maggio), e nel secondo l’alienazione sia approvata con cinque sesti de’ voti del serenissimo Maggior Consiglio (Stat. Venet. Luogo cit. Parte 1546 4 settembre). L’approvazion dell’alienazione di uno stabile fedecommesso non rovinoso fatto coi cinque sesti dei voti del serenissimo Maggior Consiglio si chiama surrogato ».
10 Dans la pratique, il arrive que la Seigneurie désigne le Petit Conseil.
11 ASVe, Collegio, Suppliche di dentro, b. 190 (1746) ; Commesse di fuori, b. 487.
12 Par exemple, le collège des XII est une juridiction d’appel dans les affaires de faible valeur, entre 100 et 400 ducats, au dessus desquels était compétent le collège des XX. Voir note 32, chapitre 4, p. 173.
13 L’Avogaria di Comun, composée de trois magistrats, constituait un organe de contrôle administratif et comptable veillant à ce que les actes publics soient conformes aux lois.
14 Cette répartition s’appuie sur le dépouillement complet d’une cinquantaine de fascicules répartis dans la première moitié du XVIIIe siècle. Les mêmes investigations conduites pour le premier XVIIe siècle donnent les mêmes proportions (14 grâces examinés) : 2 < 3 mois, 8 entre 3 et 12 mois, 4 > à 12 mois.
15 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi, f° 40r.
16 Ibid., f° 76, 16 janvier m. v. 1763, Giorgio Marioni e nepoti/Barbara Contarini Querini.
17 Il s’agit de l’Hôpital de la Pietà qui adresse à quatre reprises une supplique au sujet de fidéicommis dont elle veut acquérir un bien (12/04/1718, 24/03/1728, 09/04/1732, 18/04/1764). Il est, par ailleurs, protagoniste d’une autre permutation pour laquelle l’ayant droit adresse la supplique (Zuan Donà Correggio, 13/04/1729).
18 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 44, 50, 59.
19 Ibid., f° 73, 7 avril 1762.
20 Ibid., f° 57, 7 avril 1751.
21 Ibid., 30 mars 1706.
22 Compte tenu des travaux à réaliser (évalués à 12312 ducats), la valeur du bien est estimée par le proto Antonio Mazzoni à 47252 ducats, qui à 3 % rendent 1653 : 19, soit moins que le loyer de 1681 : 3. Pour compenser la différence et majorer d’un tiers le revenu, la rente versée est portée à 2241 ducats (814 : 4 pour la portion des frères Pesaro ; 476 : 13 pour celle de Nicolò Venier ; 16 : 10 pour sa possession libre des stazi ; 476 : 13 pour la portion d’Alvise Venier et 97 : 20 pour sa libre possession de stabili et stazi ; 35 : 16 pour la portion d’Orazio Dolce et 324 : 8 pour la portion d’Agostino Correggio). Ibid., f° 104v-105v, 25 novembre 1787. En 1791, Lodovico Manin, devenu doge, et son frère acquièrent selon la même procédure une maison et une boutique sur le campo San Salvador détenues par les quatre frères Concolo : ibid., 13 mars 1791.
23 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fidecommissi, f° 15, 11 avril 1702.
24 ASVe, CL, b. 209, Fidecommissi, f° 41r-42v : « 1577 8 Aprile in Maggior Consiglio. Ha inteso questo Conseglio dalla supplicazione delli NNHH sier Bortolamio Lippamano cavalier et fratelli, dalla risposta delli Proveditori di Comun, et dalla nuova scrittura presentata dalli predetti NNHH ora lette, che sebben finisce in loro et suoi figliuoli la condizione di loro stabili posti alla Zudecca si offeriscono non di meno d’investire tutto il denaro, sì della parte libera, come di quella sottoposta al fideicomisso. Parendo perciò alla Signoria nostra per rispetto di tutte le predette condizioni tal dimanda loro onestissima et trattandosi poi di causa, ch’è principalmente del signor Dio, alla qual divina Maestà la Republica nostra in turbolenta e calamitosa occasione del contagio ha fatto già il solenne voto della edificazion della votiva chiesa intitolata al Redentor nostro.
L’anderà parte, che per autorità di questo Conseglio sia concesso grazia alli predetti NNHH sier Bortolamio Lippamano cavalier e fratelli quondam sier Donà di poter vender quella porzion di stabile solamente da esser comprato di danari dalla Signoria nostra da esser investiti come particolarmente si contiene nelle presenti supplicazion, scrittura et risposta sopra il quale predetto decreto in esecuzion delle parti del Senato nostro si ha da edificar il predetto tempio votivo. 911/146/22, 5/6 da 600 in sù, espulsi li parenti ».
25 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fidecommissi, f° 19r ; ibid., Grazie del Maggior Consiglio, b. 52, 12 avril 1718.
26 Ibid. : « Altro vantaggio ne deriva della diversità del sito, mentre li stabili che riceve il povero Ospidale sono in un infelice sitto nella contrada di S. Giovanni in Bragora, ma necessario a tanta opera, dove quelli che asegna in subrogato sono nella contrada di Santa Marina e S. Bortolamio, luochi apperti e liberi che promette di giorno in giorno miglioramenti d’affittanze ».
27 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi, f° 38r, 4 avril 1732 : « tanti stabili e terre così in questa città come fuori che in avvenire pervenissero nel detto Ospedale d’annua rendita di ducati 300 da lire 6 : 4. Obligandosi detto Ospitale di corrispondere alli sudetti NNHH Bollani ducati 300 all’anno fino tanto accada l’incontro di tali beni (quale se dilationasse et così piacesse alli rappresentanti del fideicommisso) s’obliga pure il detto Ospedale all’esborso di ducati 10000 correnti, qual summa abbia ad esser depositata al magistrato del Procurator per esser investita con condizione, che tutti gl’assegnamenti che saran fatti in subrogato del fideicommisso medesimo ».
28 Ibid., f° 55, 19 janvier m. v. 1750.
29 Ibid., f° 77, 18 avril 1764.
30 Ibid., f° 50rv, 30 mars 1747 ; ASVe, Cassier della bolla ducale, Grazie del Maggior Consiglio, b. 95.
31 L. Marchi, La legge toscana sui fedecommessi (1747), art. cit., p. 585.
32 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 9r, 22 mars 1712 : « riddotte cadenti e rovinose ».
33 Ibid., f° 1r, 22 mars 1701 : « la permuta d’una casa in poco buon stato con campi quatro et cason di paglia rovinoso nella villa di Magnadola ».
34 Ibid., f° 3r, 30 mars 1706 : « che possano alienar un palazzo incominciato già più di un secolo e lasciato imperfetto che si è poi riddotto in stato rovinoso e cadente con campi ottanta otto in circa ad esso adiacente, il tutto posto in villa di Selva ».
35 Ibid., f° 65, 06 avril 1757, permutation Giovanni Battista Valmarana.
36 BMCC, Cod. Cic. 1511, n. n., mémoire des Provveditori di Comun, 12 septembre 1661 : « et il racordo altre volte proposto in questa materia potrebbe da vostra Serenità essere gradito in riguardo massime che sono frequenti le istanze al magistrato nostro di persone che possedono di questi stabili rovinosi che permutandosi con altri particolari non ricevono tanto emolumento quanto ricaverebbero se si praticasse il concorso al pubblico incanto et al quale i possessori presenti et li sostituiti nei fedecommisi megliorano la propria conditione con maggior profitto dei fidecommissi medesimi ».
37 ASVe, Censo provvisorio, Notifiche, Venezia, b. 102, n. 3208.
38 ASVe, Provveditori di Comun, b. 52, 163, f° 9v-11r, 14r-15v. Grâce concédée le 11 mars 1602.
39 ASVe, Cassier della bolla ducale, Grazie del Maggior Consiglio, b. 88, 28 juillet 1714, avis des avocats fiscaux Antonio Longo et Stefano Morelato sur la permuta Cucina/Tiepolo : « benefficio che ragionevolmente si suppone che sarebbe abbraciato da’ testatori se fossero in vita ».
40 Ibid., b. 96, Permuta Bon/Rezzonico, avis des avocats fiscaux, 9 août 1750 : « La legge 1546 del serenissimo supremo Maggior Conseglio premette in utilità del fideicommisso le alienazioni e le permute e questa utilità per la pratica viene considerata nel terzo di più del vero valore del fondo o della vera rendita ».
41 Invités à donner leur avis sur la permutation de biens situés à Cavarzere, les avocats fiscaux font état, en 1714, de la difficulté de confirmer le montant du revenu estimé à 600 ducats annuels : « sono questi fondi vallini, corivi e pescarecci di rendita incerta perché consiste in stramme, canna, cannelle e pesche et uso di trar di schioppo, a motivo di che corrono inaffittati, dipendendi la loro sorte dalla maggior o minor quantità d’acque, dalla quale restando scoperti et asciuti, rimangono di qualità cattiva et infelice ». ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 15rv ; Grazie del Maggior Consiglio, b. 88, permuta Grimani/Salvadego.
42 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 48v-49r, 6 avril 1746.
43 Ibid., f° 52v-53r, 2 avril 1749.
44 Ibid., f° 54rv, 15 mars 1750.
45 Ibid., f° 18rv, 10 mai 1717 ; Provveditori di Comun, b. 45, reg. 15, n. n.
46 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 68rv, 22 mars 1758 ; Provveditori di Comun, Suppliche et risposte, b. 45, reg. 17 : « oltre il risparmio in avenire di decima col mettermi di più a coperto dagl’altri infortuni di vuoto, concieri, impontualità d’affituali et altro cui vanno tutto giorno soggetti li stabili, onde vengono in ogni maniera a fare vantaggio concambio ».
47 Ibid., f° 18v-19r, et Grazie del Maggior Consiglio, b. 88, Permuta Erizzo/Nani, 12 avril 1718, avis des avocats fiscaux : « Il primo vantaggio deriva dal luogo mentre un fideicommisso di campi si transferisce in un fideicommisso di stabile privilegiato in questa città Dominante » ; « al che si aggionge l’esenzione della commissaria in avvenire dell’obligo de’ campadeghi, ristori in caso di rotte e tempeste, e del mantenimento degli arzeri, accidenti che caricano di gravissimo peso li possessori ». Avis des Avogadori di Comun : « altre a ciò si aggiunge rimaner il fidecommisso sollevato dall’obligo de campatici, ristori per tempeste, de inondazioni di aque et altri accidenti et aggravii soliti sopra beni di campagna. Et convertito sopra di un stabile di città in luoco conspiscuo e facile ad esser affittato ».
48 Ibid. : « È sempre più vantaggioso ad un fidecommisso il subrogare uno stabile roggetto a vuoti e restauri a campi e terre sempre fruttiferi e vendenti ».
49 Pour 6 grâces, il n’est pas possible de déterminer s’il s’agit d’une permutation de biens ou d’une vente suivie d’un réinvestissement. Un cas associe permutation et vente, un autre vente et subrogation.
50 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 2rv, 3 avril 1703.
51 Ibid., f° 3rv, 30 mars 1706.
52 Un avis des Avocats fiscaux daté de 1794 évoque l’accroissement d’un tiers comme un des critères retenus par la loi (ASVe, Quarantia civil vecchia, b. 390, Scritture per permuta fidecommissi, n. n. : « Terzo, che portino evidente utilità in capital e rendita al fidecommisso, la quale utilità dalla legal consuetudine è prescritta ad un terzo di più del capital e rendita dei beni fide commissi »). La loi de 1546 ne quantifie pas l’avantage, mais évoque seulement une « evidente utilità ».
53 ASVe, Cassier della bolla ducale, Grazie del Maggior Consiglio, b. 96, 8 août 1750, supplique de Pietro I et Pietro II Bon : « Non potendo noi sier Pietro primo e sier Pietro secondo detto Filippo fratelli Bon de sier Giacomo fu di messier Filippo procurator di San Marco secondare l’idea de nostri maggiori nell’impresa grandiosa della fabrica disegnata della stabile posto in questa città in contrà di S. Barnaba sopra Canal Grande, impossibile pare a noi per le ristrette nostre fortune il riparo a pregiudizii e danni della fabrica stessa imperfetta nella facciata, nelli latterali, nell’interno, e sopra tutto ne coperti non stabiliti, abbiamo dovuto e in vita e dopo la morte del padre deplorare l’infelice destino di detta fabrica nell’oggetto, nel quale s’attrova, e nell’evidente pericolo di aver a perire col tratto del tempo e sepelersi nelle stesse sue rovine ».
54 Ibid., 14 août 1750, rapport d’Antonio Mazzoni : « mentre ho ritrovato tutto il coperto presente tanto nella parte fatto stabile come nell’altra fatto provisionale con li legniami imarsiti nelle teste et incurvati nella mezaria, così che altro rimedio non vi è che il rifarli tutti intieramente da nuovo e con nuovi matteriali. Le travadure pure quasi tutte sono nell’istesso pericolo e con lo stesso sconcerto à mottivo delle pioggie che dal coverto non solo ma dalli balconi tutti che senza fenestre e scuri sono, si fermano sopra le medesime ed hanno imarsiti li legniami tanto in quelli luochi dove sono stati fatti li terazi già rovinati come dove non sono che pochi legniami esposti senza alcun riparo ».
55 Ibid., vote de la Seigneurie le 19 août (9/0/0), votes de la Quarantia civil vecchia le 21 août (34/3/3) et le 26 août (39/0/1), vote du Grand Conseil le 6 septembre (781/17/3).
56 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 45rv, 09 septembre 1750 : « ducati 60000, da quale detrato pure l’aggravio sudetto del capitale di S. Barnaba di lire 415 : 8 annue formati di capitale ducati 1575 : – come sopra resta il netto prezzo de’ ducati 58425 : –, da esser questi investiti o fatti girare in una o più partite sopra una o più delle venerande scole grandi di questa città come capitali fruttanti, sostituiti e subrogati a detto stabile per esser li prò dipendenti da essi liberamente, overo a chi averà causa da essi o sarà di raggione dovuti con la condizione in caso d’affrancazione o incontro d’investita di essi capitali, da esser questi investiti in tanti beni stabili in questa città o fuori, e sempre con la perpetua manutenzione di esso NH compratore, cossiché dalla predetta permuta si rilieva avvantaggiato il fideicomisso sudetto di ducati 18700 et in caso di qualunque evento de sudetti capitali o investite abbino d’aver essi venditori o suoi eredi sempre regresso sopra il sudetto stabile permutato ».
57 D. Micheli, Deli fidecommissi, Vérone, 1733, Parte I, cap. V, n. 36, p. 30 : « La dizione, possa vendere per sua necessità, concede la libertà di alienare a pregiudicio del fidecommisso, quando ciò sia necessario. Questa necessità deve essere provata e conosciuta dal giudice avanti, e non dopo l’alienazione ».
58 Sur la manipulation des procédures, voir R. Ago et S. Cerutti, « Premessa », dossier « Procedure di giustizia », Quaderni storici, 101/2, 1999, p. 307-314.
59 ASVe, Provveditori di Comun, Suppliche e risposte, b. 45, reg. 17 : « in pagamento dell’acquisto la somma depositata passata in affrancazione di molti creditori livelari su’ stabili medesimi subrogando in tal modo al fideicomisso donado alienato li stabili col di lui prezzo nuovamente acquistati ».
60 ASVe, Cassier della bolla ducale, Permute Fideicommissi 1701-1795, f° 78v- 79v, 18 avril 1764.
61 L. Marchi, La legge toscana sui fedecommessi (1747), art. cit., p. 585-586.
62 A. Cogné, Le fidéicommis, un instrument d’immobilisation des patrimoines ?, art. cit., p. 502-508.
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