L’inattaquabilité des fidéicommis
p. 133-135
Texte intégral
1En décembre 1771, Filippo Calbo, élève de l’Accademia des Nobili, est appelé à disserter sur la régulation des fidéicommis. Il commence sa composition par une question historique d’une certaine hauteur : « pourquoi donc nos aïeuls, tant sollicités sur tous les sujets, n’ont-il jamais, quelle que soit l’époque, produit une loi, ni donné leur avis sur cette matière ? »1. Il impute une telle absence au fait que dans une économie marchande qui reposait sur la circulation des capitaux, les fidéicommis n’avaient pas cours ; il constate néanmoins, sur la base des testaments conservés à la Chancellerie, que, déjà en ces temps reculés, étaient institués des fidéicommis et que la pratique n’a cessé de se répandre à la faveur de l’abandon du commerce et l’acquisition de biens en Terre Ferme, sans que la loi ne la prenne en compte. Il a raison de signaler l’absence d’une loi « organique » en matière fidéicommissaire, mais cette question ne se pose véritablement au XVIIIe siècle quand d’autres États italiens légifèrent sur le sujet et la loi de 1546 sur les biens en ruine – que nous examinerons dans la partie suivante – acquiert le statut de loi de référence en la matière, même si son application est sectorielle. Pour autant, l’État ne reste pas « indifférent » à la diffusion d’une pratique qui bouleverse l’ordre de transmission et entre en relation, pour ne pas dire en concurrence et en opposition avec d’autres systèmes qui reposent au contraire sur la disponibilité des biens : le marché foncier, le crédit et la dot. Par touches, les autorités sont confrontées à la nécessité de trouver une articulation entre ce dispositif qui met les biens à l’abri et d’autres mécanismes indispensables au fonctionnement de l’économie, aux équilibres de la société et à la reproduction des familles. Elles doivent répondre à des enjeux considérables : comment concilier l’inattaquabilité des fidéicommis et le recouvrement de l’impôt ? Comment préserver les droits des créanciers privés et des acheteurs ? Comment rendre compatibles les fidéicommis avec la constitution et la restitution de la dot ? Le législateur n’a pas répondu à ces questions de manière univoque, même si, au total, les protections dont bénéficient les fidéicommis ont été très peu entamées. Il est significatif de constater que ces questions ont été abordées dans un même décret, voté en mars 1491, et qui fixe des règles en vigueur jusqu’à la fin de la République : les fidéicommis sont intouchables par le fisc qui, faute de pouvoir confisquer la propriété, doit se contenter des fruits des immeubles ; les droits des créanciers privés, dont le sort n’est pas explicitement abordé, sont subordonnés à ceux des fidéicommis, mais la loi tente d’apporter des garanties en amont en favorisant la publicisation des fidéicommis. Seule la dot reçoit la faculté d’attaquer les fidéicommis, mais seulement au moment de sa restitution. Ces différences de traitement permettent de prendre la mesure de la priorité que l’État patricien accorde à la défense des fidéicommis, mais aussi de la hiérarchie qu’il introduit entre les autres droits. Que la loi de 1491 traite de tous ces domaines est une invitation non seulement à étudier l’incidence des fidéicommis sur chacun d’entre eux, mais aussi à penser l’interdépendance de ces différents domaines.
loi du Grand Conseil du 29 mars 1491 (décret du Sénat du 23 mars) Sources : Novissima Veneta Statuta, 1729, Correzione Barbarigo, f° 169v-170r.
Li stabili conditionati non possino esser venduti per la Signoria, exceptuando le dote ; et li nodari subito dapoi la morte del testadore sieno obligadi dar in nota li beni conditionati a la Cancelleria da basso. Cap. V
I nostri sapientissimi progenitori per conservation di stabili et utilità de molti pupilli et vedoe et universalmente de tutti hanno sempre voluto che i stabeli lassati conditionati non se potesse per alcun debito né modo vender né alienar ; ma da certo tempo in qua l’è sta’ rotta tal sancta leze et institutione et concesso per parte se possi per debito de la Signoria nostra vender ogni stabile conditionato, in modo che alcuni con questa tal permission et auctorità volendo vender i stabeli conditionati se lassano venir debitori a le Cazude et altri officii, et fanno vender tali stabeli in grandissimo pregiudicio et disfaction di poveri pupilli et successori soi ; il che necessario è proveder e tuor tal inganni de mezo et tandem dar modo e forma che la nostra Signoria possi esser pagata di quanto la doverà haver, et non vender et alienar tal stabili conditionati, però l’andarà parte che de cætero per le Cazude et altri officii e magistrati, per debito de la Signoria nostra né qualunque altro debito, forma over ingegno (salvo che per la dote, quale rimanga nel suo primo robore e firmità), non se possi vender né alienar alcun stabile conditionato, sì in questa nostra città come sotto il Dogà ; ma per satisfaction et pagamento de quanto doverà haver la nostra Signoria, tal case e stabeli se debbi per quello officio doverà haver, affittar, et li affitti de quelli scuoder fino il debito serà integralmente pagato a la nostra Signoria, restituendo poi tal stabeli a cui l’aspetta, et sempre rimagni conditionato.
Et perché per la forma de le leze nostre il non se pol vender alcun stabile se non per debito che eccedi la summa di ducati 50, sia dechiarido che li stabeli conditionati possino et debbiano affittar nel modo sopradicto per ogni et qualunque summa et quantità de debito, non obstante alcuna leze et ordine in contrario, dechiarando che tutti li officii haveranno debitori de la nostra Signoria possino et debbino prima far experientia de farse satisfar sopra i beni mobeli et stabeli non conditionati, secondo la forma de le leze che parlano circa de ciò, et, non se possendo pagar sopra dicti beni, debbino poi procurar esser satisfacti sopra stabeli conditionati per il modo soprascripto.
Et a cason de verità et senza fraude se possi intender i beni et stabeli conditionati sì in questa terra come in tutto il Dogà, da mò sia preso et statuido che tutti i nodari che facto haveranno alcun testamento, nel qual il testator lassi i stabili conditionati, sì in questa terra come sotto il Dogà, debbi, subito sarà mancato il testator, sotto pena de privation de la nodaria et de ducati cento de i soi proprii beni da esser scossa per li Avogadori de Commun, la mità de la qual sia de li Avogadori, andare a l’officio di cancellieri da basso et li debbi dar in nota ad unguem il capitulo di beni stabeli lasciati conditionati, nel qual officio se debbi de questo tenir uno separato et particolar libro, nel qual etiam siano tenuti fra termine de mese uno dapoi la publication de questa parte tutti quelli hanno beni conditionati, per potersi sempre saper et haver la verità ; et la presente parte dapoi presa per dichiaratione et notitia de tutti sia publicata in le scale de Rialto. Et la presente parte non se intendi esser presa, se la non serà posta et presa nel Mazor conseglio.
Notes de bas de page
1 BNM, Ms. It. VII 1703-8792, Materie economiche, N° XXI : « Premesse queste cose a chiara intelligenza di quanto saremo per dire, ci permettano V.V. E.E. che procuriano di rintraciare la cause, perché mai li nostri maggiori tanto soleciti in ogni genere di disciplina a questa materia in alcun tempo non abbian mai dato nessuno provedimento o pensiero ».
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