L’analyse micromorphologique
p. 123-128
Texte intégral
1. Problématique
1L’approche micromorphologique a été mise en œuvre à Campo delle Piane 7 pour répondre à une série d’interrogations relatives à l’occupation humaine et à la reconnaissance d’un épisode d’incendie qui semble avoir affecté l’ensemble du niveau archéologique.
2Ces questions peuvent se résumer ainsi :
L’incendie est-il responsable, et le seul, des nombreuses traces de combustion visibles à la fouille ? Si incendie il y a eu, quand s’est-il produit par rapport à l’occupation humaine ?
Parmi les traces d’altération thermique comment expliquer la présence de taches brunes plus marquées ? S’agit-il de foyers d’origine anthropique ou sont-elles liées à l’incendie ?
Le niveau archéologique correspond-il à une occupation unique ou à une succession d’occupations ?
3Pour aider à résoudre ces différents problèmes, 7 échantillons, sur les 14 prélevés, ont été étudiés en lame mince (fig. 1).
2. Méthode
4L’analyse microstratigraphique est fondée sur les principes de détermination et d’interprétation de la micromorphologie des sols et des sédiments archéologiques (Courty et al. 1989 ; Courty et Fedoroff 2002 ; Wattez 1992, 1996). L’objectif de cette approche est de reconstituer l’ensemble des processus de formation des couches à partir de l’étude de l’arrangement tridimensionnel des particules sédimentaires (Bullock et al. 1985). Cette étude est effectuée en lames minces, réalisées dans des échantillons prélevés en blocs orientés afin de préserver l’arrangement d’origine des constituants (fig. 2). Les lames sont ensuite observées en microscopie optique (loupe binoculaire et microscope polarisant).
3. Analyse microstratigraphique
5La couche d’occupation présente une variation latérale de couleur allant du rouge au brun noir. La couleur rouge s’étend sur la totalité du secteur fouillé ; en coupe elle apparaît massive et homogène. On observe en outre, localement, des zones brun noir plus marquées comme celles localisées dans les carrés U111 ou U115 (fig. 1). Celle étudiée en U115 (échantillon n° 8) est un bon exemple de l’aspect que revêtent ces altérations locales. Elle se présente comme une tache ovoïde, en coupe elle est lenticulaire, finement stratifiée et aux limites diffuses (fig. 10, chap. 4). Elle comporte aussi des vestiges osseux et lithiques brûlés ainsi que des charbons de bois en proportions variables.
6La question se pose de la signification de ces zones plus sombres et de l’origine de leur altération. Ces taches sont-elles le résultat d’une combustion in situ d’origine anthropique (foyer en place non aménagé), d’une zone de rejets ou de l’impact différentiel d’un incendie postérieur ? En outre, en raison de leurs limites floues, aussi bien en plan qu’en coupe, se pose aussi le problème de leur relation chronologique avec le « paléosol rouge » environnant.
7Les caractères structuraux et texturaux des différentes couches prélevées mettent en évidence trois grands types d’organisations : les organisations naturelles stricto sensu (type I), les organisations anthropiques (type II), les organisations naturelles post-dépositionnelles (type III) (tabl. I-III). Les organisations sédimentaires forment des unités micro-stratigraphiques de 5 mm à 3 cm d’épaisseur continues à l’échelle de l’observation.
Tabl. I – Organisations structurales naturelles.
8La corrélation latérale des séquences étudiées fait apparaître une dynamique naturelle homogène dans l’ensemble du secteur fouillé ainsi qu’une variation spatiale liée aux activités humaines (fig. 3).
9Les lames étudiées peuvent être regroupées en trois ensembles en fonction du degré d’anthropisation des sédiments :
10• Des sols peu marqués par l’activité humaine (échantillons nos 3 et 6)
11L’échantillon n° 3 est celui qui présente le moins de traces d’anthropisation. On y observe un sol naturel développé sur des alluvions limoneuses fines. La partie supérieure de la lame est caractérisée par des traces de ruissellement et de compaction, probablement d’origine anthropique.
12L’échantillon n° 6 montre également à sa base des alluvions fines. Elles sont surmontées ici par un niveau de nature anthropique correspondant à des résidus de combustion remaniés. Ils peuvent être interprétés comme des rejets de foyers en position primaire ou secondaire. La séquence est recouverte par un niveau de colluvions fines.
13• Des sols bien anthropisés (échantillons nos 1 et 2)
14Sur une base semblable constituée de dépôts alluviaux, ces deux échantillons présentent des sols de prairie peu évolués, marqués par des surfaces d’activité nettement anthropisées, plus ou moins cumulées ou lisibles. En effet, si la couche anthropique apparaît plus épaisse dans l’échantillon n° 1, elle est aussi affectée par une pédogenèse plus active, susceptible d’avoir homogénéisé le sédiment en augmentant sa dispersion verticale.
15Dans ces 2 lames, cette séquence anthropique s’achève par une phase d’incendie assez nette se développant sur un sol de prairie, mis en place après l’abandon du site et avant que le « paléosol rouge » ne soit recouvert par des apports boueux latéraux assez massifs (colluvions).
16• Des foyers (échantillons nos 8, 13 et 14)
17Les deux zones brunes étudiées (U115 et U111) correspondent bien à des foyers, caractérisés par deux séquences distinctes d’utilisation regroupant chacune de nombreuses traces de chauffe
18Les lames n° 13a et 13b sont les plus riches en unités microstratigraphiques (fig. 2). La séquence supérieure (unités 8 à 16) montre cinq phases de chauffe. Dans la séquence inférieure (unités 2 à 5) seuls deux niveaux de chauffe sont individualisés. Tous ces épisodes de fonctionnement du foyer sont séparés par des apports boueux (remobilisation locale ou ruissellements). On note aussi des traces de recreusement entre les unités 7 et 8 ainsi qu’entre les unités 13 et 14. Ces stigmates d’une utilisation répétée d’un foyer sont recouverts par des unités correspondant au développement d’un sol brunifié postérieur à l’occupation humaine et synchrone d’apports latéraux de faible énergie. Cette pédogenèse syn-sédimentaire est probablement à mettre en relation avec le comblement « naturel » de la cuvette du foyer.
19Plus simples, les échantillons nos 8 et 14 montrent également deux phases de combustion distinctes et des traces de curage (n° 14) dans un contexte microstratifié, caractérisé par des combustions successives, tassées ou piétinées, séparées par des apports sédimentaires pouvant être associés à des ruissellements.
20Sur ces trois échantillons, des colluvions ou des traces d’alluvions fines ferment la séquence et recouvrent le « paléosol rouge ».
4. Conclusion
21Les unités microstratigraphiques constituant le niveau anthropique apparaissent bien conservées sous des sédiments fins liés à des dépôts de faible énergie, de nature colluviale ou alluviale. Une phase d’incendie a bien affecté le site après son occupation par les Épigravettiens. Par ailleurs, les deux taches brunes interprétées à la fouille comme des foyers non aménagés (U115 et U111) correspondent effectivement à des structures de combustion. Ces foyers ont connu deux phases de fonctionnement, séparées par un très léger dépôt de sédiment qui pourrait correspondre à un ruissellement très local. Il reste difficile de déterminer le temps écoulé entre ces deux phases, mais il peut être très court, de l’ordre de quelques jours, ou plus long de l’ordre d’une saison (?). À l‘échelle de la surface d’activité fouillée, il est impossible d’établir des relations chronologiques entre les phases d’utilisation des différents foyers. Étaient-elles synchrones ou non, la question ne peut être résolue assurément par la micromorphologie. Néanmoins, le fait que deux phases distinctes soient également individualisées en dehors des foyers analysés, dans l’échantillon n° 2, pourrait être un indice en faveur d’une succession d’occupations proches dans le temps.
22Pour résumer, d’un point de vue microstratigraphique, le niveau archéologique semble donc constitué d’une accrétion de surfaces d’activité, plus ou moins marquées, parfois séparées par un dépôt de sédiment probablement lié à une redistribution locale de type ruissellement. La variation de couleur observée sur le terrain semble correspondre à une variation spatiale de nature anthropique, en relation notamment avec la présence de foyers non aménagés, également polyphasés.
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Campo delle Piane
Ce livre est cité par
- Peresani, Marco. Ravazzi, Cesare. Pini, Roberta. Margaritora, Davide. Cocilova, Arianna. Delpiano, Davide. Bertola, Stefano. Castellano, Lorenzo. Fogliazza, Fabio. Martino, Gabriele. Nicosia, Cristiano. Simon, Patrick. (2018) Human settlement and vegetation-climate relationships in the Greenland Stadial 5 at the Piovesello site (Northern Apennines, Italy). Quaternary Research, 90. DOI: 10.1017/qua.2018.76
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