Chapitre 6. La découverte d’une nouvelle occupation épigravettienne à campo delle Piane
p. 61-83
Résumés
Les prospections réalisées dans la vallée du Gallero ont permis la découverte d’un niveau archéologique en place. Ce niveau n’est pas celui mis au jour par G.B. Leopardi, il en diffère par son emplacement et sa profondeur au sein d’une séquence tardiglaciaire. Il témoigne donc d’une autre occupation épigravettienne dans la vallée. Il est lié à un paléosol et a été daté par le carbone 14 de 18 500-17000 cal. BP. La surface décapée s’étend sur 80 m2 environ et correspond à une partie seulement d’un habitat plus vaste. La couche archéologique est mince et se caractérise par une faible densité de vestiges associés à des foyers simples, non aménagés. Les témoins d’activité sont essentiellement des silex taillés auxquels s’ajoutent quelques pierres chauffées et travaillées ainsi que des esquilles osseuses indéterminables. Le niveau d’occupation a été altéré par un incendie (au moins) qui s’est produit après le départ des Épigravettiens et les silex brûlés sont nombreux. Les raccords de silex et les données de la micromorphologie indiquent une relativement bonne conservation du niveau archéologique et de l’organisation spatiale des vestiges à l’exception des témoins de faune qui ont disparu.
Le recours à la micromorphologie et à la susceptibilité magnétique a permis d’identifier des foyers et de les distinguer des aires de combustion naturelles provoquées par l’incendie. En outre, ces analyses révèlent l’utilisation répétée de certains d’entre eux. La surface fouillée est interprétée comme une aire d’activités multiples parmi lesquelles le travail de la pierre est la mieux représentée. L’industrie lithique (548 éléments) se compose de lames courtes et de lamelles, brutes et façonnées, et de restes de taille. Aucun nucléus montrant les traces d’un débitage organisé n’a été mis au jour sur la surface fouillée. L’outillage comprend des supports laminaires façonnés (lames retouchées, pointes, grattoirs, bec, burin) et des microlithes variés (pointes, lamelles à bord abattu parfois tronquées, lamelles à fines retouches marginales). Le remontage de courtes séquences de débitage et de chutes sur un burin indique que le débitage et le façonnage des supports étaient des activités réalisées sur place. Par ailleurs, l’analyse tracéologique révèle l’exécution d’autres opérations qui ont trait principalement au travail de boucherie et de peausserie. L’organisation spatiale du locus fait apparaître un espace central dégagé autour duquel les foyers et les vestiges s’organisent en arc de cercle. L’hypothèse de la présence d’un abri ou d’un tapis est avancée mais non clairement attestée. La question d’une occupation unique ou d’une succession d’occupations proches dans le temps reste posée, de même que celle de leur durée.
The survey realized in the Gallero Valley has permitted the discovery of an archaeological layer in situ. This layer does not correspond to the one found by G.B. Leopardi because its location and its depth inside the Late-glacial sequence are different. Its indicates an another Epigravettian occupation in the valley. This layer is correlated to a palaeosol and has been dated about 18 500-17 000 cal. BP by the carbon 14. The excavated surface extends about 80 m2 and is only a part of a more extensive settlement. The archaeological level is thin and is caracterized by a low density of artifacts associated with simple hearths, without any arrangement. The artifacts are mostly knapped flint. Some burnt and worked stones and very little fragments of indeterminable bones are also found. The level has been altered by one fire (at least) which happened after the Epigravettian occupation and many flint artifacts are burnt. The flint refittings and the data obtained by the micro-morpholy analysis indicate a relatively good preservation of the layer and of the spatial organisation of the archaeological remains except the fauna which is not preserved. The use of the micromorphology and magnetic susceptibility analysis has permitted to identify the hearths and to distinct them from the natural combustion areas due to the fire event. Furthermore, these analysis reveal the repetitive use of some hearths. The excavated surface is interpreted like a multiple activities area and among them, the flint-working is the best represented. The lithic industry (548 items) is composed of retouched and unretouched short blades and bladelets, and flakes which are by-products of debitage. None core showing an organized debitage was discovered on the excavated area. The flint tools consist in retouched blanks (retouched blades, points, endscrapers, one borer, one burin) and in different microliths (points, backed and sometimes truncated bladelets, bladelets with fine and marginal retouchs). The refitting of short reduction sequences and the refitting of burin spalls on the burin indicate that the debitage and the retouchs of the blanks were realized on the spot. Furthermore, the use-wear analysis reveals other activities which principally concern butchering and hide working. The spatial organization of the locus highlights a central empty space surrounded with the hearths associated with the artifacts. The presence of a shelter or an organic carpet is hypothised but not clearly proved. The question of the number of occupations, i.e. a single or successive occupations in a short interval of time, and that of their duration, still remain.
Le prospezioni realizate nella valle del Gallero hanno permesso la scoperta di un livello archeologico in situ. Questo livello non è quello messo alla luce da G.B. Leopardi perché la sua posizione e la sua profondità all’interno della sequenza tardiglaciale sono diverse. Dunque è una testimonianza di un’altra occupazione epigravettiana nella valle. Il sito è legato ad un paleosuolo ed è stato datato tramite il carbonio 14 a 18500 – 17000 cal. BP. La superficie scavata si estende per circa 80 m2 ma è solamente una parte di un abitato ancora più ampio. Lo strato archeologico è sottile e caratterizzato da una scarsa densità di reperti associati a focolari semplici, non strutturati. I reperti sono essenzialmente selci lavorate, qualche pietra bruciata e lavorata e piccolissimi frammenti di ossa indeterminabili. Il livello antropico è stato modificato da (almeno) un incendio dopo l’abbandono degli Epigravettiani, le selci bruciate sono numerose. I raccordi tra le selci e i dati della micromorfologia indicano un buona conservazione del livello archeologico e dell’organizzazione spaziale dei reperti, ad eccezione dei resti faunistici che non sono conservati.
Le analisi delle micromorfologia e della suscettibilità magnetica hanno permesso di identificare i focolari e di distinguerli dalle aree di combustione naturale dovute all’incendio. Inoltre le analisi evidenziano l’uso ripetuto di alcuni focolari. La superficie scavata è stata interpretata come una zona per attività diverse tra le quali la lavorazione della selce è quella più rappresentata. L’industria litica (548 resti) è composta da lame corte e da lamelle, a volte ritoccate, e da scarti di lavorazione. Nessun nucleo è stato trovato sulla superficie scavata. L’insieme di strumenti litici consiste in supporti laminari ritoccati (lame ritoccate, punte, grattatoi, becchi, bulini) e da microliti diversi (punte, lamelle a dorso a volte troncate, lamelle con piccoli ritocchi marginali). Il rimontaggio delle sequenze brevi della fase di scheggiatura e degli stacchi dei bulini, indicano che la scheggiatura e la fabbricazione degli strumenti erano attività fatte sul posto. Inoltre, l’analisi delle tracce d’uso documenta le altre attività come la macellazione e il trattamento delle pelli. L’organizzazione delle spazio mostra una area centrale libera intorno alla quale si distribuiscono i focolari e i reperti. L’ipotesi della presenza di una copertura (struttura di abitato) o di un tapetto organico viene avanzata ma non chiaramente provata. La questione di un occupazione unica o di occupazioni successive in un breve intervallo di tempo e la loro durata rimane aperta.
Texte intégral
1Au cœur du projet sur Campo delle Piane, nous l’avons souligné au début de cet ouvrage, se trouve la recherche d’un habitat de plein air épigravettien. Cet objectif fut rapidement atteint avec la découverte dès 1996 (soit deux ans après la première campagne de prospection dans la vallée du Gallero) d’un niveau archéologique enfoui sous une séquence sédimentaire tardiglaciaire. Ce niveau a été repéré dans un des secteurs ayant fait l’objet de ramassages de surface, le locus n° 7 (CDP 7). Plus de quarante ans après les premiers travaux de G.B. Leopardi, la reprise des fouilles sur ce site conforte l’intérêt de Campo delle Piane pour l’étude de la culture épigravettienne dans les Abruzzes.
2Comme nous l’avons déjà précisé (cf. chapitre 4), seule une portion de cet habitat a été explorée. Le secteur connu est néanmoins source de multiples données tant sur l’occupation épigravettienne, sa nature et sa chronologie, que sur son contexte environnemental. Le chapitre précédent a fait état de l’évolution du paysage depuis le Tardiglaciaire. Celui-ci présente le bilan archéologique de cinq années de fouille (1997-2001). Nos travaux sur ce gisement ont déjà fait l’objet de publications antérieures rendant compte de la progression des recherches (Olive et al. 2000 ; Olive 2003 ; Olive, Valentin 2005). La synthèse proposée ici inclut des études plus récentes dont les résultats permettent d’affiner l’interprétation spatiale et fonctionnelle de l’aire d’habitat.
1. Une découverte attendue et néanmoins surprenante
3C’est donc lors d’une campagne de sondages réalisée en 1996 sur la rive droite du Gallero, dans un secteur riche en matériel de surface (CDP 7), qu’a été mis au jour l’habitat de Campo delle Piane (fig. 1). Il a été repéré grâce à l’observation d’un mince niveau d’occupation visible à la base d’une grande coupe bordant la parcelle cultivée de CDP 7. Ce niveau était marqué par une coloration brun-rouge du sédiment et par la présence de charbons de bois associés à quelques esquilles de silex1. Si cette découverte était attendue, sa localisation, hors de l’aire de concentration maximale des ramassages de silex, et surtout sa position stratigraphique, à trois mètres sous la surface actuelle, ont été une surprise (fig. 2). Rappelons en effet que l’inventeur du site, G.B. Leopardi, décrit un niveau archéologique juste sous la terre arable, à peine effleuré par les labours, et le situe à une centaine de mètres d’une habitation (Leopardi 1954-55).
4Ainsi, ni le contexte stratigraphique, ni l’emplacement de ce nouveau locus correspondent à la fouille de Leopardi (cf. infra, fig. 9, chap. 7)2. La différence de profondeur constatée entre les deux niveaux anthropiques mis au jour à quelque 40 ans d’intervalle peut s’expliquer diversement, soit par la paléotopographie du secteur de Campo delle Piane, soit par l’existence de plusieurs occupations successives. Nous verrons plus loin que la seconde hypothèse est privilégiée (cf. chapitre 7).
5On peut déduire de ces remarques que le site de Campo delle Piane n’a probablement pas livré toutes ses ressources archéologiques et offre encore des potentialités de découvertes supplémentaires sur le Tardiglaciaire. La fouille que nous avons réalisée à CDP 7 soutient cette proposition.
2. Une occupation étendue et associée à un sol de la fin du Pléniglaciaire
6La surface décapée s’étend sur un peu plus 80 m2 et se présente comme une bande de terrain, large de 5 à 6 mètres et longue d’une quinzaine de mètres. Cette configuration particulière de la fouille a été imposée d’un côté par la présence d’un chemin, et du côté opposé par l’impossibilité d’entamer davantage la parcelle cultivée3.
7Clairement, la concentration des vestiges archéologiques le long des coupes montre que l’habitat était à l’origine plus étendu : vers l’ouest, nous n’avons pu atteindre ses limites ; à l’est, il a été tronqué récemment par le creusement du chemin et probablement aussi dès le début de l’Holocène par l’incision du Gallero (fig. 8, chap. 4). Vers le nord et vers le sud-est, la situation est moins claire car les vestiges se raréfient et indiquent peut-être une limite réelle d’occupation. Précisons cependant que le sol sur lequel se sont établis les Épigravettiens a également été tronqué vers le nord par les dépôts postérieurs, quelques mètres au-delà de la fouille (cf. chapitre 5) ; en revanche, ce sol se prolonge vers le sud. Ainsi, nous pouvons affirmer que l’aire d’occupation était plus vaste sans, pour autant, pouvoir en fixer le contour. Bien qu’amputée, la surface décapée laisse tout de même apparaître une organisation spatiale des témoins d’activité autorisant une interprétation fonctionnelle de cette partie d’habitat.
8Le niveau archéologique est associé de manière nette à un sol (au sens pédologique du terme) au sein duquel sont répartis les vestiges (cf. chapitre 5). Si aucune surface d’occupation n’a pu être décelée à la fouille (un « sol » au sens archéologique du terme cette fois), l’épaisseur du niveau est mince, n’excédant pas, ou rarement, la dizaine de centimètres. Une coloration brun-rouge accusée caractérise ce sol sur toute la surface ouverte (fig. 3). Cette couleur résulte à la fois de la pédogenèse et d’un événement survenu postérieurement à l’occupation humaine : il s’agit d’un incendie qui a affecté le sédiment et les vestiges archéologiques, dont un certain nombre porte des traces d’altération thermique, et explique la présence de nombreuses zones charbonneuses et/ou rubéfiées4 (cf. chapitre 5). Des datations au carbone 14 situent le paléosol et l’occupation humaine entre le milieu du 17è millénaire et le début du 16è millénaire avant J.C., à la fin du Pléniglaciaire (entre 18.500 et 17100 cal. BP) (fig. 5, chap. 5).
9Les témoins d’activités sont pour l’essentiel des silex taillés. S’y ajoutent des esquilles osseuses, souvent de dimension millimétrique, et quelques pierres. La densité des vestiges par mètre carré est faible et leur distribution est inégale sur l’ensemble de la surface fouillée (fig. 4). Dans les bandes métriques 115 à 117, les plus riches en industrie lithique, les mètres carrés les plus denses affichent entre une vingtaine et une trentaine de pièces numérotées : le carré W116 atteignant le chiffre maximum avec 56 pièces. Ces vestiges sont associés à des aires de combustion non aménagées, interprétées comme des foyers. Nous verrons que l’épisode d’incendie a eu pour conséquence de brouiller quelque peu la lecture archéologique, sans toutefois occulter l’organisation générale de l’espace fouillé.
10La paléotopographie du niveau archéologique correspond peu ou prou à la surface du sol rouge comme le montrent les profils d’altitude faisant clairement apparaître la corrélation stratigraphique entre ce sol et les vestiges (fig. 5). Cette coïncidence est confortée par l’analyse micromorphologique qui met en évidence la faiblesse voire l’absence d’apports sédimentaires entre l’occupation humaine et la phase d’incendie (cf. L’analyse micromorphologique). Ainsi, les courbes de niveaux restituent la surface qu’ont connue les Épigravettiens et sur laquelle ils se sont installés. Cette surface présente quelques irrégularités, comme de petites dépressions, héritées de la dynamique sédimentaire antérieure à l’occupation ou résultant de l’activité humaine.
11Un niveau peu épais, une faible densité de vestiges, des foyers simples : tous ces indices plaident en faveur d’une occupation de courte durée. Toutefois, ils ne suffisent pas à écarter l’hypothèse d’une accumulation produite par la succession de plusieurs séjours brefs. D’autres arguments devront être mis à contribution pour résoudre cette question.
12Avant même toute étude, il est intéressant d’effectuer un rapprochement entre nos propres observations et celles de G.B. Leopardi : même coloration du sédiment, même épaisseur, même présence de silex chauffés. Cette comparaison laisse supposer des occupations de même nature entre ces deux locus probablement éloignés.
3. Un contexte taphonomique favorable
13Ainsi, les traces de combustion sont abondantes et diverses, qu’elles soient liées à l’activité humaine ou à un événement postérieur, un incendie survenu peu après l’occupation (d’origine naturelle ?). On note, par exemple, la présence fréquente de charbons de bois et celle d’aires plus fortement altérées, charbonneuses et/ou rubéfiées. De véritables foyers, non construits, coexistent donc avec des zones chauffées naturellement. L’action du feu se manifeste aussi par la découverte, sur l’ensemble de la surface fouillée, de nombreux silex portant des traces d’altération thermique (cupules, fissurations) ou éclatés et d’esquilles osseuses brûlées (fig. 6). L’intervention humaine et l’incendie ont dû se conjuguer pour provoquer cette abondance des vestiges chauffés.
14Pour autant, ce phénomène n’a pas perturbé la distribution des vestiges et des arguments géologiques comme archéologiques attestent d’une bonne conservation de cette aire d’habitat. Pour les premiers, citons le recouvrement du niveau par des sédiments fins, la minceur de l’horizon archéologique indiquant l’absence ou la faiblesse de mouvements verticaux post-dépositionnels, la topographie sub-horizontale du sol sur la superficie ouverte. Ces arguments sont corroborés par l’analyse des lames minces qui confirme la préservation des surfaces d’occupation liée à leur enfouissement rapide par des dépôts de faible énergie. Les indices archéologiques sont apportés par les remontages qui paraissent spatialement cohérents et surtout par les raccords de pièces fragmentées, et notamment les raccords d’éclats thermiques, se faisant sur de courtes distances (fig. 7). Plusieurs cas de pièces éclatées sur place ont même été notés. La distribution générale des vestiges est donc bien le reflet de l’activité humaine.
4. Foyers ou pseudo-foyers ?
15L’altération de l’horizon archéologique sous l’effet d’un incendie a entraîné un problème de reconnaissance des structures de combustion d’origine anthropique (foyers ou vidanges). La totalité de la surface fouillée est marquée par une rubéfaction du sédiment avec, par endroits, la présence d’aires plus fortement altérées, d’une coloration brun-rouge plus intense et enrichies en charbons. Ces taches sombres sont nombreuses, de configuration et de dimension variable, et pour l’essentiel regroupées dans la moitié nord de la fouille.
16Dans ce contexte, comment parvenir à distinguer les foyers allumés par les Épigravettiens des zones altérées par un incendie ? La confusion est possible surtout en l’absence de tout aménagement pierreux. Cette distinction a pu s’opérer, partiellement au moins, à l’aide de plusieurs types d’analyses. Les foyers ont été identifiés grâce à la micromorphologie et l’analyse magnétique du sédiment. En complément, l’anthracologie a permis au contraire d’évacuer le caractère anthropique de certaines zones charbonneuses (cf. infra, Études spécialisées). Précisons que les prélèvements effectués en vue de ces différentes analyses sont situés dans des secteurs plus ou moins altérés afin justement d’éclairer la question de l’origine de l’altération thermique (fig. 8).
4.1. Les foyers avérés
17Plusieurs aires de combustion ont été interprétées comme de véritables foyers : elles sont au nombre de six (fig. 9). Trois sont alignées en limite des bandes de mètres 115-116 (U-V/115-116, V-W/115-116, X-Y/115-116), la quatrième, plus discrète, a été tronquée par le chemin qui longe la fouille (T114-115) et les deux dernières se retrouvent plus au sud, dans un secteur marqué par une forte altération (U111-112 et T-U 111).
18Les trois foyers alignés ont l’aspect de taches ovalaires, planes, et peu épaisses (fig. 10, chap. 4). Elles sont riches en charbons et associées à de nombreuses esquilles osseuses brûlées. La lecture de la lame mince réalisée sur l’un d’entre eux (U-V/115-116) permet de distinguer deux phases de fonctionnement entrecoupées par un apport de sédiment fin ruisselé (cf. infra, L’analyse micromorphologique). L’hypothèse d’une réutilisation a aussi été avancée pour T114-115 en raison de la forte susceptibilité magnétique du sédiment atteinte à la suite de plusieurs chauffes supérieures à 400-500°C (cf. infra, L’étude sur le magnétisme des sédiments).
19Les deux structures proches, U111-112 et T-U111, se présentent comme des petites cuvettes (fig. 10). Elles illustrent bien la difficulté méthodologique à laquelle nous avons été confrontés car elles se superposent à une zone de combustion naturelle, fortement suspectée par la configuration générale de la surface altérée évoquant un appareil racinaire (fig. 10 A, chap. 5). La solution a été apportée par des analyses spécialisées. D’une part, l’analyse de deux prélèvements micromorphologiques, réalisés à moins d’un mètre de distance (fig. 8 et cf. infra, L’analyse micromorphologique), conclut sans conteste, et dans les deux cas, à la présence d’une aire de combustion polyphasée comprenant une ou plusieurs opérations de curage. D’autre part, l’étude de charbons de bois provenant du même secteur penche plutôt en faveur d’une combustion sur place d’un conifère. Il est donc probable que soyons en présence de deux phénomènes conjugués, l’un anthropique, l’autre naturel. Ces deux foyers en cuvette ont connu une histoire complexe, particulièrement U111-112, dont l’évolution traduit un fonctionnement intense et durable.
20L’ensemble de ces foyers se présente donc sous deux aspects différents : des structures planes, relativement étendues d’une part, de petites cuvettes d’autre part. Que déduire de cette disparité ? Est-elle à mettre sur le compte seulement d’un usage plus ou moins long qui aurait engendré un creusement de la cuvette pour les structures les plus utilisées, ou faut-il y voir aussi une différence fonctionnelle ? Sans pouvoir apporter une réponse définitive, notons la différenciation spatiale de ces deux catégories et le fait que les deux foyers en cuvette paraissant avoir connu une utilisation plus intense sont dans un secteur de l’habitat moins dense en vestiges.
4.2. D’autres structures anthropiques possibles
21Certains résultats sont plus ambigus et ne permettent pas de trancher entre le caractère anthropique ou non de zones plus fortement altérées. C’est le cas de celle située en T116 qui a fait l’objet d’une analyse de susceptibilité magnétique donnant une valeur intermédiaire plus délicate à interpréter. Il pourrait s’agir d’un foyer brièvement utilisé ; cependant, la relative approximation des mesures liée à la méthodologie laisse subsister une incertitude (cf. infra, L’étude sur le magnétisme des sédiments, échantillon n° 8). C’est aussi le cas de la petite aire charbonneuse visible en Y114 dont l’analyse anthracologique ne suffit pas à assurer l’origine. L’hypothèse d’un foyer ayant subi des déformations post-dépositionnelles émise par F. Girolamo demanderait une confirmation par la micromorphologie (cf. infra, L’analyse anthracologique).
22Bien qu’elle n’ait fait l’objet d’aucune analyse particulière, nous sommes tentés d’interpréter l’aire de combustion située en Y115-116 comme un probable foyer. Sa configuration ovalaire, comme celles qui sont proches, l’auréole de terre rubéfiée indiquant une combustion en place, et son association avec quelques vestiges (fragments d’os brûlés, silex) plaident en faveur de cette hypothèse. En outre, sa position stratigraphique, quelques centimètres sous la surface incendiée, écarte le risque de confusion avec une altération naturelle (fig. 5).
23D’autres interprétations doivent aussi être envisagées. C’est ce que suggère l’étude microstratigraphique d’une petite zone très rubéfiée située en U114, pour laquelle l’hypothèse d’une aire de rejets (une vidange ?) est proposée (cf. infra, L’analyse micromorphologique, échantillon n° 6). Rappelons que le nettoyage d’un foyer entre deux moments d’activité est un comportement démontré par la micromorphologie dans le cas des structures U111-112 et T-U111. Retrouver les traces de ces opérations à proximité n’est donc pas étonnant.
24Quant à la signification des zones fortement altérées et non étudiées (une quinzaine), elle reste ouverte entre les trois options déjà citées : foyer, vidange ou altération résultant de l’incendie. Chacune de ces options étant par ailleurs attestée par les analyses entreprises sur plusieurs d’entre elles.
25On peut observer que la délimitation de surfaces très altérées (par exemple l’aire située en limite W-V117) n’évoque guère une zone foyère sans que ce critère constitue néanmoins un indice déterminant. On remarque en outre que la distribution de toutes ces aires de combustion coïncide pour une grande part avec celle des vestiges lithiques (fig. 4). Il est légitime de supposer que cette coïncidence ne relève pas du seul hasard. On peut donc, sans trop de risque, avancer que la réalité doit se trouver entre l’hypothèse basse considérant comme structures anthropiques (foyer ou vidange) uniquement celles pour lesquelles la démonstration a été faite (c’est-à-dire six) et l’hypothèse haute prenant en compte l’ensemble des zones très altérées observées à la fouille (une vingtaine).
4.3. Le fonctionnement des foyers
26Les charbons de bois identifiés par l’analyse anthracologique sont attribués, à l’exception d’un seul, à une espèce de Pin, quelle que soit la provenance des échantillons, qu’ils aient été prélevés dans une aire de combustion ou dispersés sur la surface de fouille (cf. infra, L’analyse antracologique). Ces déterminations révèlent la présence de conifères à proximité de l’habitat, voire sur le lieu même de celui-ci, et laissent présumer que la collecte de combustible ne devait pas poser de problème aux occupants du site.
27Dans ce secteur de l’habitat (comme d’ailleurs dans la fouille de Leopardi), les foyers n’ont fait l‘objet d’aucun aménagement particulier. Leur entretien se limite parfois à des opérations de curage, identifiée par la micromorphologie, qui ont eu pour effet le creusement d’une cuvette. Il faut cependant souligner la découverte d’une cinquantaine de pierres (49) dont un tiers porte des traces de chauffe et plusieurs ont même éclaté sous l’action du feu (fig. 11). On peut supposer que l’incendie est responsable, pour partie, de cette altération comme le suggèrent plusieurs cas de fracturation sur place. Toutefois, l’exemple d’un raccord entre deux gros fragments thermiques distants d’un peu moins d’un mètre (V116.11 et V115.4 découverts à proximité du foyer U-V/115-116) indique que certains éléments ont pu séjourner dans des foyers avant d’être évacués. Citons aussi le cas d’un grès chauffé ayant connu une histoire plus complexe : il a d’abord fait l’objet d’une première fracturation, puis l’un des fragments a été débité et ensuite chauffé (fig. 12). Au final, les trois fragments remontés se retrouvent dispersés dans l’habitat. Si toutes les pierres ne montrent pas, comme ces deux exemples, de traces évidentes d’une action anthropique, elles apparaissent intrusives dans l’horizon archéologique caractérisé par une granulométrie fine sur une bonne partie du locus. Il s’agit de roches provenant de formations tertiaires locales, des pélites gréseuses essentiellement, et quelques blocs de conglomérat. Ces roches sont abondantes sur le site ou dans ses environs, en position primaire comme secondaire.
28Notons aussi que l’utilisation répétée de certains foyers est interrompue par plusieurs moments d’abandon marqués par des apports boueux (cf. infra, L’analyse micromorphologique). Cette reprise sédimentaire peut exprimer deux phénomènes d’ailleurs non exclusifs : d’une part le fait que les foyers se trouvaient en plein air et donc soumis aux intempéries, d’autre part le fait que cet habitat a connu des occupations successives, peut-être très rapprochées dans le temps. En outre, la présence en Y115-116 d’un foyer situé quelques centimètres sous le niveau de concentration des vestiges pourrait aussi signifier une fréquentation en plusieurs épisodes. En l’absence d’aménagement pierreux et de la mise en évidence d’une circulation de roches entre les foyers, il est cependant impossible de déterminer les relations chronologiques entre ces derniers, le nombre de structures synchrones ou successives.
5. Une aire d’activités multiples
29Bien que peu abondants et peu diversifiés, les vestiges archéologiques mis au jour à proximité des foyers témoignent, directement ou indirectement, d’activités multiples. C’est sur l’analyse de l’industrie lithique, la catégorie de témoins la mieux représentée, que repose cette affirmation. Les restes fauniques, retrouvés pour une grande part sous forme d’esquilles centrimétriques ou infra-centimétriques, n’ajoutent que peu d’informations sur la fonction de cette zone d’habitat. Seule leur présence, en elle-même intéressante, indique le déroulement dans ce secteur d’activités associées au gibier, à sa consommation et peut-être à son traitement sur place. Nous verrons que l’analyse tracéologique des supports lithiques apporte quelques lumières à ce propos.
5.1. Le travail de la pierre
30Le silex représente la quasi-totalité des matériaux lithiques récoltés en fouille. L’industrie en silex est composée de 548 éléments, souvent fragmentés et de dimensions modestes. Comme nous l’avons déjà souligné, cette fragmentation importante doit être imputée pour partie à des actions humaines et aussi à l’incendie qui a suivi l’occupation. 30 % des vestiges sont en effet affectés par des stigmates visibles d’altération thermique (fissurations, éclatement). Si certaines pièces sont très altérées et fragilisées, ces stigmates ne sont toutefois pas suffisamment intenses pour empêcher la lecture technologique de la plupart des produits de la taille.
31Les silex taillés se divisent pour un peu plus de la moitié en produits laminaires et lamellaires bruts et façonnés (294 éléments soit 53 % de l’ensemble) et en déchets de taille pour le reste. L’outillage est représenté par une cinquantaine de supports retouchés ou possédant de petites retouches d’utilisation. Les nucléus se réduisent à deux exemplaires sur éclat.
32Les vestiges lithiques comprennent aussi 7 autres pièces montrant des traces de travail : il s’agit de deux percuteurs sur galets, d’un éclat de galet en calcaire, de deux éclats de grès, d’un fragment de grès débité et d’un grès portant des stries sur une face dont la fonction reste à expliquer (fig. 13 et 14).
5.1.1. L’acquisition des ressources lithiques
33Comme nous l’avons déjà précisé dans la partie méthodologique, aucune prospection géologique systématique ayant pour but de repérer autour du site des gîtes potentiels de matière première n’a été réalisée. Dans ces circonstances, nous ne pouvons évidemment prétendre saisir précisément les modalités d’acquisition des matériaux apportés dans l’habitat. En outre, l’absence de nucléus permettant de restituer les blocs d’origine ne facilite pas non plus la tâche. Il est néanmoins possible de dresser un certain nombre de constats à partir de l’examen des vestiges et de quelques observations effectuées aux alentours du gisement.
34Les matériaux travaillés, autres que le silex, sont des roches locales : il s’agit d’une pélite gréseuse, qui a parfois été taillée et a pu être utilisée dans des opérations domestiques, et d’un calcaire dur (mudstone) pour les petits percuteurs sur galets.
35L’enquête sur l’origine du silex est plus complexe. L’attribution géologique nécessite un examen à la loupe car il existe une grande variabilité de couleur et de grain des roches siliceuses au sein d’une même formation (Lubell et al. 1999 ; Musacchio 1997). Cette détermination a été effectuée par Silvano Agostini.
36Dans le niveau d’habitat, les matériaux proviennent essentiellement de deux unités lithostratigraphiques (fig. 15) : la Scaglia (Crétacé supérieur, Eocène inférieur) qui fournit des silex à grain fin allant du rouge au beige-rosé, et la Maiolica (Crétacé inférieur et Jurassique supérieur) à laquelle se rattachent des silex d’aspect beaucoup plus diversifié : les couleurs varient du gris, plus ou moins sombre, au beige, et présentent parfois des veines allant du beige au violacé ; la texture peut être très fine ou plus grossière. Enfin, quelques silex gris au grain très fin, beaucoup plus rares, ont été attribués à l’unité Corniola (Lias moyen). Ces formations contenant du silex sont bien connues dans les Abruzzes, en particulier dans le Massif du Gran Sasso.
37Des tests expérimentaux réalisés par A. Musacchio sur des silex récoltés dans la Marsica, à proximité du Fucino (Musacchio 1997) permettent d’apprécier l’aptitude à la taille de ces matériaux. La Scaglia est un silex homogène de bonne qualité et se présente naturellement sous forme de plaquettes pouvant atteindre 20×15×10 cm. À Campo delle Piane, un remontage réalisé dans ce matériau confirme le débitage d’un nucléus ayant cette morphologie (fig. 16, n° 1). Les silex de la Maiolica sont de qualité plus variable selon leur homogénéité et la finesse du grain. Selon A. Musacchio, qui a réalisé des prospections plus au sud dans les Abruzzes, dans la région de la Marsica orientale, on les retrouve actuellement dans les éboulis de pente, sous forme de blocs larges et ovalaires, d’une longueur maximale de 25 cm, et souvent altérés par le gel. Venant nuancer ce jugement qualitatif, on observe à Campo delle Piane une proportion plus élevée de ce type de silex parmi les supports laminaires retouchés, notamment les plus longs et les plus réguliers (par exemple le grattoir fig. 15, n° 1).
38La quasi absence de silex dans le cailloutis sous-jacent au niveau archéologique permet dans un premier temps d’éliminer l’hypothèse d’une récolte de la matière première sur le lieu même de l’habitat. En revanche, des galets de silex en Maiolica ont été découverts en abondance dans les terrasses anciennes proches du site et dans la vallée actuelle du Tavo5 (cf. chapitre 5). Cette hypothèse est suggérée par la découverte d’éclats et de lames au cortex abîmé par des chocs et pouvant provenir de galets ramassés en contexte alluvial.
39Ce constat n’épuise pas la question de l’acquisition des ressources lithiques. D’où proviennent exactement les produits en Scaglia ou même certains grands supports laminaires en Maiolica ? La question reste posée et nous ne pouvons y répondre assurément. On observe cependant que certains cortex ne montrent pas de trace de charriage, excluant ainsi une récolte au sein d’un dépôt secondaire (alluvions, éboulis, poudingue). C’est, par exemple, le cas du grattoir sur lame Y113.2 et du remontage n° 1 qui reconstitue le flanc d’une plaquette (fig. 15 n° 1 et fig. 16 n° 1). Pour trouver les silex en Scaglia et en Maiolica dans des affleurements primaires, il faut se diriger vers le Massif du Gran Sasso, à une distance de 5 km du site environ. Mais il s’agit là d’une distance minimale qui ne préjuge en rien de la localisation précise du gîte6. Enfin, outre l’acquisition de silex sur des gîtes primaires, l’importation des supports les plus longs, au demeurant tous façonnés, est une hypothèse qui ne doit pas être écartée car les sous-produits de leurs débitages n’ont pas été retrouvés. Toutefois, on ne peut exclure que ces opérations se soient déroulées dans un autre secteur de l’habitat, non fouillé. Soulignons cependant que le transport de lames est un comportement également évoqué à partir de l’étude des séries de surface (Olive, Valentin 2005 et cf. chapitre 7).
40Ainsi, des incertitudes nombreuses persistent à propos de l’acquisition du silex mais il ne peut guère en être autrement pour les deux raisons déjà citées, à savoir une connaissance insuffisante des matières premières accessibles dans les environs du site durant le Tardiglaciaire, qui se double d’une connaissance partielle du gisement.
41Un approvisionnement majoritairement local est soupçonné selon différentes modalités. La récolte de blocs de silex dans des dépôts secondaires (anciennes terrasses, lits de rivière, éboulis…) paraît très vraisemblable. La recherche de rognons dans des gîtes primaires peu éloignés est présumée mais les affleurements qui ont pu être exploités par les Épigravettiens restent inconnus. Enfin, le transport de supports débités (et façonnés ?) ailleurs (mais où ?) est un comportement qui ne peut être écarté mais demande à être démontré plus solidement.
5.1.2. De la production des supports…
42La quantité modérée des restes de taille, leur fragmentation importante et la quasi absence de nucléus dans l’aire fouillée (seuls deux nucléus sur éclat ayant fait l’objet d’un débitage sommaire ont été retrouvés), sont autant d’éléments qui s’opposent à une analyse approfondie de l’équipement en silex des Épigravettiens de Campo delle Piane. Cependant, même si cet objectif ne peut être atteint, des indications sur cette activité sont apportées par les produits eux-mêmes et complétées par quelques remontages reconstituant de courtes séquences de débitage.
43D’abord, l’importance de la composante laminaire et surtout lamellaire (un peu plus de la moitié de l’industrie) éclaire les objectifs des débitages. Aucune production spécifique d’éclats n’est attestée sur la surface fouillée (à l’exception du cas très particulier d’un unique bloc de grès portant quelques négatifs d’enlèvements). Faute de nucléus et de remontages explicites, il est cependant difficile de reconstituer les chaînes opératoires et d’établir si les débitages de lames et de lamelles sont autonomes et/ou associés sur les mêmes blocs. Pour ces raisons auxquelles s’ajoute l’état fragmentaire des supports, il est tout aussi difficile de préciser quels étaient les modules recherchés et pour quels objectifs. Les lames récoltées montrent une grande variabilité de dimensions et de régularité. Parmi celles-ci, les éléments entiers ou assez longs montrent l’exploitation de surfaces de débitage en général pas ou faiblement carénées. Leur largeur et leur épaisseur sont hétérogènes, témoignant de surfaces de débitage plus ou moins étroites et cintrées, probablement en relation avec la morphologie initiale du nucléus. Par exemple, les lames en scaglia rossa, extraites de plaquettes, sont souvent étroites, relativement épaisses, avec une courbure transversale prononcée (cf. le burin, fig. 17, n° 11). Certains supports (notamment, le grattoir fig. 17, n° 3) montrent l’usage de deux plans de frappe opposés sans que l’on puisse déterminer leur rôle respectif.
44Quelques éléments révèlent une extraction de produits lamino-lamellaires à partir de supports débités. Deux éclats corticaux, cités plus haut, ont fait l’objet d’un débitage élémentaire sur la tranche. Sur l’un d’eux, au moins un produit allongé a été extrait sans préparation visible, ni de la surface de débitage, ni du plan de frappe. Un autre exemple est apporté par un distal d’éclat portant la trace d’un négatif de petite lame dont l’enlèvement fut précédé d’une préparation en crête à un versant.
45Parmi la trentaine de microlithes retouchés, on note la présence d’une pointe sur chute de burin (fig. 19, n° 3) attestant aussi d’une production de lamelles à partir de la tranche d’un produit débité. Il est possible que le choix de cette modalité soit sous-évalué en raison de la grande fragmentation des microlithes ne facilitant pas leur lecture. Notons toutefois qu’aucune des chutes remontées sur l’unique burin retrouvé (fig. 17, n° 11) a été retouchée. En outre, l’analyse tracéologique révèle une utilisation du tranchant du burin plusieurs fois réaffûté (cf. infra, L’analyse tracéologique).
46Bien que les supports entiers soient peu nombreux (sur 264 produits lamino-lamellaires, 68 sont entiers, soit 25 %), l’histogramme des longueurs laisse apparaître deux pics (le premier entre 10 et 30 mm, le second entre 40 et 50 mm qui pourraient marquer une distinction entre la production de lamelles et celle de lames courtes (fig. 18). En outre, la présence de quelques produits longs (entre 70 et 90 mm), de plein débitage, à côté de produits plus courts – et parmi ces derniers des enlèvements corticaux – indique au demeurant l’exploitation de nucléus de longueurs initiales inégales. Rappelons que parmi les lames, les plus longues et les plus régulières, ont été retouchées. Cependant, cette sélection n’exclut pas l’utilisation de supports moins réguliers ou plus courts, retouchés ou bruts, comme l’atteste l’analyse tracéologique (par exemple, Y116.17 qui porte des traces d’emmanchement, cf. infra, L’analyse tracéologique, fig. 3).
47Plusieurs remontages reconstituant de courtes séquences de débitage laminaire confortent ces observations sur la variabilité dimensionnelle des supports et apportent en outre quelques informations sur le déroulement de cette phase (fig. 16). L’un d’eux correspond à la régularisation, en cours de débitage, d’un flanc d’une plaquette en scaglia rossa d’une dizaine de cm de long environ (remontage n° 1) et révèle, en outre, l’existence d’une production sur place de supports assez longs dans ce matériau. Deux autres ensembles, en silex gris (Maiolica), recomposent une séquence d’extraction de lames courtes sur des petits nucléus déjà débités d’environ 5 cm de long7. Ils montrent l’usage de deux plans de frappe opposés avec en prime pour l’un d’entre eux l’existence de deux surfaces laminaires (fig. 16, n° 2). Enfin, une petite série de produits corticaux restitue l’entame d’une surface laminaire d’un autre nucléus de dimension modeste (environ 5 cm de long).
48Des stigmates observés sur quelques supports laminaires (esquillement du bulbe, existence d’ondes bien marquées et serrées, présence d’une ligne de fissuration sur le talon) de même que le profil rectiligne de plusieurs lames assez longues évoquent une percussion à la pierre tendre (fig. 20). La découverte de deux petits galets plats en calcaire utilisés comme percuteurs semble aller dans le sens de cette hypothèse (fig. 14). L’emploi généralisé de cette modalité de détachement pour la production de supports lamino-lamellaires demande cependant à être confirmé.
49Au final, on peut donc avancer, grâce à des petits ensembles remontés et à la présence de percuteurs et de sous-produits de débitage (lames corticales, éclats de réavivages, d’entretien de la surface laminaire) que des opérations de débitages laminaires étaient effectuées sur place, à des étapes différentes d’exploitation des nucléus. Complétant cette production locale, quelques supports de bonne dimension ont pu être apportés (bruts ou déjà façonnés) dans cette aire d’activités en provenance d’un autre secteur de l’habitat ou encore d’une origine plus lointaine.
5.1.3.… à leur transformation
50Des supports façonnés, laminaires et lamellaires, ont également été découverts dans la surface fouillée suggérant l’exécution d’autres travaux en ce lieu. Leur nombre s’élève à 51, soit 9 % de l’assemblage lithique récolté. L’outillage sur lame (n = 21) se compose de lames retouchées (8), de pointes (6) façonnées sur des supports de modules variables, de grattoirs (4) également sur des supports diversifiés, d’un bec, d’une lame tronquée et d’un burin double sur lame retouchée (fig. 17 et tableau). Les microlithes retouchés (n = 30) sont de plusieurs types : pointes (6) dont plusieurs microgravettes typiques, lamelles à bord abattu dont une retouchée sur les deux bords (13), parfois tronquées (7) et lamelles à fines retouches marginales (4) (fig. 19 et tableau). La fragmentation est importante, aussi bien dans l’outillage sur lame que parmi les microlithes, pouvant introduire un biais dans les décomptes par catégories typologiques (par exemple, aucune lamelle à bord abattu n’est entière).
51Le remontage de plusieurs chutes sur le burin dont elles sont issues (fig. 17, n° 11), de même que le remontage de deux éclats sur une petite lame à crête transformée ensuite en pointe (fig. 17, n° 10) témoignent que le façonnage des outils figurait parmi les activités réalisées dans cette partie de l’habitat.
Tabl. I – Inventaire des outils et des armatures
Outils | Nombre | Microlithes | Nombre |
lames retouchées | 8 | pointes | 6 |
grattoirs | 4 | lamelles à bord abattu | 13 |
pointes | 6 | lamelles à bord abattu et tronquées | 7 |
bec | 1 | lamelles à fines retouches marginales | 4 |
lame tronquée | 1 | ||
burin | 1 | ||
total | 21 | 30 |
5.2. D’autres activités encore (R.G., M.O.)
52L’analyse tracéologique apporte des précisions sur la fonction de ce secteur de l’habitat qui n’était pas réservé aux seules activités de débitage et de façonnage. Elle fait apparaître, au contraire, l’utilisation des supports dans des opérations diverses qui renvoient principalement au travail des tissus carnés en général (viande, tendons, peau) et secondairement à celui des matières dures animales (os ou bois de cervidé) (cf. infra, L’analyse tracéologique). Les produits témoignant de ces opérations sont essentiellement des supports laminaires réguliers, de plein débitage, qu’ils soient façonnés (grattoir, pointes, burin) ou bruts. Cependant, l’analyse tracéologique indique aussi l’emploi de deux lames un peu moins régulières, extraites sur le côté de la surface de débitage, ainsi que de plusieurs lamelles, pour ces tâches.
53L’ensemble de ces traces d’usure évoque des activités de boucherie et de peausserie. Les polis de peau clairement identifiés se rapportent plutôt à une étape finale du traitement de cette matière. Cependant, la diversité des outils impliqués dans le travail de la peau (grattoir, burin, lamelle et peut-être lame retouchée) et également la diversité des gestes (raclage, rotation) suggèrent une succession d’opérations liées au corroyage.
54Enfin, l’usage de lamelles retouchées (microgravettes, lamelles à bord abattu) comme armatures de projectile est confortée par la présence de stigmates caractéristiques observés sur plusieurs supports.
55Ainsi, on peut avancer que ce locus correspond à une aire d’activités multiples, en grande partie liées à la chaîne d’exploitation des ressources animales depuis l’acquisition du gibier avec la fabrication et/ou la réfection des armes de chasse, jusqu’au traitement des carcasses et à leur consommation comme l’indiquent conjointement la présence d’esquilles osseuses brûlées et les résultats de l’analyse tracéologique. Plus en aval encore de ce processus technique s’inscrit le traitement de la peau. Enfin on peut ajouter à ce panel d’activités, un possible indice de travail de matière végétale (du bois ?).
6. Une organisation spatiale visible
56La configuration particulière de la surface fouillée, en bande relativement étroite, laissait craindre quelque difficulté à interpréter l’espace ainsi décapé. Malgré cette configuration imposée, il apparaît une distribution significative des vestiges qui autorise la formulation d’hypothèses sur l’organisation de cette aire d’habitat. La cohérence de l’ensemble transparaît également à travers les liaisons effectuées entre les produits de la taille.
6.1. Une aire d’activités autour d’un espace protégé ?
57Certes, l’analyse technologique et tracéologique des restes lithiques atteste de l’exécution de plusieurs travaux. Il reste cependant à résoudre le problème de la fonction de ce locus : a-t-on affaire à une aire de rejet ou à une aire d’activités ? Deux arguments peuvent être avancés en faveur du second terme de l’alternative. Le premier est la forte corrélation spatiale observée entre les aires de combustion très altérées (les foyers avérés comme d’ailleurs les zones de combustion possibles) et les vestiges, lithiques et osseux (fig. 4). Or, très classiquement dans les sites d’habitat, les foyers sont des éléments structurants qui polarisent les activités. Bien sûr, cette hypothèse n’exclut pas que ces activités aient fait l’objet d’opérations de nettoyage.
58Le second argument découle de l’organisation spatiale de ce locus. En effet, dans la moitié nord de la surface ouverte, les vestiges lithiques et les foyers dessinent clairement un arc de cercle, tronqué à l’est et à l’ouest par les limites de la fouille. Cette concentration des témoins d’activité entoure un espace presque vide où ont été découverts de rares silex et quelques petites zones bien rubéfiées dont l’interprétation n’est d’ailleurs pas éclaircie (origine anthropique ou non). Plus au sud, commence à apparaître une seconde concentration de vestiges, interrompue elle aussi par la coupe ouest.
59Comment interpréter cet espace central dégagé ? La limite de répartition des restes lithiques évoque un effet de paroi et la présence d’un témoin négatif. Un abri ? Un tapis protégeant du sol ? Difficile de trancher entre ces hypothèses. Quoi qu’il en soit, l’analyse micromorphologique met en évidence un contraste entre deux surfaces inégalement affectées par l’activité humaine (entre les échantillons nos 3 et 6 d’un coté, 1 et 2 de l’autre, cf. infra, L‘analyse micromorphologique) qui corrobore cette partition de l’espace habité.
60Il est intéressant de noter que cette organisation spatiale suit le micro-relief local : l’aire centrale se trouve dans un secteur plat et légèrement surélevé par rapport à l’aire d’activités qui l’encadre (fig. 5). Cette différence d’altitude, minime, pourrait résulter d’un piétinement un peu plus marqué dans la zone d’activités. On pourrait aussi imaginer que les occupants du site se sont adaptés à la topographie locale et ont choisi d’installer cet espace protégé dans la zone la plus favorable.
61Enfin, pour souligner encore l’opposition entre ces deux secteurs (espace d’activités/espace dégagé), rappelons, toujours sur la base des informations apportées par l’analyse micromorphologique, l’hypothèse selon laquelle les foyers pouvaient être en plein air, hypothèse fondée sur la présence d’apports sédimentaires entre plusieurs phases de fonctionnement (cf. supra).
6.2. Pas de cloisonnement des activités
62Au-delà de cette division de l’espace entre plusieurs secteurs bien différenciés, on ne distingue aucune organisation particulière des activités. Les plans des remontages ainsi que la distribution des outils, en particulier celle des outils montrant des traces d’utilisation, font tous apparaître une même zone principale où se concentrent toutes les activités identifiées : débitage, façonnage, entretien des outils, travaux de boucherie et de peausserie (fig. 21 à 23). C’est dans ce secteur qu’est observée la plus grande densité des vestiges lithiques comme osseux.
63Plus à l’est, les activités semblent moins diversifiées : les outils sont nettement moins nombreux et l’analyse tracéologique n’a décelé aucun travail particulier. En revanche, plusieurs structures de combustion (5 foyers et 1 vidange) ont été reconnues dont certaines semblent avoir fonctionné intensément. Au sud du locus fouillé, la seconde concentration est également le lieu de travaux multiples : des opérations de débitage (comme l’indique aussi la présence d’un percuteur), et de peausserie (impliquant l’usage de perçoirs) sont attestées.
64Pour conclure, les Épigravettiens ont donc fait un peu de tout autour des foyers, en tout cas pour les activités déterminées ; seule l’intensité des tâches semble distinguer les concentrations de vestiges.
6.3. Une ou plusieurs occupations ?
65C’est en combinant les critères stratigraphiques et spatiaux et que l’on peut tenter de répondre à cette question.
66Pour les premiers, rappelons la minceur du niveau archéologique dans un contexte de sédimentation de faible énergie et rapide (cf. chapitre 5). Elle évoque une courte tranche chronologique mais ne résout pas le problème d’une répétition d’occupations. Celle-ci pourrait être suggérée par la présence d’un probable foyer et d’un petit groupement de silex légèrement plus profonds que les vestiges environnants dans le secteur le plus riche en vestiges (en Y115-116) (fig. 5).
67Du point de vue spatial, ce locus se caractérise par l’existence d’au moins deux secteurs fonctionnellement distincts : une aire d’activités, probablement située en plein air, qui cerne un espace central, vide, et peut-être protégé par une tente ou une peau. Plus au sud, commence à apparaître une seconde concentration de vestiges, spatialement isolée (fig. 24). Aucun remontage ne relie les deux concentrations. Il est donc impossible dans l’état actuel de la fouille, de saisir les relations spatiales et temporelles entre les aires de répartition des témoins anthropiques de part et d’autre de l’espace dégagé. La seule indication chronologique est fournie par leur position stratigraphique commune au sommet du sol rouge, qui suppose au minimum une proximité temporelle.
68Malheureusement, la reconstitution de cet habitat se heurte aux contraintes spatiales de la fouille, en particulier vers l’ouest. Deux hypothèses peuvent être envisagées :
la seconde concentration que l’on commence à percevoir au sud de la surface fouillée prolongerait l’arc de vestiges situé plus au nord et viendrait ainsi cerner un espace circulaire vide (un abri ?),
cette concentration, très partiellement connue, serait distincte de la première et indiquerait la présence d’une seconde aire d’activités contigüe.
69Dans un cas, nous aurions affaire à une seule unité d’occupation, dans l’autre à deux unités juxtaposées et distinctes.
70La somme des arguments stratigraphiques et spatiaux n’apporte pas de réponse catégorique mais fournit quelques indices sur la fréquentation de cette aire d’activités. Si plusieurs occupations se sont succédé, elles furent probablement proches dans le temps, laissant apparaître une stabilité de l’organisation spatiale dans ce secteur de l’habitat.
7. Quelle durée d’occupation(s) ?
71Quelle que soit l’interprétation de l’espace habité, se pose le problème de la durée d’occupation (ou des occupations), souvent difficile à apprécier en contexte paléolithique. Disons d’emblée que pour Campo delle Piane, cette évaluation est particulièrement délicate et se heurte à plusieurs difficultés sérieuses. La première concerne l’extension de la fouille ne révélant qu’une partie de l’habitat. En particulier, il est clair que la quasi absence de certains témoins d’activité comme les nucléus est révélatrice d’une fragmentation spatiale des opérations de taille dont nous ne saisissons qu’un maillon, probablement assez court. La seconde est évidemment la perte de la faune (sauf sous la forme d’esquilles), élément déterminant dans une discussion sur la durée et la période d’occupation d’un habitat. Enfin, s’ajoute à ces lacunes l’interrogation, non complètement résolue, sur l’existence d’un palimpseste d’occupations que nous avons évoquée précédemment.
72Les données à notre disposition apparaissent contradictoires : d’une part, la quantité limitée de vestiges et l’absence de structuration des foyers plaident plutôt pour une brièveté du ou des séjours ; d’autre part, l’utilisation répétée des foyers, la multiplicité des activités et parmi celles-ci des travaux qui impliquent des opérations échelonnées dans le temps (notamment le travail de la peau à différents moments de son traitement) indiquent un séjour plus long qui pourrait se compter en semaines. Un moyen de concilier ces indices serait d’imaginer que cette aire d’activités se trouvait en périphérie de la partie centrale d’un habitat, plus densément occupée et située hors du locus fouillé. Cette hypothèse serait compatible aussi avec une succession d’occupations proches dans le temps. Les conditions de fouilles et taphonomiques ne permettent pas d’aller plus avant dans l’interprétation de cet habitat.
Notes de bas de page
1 Nous devons cette découverte à François Bon qui a participé aux premières années de ce programme de recherche.
2 G.B. Leopardi n’a pu connaître la coupe dans laquelle nous avons noté la présence du niveau archéologique puisque celle-ci résulte du creusement récent d’un chemin d’accès au Gallero, situé en contrebas (information fournie par le propriétaire du terrain).
3 L’autorisation ne nous a pas été accordée par le propriétaire.
4 Notons que d’autres évènements de ce type ont pu se produire avant et après l’occupation humaine comme en témoigne la découverte de charbons de bois, parfois de grande taille, au-dessus et sous l’horizon archéologique (cf. chapitre 5).
5 On doit aussi signaler que de très rares galets en Scaglia, de très petites dimensions, ont été récoltés au cours de nos prospections dans les terrasses anciennes.
6 L’unique affleurement de Scaglia que nous avons pu observer à proximité du site contenait des blocs de silex de tout petit module ne correspondant pas aux dimensions des nucléus débités à Campo delle Piane.
7 Il n’est pas impossible que ces deux remontages, qui ont plusieurs points en commun (même matière première, mêmes dimensions, même phase technique), s’intègrent dans le débitage d’un unique nucléus.
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Campo delle Piane
Ce livre est cité par
- Peresani, Marco. Ravazzi, Cesare. Pini, Roberta. Margaritora, Davide. Cocilova, Arianna. Delpiano, Davide. Bertola, Stefano. Castellano, Lorenzo. Fogliazza, Fabio. Martino, Gabriele. Nicosia, Cristiano. Simon, Patrick. (2018) Human settlement and vegetation-climate relationships in the Greenland Stadial 5 at the Piovesello site (Northern Apennines, Italy). Quaternary Research, 90. DOI: 10.1017/qua.2018.76
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