Chapitre 5. La vallée du Gallero au tardiglaciaire
p. 43-60
Résumés
Les recherches menées à Campo delle Piane ont accordé une large place à l’étude paléoenvironnementale. Les observations stratigraphiques effectuées dans la vallée du Gallero et la cartographie des dépôts sédimentaires font apparaître la présence d’un ancien cône de déjection en contexte de piémont qui s’est formé sous un régime nival. L’incision importante du Gallero (une vingtaine de mètres) est rapportée au début de l’Holocène en relation avec le changement climatique (passage d’un régime nival à pluvio-nival) conjuguée avec une forte activité tectonique classique dans la région. Les dépôts tardiglaciaires prennent donc localement la forme d’une terrasse. Leur conservation et celle des vestiges épigravettiens résultent principalement de cette incision holocène des cours d’eau et de l’érosion provoquée par l’agriculture.
La séquence sédimentaire surmontant le niveau épigravettien trouvé dans le locus n° 7 (CDP 7) constitue une coupe de référence. Ce niveau se situe sur la pente d’un ancien dôme de graviers et à proximité d’un chenal qui sont des formes héritées de la morphogenèse weichselienne. Il est associé à un paléosol brun-rouge dont la conservation est liée au comblement de ce chenal.
L’étude fine de cette séquence permet de reconstituer des éléments du paléoenvironnement et de la paléoclimatologie du Tardiglaciaire dans la vallée du Gallero. L’observation macroscopique et les analyses physico-chimiques des sédiments montrent l’existence de deux paléosols distincts associés à des traces d’incendies. Le paléosol supérieur, daté par le carbone 14, est attribué à l’interstade Bølling-Allerød. La corrélation du paléosol inférieur contenant les vestiges archéologiques avec un interstade précis repose sur plusieurs datations (carbone 14 et OSL) qui le placent entre 17 ka et 21.1 ka cal. BP et sur la confrontation avec des références lointaines, de portée générale (carottes de glaces polaires et marines), et des travaux plus rapprochés réalisés en Italie (Lago di Monticchio, bassin du Fucino et Apennins). Ce paléosol semble correspondre à une période d’amélioration climatique du G2sb (Greenland Interstadial 2b), antérieure au Dryas I et postérieure au Dernier Maximum Glaciaire. C’est durant cet épisode de réchauffement et dans un environnement de prairie et de pins, et en bordure d’un chenal, que s’installent les Épigravettiens de CDP 7. Après leur départ, un incendie au moins affecte cette pinède clairsemée. Ainsi, il apparaît que les environs du massif du Gran Sasso ont enregistré cette amélioration climatique de manière plus nette qu’au nord de l’Europe laissant augurer d’intéressantes perspectives d’étude sur la fin de la période glaciaire dans cette partie des Abruzzes. En conclusion, sont retracés quelques traits majeurs de l’histoire environnementale de la vallée du Gallero depuis le Dernier Glaciaire.
The paleoenvironmental studies has been largely emphasised in the research program of Campo delle Piane. The stratigraphical observations made in the Gallero valley and the mapping of the sedimentary deposits show the presence of a previous alluvial fan in a piedmont context which was formed in a nival regime. The deep incision (about twenty meters) is dated at the beginning of the Holocene. It is correlated with the climatic change (transition between a nival to a pluvio-nival regime) and an important tectonic activity which is usual in Abruzzo. The Late-glacial deposits locally occur as terraces. The preservation of these deposits and of the Epigravettian remains mainly results from the Holocene incision of the rivers and from the erosion linked with the ploughing.
The sedimentary sequence situated above the Epigravettian level found in the locus n° 7 (CDP 7) constitutes a reference section. This level is located on the slope of an ancient gravel bank and close to a channel which are inherited forms from the alluvial Weichselian morphogenesis. It is associated to a brown-red palaeosol whose preservation is linked to the filling of this channel.
The detailed analysis of this sequence allows to rebuild palaeoenvironment and palaeoclimatology of the Late-glacial in the Gallero valley. The macroscopic observation and the physico-chemical analysis of the sediments indicate the presence of two distincted palaeosols associated with evidence of fire. The upper palaeosol, dated by the14C is attributed to the interstadial Bølling-Allerød. The correlation between the lower palaeosol, where the archaeological remains were found, with a precise interstadial is based on several datations (14C, OSL) which vary between 17 ky and 21.1 ky cal. BP. It is also based on the confrontation with further references of general value (ice cores and marine cores), and local works done in Italy (Lago di Monticchio, Fucino lake and Apennines). This palaeosol seems to develop during a climatic improvment period of G2sb (Greenland Interstadial 2b), previous to the Dryas I period and after the LGM. During this warming episode, the Epigravettians lived at Campo delle Piane 7, closed to a channel, in a meadows and pines environment. After they leaved, at least one fire took place in this sparse pines trees. Thus, the piedmont of the Gran Sasso Massif registered this climatic variation more clearly than in Northern Europe. It provides interesting opportunities for studies of the Late-glacial period in this part of Abruzzo. In conclusion, it is possible to write up a brief environmental history of the Gallero valley from the LGM to nowadays.
Gli studi paleoambientali sono stati una parte molto importante nel programma di ricerche a Campo delle Piane. Le osservazioni stratigrafiche assunte nella valle del Gallero e la cartografia dei depositi sedimentari mostrano la presenza di un antico apparato di conoide alluvionale pedemontano formatosi in un contesto climatico a regime nivale. L’incisione profonda del torrente Gallero (circa venti metri) è databile all’inizio dell’Olocene in relazione sia al cambiamento del clima (transizione tra il tipo nivale e quello pluvio-nivale), sia ad un discreto sollevamento tettonico, che caratterizza questo settore dell’Abruzzo. I depositi tardiglaciali affiorano local-mente in forma di terrazzi. La conservazione di questi depositi e dei reperti epigravettiani è determinata principalmente dall’incisione ed erosione olocenica dei corsi d’acqua e dall’attività agricola.
La sequenza sedimentaria posta sopra lo strato epigravettiano rinvenuto nel locus n° 7 (CDP 7) costituice una sezione di referimento. Qui lo strato è collocato sull’antico pendio di un banco di ghiaia e vicino un paleocanale, forme ereditate dalla morfogenesi del Weichselian. Queste forme sono associate ad un paleosuolo rosso-marrone la cui conservazione è legata al riempimento del paleocanale.
L’analisi dettagliatta della sequenza ha restituito informazioni sull’ ambiente e il clima durante il Tardiglaciale nella valle del Gallero. Le osservazioni macroscopiche e le analisi fisico-chimiche dei sedimenti indicano la presenza di due distinti paleosuoli associati a evidenti tracce di un incendio naturale. Il paleosuolo superiore datato con il14C è correlabile all’interstadio Bølling-Allerød. La correlazione tra il paleosuolo inferiore, nel quale sono stati trovati i reperti archeologici, con un insterstadio preciso si basa sia su datazioni (14C, OSL) che variano tra 17 ky e 21.1 ky cal. BP e sia su confronti e riferimenti, lontani di valore generale (carotaggi di ghiacci polari e marini), e più vicini di lavori fatti in Italia (Lago di Monticchio, bacino del Fucino e nell’Apennino). Il paleosuolo sembra corrispondere all’episodio di miglioramento climatico G2sb (Greenland Interstadial 2b), precedente al Dryas I e successivo a LGM (Ultimo Massimo Glaciale). Durante questo periodo di riscaldamento, gli Epigravettiani sono vissuti a Campo delle Piane 7, vicino un canale e in un ambiente di prato con sporadici alberi di pino. Dopo la loro frequentazione, almeno un incendio ha interessato la zona di pineta. L’area pedemontana del Gran Sasso ha registrato il miglioramento climatico più chiaramente che altre aree del Nord dell’Europa evidenziando questo settore dell’Abruzzo ideale per studi sul periodo tardiglaciale. In conclusione, è possibile ricostruire una breve storia ambientale della valle del Gallero dall’ultimo Glaciale ad oggi.
Texte intégral
1Les travaux que nous avons menés dans la vallée du Gallero ont donné une large part à l’approche paléoenvironnementale. Celle-ci s’appuie à la fois sur un travail de prospection, tant stratigraphique que cartographique, et sur l’étude fine de la séquence sédimentaire associée au locus Campo delle Piane 7 (CDP 7). De même que l’étude archéologique a apporté son propre lot de découvertes, l’étude paléoenvironnementale, une fois dépassée la mise en contexte stratigraphique et paléotopographique des occupations épigravettiennes, n’a pas été sans surprise. En effet la séquence tardiglaciaire associée au locus CDP 7 apparaît à ce jour comme unique au sein des Abruzzes et apporte un éclairage particulier sur le contexte paléoclimatique marquant le début de la déglaciation en Italie centrale.
1. Cartographie et stratigraphie des ensembles sédimentaires quaternaires
1.1. Quatre séquences sédimentaires emboîtées
2Les prospections et les observations stratigraphiques menées dans la vallée du Gallero ont permis d’élaborer une carte montrant quatre séquences sédimentaires détritiques emboîtées (fig. 1) :
Les flyschs tertiaires documentés par la carte géologique (Pliocène inférieur) (fig. 1, chap. 3). Ces unités sablo-silteuses constituent l’encaissant des formations quaternaires observées dans l’aire d’étude (cf. chapitre 2). Encore aujourd’hui ils sont une source importante de sédiments libérés par l’érosion des sols et les labours.
Un ensemble de cailloutis attribuables au Weichsélien. Ces galets sub-anguleux, centimétriques à décimétriques, sont constitués principalement de flysch et de poudingues composés de galets de silex et de calcaire. Leur base est en contact avec le flysch tertiaire. Ces dépôts alluviaux sont postérieurs à une phase d’érosion importante n’ayant laissé, dans la vallée du Gallero, que quelques traces locales de terrasses plus anciennes qui n’ont pas été observées en détail dans le cadre de cette étude. Ces dépôts correspondent à une sédimentation pléniglaciaire d’un cône alluvial de piémont, emplissant la vallée du Gallero.
Une nappe limono-argileuse grisâtre à faciès de pseudogley, localement riche en poupées de calcite, recouvre ces cailloutis. Une phase érosive antérieure à ce dépôt est probable, au regard de la cartographie et des coupes qui expriment l’emboîtement de trois séquences alluviales. Localement, des paléosols brun-gris d’épaisseur pluri-centimétrique ont été observés au sein de cet ensemble. Ils peuvent être interprétés comme des phases de stabilisation et de végétalisation de ces dépôts. Cette unité est attribuable au Weischsélien et correspond à un contexte lacustre ou palustre.
Une séquence tardiglaciaire, détaillée par l’étude menée à CDP 7 (cf. infra) clôt cet ensemble de dépôts glaciaires. Cette unité, principalement limono-sableuse beige, est marquée par une proportion importante de poupées de calcite que l’on remarque dans les labours en surface (fig. 4, chap. 4). Lors des prospections sur le terrain, des sondages à la tarière complémentaires ont été nécessaires afin de différencier la séquence tardiglaciaire de la nappe à faciès pseudogley antérieure, elle aussi riche en poupées du même type. Cette séquence peut inclure localement des petites nappes lenticulaires de graviers et de galets que l’on peut associer à des remplissages de chenaux, observés dans la coupe de référence de CDP 7. Cet ensemble est le seul à avoir fait l’objet de datations absolues et fournit dans les labours du mobilier épigravettien (cf. chapitre 7).
3Lors de cette étude, l’attention a été portée principalement sur la séquence limoneuse tardiglaciaire et sur les paléosols qu’elle contient. Une recherche plus étendue sur la morphos-tratigraphie weichsélienne dans la vallée nécessiterait des observations plus approfondies.
1.2. Un ancien cône alluvial traversé par le Gallero
4La modélisation de ces ensembles sédimentaires montre que la vallée du Gallero se plaçait, pendant le Tardiglaciaire, dans un contexte de dépôts sédimentaires importants liés à la présence d’un ancien cône de déjection en position de piémont (fig. 2). Le géoréférencement des observations stratigraphiques et cartographiques que nous avons réalisées dans la vallée montre que ce cône avait une pente d’au moins 4° dans sa longueur. Ainsi le bassin versant du Gallero, actuellement faible, charriait durant la période glaciaire une masse importante de sédiments, bien plus que ne pourrait le laisser présager son hydrologie actuelle. Ces épisodes de transports et de dépôts sédimentaires étaient associés à un régime très nettement nival.
5Le cône alluvial de cette vallée prend sa source sur les contreforts du massif du Gran Sasso (fig. 2). Ce dernier est marqué par une morphogenèse périglaciaire importante (Bisci et al. 1999) et constituait au Pléistocène une source conséquente de sédiments détritiques. Il est amplement démontré que les variations climatiques ont un rôle majeur sur le contrôle de ces flux sédimentaires, aussi ce contexte géomorphologique fait du cône alluvial de la vallée du Gallero une précieuse archive sédimentaire, traduisant l’évolution environnementale de cette partie du piémont pendant le Pléistocène supérieur. L’action conjointe de ces variations climatiques et d’un soulèvement néotectonique très actif dans la région (Giraudi, Frezzotti 1995 ; Centamore et al. 1996) a engendré dans les vallées des Abruzzes la mise en place de nombreux cônes alluviaux en contexte de piémont (Coltorti, Pieruccini 2006). Les incisions associées notamment aux phases interglaciaires et interstadiaires ont entraîné la formation d’une succession de terrasses durant le Pléistocène et l’Holocène (Centamore et al. 1996, fig. 2, chap. 3). Cet uplift, combiné avec l’action de l’agriculture, est par ailleurs responsable de l’importance de l’érosion qui occasionne dans la région la formation de badlands et une forte incision des cours d’eaux pendant l’Holocène.
6Du fait de la surrection des blocs pris entre les failles de la limite Est des Apennins (cf. chapitre 3), le Gallero a incisé l’ensemble des dépôts quaternaires antérieurs ainsi que le Tertiaire sur plus de 20 m (fig. 3, chap. 4). Les dépôts tardiglaciaires constituent donc une relique, conservée localement mais largement entaillée par la rivière et abrasée par l’érosion provoquée par l’agriculture. Cette érosion anthropique a été favorisée par le bon potentiel agricole des sols développés sur les sédiments tardiglaciaires limoneux.
1.3. Les traces de l’incision holocène du Gallero
7Surmontant la séquence tardiglaciaire, on note localement la présence d’un paléosol noir (fig. 1, coupe 7), lui-même recouvert par des colluvions. Il constitue la dernière unité pédo-sédimentaire, au moins partiellement alluviale, que l’on peut trouver au sommet de la séquence formant la terrasse de Campo delle Piane et à proximité du cours actuel du Gallero.
8Ce paléosol se rapporte à une phase précoce de l’Holocène, antérieure ou synchrone au creusement du Gallero. À ce jour, il n’a pas été daté par le14C, et n’a pas non plus livré d’industrie lithique diagnostique. Par conséquent, le moment de l’incision ne peut-être précisé. Cependant, les modèles classiques d’évolutions de la transition Pléistocène/ Holocène et les observations réalisées en Italie centrale (Centamore et al. 1996) indiquent une forte érosion des dépôts glaciaires par les rivières au cours de l’Holocène et notamment au début du Préboréal. La transition entre le dernier Glaciaire et notre Interglaciaire a progressivement modifié le fonctionnement du Gallero qui est probablement passé d’un régime nival à nivo-pluvial. La végétation s’est développée et a stabilisé les pentes qui fournissaient auparavant beaucoup de sédiments. Par conséquent, le Gallero a eu moins d’énergie et surtout moins de sédiments à déposer lors de ses crues. C’est ce changement de régime, conjugué à l’activité néotectonique, qui a engendré au cours de l’Holocène une incision importante des dépôts antérieurs et progressivement entraîné le passage d’un cône alluvial à un simple torrent. La reconquête végétale et la stabilisation climatique pouvant être considérées comme accomplies au Néolithique (Giraudi 1989), nous estimons sans grand risque que l’incision du Gallero a dû commencer entre la fin du Tardiglaciaire et l’Atlantique.
9La topographie actuelle montre que le Gallero a incisé le côté sud du cône en amont et nord en aval (fig. 1). Ce décrochement peut être également expliqué par l’activité néo-tectonique car s’il paraît naturel que l’incision holocène longe le cône alluvial pléistocène, rien n’explique qu’il le traverse de part en part. Il semble plus probable que la forme « en baïonnette » observée soit la trace de la capture du Fosso delle Piane par le Gallero, probablement à la faveur d’une paléotopographie héritée de la morphogenèse liée au cône alluvial.
10Le degré de conservation de la séquence tardiglaciaire associée aux vestiges épigravettiens résulte principalement de la conjugaison de l’incision holocène des cours d’eau (Gallero et Fosso delle Piane) et de l’érosion liée à l’agriculture. Afin de mieux comprendre la conservation de sites épigravettiens au sein de la séquence tardiglaciaire, nous avons étudié de plus près celle-ci aux environs de la fouille à CDP 7.
2. Une séquence tardiglaciaire bien développée à Campo delle Piane 7
11La fouille du niveau archéologique en CDP 7, sur la rive droite du Gallero, nous a permis d’accéder à une coupe complète de la séquence tardiglaciaire. Celle-ci se caractérise par la présence de quatre paléosols distincts au sein d’un ensemble de dépôts détritiques épais. C’est le paléosol inférieur qui a fait l’objet d’une fouille (fig. 3 et 4).
12Cette séquence décrit au mieux la stratigraphie des dépôts tardiglaciaires observés de manière plus limitée dans le reste de la vallée. Elle constitue une coupe de référence regroupant l’ensemble des faciès tardiglaciaires reconnus dans la vallée du Gallero par le biais de coupes plus réduites ou de sondages réalisés à la tarière.
2.1. La coupe de référence de CDP 7
13Le niveau archéologique, associé à un paléosol brun-rouge, apparaît enfoui sous plus de 3 m de sédiments détritiques formés de graviers, sables et limons argileux. Il est daté de la fin du Pléniglaciaire supérieur et prend place au-dessus d’une macro-séquence d’alluvions très grossières (fig. 4). Nous reviendrons ultérieurement sur l’interprétation paléoclimatique qui peut être faite de ce paléosol. Celui-ci est recouvert par des limons argilo-sableux puis par le remplissage de chenaux à blocs et graviers qui sont facilement identifiables sur la coupe (fig. 4). Ces graviers sont constitués principalement de galets de flysch et de poudingues remaniés correspondant aux formations géologiques tertiaires locales. Au-dessus de cette unité grossière prend place un ensemble de sédiments fins à moyennement grossiers. Cette dernière séquence se termine par une unité limono-argileuse, marquée par une carbonatation importante. On observe plus haut un paléosol bien net présentant des traces non négligeables de micro-charbons. La datation radiocarbone obtenue (11,590 ± 60 BP) indique que cet arrêt de sédimentation serait lié à l’interstade Allerød (fig. 4 et 5).
14Cependant deux hypothèses contradictoires sont possibles pour dater ce paléosol :
il pourrait représenter l’altération sédimentaire liée à la fois au Bølling et à l’Allerød. La datation correspondrait à ce dernier interstade du fait de l’occurence marquée d’incendies (voir plus loin) et donc du stockage préférentiel de micro-charbons à cette période. Les deux interstades formeraient ici un pédocomplexe et aucune trace du Dryas II ne serait enregistrée, ce qui est une configuration assez commune,
si ce paléosol est strictement attribuable à l’Allerød, le Bølling pourrait être associé aux dépôts limono-argileux beige-brun marqués par une légère pédogenèse (170 cm de profondeur, n° 10, fig. 4). Le niveau limoneux intermédiaire (n° 9, 150 cm de profondeur, fig. 4) pourrait alors être lié à l’épisode du Dryas II.
15En l’absence d’éléments supplémentaires de datations, nous opterons pour la première hypothèse, la plus commune, à savoir l’existence d’un pédocomplexe Bølling-Allerød et donc l’absence d’un enregistrement sédimentaire du Dryas II.
16Ce paléosol est recouvert d’une séquence limono-argileuse qui présente deux autres paléosols peu marqués et non datés. Ils ont été observés à proximité immédiate de la base de la terre végétale et pourraient être associés aux phases d’instabilité climatique du début de l’Holocène (Magny 2004). Ici encore des datations complémentaires seraient nécessaires pour étayer cette hypothèse.
2.2. Extension locale de la séquence tardiglaciaire et paléotopographie de CDP 7
17Une série de coupes a été étudiée en bordure du champ surplombant le site (fig. 6). L’objectif était d’estimer l’étendue du niveau archéologique, ou du moins de trouver des informations permettant de préciser le contexte paléotopographique compatible avec les données de fouilles et celles apportées par les prospections de surface (cf. chapitre 7).
18Le relevé topographique réalisé sur la surface actuelle du champ révèle la trace d’un paléochenal hérité de chenaux tardiglaciaires. Il marque la fin de la morphogenèse alluviale de cette terrasse, avant son incision par le Gallero au début de l’Holocène. La comparaison avec les densités de ramassage de surface observées lors des prospections montre que la partie la plus haute du champ est également celle qui est la plus dense en mobilier lithique.
19Le Gallero s’écoule actuellement à plus de 20 m sous la coupe 5 dans un axe globalement Ouest-Est. L’étude des coupes 1 à 5 a permis la description de séquences sédimentaires correspondant à un système alluvial de forte énergie présent dans la vallée du Gallero au Weichsélien. L’unité 19, présente au-dessus du niveau archéologique (fig. 4) et formée par des remplissages de petits chenaux très érosifs, donne une image des dépôts que pouvait générer ce cône alluvial lors de la fonte des neiges et des glaces au printemps. La séquence alluviale grossière, immédiatement sous le niveau archéologique, possède une surface supérieure dont l’altitude varie entre 351,8 m et 355,3 m (fig. 6 ; logs 2 et 5). Elle exprime une paléotopographie alluviale weichsélienne formée par des dômes de graviers entourés de chenaux temporaires. Cette morphologie n’est plus directement visible, « noyée » sous les dépôts tardiglaciaires de la séquence supérieure. Le niveau archéologique se place sur la pente sud d’un de ces dômes de graviers, non loin d’un chenal dont l’héritage morphologique est encore perceptible dans la topographie actuelle. Ce positionnement est confirmé par les analyses micromorphologiques réalisées sur le niveau archéologique (cf. infra, l’analyse micromorphologique) qui ont montré des traces de dépôts alluviaux fins, postérieurs, antérieurs, voire synchrones avec l’occupation humaine.
2.3. Taphonomie de l’habitat épigravettien
20Le site épigravettien fouillé à CDP 7 est associé à un paléosol brun-rouge, marquant un arrêt de sédimentation et une pédogenèse significative. La conservation de ce paléosol induit la préservation de la paléotopographie de l’époque et donc celle des occupations humaines contemporaines. Les études micromorphologiques menées au sein de ce paléosol (cf. infra, l’analyse micromorphologique) ont mis en évidence de minces (quelques mm) apports colluviaux ou alluviaux contemporains de l’occupation. Immédiatement au-dessus du paléosol, on constate également l’occurence de dépôts alluviaux de faible énergie (limons argileux beige), très localisés et peu épais, liés à une petite reprise d’activité du chenal au bord duquel se plaçait l’habitat.
21L’épaisseur de ce paléosol est variable. Il est plus épais au sud à proximité du chenal, développé sur des sédiments fins, et s’amincit au nord en remontant sur une ride de graviers. L’étude des lames micromorphologiques (cf. infra, l’analyse micromorphologique) montre que les apports alluviaux fins sont synchrones avec la pédogenèse. Ceci explique que le paléosol apparaisse plus épais au sud (pédogenèse syn-sédimentaire) et plus fin au nord, quand on s’éloigne du chenal (pédogenèse sur graviers, pas d’apports significatifs).
22Lors de nos travaux aux environs de la fouille, nous avons recherché l’extension du paléosol brun-rouge afin d’estimer le potentiel de conservation de l’habitat épigravettien (fig. 6). Plus au nord, les chenaux supérieurs à remplissage de grave l’ont érodé ; il en est de même à l’est où l’incision du Gallero et le terrassement du chemin n’ont pas permis sa conservation. Il est probablement conservé au sud, mais l’utilisation de la tarière à main, incapable de traverser les niveaux de grave, n’était pas adaptée à sa détection. Plus à l’ouest, il a pu être observé dans le champ plus haut que sur la fouille, sans traces d’anthropisation visibles, mais avec de nombreux micro-charbons.
23C’est donc la proximité d’un petit chenal qui a permis la conservation du paléosol brun-rouge, grâce à un dépôt d’une énergie suffisamment faible pour ne pas l’avoir érodé mais d’une épaisseur suffisante pour l’avoir protégé localement de l’érosion des chenaux postérieurs. Par conséquent on peut considérer que l’extension de la zone de conservation potentielle des vestiges archéologiques correspond à une bande de quelques dizaines de mètres de large sur la berge nord d’un ancien chenal tardiglaciaire. Il nous est impossible de déterminer actuellement la longueur de cette bande.
3. La séquence de Campo delle Piane 7 : un bon indicateur climatique pour le Tardiglaciaire
24La séquence sédimentaire que nous avons eu l’opportunité d’étudier à l’aplomb de la fouille nous a donné l’occasion de décrire le paléoenvironnement et la paléoclimatologie du Tardiglaciaire dans la vallée du Gallero. Une phase de réchauffement contemporaine de l’occupation épigravettienne a été localement mise en évidence, associée à des traces d’incendies et en relation avec une oscillation climatique connue au sein des carottages de glaces du Groenland.
3.1. L’analyse détaillée de la séquence sédimentaire
25La description macroscopique de la coupe apporte de nombreuses informations (fig. 4) qu’il est cependant difficile de quantifier et donc de comparer avec précision. Les analyses effectuées sur les sédiments fins (fig. 7) et leurs traitements statistiques (fig. 8) précisent et complètent ces observations et permettent ainsi de mieux percevoir la conjugaison des phases de sédimentation et celles, parfois plus diffuses, de la pédogenèse.
26Trois classes de sédiments apparaissent nettement sur la classification ascendante hiérarchique (CAH). Elles donnent une lecture simplifiée des résultats et confortent par ailleurs l’observation macroscopique :
une première classe est caractérisée par la présence importante des sables et une proportion faible d’argile et de limons fins. Les traces de pédogenèse sont discrètes avec peu de décarbonatation, peu de matière organique, et peu de fer. Bien que les niveaux à grave n’aient pas subi d’analyse quantitative du même type, on peut les associer à cette classe d’unité. Celle-ci regroupe des faciès fortement liés aux processus de sédimentation et fort peu marqués par la pédogenèse,
une deuxième classe est dominée par les limons argileux, une faible décarbonatation, peu de fer et de matière organique. C’est un regroupement intermédiaire lié à des faciès caractérisés par le dépôt de sédiments plus fins, très peu pédogenéisés,
la troisième regroupe les unités les plus marquées par une décarbonatation, un enrichissement en matière organique, et la présence notable de fer. Les sédiments fins, argiles et limons, sont très nettement représentés. Cette classe correspond aux unités les plus fortement pédogenéisées.
27Afin de distinguer plus finement ces unités pédosédimentaires, nous avons réalisé une analyse en composante principale (ACP) (fig. 8). Celle-ci met de nouveau en évidence les classes déjà décrites par la CAH. Elle permet de différencier nettement le paléosol inférieur brun-rouge du paléosol supérieur. Il apparaît ainsi que le fer libre, et de façon plus discrète le fer total, identifient plus nettement le paléosol contenant le niveau épigravettien. À l’inverse, le paléosol supérieur est plus riche en argile, en limons fins et en matière organique. Cette différence est à mettre sur le compte de la variabilité des conditions environnementales et temporelles.
28Le ratio entre fer libre et fer total est d’ordinaire un bon indice de l’altération des horizons pédologiques (Duchaufour 1991). Ce rapport est très discriminant pour le paléosol supérieur où le manque de fer libre par rapport au fer disponible est très net. De même, le ratio entre le fer total et la teneur en argile montre une perte en fer (principalement contenu dans l’argile) pour ce même paléosol. Le fer disponible y a été plus lessivé que dans le reste de la stratigraphie et un peu plus que dans le paléosol brun-rouge. À l’inverse, la présence importante de fer total, conjointement à un fort taux de fer libre, qui marque le paléosol inférieur, se traduit par un ratio peu discriminant par rapport au reste de la stratigraphie plus pauvre en fer. Il en est de même pour le rapport fer total / teneur en argile.
29Ces observations montrent clairement que si la séquence stratigraphique de CDP 7 contient bien deux paléosols, ceux-ci n’indiquent pas une pédogenèse de même ampleur. Les sédiments du paléosol supérieur ont été plus altérés que ceux constituant le paléosol inférieur, brun-rouge, lié à l’occupation. Ce dernier est néanmoins marqué par une pédogenèse nette, riche en fer.
3.2. D’anciennes traces d’incendies
30Dès le début des fouilles, nous avons été surpris par l’abondance et la diversité des traces de combustion (charbons de bois, silex et os brûlés, sédiment altéré) présentes sur l’ensemble de la surface ouverte. Cette abondance et par ailleurs l’absence de foyers clairement aménagés nous ont amené à nous interroger sur l’origine de ces altérations et sur l’éventualité de phénomènes d’incendies. La découverte d’un fragment de tronc au moins partiellement carbonisé, situé dans l’unité sédimentaire recouvrant immédiatement le paléosol (fig. 9), allait dans le sens de cette hypothèse.
31Les études micromorphologiques menées sur le niveau archéologique ont mis en évidence un contexte sédimentaire d’apports alluviaux très faibles. Ces derniers sont assez développés pour permettre la conservation de plusieurs sols de prairie ; le plus récent, postérieur à l’occupation, est marqué par la présence de rubéfaction des vides et celle de radicelles carbonisées en place (cf. infra, l’analyse micromorphologique). Ces observations montrent l’existence d’au moins une phase d’incendie qui serait survenue après l’abandon de l’aire d’habitat, dans un laps de temps difficile à estimer mais cependant suffisant pour qu’un sol de prairie ait eu le temps de se développer.
32Des analyses menées sur les oxydes et hydroxydes de fer présents dans le paléosol indiquent qu’une surface prélevée en dehors de tout contexte de foyer a été chauffée à une température proche de 300°C compatible avec un feu courant de prairie (cf. infra, l’étude sur le magnétisme du sédiment).
33Par ailleurs, une analyse anthracologique réalisée sur des masses charbonneuses a montré qu’il s’agissait probablement de racines de pin brûlées en place (fig. 10 et infra, l’analyse anthracologique). Ce type de pseudo-structures a été retrouvé en plusieurs endroits de la fouille. Enfin, le tronc carbonisé découvert au dessus du niveau archéologique, a été daté par le14C. Sa datation est plus ancienne que celles obtenues pour le niveau archéologique (Ly-2331, niv. 22, fig. 5) mais la calibration de l’ensemble des dates montre un recouvrement important. Ce tronc d’arbre a vraisemblablement été repris par le chenal et correspond aux traces d’un incendie qui s’est déroulé pendant le développement du paléosol brun-rouge et a dû affecter une surface dépassant largement celle de la fouille.
34Le paléosol supérieur, attribué à l’interstade Bølling-Allerød, doit être examiné à la lumière de ces observations. En effet lors de l’ouverture de la fouille en 1997, une attention particulière lui a été donnée. Il a été soigneusement décapé sur quelques mètres carrés, sans qu’aucun vestige anthropique ne soit hélas découvert, mais de nombreux charbons et fragments de terre brûlée millimétriques ont été remarqués et ont d’ailleurs fourni le carbone nécessaire à sa datation (fig. 5).
35Ainsi les deux paléosols tardiglaciaires ont subi au moins un incendie. Ces épisodes de feux sont classiquement associés à des phases de sécheresse (Rowea, Scotter 1973 ; Hély, Alleaume 2006). Les incendies tardiglaciaires sont étroitement liés aux variations climatiques et se déroulent plutôt lors des périodes sèches durant les phases de déglaciation (Edwards et al. 2000). La fin de l’Allerød (post-IACP) et le début du Dryas récent sont connus pour être des périodes favorables au développement de ce type de phénomène (Power et al. 2008 ; Marlon et al. 2009).
36L’approche pluridisciplinaire a donc permis la mise en évidence d’incendies. Cependant, ces résultats sont limités par la difficulté d’appréhender des phénomènes « catastrophiques » dans une séquence temporelle dilatée. Ainsi, il reste ardu d’estimer le nombre d’incendies qui ont pu marquer les paléosols et davantage encore d’apprécier l’importance que ces événements ont pu avoir pour les Épigravettiens ou même de savoir si ces derniers pouvaient en être responsables. Il n’a pas été réalisé d’analyse systématique sur toute la hauteur de la séquence sédimentaire. De ce fait, il est délicat d’exclure totalement la présence de traces d’incendies en dehors des paléosols bien qu’aucun indice n’ait été repéré hors de ces contextes durant nos terrassements.
37En conclusion, le niveau d’occupation est donc marqué par des foyers auxquels s’ajoutent des traces de combustion naturelle postérieure, que l’on peut attribuer à au moins une phase d’incendie dans un environnement de prairie et de pinède.
3.3. La mise en évidence d’un réchauffement climatique contemporain de l’habitat épigravettien
38L’observation macroscopique de la coupe de CDP 7, ainsi que les analyses physico-chimiques, montrent nettement la présence de deux paléosols distincts associés à des traces d’incendies. Cependant, si la datation obtenue pour le paléosol supérieur permet de l’attribuer à l’interstade Bølling-Allerød (fig. 5), la corrélation entre le paléosol inférieur et un interstade précis est plus difficile. Cette détermination est cependant importante pour savoir quel environnement ont connu les Épigravettiens. Ce paléosol se retrouve en de nombreux endroits de la vallée du Gallero dans une position stratigraphique identique et avec les mêmes caractéristiques macroscopiques. Il est parfois érodé par la mise en place de petits chenaux à remplissage de grave observés à CDP 7 et CDP 10.
39Les dates qui encadrent le paléosol inférieur le placent entre 17 ka et 21.1 ka ± 1.7 ka cal. BP (date OSL, fig. 5). Plusieurs travaux sont disponibles pour tenter son interprétation paléoclimatique (fig. 11) :
La première référence est fournie par les carottes de glaces polaires. On remarque que ces dates sont conformes à une variation connue sous le nom de GS2b (Greenland Stadial 2b), interprétée comme un épisode moins froid au sein du stade isotopique 2 et datée entre 16.9 et 19.5 ka GRIP yr BP (Björck et al. 1998 ; Blunier et al. 1998).
L’étude menée sur un carottage marin en mer d’Alboran, non loin de Gibraltar (ODP 976, Combourieu Nebout et al. 2009), montre des reconstitutions de biomes et de températures qui paraissent aux auteurs anormalement clémentes entre 18 et 21 ka cal. BP avec la présence de forêts, des températures particulièrement hautes et une humidité sensible. Ils mettent cette anomalie sur le compte d’un manque de référentiels actuels pour leurs modèles.
Dans les Alpes, une phase de déglaciation importante est enregistrée antérieurement au Dryas I (Jorda, Rosique 1994) et l’hypothèse d’un réchauffement significatif aux environs de 18 ka cal. BP, potentiellement relatif au GS2b, est avancée (Schoeneich
2003 ; Vescovi et al. 2007).Par ailleurs, si l’on cherche un proxy moins éloigné, l’étude pollinique menée sur les sédiments du Lago di Monticchio (Allen et al. 2000) constitue une autre bonne référence. On y trouve une correspondance partielle avec la palynozone n° 4 placée entre 25.9 et 14.3 ka cal. BP. Les résultats polliniques attestent bien la présence importante de pin et sont interprétés comme un environnement de steppe froide associée au Maximum Glaciaire. Cette palynozone regroupe en fait l’ensemble du stade isotopique 2, mais on y discerne cependant des variations dans la concentration de pollens d’arbres notamment un pic dans la proportion de pollens de pins enregistré entre 17 et
21 ka cal. BP. Ce pic pourrait correspondre à notre sol. La végétation identifiée pour cette période (Artemisia, Chenopodiaceae, Gramineae, Pinus et Juniperus) est d’ordinaire interprétée comme celle d’un climat froid et sec et les pics de pollens de pins indiqueraient le développement de forêts clairsemées.Encore plus près, dans les Abruzzes, les nombreuses études menées sur l’évolution du niveau du lac du Fucino (à 40 km au sud-ouest) montrent un niveau particulièrement haut autour de 18 ka cal. BP (Giraudi
1989). Au sein des Apennins, un net recul des glaciers est noté approximativement à partir 25,5 ka cal. BP et s’accélère jusqu’aux environs de 17 ka cal. BP (Giraudi 2003). Plus récemment ce même auteur limite cette phase de recul des glaciers aux environs de
18300 cal. BP sur la base d’une datation 14C et la fait suivre d’un épisode de refroidissement (Stade de Fontari, Giraudi 2011, fig. 17.3). Ce schéma va à l’encontre de nos observations et des datations obtenues à Campo delle Piane.
40Le paléosol brun-rouge de CDP 7 semble donc bien correspondre à une période climatique plus clémente, enregistrée sous des formes diverses et parfois discrètes en Méditerranée. Ce changement climatique, antérieur à la chronozone du Dryas I et postérieur au Dernier Maximum Glaciaire, a modifié significativement le fonctionnement du cône alluvial dans la vallée du Gallero. Durant cette période, ce dernier n’alimente plus les pentes du Gran Sasso en sédiments détritiques et les surfaces sont au moins partiellement stabilisées par le développement de la végétation. Les rives du chenal où se place l’occupation épigravettienne deviennent stables pendant quelques milliers d’années et se recouvrent d’une prairie, avec la présence notable de pins. C’est durant cet épisode de réchauffement climatique et dans cet environnement que les chasseurs épigravettiens s’installent à CDP 7. Après leur départ, et peut-être du fait de la sécheresse, un incendie (au moins) affectera cette pinède clairsemée.
41Il reste difficile de quantifier les données paléoclimatiques associées à l’habitat épigravettien. Cependant la comparaison entre la pédogenèse du paléosol supérieur et celle du paléosol brun-rouge (cf. supra, 3.1) montre que ce dernier, malgré une durée probablement plus longue, a subi une pédogenèse moins forte que pendant l’interstade Bølling-Allerød. Nous pouvons donc considérer que les Épigravettiens de CDP 7 ont connu un climat plus favorable qu’au Maximum Glaciaire ou au Dryas I, mais cependant moins clément que durant l’interstade suivant.
42L’étude menée sur la coupe de CDP 7 met donc en évidence un réchauffement climatique antérieur au Dryas I qui semble initier en Méditerranée la phase de déglaciation. Cette oscillation peut être mise en perspective avec les interstades Bølling et Allerød bien connus en Europe du Nord. Elle a vraisemblablement eu un impact important sur les territoires des chasseurs épigravettiens. L’avancée de la mer Adriatique vers le Nord durant le Tardiglaciaire (Lambeck, Purcell 2005) est également un phénomène susceptible d’avoir fait évoluer localement les climats. Cependant aucune remontée significative de la mer Adriatique synchrone du paléosol de CDP 7 n’a été mise en évidence à ce jour.
43L’extension spatiale de ce phénomène interstadial n’est pas encore connue, mais il semble concerner au moins les abords occidentaux de la Méditerranée, de Gibraltar jusqu’aux Alpes, et se retrouve au Groenland identifié dans la carotte GRIP comme l’épisode GS2b (Björck et al. 1998). Les environs du massif du Gran Sasso, marqués par l’activité glaciaire mais en contexte méditerranéen, ont enregistré des variations climatiques de manière plus nette qu’au nord de l’Europe. Les perspectives d’étude des oscillations climatiques de la fin de la période glaciaire semblent donc particulièrement prometteuses dans cette partie des Abruzzes.
4. L’évolution de la vallée du Gallero depuis le Dernier Glaciaire
44Les observations menées à Campo delle Piane permettent de reconstituer une histoire environnementale schématique de cette région des Abruzzes pendant les derniers 20 000 ans (fig. 12).
4.1. Au Pléniglaciaire, un cône alluvial très dynamique
45La dernière glaciation entraîne la mise en place d’un inlandsis s’étendant sur une grande partie de l’Europe du Nord et plus au sud, la formation de glaciers plus isolés, limités aux grands massifs montagneux, surtout dans les Alpes et dans une moindre mesure en Italie centrale. La vallée du Gallero se place au pied du complexe glaciaire de Campo Imperatore couvrant le centre des Apennins. Cette vallée de piémont reçoit les sédiments mobilisés par le glacier, l’érosion périglaciaire et la fonte des neiges de printemps. Ces apports sédimentaires massifs forment alors un cône alluvial important fait de dépôts sablo-limoneux et de chenaux très mobiles charriant blocs et graviers.
4.2. Il y a environ 20 000 ans, une première phase d’embellie climatique
46Un réchauffement climatique modifie sensiblement ce système. Les apports sédimentaires sont plus limités, moins violents, plus réguliers, et la végétation colonise lentement le cône alluvial. Un sol se forme et à plusieurs reprises les chasseurs épigravettiens installent leur campement au bord d’un des chenaux de la vallée (CDP 7). La végétation et la sécheresse favorisent la naissance d’incendies qui touchent au moins une partie de la vallée, brûlant la pinède clairsemée.
4.3. Au Dryas I, le retour du froid
47Le climat glaciaire reprend, réactivant le cône alluvial. De nouveau, des petits chenaux transportent des graviers pendant les périodes de fonte des neiges, érodant par endroit le sol de prairie précédemment formé. La sédimentation est importante et contribue à combler la vallée de parfois plus de deux mètres de graviers et de limons sableux.
4.4. Au Bølling et à l’Allerød, une nouvelle embellie climatique
48Une nouvelle oscillation climatique favorable modifie le fonctionnement du cône alluvial. Les apports sédimentaires violents cessent, la végétation reprend, un sol se développe et des incendies se produisent. Les multiples chenaux sont probablement abandonnés au profit d’un chenal simple qui creuse les dépôts antérieurs. Cet interstade est cependant trop court pour que le cours d’eau, aidé par la néotectonique locale, ait pu réaliser une incision importante.
4.5. La fin du Glaciaire, dernière activité du cône alluvial
49La fin de la période glaciaire est amorcée mais une dernière oscillation froide marque encore la vallée du Gallero. Le cône alluvial est moins actif et se déposent surtout des sédiments sablo-limoneux qui recouvrent localement les paléosols antérieurs.
4.6. L’Holocène et l’incision du Gallero
50À l’Holocène, le cône alluvial ne fonctionne plus ; un chenal simple se met en place, c’est le Gallero actuel. La néotectonique produit un uplift important, l’incision du torrent est très forte et s’accompagne d’un phénomène de capture. Le Gallero entaille les dépôts glaciaires et le Tertiaire sur parfois plus de vingt mètres. Une partie des traces d’occupations épigravettiennes est probablement détruite par cette incision. De plus, le développement de l’agriculture entraîne l’érosion des dépôts sédimentaires, et les labours mettent au jour localement des artefacts lithiques.
Auteur
Service régional de l’archéologie, Nantes, UMR « Laboratoire de Géographie physique », Meudon
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