Chapitre 4. Nouveaux temps, nouveaux moyens : les méthodes de recherche
p. 31-41
Résumés
Les objectifs des nouvelles recherches entreprises à Campo delle Piane – retrouver et étudier un habitat de plein air d’une part, estimer l’extension de l’occupation épigravettienne et sa chronologie d’autre part – nous ont conduit à conjuguer deux approches, archéologique et paléoenvironnementale, et plusieurs échelles d’analyse. L’aire étudiée correspond à la vallée du Gallero qui a fait l’objet de prospections archéologiques et d’observations stratigraphiques. A l’intérieur de cette aire d’étude, un effort particulier a été porté sur plusieurs secteurs riches en matériel archéologique de surface. Le locus 10 (CDP 10) illustre la démarche suivie. Sur ce locus, plusieurs transects, destinés à repérer des paléosols tardiglaciaires susceptibles de livrer des niveaux épigravettiens, ont été réalisés puis les données stratigraphiques ont été intégrées dans un SIG afin de modéliser les surfaces de ces paléosols. Les résultats obtenus ont déterminé l’implantation de sondages archéologiques. Ce modèle a ensuite été généralisé à l’échelle de la vallée, à un moindre degré de résolution, pour localiser les secteurs potentiels de conservation de niveaux épigravettiens. Un second locus, CDP 7, a fait l’objet d’une fouille sur environ 80 m2 suite à la découverte d’un niveau archéologique en place. Les méthodes de fouilles, d’enregistrement et d’étude des vestiges (essentiellement lithiques) utilisées sont celles qui s’appliquent, maintenant de manière classique, aux sites paléolithiques de plein air découverts en contexte alluvial dans la perspective d’une interprétation palethnographique de l’habitat. Une procédure particulière, conjuguant micromorphologie, mesure de susceptibilité magnétique et du temps de chauffe, a été suivie pour l’analyse des nombreuses traces de combustion afin de distinguer les foyers des altérations thermiques liées à un incendie postérieur à l’occupation humaine. D’autres études spécialisées (les traces d’usure sur les silex, l’anthracologie) ont aussi été mises en œuvre pour proposer une interprétation spatiale et fonctionnelle de l’aire fouillée. Parallèlement la séquence sédimentaire incluant le niveau archéologique a été relevée et analysée en détail (analyses physico-chimiques et granulométriques) et a fait l’objet de plusieurs datations par différentes méthodes (14C et OSL). L’ensemble de ces données a permis de définir une séquence de référence pour le Tardiglaciaire régional et ainsi de replacer l’occupation épigravettienne de la vallée dans le cadre d’une dynamique sédimentaire plus générale.
The purposes of the new research undertaken at Campo delle Piane, that is the discovery and the study of an open air site on one hand, the estimation of the extend of the epigravettian occupation on the other hand, lead us to use an integrated approach. Both, archaeological and palaeoenvironmental approaches and several analysis scales were applied. The area studied is the Gallero valley where archaeological survey and stratigraphical observations were realized. In the valley, some locus, particularly rich in surface collections, were more precisely studied. The locus 10 (CDP 10) gives an exemple of the strategy that we adopted. At this locus, several transects were carried out. The objective was to locate Late-glacial palaeosols which could be associated with Epigravettian levels. Then, the stratigraphical data were integrated in a GIS in order to model the surfaces of these palaeosols. The results have determinated the choice of the location of the archaeological trenches. This model then has been generalized to the whole valley, but with a lower degree of resolution, to locate the areas where the Epigravettian levels could be preserved. A second locus, CDP 7, has been excavated on around 80 m2 after the discovery of an archaeological level in situ. The excavation, registration and study methods of the artifacts (mainly lithic) are those generally applied to the analysis of the Palaeolithic sites found in alluvial context in a palethnographic prospect. A specific procedure (micromorphology, magnetic susceptibility and heating time measurements) was adopted in order to distinguish the real hearths from the altered areas due to a non-anthropic fire. Other specialized analysis (use-wear method, anthracology) were applied for the spatial and fonctional interpretation of the excavated area. In the same time, the sedimentary sequence, in which the archaeological level lies, has been drawn on the field and precisely analyzed (physico-chemical analysis, granulometry) and was dated with different methods (14C, OSL). The data set allowed to define a reference sequence for the regional Late-glacial and to situate the Epigravettian occupation in the Gallero valley in the context of a more general sedimentary dynamics.
Gli obbiettivi delle nuove ricerche intraprese a Campo delle Piane – ritrovare e studiare un insediamento all’aperto da una parte e stimare l’estensione dell’occupazione epigravettiana e la sua cronologia dall’altra – ci hanno condotto a coniugare due approci, archeologico e paleoambientale, a diverse scale di analisi. L’area studiata corrisponde alla valle del Gallero dove sono state effettuate prospezioni archeologiche e osservazioni stratigrafiche. All’interno di questa area di studio, un attenzione particolare è stata posta ai quei settori con molti reperti litici di superficie. L’esempio del locus 10 (CDP 10) illustra la metodologia seguita. In questo locus, sono stati eseguiti diversi transetti per individuare i paleosuoli tardiglaciali, suscettibili di contenere livelli epigravettiani. I dati stratigrafici sono stati successivamente integrati in un GIS al fine di modellizzare le superficie pertinenti ciascun paleosuolo. I risultati ottenuti hanno determinato dove eseguire i sondaggi archeologici. Questo modello è stato in seguito applicato a tutta la valle, anche con un grado piu basso di risoluzione, per individuare le zone dove i livelli epigravettiani potevano potenzialmente essere conservati. Un secondo locus, CDP 7, è stato scavato per circa 80 m2 dopo la scoperta di un strato archeologico ben conservato. Il metodo di scavo, la registrazione e lo studio dei reperti (essenzialmente litici) sono stati quelli generalmente applicati per analizzare i siti di un contesto alluviale e per ricostruire le strutture di abitato. Una procedura specifica, che ha compreso la micromorfologia, le misure di suscettibilità magnetica e la misura del tempo di riscaldamento, è stata addotata per stabilire e distinguere i veri focolari dalle aree alterate naturalmente a causa di un incendio avvenuto successivamente all’occupazione. Altre analisi specialistiche (tracce di uso sulla selce, antracologia) sono state applicate anche per l’interpretazione spaziale e funzionale dell’area scavata. Contestualmente, la sequenza sedimentaria in cui è stato rinvenuto lo strato archeologico, è stata studiata in dettaglio (analisi fisico-chimiche, sedimentologia, etc.), e datata con metodi diversi (14C, OSL). L’insieme dei dati raccolti ha permesso di definire una sequenza di referimento per il Tardiglaciale regionale e di posizionare l’occupazione epigravettiana nella valle del Gallero in un quadro di dinamica sedimentaria più generale.
Texte intégral
1Les objectifs que nous nous sommes fixés en reprenant les recherches sur le site de Campo delle Piane – retrouver et analyser un habitat de plein air d’une part, estimer l’extension de l’occupation épigravettienne et sa chronologie d’autre part – ont réclamé une démarche multiscalaire. C’est ainsi que nos travaux ont eu pour cadre la vallée du Gallero, du moins la portion de cette vallée qui correspond précisément au lieu-dit « Campo delle Piane »1. À l’intérieur de cette aire d’étude, une fenêtre d’observation a fait l’objet d’une investigation plus détaillée. Il s’agit d’un locus où un niveau archéologique a été découvert et fouillé pendant plusieurs années.
2Il nous est apparu aussi que ces objectifs imposaient de coupler deux approches : l’analyse archéologique et l’analyse paléoenvironnementale. Nous avons en effet considéré que la méthode la plus efficace pour répondre aux questions paléogéographiques, chronologiques et taphonomiques, pouvant éclairer la dynamique de l’occupation épigravettienne dans cette vallée des Abruzzes, consistait à croiser les données apportées par l’une et l’autre approche. C’est donc véritablement le choix d’une démarche interdisciplinaire qui a guidé nos travaux sur ce site.
1. Des recherches extensives dans la vallée du Gallero
3Déjà, dans leur première publication sur Campo delle Piane, G.B. Leopardi et A.M. Radmilli relataient la présence d’industrie lithique en surface de part et d’autre du Gallero (Leopardi, Radmilli 1951-52). Ces récoltes abondantes et dispersées nous dictaient d’effectuer une recherche extensive, menée à l’échelle de la vallée. Cette nécessité découlait aussi de l’absence de données précises sur la localisation des fouilles de Leopardi lui ayant permis de trouver un niveau d’occupation en place. Prospections archéologiques et géoarchéologiques ont donc été conduites parallèlement sur les deux rives du Gallero.
1.1. Sur les traces de G.B. Leopardi : prospections et sondages archéologiques
4Le territoire que nous avons prospecté s’étend largement des deux côtés du Gallero, mais c’est dans le secteur de Campo delle Piane que se sont concentrés nos propres ramassages de mobilier archéologique, confortant en cela les découvertes de Leopardi (fig. 1a et b)2.
5Tous les champs cultivés ont été parcourus pendant plusieurs années selon la rotation des cultures. Il convient toutefois de préciser que certaines parcelles non labourées (terrains boisés, friches, vignes) n’ont jamais pu être explorées, archéologiquement du moins, durant nos campagnes successives.
6Tous les locus où ont été détectées des concentrations de matériel lithique (avec parfois plusieurs passages échelonnés sur plusieurs années) ont été cartographiés (fig. 1b). Bien évidemment, les récoltes d’objets ont été systématiques et comprenaient les déchets de taille. Les secteurs les plus fructueux en découvertes ont été quadrillés pour dresser un plan de densité des ramassages. La grille choisie est un carré de 25 mètres de côté, parfois subdivisé en quatre carrés de 12,50 mètres pour les zones les plus riches. Le choix de cette maille nous a paru d’une précision suffisante pour pallier les effets de dispersion dus aux labours3. Plusieurs parcelles ayant livré de l’industrie lithique en relative abondance ont été localisées et carroyées sur la rive gauche (CDP n°s 8, 9, 10, 13) comme sur la rive droite du Gallero (CDP n°s 7, 15).
7Une procédure particulière a été appliquée à trois secteurs correspondant aux concentrations les plus importantes : il s’agit de CDP 7, 10 et 15 qui ont fourni chacune plus d’un millier de pièces, récoltées sur des surfaces comprises entre 8000 m2 et 1,5 hectare. Les ramassages de surface ont été complétés par des sondages manuels et mécaniques, ainsi que par un relevé topographique précis des parcelles, afin de pouvoir mettre en correspondance la densité de ramassages et les observations stratigraphiques. Précisons immédiatement qu’aucun de ces sondages n’a abouti à la découverte d’un niveau épigravettien en place : le seul locus repéré et fouillé l’a été à la faveur du nettoyage d’une grande coupe déjà existante (cf. chapitre 6).
8Cet échec ne signifie pas pour autant que tout espoir de trouver un nouveau locus conservé soit définitivement écarté. Il soulève simplement un problème méthodologique : à l’exception de CDP 10 où nous avons eu la possibilité d’effectuer des sondages à la pelle mécanique, nombreux et rapprochés, les autres secteurs ont simplement été sondés manuellement, de manière plus limitée et espacée4. A posteriori, cette pratique ne nous paraît pas être le moyen d’investigation le plus approprié pour détecter les vestiges d’un habitat de plein air tel que nous le connaissons à Campo delle Piane. En effet, les données apportées par la fouille d’un locus (CDP 7) précisent le contexte et la nature de l’occupation épigravettienne : celle-ci apparaît peu dense et, en outre, associée à un paléosol. Un tel habitat, au caractère plutôt discret, nécessiterait au contraire des décapages à la pelle mécanique sur de vastes surfaces pour suivre le paléosol dans lequel se trouve le niveau archéologique et repérer ainsi les aires occupées.
1.2. La cartographie des dépôts tardiglaciaires
9À la suite de la découverte d’un niveau épigravettien intégré dans une séquence tardiglaciaire, nous avons cherché à déterminer l’extension de cette unité sédimentaire afin de définir les espaces à bon potentiel archéologique.
10La vallée du Gallero offre des possibilités de prospections géomorphologiques très favorables. En effet, les pratiques agricoles, malgré des pentes importantes, n’ont pas mené à la mise en place de terrasses permettant de limiter l’érosion. Par conséquent, les labours fournissent continuellement des éléments du sous-sol qu’il nous serait difficile d’observer si la dynamique érosive était plus tempérée (fig. 2). De plus, la néotectonique locale, particulièrement active dans cette région (Ascione et al. 2008), a provoqué un uplift important qui a entraîné des incisions alluviales très profondes et dégagé de nombreuses coupes naturelles favorisant ainsi l’observation des séquences quaternaires (fig. 3).
11Ce terrain propice a donc fait l’objet d’une prospection visant à cartographier l’extension des unités sédimentaires quaternaires en repérant sur le terrain des éléments géologiquement significatifs : les poupées de calcite caractéristiques des séquences tardiglaciaires et les graves typiques des dépôts glaciaires antérieurs (fig. 4).
12Conjointement à cette prospection de surface, nous avons mené une exploration stratigraphique par le biais de sondages réalisés à la tarière à main (fig. 5). Cette technique permet d’atteindre une profondeur maximale de 6 m, mais elle comporte certaines limitations. En effet, il n’est que très rarement possible de traverser les niveaux de graviers, ce qui limite l’exploration des séquences tardiglaciaires inférieures. De plus, le brassage mécanique, inhérent à cette technique d’observation, entraîne une difficulté dans l’observation de la structure des sédiments par rapport à la lecture d’une coupe. Ces sondages à la tarière ont été effectués ponctuellement pour vérifier la présence ou l’absence d’un faciès sédimentaire peu visible en surface, et également alignés en transects pour permettre la réalisation de coupes schématiques nécessaires à l’analyse morphostratigraphique des séquences sédimentaires.
1.3. Une approche croisée, archéologique et paléoenvironnementale : l’exemple du locus Campo delle Piane 10
13L’étude du locus CDP 10 offre une bonne illustration de notre démarche. Ce champ, marqué par une forte pente, a livré lors des prospections de surface bon nombre de vestiges lithiques dont une partie au moins est attribuable à l’Épigravettien (Olive, Valentin 2005). L’objectif consistait à retrouver les secteurs où le niveau archéologique (ou les niveaux), tronqué par les labours, pouvait être conservé.
14La stratégie adoptée visait dans un premier temps à repérer les paléosols susceptibles de contenir ce niveau encore en place au sein de la séquence tardiglaciaire. Dans ce but, nous avons effectué un relevé topographique précis en prenant pour référence le même carroyage que celui utilisé pour la prospection de surface. Ainsi, l’ensemble de nos observations stratigraphiques a pu être corrélé aux ramassages.
15Des sondages à la tarière à main, organisés en transects, ont été effectués avec une résolution verticale de 10 cm. Les résultats ont tout d’abord été présentés sous forme de « logs » interprétés géométriquement puis synthétisés sous forme de coupes schématiques (fig. 6).
16Les logs ont ensuite été intégrés dans un SIG pour modéliser par interpolation les surfaces des paléosols. Celles-ci ont été confrontées au modèle numérique de terrain élaboré à partir des relevés topographiques et l’intersection de ces différentes surfaces a fait apparaître les zones de contact entre les paléosols et la base des labours. Les points d’observation des paléosols étant peu nombreux, nous avons dû faire varier les valeurs de tension utilisées pour l’interpolation de leurs surfaces5. Les différents modèles obtenus ont ensuite été comparés avec la carte de densité des ramassages de surface. La corrélation étant très bonne, ces résultats ont déterminé l’implantation des sondages archéologiques. Bien que ces derniers aient été négatifs, la modélisation de l’extension des paléosols explique cependant de manière satisfaisante la position des vestiges en surface. En revanche, elle ne prend pas en compte des phénomènes locaux comme la présence de chenaux tardiglaciaires recoupant les paléosols qui ont été observés dans plusieurs de ces sondages. Ces chenaux peuvent expliquer l’absence de niveau archéologique en place.
17La démarche utilisée à CDP 10 a ensuite été appliquée à d’autres locus de Campo delle Piane riches en ramassages de surface, CDP 7 et CDP 15, situés sur la rive opposée du Gallero. Bien que ce travail n’ait pas davantage abouti à la découverte d’un niveau en place (rappelons que ces locus n’ont pu faire l’objet de sondages mécaniques), les résultats obtenus ont permis, comme en CDP 10, de fournir quelques précisions sur l’origine du matériel de surface.
1.4. Une généralisation à l’échelle de la vallée
18La même approche a été généralisée à l’échelle de la vallée à un moindre degré de résolution. Un modèle numérique de terrain a été élaboré à partir de la carte topographique disponible (orthophoto couleur, n. 350150, vol. 2006, au 1/10 000). Pour cela, l’ensemble des courbes de niveaux a été digitalisé et les altitudes correspondantes interpolées. La validité du modèle obtenu a été estimée selon les procédures habituelles (Wood 1996).
19Par ailleurs, le modèle stratigraphique, intégrant les divers paléosols observés en coupe, a été étendu à l’ensemble de l’aire d’étude à partir de la cartographie des dépôts tardiglaciaires. Dans ce but, chaque observation stratigraphique (Log) a été positionnée dans l’espace et confrontée à la carte de répartition des ramassages de surface (fig. 7).
20L’intégration de l’ensemble des résultats, tant cartographiques que stratigraphiques, dans un SIG procure une bonne représentation de la séquence tardiglaciaire en trois dimensions et permet une localisation des secteurs potentiels de conservation des niveaux épigravettiens.
2. L’analyse détaillée d’un locus : Campo delle Piane 7
21La mise au jour d’un niveau archéologique profondément enfoui a concentré notre acti vité pendant plusieurs années sur un secteur particulier de Campo delle Piane, situé sur la rive droite du Gallero : le locus n° 7 (CDP 7). Cette découverte n’a pas seulement fourni l’occasion, unique dans les Abruzzes, d’étudier un habitat épigravettien de plein air, elle a aussi permis d’approfondir des recherches sur le contexte paléoenvironnemental dans lequel s’inscrit cette occupation et plus largement sur la période tardiglaciaire.
2.1. Les méthodes de fouilles et d’enregistrement
22La procédure utilisée pour fouiller et analyser le niveau d’occupation est équivalente à celle mise en œuvre sur de nombreux autres habitats de plein air paléolithiques découverts en contexte alluvial et inclus dans des sédiments fins. Notamment, l’expérience acquise durant de multiples années de travail sur un gisement magdalénien du Bassin parisien (le site d’Étiolles, Essonne), nous a amplement servis pour cette opération.
23Notre problématique archéologique orientée vers l’analyse palethnographique de cet habitat appelait le dégagement d’une vaste surface car les recherches menées sur les sites de plein air ont, à maintes reprises, démontré tout l’intérêt d’une fouille étendue pour leur interprétation fonctionnelle. Cependant, chaque opération de terrain est un nécessaire compromis entre objectif et réalité et dans le cas de CDP 7, un peu plus de 80 m2 ont pu être décapés, en bordure d’une parcelle cultivée (fig. 8). Cinq campagnes de trois à quatre semaines (de 1997 à 2001) avec un petit nombre de personnes (entre trois et cinq fouilleurs) ont été consacrées à ce travail. La fouille ne couvre qu’une partie de l’occupation qui s’étend au-delà de la surface dégagée sans que l’on puisse néanmoins en fixer les limites exactes. Cependant, la partie explorée est suffisamment large pour autoriser une interprétation fiable de l’aire d’habitat, sa généralisation à l’ensemble de l’occupation restant soumise à la prudence scientifique de mise.
24La profondeur du niveau d’occupation (situé à trois mètres sous le sol actuel) a nécessité l’utilisation d’une pelle mécanique pour l’ouverture. La mise au jour du niveau et son décapage ont ensuite été réalisés à l’aide d’instruments fins (petites truelles et spatules de dentistes pour les secteurs les plus riches et pour le dégagement des objets) (fig. 9). La couleur brun-rouge du niveau archéologique, nettement différente des dépôts sus- et sous-jacents (elle est d’ailleurs à l’origine de sa découverte), a facilité son approche. Des difficultés techniques ne nous ont pas incités à tamiser ; cependant, la minutie apportée au décapage et le caractère fin et homogène du sédiment pallient, pour partie au moins, cet inconvénient. La dimension modeste, infra-centimétrique, de nombreux vestiges lithiques comme osseux récoltés en témoigne.
25Le relevé des objets a été effectué à partir d’un carroyage métrique et tous les vestiges ont été dessinés sur plan avec un enregistrement des trois coordonnées cartésiennes. Au-delà du cm de dimension maximale, les pièces ont été numérotées individuellement et décrites ; en-deçà, la position des plus petits éléments a été reportée sur plan et ceux-ci ont simplement été démontés au mètre carré. Il s’agit là d’une limite moyenne, à nuancer en fonction de l’intérêt des objets, car le caractère très souvent fragmentaire de l’industrie lithique (notamment des lamelles) et la petite dimension des témoins nous ont conduits à numéroter des éléments infra-centimétriques.
26Parallèlement à l’enlèvement des objets, la découverte de structures de combustion a nécessité des techniques de fouille et d’enregistrement particulières : décapage par moitié ou par quartiers pour ménager des coupes, relevé sur plan, descriptions (fig. 10). Enfin, une documentation photographique (sur les différentes étapes de la fouille, les foyers, les coupes…) complète les archives de terrain.
2.2. Les méthodes d’analyse des vestiges et des structures
27L’interprétation spatiale du locus fouillé repose sur le croisement de toute une série d’analyses déjà éprouvées dans de nombreuses études d’habitats de plein air paléolithiques : analyse de chaque catégorie de vestiges et des structures évidentes, mise en relation de tous les témoins anthropiques. À Campo delle Piane 7, des vestiges, lithiques essentiellement, et plusieurs foyers constituent la base documentaire sur laquelle s’appuie l’étude.
28L’analyse techno-économique de l’industrie lithique, principal témoin d’activité, est fondée sur la lecture des supports bruts et façonnés (aucun nucléus significatif n’a été découvert dans la zone fouillée) et sur l’étude de quelques remontages. L’observation des traces d’usure (pour le détail de la méthode, cf. infra, analyses spécialisées) complète les données sur les opérations liées à l’exploitation du silex. Néanmoins, un pan important de l’étude de ce domaine d’activité est (très) incomplètement traité : celui concernant l’origine de la matière première. Seules quelques observations élémentaires, macroscopiques, sur l’aspect et la caractérisation géologique des matériaux taillés ont été faites et fournissent des indications ponctuelles sur l’acquisition des silex. En outre, l’étude pétrographique des niveaux de galets présents dans la séquence sédimentaire donne une idée des matières premières potentielles accessibles sur le site même par les Épigravettiens. Un véritable travail de prospection sur le terrain visant à localiser précisément les gîtes possibles d’où peuvent provenir les matériaux découverts en fouille, comme en surface, reste néanmoins à réaliser. Ce travail ne peut s’envisager que dans un cadre régional étant donné la multiplicité des sources de silex (en position primaire et secondaire) dans cette partie des Apennins.
29Le contexte dans lequel se déroule l’occupation pose un problème particulier qui nous a conduit à développer une méthodologie spécifique. Dans l’horizon archéologique, les traces de combustion et les altérations thermiques des vestiges archéologiques sont extrêmement abondantes et la question s’est rapidement posée de leur origine : naturelle (un paléo-incendie) ou anthropique ? Notamment, la distinction entre des aires de forte combustion dues à un incendie et de véritables foyers simples, non construits, ou encore de vidanges, n’a pas toujours été aisée et a réclamé la mise en œuvre de plusieurs types d’analyse.
30Plusieurs analyses spécialisées ont donc été conjointement employées pour tenter de résoudre ce problème d’interprétation des nombreuses traces de combustion, notamment pour identifier les véritables foyers. Analyses anthracologique, micromorphologique, magnétique (mesure de la susceptibilité magnétique des sédiments et courbe thermomagnétique), ont été mises à contribution et ont donné lieu à de multiples prélèvements (cf. chapitre 6 et analyses spécialisées). Les résultats de ces travaux apportent en outre des informations sur le contexte environnemental et la durée de l’occupation. Enfin, il faut ajouter à cette batterie d’analyses les datations par différentes méthodes qui fournissent les jalons chronologiques.
31Au final, l’interprétation fonctionnelle de cet habitat se déduit du croisement de toutes ces approches ainsi que de la distribution spatiale de l’ensemble des témoins d’activités.
2.3. L’analyse de la séquence stratigraphique
32La séquence sédimentaire qui inclut le niveau archéologique a été relevée en détail et topographiée afin de la situer dans la cartographie de la vallée. Un ensemble de 31 échantillons a été prélevé pour étudier l’évolution sédimentaire et pédologique des dépôts de cette séquence. La maille d’échantillonnage (5 cm) a été choisie en fonction de l’épaisseur des unités visibles macroscopiquement (et aussi de contraintes financières), les niveaux de graviers ou de blocs, peu propices à des analyses fines, ayant été écartés (cf. chapitre 5, fig. 7 et 8).
33Ces échantillons ont été confiés au Laboratoire d’Analyse des Sols (INRA, Arras).
L’interprétation paléopédologique de la stratigraphie a nécessité les analyses chimiques suivantes : carbone et matière organique (Norme NF ISO 10694), calcaire total, fer total (HF), et fer libre (Méthode Mehra-Jackson).
L’étude des dynamiques sédimentaires est, elle, fondée sur les analyses granulométriques. Celles-ci ont été effectuées après décarbonatation, car la séquence présente de nombreuses concrétions calcaires, liées à la pédogenèse, et susceptibles de fausser la lecture granulométrique de la séquence.
34L’estimation des carbonates et de la matière organique, présents dans ces sédiments, a pour objectif la mise en évidence des processus pédogénétiques (décarbonatation et enrichissement en matière organique). L’étude de la présence de fer libre et total conforte cette perception de même que la proportion d’argile estimée par l’étude granulométrique.
35Les niveaux de galets ont également été échantillonnés (5 litres par unité) et décrits macroscopiquement. Outre l’identification des matières premières disponibles, cette étude renseigne sur les fortes dynamiques sédimentaires encadrant le niveau archéologique.
36En plus de l’horizon archéologique, un second paléosol, contenant des charbons de bois, a fait l’objet d’une datation14C. En outre, le dépôt sableux présent sous cet horizon a été daté par OSL (« Optically simulated luminescence ») (Huntley 1995). Ainsi le paléosol renfermant le niveau d’occupation est chronologiquement situé à la fois par les charbons contenus dans cette unité et par les sables sous-jacents.
37Ces données obtenues par analyse physico-chimique ont ensuite été traitées par le biais d’une méthode de classification hiérarchisée (Roux 1985). L’objectif de cette méthode de classification automatique appliquée à l’étude de cette séquence est de répartir les échantillons en groupes. Différentes contraintes sont imposées ; chaque groupe doit être le plus homogène possible et se différencier le plus possible des autres. Cette partition est représentée sous forme binaire par le biais d’un dendrogramme qui permet de les hiérarchiser. Ces mêmes données ont ensuite été traitées à l’aide d’une analyse en composante principale (ACP) afin de comparer les groupes ainsi définis avec les résultats du dendrogramme.
38La mise en œuvre de ces différentes méthodes avait pour double objectif d’élaborer une séquence de référence pour le Tardiglaciaire de la vallée du Gallero d’une part et de replacer précisément l’occupation dans le cadre d’une dynamique sédimentaire plus générale d’autre part.
3. Conclusion
39Ainsi, la réflexion menée sur les locus CDP 10, CDP 15 et CDP 7 a servi de base à une application du modèle à l’ensemble de la vallée dans une approche multi-scalaire originale et complémentaire de la fouille. La compréhension de la séquence tardiglaciaire, de son extension spatiale, et l’étude fine du paléosol contenant le site fouillé en CDP 7 ont permis de définir le cadre paléoenvironnemental des occupations épigravettiennes, et aussi d’estimer les contextes sédimentaires les plus propices à la conservation de sites jusqu’à nos jours. Des prospections menées en 2007 ont ensuite montré que les résultats obtenus dans la vallée du Gallero sont extrapolables à d’autres vallées du piémont méridional du Gran Sasso leur conférant ainsi une valeur prédictive.
Notes de bas de page
1 Notons que ce toponyme exprime une topographie particulière – la présence d’une étendue de terrain plane – qui ne se retrouve ni en amont, ni en aval de la vallée.
2 Le secteur de Campo delle Piane (noté aussi CDP dans ce chapitre et les suivants) est connu d’amateurs locaux qui viennent encore y prospecter de temps en temps. Nous avons ainsi eu l’occasion d’examiner une petite collection de silex taillés provenant des deux rives du Gallero et réunie par G. Damiani. Ces récoltes, bien que difficiles à apprécier quantitativement, s’ajoutent à celles effectuées par Leopardi et nous-mêmes et corroborent la richesse de ce site.
3 Des prospections répétées réalisées dans une autre région par P. Gouletquer et son équipe ont montré une dispersion plutôt limitée des objets remontés par les labours (Gouletquer et al. 1994).
4 Les propriétaires de ces parcelles ne nous ont pas accordé l’autorisation d’utiliser des moyens mécaniques.
5 La procédure RST choisie pour cette interpolation a paru la plus appropriée (Mitasova, Hofieka 1993).
Auteurs
Service régional de l’archéologie, Nantes, UMR « Laboratoire de Géographie physique », Meudon
CNRS, UMR « Archéologies et Sciences de l’Antiquité », Nanterre
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