A lucrative, dangerous business : le consulat anglais à Alger, Tunis et Tripoli dans la deuxième moitié du XVIIe siècle
Texte intégral
1Peu d’études se sont à ce jour intéressées à l’évolution de l’institution consulaire durant le règne des deux derniers Stuart (1660-1688)1, et parmi celles-ci presqu’aucune n’a prêté attention plus spécifiquement aux côtes nord-africaines pendant la période cruciale de la pénétration britannique dans le bassin méditerranéen2. Bien que la guerre contre l’Espagne, qui a déchiré les cinq dernières années du Commonwealth (entre 1655 et 1660), soit achevée, Charles II, récemment intronisé, maintient une politique antiespagnole ferme en soutenant militairement les Braganza du Portugal dans leur lutte contre les Habsbourg. Pour sceller l’union de ces deux maisons, en 1662, Charles II épouse Catherine (la fille de Jean IV de Braganza), et reçoit en dot, en plus d’une considérable somme d’argent, les possessions portugaises de Bombay et de Tanger. L’acquisition de cette nouvelle base nord-africaine s’inscrit dans le programme royal de relance de la compétition pour le contrôle des eaux méditerranéennes face aux concurrents hollandais et français. Soutien des desseins de Charles II, la Royal Navy devient, à partir de 1660, le principal instrument d’affirmation de la puissance anglaise en Méditerranée comme dans l’Atlantique. De ce fait, la couronne britannique se trouve alors dans l’obligation d’asseoir son contrôle – au moins partiel – sur certaines figures comme les consuls, qui se révèleront être les maillons essentiels de la chaîne qui lie l’activité navale et les intérêts commerciaux anglais en Méditerranée.
2Bien que cette lacune historiographique puisse laisser penser le contraire, la Restauration anglaise représente dans l’histoire du consulat britannique en Barbarie un point de césure capital. Au milieu du XVIIe siècle, on assiste à un changement fondamental du sens de la figure consulaire, lorsque sa nomination – dans le Maghreb – passe définitivement, au moins du point de vue formel, des mains de la Levant Company à celles du gouvernement, assumant ainsi une importance diplomatique plus prononcée liée à l’augmentation constante des intérêts britanniques en Méditerranée3.
3C’est justement grâce à cet élargissement des fonctions, qui dans la deuxième moitié du XVIIe siècle conduit à une caractérisation de plus en plus politique des missions du consul, qu’il est possible de reconstruire avec une certaine précision l’évolution de l’activité des agents nommés par le gouvernement durant la dernière décennie de la domination des Stuart, en utilisant les riches sources documentaires qu’ils ont laissées dans les State Papers – conservées aujourd’hui aux National Archives de Londres – depuis le début de leur collaboration avec Whitehall4. Dans ce bref essai, nous essaierons d’isoler – ne serait-ce que schématiquement – les principales caractéristiques de cette figure dans la zone du Maghreb durant les règnes de Charles II et Jacques II, dans le but de fournir des points d’ancrage pour de futures études plus approfondies sur une institution dont la définition reste encore aujourd’hui loin d’être clarifiée.
4On commencera par rappeler que l’évolution de la nature du mandat consulaire, modifiée par l’ajout de prérogatives diplomatiques, n’a pas interdit aux protagonistes de poursuivre les activités qui les avaient appelés sur les côtes nord-africaines dans une perspective de tutelle du commerce national. Cette nomination, bien que venant formellement de la Couronne, restait dans la seconde moitié du XVIIe siècle en grande partie dépendante des individus qui entretenaient avec les régences barbaresques des rapports économiques lucratifs, et qui choisissaient d’accorder leur soutien à des personnes souvent très qualifiées, ayant une solide expérience dans le domaine du commerce et une connaissance profonde du terrain où leurs services auraient été requis5.
5Bien que ne pouvant être comparés aux grandes escales de la Méditerranée en termes de richesse et de flux de marchandises, les ports de Barbarie – et Tunis en particulier – offraient de multiples possibilités de revenus aux marchands anglais durant la deuxième moitié du XVIIe siècle6. Le consul Francis Baker, par exemple, dans un rapport sur le commerce nord-africain avec les puissances chrétiennes daté du 26 août 1675, mettait l’accent sur l’exportation, parmi différents produits, de céréales, de laines, de cire d’abeilles, de plumes d’autruche et de cuirs tannés et sur l’importation (hormis les lainages omniprésents) de fer, d’étain, de certaines marchandises exotiques comme le clou de girofle et le poivre et de fournitures de différentes sortes7. Sans trop s’y attarder, il est important de noter qu’il existait bien sûr une certaine distinction entre les marchandises qui partaient et arrivaient dans les différents ports de Barbarie : alors que Tunis, comme cela a déjà été souligné, assistait à l’émergence d’un marché plus riche et plus prometteur, Alger, caractérisée par son activité navale plus intense par rapport aux autres régences, était avide d’équipements navals et de matériel militaire8, tandis que Tripoli jouait un rôle économique secondaire, du moins pendant cette période, du fait d’une vitalité commerciale moindre9.
6S’ajoutaient à ces trafics au moins deux autres types d’activités lucratives qui caractérisaient l’implantation anglaise en Afrique du Nord. La première était le service de transport de marchandises et de passagers, soit d’une régence à l’autre, soit en direction d’Alexandrie (pour le commerce ou le pèlerinage) soit enfin vers le Levant. Dans ce dernier cas, étant donné les rapports généralement orageux avec Alger (du moins jusqu’en 1682100), Tunis et Tripoli, on utilisait majoritairement les services de transport des Anglais, dont les revenus étaient basés sur le recouvrement des frets111. La deuxième activé était celle du rachat des captifs, lequel, s’il était effectué en dehors des périodes critiques de la négociation des traités de paix, pouvait offrir des marges spéculatives à ceux qui décidaient d’y investir122. Dans ce genre de commerce, présent particulièrement à Alger où le nombre de captifs était le plus élevé, mais qui était pratiqué également dans les autres régences, on retrouvait souvent ces mêmes consuls qui, grâce à leur position privilégiée, pouvaient négocier de façon avantageuse le rachat des prisonniers133. Le soutien de la figure consulaire devait se révéler, dans ce contexte, un élément de première importance pour le succès d’une entreprise commerciale en Barbarie. Dans la pratique, de nombreux groupes identifiables profitèrent, selon différentes modalités, de l’aide des agents du gouvernement dans leurs rapports avec les régences. Bon nombre d’entre eux étaient des marchands anglais, indépendants – dans la majeure partie des cas – ou membres de la Levant Company, qui entretenaient (indépendamment de celle-ci, une fois qu’elle eut renoncé au contrôle du commerce nord-africain144) des relations commerciales avec le Maghreb, parfois en s’organisant en sociétés dans lesquelles les consuls trouvaient une place155. Des marchands et des capitaines anglais, provenant principalement de Livourne166, s’inséraient dans un étroit réseau de contacts avec l’active communauté juive locale177, certains d’entre eux se « spécialisant » dans le transport de marchandises appartenant aux Juifs et aux musulmans, pour lequel le pavillon anglais devait garantir, dans la majeure partie des cas, un passage sûr dans les eaux dangereuses entre la Toscane et la côte sud-orientale de la Méditerranée188. Enfin, la Levant Company elle-même, bien que n’ayant pas d’intérêt direct dans ce commerce, était dans une certaine mesure impliquée dans l’activité consulaire nord-africaine, soit pour des enjeux diplomatiques, desquels dépendaient la sécurité des trafics, soit pour l’appui logistique dont sa flotte pouvait avoir besoin pour les dangereuses expéditions qu’elle menait en direction et en provenance du Levant199. Plus généralement, on peut retenir que les marchands anglais impliqués en particulier sur les routes maritimes avec l’Italie et l’Espagne bénéficiaient souvent du service du consul pour défendre leurs intérêts face aux prétentions, non seulement des régences, mais aussi des différents protagonistes chrétiens de la guerre de course, qui ne manquaient pas de menacer les trafics avec le Maghreb.
7L’une des fonctions consulaires qui émerge majoritairement de la correspondance avec Whitehall – car étroitement liée à la sphère politico-diplomatique – est justement le soutien apporté aux marchands anglais captifs, et qui s’exprime essentiellement de deux façons. La première consistait en une médiation directe avec la régence ayant effectué la prise, basée souvent sur un juste équilibre entre négociations prudentes et intimidation, et demandant beaucoup d’investissement de la part des consuls, spécialement pendant les périodes critiques précédant l’ouverture de nouvelles hostilités ou l’entrée en vigueur de passeports pour les navires marchands200. Ces documents, nécessaires à tous les navires circulant dans les eaux fréquentées par les Barbaresques, servaient essentiellement à certifier la nationalité de l’embarcation, afin que les corsaires puissent savoir comment se comporter au moment de la visite, conformément aux traités de paix en vigueur. Cependant, il arrivait souvent que la concession peu regardante de ces passeports – par exemple à des bateaux dont l’équipage comprenait un nombre important de marins de nationalité différente de celle indiquée sur les papiers – pouvait créer une véritable crise diplomatique, offrant aux corsaires de parfaits prétextes pour rouvrir les hostilités sur la base d’irrégularités avérées et présumées. Alger en particulier, à cause de l’agitation politique constante et de son potentiel naval souvent nettement supérieur aux deux autres régences, contraignait fréquemment les consuls à s’activer dans de complexes pourparlers pour défendre leurs compatriotes des constantes infractions des traités de paix. La deuxième modalité en revanche, moins évidente mais tout aussi importante, prévoyait la rapide transmission de nouvelles visant à favoriser une intervention efficace de la part des collègues opérant dans les autres localités, afin de protéger le commerce national des prétentions de la course chrétienne – celle des Maltais, des Sardes, des Toscans et des Majorquins – qui s’attaquaient souvent aux embarcations engagées dans les trafics avec l’Afrique du Nord. On a déjà relevé l’importance, pour les Anglais, du transport des marchandises et des passagers de confession juive et musulmane : il est à présent nécessaire de rappeler que si cette activité pouvait être rentable, elle exposait les marchands et les capitaines au risque d’être à leur tour victimes de la course chrétienne.
8Ce funeste destin fut, surtout après les premières années qui suivirent la restauration des Stuart (lorsque la présence de la marine anglaise était loin d’être stable en Méditerranée) celui de nombreux capitaines employés par exemple sur le trajet régulier Livourne-Tunis, à plusieurs reprises tourmentés par les corsaires chrétiens, et protégés seulement grâce à la synergie entre John Erlisman (consul à Tunis durant la décennie 1663-1673, puis à Alger de 1684 à 1690) et ses collègues212. Hormis ce genre de communications, l’envoi d’informations relatives au commerce et à sa sécurité, dont celles concernant la progression de l’activité corsaire des régences223 et la signalisation des périodes d’ouverture de l’exportation des céréales aux chrétiens, était un autre service qui caractérisait l’activité du consul, et qui souvent l’impliquait dans d’intenses échanges épistolaires234. Bien que la tendance, en s’approchant du XVIIIe siècle, devint graduellement celle de conclure des traités de paix et de commerce toujours plus solides et durables avec les régences, grâce notamment au pouvoir militaire des Anglais de plus en plus important dans le bassin méditerranéen245, l’agitation politique des Barbaresques a fait des informations d’intelligence comme de celles concernant plus spécifiquement le domaine commercial, un instrument important non seulement pour l’organisation et la coordination de l’activité navale en Méditerranée (du point de vue de l’organisation des convois et de la lutte contre la course)256, mais aussi pour la direction avantageuse des trafics par les protagonistes britanniques impliqués dans le commerce avec le Maghreb et les autres localités de Méditerranée267.
9Le dernier rôle du consul en Barbarie qu’il est important de souligner est celui – plus difficile à mettre en évidence dans les sources examinées – de médiateur commercial in loco. Si parfois le consul s’occupait de soutenir activement les intérêts de certains marchands engagés dans les pourparlers du marché local, la documentation montre également de quelle façon il pouvait jouir de sa position pour influencer négativement les activités des marchands des autres pays. Ce sont précisément les activités de ce type, qui généraient des conflits entre les groupes de marchands et le consul, qui ont laissé le plus de traces, permettant de mieux comprendre cette fonction. Pour nous en tenir à un cas significatif, en 1667, le consul Erlisman fut impliqué dans une dispute pour la vente d’un chargement d’étoffes de laines transporté sur l’Algier Merchant, appartenant à la Mr. Thomas Baker & Mr. William Role Company ainsi qu’à d’autres marchands, représentés à ce moment-là par Thomas Raymond. Raymond accusa Erlisman d’avoir fait chuter volontairement, en transmettant de fausses nouvelles, le prix du marché des étoffes de laine, dans le but de porter préjudice aux intérêts des marchands qu’il représentait278. La conflictualité entre les groupes de marchands concurrents devenait encore plus évidente au moment de la victoire d’un candidat à la fonction de consul, qui durant cette période se faisait le garant des intérêts nationaux, mais qui somme toute défendait avant toute chose, du point de vue économique, les privilèges du groupe qui l’avait soutenu dans sa nomination. D’autre part, l’intérêt – souvent exclusivement personnel – des consuls pour le succès économique de certains groupes ou acteurs isolés, qui leur étaient liés de façon plus ou moins étroite, fut sans conteste un des motifs principaux qui poussa souvent les différents candidats à se battre avec acharnement pour une fonction qui, sans l’attrait de confortables sources de revenus provenant des activités énoncées plus haut, se serait révélée peu gratifiante, étant donné les difficultés que les consuls rencontrèrent durant tout le XVIIe siècle pour obtenir un salaire régulier de la Couronne289.
10Pour conclure, l’importance de la figure consulaire anglaise en tant que moteur de l’activité marchande au Maghreb au cours des premières années de l’âge moderne se dessine, à la lecture de cette première approche générale, comme celle d’une institution encore peu explorée, qui pourrait – et devrait – à l’avenir être étudiée en s’appuyant à nouveau (au moins dans un premier temps) sur le croisement entre les correspondances diplomatiques produites par les consuls qui se sont succédés dans les trois régences nord-africaines et celles (de même nature) de ceux qui assumaient la même fonction mais dans les places les plus importantes du bassin méditerranéen. Cette voie offrirait certainement des éléments de réflexion non seulement sur les modalités d’affirmation de certains protagonistes qui occupèrent cette fonction, avec plus ou moins de succès, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, mais également sur les dimensions réelles – politiques et économiques – de l’institution et des logiques consulaires dans une conjoncture capitale pour la pénétration britannique en Méditerranée.
Annexe 6 – Lettre de Francis Baker, consul anglais à Tunis, à Joseph Williamson, 10 avril 1676
11Source : TNA, State Papers, 71/26/248.
12Right Honorable,
That I presume to trouble your Honor with these particular lynes, are occasioned by a Moore who lately came from Tripoly reporting for certaine that Sir John Narbrough hath adjusted an honorable peace with that government, and hath left ashoare a person, as a pledge for the peace (consul Bradley being gone for England with thoughts not to riturne againe as I am credibly informed) until his Majestie shall bee pleased to confirme him as consul, or forward another to discharge that. That trust in case these are not anticipated by his Majestie’s grant of his commission to another I doe humbly recommend to your Honor’s favour ; for the service of his Majestie and Nation to discharge the imploy of consul my eldest brother Mister Thomas Baker being now with me whose nine years and upwards experience in this place Algier, and Tripoly, in which tyme he hath acquired to himselfe the knowledge of the language, customes, manners and coustitutions of these governements wich doubtlese will render him fittly qualified to perform the duty of that imployment, seven years since my brother being with Sir Thomas Allin att Tripoly was then desired by him to accept of that consulshippe, which through the want of a due knowledge of those people at that tyme he could not be induced thereto ; your honour may be pleased to conferre with my Lord Privy Seale hereabout ; to whome he is well knowne, as alsoe to many eminent merchants of the Exchange ; frome whome I doubt not but your honour will have a good character of him, if not, in tyme, he will awaite some other good opportunitie wherein he may have recourse to your honour’s favour. I am now to renew my addresse I have made to your honour, upon Sir John Narbrough’s appearing at this porte, when he thought it reasonable I should bee encouraged by the grant of a salary, as well as the consuls of Algier, and Tripoly and in order thereto he wrote Secretary Pepys to move his Majestie in my behalf, wich accordingly hee did, and as Sir John Narbrough writes me, his Majestie was graciously pleased to give his consent thereto, soe there is nothing wanting but your honour’s favourable assistance for the settlement, and payment, of the same and whatever his Majestie’s bounty shall bee I will imploy to noe other use then to his Majestie’s, and the Nations honour here. Your honours answer to these your best leisure I humbly intruste via Marseilles, and Ligorne rendering your honor my humble thanks for those overtures of kindnesse you are pleased to make me. I take leave, and as in duty ever bound remaine
Your Honor’s most humble and obliged servant
Golletta the 10th Aprill 1676
Francis Baker
Notes de bas de page
1 L’essai de Violet Barbour constitue une première étude générale de l’institution consulaire durant le règne de Charles II, bien qu’il soit à l’heure actuelle un peu daté (Barbour 1928, p. 553-578).
2 Pour une bibliographie sur le système consulaire anglais, voir Ulbert 2016, p. 277-302.
3 En revanche la désignation, d’un commun accord avec la Couronne, de l’ambassadeur anglais à Constantinople dont dépendaient les consuls du Levant, reste une prérogative de la Levant Company. Concernant l’activité commerciale anglaise en Turquie et à Alexandrie, et sur les consulats anglais dans cette zone, voir Mather 2011. Sur la période qui suit la restauration des Stuart, voir Wood 1964.
4 La correspondance consulaire anglaise des régences barbaresques entre 1660 et 1688 – sur lesquelles est basée cette étude – est conservée dans les fonds suivants des National Archives de Kew : The National Archives (TNA), State Papers (SP), 71/1 (Alger, 1660-1670) 71/2 (Alger, 1671-1684), 71/3 (Alger, 1685-1698), 71/22 (Tripoli, 1658-1697), 71/25 (Tunis, 1656-1682) et 71/26 (Tunis, 1622-1689).
5 On trouvera un exemple des compétences requises des candidats à la fonction consulaire dans la lettre de recommandation destinée au Secrétaire d’État que Francis Baker écrit pour son frère Thomas, lequel aspire au consulat de Tripoli en 1676. Dans cette lettre, on peut voir que : « He [Thomas Baker] hath aquired to himselfe the knowledge of the language, customes, manners, & constitutions of these Governments [des régences] which doubtlesse will render him fittly qualified to performe the duty of that imployment » (TNA, SP, 71/26/248). Il est intéressant de noter que la fonction consulaire en Barberie est, durant la période qui suit la Restauration, occupée par des protagonistes ayant des liens de parenté entre eux. Bien qu’il soit difficile de tracer avec exactitude un cadre complet, il est important de mettre en évidence, et ce à valeur d’exemple, le cas des frères Baker : Francis Baker a été consul de Tunis entre 1673 et 1683, son frère a assumé la même fonction à Tripoli de 1677 à 1685 et par la suite à Alger de 1690 à 1694. Un de leurs parents, John Erlisman, a obtenu, quant à lui, le consulat de Tunis de 1663 à 1673 et celui d’Alger de 1684 à 1690. Enfin, Thomas Goodwyn – n’ayant pas de liens de parenté avec les Baker, mais fidèle ami de Thomas –, suit ce dernier lors de son installation à Tripoli et sera par la suite nommé consul à Tunis entre 1683 et 1697.
6 Concernant le commerce tunisien au XVIIe siècle, voir les nombreux travaux de Sadok Boubaker et en particulier Boubaker 1987 et Boubaker 2003, p. 29-62.
7 TNA, SP, 71/26/233.
8 Les pourparlers diplomatiques des puissances chrétiennes avec les régences, en particuliers avec Alger, ont été conduits jusqu’à la fin du XVIe siècle grâce aux fournitures navales qui représentaient de précieux objets de négociation. Pour un panorama de l’évolution des rapports entre l’Angleterre et la Barberie du XVIe au XVIIe siècle, voir Matar 2005 ; Tinniswood 2010.
9 Pour se faire une idée des trafics anglais à Tripoli, du moins pendant la décennie 1676-1686, voir Pennell 1989.
10 0 En 1682 l’amiral Arthur Herbert (env. 1648-1716) conclut, après une intense période d’activité navale et de pourparlers agités, une paix avec Alger destinée à perdurer (selon ses termes) pendant cent cinquante ans. Le texte complet, qui diffère sur certains points par rapport aux précédents traités obtenus par les Anglais, grâce à de nouveaux articles plus avantageux, est consultable dans Du Mont 1731, p. 20-22.
11 1 Le cas significatif et malheureux du navire du capitaine Thomas Davis, capturé en 1687 par le marquis de Fleury – célèbre corsaire basé à Malte (voir Allen, 1990, p. 109-116) – alors qu’il transportait le pacha de Tripoli en pèlerinage à Jérusalem (TNA, SP, 71/26/488).
12 2 Sur les potentiels gains dérivant de l’activité de rachat des captifs chrétiens en Barbarie, voir Kaiser 2008.
13 3 De nombreuses traces sont présentes dans les sources étudiées. Un exemple parmi d’autres est celui du consul Samuel Martin, en fonction à Alger à partir de 1674, qui, peu après sa nomination, s’associe avec William Bowtell, un marchand londonien, lequel a résidé de nombreuses années à Alger, impliqué dans le marché du rachat des captifs. À cette occasion, leurs affaires prirent une mauvaise tournure, et Martin finit par accumuler une dette de 10 000 réaux espagnols du fait de la malhonnêteté de son partenaire. Toutefois, la mésaventure de ce consul peut donner une idée de la portée des sommes investies, non négligeables, dans un réseau d’affaires qui pouvaient de révéler très fructueuses (TNA, SP, 71/2/392 ; TNA, SP, 71/2/455). Voir également Calafat 2013a, p. 402-403.
14 4 Sur la période durant laquelle la Levant Company eut un contrôle direct sur la nomination des consuls anglais des régences, voir Wood 1964, p. 59-80.
15 5 Les sources examinées pour cette étude permettent d’établir clairement des liens entre les consuls et les représentants de la Levant Company. Ainsi, à titre d’exemple, de deux pétitions, l’une remontant à 1676 (TNA, SP, 71/22/42) et l’autre à 1681 (TNA, SP, 71/25/34), concernant respectivement la nomination de Thomas Baker comme consul de Tripoli et la demande d’envoi d’un nouvel agent à Tunis, on peut isoler parmi les signataires les noms de John Buckworth (Deputy Governor de la Levant Company de 1672 à 1687), John Parker (membre de la compagnie, ainsi que marchand très actif en Barbarie, souhaitant concourir au consulat d’Alger), Thomas Pilkington (membre de la compagnie) et enfin Dudley North (grand protagoniste du commerce avec le Levant dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, sur lequel se focalise en partie le récent travail de James Mather, Mather 2011).
16 6 Afin d’observer ce groupe, il a été particulièrement enrichissant de croiser les sources consulaires relatives à la Barbarie avec celles – de même nature – provenant de Livourne (TNA, SP, 98/4-17, les fonds couvrent la correspondance des agents diplomatiques anglais en Toscane entre 1660 et 1699).
17 7 Sur l’active et hétérogène communauté juive résidant à Livourne, voir Trivellato 2009.
18 8 Citons le cas emblématique de Humpherey Sidney, éminent représentant de la communauté marchande anglaise à Livourne – ainsi que parent de Thomas Goodwyn, consul de Tunis entre 1683 et 1697 – et régulièrement impliqué dans ce genre d’échanges commerciaux avec l’Afrique du Nord. Propriétaire du navire marchand Mediterranean, il le loua en 1673 pour 1 500 réaux espagnols au pacha de Tunis pour lui permettre de se rendre en sûreté à Constantinople (TNA, SP, 98/15/213–216). En 1674, il fut impliqué dans une dispute concernant des frets sur deux navires – le Mediterranean et le Elizabeth (TNA, SP, 98/15/228) – allant de Tunis à Smyrne, alors qu’en 1675 une autre embarcation, l’African (utilisée pour la première fois en 1671 pour le commerce avec Tunis ; TNA, SP, 71/26/329), était capturée par les corsaires de Cagliari et suspectée de transporter des marchandises appartenant aux Juifs (TNA, SP, 71/26/243).
19 9 Hormis le fait que les convois levantins accueillaient également des embarcations en direction de l’Afrique septentrionale, dans lesquelles, comme nous l’avons vu, les membres de la Levant Company avaient des intérêts (TNA, SP, 71/26/ 309), il était aussi possible que les navires de la compagnie aient besoin du support logistique des consuls, qui de leur côté étaient tout à fait conscients de l’importance de leur intervention : en 1681, par exemple, le Syria Merchant, riche navire marchand de la compagnie, fit naufrage durant une violente tempête dans une localité sur la cote tunisienne. L’action rapide et efficace du consul, Francis Baker, permit de récupérer 64 739 réaux, de nombreuses balles d’étoffes de laine et une partie du chargement de plomb et de cuivre d’une valeur d’environ 30 000 livres sterling. Son frère Thomas, consul au même moment à Tripoli et probablement associé à ces opérations de rapatriement du chargement naufragé, dans l’attente depuis un long moment d’un salaire promis par le gouvernement, n’hésita pas à extraire un pourcentage des devises récupérées, destinées de fait à la Levant Company, comme juste remboursement des arriérés (TNA, SP, 71/26/415-417, 423-425, 427-428, 431-432 ; Pennell 1989, p. 56).
20 0 Les consuls anglais avaient constamment à faire au problème des passeports en Barbarie. En 1676, par exemple, Samuel Martin – consul à Alger – se trouva durant la période de mai et juin à devoir s’occuper de la libération de quatre navires anglais – le Vine, le Diligence, le Leopold et le Mediterranean déjà cité – capturés par les corsaires car dépourvus des nouveaux passeports prévus par le traité de paix confirmé à nouveau par l’amiral John Narborough (env. 1640-1688) pendant l’expédition de 1674-1675 (TNA, SP, 71/2/119-120 ; 127-129).
21 2 De ce point de vue, le consulat de Erlisman à Tunis est particulièrement intéressant, dans la mesure où il se retrouve souvent à prendre en charge les dommages causés aux Anglais par la course sarde. En juin 1664, le consul a recueilli la déposition sur l’honneur du capitaine John Abraham, du Mercury, navire anglais sur le trajet Livourne-Tunis, précédemment arrêté par trois brigands, deux Cagliaritains et deux Livournais, car suspecté de transporter des marchandises appartenant aux Juifs de Tunisie. Conduits à Cagliari pour vérifier la cargaison, les officiers et l’équipage ont été malmenés par les corsaires, qui avaient fait main basse sur les marchandises à bord avant même d’entrer dans le port. Dans ce cas précis, le Mercury eut somme toute de la chance, car il fut secouru peu après par le HMS Advice, de passage dans la zone, dont le capitaine – William Poole – s’employa à sa libération. Toutefois Erlisman joua un rôle important, en se mettant rapidement en contact avec le collègue livournais, Morgan Read, et en produisant rapidement, avec l’aide du consul de France à Tunis, les preuves pour démontrer la propriété effective du chargement. C’est justement à cause de fréquentes agressions de ce type, qu’Erlisman écrivit peu de temps après des lignes amères au gouvernement anglais, en se plaignant du danger permanent que représentait la course chrétienne (TNA, SP, 71/26/65-66, 67-68, 75-77).
22 3 Les signalisations extrêmement précises des mouvements des unités corsaires des régences sont innombrables dans chacun des fonds examinés. On peut également se faire une idée précise du contrôle que les consuls effectuaient généralement sur les activités barbaresques à partir du journal de Thomas Baker (Pennell 1989).
23 4 Les communications sur l’ouverture et la fermeture de l’exportation des céréales aux chrétiens sont particulièrement denses en provenance de Tunis, au moins jusqu’à la concession du Cap Nègre aux Français en 1686 (TNA, SP, 71/26/33-34, 109-110, 125-126, 149, 155-156, 167, 175-176, 195 et 201-202).
24 5 La nouvelle politique navale anglaise en Méditerranée, déjà évoquée ici, conduisit les Stuart à maintenir, presque sans solution de continuité, une flotte dans le détroit de Gibraltar, dès l’expédition menée par Edward Montagu, comte de Sandwich, en 1661. Les opérations de la flotte méditerranéenne, laquelle s’appuya au cours des années sur différentes bases in loco – Tanger, Cadix, Gibraltar, Port Mahon, Livourne, Malte, Zante – ont été mises en place principalement pour le contrôle des régences barbaresques.
25 6 Il est important de rappeler dans ce cas l’importance que revêt l’acquisition, en 1661, de Tanger comme nouveau référent pour la coordination de l’activité de la Royal Navy dans le bassin méditerranéen. Pendant l’occupation qui dura vingt ans, la ville marocaine, bien que pénalisée par de considérables problèmes logistiques, constitua un pôle important pour le croisement et la transmission des instructions et informations confidentielles destinées à gérer efficacement les opérations des flottilles anglaises dans les détroits. Sur l’activité d’intelligence à Tanger pendant les premières années d’occupation, voir Barbano, 2014, p. 511-524. Pour un cadre général (bien que daté) sur la présence britannique dans la base nord-africaine, voir le travail de référence d’Enid Routh : Routh 1912.
26 7 Les réseaux personnels des consuls en Barbarie pouvaient conduire à de nouvelles opportunités commerciales, qu’ils ne manquaient pas de transmettre rapidement à leur pays. En novembre 1674, par exemple, le consul à Alger Samuel Martin envoyait des informations concernant la conjoncture particulièrement favorable pour l’envoi d’un navire à Alexandrie, dans l’espoir de déloger les Français de la place pour la plus grande joie de la Levant Company. Dans ce cas précis, la nouvelle était parvenue à l’agent par le biais de l’ex dey de Tunis, en exil au Caire et ami de Martin (TNA, SP, 71/2/36–37).
27 8 Le manque de médiation consulaire, voire (selon Raymond) l’influence négative exercée par le consul, causa un dommage de 2 500 réaux, qui d’après l’accusateur aurait pu être évité si le consul avait agi selon ses fonctions, en intervenant positivement dans les négociations grâce à sa connaissance approfondie – et jamais remise en cause – du marché local (TNA, SP, 71/26/183-184, 185-187 et 191-192).
28 9 La correspondance consulaire de la fin de l’époque des Stuart contient de très nombreuses requêtes (qui souvent n’ont pas été entendues) de versement d’un salaire régulier aux agents consulaires. Malgré les difficultés à obtenir une paie régulière de l’Angleterre, l’obtention de la fonction consulaire en Afrique du Nord resta un objectif recherché et, toutes proportions gardées, une source de revenus. Il est malaisé de suivre au delà de leur période de service la trajectoire des différents protagonistes qui obtinrent cette charge ; lorsque l’opération se révèle toutefois possible, les résultats semblent confirmer cette idée. Dans les documents recueillis par le Board of Trade concernant l’occupation britannique à Tanger, on trouve encore des traces, par exemple, de l’ancien consul John Erlisman, qui semble vouloir jouir des avantages de son service qui dura une dizaine d’années. Dans le document qui le concerne (signé par le capitaine Richard Bolland et destiné à Joseph Williamson), on peut lire au bas de la lettre : « Honourable Sir, just at the closure of these lines, Consull Earlesman, late Consull of Tunis, was married to a young Gentlewoman, which came to the place [Tangeri] under my care to seek a fortune, and she hath met with one, that is valuable, fiftiethousand pieces of eight, soe wee have a substantiall man settled in the place. » TNA, Colonial Office, 279/22/147.
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mattebarb@gmail.com
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