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Les entrepôts de céréales en Espagne à l’époque moderne : contrôle public et marché préindustriel

p. 323-364

Résumé

L’évolution des greniers publics en Espagne à l’époque moderne est étudiée en tant que réponse institutionnelle aux aléas de la production agricole, à l’inégale distribution des excédents, principalement contrôlés par les seigneurs et l’Église, et à la fragile intégration des marchés. Dès la fin du Moyen Âge, les municipalités ont bâti des magasins publics (alhóndigas, pósitos) pour éviter les pénuries lors des périodes de crise. La croissance urbaine et les crises agricoles ont favorisé l’expansion de ces pósitos, mais les oscillations des prix ont fait augmenter les dépenses liées aux achats et, par conséquent, l’endettement municipal entre fin du XVIe siècle et 1630. Des entrepôts de charité (pósitos píos), pour les réserves de grains destinées à soutenir les paysans, se multiplient avec la crise du XVIIe siècle. L’intervention des Bourbons au XVIIIe siècle a cherché à améliorer la gestion des pósitos. Mais les résultats demeurent limités à cause des difficultés financières et de la crise finale du système d’Ancien Régime.


Texte intégral

1Avec un certain retard par rapport à d’autres pays européens, les études sur la politique d’approvisionnement en céréales pratiquée par les institutions publiques se développèrent fortement en Espagne à partir des années 1970 seulement, grâce à l’influence de l’école des Annales. Aux modèles établis par F. Braudel et E. Labrousse, repris par G. Anes en 1970 dans son travail pionnier sur les crises agraires dans l’Espagne moderne1, se sont ainsi joints une série de travaux locaux dans différentes régions espagnoles, qui ont permis à C. de Castro d’offrir en 1987 une vision globale sur la question2. Malheureusement, tant l’orientation de la recherche en histoire médiévale et moderne vers l’histoire politique, sociale ou culturelle, que les difficultés pratiques et méthodologiques que ces recherches comportaient ont restreint leur développement à partir de 1990, ce qui empêche d’élargir les perspectives de travail et de formuler des analyses plus approfondies. Cependant, l’historiographie récente admet chaque jour davantage la nécessité d’une meilleure connaissance concernant l’évolution des marchés des grains et les politiques publiques qui les affectent durant l’époque moderne, pour comprendre non seulement le processus de dissolution de l’Ancien Régime, mais également les voies de gestation d’une société capitaliste à l’époque contemporaine3. C’est pourquoi, au moment où des contributions de grand intérêt ont récemment vu le jour en Espagne, la relecture historiographique ici proposée tente de redonner à ce thème de recherche la place qui lui revient.

2Dans les sociétés d’Ancien Régime, la distribution de l’excédent agricole était le meilleur reflet de la domination économique et sociale exercée par les groupes privilégiés. Une bonne partie des récoltes parvenait à la noblesse ou au clergé à travers des rentes et des droits divers, ce qui leur permettait de concentrer la plupart des produits récoltés, tandis que les paysans cultivateurs ne disposaient que de très peu de grain commercialisable qui, en outre, devait être écoulé dans de brefs délais pour faire face aux dépenses et aux dettes4. Ce fait est souligné par les contemporains. Le stockage des céréales restait aux mains de groupes privilégiés dans leurs greniers, dans les cillas, qui étaient des paneras appartenant à l’Église où s’accumulaient les dîmes, et dans les tercias, des entrepôts qui tiraient leur nom de la partie de la dîme qui revenait à la Couronne (Tercias Reales), où se rendaient les intermédiaires ou fermiers des rentes pour les envoyer sur le marché. C’étaient d’importantes réserves qui, lors des disettes, pouvaient permettre, comme le note J. Castillo de Bobadilla à la fin du XVIe siècle, des activités spéculatives :

En estas ocasiones muchas vezes hize sacar el trigo sobrado no solo de casa de seglares pero de canónigos y clérigos ricos y aun de las iglesias y de los obispos y de sus mayordomos, que lo grangean y venden a precios y por modos injustos5.

3La circulation d’une bonne partie de ces excédents servait de provision pour la population qui ne cultivait pas la terre, localisée principalement dans les villes et les villages importants. Les marchés locaux et régionaux de céréales concentraient et redistribuaient les céréales à des acheteurs de différentes catégories et conditions, allant des boulangers à divers commerçants. Mais les conditions de la production dans les économies céréalières ne pouvaient éviter l’apparition de crises qui mettaient en danger la subsistance des populations, ce qui incita les autorités à intervenir sur le marché, parfois à travers la création d’entrepôts publics pour garder des réserves, circonstance qui sera très commune en Castille.

4Par ailleurs, il faut distinguer entre le commerce des zones intérieures et celui des zones côtières. Dans ces dernières, l’activité commerciale était plus souple, et ses coûts étaient moindres du fait des meilleures conditions du transport maritime. Les fluctuations des récoltes y étaient palliées par un transit permanent de marchandises qui provenaient de différentes zones productives. Le littoral de la Méditerranée pouvait faire face aux problèmes avec moins de difficultés en matière de stockage. Par conséquent, les systèmes liés à l’approvisionnement en céréales y obéissaient davantage à des critères de marché qu’au souci de créer des entrepôts de prévention, comme c’est le cas dans quelques territoires de la Couronne d’Aragon6.

5Nous verrons tout au long de ces pages l’évolution qu’ont connue les systèmes de stockage en Espagne entre le XVIe et le XVIIIe siècle, avec une attention particulière pour les entrepôts publics, en soulignant les différences entre les territoires de la monarchie espagnole et en observant les tentatives d’unification menées par les Bourbons durant le XVIIIe siècle, avant la crise finale de l’Ancien Régime.

Entrepôts et approvisionnement de céréales en Espagne au XVIe siècle

6La croissance économique castillane se généralise à partir de la seconde moitié du XVe siècle. Le fer de lance en est le redressement de la production agraire en général et céréalière en particulier. Ce nouvel essor provoque l’augmentation générale de la population dans les villes et les noyaux ruraux. Dans les villes, la spécialisation productive des habitants, toujours plus éloignée des activités agraires, s’accroît. Dans les villages également les échanges se développent.

7Le commerce des céréales était l’une des activités principales. Un vaste secteur participait à ce trafic : des propriétaires de la terre, qui touchaient des rentes en nature, les percepteurs et les fermiers des dîmes, qu’ils entreposaient dans des cillas, des tercias et autres paneras privées7, de même que des agriculteurs de différentes conditions. Les transactions avaient lieu sur les aires, dans les trojes, ou greniers à céréales, ou sur les places publiques. Nombre de villes et de localités importantes disposaient de bâtiments publics destinés à l’achat et à la vente du grain, que l’on connaît sous le nom d’alhóndigas, un terme d’origine musulmane. Mais cette atmosphère générale de prospérité économique n’était pas exempte de problèmes occasionnés par les fluctuations des récoltes, qui menaçaient la subsistance quotidienne et la survie des économies paysannes les plus fragiles. Ces circonstances entraînaient l’intervention des autorités sur le marché des céréales : on ordonnait, comme cela se produisit en 1491, que les grains soient vendus dans les alhóndigas ou, en leur absence, sur les places, pour éviter la spéculation et l’accaparement8. Des institutions de stockage commencèrent également à se multiplier pour prévenir les disettes et secourir les pauvres. C’est ainsi qu’apparurent des pósitos píos, créés habituellement à la suite de dispositions testamentaires de particuliers, ou des pósitos publics, encouragés par les communes, voire par la noblesse dans les villages qui étaient sous sa juridiction. Les témoignages les plus précoces de pósitos datent de la seconde moitié du XVe siècle : la présence d’un pósito, fondé en 1456, est attestée à Puebla de Nuestra Señora de Guadalupe, à Herrera de Pisuerga, à Cordoue avant 1478, à Jaén vers 1494 ou à Alcalá de Henares. On constate également sa présence à Tolède à cette époque, et l’existence du pósito d’Almagro est connue au moins depuis 14919.

8Ces greniers publics s’étendirent peu à peu, dès le début du XVIe siècle, dans toute la Couronne de Castille, à l’exception de la corniche cantabrique, et ils connurent une diffusion précoce même dans les îles Canaries, où le premier pósito connu est celui de la Orotava en 151610. Les Cortès de Valladolid, célébrées en 1555, reconnaissent le bien-fondé de leur généralisation et, en 1558, la fondation d’alhóndigas et de dépôts de pain est ordonnée dans la seigneurie de Biscaye11.

9Dans le royaume voisin de Navarre, le même phénomène se produisit, et les pósitos municipaux y sont connus sous le nom de vínculos12. Il existe des dispositions du Consejo Real qui réglementent les vínculos existants à partir du milieu du siècle, mais leur généralisation définitive intervient à partir de 1576, lorsque les Cortès demandent qu’il y ait des vínculos dans les villages.

10Dans bien des cas, la fondation du pósito répondait à une situation de pénurie qui incitait les autorités à demander à la Couronne la permission d’emprunter de l’argent ou d’utiliser des excédents de rentes pour faire des réserves de céréales. En 1501, cette permission fut demandée pour Madrid, en 1527 à Pamplune et, en 1546, ce fut le cas à Guadalajara. À d’autres occasions, les arguments qu’avancent les concejos se réfèrent habituellement à l’augmentation de la population de l’endroit et à la nécessité d’approvisionner les pauvres et les gens d’ailleurs qui se déplaçaient d’un endroit à l’autre, comme cela se produit dans la commune d’Espiel13.

11La constitution d’un dépôt de grain n’impliquait pas de construire un bâtiment spécifique. Parfois, par conséquent, l’alhóndiga, conçue à l’origine comme un marché, devint le dépôt de la commune, comme c’est le cas à Tolède et à Séville14. Cela conduit à identifier l’alhóndiga à un entrepôt public de céréales, et c’est ce que l’on observe dans une disposition royale de 1528, lorsque priorité est donnée pour que « las casas y alhóndigas comunes de las ciudades villas y lugares de nuestros Reynos y sus mayordomos en su nombre puedan comprar pan adelantado para la provisión dellas […] »15. À certaines occasions, comme par exemple à Cáceres, les entrepôts sont tout d’abord des bâtiments loués à des particuliers ; alors qu’à d’autres, c’est un espace à l’intérieur des bureaux municipaux, et les zones les plus appropriées pour la conservation des céréales y sont aménagées16. Toutefois, au milieu du XVIe siècle, l’on trouve désormais dans de nombreuses villes des bâtiments consacrés exclusivement à cette fonction, comme à Jaén, Mérida, Madrid ou Murcie17. Pósito, alhóndiga ou alholí revêtent la même signification d’entrepôt public, comme le souligne la Facultad Real de 1548 où il est dit que « para provisión de las alhóndigas y alholíes y depósito de pan […] destos Reynos y Señoríos, cada uno de los dicho pueblos puedan tomar a los arrendadores de pan la mitad del trigo y cebada, centeno y avena que en cada uno dellos hobiere de las dichas rentas […] »18.

12Une fois fondés, les pósitos municipaux étaient gouvernés au moyen d’ordonnances approuvées par les concejos (conseils municipaux). Le principal responsable en était le mayordomo ou dépositaire, chargé de la gestion pour une période déterminée, une personne qui devait disposer d’un soutien économique suffisant, par lui-même ou moyennant des garants, pour répondre des pertes éventuelles dues à sa gestion, dont on exigeait des comptes à la fin de son mandat. Le mayordomo était secondé par un ou deux regidores commissaires, élus annuellement par le concejo, qui veillaient à l’exécution correcte du retrait d’argent et de grain durant le temps convenu, puisqu’ils disposaient eux aussi des clés du coffre et des paneras. Il était également obligatoire de tenir un registre d’entrées et de sorties, dont le secrétaire de la mairie rédigeait parfois un double. D’autre part, il incombait au mayordomo de veiller au bon état des réserves, en confiant les tâches de maintenance, ainsi que de surveiller l’exécution correcte du remuage des grains. Dans le cas du vínculo de Pampelune, la gestion était à la charge de quatre députés « vinculeros » qui, par la suite, furent réduits à deux et qui étaient secondés par un regidor, qui supervisait le labeur quotidien de l’institution. Le coffre à argent avait cinq clés, l’une à la charge du regidor, et les autres, des députés19.

13Ces ordonnances furent complétées en 1584 par une réglementation royale qui établissait les règles de fonctionnement pour les achats de blé et le renouvellement des réserves et qui tentait d’éviter des pratiques abusives de la part des responsables ou le maniement frauduleux de l’argent et des réserves des pósitos. Cette réglementation, en définitive, se contentait d’harmoniser et de reprendre de nombreuses dispositions municipales. L’argent du pósito devait être rangé dans un coffre à trois clés, que surveilleraient le mayordomo, le regidor commissaire et un officier de justice, de sorte qu’aucun mouvement d’argent ne puisse avoir lieu sans leur présence simultanée. Dans le cas du grain, les paneras devaient disposer d’une porte à deux clés différentes qui seraient gardées par le dépositaire et le regidor commissaire. On ne pouvait ni ouvrir les paneras ni mesurer du grain de nuit, ni en prêter aux officiers du concejo. Ni non plus détourner les réserves ou les fonds à d’autres fins20.

14Les fonctions qu’avaient les greniers publics dépendaient de la structure démographique et socioéconomique du lieu. Dans les villes et petites villes les plus importantes, où une bonne partie de la population était éloignée des travaux agraires, le pósito avait vocation prioritaire à garantir la subsistance aux époques de disette et à pallier les brusques fluctuations des prix : les réserves servaient à fournir du blé et de la farine aux boulangers, qui pouvaient ainsi cuire du pain à des prix accessibles pour la population. Même dans les petits villages, les réserves pouvaient également être utilisées pour pallier le manque de pain. En 1593, par exemple, des ordonnances du pósito d’Espiel portent sur son rôle de pourvoyeur de blé pour fabriquer du pain21. La pragmatique de 1584 renforce le rôle du pósito comme institution destinée à garantir la subsistance et elle ne détaille pas de mesures pour le prêt aux agriculteurs ; ainsi, il est dit que dans la distribution

se distribuya el pan a las panaderas y personas que más conviniere y más dieren por hanega […] y con lo que ansí repartieren a las dichas panaderas se distribuya y gaste en pan cocido, […], y de manera que no habiendo en el pósito pan que baste para la provisión de todo el lugar y caminantes, se de el que hubiere a los dichos caminantes y vecinos pobres y que más necesidad tuvieren22.

15Il en est de même avec les vínculos navarrais, où l’objectif de la subsistance est manifeste, alors que la fonction de prêt agraire est assumée par des caisses de charité, qui apparaissent dès la fin du XVe siècle23.

16La disposition de 1584 intervient dans un contexte de crise d’approvisionnement dans une bonne partie de l’intérieur de la Castille. Toutefois, il n’était pas étonnant que, comme cela se produit à Madrid au milieu du XVIe siècle, les pósitos urbains prélèvent du blé pour le fournir aux cultivateurs de la ville elle-même ou des villages de sa juridiction24. Dans certains cas, comme à Mérida, des prêts en argent étaient octroyés aux paysans pour qu’ils en rendent le montant en blé à la récolte suivante, pourvu que sa valeur n’excède pas le prix imposé (tasa)25.

17Les pósitos castillans s’établissaient en puisant dans les cens pour faire leurs réserves ou en utilisant quelques surplus des rentes du concejo. Dès lors, la gestion courante devait éviter dans la mesure du possible l’endettement. S’il s’agissait de la vente de blé pour les boulangers, l’argent tiré de cette vente devait être suffisant pour acheter de nouvelles réserves. S’il s’agissait du prêt pour les semailles, les paysans devaient rendre à la récolte suivante la quantité prise assortie d’un intérêt, les creces. Les réserves stockées, qui étaient difficiles à écouler lors des années d’abondance, suivaient le système de renouvellement, par lequel le concejo ordonnait des distributions entre boulangers et habitants de la ville ou des environs, afin de délivrer la même quantité à la récolte suivante, avec du blé nouveau. Le stockage du blé générait également des excédents naturels résultant de l’augmentation du volume du grain, qui étaient enregistrés comme recette. Quoi qu’il en soit, les bilans comportaient toujours un compte en argent et un autre en céréales, tous deux résultant des mouvements d’achats et de ventes qui se produisaient à la fin de l’année. Pour maintenir ces institutions, en 1558 l’exécution des dettes des communes sur les biens des pósitos fut interdite. La législation de 1584 avait interdit de transférer des fonds à d’autres fins, bien que cela ait été systématiquement enfreint, comme on le constate à Guadalajara ou à Mérida, où des fonds sont apportés pour recruter des troupes pour la campagne du Portugal26.

18Avec une forte croissance de la population castillane, le dernier quart de siècle est marqué par la récurrence de crises importantes auxquelles sont confrontées les populations. Entre 1577 et 1578, Lorca doit acheter du blé en Andalousie, à plus de deux cents kilomètres. Il en est de même à Guadalajara, Tolède ou Madrid, qui en 1584-1585 font de grandes provisions dans la Meseta nord. Cette situation devient presque générale dans les années 1590, puisque de Burgos à Mérida les mêmes besoins se font partout sentir27. C’est pourquoi les concejos et leurs pósitos s’endettent. Guadalajara demande la permission de prendre 84 000 ducats entre 1578 et 1590. Mérida recevra à titre de prêts plus de 8 millions de maravédis entre 1593 et 1601. Madrid, étant donné ses besoins comme capitale de la monarchie, accumule des demandes s’élevant à plus de 13 millions de réaux entre 1576 et 159828.

19Ces cens pesaient comme une chape de plomb dans l’endettement des pósitos et frappaient également les finances municipales ; il fallut bientôt recourir à des impôts pour les financer. Dans bien des cas, les problèmes de subsistances s’aggravèrent avec la mauvaise gestion des responsables des entrepôts. Malgré la réglementation contraire, les mayordomos consentaient parfois des prêts à des personnes de leur entourage ou à des membres de l’oligarchie du concejo29. Le mayordomo du pósito madrilène entre 1594 et 1599, Juan de Villalta, accumula une dette de plus de 6 millions de maravédis, de plus de 2 000 fanegas de blé et tout autant d’orge pour lesquelles il fut condamné à la prison et dessaisi de ses biens30.

20Une fois la disette terminée, le pósito disposait normalement de blé acheté à des prix très élevés, et soit il le vendait en essuyant de grosses pertes, soit il avait recours à des mesures telles que la distribution à des boulangers ou à des villages de la juridiction, soit en dernière extrémité il restreignait les entrées pour pouvoir écouler le blé des entrepôts31. Outre l’endettement accumulé, ces circonstances mettaient ces institutions au bord de l’effondrement financier et provoquaient parfois leur disparition, comme dans le cas de Puertollano et de Guadalajara32.

21Dès le début du XVIIe siècle, l’impact de la crise commença à se faire sentir dans toute la Castille, aggravé par les conséquences des exigences financières de la monarchie, qui avait eu recours à différents expédients, comme la vente de terrains communaux (baldíos) ou l’imposition de services extraordinaires qui devaient être perçus à travers des impôts indirects. Tout cela eut des répercussions négatives, sous forme d’inflation et d’appauvrissement tant dans les villes qu’en milieu rural. Madrid était l’unique ville de l’intérieur qui continuait à croître et qui, par conséquent, nécessitait quotidiennement une plus grande quantité de céréales. Les privilèges qu’elle avait en tant que capitale lui permettaient de disposer d’un système parallèle au pósito, le pan de registro, géré par les officiers royaux de la Sala de Alcaldes, affectant les villages environnants dans un rayon qui atteignit plus de cent kilomètres. En 1615, une pragmatique royale fut promulguée, en vertu de laquelle les villages qui contribuaient au pan de registro devaient construire des entrepôts spécifiques afin de garder ce blé pour la capitale, les positillos de Cour33.

22Comme nous l’avons remarqué précédemment, face à ces difficultés des systèmes municipaux de stockage, il existait d’autres entrepôts qui disposaient d’importantes réserves provenant de rentes décimales ou d’autres droits perçus par des seigneurs laïcs et ecclésiastiques. Ces grands foyers d’accumulation permettaient un trafic de blé qui alimentait les circuits commerciaux. Les paneras privées de la noblesse, des ecclésiastiques, et des fermiers et personnes riches pouvaient garder pendant plusieurs années les céréales, pour les écouler ensuite afin d’en tirer les meilleurs prix. On connaît certains détails de l’expansion de ces bâtiments dans des zones comme l’Andalousie, sous forme de cillas et de tercias, mais leur présence est indiscutable dans toute la Castille34. Certaines années, comme en 1578 ou en 1584, lorsque Madrid, Tolède ou Guadalajara rencontraient des difficultés pour maintenir leurs approvisionnements, des commerçants comme Cristóbal Rodríguez pouvaient amasser sans difficulté des centaines de milliers de fanegas, pour la plupart achetées directement aux représentants de la noblesse, du clergé et, dans une moindre mesure, à l’oligarchie35. Aussi arrivait-il parfois que les corregidores municipaux mettent l’embargo sur le blé stocké par les grands accapareurs, y compris les ecclésiastiques. Jerónimo Castillo de Bobadilla, corregidor de Guadalajara, le fait par exemple en 1590 avec les fermiers du blé des vestuarios (une partie de la dîme), et ce, malgré la forte opposition de l’Église tolédane. Cet affrontement pouvait entraîner l’excommunication des officiers municipaux, comme c’est le cas pour le corregidor de Guadalajara en 1598 ou pour un responsable des achats madrilènes en 163036.

23Sur les territoires de la Couronne d’Aragon, on observe d’importantes différences locales dans la politique municipale d’approvisionnement en grain, déterminées par la proximité du littoral. Insérées dans des régions déficitaires en céréales, les principales villes côtières – Barcelone, Valence, Alicante, Majorque – basèrent leur ravitaillement public sur l’importation de grain. Bien que ce dernier soit également acheté dans les principales zones céréalières de Castille et d’Aragon, le commerce maritime était essentiel, puisque plus rapide et meilleur marché37. Déjà pratiqué depuis l’Antiquité, il trouva son axe essentiel durant les XVIe et XVIIe siècles dans la mer Méditerranée, à travers des zones productrices telles que la Sardaigne et la Sicile ou des ports de distribution comme Naples et Gênes, des territoires italiens appartenant à la Couronne d’Aragon ou entretenant des liens commerciaux étroits avec la monarchie hispanique. Sur ce schéma initial, l’importance de Marseille et des ports sis au nord de l’Afrique comme fournisseurs de grain de ces villes alla croissant à partir du XVIIe siècle. L’expansion du commerce international en cours du XVIIIe siècle vit croître les importations de blé baltique et permit même aux principales villes côtières de la Couronne d´Aragon l’achat de blé américain à la fin du siècle.

24Par conséquent, la régulation publique du commerce local de grain avait un caractère plus indirect, basé sur la supervision des transactions réalisées dans l’almudí ou marché public de céréales. Les communes déterminaient le coût du grain et du pain pour le consommateur grâce à des impôts perçus sur les transactions dans l’almudí et au contrôle exercé sur les boulangeries comme monopoles du concejo. Même si quelques communes comme celle de Valence achetaient chaque année certaines quantités de grain pour les vendre dans l’almudí afin d’éviter des flambées de prix excessives durant les mois précédant la moisson, l’intervention publique directe était habituellement réservée aux années de véritable disette. Si les crédits ou les aides concédés aux marchands pour acheter du blé manquaient, on inventoriait et on réquisitionnait les stocks particuliers trouvés dans des entrepôts et des embarcations, de même que l’on interdisait l’exportation du blé. Les concejos dépêchaient des délégués pour effectuer leurs propres achats de grain soit à proximité, dans les royaumes voisins, soit à l’étranger.

25Étant donné cette conception du ravitaillement, les entrepôts de céréales ne constituaient pas des administrations publiques dotées d’une comptabilité et d’un personnel propre pour approvisionner en grain particuliers et boulangers d’une manière régulière tout au long de l’année. Les concejos bâtirent des silos ou adaptèrent d’autres bâtiments pour conserver des réserves de grain destinées à résoudre des problèmes conjoncturels, en réalisant des tâches pour les conserver en bon état dans un climat en général chaud et humide. De grandes villes comme Barcelone entreposaient encore du grain au milieu du XVIe siècle dans la « torre del trigo » (tour du blé) et dans des bâtiments dispersés38. Toutefois, la nécessité de favoriser le contrôle public du marché du grain imposa peu à peu la concentration spatiale des entrepôts. Dans des villes comme Valence, ce processus fut lié au souhait municipal d’augmenter les recettes en vendant davantage de blé à la population. Face à la consommation croissante de pain, le concejo de Valence ordonna de construire entre 1573 et 1575 onze silos près de Burjassot et de Benimanet pour stocker le grain municipal (fig. 1 et 2). En 1600, ils étaient au nombre de 34, avec une capacité de quelque 40 000 hl39.

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Fig. 1 – Détail de l’intérieur d’un silo à Burjassot (Valence).

Cliché José U. Bernardos Sanz.

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Fig. 2 – Vue extérieure de la plateforme des silos de Burjassot (Valence).

Cliché José U. Bernardos Sanz.

26Par rapport aux villes côtières, les localités sises à l’intérieur de la Couronne d’Aragon rencontraient plus de difficultés pour acheter et transporter du blé, surtout si elles étaient éloignées des principales voies fluviales. Ces inconvénients se traduisaient par l’apparition de sérieuses hausses des prix du grain les années de pénurie, plus importantes que sur la côte. Limité par les communications au-delà de la vallée de l’Èbre et avec une vocation productrice et exportatrice de grain assise depuis le bas Moyen Âge, l’Aragon élabora une intervention publique plus directe sur le marché de grain. Outre qu’il eut recours aux taxations et aux réquisitions de grain ou aux interdictions frappant leur exportation en cas de disettes déjà au Moyen Âge, il encouragea durant le XVIe siècle un vaste système de pósitos destinés à approvisionner de manière régulière la population, qui perdura avec une intensité décroissante durant le reste de l’époque moderne.

27Appelées chambres à blé ou administration des boulangeries aux XVIe et XVIIe siècles, jusqu’à ce que la dénomination castillane de pósito soit introduite au XVIIIe siècle, leur fondation affecta à la fin du XVe et au début du XVIe siècle non seulement des villes, mais aussi de modeste noyaux ruraux. À côté de l’apparition d’une administration autonome – quoique subordonnée au concejo – avec sa propre comptabilité et sa réglementation locale moyennant des statuts, les pósitos s’affirmèrent comme des institutions stables dans les principales villes et de nombreuses petites villes déjà au milieu du XVIe siècle pour garantir la fourniture des boulangeries. Différentes communes construisirent durant la seconde moitié du siècle, parfois à l’étage supérieur de l’hôtel de ville, un entrepôt principal lié au pósito permettant d’accueillir le grain amassé auparavant dans des tours et des greniers en propriété ou loués. En général, même les villes les plus modestes et les plus éloignées de la vallée de l’Èbre créèrent des pósitos au milieu du XVIe siècle, imitées par des bourgs et des bourgades jusqu’à la fin du XVIe siècle. Avec une chronologie variable, ce processus atteignit même les zones montagneuses, toujours déficitaires en céréales : dans la vallée pyrénéenne du Tena, si Sallent disposait déjà d’une cambra en 1527, Tramacastilla ne fonda pas son pósito avant 159540.

28Ces pósitos reflètent un intérêt clair pour la protection du consommateur, latente dans les principes de politique économique médiévale41 : quelques-uns apparaissent ou se consolident ainsi à la suite de sévères chertés des grains qui légitiment leur instauration. Néanmoins, la croissance constante des achats et des réserves de grain constatée depuis le milieu du XVIe siècle induit à penser que les pósitos n’aspirèrent pas uniquement à combattre des chertés ou à modérer les hausses interannuelles de prix. À côté de la protection du consommateur, les élites dirigeantes ajoutent leur intérêt, comme producteurs ou distributeurs de grain, à élargir le marché public local de céréales et à soutenir la demande intérieure, processus particulièrement difficile dans les économies préindustrielles42. Ainsi s’explique l’extension des pósitos en Aragon aux noyaux agraires implantés dans des zones céréalières, qui avaient moins besoin de ravitaillement régulier en blé que les grandes villes qui disposaient d’une capacité moindre d’auto-approvisionnement. En développant des mécanismes de contention face à l’inflation des prix typique de ce siècle, qui frappait fortement les produits agraires, on favorisait la consommation de grain et l’on renforçait la capacité d’acquisition de la population. Si le prix du marché baissait pour le producteur, il était en revanche compensé par la plus grande régularité de la demande de grain43. On parvenait ainsi à stimuler la culture des céréales tout en facilitant l’intégration volontaire du paysan dans le marché44. Que ce soit pour des problèmes économiques ou des dissensions politiques et sociales, ce système ne se consolida pas pareillement dans toutes les localités. Plus l’approvisionnement du pósito était abondant et régulier, plus il générait de confiance et de dynamisme dans un marché en expansion. Les effets de cette intervention dépassaient les limites du commerce de grain local ou à petite distance, et affectaient l’ensemble de l’économie aragonaise.

29Moins étudiés, les pósitos surgirent aussi au XVIe siècle dans certaines communes de l’intérieur de la Catalogne et du Royaume de Valence. À l’ouest du campo de Tarragone, le bourg de la seigneurie de Riudecanyes disposait d’une botiga de blé avec un ordonnancement administratif semblable au schéma aragonais depuis le milieu du XVIe siècle, qui achetait du grain du voisinage et de la rive de l’Èbre, favorisée par la proximité du port de Cambrils45. Cependant, ces pósitos ne créèrent pas un réseau aussi dense sur le territoire qu’en Aragon, et par conséquent leur intervention locale se centra davantage sur la défense du consommateur face à des conjonctures agricoles défavorables et œuvra moins comme moteur de l’économie régionale. Fréquemment, leur configuration légale et administrative se révélait moins achevée, motif qui réduisit leur efficacité sur le marché et qui favorisa une décadence plus rapide. Établie au sud du Royaume de Valence, l’important bourg d’Orihuela créa au XVIe siècle une chambre à blé ; mais celle-ci ne disposa pas de capital autonome avant 1625 ni d’entrepôt propre avant 1607, et elle recourait par conséquent à des silos paroissiaux et à d’autres bâtiments46. En dehors du fait qu’elle n’opérait que quelques mois par an, cette chambre accumula des réserves sporadiques en fonction de prévisions de consommation erronées et se montra incapable de freiner les flambées des prix occasionnées par les disettes dans la première moitié du XVIIe siècle, au point de réduire son activité de manière accusée déjà dès le milieu du siècle.

30Les pósitos établis dans la Couronne d’Aragon durant le XVIe siècle visaient essentiellement à approvisionner en grain villes et petites villes ; cependant, certains opérèrent comme des institutions de crédit pour les cultivateurs à court de semences. Ces interventions étaient plus fréquentes dans des zones de l’intérieur, associées dès la fin du XVe siècle aux chambres à blé émergentes47. Après leur consolidation au milieu du XVIe siècle, même si elles pouvaient acheter du blé en avançant de l’argent aux cultivateurs durant les mois précédant la récolte, les chambres ne vendaient du blé qu’à crédit ou le prêtaient pour qu’il leur soit rendu en nature de manière occasionnelle, car elles centraient leurs objectifs sur le consommateur. Pour parer à cette carence, comme le reflète le cas de l’Aragon, au XVIe siècle déjà quelques institutions de crédit agricole apparurent, dont la véritable importance réside dans le fait qu’elles servent de précédents à leur véritable éclosion durant le XVIIe siècle sur ce territoire. À partir de donations privées, plusieurs chambres furent créées à Jaca entre 1533 et 1638, destinées à prêter du grain aux cultivateurs48. Bon exemple du consensus communal, en instaurant en 1567 une contribution vicinale en grain pour huit ans pour financer des dettes municipales et individuelles, le concejo de Quinzano établit la possibilité de prêter une partie des céréales à des habitants nécessiteux pour leur consommation ou pour leurs semailles49.

31Au sein de leur fonction de protection du consommateur, les pósitos réalisèrent une intervention de plus en plus remarquable sur le marché de grain. En augmentant leurs achats dès le milieu du XVIe siècle, non seulement ils achetèrent du blé aux cultivateurs et propriétaires de grain locaux, mais aussi chaque fois davantage à des fermiers des dîmes et droits seigneuriaux. En affermant de manière constante ces rentes, les grands commerçants fixés à Saragosse contrôlèrent tout le marché aragonais de grain et devinrent les fournisseurs attitrés des pósitos urbains50. Leurs pratiques spéculatives durant les années de disette poussèrent le concejo de Saragosse à obtenir en 1578 un bref papal contre les accapareurs et à décréter à plusieurs reprises (1576-1577, 1592-1593, 1595, 1606, 1614, 1630 et 1651) la création d’un tribunal d’exception pour juger des offenses à la ville dans le but de forcer ces grands commerçants à livrer le blé stocké51. Toutefois, leur appartenance à l’oligarchie dirigeante leur valut un traitement indulgent.

32Ces stratégies commerciales s’appuyaient sur la disponibilité d’un vaste réseau d’entrepôts privés qui reliaient les centres de production et de consommation. Sur des terres sous la juridiction royale, les grands commerçants ou leurs facteurs devaient louer ou construire leurs propres entrepôts après avoir convenu avec les vendeurs de la livraison du grain à une époque déterminée de l’année. En terres seigneuriales, ils pouvaient se servir des mêmes bâtiments utilisés pour entreposer les rentes en nature perçues sur les paysans par les administrateurs ou les officiers des seigneurs laïcs et ecclésiastiques. Parfois ce n’étaient pas à proprement parler des greniers, mais des espaces aménagés à cette fin, comme les tours et les caves des châteaux gouvernés par un alcaide représentant le seigneur. Ce système était logique si l’on considérait que les rentes d’un même seigneur pouvaient être affermées un petit nombre d’années à différents commerçants. Une fois les voies de fourniture consolidées, tant les mandataires des grands commerçants que les administrateurs des pósitos urbains disposaient d’entrepôts dans des endroits stratégiques de par leur proximité avec des voies de communication terrestres et fluviales où rassembler le blé acheté dans toute une région52. À mesure que les seigneurs laïcs aragonais récupéreront une plus grande liberté de gestion de leurs rentes durant le XVIIIe siècle, la disposition de ce réseau d’entrepôts dans des noyaux riverains de l’Èbre se révèlera extrêmement utile non seulement pour approvisionner Saragosse, mais aussi pour faire face à la demande croissante de la Catalogne et, en particulier, de Barcelone53.

33La grande expansion des acquisitions de grain réalisée par les pósitos depuis le milieu du XVIe siècle comportait des risques graves54. Le grain qu’ils achetaient à des prix élevés en périodes de pénurie perdait de sa valeur après la moisson, leur occasionnant les plus grosses pertes : si le prix de vente ne baissait pas en conséquence, boulangers et particuliers se fournissaient ailleurs. Malgré l’augmentation des réserves, la crainte des autorités publiques de manquer de grain pour affronter des chertés qui pouvaient se prolonger plusieurs années durant les poussa à effectuer de nouveaux achats. Les pertes résultantes ne pouvaient être compensées qu’à long terme et fort difficilement, car les recettes éventuelles générées par l’augmentation des ventes étaient très modérées du fait que le prix de vente du blé à la population était très proche du prix auquel le pósito l’avait lui-même acheté. Comme nous l’avons vu précédemment pour la Castille, les brusques fluctuations des prix dues, à la fin du XVIe siècle, à plusieurs chertés, aggravées par la concurrence de particuliers et d’institutions qui achetaient du grain, provoquèrent des pertes considérables pour les pósitos, exigèrent un recours plus constant au crédit et imposèrent la restructuration du mécanisme général d’approvisionnement durant le XVIIe siècle.

Crise et réorientation des systèmes de stockage durant le XVIIe siècle

34À partir du second tiers du XVIIe siècle, la décadence castillane est générale, bien qu’elle frappe de manière particulièrement aiguë les villes et les petites villes, qui voient s’effondrer leurs activités artisanales, avec une brusque chute de leur population. Madrid reste le seul marché important à l’intérieur. Les paysans font face aux effets de l’escalade fiscale et à un appauvrissement causé par les ventes de friches et de pâturages communaux, qui représentaient auparavant un important soutien pour leurs économies. L’offensive seigneuriale produisit un plus grand déséquilibre provoqué par l’acquisition de terres et d’autres droits. Tout cela entraîna un grand degré d’appauvrissement de nombreuses localités, sans capacité pour subsister, fait qui conduisit à une brusque chute démographique55.

35Dans ce contexte, l’activité des pósitos languit, et ce n’est qu’à des époques très critiques de pénurie qu’ils renforcent le système d’achats. Les comptes des pósitos reflètent la tendance dépressive avec une diminution soudaine de leur activité. Toutefois, la fragilité des exploitations expose encore davantage les cultivateurs aux crises. Melchor de Soria, témoin de ce processus, se réfère à la nécessité des petits paysans de s’endetter car « le obliga su necesidad a vender en las eras su pan a precio muy bajo y lo compra el octubre caro para sembrar y comer, empeñándose en los pósitos y cillas »56.

36Il s’ensuit que des pósitos píos apparaissent en Castille dans le but de protéger les paysans les plus pauvres, fondés moyennant des biens légués selon des dispositions testamentaires. Dans ce sens, un nouveau pósito est réinstallé en 1654, avec les 4 000 pesos que laisse Mateo Pastor, dans la localité de la Manche de Puertollano. L’année suivante, dans le village de Bolaños, situé également dans la Manche, Gaspar Martín fondait un pósito avec la vente de ses biens, de manière à ce qu’il serve à l’achat de blé « para que llegada la sementera de cada año, se precise a los labradores de esta villa conforme a sus caudales y sementeras para que siembren […] ». La quantité prêtée devait être rendue à la récolte suivante avec des intérêts, appelés creces, de un celemín par fanega de grain. Un pósito semblable est bâti quelques années plus tard à Osuna57.

37Ainsi, l’activité de prêt à laquelle se livrent les pósitos s’étend progressivement. Durant tout ce siècle, le pósito de la localité cordouane d’Espiel destine plus de 90 % du blé qu’il obtient aux cultivateurs. Mais cette activité, sous le contrôle des oligarchies rurales, restait exposée aux manœuvres et aux pratiques délictuelles de leurs responsables. Les témoignages sur la mauvaise gestion, les fraudes et vols des pósitos sont légion. C’est pourquoi, aux Cortès de Madrid de 1621, les membres du Parlement proposent « la fundación de los pósitos para socorro de los labradores, pero con las precauciones necesarias para que no se conviertan en objetos de especulación para administradores y logreros […] »58.

38Comme nous l’avions signalé précédemment, Madrid restait le principal marché de l’intérieur. Dans cette situation, la politique d’approvisionnement passa de la priorité dévolue au pan de registro comme principal mécanisme à un retour au rôle du pósito comme institution régulatrice de l’approvisionnement. Madrid change sa politique d’approvisionnement en se centrant progressivement sur les achats en Vieille-Castille, qui était devenue une région excédentaire en blé, en partie à cause de la chute démographique et de la baisse soudaine de la demande urbaine. L’ancien alholí situé au centre de la ville est remplacé dans la décennie 1660 par un nouveau bâtiment installé à la périphérie, avec une capacité très accrue et de meilleures conditions pour la conservation des céréales. En même temps, 42 fours sont construits pour être loués à des boulangers afin d’augmenter la capacité de cuire du pain à l’intérieur de la ville. Dès lors, les nouvelles ordonnances qui seront promulguées à la fin du siècle marquent la fonction centrale du pósito pour garantir la subsistance de la population aux époques difficiles59.

39Dans le royaume de Navarre, il en est de même à Pampelune, où, en vertu d’un privilège octroyé par Philippe IV en 1665 au concejo de la ville, le vínculo est renforcé car les autorités citadines se chargent de la vente exclusive de pain dans la ville, monopole dont elles jouiront jusqu’au début du XIXe siècle. Pour ce faire, une Junta spécifique était constituée pour l’administrer, et l’interdiction d’en dégager des fonds pour d’autres fonctions que l’approvisionnement en pain avait été décrétée60.

40En Aragon, au moment où les intérêts des élites locales dans les principales zones céréalières commencèrent à s’orienter dès le milieu du XVIIe siècle vers l’exportation de grain aux villes de Catalogne et du Royaume de Valence, au lieu de soutenir la demande intérieure, l’endettement municipal imposa de restructurer la gestion des pósitos au XVIIe siècle. Sans négliger l’approvisionnement de la population face à quelques disettes sévères qui eurent lieu jusqu’au milieu du siècle, cette réforme fut entamée au début du siècle et se consolida dans la seconde moitié à mesure que la plus grande productivité agricole et que la contraction de la demande de grain due au déclin démographique firent descendre les prix61. En premier lieu, à un rythme plus lent dans les principaux noyaux urbains, les pósitos réduisirent leurs achats, leurs ventes et leurs stocks de grain. En deuxième lieu, ils augmentèrent l’imposition grevant la vente de blé aux particuliers et aux boulangers, notamment dans les grandes villes comme Saragosse, où les pósitos fournissaient seulement les boulangeries. Résultat de cette plus grande pression fiscale, si depuis le milieu du XVIe siècle le prix de vente du blé dans le pósito servait de référence pour les transactions et fixait le coût public du pain, le prix en vigueur dans l’almudí récupéra au XVIIe siècle cette place, qu’il conserva pendant toute l’époque moderne. Face à leur moindre contrôle, les communes permirent aux boulangers de s’approvisionner plus largement en blé et cédèrent à des particuliers des initiatives sur le marché de grain sous leur supervision.

41Ce furent les institutions de prêt agraire qui connurent un véritable essor durant le XVIIe siècle62. Non seulement elles s’étendirent rapidement à travers villes et villages, mais elles se comptèrent également en grand nombre dans certains noyaux ruraux : outre un pósito particulier datant de 1604, Ejea de los Caballeros comptait en 1656 douze confréries qui prêtaient du grain à leurs membres. Parmi leurs fondateurs figurent des ecclésiastiques, des particuliers laïcs, des confréries pieuses, des groupements d’habitants ou de cultivateurs et des concejos. Leur gestation inclut des liens communaux et privés, des fins d’assistance ou de maintien de l’ordre social. Créées en partie grâce à l’affectation de legs pieux et au soutien du puissant secteur ecclésiastique, elles reflètent une certaine identification entre la survie de la communauté locale et celle du cultivateur menacé par l’endettement et la pression fiscale. Cette affirmation communale incluait des mouvements de contestation du pouvoir seigneurial. Les cultivateurs de Letux préférèrent fonder leur propre pósito en 1692, dont l’entretien les obligeait à travailler un champ et à recevoir le blé récolté à crédit dans des conditions pénibles, plutôt que de dépendre du prêt de cent cahíces sans intérêt consenti chaque année par leur seigneur laïque aux cultivateurs les plus nécessiteux. Cela dit, la gestion compliquée de ces organismes et la disparité d’intérêts entre administrateurs et bénéficiaires ne contribuèrent pas à préserver la cohésion sociale nécessaire pour garantir leur continuité. Privées d’un soutien municipal continu, de nombreuses institutions pieuses s’effondrèrent lorsque leurs dettes augmentèrent et que les rentes qui les finançaient diminuèrent. Malgré le bon nombre de monts-de-piété créés dans le Haut-Aragon au XVIIe siècle63, à la suite d’une enquête dirigée par le marquis de la Ensenada en 1750, l’évêque de Jaca indiqua que ces institutions étaient peu connues dans son diocèse, et l’évêque de Huesca, qu’elles perduraient dans cette ville uniquement parce que les fondations restantes avaient disparu64.

42Face à ce processus, de nombreuses communes se limitèrent à soutenir avec des donations en argent, en grain ou en terres les fondations privées consacrées à cette fin. À d’autres occasions, mues par des causes diverses, elles créèrent et gérèrent ces organismes65. Ainsi, le besoin de crédit de ses habitants incita la modeste ville de Quicena à fonder, en 1601, son propre mont-de-piété. À partir de mille cahíces dégagés de son pósito, le concejo de Huesca constitua un mont-de-piété en 1621 après la fondation en 1616 d’un autre mont-de-piété par le seigneur de Torresecas, avec lequel il avait été en procès auparavant à diverses reprises. Plombée par la faiblesse financière municipale et dépourvue d’un soutien social fort, sa gestion suivit les mêmes normes que les fondations privées : limitation des crédits, sélection de leurs bénéficiaires selon leur solvabilité et perception d’une imposition modérée pour éviter des problèmes tels que ceux rencontrés par le mont-de-piété de Huesca66, qui vit croître les non-paiements de ses prêts de céréales de 252 % entre 1652 et 1684. Comme le révèlent les activités du mont-de-piété de Barbastro dans la seconde moitié du XVIIe siècle, ces institutions ne mettaient en œuvre des formes de protection publique que lorsque des chertés des grains éclataient sporadiquement, face à la crainte municipale de graves désordres sociaux ou de pertes démographiques sévères67.

43Cet intérêt pour le prêt de grain aux cultivateurs conditionna durant le XVIIe siècle l’activité des chambres à blé consacrées à approvisionner la population. Les mauvaises récoltes de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle favorisèrent déjà des ventes de blé à crédit aux habitants ou des prêts à rendre après la nouvelle récolte68. Si les pósitos alternèrent ces deux ressources dans la première moitié du XVIIe siècle, la baisse de la demande en grain depuis le milieu de ce siècle fit augmenter leur intensité face à la nécessité de renouveler le blé stocké. La distribution de blé à rendre en nature au cours des mois précédant la moisson devint une ressource habituelle des pósitos sis en Aragon et à Valence durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Tandis que le pósito d’Orihuela alternait prêts forcés de grain et vente aux boulangeries, la chambre de Daroca s’employa à distribuer quelque quatre cents cahíces (717,5 hl) annuels parmi les habitants roturiers avant d’opter pour la vente à crédit lorsque la population augmenta à la fin du siècle69. D’autres chambres offraient aux habitants cultivateurs des villes, petites villes ou villages d’Aragon durant l’automne la vente de grain à crédit ou son prêt à rendre en nature pour qu’ils puissent faire leurs semailles70. Le besoin croissant en semence de nombreux cultivateurs conduisit les pósitos à assumer des fonctions de crédit plus importantes dans les dernières décennies du XVIIe siècle. Comme toutes ces modalités de prêt incluaient une redevance modeste, elles provoquèrent des problèmes fréquents de perception qui imposèrent d’employer des encaisseurs et de sélectionner les bénéficiaires selon leur statut social et économique.

Le système de stockage des céréales durant le XVIIIe siècle : essor et crise du modèle interventionniste

44La nouvelle phase de récupération économique qui se produit dans toute l’Espagne depuis la fin du XVIIe siècle devient plus visible après les effets de la guerre de Succession (1700-1713). La croissance qui survient dans cette phase présente deux caractéristiques. D’une part, le rythme plus fort et plus dynamique se produit dans les régions côtières, où l’activité commerciale favorise le développement de la manufacture et l’expansion urbaine des régions riveraines. D’autre part, la croissance de l’intérieur est essentiellement rurale et obéit à des modèles extensifs, sans transformations pour augmenter les rendements dans les cultures céréalières. Les relations sociales sont ancrées dans la terre, où les groupes traditionnels conservent leur pouvoir et leur influence économique, et conditionnent la distribution inégale de l’excédent. Les villes castillanes ne parviennent pas à retrouver la position qu’elles avaient au XVIe siècle et, par conséquent, le marché intérieur reste circonscrit principalement à l’impact généré par Madrid.

45L’arrivée de la nouvelle dynastie des Bourbons inaugure un processus qui tente d’imposer un modèle administratif centralisé dans toute la péninsule et l’interventionnisme dans la vie économique. Dans ce sens, des mécanismes comme les prix imposés sur les céréales ou le contrôle sur le trafic pour éviter la spéculation sont renforcés. Mais l’expansion agraire, de nouveau basée sur les défrichements, sans augmentation de la productivité, stimula l’accroissement d’une population paysanne avec une maigre capacité d’accumulation, constamment accablée par les exigences découlant des paiements des rentes et des droits seigneuriaux, exposée derechef aux crises de subsistances. Miguel de Zavala dans sa « représentation » adressée au roi Philippe V, et publiée en 1732, reconnaît ces problèmes et propose pour les éviter de consolider un réseau de pósitos comme institutions de crédit agricole71. Sa configuration définitive se matérialisa dans une provision royale promulguée en octobre 1735, à la suite d’une forte sécheresse subie l’année précédente. Cette législation établit une réglementation commune de ces pósitos pour les Couronnes de Castille et d’Aragon en tant qu’institutions qui consacreront chaque année un tiers de leurs stocks au crédit agricole, en évitant de rester désapprovisionnés en cas de non-paiements. En cas de cherté extrême uniquement, le prêt de petites portions de grain aux habitants démunis pour leur consommation était permis, pourvu qu’ils ne figurent pas parmi les débiteurs du pósito.

46La nouvelle orientation politique en matière d’entrepôts de céréales fit un pas de plus avec la création en 1751 de la Superintendencia General de Pósitos, organisme confié au ministerio de Gracia y Justicia72. Son objectif de base était l’extension des pósitos comme mécanismes de crédit sous une législation commune et une supervision centralisée. L’instruction de 1753 comptait 53 articles pour la meilleure administration, et distribution des pósitos établis et à établir. Cette disposition reconnaissait leur double fonction, en matière de subsistances et de prêt agraire, réglementait toute l’administration des pósitos, en mettant l’accent sur la reddition des comptes, jusqu’à unifier l’intérêt perçu en nature sur les prêts. Au détriment d’autres charges municipales, les corregidores élargirent leurs compétences en la matière et devinrent des subdélégués de la Superintendencia73.

47Avec l’argument d’améliorer leur gestion, on tenta d’inclure sous cette juridiction les pósitos de fondation privée pour unifier leur fonctionnement. De plus, des ordres généraux furent promulgués pendant toute cette période pour stimuler l’extension des pósitos et leur correcte gestion. Dans ce sens, le pósito fut un élément indispensable dans la planification du projet de colonisation mené à bien par Olavide dans la Sierra Morena à partir des années 1760.

48Cette législation unificatrice s’étend également aux bâtiments, puisqu’en 1774 il est ordonné que les projets de construction passent par la Superintendencia afin d’y être visés ; et cette dernière dicte quelques normes communes pour leur construction74.

49Le travail de protection en faveur du producteur assumé par la Superintendencia General de Pósitos au milieu du XVIIIe siècle résulte de l’évidence de la faible capacité de rétention du produit agraire de la part du paysan, déjà peu productif, privé d’une bonne partie de son excédent par le paiement de dîmes et de redevances seigneuriales, et soumis au pouvoir des possesseurs du grain à cause de son manque de capital. D’où l’insistance à créer des pósitos dans les endroits qui n’en comptaient pas encore. Entre 1751 et 1773, le nombre de pósitos passa de 3 383 à 5 225, et c’est dans la Couronne d’Aragon que la plupart d’entre eux sont fondés, un total de 1 06575.

50Grâce à ce processus, non seulement les entrepôts publics voient leur nombre augmenter, mais ils retrouvent aussi une grande activité liée principalement au secteur agraire céréalier. Comme on l’observe dans le cas d’Espiel, son pósito avait multiplié les quantités de blé prêtées aux agriculteurs76. Parfois, quand il existe plus d’un pósito, comme à Tobarra ou à Lorca, on constate une spécialisation des fonctions. Le pósito municipal reste affecté principalement à la fourniture de pain, alors que le pósito pío est destiné à secourir les paysans77. Les pósitos urbains continuaient à s’occuper essentiellement de la subsistance de la population urbaine, même s’il n’était pas rare qu’ils prêtent aux villages des environs du blé à rendre sur la récolte de l’année suivante, comme cela se produit à Ségovie78.

51Encouragés par l’augmentation de la population, les pósitos retrouvent un rôle important comme réserve de céréales et de fonds pour faire face à la nécessité. Selon G. Anes, le fonds en blé était passé des 3 592 064 fanègues en 1751 à 6 607 306 en 1773 et à 8 802 969 en 1793. Pour les menus grains, le fonds avait augmenté de 101 635 fanègues à 293 966 et à 504 823 entre les trois dates citées. Et en argent, on était passé de 17 030 027 réaux en 1751 à 42 337 290 en 1773 et à 54 350 874 en 1793. Mais l’on observe de grandes inégalités entre les régions, étant donné que les principales réserves se concentrent dans les pósitos andalous, de la Manche et du centre-sud de la Couronne de Castille, alors que les moins bien dotés sont localisés dans toute la Couronne d’Aragon, fruit du faible enracinement de ces institutions79.

52Le pósito de Madrid se présente comme un cas exceptionnel dans toute cette phase. Son importance va croissant tout au long du siècle, et particulièrement à partir de la création de la Junta de Abastos en 1743, une institution qui se charge de fournir les principales denrées à la capitale. L’orientation des achats de blé, principalement en Vieille-Castille, soutient un programme visant à monopoliser l’approvisionnement à travers des mandataires situés dans les principaux marchés, les accords avec les transporteurs et l’établissement d’entrepôts dotés d’une capacité suffisante pour garantir les réserves80. Ainsi commencent, à partir de la décennie 1740, un ambitieux programme d’agrandissement des entrepôts dans la capitale et la construction d’une alhóndiga, ou halle à blé, à plan elliptique, qui devait également servir à stimuler le commerce privé. En 1746, des paneras sont construites à l’extérieur, à Navas de San Antonio, Guadarrama, puis une autre en 1757 à Arévalo, des localités situées sur le parcours principal du blé qui arrivait à la capitale (fig. 3, 4 et 5).

53Ce système madrilène fut sérieusement menacé dans les années 1760, quand la crise agraire de ces années-là et l’établissement de la législation qui abolissait la fixation des prix et qui décrétait le libre commerce des céréales (1765), débouchèrent finalement sur les émeutes contre Esquilache au printemps 1766 et signèrent la fin de la Junta de Abastos. Campomanes avait attaqué le rôle du pósito madrilène en tant qu’institution qui allait à l’encontre de la liberté et qui entravait le commerce normal. Cependant, le pósito madrilène conserva son rôle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, désormais sous la compétence de la commune, comme un important élément de régulation de l’approvisionnement de la capitale81. Même si la législation de 1765 stimulait l’activité de commerçants privés, la concentration de l’excédent aux mains des groupes privilégiés était loin de faciliter la création d’un marché flexible pour les céréales et le développement d’un secteur commercial puissant. Il y avait de petits et moyens négociants ainsi que des muletiers qui, s’appuyant sur leur capacité de transport, opéraient dans les principaux centres de négociation. À partir du XVIIe siècle et surtout durant le XVIIIe, certains de ces intermédiaires avaient pu participer aux négoces de l’approvisionnement, comme ce fut le cas des muletiers de plusieurs localités ségoviennes : ils développèrent une activité croissante, qui reposait sur un gros train de bêtes de somme et sur la possibilité de stocker les céréales dans leurs propres habitations pour les vendre ensuite aux boulangers de Madrid et des villages environnants. Les entrepôts occupaient l’étage des maisons, les combles, des espaces dégagés à l’abri de l’humidité et de la lumière, quoique bien ventilés grâce à de petites ouvertures pratiquées dans les murs des façades. Dans certains registres, il est mentionné qu’ils arrivent à accumuler plusieurs milliers de fanegas. L’augmentation de leur spécialisation dans le commerce leur permit de passer des marchés avec les grands possesseurs, en achetant des céréales aux nobles et en prenant à ferme les dîmes des évêques de Ségovie et d’Ávila à la fin du XVIIIe siècle. Ils prêtent même du grain aux cultivateurs de la région82. Cependant, c’étaient les groupes privilégiés qui avaient bénéficié de la suppression de la tasa (prix imposé) et de la montée des prix des céréales, en plus des revenus de la terre développés par l’augmentation des cultures, et c’étaient eux qui continuaient à contrôler la plupart des excédents qui étaient envoyés sur les marchés. En témoignent les bâtiments impressionnants qui se construisent à la fin du XVIIIe siècle et qui stockent les céréales de la noblesse, comme par exemple celui de la Tercia à Baena, appartenant au duc de Sessa, ou la casa cilla propriété du chapitre de la cathédrale de Séville à Rota83.

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Fig. 3 – Panera du Pósito de la Cour, Arévalo.
Détail de la porte avec les armes de la monarchie (au centre) et de la municipalité de Madrid.

Cliché José U. Bernardos Sanz.

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Fig. 4 – Plan de la panera et du harinero du Pósito de Madrid à Guadarrama, 1746.

AVM, Pósito, 1-46.

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Fig. 5 – Plan de la panera du Pósito de Madrid à Navas de San Antonio, 1746.

Pablo Bravo et José U. Bernardos Sanz.

54Durant les dernières décennies du XVIIIe siècle, le pósito de Madrid fait face aux effets d’un marché intérieur de céréales très peu articulé et aux fluctuations des récoltes, qui provoquaient d’énormes variations des prix, désormais sans plafonds. Son rôle comme institution de réserve était difficilement compatible avec les pratiques des boulangers, car ces derniers ne se fournissaient au pósito que lorsque les prix étaient plus bas que sur le marché, alors que le pósito se voyait contraint d’acheter toujours à des prix très élevés. Cela occasionnait des pertes, et parfois les réserves risquaient de s’abîmer si les boulangers ne permettaient pas leur renouvellement en y achetant les céréales. À partir de 1785, plusieurs mauvaises récoltes se succèdent qui renchérissent notablement le prix du blé, et les boulangers sollicitent le pósito de leur fournir la plus grande partie de ce dont ils ont besoin. De sorte que le pósito doit renforcer ses achats, et un appel de financement est lancé, auquel répondent avec 6 millions de réaux les Cinco Gremios Mayores, une institution privée composée des commerçants les plus notables de la ville. Le pósito déclare avoir perdu en 1786 la somme de 3 millions. La crise de 1789 déterminera l’intervention pour garantir à tout prix l’approvisionnement madrilène et conduit à la dérogation en 1790 d’une partie de la législation libérale adoptée en 1765. C’est en 1792 que sont adoptées les dernières ordonnances du pósito madrilène, sous forme d’un règlement qui spécifie toute la complexité administrative de son administration, encore sous la supervision de la Ville, en incluant les boulangeries de l’extérieur, celles d’Arévalo, de Guadarrama et de Navas de San Antonio, qui n’avaient pas cessé de fonctionner. Mais les problèmes financiers ne sont pas résolus. De 1788 à 1794, le pósito avait perdu plus de 23 millions de réaux. En 1794, les dettes du pósito s’élevaient à 11,5 millions, dont le Banco de San Carlos était le créancier à hauteur de 7,9 millions. Le gouvernement, après avoir assumé sa gestion en 1798 avec la Real Dirección de Abastos, a recours à des fonds extraordinaires, comme les contributions exigées sur les pósitos du royaume. Cela supposait que, de fait, Madrid recevait pour son approvisionnement la subvention extérieure, sans pouvoir éviter les pertes. Le coup de grâce viendrait avec la crise de 1801-1804, qui finirait par provoquer en 1805 la faillite du pósito et l’ouverture de la liberté d’approvisionnement en pain à Madrid84.

55Dans la Couronne d’Aragon la nouvelle administration des Bourbons intervint également dans l’approvisionnement frumentaire85. Dans les grands noyaux urbains, elle s’employa à éradiquer le monopole de la vente du pain, inconnu en Castille. Supprimé ainsi à Saragosse en 1707 au bénéfice de la liberté de cuire le pain, il fut réinstauré en 1720 pour porter secours aux finances municipales. Une fois la gestion du pósito consolidée par la subordination de l’approvisionnement des boulangeries à ce dernier, l’État fixa une marge modérée de recettes86. Face au fort endettement municipal, le pósito obvia à cette norme et agit comme intermédiaire entre les vendeurs de grain et les boulangers, tout en essayant de modérer les plus grandes hausses interannuelles des prix avec ses stocks. L’incapacité du pósito à réguler le marché de grain face à la demande croissante de la population à partir de 1750 conduisit l’État à réduire son approvisionnement et à exercer une supervision plus stricte de sa gestion à travers le Consejo de Castilla. Cette pratique s’étendit à tous les pósitos aragonais lorsque la libéralisation des transactions fut proclamée en juillet 1765 sous Charles III, étant donné qu’elle éliminait de facto la sujétion des boulangeries aux pósitos. Bien que les concejos aient tenté de modérer leur incidence, il semble certain que ces mesures accentuèrent la mainmise privée sur les transactions, l’expansion du commerce interrégional et la formation d’un capital commercial. Une fois que la forte orientation exportatrice de l’Aragon eut limité leurs effets bénéfiques sur la fourniture locale, la modération de ces mesures libéralisatrices par l’État en 1790 rendit certains pouvoirs d’intervention aux communes lors des années de cherté ; mais elles ne modifièrent pas la domination privée sur le marché local.

56Comme dans les zones de l’intérieur, le schéma de fourniture de grain des villes de la côte fut affecté par les réformes bourboniennes à partir du début du XVIIIe siècle87. Encouragée par l’État, la fondation à Barcelone en 1724 d’un pósito destiné à fournir du grain aux boulangeries échoua en 1741 face au désintérêt municipal. Néanmoins, la suppression du monopole municipal de la vente du pain menée à bien à Valence en 1707 et à Barcelone en 1714 revêtit plus d’importance parce qu’elle réduisit l’approvisionnement public, la pression fiscale et le contrôle municipal sur le marché de grain. Comme à Saragosse, ce précédent permit d’établir la liberté de la boulangerie dans ces villes après la libéralisation du commerce de grain en juillet 1765, mesure qui coexistera avec des dispositions municipales interventionnistes jusqu’au déclenchement de la guerre d’Indépendance en 1808, en particulier à partir de 1790, lorsque les chertés des grains devinrent plus constantes. Favorisée par la participation de la bourgeoisie commerçante au marché, surtout à Barcelone, cette progressive libéralisation des transactions réarticula l’utilisation des entrepôts publics de grain déjà établis au XVIIe siècle88. Le concejo de Valence disposait ainsi de 41 puits à grains à Burjassot en 178889 ; mais seuls quelques-uns étaient utilisés du fait de la diminution de la vente directe municipale de grain aux boulangeries durant le XVIIIe siècle. À Barcelone, en dehors de 14 silos privés et de 40 autres appartenant à l’armée – dont la moitié inutilisable –, la commune catalane conservait 77 silos en 1786, dont 47 situés au Sitjar. Loin de les remplir avec le grain public, la commune les cédait aux commerçants sans aucun coût pour qu’ils y stockent leur grain afin de favoriser l’approvisionnement de la ville.

57Face à la modération progressive du rôle des pósitos et des entrepôts dans l’approvisionnement public de grain, limités à contenir les variations interannuelles des prix les plus accusées et les pires effets des chertés pour maintenir l’ordre social, l’État montra beaucoup plus d’intérêt à promouvoir la fondation de pósitos comme institutions de crédit dans la Couronne d’Aragon. Déjà la publication de la provision royale dictée en 1735 qui réglementait leur gestion poussa les corregidores les plus entreprenants à fonder des pósitos à cette fin. Faute d’un pósito proprement dit, le marquis de Malespina décida en 1742 de transformer la réserve de blé utilisée par la commune de Valence pour contenir la hausse interannuelle des prix en un fonds consacré au prêt de grain aux cultivateurs90. Au sein du processus de spécialisation productive mentionné, l’orientation céréalière prédominante dans de nombreuses contrées du royaume d’Aragon favorisa un plus grand soutien social et institutionnel à l’encouragement de l’État : la petite ville de Borja créa ainsi en 1739 un pósito pour prêter des semences à ses habitants cultivateurs91.

58Parallèlement, on observe une croissance de l’activité mercantile. Les immatriculations de ces commerçants en 1768 atteignaient le chiffre de 923 sur un total de 1 514 enregistrées pour toute l’Espagne et révèlent une forte pénétration du capital commercial dans le monde rural92. À côté des grands commerçants, qui prenaient à ferme dîmes et droits seigneuriaux, les rapports des corregidores relèvent pour l’Aragon l’activité de nombreux boutiquiers ou petits marchands occupés à vendre des denrées à crédit ou à prêter de l’argent aux paysans pour se payer en blé une fois la récolte venue, quand les prix étaient au plus bas93. Comme aux époques précédentes, les commerçants et les marchands stockaient le grain acheté en attendant soit la hausse des prix précédant la récolte ou son exportation rentable dans le Royaume de Valence ou en Catalogne. Les cultivateurs étaient ainsi privés d’excédents à commercialiser, de même que de capital et d’encouragements pour améliorer leurs cultures. La grande diffusion de ces achats à crédit, soutenus par l’endettement chronique du paysan, risquait de provoquer son appauvrissement définitif et la perte de ses moyens de production avant de l’envoyer grossir le secteur des journaliers.

59Résultat de son offensive centralisatrice, la Superintendencia nous a légué les seules données connues concernant le nombre de pósitos existants dans la Couronne d’Aragon au XVIIIe siècle94. Ces données proviennent d’un calcul daté de l’année 1773 réalisé pour toute l’Espagne, qui distingue entre pósitos royaux et ceux liés à des œuvres pies. Toutefois, surtout dans des zones céréalières de l’intérieur, le nombre total de pósitos en fonctionnement semble supérieur au nombre enregistré. L’on a ainsi documenté l’existence en Aragon d’un bon nombre de pósitos privés ou de pósitos píos non cités dans cette estimation95, dont l’enregistrement dépendait de la collaboration des juges ecclésiastiques. En dehors de sa résistance à soumettre des institutions privées sous sa tutelle à la juridiction de l’État, l’Église pouvait avoir un intérêt manifeste à pratiquer l’occultation de crainte que l’information fournie ne soit utilisée par l’État à des fins fiscales.

Tableau 1 – Pósitos royaux recensés en 1773.

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Note : les fonds en argent sont mesurés en réaux de billon, les fonds en céréales en fanegas castillanes. Basée sur la mesure d’Avila, la fanega castillane équivaut à 55,501 litres.

Source : Archivo Histórico Nacional, legajo 11 513.

Tableau 2 – Pósitos píos recensés en 1773.

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Note : les fonds en céréales sont mesurés en fanegas castillanes, les fonds en argent en réaux de billon.

Source : Archivo Histórico Nacional, legajo 11 153.

60Malgré ces limitations, une analyse sommaire met en évidence l’effort de l’État à partir du milieu du XVIIIe siècle pour créer des pósitos dans la Couronne d’Aragon, où ces institutions faisaient davantage défaut étant donné le poids du commerce côtier du blé. Sans aucun doute, la progression fut plus aisée en Aragon puisque ces institutions y jouissaient d’une plus grande tradition, comme le démontre le nombre de pósitos déjà créés en 1751. En deuxième position on trouverait le Royaume de Valence, où ces institutions fleuriraient en plus grand nombre dans les zones de l’intérieur, dotées d’un moindre accès au blé venu de la mer. Enfin, la Catalogne démontre un si faible enracinement des pósitos en 1751 que leur expansion à partir de cette date induit à penser à une forte pression de la part des institutions de l’État.

61Une seconde constatation se réfère à la faible importance des fonds en argent et en nature des pósitos créés dans la Couronne d’Aragon par rapport à sa population. Cette réalité fut démontrée par Anes en croisant les données offertes sur les pósitos pour 1773 avec le recensement de la population espagnole effectué par Floridablanca en 1787. D’après ces calculs, l’ensemble des fonds en argent et en nature estimés en réaux de billon déterminait dans la Couronne d’Aragon la disponibilité la plus faible par habitant parmi toutes les régions espagnoles où les pósitos s’étaient implantés. S’il n’était pas démontré que l’occultation détectée dans la Couronne d’Aragon était supérieure à d’autres régions, fait très difficile étant donné son faible enracinement dans toute la zone côtière, sa maigre disponibilité financière marquerait un trait particulier qui déterminerait la faible capacité d’action des pósitos sous ces latitudes durant l’Ancien Régime.

Tableau 3 – Estimation du capital des pósitos.

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Note : les estimations en argent ont été réalisées en réaux de billon.

Source : G. Anes, Los pósitos… cit., p. 83.

62La distribution de ces pósitos ne semble pas obéir à un plan bien structuré, mais aux opportunités et aux soutiens que les corregidores rencontraient dans les communes. Bien que l’État ait tenté en Aragon de promouvoir avec un acharnement particulier ces pósitos le long des rives de l’Èbre, favorisés par les travaux du canal impérial, Tomás Anzano indiqua en 1768 leur faible présence dans diverses comarcas comme les Cinco Villas, les rives du Jalón, les Monegros, Belchite, la Litera et la Hoya de Huesca96. Cet érudit aragonais rapporta les maux endémiques de l’administration des pósitos : faible montant de capital et de fonds en nature, mauvaise gestion, supervision inexistante de l’usage donné au grain prêté, difficultés pour recouvrer les crédits et contrôle du pósito par les magnats, qui utilisaient le blé pour emblaver leurs champs ou pour le vendre à haut prix, en profitant de la forte demande extérieure. Les pósitos étaient ainsi convertis en de « pequeños bancos de negociación, hasta donde sus cortos fondos alcanzan, en que los poderosos usurpan a los pobres sus ganancias »97. En ne créant pas chez les cultivateurs la confiance par un meilleur contrôle des excédents et une réduction de l’endettement qui les mettait sous le joug des groupes les plus aisés, le consensus social qui rendait la progression des pósitos possible fut miné. Selon ce qu’alléguait un rapport de la Real Audiencia remis au Consejo de Castilla en 1767, le manque de soutien municipal fut grandement responsable de ce que les pósitos et les monts-de-piété n’aient pas fructifié en Aragon98. L’endettement des concejos, dont les sources de revenus étaient souvent saisies par leurs créanciers, aurait ainsi empêché le principal pouvoir public local de favoriser avec un financement approprié l’élaboration de consensus permettant le fonctionnement des pósitos, très difficiles à créer au XVIIIe siècle face à la polarisation économique et sociale croissante de la population.

63En définitive, comme il advenait avec les entrepôts destinés à l’approvisionnement, l’insertion de ces institutions de crédit agricole en Catalogne et dans le Royaume de Valence fut entravée par des conditions climatiques peu favorables, leur faible tradition, et le peu d’intérêt municipal. Ainsi l’érudit Gregorio Mayans déconseillait-il en 1753 l’installation d’un pósito dans sa ville natale d’Oliva car il l’estimait « superflue » dans un climat chaud et humide qui compliquait la conservation du grain et qui obligeait à sa distribution forcée parmi la population. Dans son rapport à la Superintendencia en 1751, l’intendant José de Contamina signalait leur faible implantation en Catalogne99. Dans ces circonstances, les communes étaient tentées de destiner les réserves de grain de ces entrepôts publics à contenir le déficit de leurs finances, comme le fit Barcelone avec un pósito destiné à l’approvisionnement de la population jusqu’à sa disparition en 1741. Il ne faut pas s’étonner que José de Contamina souligne avec insistance en 1761 que les dispositions de la Superintendencia avaient produit peu d’effet en Catalogne, malgré la fondation de nombreux pósitos à partir de 1751100. À Alicante un pósito fut créé à une date aussi tardive que 1752, mais limité à fournir en blé les boulangers uniquement quand ils manquaient de grain. Son activité dépérit à partir de 1775 jusqu’à sa disparition vingt ans plus tard101.

64Dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, l’expansion des pósitos en nombre et en ressources va de pair avec les difficultés de la croissance agraire, mais également avec les problèmes que rencontrent les finances publiques. Le paradoxe de l’augmentation des réserves dans les pósitos souleva des discussions sur le montant de l’intérêt qui était perçu – les creces –, puisqu’un demi-celemín (4,16 %) ou un celemín (8,32 %) était très supérieur à l’intérêt en vigueur pour l’argent couramment prêté. De même, on pensa diminuer les fonds que possédaient les pósitos ou disposer d’un fonds fixe pour leur fonctionnement. En 1792, une Real Cédula du 13 mai établit un nouveau règlement pour le gouvernement des pósitos102. Quoi qu’il reprenne les points de la réglementation de 1753, au titre des nouveautés on relève que l’administration des pósitos échoira de nouveau au Consejo de Castilla. Il continue à considérer comme une fonction prioritaire des pósitos le prêt aux cultivateurs, bien qu’il n’oublie pas de se référer à la subsistance des populations à travers la vente de grains pour la boulangerie. Des rémunérations sont assignées aux membres de la Junta, constituée de représentants du concejo, de la justice et du procureur syndic, ainsi qu’à d’autres employés, et le règlement spécifie le lien avec les subdélégations à la charge des corregidores respectifs. Il considère également que les creces qui devront être perçues seront d’un demi-celemín par fanega « de las que no se excederá aunque haya uso, costumbre u orden anterior que señale mayor cantidad »103.

65Face à cette situation, il n’est pas surprenant que les pósitos commencent à faire partie de la politique d’obtention de ressources de la monarchie. Ils achètent des actions du Banco de San Carlos, fondé en 1782 pour gérer la dette publique. Cette même année, le pósito de Puerto Real prend 24 actions en déboursant 48 000 réaux, en 1783 le vínculo de Pampelune achète 18 actions pour une valeur de 36 000 réaux, et le pósito d’Espiel en 1786 se porte acquéreur de 10 actions qui valaient 20 000 réaux104. Les besoins du trésor royal à la fin du siècle firent des pósitos de toute l’Espagne des victimes de différentes contributions. En 1798, il leur fut exigé un « contingent extraordinaire » de 17 maravédis par fanegas de blé et de 20 autres maravédis pour chaque fanega des fonds qu’ils avaient déclarés, contingent qui en principe serait remboursé à 3 %. La recette était destinée à couvrir les difficultés financières issues de l’approvisionnement de la capitale, sous la compétence d’une institution gouvernementale, la Real Dirección de Abastos. En juin 1798, quelque 14 millions de réaux avaient été recouvrés. En 1799, un nouvel ordre exigeait des pósitos la remise d’un cinquième de leurs fonds destinés à la Caja de Amortización de Vales, une institution qui se chargeait de soutenir les bons royaux, un instrument de la dette publique habilité dans les années 1780 et dont les émissions provoquèrent la dévaluation à la fin du siècle. De nouveau la recette s’éleva à presque 48,5 millions de réaux. Ce ne serait pas la dernière fois, car les pósitos furent à nouveau sollicités en 1800, 1801 et 1806, au milieu de la forte crise de subsistances qui frappait une bonne partie de l’Espagne, difficultés qui s’aggravèrent sous l’effet des nombreux dégâts et pillages durant la guerre d’Indépendance entre 1808 et 1813105. Malgré tout, le besoin endémique de crédit du paysan favorisa l’intégration de la majorité de ces institutions dans les nouvelles relations capitalistes en gestation dans le monde agraire espagnol durant le XIXe siècle106.

Conclusion

66L’économie céréalière en Espagne durant l’époque moderne ne peut se comprendre en marge des structures productives et des relations sociales qui déterminent la perception et la distribution de l’excédent agricole. Une agriculture faiblement productive, avec des marchés peu intégrés, des coûts élevés de transport, et qui subissait des années répétées de mauvaises récoltes, maintenait une bonne partie de la population dans un état d’insécurité permanent que les autorités essayaient d’éviter avec des mesures telles que la création d’entrepôts publics ou les prix imposés sur les céréales. L’expansion des pósitos durant une phase de croissance comme le XVIe siècle en Castille et en Navarre (vínculos) était le reflet de la fragilité de l’économie, et de l’emprise sociale de groupes privilégiés, qui voyaient dans les produits agricoles une ligne de négoce plutôt que des biens de première nécessité. Villes et villages eurent recours à ces entrepôts, encouragés par la Couronne pour affronter les chertés des grains qui revêtirent une gravité particulière dans le dernier quart du siècle. Comme en témoigne le cas du royaume d’Aragon, étant donné l’élargissement de leurs fonctions d’approvisionnement et un fort soutien social, ils servirent à soutenir la demande et à contenir l’inflation des prix durant le XVIe siècle. Malgré l’expansion du pouvoir public que représente leur apparition tant en Castille comme en Aragon, la noblesse et l’Église continuèrent à contrôler le gros des excédents commercialisables à travers leurs greniers – les cillas, tercias et paneras des puissants –, et par conséquent fermiers des rentes et commerçants concentraient leurs opérations sur le marché de grain avec les représentants de ces groupes. Face à ce schéma d’approvisionnement commun à l’Espagne intérieure, les zones côtières façonnèrent des systèmes d’approvisionnement public moins interventionnistes en concédant une plus grande marge d’initiative au capital commercial, parce qu’elles avaient une plus grande connexion grâce au trafic maritime avec des réseaux extérieurs qui permettaient d’acheter du grain à des prix plus accessibles. C’est pourquoi les entrepôts publics dans ces zones adoptèrent une fonction plutôt complémentaire dans le système général d’approvisionnement.

67Durant le XVIIe siècle, la conjoncture dépressive et la politique fiscale de la monarchie ruinèrent en Castille l’économie urbaine et fortifièrent les relations seigneuriales dans le milieu rural. L’aliénation de terres et de droits effectuée par la Couronne eut des répercussions négatives sur les paysans, parce qu’ils subissaient une pression fiscale accrue et qu’ils avaient moins de ressources complémentaires pour leurs économies. Les faibles possibilités de disposer de bétail et les effets des mauvaises récoltes augmentèrent la misère et la nécessité de s’endetter pour semer chaque année. Face à cette récession, tant l’endettement municipal que la chute de la demande imposèrent aux entrepôts publics de réduire la fourniture de grain, même si des réserves furent maintenues pour affronter des disettes et contenir les hausses des prix des céréales précédant la moisson. Au même titre que nombre de fondations privées, les pósitos assumèrent de plus grandes responsabilités dans le prêt de grain au profit du producteur. Secouée par la dépression économique et démographique, la gestion des pósitos suivit ce même schéma dans les zones intérieures de la Couronne d’Aragon. Avec une récupération plus précoce de cette crise et des systèmes d’approvisionnement plus souples, la restructuration de l’approvisionnement public dans les zones côtières fut plus modeste et conserva l’emprise antérieure du capital commercial dans l’approvisionnement régulier de grain à ces villes.

68Bien qu’une nouvelle phase de croissance agricole ait lieu au cours du XVIIIe siècle, elle eut un caractère éminemment extensif à l’intérieur du pays, accablé par les mêmes freins existants aux siècles précédents. En l’absence de transformations substantielles dans les systèmes productifs et dans la distribution de l’excédent, la paysannerie resta à la merci de la conjoncture agricole, en même temps que le système d’approvisionnement urbain continua à accuser de sérieuses déficiences, comme en témoignent les émeutes de 1766. Orientée vers la défense du producteur et vers la libéralisation du commerce depuis le milieu du siècle, la politique défendue par le nouvel État bourbonien utilisa les pósitos comme un véhicule de plus de centralisation et d’intervention. À travers la Superintendencia General créée en 1751, l’État appuya la fondation de nouveaux pósitos et la restructuration de ceux qui existaient tant en Castille qu’en Aragon pour réussir à les convertir en organismes de prêt agricole sous une réglementation homogène. Sa mission prioritaire était de doter de liquidité les petits et moyens propriétaires afin de les libérer de l’endettement, de leur permettre de gérer leurs excédents et de stimuler ainsi la production agricole. Outre qu’elle limita les impôts municipaux sur le grain qui existaient dans la Couronne d’Aragon, elle élargit la capacité d’intervention et d’approvisionnement exercée par le pósito de Madrid étant donné son caractère stratégique, en réduisant dans le reste des pósitos urbains les réserves de grain disponibles pour contenir d’éventuelles chertés et modérer les hausses interannuelles. Dépourvus de capital suffisant, ces pósitos se virent impuissants à empêcher que les excédents agricoles et leur commercialisation continuent à être monopolisés par des secteurs privilégiés et des grands commerçants, véritables bénéficiaires de la croissance agricole en Espagne jusqu’à la dissolution du régime seigneurial. Avec une survivance plus précaire dans la Couronne d’Aragon étant donné leur moindre soutien économique et social par les élites locales, tous ces entrepôts publics furent touchés à la fin de l’Ancien Régime par les crises agricoles et les exigences fiscales d’un trésor public toujours plus endetté jusqu’à subir destructions et pillages durant la guerre de l’Indépendance. Contrairement aux pósitos urbains, qui disparaissent avec les transformations dans les approvisionnements (sauf des cas exceptionnels comme celui de Pampelune), l’importance de leurs fonctions de crédit facilita la survivance de ces institutions dans le monde rural sous le nouveau régime libéral en gestation en Espagne durant le XIXe siècle.

Notes de bas de page

1  G. Anes, Las crisis agrarias en la España moderna, Madrid, 1970. Il avait publié un article précédent sur les entrepôts publics : Los pósitos en la España del siglo XVIII, dans Moneda y Crédito, 105, 1968, p. 39-69 ; réédité ultérieurement dans Economía e Ilustración, Barcelone, 1969, p. 71-94.

2  C. de Castro, El pan de Madrid : el abastecimiento de las ciudades españolas del Antiguo Régimen, Madrid, 1987.

3  La nécessité d’une meilleure connaissance des transformations qui ont lieu en Espagne durant l’époque moderne pour comprendre son histoire économique contemporaine est solidement développée dans E. Llopis (éd.), El legado económico del Antiguo Régimen en España, Barcelone, 2004, p. 11-76.

4  A. García Sanz, Introducción, dans R. Garrabou et J. Sanz (éd.), Historia agraria de la España contemporánea, I, Barcelone, 1981.

5  Comme exemples d’écrivains de l’époque qui parlent de cette question, voir Melchor de Soria, Tratado de la justificación y conveniencia de la tassa de el pan, Madrid, 1992 (1ère éd. 1633). Sur la spéculation aux époques de crise, Jerónimo Castillo de Bobadilla, Política de corregidores y señores de vasallos, II, Madrid, 1978, p. 22 : « À ces occasions j’ai moult fois fait sortir le blé en trop non seulement de maisons de séculiers, mais de chanoines et de riches ecclésiastiques, et même des églises et des évêques et de leurs mayordomos, qui trafiquent avec et le vendent à des prix et de manières injustes ».

6  Situation que souligne, par exemple, pour le cas de Majorque, N. Planas, L’approvisionnement de Ciutat de Mallorca au XVIIe siècle, dans B. Marin et C. Virlouvet (éd.), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Paris, 2003, p. 349-366.

7  Voir l’extension des cillas et tercias en Andalousie dans M. D. Gil et al., Pósitos, cillas y tercias de Andalucía, Séville, 1991. Pour le cas de Murcie, G. Lemeunier, Pósitos y Tercias en el Reino de Murcia (siglos XVI-XIX), dans Economía, sociedad y política en Murcia y Albacete (s. XVI-XVIII), Murcie, 1990, p. 131-176.

8  8Novísima Recopilación de las leyes de España, Madrid, 1975, lib. VII, tit. XVII, año 1491.

9  Toutes ces données à propos des pósitos les plus précoces dans C. de Castro, El pan de Madrid… cit., Madrid, 1987, p. 96-97. La référence sur le pósito d’Almagro dans I. Mansilla Pérez, Los pósitos del campo histórico de Calatrava en la provincia de Ciudad Real, thèse de doctorat inédite, Université de Castille-La Manche, 1994.

10  J. Castillo de Bobadilla, Política… cit., p. 25. Il serait trop long de citer dans ce paragraphe l’abondante liste de pósitos créés durant cette phase, il suffit de lire les pages de C. de Castro, El pan de Madrid… cit., p. 96 sq. Sur leur extension aux Canaries, G. Santana, Panorama de los pósitos canarios durante el siglo XVII : una respuesta a la tensión social, dans F. J. Aranda (éd.), El mundo rural en la España moderna, II, Cuenca, 2004, p. 369-382.

11  C. de Castro, El pan de Madrid… cit., p. 103.

12  Voir, pour le cas de la Navarre, C. Sola, Abasto de pan y política alimentaria en Pamplona (siglos XVI-XX), Pampelune, 2001.

13  Voir par exemple le cas de Madrid au début du XVIe siècle dans C. de Castro, El pan de Madrid… cit., p. 102-103. Pour Guadalajara, Á. Mejía, Pan trigo y dinero. El pósito de Guadalajara (1547-1753), Guadalajara, 2002, p. 473-475. Pour Pampelune, C. Sola, Abasto de pan… cit., p. 46. Pour Espiel, J. G. Nevado, El pósito de Espiel y Villaviciosa en la época moderna, Cordoue, 1997.

14  Voir, pour le cas de Tolède, J. Montemayor, Tolède, entre fortune et déclin (1530-1640), Panazol, 1996 ; pour Séville, comme le rappelle C. de Castro, El pan de Madrid… cit., p. 101.

15  « […] les maisons et alhóndigas communes des villes, bourgs et villages de nos Royaumes et leurs mayordomos en leur nom puissent acheter du pain d’avance pour la provision d’icelles […] », Novisima Recopilación… cit., libro VII, tit. XVIII, ley II.

16  À Cáceres, l’alhóndiga primitive fut installée dans un bâtiment loué à des particuliers, comme l’indique J. L. Pereira, La alhóndiga cacereña en el siglo XVI, Norba, II, 1981, p. 208.

17  Sur les pósitos dans la région murcienne, voir G. Lemeunier, Pósitos y Tercias… cit. Pour le cas de Jaén, M. S. Lázaro, Aproximación a la arquitectura plateresca en Jaén : Francisco del Castillo « el Viejo » y la Portada del Pósito, dans Boletín del Instituto de Estudios Giennenses, nº 119, 1984, p. 129-142 ; pour Mérida, J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida en los siglos XVI y XVII, Mérida, 1986, p. 23, et pour Madrid, V. Tovar, El Real Pósito de la Villa de Madrid : historia de su construcción durante los siglos XVII y XVIII, Madrid, 1982. Voir aussi, L. J. Gordo Peláez, Pósitos, alhóndigas y alholíes : edificios municipales de abastecimiento en Castilla durante el siglo XVI, dans Arquitectura vernácula en el mundo ibérico [Actas del congreso internacional sobre arquitectura vernácula, Universidad Pablo de Olavide], Séville, 2007, p. 102-114.

18  « […] pour provision des alhóndigas et alholíes et dépôts de pain […] de ces Royaumes et Seigneuries, chacun desdits villages puissent prendre aux fermiers des grains la moitié du blé, orge, seigle et avoine qu’il y aurait dans chacun d’eux desdites rentes […] », Novisima Recopilación… cit., libro VII, tit. XIX, ley IV.

19  C. Sola, Abasto de pan… cit., p. 50.

20  Novísima Recopilación, cit., libro VII, tit. XIX, ley I, Pragmática de 15 de mayo de 1584.

21  J. G. Nevado, El pósito de Espiel y Villaviciosa… cit., p. 193-195.

22  « […] le pain sera distribué aux boulangeries et personnes convenant le plus et donnant le plus par fanega […] et que ce qui sera ainsi réparti auxdites boulangeries sera distribué et dépensé en pain cuit, […] et de manière à ce que si le pósito n’a pas de pain suffisant pour la provision de tout l’endroit et des gens qui passent, le pain existant soit donné à ces gens et aux habitants les plus pauvres et les plus nécessiteux », Novísima Recopilación… cit., Pragmática de 15 de mayo de 1584, nº 6. La fanega est une unité de mesure qui équivaut environ, en Castille, à 55,5 litres.

23  C. Sola, Abasto de pan… cit., p. 49.

24  J. U. Bernardos, No sólo de pan : ganadería, abastecimiento y consumo de carne en Madrid, Madrid, 2008, p. 31.

25  J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida… cit., p. 76.

26  Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 418 et J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida… cit., p. 76.

27  Pour le cas de Lorca, G. Lemeunier, Pósitos y Tercias… cit., p. 147-148 ; Tolède, J. Montemayor, Tolède, entre fortune et déclin… cit., p. 67-68 ; Madrid, J. U. Bernardos, No sólo de pan… cit., p. 86-87 ; pour Guadalajara, Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 198. La crise à Burgos est racontée par F. Brumont, Le blé à Burgos durant une période de crises : 1594-1604, dans L’approvisionnement des villes de l’Europe occidentale au Moyen Âge et aux Temps modernes, Auch, 1985 (Flaran, 5, 1983), p. 249-256, et à Mérida, J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida… cit.

28  Un ducat vaut 11 réaux et un réal vaut 34 maravédis. Pour Guadalajara, Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 358 ; dans le cas de Mérida, voir J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida… cit., p. 81, et pour Madrid, J. U. Bernardos, No sólo de pan… cit., p. 90.

29  29À Mérida parmi les débiteurs figurent des membres de l’oligarchie, J. A. Ballesteros, El pósito de Mérida… cit., p. 79. À Guadalajara il en est à peu près de même, Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 403-404.

30  Voir ce dossier dans Archivo de Villa de Madrid (AVM), Secretaría, 1-479-1.

31  Par exemple, ce qui se passe à Tolède, J. Montemayor, Tolède, entre fortune et déclin… cit., p. 69, ou à Madrid, en 1600, AVM, Secretaría, 2-95-32.

32  Le cas de Puertollano, I. Mansilla Pérez, Los pósitos del campo histórico de Calatrava... cit., p. 1154. Pour Guadalajara, en 1632, Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 100.

33  Voir son impact dans les villages de Guadalajara, à travers le travail de Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 61 sq.

34  Sur les cillas et les tercias andalouses, nous recommandons le travail collectif fondamental de M. D. Gil et al., Pósitos, cillas y tercias… cit. Á. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 167-168, cite l’existence à Guadalajara de greniers pour stocker les tierces dont disposait le duc del Infantado, ainsi que ceux du chapitre et de l’archevêché de Tolède, qui recueillaient les dîmes.

35  Voir les contrats qu’obtient ce commerçant de Palencia pour la fourniture de Madrid et de Tolède, dans J. U. Bernardos Sanz, No solo de pan… cit., p. 83-84.

36  À propos des saisies à Guadalajara, voir A. Mejía, Pan trigo y dinero… cit., p. 284-285. Sur le cas de 1630, à Madrid, voir F. Pérez de Castro, El abasto de pan en la corte madrileña en 1630, dans Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos del Ayuntamiento de Madrid, 1946, p. 117-150.

37  E. Salvador, La economía valenciana en el siglo XVI : comercio de importación, Valence, 1972 ; A. Castillo, Tráfico marítimo y comercio de importación en Valencia a comienzos del siglo XVII, Madrid, 1967 ; J. M. Palop, Fluctuaciones de precios y abastecimiento en la Valencia del siglo XVIII, Valence, 1977 ; E. Giménez, Alicante en el siglo XVIII : economía de una ciudad portuaria en el Antiguo Régimen, Valence, 1981 ; J. Juan, El comercio de trigo entre Mallorca y África del Norte en los siglos XVI y XVII, dans Mayurqua, 15, 1976, p. 73-92 ; C. Manera, Comerç y capital mercantil a Mallorca, 1720-1800, Palma de Mallorca, 1988 ; M. Corrales, Comercio de Cataluña con el Mediterráneo musulmán (siglos XVI-XVIII), Barcelone, 2001.

38  M. A. Pérez Samper, El pan nuestro de cada día en la Barcelona moderna, dans Pedralbes, 22, 2002, p. 39.

39  H. Lapeyre, La Taula de Cambis, Valence, 1982, p. 129. Sur les silos, R. Blanes, Los silos de Burjassot, Valence, 1992.

40  J. A. Mateos, Control público, mercado y sociedad preindustrial : las cámaras de trigo en el reino de Aragón durante los siglos XVI y XVII, dans Historia Agraria, 34, 2004, p. 15-16.

41  M.M Postan et H. J. Habakkuk (éd.), Historia económica de Europa, Madrid, 1967, III, p. 507-547.

42  J. de Vries, La economía de Europa en un período de crisis, 1600-1750, Madrid, 1987, p. 181-185.

43  Sur les objectifs principaux des pósitos en Aragon au XVIe siècle, voir J. A. Mateos, In search of wheat : municipal politics, urban markets and the grain supply in Aragon in the sixteenth and seventeenth centuries, dans Urban History, 38-2, 2011, p. 222-225.

44  M. Aymard, Autoconsommation et marchés : Chayanov, Labrousse ou Le Roy Ladurie ?, dans Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 38-6, 1983, p. 1392-1410.

45  C. Maristany, Els preus del Blas a la baronia d´Escornalbou entre el 1578 i el 1652, dans Primer Congrés d´Historia Moderna de Catalunya, Barcelone, 1984, p. 221-226.

46  D. Bernabé, Hacienda y mercado urbano en la Orihuela foral moderna, Alicante, 1989, p. 194-269.

47  Comme exemples, J. A. Mateos, Sobre tasas y monedas, ferias y usuras : municipio y mercado en Daroca bajo Juan II y Fernando el Católico (1459-1516), dans Aragón en la Edad Media, 13, 1997, p. 205, et J. Medrano, Puertomingalvo en el siglo XV, Teruel, 2006, p. 272.

48  A. Peiró, Feudalismo, organización campesina y pósitos en Aragón, dans VII Congreso de Historia agraria, 1993 (travail ronéotypé).

49  M. Gómez de Valenzuela, Derecho municipal aragonés : estatutos, actos de gobierno y contratos (1420-1786), Saragosse, 2003, p. 114.

50  J. I. Gómez Zorraquino, La burguesía mercantil en el Aragón de los siglos XVI y XVII (1516-1652), Saragosse, 1987, p. 59-64.

51  J. A. Mateos, Municipio y mercado en el Aragón moderno : el abasto de trigo en Zaragoza (siglos XVI y XVII), dans Espacio, Tiempo y Forma, IV, 15, 2002, p. 41-43.

52  52Ce réseau d’entrepôts permettait aux officiers du pósito envoyés de Saragosse pour acheter du grain durant les dernières décennies du XVIe siècle d’atteindre les Communautés de Teruel et d’Albarracín, à l’extrémité sud de l’Aragon. Archivo Municipal de Zaragoza, cajas 495 et 7887.

53  Archivo Municipal de Zaragoza, cajas 468-472.

54  J. A. Salas, La población de Barbastro en los siglos XVI y XVII, Saragosse, 1981, p. 98 ; J. A. Mateos, Auge y decadencia de un municipio aragonés : el concejo de Daroca en los siglos XVI y XVII, Daroca, 1997, p. 289-292, et Municipio y mercado en el Aragón moderno… cit., p. 43, 53-55.

55  Ce fait est dénoncé par les écrivains du XVIIe siècle, par exemple, Miguel Caxa de Leruela, Restauración de la abundancia en España, Madrid, 1978 (1ère éd. 1633).

56  « […] leur dénuement les oblige à vendre sur les aires leur pain à très bas prix et à l’acheter cher en octobre pour ensemencer et manger, en s’endettant dans les pósitos et les cillas », Melchor de Soria, Tratado de la justificación… cit., p. 96.

57  « […] pour qu’une fois venues les semailles de chaque année, on avertisse les cultivateurs de ce village selon leur argent et terres à ensemencer pour qu’ils sèment […] ». I. Mansilla Pérez, Los pósitos del campo histórico de Calatrava… cit., respectivement p. 1155 et 590. Sur la fondation du pósito pío d’Osuna, M. D. Gil, Pósitos, cillas y tercias… cit., p. 450.

58  I. Mansilla Pérez, Los pósitos… cit., p. 72. « […] la fondation des pósitos pour secourir les cultivateurs, mais avec les précautions nécessaires pour qu’ils ne deviennent pas des objets de spéculation pour administrateurs et usuriers […] ».

59  Sur la construction du nouveau pósito, avec les plans des projets des fours et les ordonnances du XVIIe siècle, V. Tovar, El Real Pósito de la Villa de Madrid… cit., p. 127 sq.

60  C. Sola, Abasto de pan… cit., p. 52 sq.

61  J. A. Mateos, Control público… cit., p. 27-31. Comme exemples, J. A. Salas, La población… cit., p. 101 et 348 ; F. Otero, La vila de Fraga al segle XVII, Calaceite, 1994, vol. I, p. 144-147 et J. A. Mateos, Auge… cit., p. 487-493, Municipio y mercado en el Aragón moderno… cit., p. 45-49, et Municipio y mercado en Aragón durante el siglo XVII : la Cámara del Trigo de Albarracín (1650-1710), dans Teruel, 90-2, 2003-2005, p. 60-62.

62  A. Peiró, Feudalismo… cit.

63  J. I. Gómez Zorraquino, Los montes de piedad y el crédito rural en el Alto Aragón en el siglo XVII, dans X Simposio de Historia Económica, Barcelone, 2005 (travail ronéotypé) et M. Gómez de Valenzuela, Estatutos y Actos Municipales de Jaca y sus Montañas (1417-1698), Saragosse, 2000, p. 296-300, 331-332.

64  E. Giménez et M. Martínez Gomis, La revitalización de los pósitos a mediados del siglo XVIII, dans J. I. Fortea et C. M. Cremades (éd.), Política y hacienda en el Antiguo Régimen, Murcie, 1993, p. 288, 291.

65  A. Peiró, Feudalismo… cit., et J. I. Gómez Zorraquino, Los montes de piedad… cit.

66  J. Inglada, Los Montes de Piedad de Huesca : instituciones de crédito para los labradores necesitados : análisis de su actuación en 1652 y 1683-1684, dans Argensola, 95, 1983, p. 5-15.

67  J. A. Salas, La población… cit., p. 107-108, 184-194.

68  68A. San Vicente, Colección de Fuentes de Derecho municipal del Bajo Renacimiento, Saragosse, 1970, p. 534-535 ; F. Otero, La vila de Fraga… cit., vol. I, p. 39 ; J. A. Mateos, Auge… cit., p. 292-297, Municipio y mercado en el Aragón moderno… cit., p. 48-49 et Municipio y mercado en Aragón durante el siglo XVII… cit., p. 64.

69  J. A. Mateos, Auge… cit., p. 297-299 et D. Bernabé, Hacienda y mercado urbano… cit., p. 260-269.

70  J. A. Salas, La población… cit., p. 107-108, 185-186, 192-193 ; J. Inglada, Los Montes de Piedad de Huesca… cit., p. 5-15 ; F. Otero, La vila de Fraga… cit., vol. I, p. 36-37 ; M. Gómez de Valenzuela, Estatutos y Actos Municipales… cit., p. 483-484.

71  C. de Castro, El Pan de Madrid… cit., p. 109-110.

72  Ibid., p. 108-113. Voir les détails de la législation pour la période des Bourbons, dans L. Guardiola, Manual de gobierno, administración de los Pósitos del Reyno, que en obsequio utilidad común particular de los pueblos labradores contiene todo lo dispositivo, útil, curioso en este importante ramo se dirige principalmente los Subdelegados de los respectivos Partidos, Justicias, Ayuntamientos, Juntas Municipales, Asesores Escribanos Fieles de Fechos sugetos encargados de las compras del trigo su medicion conservacion beneficio en las mismas paneras demás empleados que tengan algún manejo en tan decoroso cargo todo con el objeto de facilitar cada uno la mas pronta instruccion para el desempeño de sus obligaciones, la exacta observancia de los últimos Reglamentos Ordenes posteriores que se insertan con varias notas noticias muy oportunas conducentes para evitar dudas recursos en esta materia, Madrid, 1802.

73  Voir son application pour le cas de Osuna, R. Caro, J. Hernández et A. Donoso, Estudio normativo sobre la administración y contabilidad de los Pósitos y su aplicación al Pósito de la Villa de Osuna (1753-1763), dans De Computis, Revista Española de Historia de la Contabilidad, 2014, 20, p. 116-143.

74  I. Mansilla Pérez, Los pósitos del campo histórico de Calatrava… cit., p. 170.

75  G. Anes, Los pósitos… cit., p. 80-82.

76  J. A. Nevado, El pósito de Espiel y Villaviciosa… cit., p. 81 sq.

77  Pour le cas de Tobarra, R. Cózar et P. Losa, Los pósitos municipales : el ejemplo de Tobarra (1753-1764), dans F. J. Aranda Pérez (éd.), El mundo rural… cit., p. 335-352. Pour Lorca, G. Lemeunier, Pósitos y Tercias… cit., p. 171.

78  Voir pour les années 1770-1771, Archivo Histórico Provincial de Segovia, Protocolo nº 3147.

79  G. Anes, Los pósitos… cit., p. 87.

80  J. U. Bernardos Sanz, Territorio e infraestructura de almacenamiento en el abastecimiento de pan en Madrid (siglo XVI-XVIII), dans MEFRIM, 120/2, 2008, p. 541-554.

81  Pour plus de détails sur cette période, José U. Bernardos Sanz, Libertad e intervención en el abastecimiento de trigo a Madrid durante el siglo XVIII, dans B. Marin et C. Virlouvet (éd.), Nourrir les cités… cit., p. 367-388.

82  Sur les muletiers ségoviens, J. U. Bernardos Sanz, Trigo castellano y abasto madrileño : los arrieros y comerciantes segovianos en la Edad Moderna, Valladolid, 2003.

83  M. D. Gil, Pósitos, cillas y tercias… cit., respectivement p. 204 et 185.

84  Voir l’évolution du Pósito madrilène dans les dernières décennies, dans C. de Castro, El Pan de Madrid… cit., p. 227-262.

85  Pour une discussion plus détaillée sur cette intervention de l’État borbo-nien, voir J. A. Mateos, Reformismo borbónico y mercado preindustrial : crédito rural y abasto urbano en el Nordeste español durante el siglo XVIII, dans G. Pérez Sarrión (éd.), Más Estado y más mercado : absolutismo y economía en la España del siglo XVIII, Madrid, 2011, p. 157-168.

86  J. A. Mateos, Control estatal, gestión municipal y abasto público de grano : las reformas borbónicas del pósito de Zaragoza (1707-1808), dans MEFRIM, 120/2, 2008, p. 555-567.

87  M. A. Pérez Samper, El pan nuestro… cit., p. 50-65, J. Palop, Fluctuaciones de precios… cit., p. 137-172 et E. Giménez et M. Martínez Gomis, La revitalización de los pósitos… cit., p. 296-299.

88  J. Palop, Fluctuaciones… cit., p. 164-165 et M. A. Pérez Samper, El pan nuestro… cit., p. 58-59.

89  R. Blanes, Los silos de Burjassot… cit., p. 61-63. Il semble qu’il y en ait eu 43, mais deux d’entre eux se détériorèrent et disparurent.

90  J. Palop, Fluctuaciones… cit., p. 162-165.

91  P. Rújula et H. Lafoz, Historia de Borja : la formación histórica de una ciudad, Borja, 1995, p. 181.

92  C. de Castro, El Pan de Madrid… cit., p. 145-152.

93  Voir la note précédente et G. Pérez Sarrión, Comercio y comercialización de granos en Aragón en el siglo XVIII : una panorámica genera, dans III Jornadas sobre el estado actual de los Estudios sobre Aragón, Saragosse, 1981, p. 1013-1021.

94  G. Anes, Los pósitos… cit., p. 71-94.

95  A. Peiró, Feudalismo… cit.

96  T. Anzano, Discursos sobre los medios que pueden facilitar la restauración de Aragón, Saragosse, 1768, p. 105.

97  Ibidem, p. 82-86. « […] petites banques de négociation, jusqu’où leurs maigres fonds le permettent, où les puissants usurpent les recettes des pauvres ».

98  Archivo Histórico Provincial de Zaragoza, Real Acuerdo, 13 novembre 1767, folios 337r-347r.

99  E. Giménez y M. Martínez Gomis, La revitalización de los pósitos… cit., p. 297.

100  E. Escartín, Aspectos de la administración española bajo el marqués de Squilace. La respuesta del intendente José de Contamina sobre la provincia de Cataluña, dans Historia social de la administración española : estudios sobre los siglos XVII y XVIII, Barcelone, 1980, p. 269-287.

101  E. Giménez y M. Martínez Gomis, La revitalización de los pósitos… cit., p. 296-307, et M. T. Agüero, Evolución del pósito alicantino durante el reinado de Carlos III (1759-1788), dans Revista de Historia Moderna, 16, 1997, p. 331-352.

102  Novísima Recopilación… cit., libro VII, título XX, ley IV.

103  Novísima Recopilación… cit., libro VII, título XX, ley IV, art. 17. « […] sans aller au-delà même si l’usage, la coutume ou l’ordre précédent signale une quantité supérieure ».

104  104C. Sola, Abasto de pan… cit., respectivement p. 44 et J. G. Nevado, El pósito de Espiel y Villaviciosa… cit., p. 176.

105  G. Anes, Los pósitos… cit., p. 88-94.

106  J. A. Martínez Soto, Los pósitos en el siglo XIX : una red pública de micro-crédito agrario (1800-1914), dans Historia Agraria, 43, 2007, p. 485-530.

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