Les fonds conservés au Centre des Archives diplomatiques de Nantes (CADN)
Texte intégral
1Le Centre des Archives diplomatiques de Nantes, ouvert au public en 1987, conserve les archives produites et reçues par les postes consulaires eux-mêmes, et non par les bureaux du ministère en charge des consulats. Cette particularité a deux conséquences : la partie des fonds relative aux affaires traitées localement, n’ayant pas vocation à faire l’objet d’échanges avec la métropole, est unique ; mais les fonds, longtemps laissés sur place et soumis à de multiples aléas, s’avèrent lacunaires par leur nombre et par leur contenu.
Histoire des fonds
2Sous l’Ancien Régime, il semble s’opérer très tôt une distinction entre d’une part les archives et dépôts de la chancellerie consulaire, qui sont systématiquement inventoriés et transmis au successeur, d’autre part les mémoires politiques et commerciaux rédigés par les consuls, que ces derniers ont tendance à emporter avec eux à leur départ, tendance que l’administration de la Marine essaie d’infléchir tout au long du XVIIIe siècle en ordonnant aux consuls de remettre leurs papiers à leur successeur comme appartenant à l’État1.
3S’il établit que « Le bureau des consulats fera partie du ministère des Affaires étrangères » (art. 13 et dernier), le décret du 14 février 1793 ne se prononce pas sur le sort des archives ; de sorte que si la partition des dossiers du bureau des consulats effectuée en 1796 en est la conséquence implicite et logique, il semble que la question de l’attribution entre les deux ministères des archives restées dans les postes n’ait pas vraiment été posée, et ce définitivement.
4L’ordonnance du roi « relative à la conservation des papiers diplomatiques » du 18 août 1833 constitue un événement décisif pour la pérennité et l’intégrité des fonds : elle réaffirme que les archives conservées dans les postes (diplomatiques mais aussi consulaires) sont la propriété de l’État, y prescrit l’enregistrement de toutes les pièces envoyées ou reçues, et institue l’obligation pour le chef de poste de procéder à une remise des archives à son successeur, consignée dans un procès-verbal. Plus question pour les agents de remporter leurs archives en France, ni pour le ministère de saisir les papiers de fonction restés en mains privées : les fonds restent sur place et s’accroissent progressivement.
5Si quelques transferts surviennent dans les années suivantes (le fonds de l’agence de la Marine à Madrid arrive à Paris en 1864, échappant ainsi à l’incendie qui surviendra dans l’ambassade en 1885), ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que la question du rapatriement des fonds consulaires est soulevée. Sollicité par certains postes demandant la destruction d’une partie de leurs archives pour des raisons de place, le ministère crée en octobre 1895, au sein de la Commission des Archives diplomatiques, une sous-commission chargée d’examiner la question de l’entrée au Dépôt des archives anciennes des postes consulaires. Les conclusions sont les suivantes : ne laisser pratiquer aucune élimination par les agents des consulats, prescrire le retour des archives des postes supprimés ou réduits en agences consulaires, et pour les postes existants effectuer des retours par tranches chronologiques en fonction de l’ancienneté, de l’importance politique et commerciale et des conditions de conservation. Les fonds consulaires rejoindront désormais les fonds diplomatiques dans la série « Archives réintégrées des postes ».
6Plusieurs rapatriements interviennent dès avant 1914 (consulats de Livourne, Boston, New York) ; mais le manque de place aux Archives diplomatiques entraîne le dépôt d’une partie des fonds rapatriés des postes aux Archives nationales, par vagues successives entre 1926 et 1933. Les Archives nationales mettent en place un cadre de classement propre aux archives des Affaires étrangères, dans lequel les archives des postes se voient attribuer la série Z.
7Ce n’est qu’après 1945 que sont mises en place des procédures pour le rapatriement et le classement des archives des postes, auxquelles on fait appel pour combler les lacunes dont la guerre a criblé les fonds d’administration centrale ; le délai maximal de rapatriement est fixé à 50 ans. Mais la mise en œuvre d’une véritable politique de rapatriement doit attendre que soit d’abord réglée la question de l’espace de stockage. Suite à l’installation, entreprise en 1962, d’une partie de ses services à Nantes, le ministère des Affaires étrangères se voit céder dans cette ville un ancien parc à fourrage par la gendarmerie nationale en 1966. Progressivement réaménagé pour accueillir les archives, le bâtiment prend le nom de « dépôt des archives rapatriées des postes diplomatiques et consulaires ». C’est là que sont transférés, entre autres, les 2 806 cartons (soit environ 350 mètres linéaires) d’archives des postes restituées en février 1977 par les Archives nationales – des ensembles au volume très varié, par exemple 3 liasses pour Rostock, 35 cartons pour Alger, ou 116 liasses et 62 registres pour Cadix.
8Équipé d’une salle de lecture en 1987 instituant sa vocation à accueillir le public, le dépôt prend alors le nom de Centre des archives diplomatiques de Nantes. Le CADN poursuit toujours aujourd’hui la collecte, le traitement et la mise à disposition des archives des services extérieurs du ministère.
État des lieux et contenu des fonds
9Restés sur place (mais rarement au même endroit) parfois pendant des siècles, les fonds bénéficièrent d’une relative continuité, mais furent souvent aussi victimes de destructions importantes, dont les exemples sont légion. Citons par exemple la disparition de la quasi-totalité du fonds ancien du consulat d’Alger - le premier volume couvre à lui seul les années 1585-1725, sans doute dans le bombardement de la ville par l’amiral Duquesne en 1682-1683. Ou les incendies qui consumèrent, en août 1763 et en 1922, la grande majorité des archives du consul et de la chancellerie à Smyrne. Ou encore la disparition complète des archives du consulat de San Francisco, qui remontaient à 1849, dans l’incendie de la ville qui suivit le tremblement de terre de 1906. D’autres fonds, tel celui du consulat de La Valette, sont parvenus jusqu’à nous mais en bien piteux état et ne seront exploitables qu’au terme de longs travaux de restauration. D’autres enfin ont été rapatriés, mais en empruntant des chemins détournés, à l’image d’une partie des archives des consulats de Russie antérieures à 1918 (Pétrograd, Moscou, Tiflis, Riga, Cronstadt) qui furent spoliées par les soviétiques puis restituées en 19692.
10Si l’on considère le caractère relativement tardif de leur rapatriement (fin du XIXe siècle et XXe siècle pour la plupart) comme de leur mise à la disposition du public (à Paris jusqu’en 1977, à Nantes depuis 1987), on peut estimer que les archives des postes, hétérogènes et lacunaires mais souvent très riches, constituent un ensemble encore largement inédit, contrairement par exemple aux dossiers de l’administration centrale conservés pour la même période, dont l’exploitation a en quelque sorte un siècle d’avance.
11On y trouvera :
12Des séries qui forment théoriquement doublon, ou plutôt reflet en miroir, avec les fonds d’administration centrale :
- Les correspondances et rapports divers adressés aux différentes directions et bureaux des ministères de la Marine et des Affaires étrangères.
- Les registres primata d’état civil à partir de la fin du XVIIIe siècle et les registres primata d’actes notariés à compter de 1834.
13Des séries spécifiques aux archives des postes qui en font l’originalité propre :
- la correspondance adressée aux ambassades ou consulats généraux têtes de réseaux par les autres postes consulaires (consulats, vice-consulats, agences consulaires) dans le même pays de résidence. Cette documentation est non seulement riche et instructive sur l’organisation et le fonctionnement du réseau diplomatique et consulaire, la situation de la communauté française et les réalités locales, mais elle tient lieu parfois de source palliative de premier ordre lorsque les archives d’un poste ont disparu : c’est ainsi qu’on étudiera certains consulats grâce à la correspondance qu’ils ont adressée à l’ambassade de France à Constantinople aux XVIIIe et XIXe siècles et qui est conservée dans le fonds de cette dernière (166PO, série D correspondance avec les échelles : correspondance pour 109 échelles différentes, commençant par exemple en 1741 pour l’échelle de Smyrne citée précédemment).
- Une documentation spécifique élaborée sur place dans le cadre d’échanges avec les autorités du pays d’accueil, les autres postes diplomatiques et consulaires (vice-consulats et agences consulaires notamment) français et étrangers, la colonie française, les protégés étrangers (juifs et minorités chrétiennes dans l’empire ottoman, ressortissants d’autres pays ayant temporairement confié leurs intérêts à la France), les capitaines de passage. Toutes ces interactions ont donné lieu à de nombreux dossiers thématiques ou individuels (affaires militaires, affaires maritimes, successions, dossiers particuliers, immatriculations), aussi bien qu’à des suites plus ou moins cohérentes et abondantes de correspondances avec les autorités locales, les particuliers, qui forment un arrière-plan documentaire solide aux synthèses adressées à Paris.
- Une documentation d’ordre juridictionnel qui découle de l’exercice de la juridiction consulaire par le consul et par le chancelier : les registres de chancellerie, dont la tenue, rendue obligatoire par l’ordonnance de 1681, est dans les faits bien antérieure dans certains postes (1582 pour Tunis, 1587 pour Tripoli de Syrie), et qui furent dès la fin du XVIIe siècle scindés en registres particuliers (registre des actes et contrats, registre des assemblées et délibérations de la nation française, registre des ordonnances etc.). Ces registres étaient complétés par des actes de procédures en minutes qui ne faisaient pas nécessairement l’objet d’un enregistrement et n’ont pas souvent été conservés. Le fonds du consulat de France à Tunis (712PO, série 1, 1582-1887) s’avère à cet égard exceptionnel et emblématique dans la mesure où il contient sur une vaste période chronologique des typologies d’actes et de registres très variées. Les archives émanant des chancelleries consulaires étaient produites, à l’exception des registres notariés et d’état civil évoqués plus haut, en exemplaire unique et forment donc l’une des véritables spécificités des archives des postes conservées à Nantes.
14
Répartition des archives des consulats de l’Ancien régime au début du XXe siècle conservées aux Archives nationales et aux Archives diplomatiques
Archives nationales, site de Paris | Archives de l’administration centrale en charge des consulats (secrétariat d’État à la Marinea) (Des origines à 1793) |
- Fonds Marine, sous-série B7 – Pays étrangers, commerce et consulats (classement thématique). | |
- Fonds Affaires étrangères, sous-série B1 – Correspondance consulaire (classement par postes). | |
- Fonds Affaires étrangères, sous-série B3 – Consulats. Mémoires et documents (classement géographique). | |
Archives diplomatiques, centre de La Courneuve | Archives de l’administration centrale en charge des consulats (ministère des Affaires étrangères) (de 1793 à nos jours). |
- Correspondance consulaire et commerciale (1793-1901) (Classement par postes). | |
- Correspondance politique des consuls (1826-1896) (Classement par postes ou par pays). | |
- Correspondance politique et commerciale. Nouvelle série (1902-1914/1918 pour les consulats) (Classement thématique). | |
Archives diplomatiques, centre de Nantes | Archives rapatriées des postes (Des origines à nos jours). Fonds par postes. Chaque fonds comprend une ou plusieurs séries chronologiques ou thématiques. |
Compléments | |
- Archives du consulat de France à Alger (1686-1835) conservées aux Archives nationales d’outre-mer (Aix-en-Provence), Gouvernement général de l’Algérie, série A. | |
- Archives des consulats de France en Égypte (1694-1793), à Corfou (an VI-1822) et à Zante (an V-1814) conservées au Service historique de la Défense (Toulon), sous-séries 1R1, 2R et 3R. | |
- Archives du consulat de France à Nice (1740-1860) conservées aux Archives départementales des Alpes-Maritimes (Nice), sous-série 1Z. | |
a. Archives pour l’ensemble de la période allant jusqu’en 1793, même si dans les faits les consulats furent rattachés au secrétariat d’État des Affaires étrangères avant 1669 et de nouveau en 1762-1766. |
Auteurs
jerome.cras@ledepartement82.fr
berangere.fourquaux@diplomatie.gouv.fr
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