Les sources de l’enquête. Introduction
Texte intégral
1Une recherche sur l’histoire de l’institution consulaire mène rapidement à la question des sources. Mais qu’est-ce qu’une source consulaire ? Quels documents restent à la disposition de l’historien ? Lesquels ont été détruits ? Où sont dispersés ceux que les archivistes des siècles passés ont choisis de conserver ? La première partie de ce chapitre tente de répondre à une partie de ces questions pour le cas français. Des archivistes présentent les quatre dépôts français qui abritent de grandes séries de sources consulaires : les Archives nationales (Paris), les Archives de la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille Provence, le Centre des archives diplomatiques de la Courneuve et le Centre des archives diplomatiques de Nantes. Ces contributions guideront ceux qui souhaitent entreprendre une étude de l’institution consulaire et de ses personnels et permettront à ceux qui y travaillent déjà de mieux comprendre la genèse de l’architecture des fonds.
2Les sources conservées dans ces quatre dépôts sont abondantes. Elles deviennent même débordantes à partir du XVIIIe siècle, lorsque la monarchie finit par achever l’intégration des consulats au sein du ministère de la Marine et multiplie l’ouverture de nouveaux postes. Pour autant, elles ne constituent nullement la totalité des papiers produits par les consuls et leurs collaborateurs.
3Travailler sur un objet d’histoire demande idéalement un recensement complet des sources disponibles liées à la question à traiter. Or si l’utilité d’une telle entreprise ne fait aucun doute, sa mise œuvre s’avère toujours difficile et souvent impossible à réaliser. Bien sûr de nombreux documents ont été perdus, mal classés, volés ou délibérément détruits1. Ceux qui constituent les grandes séries conservées dans les quatre dépôts déjà mentionnés sont le résultat des choix opérés par les archivistes des siècles passés. Pourtant d’autres sources liées aux consulats se trouvent dispersées dans les archives françaises et étrangères : les correspondances qu’entretenaient les consuls avec d’autres administrations françaises que leurs tutelles ; celles qu’ils entretenaient avec les autorités de leur pays d’accueil ; celles qu’ils échangeaient avec leurs collègues, avec des particuliers, des amis ou leur famille. Beaucoup de ces lettres ont trouvé le chemin d’un dépôt d’archives.
4Pour des raisons de facilité, par manque de temps ou par paresse, les historiens se sont, dans leur écrasante majorité, cantonnés à utiliser les correspondances entre les consuls et leurs autorités de tutelle. Les autres échanges épistolaires ont été négligés. Ces derniers dépassent pourtant de loin les premiers en volume et en fréquence. L’analyse de la correspondance active du consulat de France à Cadix pour l’année 1820, échantillon étudié en profondeur dans la contribution d’Arnaud Bartolomei et de Vivien Faraut, met clairement en évidence cette disparité.
5La circonscription même de ce que peut constituer une source pour l’histoire consulaire est compliquée. Est-ce que chaque lettre produite ou reçue par un consul ou par un de ses collaborateurs (même celles échangées avec des amis et avec la famille) peut et doit être considérée comme une source à intégrer dans le corpus à constituer ? Les quelques correspondances privées de consuls conservées – par exemple celles des Devoize ou des Drovetti dont il sera question plus loin – mêlent souvent des sujets strictement privés à des affaires qui ont trait à l’exercice de la fonction consulaire. Où commence donc la sphère privée des agents et où finit-elle ? Qu’en est-il des sources qui ne sont pas directement produites par les consuls mais qui néanmoins les évoquent ? Les lettres qu’échangent les marchands entre eux, les suppliques qu’ils adressent aux autorités pour se plaindre d’un consul, les notes que s’échangent les commis au sein du ministère de tutelle, doivent-elles être jointes au corpus ?
6À y regarder de plus près, la constitution d’un corpus complet des sources liées à un consul ou à un consulat semble difficile à mettre en œuvre. Elle ne pourrait être réalisée qu’au prix de longues et fastidieuses investigations dont le profit resterait néanmoins à prouver. Il est moins ambitieux mais plus raisonnable de se concentrer sur une partie bien délimitée des correspondances consulaires. Deux des contributions à ce chapitre explorent les potentialités et les écueils d’une telle approche. Pierre-Yves Beaurepaire et Silvia Marzagalli ont reconstitué la correspondance active de François Philip Fölsch, consul suédois à Marseille. Elle couvre la période allant d’avril 1780 à avril 1807 et compte un peu plus de 300 lettres. Arnaud Bartolomei et Vivien Faraut, quant à eux, privilégient une approche quantitative qui vise à rassembler et à étudier la correspondance active d’un seul poste consulaire au cours d’une seule année, à savoir celle du consulat de France à Cadix en 1820.
7Les consuls ne peuvent être étudiés par la seule analyse des papiers qu’ils ont produits. À l’étude des correspondances il convient d’ajouter celle des textes de loi qui encadraient leur travail. Au cours des siècles, d’innombrables ordonnances, édits, arrêts et autres circulaires ont été émis pour réglementer et définir l’exercice de la fonction consulaire. Ceci vaut aussi bien pour les pays qui envoient des consuls que pour ceux qui en reçoivent. Très vite ces textes se sont tellement multipliés que les consuls ont du mal à s’y retrouver. Apparaissent alors les premiers aide-mémoires destinés à aiguiller les agents. Une tentative précoce, sinon la toute première de son genre, est une collection de textes ottomans qui encadrent l’exercice des consuls français dans l’Empire ottoman. Les pièces rassemblées ici couvrent, pour l’essentiel, la période 1596-1602. Cette compilation est due à François Savary de Brèves et à son disciple André du Ryer de Malezair. Elle constitue aujourd’hui le manuscrit Turc 130 conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Il est présenté en profondeur dans la contribution de Viorel Panaite.
8La volonté d’aider les consuls dans l’exercice de leurs fonctions est réaffirmée près d’un siècle et demi plus tard, lorsque Jean-Baptiste Germain publie le premier manuel consulaire. Jusqu’au début de la Première guerre mondiale quinze autres ouvrages du même type voient le jour. Ces manuels et leurs auteurs sont présentés dans ma propre contribution à ce chapitre.
9Ainsi les sources liées à l’histoire des consulats peuvent être divisées en trois grands groupes : les papiers officiels, les papiers privés et enfin les textes administratifs et autres ouvrages qui traitent de la fonction consulaire.
Les papiers officiels
10Parmi les archives officielles on trouve d’abord celles des chancelleries consulaires. Elles regroupent tous les documents liés au travail administratif du consul, ainsi que ceux qui portent sur la vie de la nation française établie dans la circonscription du consulat2. Ces papiers sont conservés au Centre des archives diplomatiques de Nantes. L’histoire et le contenu de ces fonds sont détaillés par Jérôme Cras et Bérengère Fourquaux dans leur contribution à ce chapitre.
11Aux papiers des chancelleries s’ajoutent les correspondances des consuls avec leurs administrations de tutelle.
12Les origines de l’institution consulaire sont municipales. Au Moyen Âge, ce sont des villes, et, dans le cas de la France, Marseille, qui créent des consuls pour administrer les communautés de marchands installés dans des ports étrangers. Dès la signature des premières capitulations avec la Porte, les consuls sont munis de lettres patentes du monarque et deviennent, par conséquent, officiers du roi3. L’institution continue alors à être gérée par les autorités municipales de Marseille. En 1599, ces dernières en confient l’administration à une entité nouvellement créée en leur sein qui finit, en 1650, par prendre le nom de Chambre de Commerce de Marseille4. Parallèlement, les consulats sont administrés par la monarchie. À Paris, c’est le secrétariat d’État aux étrangers5 qui en a la charge. Il administre également, mais seul cette fois, les quelques consulats situés ailleurs que dans l’Empire ottoman. Lorsque Colbert fonde, en 1669, son département de la Marine, il obtient qu’on y attache les consulats6. Les consuls en poste dans le Levant et en Barbarie correspondaient donc aussi bien avec la Marine qu’avec la Chambre de Commerce de Marseille. Les autres consuls n’écrivaient qu’au seul département de la Marine. Pour reconstituer la correspondance officielle d’un consul ou d’un consulat d’Ancien Régime, il convient donc de consulter les Archives de la CCIMP à Marseille et celles de la Marine, conservées aux Archives nationales7.
13En février 1793, les consulats sont détachés de la Marine et attribués au ministère des Relations extérieures. Cette mutation de tutelle entraîne un changement d’archivage : les papiers des consulats sont dorénavant conservés par les Affaires étrangères et se trouvent aujourd’hui dans leurs archives à La Courneuve8.
14Si la correspondance avec leurs administrations de tutelle est celle qui a attiré le plus d’attention, elle ne constitue pas la totalité du commerce épistolaire officiel des consuls. Bon nombre d’entre eux, sinon tous, échangent également des lettres avec d’autres administrations. Ainsi, les consuls d’Ancien Régime écrivent-ils régulièrement au ministère des Affaires étrangères, mais également à celui de la Guerre. Après la Révolution, lorsque les consuls sont passés sous la houlette des Affaires étrangères, ils continuent à entretenir un commerce épistolaire avec la Marine, mais aussi avec les ministères de la Guerre et du Commerce.
15Il existe une autre catégorie à ranger parmi les papiers officiels : celle qui regroupe les correspondances entre les consuls et les ambassadeurs en poste dans leur pays d’accueil. Dans l’Empire ottoman, les consuls sont soumis à l’autorité de l’ambassadeur de France auprès de la Porte. C’est lui qui fait respecter, auprès du sultan, les dispositions des capitulations. En cas de conflit avec une administration ottomane locale, le consul ne s’adresse pas directement à la Porte. Il en réfère à l’ambassadeur de France qui porte le problème devant le conseil du sultan9.
16Dans les autres pays, avant 1793, aucun lien hiérarchique direct ne semble avoir été établi entre diplomates et consuls. Néanmoins ils entretiennent partout un commerce épistolaire plus ou moins intense.
17L’Espagne constitue un cas à part. Il existe là-bas, de 1701 à 1784, une fonction unique dans le paysage des représentations extérieures de la France : l’agent général de la Marine et du Commerce10. Chargé de coordonner l’action des consuls en place dans la péninsule et de collecter et de redistribuer de l’information économique, il est la cheville ouvrière de la politique commerciale de la France en Espagne. Une recherche sur un consulat français en Espagne au XVIIIe siècle passe donc obligatoirement par le dépouillement des correspondances avec l’agent de la Marine. Ces papiers sont conservés à Paris, aux Archives nationales11.
18Aux correspondances officielles avec les autorités françaises s’ajoutent celles que les consuls entretiennent avec les autorités locales et centrales de leurs pays d’accueil.
19Les consuls écrivent par ailleurs à toutes sortes d’administrations non-ministérielles. Les lettres expédiées par le consulat de France de Cadix, analysées par Arnaud Bartolomei et Vivien Faraut, donnent une idée de l’extraordinaire variété de ces correspondants : gouverneurs, préfectures, commissaires de la Marine, douanes, hôpitaux, tribunaux de commerce, municipalités, bureau de la Santé de Marseille. À cela s’ajoutent d’autres organisations non-gouvernementales telles que les hôpitaux, les Chambres de Commerce ou la Chambre des Assurances de Paris.
20Ministères, administrations, diplomates, collègues et organismes divers ne sont pas les seuls à s’adresser aux consuls pour obtenir des informations. Un nombre considérable de particuliers en font autant. 17 % des lettres envoyées en 1820 par le consul de France à Cadix leur sont adressées.
21Les consuls répondent donc fréquemment à des sollicitations de correspondants étrangers à leurs administrations de tutelle. Si cette pratique semble d’abord avoir été tolérée sous l’Ancien Régime, elle est explicitement proscrite dès 181412. Cette interdiction n’est pas respectée par les agents. Pendant les décennies suivantes, ces dispositions sont donc réitérées à maintes reprises. Une circulaire du 29 juillet 182513 le fait une première fois, autorisant toutefois les consuls à correspondre avec le bureau du Commerce14. Un deuxième rappel survient par la circulaire du 12 août 1831 :
Plusieurs agents français à l’étranger croient pouvoir correspondre directement avec les autorités établies en France, et même avec de simples particuliers, qui, de leur côté réclament, directement l’intervention de messieurs les agents à l’étranger. Cette correspondance directe, outre qu’elle est contraire aux usages et aux règlements du Département des affaires étrangères qui doit toujours rester juge du degré et du mode d’intervention de ses agens, peut donner lieu à de graves inconvénients […]. Je vous prie, en conséquence, Monsieur, de vouloir bien vous abstenir, autant que possible, de correspondre directement avec les fonctionnaires publics et les particuliers établis en France, soit en vous bornant à les renvoyer au département des affaires étrangères, lorsqu’ils s’adressent à vous, soit en soumettant à ce ministère toutes les affaires de succession, de dépôt en chancellerie, de créances particulières, d’état civil, etc.15.
22Mais rien n’y fait. En 1849, le Quai d’Orsay se voit à nouveau contraint de rappeler aux consuls l’interdiction d’écrire « directement avec d’autres départements ministériels que celui des affaires étrangères ». Il prévoit néanmoins des exceptions à cette règle, notamment « en matière sanitaire, et pour le service du département de la marine et des colonies »16. Un nouvel rappel intervient en 185017. Or dès la même année, le ministère se ravise sur une partie de ses règles. Sous l’impulsion du ministère de l’Agriculture et du Commerce le Quai d’Orsay consent à mettre un terme à l’exclusivité qu’il avait jusqu’alors tenté de se réserver pour l’utilisation des informations « sur la situation commerciale et industrielle des pays étrangers » transmises par son réseau consulaire. Il projette alors, à l’image de ce qui se pratiquait déjà au sein du ministère du Commerce, de les « porter rapidement à la connaissance des négociants et industriels, soit par le moyen du recueil mensuel des Documents sur le commerce extérieur, soit par la voie du Moniteur universel »18. Quelques années plus tard, le Quai d’Orsay revient également sur l’interdiction de répondre à des sollicitations émanant de particuliers. Le ministre ne la lève pas complètement mais l’atténue considérablement en précisant l’interprétation qu’il convient de faire de la circulaire du 12 août 1831 :
Il arrive fréquemment que, s’exagérant à tort la réserve qui leur est quelquefois dictée par les circonstances, des consuls se croient fondés à laisser sans réponse les demandes d’informations ou autres qui leur sont adressées de France par des particuliers. Je ne puis m’expliquer cette négligence que par une interprétation erronée de la circulaire du 12 août 1831, à laquelle il importe de restituer son véritabe sens.
Dans la pensée de mon département, il existait alors et il existe encore aujourd’hui, de très-graves inconvénients à laisser prendre aux consuls le rôle d’agents d’affaires chargés de poursuivre d’office et sans autorisation, le remboursement des créances françaises, et de s’immiscer directement dans les questions qui pourraient engager leur responsabilité, surtout en matière pécuniaire ; aussi la circulaire du 12 août 1831 leur a-t-elle prescrit, à juste titre, de soumettre invariablement à mon ministère toutes les affaires de succession, de dépôt de chancellerie, de créances particulières, d’état civil, etc. ; mais, s’il a été jugé nécessaire de les inviter à s’abstenir de traiter directement les questions de cette nature avec les particuliers établis en France, il n’en résulte point qu’ils aient à s’interdire toute correspondance avec eux ; ils doivent, au contraire […] leur faire connaître les motifs de leur abstention, en leur indiquant, en même temps, la marche à suivre pour atteindre le résultat qu’ils ont en vue. J’ajouterai que les prescriptions de la circulaire précitée ne s’appliquent en aucune manière aux demandes d’informations commerciales qui sont journellement adressées aux consuls de la part de nos négociants19.
23Si la correspondance ministérielle se trouve répartie entre les Archives nationales (pour l’Ancien Régime) et les Archives diplomatiques de La Courneuve (pour la période d’après 1793), les autres correspondances officielles sont conservées aux Centre d’Archives diplomatiques de Nantes. Elles font partie de la série des « Archives rapatriées des postes (des origines à nos jours) ». On peut y trouver la correspondance passive des consulats, c’est-à-dire des liasses de lettres reçues, ainsi que les registres de la correspondance active. La tenue de ces derniers, qui implique l’enregistrement de toutes les pièces envoyées ou reçues, devient obligatoire avec l’ordonnance royale du 18 août 183320. Or dans certains postes cette pratique a été instaurée avant cette date.
24Le consul n’est pas le seul à entretenir des correspondances officielles. Ses collaborateurs font de même. Le chancelier et le drogman sont, certes moins fréquemment que le consul, amenés à correspondre avec leur ministère de tutelle. Ces échanges portent essentiellement sur des questions de carrière. Le curé ou chapelain en charge de la chapelle consulaire, quant à lui, a également dû être en relation avec sa hiérarchie ecclésiastique. Or nous ignorons, à ce jour, tout de la nature et de la fréquence de ce commerce épistolaire.
Les papiers privés
25La correspondance officielle forme un continent dont les contours restent parfois flous, mais peuvent, au prix d’une grande application, être explorés. La correspondance privée des consuls et de leurs collaborateurs est, elle, un archipel dont nous ne savons presque rien, et dont nous ignorons jusqu’au nombre des entités qui le constituent.
26Par correspondances privées nous entendons les lettres qu’écrivent les agents sans que leur expédition soit notée dans les registres de départ du consulat, ou des lettres qu’ils reçoivent sans que celles-ci aient été classées dans les archives du poste. Ce sont les lettres qu’ils échangent avec leur famille, leurs amis et leurs relations d’affaires. Les correspondances peuvent également se situer aux confins des sphères privée et officielle, lorsque les agents s’adressent à leur hiérarchie ou à des collègues pour des questions de carrière ou pour demander un service d’ordre personnel.
27Les correspondances privées peuvent également renfermer des informations liées à l’exercice des fonctions consulaires. Dans le contexte révolutionnaire, des extraits de ces lettres se trouvent publiés dans les gazettes. Dès 1798, le gouvernement français tente d’endiguer cette pratique, sans pourtant l’interdire formellement21 :
[Les consuls], en communiquant dans des correspondances privées leurs observations, leurs opinions, leur conjectures, et les faits même qui seraient à leur connaissance, pourraient, à leur insu, contrarier ses [i.e. le Directoire exécutif] mesures ; que ces révélations, en éveillant la malveillance et la jalousie, les aideraient à pénétrer ses desseins, ou les exposeraient à être mal interprétés […]. Les agents extérieurs de la République seront responsables de la publicité de tout article imprimé qui pourrait être rédigé d’après leur correspondance privée sur des objets politiques22.
28Si nous pouvons supposer que les consuls entretenaient, comme tous leurs contemporains d’un milieu social comparable, de très vastes correspondances privées, nous peinons néanmoins à en prendre la mesure. D’ordinaire, ces lettres ont été perdues ou n’ont jamais été déposées par les descendants dans une archive publique. Au mieux, quelques archives locales en conservent-elles des bribes23. Or pour deux consuls français – Jacques-Philippe Devoize et Bernardino Drovetti – la situation se révèle plus heureuse. Leurs papiers personnels nous sont parvenus au complet pour le premier, et en partie pour le second. Ils nous permettent de nous faire une idée approximative de leur nature et de leur ampleur.
29Le fonds d’archives privées de consuls le plus complet connu à ce jour est sans doute celui de Devoize père et fils. Il a été déposé entre 1972 et 1974 aux Archives nationales et est constitué d’un ensemble de 33 cartons qui représentent 5,8 mètres linéaires de documents24. Les papiers émanent de Jacques-Philippe Devoize (1745-1832) et d’Antoine chevalier Devoize (1803-1884). Le père fut consul à Tunis en 1776, à Lattaquié en 1781, à Tripoli en 1782, à Chios en 1786, puis devint commissaire du roi à Tunis en 1791, et finit sa carrière comme consul général et chargé d’affaires auprès du bey de 1787 à 1819. Le fils fut d’abord surnuméraire à la division commerciale du ministère des Affaires extérieures en 1823, servit par la suite de secrétaire à Chateaubriand et à Talleyrand, puis exerça les fonctions de consul à Smyrne en 1829, à Patras en 1833, à Syra en 1836, à Damas en 1842, avant de devenir consul général à Montevideo en 1846.
30Italien de naissance, Bernardino Drovetti (1776-1852) fut consul français à Alexandrie de 1802 à 182925. Il fait partie des rares agents dont la correspondance officielle a pour l’essentiel été publiée26. Les Archives de l’Académie des Sciences de Turin conservent par ailleurs une partie de sa correspondance passive privée. Ce corpus a peut-être compté près de 1 200 lettres27, dont près de 700 ont été publiées28. En 1997, une vente aux enchères a permis à la Bibliothèque centrale des musées nationaux (Paris), d’acquérir une autre correspondance particulière de Drovetti29. Cette fois-ci il s’agit de 314 lettres autographes du consul, toutes adressées, entre 1803 et 1830, au commerçant marseillais Pierre Barthalon. En revanche, nous n’avons trace des réponses de Barthalon30. Le fonds de la correspondance passive conservé à Turin n’en contient aucune. Cela laisse entrevoir à quel point les correspondances privées de Drovetti, déjà exceptionnelles par leur dimension de conservation, devaient être volumineuses.
31Les papiers privés des Devoize comme de Drovetti traitent de sujets très divers. Certes, on y trouve des passages strictement liés aux affaires de famille, à la gestion de patrimoine ou à l’approvisionnement en denrées alimentaires ou en vêtements, mais elles contiennent également de très nombreuses informations directement liées aux activités des consuls. À en juger par l’analyse thématique des lettres adressées par Drovetti à Barthalon31, ces sujets – à savoir la carrière, le commerce, les questions sanitaires – occupent même une place très importante. S’y ajoute, pour Drovetti, un grand nombre de renseignements sur les fouilles archéologiques et la collecte d’antiquités égyptiennes.
32Quant au fonds Devoize, il donne une vision complète des papiers qui pouvaient se trouver en possession d’un consul32. S’y mêlent, à parts à peu près égales, correspondances officielles et privées. La présence des papiers officiels dans ce fonds peut surprendre. L’article 25 de l’ordonnance de Marine de 1781 prévoyait clairement l’obligation pour un agent démissionnaire de transmettre les papiers du consulat à son successeur33. Or Devoize père avait refusé de s’y plier, et a conservé une bonne partie de ses papiers34.
33Aucune limite claire ne sépare ces correspondances officielles et privées. Certes, on peut les supposer à bien des égards redondantes, néanmoins les papiers privés représentent un complément indispensable à la bonne compréhension du travail et de l’environnement du consul35.
Les textes administratifs et ouvrages sur la fonction consulaire
34Depuis l’Ordonnance de la marine de 1681, le gouvernement français n’a cessé d’affiner le cadre légal de la fonction consulaire. Un nombre toujours plus grand d’ordonnances, de règlements d’édits, d’instructions, de proclamations, d’arrêtés, de circulaires et de lois s’empilent au cours des siècles. À cela s’ajoutent des avis du Conseil d’État, des mémoires et des rapports destinés à éclaircir des détails litigieux. Certains de ces textes ajoutent de nouvelles fonctions, d’autres en retranchent. Certains annulent les précédents, d’autres précisent les dispositions préalables sans pourtant les remplacer. Tous ces textes sont rassemblés dans la série « Service du personnel – Édits, lois et ordonnances, arrêtés et décrets – Volumes reliés, 1545-1899 »36 conservée au ministère des Affaires étrangères (La Courneuve).
35Dès le XVIIIe siècle, les consuls peinent à voir clair dans ce maquis. La situation n’est guère meilleure pour les usagers des consulats. Apparaissent alors des ouvrages destinés à épauler les agents dans leur action. Ces manuels consulaires rassemblent les principaux textes légaux (sans néanmoins en dresser la liste exhaustive) et proposent des formulaires pour faciliter les tâches quotidiennes des chancelleries. La France n’est pas le seul pays à produire ce genre d’ouvrage, mais il est celui qui en a fait paraître le plus grand nombre.
36Aux manuels s’ajoutent, au cours du XIXe siècle, les premières études qui théorisent la fonction consulaire. Ils sont, pour l’essentiel, dus à des juristes. Ce sont la question de l’extraterritorialité des résidences consulaires et celle de la juridiction consulaire qui occupent alors les auteurs37.
37Les papiers officiels, les papiers privés, les textes administratifs et les ouvrages sur la fonction consulaire forment un ensemble de sources qui se complètent mutuellement. Or à ce jour, c’est surtout la première catégorie qui a retenu l’attention des historiens. Les autres sont restées à l’écart. Le présent volume ne changera que peu à ce constat. Bien que deux contributions à ce chapitre explorent la troisième catégorie, aucune étude ne se sert substantiellement des papiers privés d’un consul. Il est à souhaiter que de futures publications y consacrent davantage de place.
Notes de bas de page
1 Voir sur la contribution de Pierre-Yves Beaurepaire et de Silvia Marzagalli.
2 Pour plus de détails, on pourra consulter les actes de la journée d’études La chancellerie consulaire française (XVIe-XXe siècle). Attributions – organisation – agents – usages organisée le 25 juin 2015 au Centre des archives diplomatiques de Nantes (Bartolomei et al. 2016).
3 La plus ancienne de ces lettres patentes que nous ayons conservée date de 1532 (Poumarède 2001, p. 67).
4 Voir la contribution de Patrick Boulanger dans ce même chapitre.
5 Poumarède 2001, p. 118.
6 Sur la gestion des consulats au sein du ministère de la Marine voir : Ulbert 2017.
7 Voir la contribution d’Anne Mézin dans ce même chapitre.
8 Voir la contribution de Pascal Even dans ce même chapitre.
9 Pour des exemples de ces interventions de l’ambassadeur, voir la contribution de Viorel Panaite dans ce même chapitre.
10 Voir à ce sujet la contribution de Sylvain Lloret dans ce même volume.
11 Voir les instructions données à ces agents dans Ozanam – Mézin 2011.
12 « Ils [i.e. les consuls] rendront […] compte au ministre des affaires étrangères de toutes leurs opérations, ne se permettront aucune démarche, aucune entreprise, aucune correspondance qui sortiraient de leurs attributions ordinaires, s’ils n’y ont été autorisés par ce ministre ; ils n’adresseront qu’à lui les informations que leur position les aura mis à même d’obtenir. » « Instruction générale du 8 août 1814, pour les consuls de France en pays étrangers », dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 63.
13 AMAE (La Courneuve), Service du personnel – Édits, lois et ordonnances, arrêtés et décrets, vol. 58, pièce 102. Je remercie Arnaud Bartolomei de m’avoir signalé l’existence de cette circulaire.
14 Clercq – Vallat 1868, vol. 1, p. 25.
15 AMAE (La Courneuve), Service du personnel – Édits, lois et ordonnances, arrêtés et décrets, vol. 59, pièce 194. Je remercie Arnaud Bartolomei de m’avoir communiqué le texte.
16 Circulaire du 16 mai 1849, dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 244.
17 Circulaire du 12 janvier 1850, dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 248.
18 Circulaire du 28 mars 1850, dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 249.
19 Circulaire du 28 février 1863, dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 497.
20 Voir la communication de Bérangère Fourquaux et Jérôme Cras dans ce même chapitre.
21 Cette interdiction formelle n’intervient que par la circulaire du 16 décembre 1852, dans : Clercq – Vallat, 1869, vol. 2, p. 326-327.
22 Arrêté du Directoire exécutif du 18 octobre 1798 (26 vendémiaire an VII) dans : Clercq – Vallat 1869, vol. 2, p. 326.
23 Notons néanmoins l’existence du fonds Étienne David aux AMAE de Nantes (1 AE 73). Il contient notamment la « correspondance officielle et officieuse comme élève vice-consul gérant le consulat de Scio : correspondance avec la Légation de Constantinople, correspondance avec le ministère des Affaires étrangères, correspondance avec son père, correspondance avec Louis Cassas (Rhodes). » Mes remerciements vont à Mathieu Grenet qui a eu l’obligeance de me signaler ce fonds.
24 Archives Nationales (Paris), Fonds Devoize, 327 AP.
25 Sur sa carrière voir : Guichard 2003, p. 23-38 ; Mézin 1999, p. 239-242.
26 Douin 1925 ; Douin 1926 ; Douin 1935 ; Driault 1925 ; Driault 1927 ; Driault 1930.
27 Voir un condensé de l’histoire éditoriale compliquée de ce corpus dans Ridley 1991.
28 178 lettres ont été publiées par Marro 1940 ; 575 autres l’ont été par Curto 1985. Voir également : Donatelli 2011.
29 Le fonds y est conservé sous la cote MS 508.
30 Cette correspondance a été publiée par Guichard 2003.
31 Guichard 2003, p. 619-622.
32 Voir le détail des articles du fonds Devoize dans : D’Huard 1972-1973.
33 Voir la reproduction de cette ordonnance dans : Mézin 1997, p. 804.
34 Windler 2002, p. 62-63.
35 Un exemple pour l’usage que l’historien peut faire de ces correspondances privées a été donné par Windler 2002.
36 Voir les volumes 43-115 (« Consulats : organisation, décrets et arrêtés de nomination, 1584-1879 »).
37 Les ouvrages parus avant 1914 sont recensés dans une bibliographie internationale de l’histoire de la fonction consulaire : Ulbert 2016.
Auteur
jorg.ulbert@univ-ubs.fr
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