Chapitre 10. Rome, patrie d’adoption
p. 163-181
Texte intégral
L’abandon du Saggio sulla storia d’Italia
1À la veille de son installation à Rome, un fil rattachait encore Alessandro Verri à son passé milanais, le Saggio sulla storia d’Italia. Quarante ans plus tard, le 3 janvier 1808, l’auteur prononçait sur son manuscrit un jugement irrévocable :
Œuvre de ma jeunesse, comportant des jugements hardis, un style bâtard, des paradoxes fatigants, trop faible dans son récit du fait d’une trop grande rapidité, mais composée au prix de beaucoup d’efforts et de diligence, de ma vingtième à ma vingt-cinquième année. […] À ne pas imprimer si je ne la corrige pas de mon vivant1.
2Cependant, Alessandro Verri manifesta longtemps une certaine fierté du travail accompli et nourrissait l’espoir qu’elle contribue à sa reconnaissance, tout comme Pietro, qui lui promettait : « ta Storia, la première de toutes celles qui ont été écrites dans notre langue, est un livre qui t’apportera la plus grande gloire »2.
3Au terme des relectures effectuées après le départ de son frère pour Paris, Pietro avait envoyé le manuscrit à Giuseppe Aubert, à Livourne, en novembre 1766. Débordé, ce dernier l’informait, avant même d’avoir reçu l’ouvrage, qu’il ne pourrait se charger de la publication avant six mois et qu’il ne le ferait pas sans avoir préalablement soumis le texte à l’érudit Giovanni Giacomo Baldasseroni et à l’auditeur Franceschini, pour s’assurer qu’il ne comportait pas d’erreurs et passerait la censure. De Paris, Alessandro Verri s’impatientait : « Je voudrais que notre Aubert ne lanterne pas trop. Cela m’ennuie de faire faire longtemps antichambre au public et peut-être à la renommée, quelle qu’elle puisse être. Dès qu’une partie suffisante en sera imprimée, je désirerais vivement l’avoir »3. Fin janvier, Franceschini puis Baldasseroni se déclarèrent satisfaits du manuscrit, à l’exception de « petites erreurs en matière d’histoire »4 qui exigeaient de légers remaniements. Aubert ne souhaitait donc commencer l’impression du texte qu’en présence de l’auteur afin de gagner du temps au moment de la correction des épreuves. Mais Alessandro, qui s’apprêtait alors à quitter Londres, ne manifestait plus guère d’intérêt pour l’édition de son ouvrage : ses lettres de février ne mentionnaient pas même Livourne parmi les étapes de son retour en Italie… Il en fut quitte pour un rappel à l’ordre : « D’après ta dernière lettre, tu ne sembles pas attacher à Livourne l’importance que je voudrais : ta Storia mérite pourtant que tu y passes, au moins pour la voir mise en train », écrivait Pietro, qui s’étonnait : « Pense à ta Storia, tu sembles ne plus t’en souvenir, pourquoi donc ? Je ne te comprends pas »5. Alessandro déclarait qu’il n’était « plus aussi amoureux de [sa] pauvre Istoria », qui lui rappelait la fin prochaine et redoutée de son voyage6. Mais il se rendit aux arguments de son frère et inclut, à la veille de son départ de Paris, un détour par la Toscane dans le trajet qui devait le conduire à Rome avant l’été. Accueilli avec les honneurs par l’imprimeur livournais qui insista pour l’héberger chez lui, Verri manifestait en avril 1767 un regain d’enthousiasme pour son ouvrage. Aubert avait commencé l’impression des premières pages aux presses de Marco Coltellini en présence de l’auteur : deux mois semblaient suffire pour que voie le jour ce volume de 500 pages in-4°. Estimant l’affaire en bonne voie, Verri laissa Aubert poursuivre seul la tâche, promettant de lui faire parvenir régulièrement la suite de ses corrections. Mais à mesure que les révisions avançaient, les doutes surgissaient. Son histoire lui semblait à présent trop critique, trop acerbe à l’encontre des Italiens qui devaient la lire et lui accorder leurs suffrages. De Pise, Alessandro écrivait à son frère :
Je suis en train de revoir mon Istoria, laquelle méritait bien, avec ta permission, cette révision. J’ai supprimé les pointes trop aiguës et quelques traits contre le Pédantisme et contre les Italiens, surtout dans le dernier chapitre. Les Français ne me sauraient aucun gré d’autant les louer, et les Italiens m’en voudraient tous. Je vois comment l’on pense, ici en Toscane, et si j’ai besoin des suffrages de l’Étrurie, je ne dois pas offenser son amour-propre. Du reste, j’avais en partie tort7.
4Ce désaveu portait sur deux points : son séjour en Toscane avait procuré à Verri la satisfaction de fréquenter une élite cultivée, bien implantée dans le réseau de la République européenne des lettres, où son mérite, ainsi que celui de la société milanaise des Pugni, était reconnu et apprécié : « Il y a un nombre considérable de personnes cultivées et bonnes, et je m’aperçois déjà que la Toscane est la meilleure partie de l’Italie »8, écrivait-il. Sans doute entendait-il corriger, à l’invitation de Baldasseroni, certaines remarques sur le « ridicule » des écrivains italiens, sur la « barbarie des lettres »9, et atténuer sa critique de l’italiano illustre, formulée en conclusion de l’ouvrage, qui s’inscrivait dans la lignée du Café (« Peut-être que nous n’écrivons pas comme Boccace, comme Bembo, comme Della Casa. Peu importe. Nous écrivons comme Montesquieu ; nous faisons des gallicismes, mais nous lisons l’Encyclopédie »10). Plus grave, il écrivait dès le mois de mars, de Turin : « Je m’attends à des choses surprenantes lorsque mon livre paraîtra à Livourne. On y trouvera sans aucun doute toutes les erreurs et toutes les hérésies de l’univers »11. Sans doute pensait-il aux remous que susciteraient en Italie certains jugements acerbes contre le pape et l’Église : la violence des premiers chrétiens, le fanatisme des croisés, l’absence d’authenticité des documents fondant la puissance temporelle des papes, l’amoralité politique de ces derniers, les controverses religieuses comme causes de désordre civil en Europe, la nécessité d’une entente entre Empire et papauté, voire d’une régulation de la seconde par le premier, étaient autant d’éléments constitutifs d’une histoire « gibeline ». Or Verri s’apprêtait, après Pise, à entrer à Rome au mois de mai 1767.
5« Je me fie à ton âme robuste, qui osera dire la vérité », l’avait d’abord enhardi Pietro12. Puis, après avoir encouragé son frère à en terminer la révision au motif de la « gloire » qu’il devait en retirer13, il se ravisa au cours de l’été 1767. Pietro s’inquiétait de certains « passages scabreux »14 qui avaient échappé à ses correcteurs, et qui le conduisaient à douter de la pertinence de publier le Saggio sulla storia d’Italia tant que se prolongerait le séjour romain de son frère. Alessandro hésitait encore. Il jugeait, à la réflexion, le fond de son essai « orthodoxe » : « Je ne puis me résoudre à jeter dans les abîmes de l’oubli une œuvre qui m’a tant coûté et qui a été la plus douce occupation de la fleur de ces années passées », ajoutait-il en septembre 176715. Mais Pietro insistait : « Il faudrait que l’on ne sache pas, à Rome, que tu ne disposes pas de soutien solide. Que ton ouvrage soit orthodoxe, cela ne suffit pas. Si le très orthodoxe Muratori n’avait pas eu Benoît XIV et qu’il s’était trouvé à Rome moment où paraissaient ses Annales, crois-tu qu’il aurait été tranquille ? »16. Peu enclin à s’exposer aux foudres des autorités ecclésiastiques sous la juridiction desquelles il vivait à présent, Alessandro se résolut à suspendre l’impression : « J’ai décidé, puisque mon œuvre comporte quelques traits un peu vifs, de ne pas m’y risquer sous ce pontificat. […] Que ma Storia dorme donc jusqu’à un nouveau pontificat plus lambertinien. Écris à Aubert de ne pas poursuivre »17.
6En septembre, Alessandro demanda à l’imprimeur de lui remettre au plus vite son manuscrit, mais l’imprimeur peu scrupuleux tarda à s’exécuter : le texte ne lui revint qu’un an et demi plus tard. Verri soupçonnait Aubert de l’avoir fait circuler, ainsi que les premiers feuillets imprimés. Ce dernier admit dans une lettre à Pietro les avoir confiés, pour peu de temps, au banquier Rutherford18, qui les avait ensuite portés à la connaissance du comte de Neny, membre du Conseil suprême d’économie. L’information avait donc circulé assez largement19 : en août 1767, Alfonso Longo annonçait avoir eu vent, à Venise où il se trouvait, d’une Histoire d’Italie imprimée à Livourne, que les correspondants de l’imprimeur attribuaient à Beccaria20. Peut-être est-ce poussé par la volonté de ne pas voir usurpée la renommée de son frère, que Pietro Verri revint à la charge l’année suivante : son ami le général Henry Lloyd, écrivain et aventurier gallois21, lui avait tout d’abord suggéré « de faire traduire la Storia en anglais » et de la publier anonymement22 ; puis il recommandait en avril 1768 d’en présenter un manuscrit à l’Empereur afin de lui dédier l’ouvrage23. Alessandro s’y refusa :
Je ne veux pas d’appuis : la raison n’est pas vassale de l’Empire. […] Qui me croirait impartial au milieu des luttes entre les deux puissances si je dédiais l’ouvrage à l’une des parties ? Ajoutons que je me souviens de Giannone. […] Les moyens de punir un gibelin sont nombreux et non inusités ; quiconque réside chez les guelfes ne peut manquer de jugement et penser qu’on ne lui tendra pas de pièges24.
7Les vicissitudes de la Storia se prolongèrent longtemps, au gré des projets de publication envisagés, débattus dans le Carteggio, puis rejetés.
8En 1777, la rencontre de Denina, à Rome, et la lecture des Révolutions d’Italie (« J’ai parcouru à cette occasion son œuvre sans me repentir de la mienne »25) le poussaient à revenir sur les raisons qui l’avaient conduit à renoncer à faire paraître son texte : « certaines phrases de mauvaise humeur, […] un mépris remarquable des folies humaines et des bêtises des historiens » lui déplaisaient26, mais il ne répudiait pas, dans le fond, le contenu de son ouvrage, auquel il fut toujours attaché. L’ampleur des refontes envisagées – adopter un ton plus mesuré, délaisser le sarcasme et les critiques les plus acerbes, corriger une syntaxe trop rapide – le décourageait toutefois. En janvier 1772, l’imprimeur Tommaso Masi, successeur d’Aubert aux presses de Coltellini, avait manifesté une première fois son souhait de publier la Storia d’Italia ; il était revenu à la charge en septembre 1792 auprès de l’« illustre auteur » des Nuits romaines27. Verri s’y refusa, comme il s’en expliquait à Pietro, pour les mêmes raisons de prudence (« [il y a] des passages où je dois par nécessité parler des Papes ») et surtout de style, qui le contraignaient « à tout réécrire »28.
9Coutumier des polémiques et de l’irrévérence à Milan, Verri avait déposé les armes en arrivant à Rome et ne les reprendrait pas. Il avait défini deux principes garants de son bonheur : « Quietem et nihilum »29. « Je ne veux pas devenir auteur aux dépens de ma tranquillité », prévenait-il en septembre 176730, avant de répéter, un an plus tard, qu’il avait gagné, « en annulant la publication » de la Storia, l’avantage de la « tranquillité, ce qui est le plus important »31.
Rome honnie, Rome aimée
10Rome « ne sent point la capitale », remarquait le voyageur français Jérôme de Lalande, un an avant l’arrivée d’Alessandro Verri. Deuxième ville la plus peuplée de la Péninsule, après Naples, et bien devant Milan, elle n’avait pas l’aspect d’un grand pôle urbain en dépit de ses nombreux quartiers populaires :
Elle ressemble plutôt à nos grandes villes de Province qu’à celle de Paris où tout est en tumulte, et où l’on vit sans se connaître et sans se soucier les uns des autres. À Rome, l’on se voit et l’on se connaît, comme dans nos villes de Province ; l’on sait toutes les allures de chacun ; et tout est matière de gazette, mais on en est quitte pour laisser parler ; et à tout prendre une personne qui aime la tranquillité, et une société douce et agréable, préférera Rome à toute autre ville, et y vivra même plus content qu’à Paris32.
11Alessandro Verri mit quelques semaines avant de considérer Rome sous ce jour. Il y était entré le 19 mai 1767 pour y retrouver son ami Alfonso Longo, avec qui il projetait de gagner Naples sans tarder. Ses premières impressions sur la campagne romaine avaient été désastreuses. Frappé par « la désolation de la Romagne », par l’aridité des terres et la misère des habitants, il livrait à son frère une description sans nuance du « règne désolé de la prêtraille »33. Rome avait connu, entre 1763 et 1767, des années de grave famine qui avaient poussé vers la cité une foule immense d’affamés à la recherche d’assistance et de nourriture. Cela expliquait la multitude des mendiants dans les rues, dont Verri s’étonnait le 29 mai34, et le nombre important de domestiques à la recherche d’une position. L’agriculture locale ne suffisait plus à nourrir la dense population urbaine : mal exploitées et peu productives, les campagnes étaient limitées par des terres infertiles, au nord, et des marais, au sud, qui augmentaient en outre les risques de malaria. Rome devait donc acheter aux États voisins un nombre important de biens de première nécessité. La Curie, qui possédait le monopole de l’importation de blé et de vivres, pouvait octroyer des privilèges, mais ce système avait favorisé le développement de réseaux de contrebande et l’activité des groupes de spéculateurs, au détriment de la qualité de l’approvisionnement public35. Des émeutes sporadiques, dues à l’inflation et au manque de nourriture, éclatèrent dans la seconde moitié du siècle, de 1771 à 1774 notamment, puis en 1779 en raison d’une sécheresse de six mois qui provoqua une nouvelle famine. « L’on craint toujours de mourir de faim dans la très belle patrie des Scipions »36, remarquait Verri à son arrivée. En avril 1782, il relatait encore « une espèce de rébellion populaire vers le Transtévère », liée à l’augmentation « du prix de la viande et d’un grand nombre de biens de première nécessité » : un prélat avait failli être lapidé dans la rue avant que les soldats ne viennent étouffer la sédition37. Verri ne manquait pas de relever la gestion désastreuse des terres arables et les effets pervers de la mainmise du pouvoir pontifical sur la vente des grains : « Toute la campagne romaine, qui correspond à l’ancien Latium, a été ensemencée d’un tiers de moins cette année, pour la raison habituelle que l’on n’autorise pas la vente des grains récoltés, si bien que les prés s’agrandissent »38. Même l’apparat des cours cardinalices cachait mal l’état désastreux des finances romaines : « Plusieurs de ces éléphants pourprés meurent presque de faim pour se maintenir avec un grand nombre de serviteurs et de chevaux et toute cette pompe famélique de pauvreté magnifique. […] Ce gouvernement est un monstre. Il est vraiment en pleine décadence »39. La critique de la politique fiscale et économique du gouvernement pontifical allait devenir l’un des thèmes de prédilection40 de celui qui fut, dans sa correspondance avec Pietro Verri et Vincenza Melzi, un grand chroniqueur de la Rome des années 1770-1810. Des réformes tentées par le cardinal Fabrizio Ruffo jusqu’à la « faillite publique » de Pie VI41 et aux vains efforts de Pie VII, qui ne parvint pas à reproduire, au lendemain des Cent-jours, « le miracle de multiplier les pains dans le désert »42, Alessandro s’emportait avec constance contre le faste en trompel’œil et la piètre compétence économique de la curie, dont le bilan économique était le « miroir de l’incapacité et des faiblesses évidentes de l’État »43. Ce point de vue, cantonné au domaine économique et monétaire, n’empêcha cependant pas le chroniqueur milanais de procéder à une progressive revalorisation de la cité pontificale sur le plan des arts et de la sociabilité culturelle.
12Dans un premier temps, Alessandro Verri jeta un regard amusé et moqueur sur la sociabilité affectée et provinciale qu’il découvrit à Rome. Introduit par Longo dans les salons et les palais de la cité pontificale, il fut reçu dès son arrivée à la villa du cardinal Albani, mécène de nombreux artistes et hommes de lettres, collectionneur d’antiquités et très lié aux milieux diplomatiques autrichiens. Verri fut également accueilli dans les salons de la duchesse de Bracciano et de la princesse de Palestrina, « tous deux le point de rencontre des étrangers »44 ; il fut reçu ensuite dans la demeure de la princesse Altieri. Animée par une élite d’origine souvent non romaine, la vie intellectuelle prenait la forme de conversations, assemblées où s’échangeaient des nouvelles et s’improvisaient des divertissements, ou qui prenaient parfois la forme de sociétés savantes. Mais, notait Alessandro, « rares sont les hommes cultivés et raisonnables et ces rares personnes doivent se taire et porter le masque universel »45. Il goûtait peu, en particulier, le rôle prépondérant des femmes dans les salons (« elles n’ont ici aucune éducation »46) et le manque de raffinement dont elles faisaient preuve (« Les romaines ont aussi cette habitude vulgaire d’utiliser le voi, elles ont un ton masculin et quelquefois même impertinent […]. La façon qu’elles ont de se mêler de politique gâte toute la société »47). Quant aux cours cardinalices, Verri avait été frappé par la vacuité et la tristesse de certaines réceptions, théâtres d’une comédie mondaine où l’élite de l’aristocratie ecclésiastique exhibait sa magnificence dans une atmosphère pesante. Dans un manuscrit inédit, intitulé Stato presente di Roma, 1779-1780, peut-être composé à la demande de Vienne, Verri comparait la curie « à une respectable matrone dans ses vieux jours, qui commence à divaguer en raison de son âge ». Il soulignait l’« insuffisance, la médiocrité, la faiblesse » des conversations politiques : « beaucoup ignorent ce qui se passe en Europe et n’ont pas la moindre idée des Cours et des princes qui les gouvernent »48. Gorani critiquait lui aussi ces assemblées qu’incommodait toujours « la présence de trois ou quatre cardinaux » : « La civilité romaine veut que l’on applaudisse à chaque phrase que laisse tomber de sa noble bouche sacrée l’éminence qui daigne vous adresser quelques mots »49.
13Verri avait donc trouvé à son retour en Italie, et principalement à Rome, de quoi nourrir ses sombres pensées sur l’état de décadence de l’« esprit italien ». Il en avait conçu une forme d’abattement qui le poussait à se réfugier dans un superbe isolement : « Aime-moi et console-moi de toute cette foutue race que l’on appelle le genre humain », lançait-il à Pietro, en juin 176750. Il s’en était ouvert à André Morellet, dans une longue lettre que ce dernier publia dans ses Mémoires51. Elle s’ouvrait ainsi : « Avant de sortir de mon pays, j’étais misanthrope. En France, je me suis réconcilié avec les hommes. De retour en Italie, je retombe dans ma misanthropie ». Cette lettre, dans laquelle Verri explore les origines socio-politiques des « vices » italiens, vaut surtout pour l’autoportrait moral qu’elle livre de son auteur. Comme en conclusion du Saggio sulla storia d’Italia, il attribuait au morcellement de la Péninsule en une multitude de cours peuplées de « petits princes » et d’« esclaves » l’exacerbation des passions privées, qui rendaient nécessaire la circonspection, la duplicité, la conformité aux vices dominants :
Au milieu de cette corruption presque générale, le petit nombre de gens, doués d’une bonté naturelle, se laisse gâter. À force de rencontrer de méchans hommes, on perd l’amour de l’humanité ; l’enthousiasme du cœur s’éteint pour faire place à cette prudence circonspecte et défiante dont on fait tant de cas parmi nous. Le grand principe de Machiavel, auquel il revient sans cesse, est, que l’homme est méchant ; axiome qui le conduit à des conséquences affreuses, d’ailleurs justement déduites, puisqu’après avoir reconnu l’homme pour un être nuisible, il faut bien le traiter comme tel.
14Cette « défiance » qu’il reprochait tant à ses compatriotes et qui sonnait le glas « de tout enthousiasme vertueux », Verri en avait déjà relevé l’utilité à l’époque du Café : elle devait protéger l’individu contre le ridicule de la sincérité dans une société dépravée. Peu disposé à livrer un combat perdu d’avance, il s’inclinait donc face aux « défauts du caractère des Italiens » et concluait sa missive en ces termes :
Je vous prie, au reste, de ne communiquer à personne de mes compatriotes l’éloge que je fais de notre commune patrie. Ils ne me le pardonneraient pas.
15Verri confia à son frère, quelques mois plus tard, qu’il traversait depuis son retour de France une phase de découragement liée à l’incertitude de sa situation et qui l’avait conduit à parer son tableau de l’Italie de teintes un peu sombres. Sa bonne humeur et sa légèreté coutumières s’étaient alors évanouies : « J’avais perdu mon ton à Paris et à Londres, et même à Rome les premiers mois »52, écrivait-il le 13 août 1768.
16Le premier élément qui contribua à atténuer la morosité du voyageur milanais fut la découverte de la richesse du patrimoine artistique italien. « Énorme ! » (« Gran cose »), s’exclamait-il au printemps 1767, après avoir admiré dans les musées de Florence et de Rome les collections de tableaux et de sculptures : « Je n’ai jamais rien vu de semblable. Dans ce domaine nous sommes des géants, et les Français et les Anglais sont des nains »53. Il manifestait aussi dans sa correspondance, quoique de façon encore laconique, une sensibilité nouvelle au spectacle du paysage urbain et de ses alentours, au charme d’une nature soudain restituée à sa singulière beauté : « La disposition des lieux, la vue de la mer, les eaux abondantes et les ruines de l’antiquité forment un tout si intéressant que je comprends pourquoi les Anglais y demeurent longuement »54. Il profitait d’une escapade à Tivoli pour savourer, au milieu des ruines et des cascades, « les délices d’un véritable Paradis »55. Cette propension à « revaloriser les beautés du paysage et la tradition autochtone », pour reprendre les mots d’A. Bruni56, allait s’accentuer tout au long de son séjour. Verri livrait ainsi à son frère, en octobre 1771, la description d’un déjeuner sur le sable à l’embouchure du Tibre :
Le temps était exquis, la mer calme, la plage magnifique. Nous avons déjeuné sur le sable ; des pécheurs ont grillé des poissons qu’ils ont attrapés pour nous. J’en ai éprouvé un véritable plaisir car la mer me réjouit, lorsque je la regarde depuis la terre bien sûr. Les alentours de Rome côté collines et côté marine sont incomparables57.
17Verri alternait désormais les explorations champêtres et la fréquentation des salons, où il était devenu, à ses dires, « le jeune homme à la mode »58. Ce changement de ton et ce renversement de perspective avaient une cause. L’été 1767, au cours duquel Alessandro entreprit de corriger l’image de la cité qui avait prévalu dans ses premières lettres, fut celui de sa rencontre avec la marquise Margherita Boccapaduli Gentili. « Oh pauvre Alessandro, il est cuit ! Je ne suis plus moi-même. Je n’ai jamais ressenti une passion aussi vive », annonçait-il le 11 juillet : « Pour l’heure, pas question de quitter Rome »59. Longo prit donc congé de lui pour s’acheminer vers Ravenne et Ferrare, tandis que Verri demeurait en compagnie de Margherita, avec le projet vague de poursuivre son tour vers Naples et de remonter vers Venise, dès la fin des chaleurs estivales. Sa vie durant, il entretint avec cette femme mariée, de six ans son aînée, une relation sentimentale complexe, parfois orageuse, qui allait faire de lui, tour à tour, son compagnon, son intendant, son confident, son homme à tout faire. C’est elle qui le tira de sa posture de misanthrope pour l’attacher éternellement à Rome. Et elle devint pour Pietro, au fil des années, à mesure que s’éloignait la perspective d’un retour d’Alessandro, la métonymie de cette ville vaine et futile, qui avait ravi son frère à une plus haute destinée. C’est avec méfiance et circonspection qu’il avait accueilli cette nouvelle inattendue :
Que veux-tu que je te dise, cher Alessandro ? Bien sûr, il serait mieux de ne pas avoir de fièvre lorsqu’on voyage ; l’érudition que te donnera une femme ne vaut pas celle que te procurera le reste du pays que tu t’étais proposé de visiter. […] J’ai dans mon cœur un peu d’espoir que ta fièvre soit retombée à présent ; tu me décris avec sincérité et sans précaution l’état actuel de son âme et il n’est pas impossible que tu te sois rendu compte, à l’heure qu’il est, de quelque artifice et que tu te sois réveillé. Pour te parler franchement, je ne crois pas que l’on puisse aimer vraiment un homme de passage pour quelques semaines, fût-il Adonis. C’est pourquoi je pense que tu te leurres60.
18Il écartait, en août, toute tergiversation (« Tu n’as aucun espoir raisonnable d’échapper à un retour à la maison »61), en laissant entendre à son frère qu’il disposait pour toute alternative d’obtenir à Milan une rente annuelle qui lui permît de conserver son rang, ou de mener à Rome une vie de dénuement et d’humiliations, maux supérieurs à ceux qu’il tentait de fuir loin de Milan. Ces mots furent reçus comme « une douche froide » par Alessandro, pour qui Pietro avait trahi l’esprit sentimental de leur correspondance en devenant « logicien »62. L’aîné dut s’incliner, au prix d’un déchirement dont sa correspondance se fit longtemps l’écho. Cette Rome qui ne devait être qu’un lieu de passage allait devenir une patrie d’adoption ; cette Rome qui avait été pour Pietro une terre d’exil et d’humiliation serait pour son frère la scène de ses succès littéraires et mondains. Rien ne le prédisposait pourtant à prendre goût à une ville qui n’avait suscité en lui qu’« indignation et compassion » à son arrivée63. Mais, pour reprendre les mots de Chateaubriand, Verri faisait partie de ces « voyageurs qui, venus à Rome dans le dessein d’y passer quelques jours, y sont demeurés toute leur vie »64.
19Ce choix de s’installer définitivement dans la capitale des États pontificaux, Alessandro dut sans relâche le justifier auprès de son aîné, car Pietro ne parvint jamais, malgré ses promesses, à abandonner ses instances pour le faire revenir à Milan, ni à cesser ses tractations pour lui procurer, contre son gré, « une situation dans sa patrie »65. Il l’avait d’abord engagé, en juin, à entrer au service du sénateur Nicola Pecci, directeur du Collège fiscal qui l’attendait « à bras ouverts »66, afin d’entamer une carrière dans la magistrature. Le projet avait le soutien du comte Gabriele. Alessandro commença par poser ses conditions (« Je n’accepterai rien de servile ni de subalterne »67), puis déclina l’offre arguant de sa « timidité » maladive qui constituait un obstacle insurmontable à l’exercice de toute charge publique68. Pietro insista. Il lui écrivait en octobre 1767 que Paolo Frisi avait suggéré à Pecci de lui confier la chaire de droit public de l’Université de Pavie. Le sénateur avait même proposé à leur père de détacher cette chaire à Milan, par commodité. Le poste était prestigieux et Alessandro ne pouvait, comme le rappelait Pecci, le refuser sans se faire du tort. Tout en se défendant d’avoir pris part à cette « cabale pour [le] soustraire à Rome », Pietro n’en invitait pas moins son frère à accepter cette proposition qui lui aurait permis de séjourner à Rome deux fois par an, voyage qu’il s’engageait même à financer. « Pense en plus que tu rentres pour mortifier cet ennemi imbécile de Beccaria », ajoutait-il69. Alessandro, excédé d’être « traité comme un enfant »70 fut libéré sans grand dommage de l’engagement pris en son nom ; mais cet « imbroglio »71 mit en péril l’entente entre les deux frères.
20Fondant ses espoirs – il ne s’en cachait plus – sur l’usure de ses relations avec la marquise Boccapaduli, cette « coquette » dont il doutait de la sincérité, Pietro réitéra régulièrement ses propositions. En avril 1768, après en avoir discuté avec Henry Lloyd, il invitait son frère à composer un « code de lois pour le Milanais », en prévision des réformes à venir72. L’aîné aiguillonnait son frère, qui assurait pourtant ne pas être mû par l’ambition. Il concevait des projets impensables, comme celui de voir Alessandro et la marquise s’installer à Paris, où son frère publierait son histoire d’Italie pour recevoir la consécration européenne qu’il méritait73 ! « Renoncez à vos idées de m’élever ne serait-ce que d’un doigt hors de la douce obscurité où je me trouve », répondait Alessandro74. Le mois suivant, Pietro, désormais connu pour être à Milan l’une des personnes les mieux informées des affaires de Rome grâce à la correspondance de son frère, lui faisait part de son projet de le recommander à Firmian comme chargé d’affaires, en un temps où Vienne se disait peu satisfaite de son ministre le cardinal Alessandro Albani75. Encore une fois, Alessandro se déroba : il craignait les « dangers » auxquels l’exposerait une carrière d’« espion occulte » au service du gouvernement autrichien et refusait de s’immiscer dans le « terrible guêpier » des ambitions diplomatiques76. Pietro s’en affligeait. Il voyait dans ces décisions l’influence de la marquise : « Tu es devenu extrêmement timoré quant à ta propre valeur. […] Tu as à tes côtés, je le crains, quelqu’un qui ne te le répète pas autant que tu le mériterais »77. En 1776, puis en 1778, il lui fit encore miroiter un poste de « vicaire de provision » à Milan78, mais sans plus de succès.
21Ces multiples propositions permettent de reconstituer le champ des « possibles », nous le disions en introduction, qui s’étaient offerts à Verri : il aurait pu mener une carrière, sans doute brillante, dans la magistrature ou la diplomatie, grâce au soutien de sa famille et des hautes protections dont il jouissait à Milan et à Vienne. Pietro était confiant sur ce point (« Le comte Firmian, Pecci, Castelli, Greppi, tous manifestent à ton égard de l’empressement et de l’estime ; Corte a de l’enthousiasme pour toi et, comme tu le sais, il se trouve à Vienne. […] Jouis du présent, fonde tes espoirs en l’avenir, qui t’est assuré, et fais confiance à ton Pietro »79). Alessandro lui-même finit par admettre, en 1782, à la mort de Firmian, qu’il avait peut-être perdu une occasion précieuse en déclinant la proposition de carrière diplomatique que lui avait faite le ministre en 1767, à son retour en Italie :
Sans doute serais-je bien plus satisfait de moi si j’avais suivi ses projets bienfaisants. […] Il n’y a rien que je regrette davantage au monde que de ne pas avoir accepté ce parti et je ne dirai jamais à quiconque de l’avoir refusé, sauf à toi qui es au courant, car c’est une trop étrange conduite80.
22Mais « le cœur et la jeunesse »81 avaient tranché. Et l’insistance de Pietro à défendre un choix qui, pour autant qu’il fût l’expression d’un profond attachement fraternel, contrariait les aspirations d’Alessandro, contribua à radicaliser l’opposition de ce dernier. Ce faisant, leur correspondance avait trouvé, en 1767, le ton qu’elle conserverait jusqu’au début des années 1780 : avec constance, Pietro tenterait de convaincre son frère de revenir auprès des siens ; avec ténacité, Alessandro y résisterait : « Je te redis et je te répète que les emplois publics ne feront jamais que mon malheur […] Mon bien véritable réside dans la littérature et l’amitié, et rien d’autre, rien d’autre que cela »82.
Servitude amoureuse
23En octobre 1767, Alessandro quitta l’auberge pour étrangers de la Via della Croce, entre le Corso et la place d’Espagne, où il séjournait depuis son arrivée. Il emménagea dans un deux-pièces situé à « un tir de pistolet » du palais Gentili, résidence de la marquise83. Un an plus tard, il se rapprochait encore pour occuper un appartement de cinq pièces, Via Rasella, qui disposait d’un mur mitoyen avec le palais Gentili. Il put ainsi se servir du cuisinier et du Maître de maison de la marquise pour son économie domestique84.
24Margherita Boccapaduli Gentili (1735-1820), née Sparapani, avait dix-huit ans lorsqu’elle épousa, en 1754, le marquis Giuseppe Boccapaduli, fils cadet d’une illustre famille romaine. En 1760, le patrimoine de ce dernier, joueur invétéré et connu pour sa désastreuse prodigalité, fut mis sous tutelle par un décret pontifical de Clément XIII, qui lui interdisait de contracter de nouvelles dettes. Cette décision obligeait Giuseppe Boccapaduli à retourner vivre sous le toit de ses parents et permit à Margherita (« d’un commun accord », précisait Alessandro85) d’occuper seule le palais Gentili, séparée d’un mari avec qui elle ne s’entendait guère et dont elle n’avait pas eu d’enfant. Elle avait, très jeune, hérité des biens importants de ses deux oncles, le cardinal Antonio Saverio Gentili et le chevalier Filippo Gentili, morts en 1753, avant de devenir à la mort de sa mère Costanza Giori Sparapani, en 1779, l’unique usufruitière de la vaste fortune familiale. Son nom et son patrimoine, administré notamment par son secrétaire Domenico Genovesi, lui permirent de mener, dans une relative indépendance, une existence fastueuse et de réunir autour d’elle les plus beaux esprits de Rome, voyageurs, artistes et hommes de lettres86.
25Femme de goût, gracieuse à défaut d’être véritablement belle, la marquise possédait une grande curiosité intellectuelle, associée à une sensibilité exacerbée. Alessandro Verri la décrivait en ces termes :
Un cœur noble, simple, généreux, sincère, tendre et capable de transports, voilà le fond du caractère de M[argherita]. Les qualités de son esprit se résument à ses sentiments. Elle est cultivée, dotée d’une imagination vive et charmante, parle français mieux qu’aucune autre femme ; elle aime la littérature. Ses livres préférés sont ceux de Racine et la Nouvelle Eloyse, qu’elle a dévorés avec transport d’un bout à l’autre87.
26L’attachement semble avoir été immédiat et réciproque. Intime de la marquise, proche de sa mère également, qui le consultait souvent pour des conseils de lecture, Alessandro finit par emménager dans le palais Gentili, où les appartements du rez-de-chaussée lui furent réservés. Il assurait vivre « une passion de cœur, vraiment de cœur et non de personne ou de figure » et prêtait en retour à Margherita une attirance « non physique, mais d’âme »88. « Je me sens frère de Margarita et fils de sa mère », confiait-il encore à Pietro, en 1772. La familiarité et l’habitude se substituèrent au feu des premiers temps. Il devint l’homme de confiance, puis le factotum du palais Gentili, gardien avisé de l’économie domestique qui n’hésitait ni à veiller aux cuisines ni à polir les sols pour épargner quelques deniers89.
27Bien loin de la « féerie »90 que certains se sont plu à y voir, cette relation fut souvent une épreuve. Quoiqu’elle vécût séparée de son mari, Margherita ne pouvait cesser de le fréquenter tout à fait : il se trouvait dans une situation financière qui requérait son secours et les appuis dont elle disposait à la cour pontificale. Verri, qui ne le mentionne qu’à de très rares exceptions, appréciait peu cette présence lointaine mais vigilante91. Il goûtait moins encore le ballet des courtisans qui entouraient la marquise au théâtre ou dînaient avec elle dans ses appartements. La rumeur prêtait en effet à cette dernière un certain nombre de relations galantes : « calomnies », répliquait Alessandro, « médisance geignarde de quelque prétendant éconduit, et qui méritait de l’être »92. Mais il avait fini par ouvrir les yeux : « Cette défiance, alors que je ne vis que pour elle, […] m’a aigri, m’a ébranlé, a plongé mon âme dans une intense agitation »93, écrivait-il à Pietro dès l’automne 1767. Quel ne fut pas son désarroi lorsque la marquise convint avec son mari, en 1772, de se lier d’amitié avec « un jeune homme avenant et ami du Pape » – peut-être l’archéologue Ennio Quirino Visconti94 –, dont les relations pouvaient servir sa cause. Rongé par « la passion féroce de la jalousie », Verri fut contraint de le côtoyer sans laisser paraître son animosité, de crainte de s’exposer aux « persécutions » du mari95. Il en conçut une rancœur durable à l’égard de la marquise. Celle-ci lui transmettait pourtant des billets de protestations composés dans le style tourmenté des héroïnes de romans sentimentaux, Julie d’Étange ou Clarisse Harlowe, dont elle avait lu les lettres en 1771 :
26 avril 1772. – Oh mon bonheur perdu, où as-tu fui ! Cette cordialité, cette confiance réciproque, la joie sur ton visage, l’intérêt pour mon repos me faisaient oublier les circonstances critiques où je me trouve ; oui ! ce temps, où a-t-il fui, pourquoi a-t-il disparu ? Je perds la faculté de penser, mais je ne perdrai jamais celle de sentir96.
28Verri ne savait plus que croire : « Je passe du calme au désespoir, de la douleur à la tendresse, mais jamais le soupçon ne me quitte », confiait-il à son frère97. « Oh passions douces et funestes, vous n’êtes pas faites pour les cœurs comme le mien d’une infinie sensibilité ! »98. Il pensait de nouveau au départ. Pietro l’encourageait à reprendre la route de Naples en passant par Lorette et la Romagne, puis de se diriger vers Venise avant de rentrer à Milan. Mais jamais Alessandro ne put se résoudre à quitter celle qui était devenue « le poison de son existence », comme il l’annonçait sans détours au comte Antonio Greppi, en 1778, et dont la jalousie possessive ne lui laissait pas d’échappatoire :
Je ne sais pas même pourquoi je reste à Rome, mais il est certain que j’y suis rarement heureux : j’y reste parce que ce sont des scènes à chaque fois que je tente de m’en aller, comme cet hiver ; j’y reste parce que je ne parviens pas à surmonter le dégoût d’un retour humiliant après une jeunesse perdue pour une folie, avec pour seule consolation de baiser la main d’un père qui n’a pas de cœur et qui serait le premier à me couillonner. […] Je connais si bien la marquise que je ne m’aviserai certes pas de la qualifier ici d’adorable, cela fait des années que je ne lui attribue plus cette épithète. Mais je suis par ailleurs tellement lié à elle, que je ne peux partir qu’au prix d’une rupture, et cela implique bien des scènes, impossible de faire autrement99.
29Le jeune homme insouciant qui voulait fuir les contraintes domestiques s’était fourvoyé à Rome en une servitude amoureuse dont il n’avait plus le courage de s’affranchir : « Je voudrais être libre et cette chaîne me pèse plus que je ne saurais l’exprimer », écrivait-il en octobre 1782100. Il avait tenté, en août 1774, une fugue à Frascati dont il était rentré dix-neuf jours plus tard, sur les instances pressantes de la mère de la marquise101 : tout éloignement, toute infidélité supposée, provoquait chez Margherita des crises « de désespoir, d’indignation, des transports dignes de l’enfer ou de l’Hôpital des fous »102.
30Ce tumulte affectif lui faisait ressentir plus vivement la précarité de sa situation. Indisposé par les « visites inquisitrices »103 d’un certain abbé De Rossi qu’il pensait mandaté par sa mère, Alessandro confiait l’embarras dans lequel le plongeaient certaines rumeurs de mariage, d’enfant caché et, plus grave, d’athéisme qui circulaient sur son compte à Rome : « Quelle folie singulière et diabolique que de confier cette atroce médisance à une dame qui m’estime, pour me faire perdre le crédit dont je jouis auprès d’elle ! »104, s’emportait-il en février 1770.
31Conscient d’être le seul des frères Verri à n’avoir « pas d’état »105, il restait, en outre, tributaire de la générosité de ses proches. « Je suis contraint de t’annoncer que je suis pauvre », écrivait-il à Pietro en 1773106, alors que des dépenses de santé et la souscription à l’édition toscane de l’Encyclopédie l’avaient laissé démuni. En complément d’une pension « dérisoire »107 versée par le Collège des nobles jurisconsultes, puis d’une faible rente de l’Ordre de Saint-Étienne dont il fut nommé chevalier, il avait obtenu quelques subsides de son père. Le comte Gabriele n’avait pas l’obligation juridique de le soutenir et ce n’est qu’à force de tractations que Pietro Verri était parvenu à soutirer en faveur de l’absent une rente modeste de deux cents écus annuels108, équivalente à celle dont il aurait eu besoin pour vivre sous le toit paternel. « Quand arrive mon semestre de cent écus, j’ai l’impression qu’un miracle s’est produit. Je vis de tes bienfaits, c’est une certitude », écrivait Alessandro son frère109. À cette somme, qui ne couvrait qu’une partie de ses besoins, estimés aux alentours de 28 écus mensuels, s’ajoutait l’argent alloué par Pietro : « Le premier de mes cadets, exilé depuis déjà quinze ans, n’a pas cent sequins l’an de revenu stables et aurait souffert de la faim et de la pauvreté si mon amitié n’avait pourvu à ce que l’équité aurait dû lui garantir », écrivait-il ses Memorie originali110. Il transmit à son frère, avec une infaillible régularité, des lettres de change dont il notait le montant exact sur un feuillet – qui servit par la suite au décompte des dettes et crédits de chacun lors du règlement du conflit de succession, dans la seconde moitié des années 1780. Alessandro, de son côté, ne manquait jamais d’accuser réception chaque mois des subsides de son « cher bienfaiteur »111 : « Je te dois tout », reconnaissait-il112. Ces aides étaient toutefois insuffisantes pour lui procurer le digne train de vie auquel il aspirait ; insuffisantes aussi pour lui permettre de se passer des bienfaits dont la marquise le gratifiait, et qu’il vivait comme une humiliation supplémentaire :
Je vis chez elle comblé de toutes sortes d’amitiés, aussi bien de sa part que de celle de sa mère. Mais tout cela peut et doit changer. Si j’avais les moyens d’exister en société comme l’exige ma naissance, je pourrais la fréquenter moins souvent, et cette conduite l’impressionnerait peu à peu, car rien ne la fait davantage changer de sentiments que le fait de la négliger113.
32Ces moyens, il ne les avait pas. Convaincu de l’impossibilité de quitter Rome sans passer pour un ingrat aux yeux de la marquise, résolu à ne jamais céder à la « solution humiliante »114 d’un retour à Milan qui l’aurait exposé aux railleries de ses compatriotes, il lui fallait supporter les « mortifications »115 auxquelles l’exposait sa médiocre situation dans les milieux de l’aristocratie romaine. « Si vous voulez m’aider et me libérer de cette chaîne, procurez-moi une existence », exhortait Alessandro116 – aveu d’impuissance d’un cadet tiraillé entre son aspiration à l’autonomie et la conviction de ne pouvoir la conquérir seul.
Notes de bas de page
1 AV 489.1, frontispice.
2 Voyage, 10 janvier 1767, p. 163.
3 Ibid., 18-21 novembre 1766, p. 108.
4 Lettre de Giuseppe Aubert à P. Verri, du 26 janvier 1767, citée dans F. Diaz, Per una storia illuministica… cit., p. 396, note 76 : les remarques de Baldasseroni concernaient notamment « la conjuration des Pazzi, où il est indiqué que l’archevêque Salviati a été pendu, ce qui n’est pas vrai ; mais ne pourrait-on pas ajouter à cela que les Florentins excommunièrent le Pape Sixte IV en cette occasion, au cours d’un synode de leurs évêques ? »
5 Voyage, 21 février 1767, p. 304, et 26 février 1767, p. 316-317.
6 Ibid., 13 mars 1767, p. 353.
7 Ibid., 1er mai 1767, p. 409.
8 Ibid., 13 avril 1767, p. 391.
9 Saggio sulla storia d’Italia, p. 296.
10 Ibid., p. 320.
11 Voyage, 31 mars 1767, p. 369.
12 Ibid., 9 mai 1767, p. 413.
13 Carteggio, I-1, 20 juin 1767, p. 395.
14 Carteggio, I-2, 22 août 1767, p. 33.
15 Ibid., 8 septembre 1767, p. 59.
16 Ibid., 16 septembre 1767, p. 64.
17 Ibid., 12 septembre 1767, p. 67.
18 Parfois « Rotherfort », ou « Rutefrut » : banquier anglais qu’Alessandro avait rencontré à Livourne. Voir Carteggio, II, 3 septembre 1768, p. 20.
19 Du reste, Verri ne se priva pas, à Rome, de faire lire son texte à un cercle d’amis. Charles-Victor de Bonstetten relate dans ses Souvenirs avoir eu en main, à Rome, en 1774, le manuscrit de la Storia (« une histoire d’Italie dans le goût de l’histoire universelle de Voltaire », dit-il dans ses Souvenirs, Paris, 1832, p. 80). Sur la polémique curieuse entre Bonstetten et son copiste autour de ce manuscrit, voir ibid., p. 81-83, et C. Cordié, Ideali e figure d’Europa, Pise, 1954, p. 59-69.
20 Carteggio, I-2, A. Verri, 21 août 1767, p. 38.
21 Voir C. Capra, I progressi della ragione… cit., p. 148-150.
22 Carteggio, I-2, 6 février 1768, p. 162.
23 Ibid., 9 avril 1768, p. 237.
24 Ibid., 16 avril 1768, p. 249.
25 Carteggio, IX, 5 novembre 1777, p. 155.
26 Ibid., 18 novembre 1777, p. 163-164.
27 Voir Carteggio, V, lettre d’A. Verri, 1er février 1772, p. 16 et AV 488.10, fol. 2, « Inviti dello stampatore Tommaso Masi di Livorno a stampare la mia Storia d’Italia ».
28 Carteggio, EN, VIII, 24 novembre 1792, p. 186.
29 Carteggio, I-1, 27 juin 1767, p. 409.
30 Carteggio, I-2, 16 septembre 1767, p. 75.
31 Carteggio, II, 16 novembre 1768, p. 78.
32 J. de Lalande, Voyage d’un François en Italie fait dans les années 1765-1766, V, Paris, 1769, p. 131-132.
33 Carteggio, I-1, 20 mai 1767, p. 370.
34 Ibid., p. 376.
35 Sur l’état de l’économie romaine, voir R. De Felice, Aspetti e momenti della vita economica di Roma e del Lazio nei secoli XVIII e XIX, Rome, 1965 ; V. E. Giuntella, Roma nel Settecento, Bologne, 1971 ; H. Gross, Rome in the Age of Enlightenment. The Post-Tridentine Syndrome and the Ancien Régime, Cambridge, 1990, p. 88 et s.
36 Carteggio, I-1, 22 mai 1767, p. 375.
37 Carteggio, XII, 6 avril 1782, p. 244.
38 Ibid., 22 juin 1782, p. 325. Voir également les lettres du 3 juillet 1773 (Carteggio, VI, p. 84), du 3 septembre 1774 (Carteggio, VII, p. 19), ou encore du 10 août 1782 (Carteggio, XII, p. 356).
39 Carteggio, I-1, 29 mai 1767, p. 376.
40 Sur cet aspect, voir mon article « In questa bellissima patria de’ Scipioni si sta sempre temendo di morire di fame » : lettura critica del governo pontificio nelle lettere di A. Verri dal 1767 al 1816, dans Dimensioni e problemi della ricerca storica, à paraître.
41 Lettere, 3 août 1808, p. 689.
42 Ibid., 18 mai 1816, p. 1014.
43 G. Giarrizzo, G. Torcellan et F. Venturi (dir.), Illuministi italiani, t. VII, Riformatori delle antiche repubbliche, dei ducati, dello Stato pontificio e delle isole, Milan-Naples, 1965, p. XXIII.
44 Carteggio, I-1, 24 juin 1767, p. 404.
45 Ibid., 10 juin 1767, p. 386.
46 Ibid., 20 juin 1767, p. 401.
47 Ibid., 10 juin 1767, p. 386.
48 Voir G. Sommi Picenardi, Di Alessandro Verri, dans ASL, juin 1880, p. 315. Il s’agit d’un texte de dix-neuf pages dont nous n’avons pas retrouvé de trace. Sommi Picenardi suppose qu’il fut commandité par une personnalité politique lombarde ou par Joseph II, qui se rendit à Rome en 1771.
49 J. Gorani, Mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernements et des mœurs des principaux États d’Italie, II, Paris, 1793, p. 151.
50 Carteggio, I-1, 10 juin 1767, p. 387.
51 A. Morellet, Mémoires… cit., p. 188-191. Le manuscrit de la lettre, du 27 mai 1767, est conservé à la bibliothèque municipale de Lyon (ms. 2582). Elle présente de fortes similitudes avec celle adressée à Pietro Verri le 15 mai 1767 (Voyage, p. 419-422).
52 Carteggio, I-2, p. 391.
53 Voyage, 15 mai 1767, p. 420, et Carteggio, I-1, 17 juin 1767, p. 399.
54 Ibid., 8 juillet 1767, p. 421.
55 Ibid., 24 juin 1767, p. 405.
56 A. Bruni, In margine al carteggio di Pietro e Alessandro Verri, dans Studi e problemi di critica testuale, 24, Bologne, 1982, p. 120.
57 Carteggio, IV, 23 octobre 1771, p. 260.
58 Carteggio, I-1, 15 juillet 1767, p. 532.
59 Ibid., 11 juillet 1767, p. 422-423.
60 Carteggio, I-1, 18 juillet 1767, p. 426.
61 Carteggio, I-2, 8 août 1767, p. 17.
62 Ibid., 4 août 1767, p. 19 et 20.
63 Carteggio, I-1, 20 mai 1767, p. 370.
64 Lettre à M. de Fontanes du 10 janvier 1804, citée dans Y. Hersant (éd.), Italies. Anthologie des voyageurs français aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1988, p. 105.
65 Carteggio, I-2, 9 octobre 1767, p. 79.
66 Carteggio, I-1, 20 juin 1767, p. 395. La proposition est plusieurs fois formulée entre février et juin 1767.
67 Voyage, 10 février 1767, p. 308.
68 Carteggio, I-1, 27 juin 1767, p. 408-409.
69 Carteggio, I-2, 17 octobre 1767, p. 92-93.
70 Ibid., 13 octobre 1767, p. 97.
71 Ibid., lettre de P. Verri, 14 octobre 1767, p. 87.
72 Ibid., 16 avril 1768, p. 243.
73 Ibid., 7 mai 1768, p. 264.
74 Ibid., 23 avril 1768, p. 258.
75 Ibid., 21 mai 1768, p. 284-285.
76 Ibid., 28 mai 1768, p. 299.
77 Ibid., 4 mai 1768, p. 261.
78 Carteggio, VIII, 16 novembre 1776, p. 205 ; Carteggio, IX, 3 juin 1778, p. 306.
79 Carteggio, I-1, 4 juillet 1767, p. 411. Ilario Corte (1723-1786), ami intime de P. Verri, fut directeur des archives du Sénat, puis des archives gouvernementales ; Antonio Greppi (1722-1799) fut directeur de la Ferme mixte, puis conseiller à la Chambre des Comptes ; quant à l’abbé Giuliano Castelli, proche de Firmian, il passait pour l’un des hommes les plus influents du gouvernement milanais.
80 Carteggio, XII, 26 juin 1782, p. 329.
81 Carteggio, I-1, 11 juillet 1767, p. 423.
82 Carteggio, I-1, 27 juin 1767, p. 408.
83 Carteggio, I-2, 4 mai 1768, p. 269. Le palais Gentili Del Drago se situe à l’actuel n° 71 de la Via in Arcione, à Rome. Il fut en partie détruit lors de la construction du tunnel sous le Quirinal et de la Via del Traforo en 1900. Une plaque apposée sur sa façade commémore Alessandro Verri.
84 Carteggio, II, 3 décembre 1768, p. 87.
85 Carteggio, EN, VIII, 20 octobre 1792, p. 151.
86 Sur cet aspect, voir M. Pieretti, Margherita Sparapani Gentili Boccapaduli : ritratto di una gentildonna romana… cit.
87 Carteggio, I-2, 5 septembre 1767, p. 54.
88 Carteggio, V, 18 juillet 1772, p. 140.
89 Voir ibid., 11 avril 1772, p. 55 ; Carteggio, XI, 19 mai 1781, p. 327-328 ; Carteggio, EN, VIII, 24 mars 1794, p. 651.
90 Voir C. Cordié, Ideali e figure d’Europa… cit., p. 55.
91 Carteggio, III, 24 février 1770, p. 200.
92 Carteggio, I-2, 5 septembre 1767, p. 55. Morellet lui prêtait une relation avec Jacques-Laure Le Tonnelier, bailli de Breteuil (1723-1785), ambassadeur de Malte auprès du Saint-Siège et collectionneur d’art (Mémoires… cit., p. 169).
93 Carteggio, I-2, 12 septembre 1767, p. 67.
94 E. Q. Visconti (1751-1818), archéologue réputé, nommé conservateur de la bibliothèque vaticane par Pie VI avant de devenir bibliothécaire du prince Chigi, était un familier du salon de la marquise Boccapaduli. Connu pour ses sympathies républicaines, il devint en 1798 membre de l’Istituto nazionale della Repubblica romana, fondé par Monge sur le modèle français de l’Institut, puis s’exila à Paris à la chute de la République, où il fut nommé directeur du Musée des antiquités du Louvre.
95 Carteggio, V, 6 mai 1772, p. 69 et 70.
96 Ibid., 20 mai 1772, p. 86-87.
97 Ibid., 9 mai 1772, p. 77.
98 Ibid., 6 mai 1772, p. 73.
99 Lettre du 23 mai 1778 citée dans C. A. Vianello, Dal carteggio inedito di Alessandro Verri con il conte Antonio Greppi, dans ASL, fasc. 3 et 4, juillet-décembre 1939, p. 435-436.
100 Carteggio, EN, VII, p. 41.
101 Carteggio, VII, 13 août 1774, p. 13 : « Je suis parti ce matin à l’aube, écœuré par les jalousies de la marquise. J’ai laissé un billet à la mère et sa fille et je me suis échappé ».
102 Carteggio, EN, VII, p. 38.
103 Carteggio, III, 30 décembre 1769, p. 141.
104 Ibid., 24 février 1770, p. 200-201.
105 Carteggio, VI, 2 avril 1774, p. 209.
106 Ibid., 16 octobre 1773, p. 130.
107 Carteggio, X, 9 août 1778, p. 45. Pietro la percevait en son nom et la reversait à son frère (ibid., 21 août 1779, p. 354). Voir aussi Carteggio, EN, VIII, note p. 263.
108 Carteggio II, 26 novembre 1768, p. 84.
109 Carteggio, VI, 4 août 1773, p. 99.
110 P. Verri, Memorie originali… cit., p. 643.
111 Carteggio, IV, 13 mars 1771, p. 160.
112 Carteggio, II, 3 mai 1769, p. 265.
113 Carteggio, VI, 6 avril 1774, p. 215.
114 Ibid., p. 216.
115 Carteggio, X, 14 octobre 1778, p. 103.
116 Carteggio, VI, 6 avril 1774, p. 215.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le Thermalisme en Toscane à la fin du Moyen Âge
Les bains siennois de la fin du XIIIe siècle au début du XVIe siècle
Didier Boisseuil
2002
Rome et la Révolution française
La théologie politique et la politique du Saint-Siège devant la Révolution française (1789-1799)
Gérard Pelletier
2004
Sainte-Marie-Majeure
Une basilique de Rome dans l’histoire de la ville et de son église (Ve-XIIIe siècle)
Victor Saxer
2001
Offices et papauté (XIVe-XVIIe siècle)
Charges, hommes, destins
Armand Jamme et Olivier Poncet (dir.)
2005
La politique au naturel
Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle
Fabrice D’Almeida
2007
La Réforme en France et en Italie
Contacts, comparaisons et contrastes
Philip Benedict, Silvana Seidel Menchi et Alain Tallon (dir.)
2007
Pratiques sociales et politiques judiciaires dans les villes de l’Occident à la fin du Moyen Âge
Jacques Chiffoleau, Claude Gauvard et Andrea Zorzi (dir.)
2007
Souverain et pontife
Recherches prosopographiques sur la Curie Romaine à l’âge de la Restauration (1814-1846)
Philippe Bountry
2002