Chapitre 5. Le café : du réformisme éclairé au scepticisme moral
p. 79-108
Texte intégral
1Dans le manuscrit de l’adresse Au lecteur qui devait ouvrir le volume de la première année du Café, Pietro Verri consacrait la transformation des Pugni, « petite société unie par les nœuds d’une amitié réciproque, et par un génie commun pour les lettres », en un comité de rédaction1. Concepteur, maître d’œuvre et principal contributeur du périodique au cours de ses deux années d’existence, il endossa la plupart des responsabilités éditoriales, déléguant à ses collaborateurs – Beccaria, Lambertenghi, Biffi, Longo, Visconti et, surtout, Alessandro Verri – le reste de la charge rédactionnelle.
Genèse du Café et contribution d’Alessandro Verri
2Si l’on excepte les publications officielles, instruments souvent arides de l’administration publique (comme la Gazzetta di Milano, qui égrenait les nouvelles politiques), le journalisme en Lombardie se limitait pour l’essentiel aux gazettes savantes, qui proposaient estratti ou résumés d’ouvrages récents2. La situation n’était pas très différente en dehors des frontières du Duché : en 1764, le Giornale de’ Letterati de Pise n’existait pas encore, la Gazzetta Veneta de Gasparo Gozzi avait cessé de paraître et les Novelle letterarie du Florentin Giovanni Lami accueillaient principalement des recensions. Le seul périodique polémique et virulent, auquel se heurtèrent d’ailleurs les rédacteurs du Café, était la Frusta letteraria de Giuseppe Baretti (le « Fouet littéraire »), dont les vingt-quatre numéros parurent à Venise de 1763 à janvier 17653. Moraliste irrévérencieux, censeur implacable des modes littéraires et du monde académique, Baretti, qui écrivait sous le pseudonyme d’Aristarco Scannabue, vit son périodique interdit de diffusion au terme de sa deuxième année par le gouvernement de Venise.
3Annoncé dès 1763 par Pietro Verri dans son almanach satirique Il Gran Zoroastro4, Le Café ne reprenait pas les formules éprouvées de la tradition érudite. Tout en préservant, notamment à ses débuts, le ton parodique et critique des premiers écrits de Verri, il ménageait une ouverture en direction de nouveaux champs du savoir scientifique (médecine, astronomie) et l’élaboration de propositions de réformes en matière de littérature, de droit ou de morale. C’est hors d’Italie que les rédacteurs du Café disaient avoir puisé leur inspiration. Deux modèles d’envergure européenne sont invoqués en introduction. Le premier est l’Estratto della letteratura europea, imprimé par Fortunato Bartolomeo De Felice à Berne, de 1758 à 1762, puis à Yverdon jusqu’en 1766, et grâce auquel, affirmait Pietro Verri, « des hommes qui étaient auparavant romains, florentins, génois ou lombards deviennent tous pour ainsi dire européens »5. Rédigé en italien, l’Estratto offrait une synthèse de l’actualité culturelle des principales villes d’Europe et fut l’un des vecteurs de pénétration en Italie des Lumières françaises6. Le second modèle est celui du journalisme anglais, invoqué à travers les noms de Steele, Swift, Pope et surtout d’Addison7, dont la revue The Spectator (1711-1712) avait connu une immense fortune européenne par le biais de sa traduction française8. Beccaria écrivait ainsi à André Morellet, le 26 janvier 1766 :
Persuadés avec mes amis que les ouvrages périodiques sont un des meilleurs moyens pour engager les esprits incapables de toute application forte à se livrer à quelque lecture, nous faisons imprimer des feuilles à l’imitation du Spectateur, ouvrage qui a tant contribué à augmenter en Angleterre la culture de l’esprit et les progrès du bon sens9.
4Nouveau lieu de sociabilité et de culture à l’aube du XVIIIe siècle, le café y apparaissait déjà comme le cadre fictif des échanges et de la conversation – une idée que Gozzi avait ensuite reprise dans l’Osservatore veneto10, avant que ne s’en empare la société des Pugni. Mais leur Café, par l’âpreté de certaines revendications, se distinguait du ton apaisé d’un Addison. La référence au modèle anglais visait en premier lieu à rendre manifeste la volonté de rupture des rédacteurs milanais vis-à-vis de la tradition journalistique italienne, une tradition, jugeait Romagnoli, « riche d’élégance formelle, mais pauvre, en ces années-là, en œuvres pensées et rédigées dans le but de diffuser avec une efficacité courageuse auprès d’un public de “citoyens” les principes d’une nouvelle ère civile et politique »11.
5Force est de constater la singularité du Café vis-à-vis des modèles même dont il se revendiquait. Défini par Ricuperati comme un « très haut exemple de journalisme d’opinion et de propagande »12, le périodique se proposait d’encourager les réformes du gouvernement de Vienne contre les résistances locales et de « réveiller les esprits »13 des citoyens lombards. Ce faisant, il devait aussi servir les ambitions de ses rédacteurs. La haute fonction publique n’était pas d’un accès facile : d’une part, les carrières dépendaient principalement de la faveur du chancelier Anton Kaunitz-Rietberg ou du ministre plénipotentiaire Charles de Firmian ; d’autre part, dans une administration en pleine réforme où voyaient le jour de nouveaux organes, tels que le Conseil suprême d’économie créé en novembre 1765, de nouvelles compétences étaient requises. Et les Lombards, comme l’observe Raponi, ne pouvaient espérer constituer une classe dirigeante et accéder aux postes les plus élevés de la bureaucratie « sans un profond renouveau des études, notamment des études juridiques et des autres disciplines telles que le droit public, le droit administratif et l’économie publique, c’est-à-dire les sciences camérales », disciplines qui ne prendraient leur essor en Lombardie qu’après le plan de réforme de l’enseignement supérieur (et de l’Université de Pavie) mis en œuvre par le gouvernement autrichien en 1771-1773, pour répondre précisément à cette nécessaire modernisation des outils de formation de la classe dirigeante milanaise14. En ces années de transition, les jeunes aristocrates des Pugni firent le choix d’agir comme groupe de pression intermédiaire entre l’administration et le public des lecteurs. Faisant du périodique l’instrument d’une reconnaissance de leur mérite intellectuel, ils entendaient par ce biais se montrer aptes à « constituer une nouvelle classe gouvernementale, occuper les postes clé de l’administration, se procurer les titres et les compétences pour pouvoir y accéder, éclairer les gouvernants sur la nécessité et l’esprit des réformes »15.
6Le Café parut de juin 1764 à octobre 1766, à Brescia puis à Milan. L’entreprise éditoriale toucha véritablement à sa fin dès le mois d’avril 1766, au moment de la livraison du feuillet XXXIII. Au cœur de ce numéro, l’article À Demetrio d’Alessandro Verri, qui consacrait l’évolution des rédacteurs du périodique en « écrivains politiques »16, résonnait comme une conclusion. Plus de cinq mois s’écoulèrent avant que Pietro, au lendemain du départ de son frère et de Cesare Beccaria pour Paris, en octobre 1766, ne reprenne la plume pour achever un ample traité de divulgation scientifique Sur l’inoculation de la variole. Dictée par les circonstances, l’interruption du périodique presque six mois avant le début du voyage à Paris trahissait la difficulté de tenir chaque mois un rythme de publication élevé – un feuillet tous les dix jours –, alors même que le noyau originel de la rédaction se trouvait diminué par les départs ou les retraits. Alfonso Longo avait quitté Milan pour Rome en octobre 1765, Paolo Frisi s’était rendu à Paris en mai 1766 et Beccaria avait considérablement réduit la fréquence de ses contributions : son dernier article, Les plaisirs de l’imagination, datait d’août 1765. La saison des polémiques et de l’irrévérence s’éloignait, notamment pour les plus âgés des collaborateurs, qui étaient entrés dans l’administration des Habsbourg. Pietro Verri, « nouvel astre du firmament politique milanais, après bien des années de mortification »17, avait obtenu à la fin de l’année 1765 de hautes responsabilités dans les nouveaux organes économiques et un siège au Conseil des soixante décurions de Milan. Le travail de l’académie des Pugni avait porté ses fruits, sans doute au détriment de la cohésion originelle du groupe. Venturi évoque avec justesse la dissolution du comité de rédaction « en ses différents éléments politiques, littéraires, scientifiques qui pendant deux ans avaient cohabité et s’étaient réciproquement enrichis et approfondis dans la boutique encyclopédique du bon cafetier Demetrio »18. Aux rêves et aux regrets de Pietro Verri, longtemps désireux de « reconstruire Jérusalem » et « recréer un périodique »19, aux illusions que nourrissaient la nostalgie d’une époque révolue et la solitude dans laquelle l’avait plongé le départ de son frère, Alessandro opposait un constat froidement lucide : « Je vois bien que le temps du Café a été un moment d’enthousiasme littéraire qui ne reviendra pas si facilement »20.
7L’« enthousiasme littéraire » d’Alessandro Verri – qui fut après son frère le contributeur le plus actif du périodique – est attesté par une feuille autographe (AV 485.1) comportant la liste des auteurs lus au cours des années 1763-1764, classés par catégories. Cette liste, qui démontre la capacité des Milanais à se procurer les ouvrages français et anglais récents pour s’insérer dans le courant du renouveau de la pensée européenne contemporaine, révèle un programme de travail éclectique, quelque peu désordonné mais riche, principalement porté vers le droit, l’histoire et la littérature, tout en s’ouvrant largement à la catégorie des sciences et des arts (nautique, architecture militaire, médecine, agriculture, arithmétique, astronomie, mécanique et chimie). On y relève la présence d’auteurs classiques grecs et latins, en histoire et belles-lettres (Polybe, Tacite, Horace, Virgile), une forte représentation de la littérature européenne des XVIIe et XVIIIe siècles, avec un intérêt déjà marqué pour l’Angleterre et le théâtre (« Pope. Milton. Adisson. Le teatre Anglois. Rec[ueil] de pieces angloises […] Racine. Molière. Corneille. Metastasio. Goldoni. Fontenelle. Marmontel »). On trouve également mention des grands titres du journalisme anglais : The Idler (1758-1760), de Samuel Johnson, The Tatler et The Guardian, de Richard Steele, auquel contribuèrent Joseph Addison et Alexander Pope, ainsi que The Spectator. Une vaste catégorie « Métaphysique et morale » fait la part belle aux auteurs des Lumières, historiens notamment, dont les noms sont parfois orthographiés de façon fantaisiste (« Loke, Condilliak, Elvetius, Hiume, Montagne, Rousseau, Bruyere, Rauchefoulcaut […], Montesquieu »). Sont également mentionnés l’économiste Véron de Forbonnais (« Fubonais »), auteur en 1754 des Éléments du commerce, jugés de façon très positive par Pietro Verri dans Le Café et dans sa correspondance21, ainsi que les grands représentants des sciences naturelles, Buffon, Haller et Gessner.
8En matière de théologie, si la présence de Bossuet ne surprend pas, il faut noter la présence de textes de Pascal, Nicole et Arnaud, qui témoignent certainement de la sensibilité du jeune auteur du Saggio di morale cristiana pour le débat politico-théologique du jansénisme français, dont Pasta a mis en lumière la pénétration en Italie par le biais des libraires toscans dans les années 174022.
9Enfin, l’une des catégories les plus étoffées est celle du droit, qui convoque les noms des grands juristes et jurisconsultes des XVIIe et XVIIIe siècles, souvent cités en ces années par Pietro Verri et Cesare Beccaria, ce qui peut attester d’un patrimoine de lectures commun. Sous l’étiquette « Jurisprudence civile » figurent Samuel von Cocceji (« Coccej »), dont l’œuvre de réforme et de codification du droit prussien sous Fréderic II est louée dans De Justinien et de ses lois, ainsi que l’Allemand Johann Gottlieb Heinecke (« Eineccio ») et le Français Jean Domat (« Domas »), tous deux cités dans la première version manuscrite du Raisonnement sur les lois civiles pour leur œuvre de rationalisation des codes, exposée « avec méthode et clarté » afin « de conférer de l’ordre à ce qui n’en a pas »23. En matière de « Jurisprudence criminelle », apparaît aux côtés de Beccaria, dont sont cités les Délits, le nom de Johann Georg Graeve (« Johannes Grevius »), auteur d’un ouvrage contre les abus de la torture (Tribunal reformatum, Hambourg, 1624) qui peut être considéré comme précurseur de la lutte contre les injustices des procès24 et qu’Alessandro Verri avait lu et annoté25. Sont également mentionnés, dans la catégorie « Politique », Jacob Friedrich von Bielfeld, philosophe et historien cité notamment dans les Observations sur la torture de Pietro Verri26, et Emmerich de Vattel, juriste représentatif du renouveau du droit, auteur du Droit des gens ou principes de la loi naturelle que Pietro Verri possédait dans l’édition de Leyde de 1758, où se trouve une idée proche de Beccaria sur la nécessité de peines proportionnées au préjudice causé à la société. Vattel était également cité par Alessandro Verri dans Le Café, dans l’article De quelques systèmes du droit public, pour avoir su dépouiller la science du droit « des chimères et des équivoques, en la réduisant à un système d’idées, et non de mots »27.
10Comme en écho à cette liste profuse, les interventions d’Alessandro Verri dans le périodique se distinguent d’abord par leur diversité, avant de se spécialiser, au cours de la seconde année, dans le domaine du droit civil. Mais le contraste reste saisissant entre la liberté stylistique, la fantaisie d’invention et l’impertinence du caffettista, et la restriction à venir de son écriture, marquée à partir des années 1770 par l’adhésion à la tradition érudite et arcadienne. En dépit de quelques paradoxes et contradictions, Alessandro Verri parvient, dans Le Café, à développer un discours cohérent, structuré autour de trois principaux domaines d’intérêt : la question linguistique, dont l’enjeu dépasse la seule bataille contre le pédantisme littéraire ; la question juridique, marquée par le rejet du droit naturel ; et la question morale, où se dessine une réticence à emprunter la voie du progressisme éclairé.
La langue des « choses » et la mission de l’homme de lettres
11« Que le siècle des choses renaisse encore une fois pour nous, et que le savoir serve s’il est possible, à polir et à orner la société, au lieu de rendre l’esprit sec, et de faire naître sur une vieille phrase des disputes frivoles qui ne finissent point ! ». C’est par cette déclaration annonciatrice du Café que Francesco Algarotti achevait sa préface du Newtonianisme pour les Dames, publié en 173728. Le vif débat qui, tout au long du XVIIIe siècle, opposa en Italie les tenants d’une conception patrimoniale de la langue, conçue comme un objet à préserver de la corruption du goût, aux partisans de l’innovation et de l’ouverture aux influences étrangères, était une reformulation de l’éternelle « question de la langue ». L’Académie de la Crusca demeurait le temple de la tradition puriste, toscane et archaïsante, dont l’instrument de diffusion officiel, le Vocabolario, dominait le panorama lexicographique de la Péninsule29. Ce conservatisme linguistique, en un siècle marqué par la diffusion massive de textes issus de la culture française et anglaise des Lumières et par la spécialisation du vocabulaire technique – en matière d’économie, de médecine ou d’histoire naturelle –, pesait sur le monde italien des lettres et des sciences. Alors même que de nouvelles terminologies faisaient leur apparition avec leur lot de néologismes et de gallicismes au contact des lettres (théâtre, roman) et du monde savant (par l’intermédiaire de réimpressions ou de traductions encyclopédiques)30, les censeurs florentins restaient indéfectiblement attachés à une conception rhétorique et littéraire de la lexicographie. Ce n’est qu’en 1783 que le grand-duc de Toscane Pierre-Léopold réforma cette institution désormais déclinante et contestée, en l’ouvrant aux études scientifiques et techniques, en particulier dans le domaine de l’agriculture.
12S’inscrivant dans le sillon d’une production satirique anti-académique nourrie en Italie, d’Algarotti à Giuseppe Baretti31, Verri ouvrait le quatrième numéro du Café par une Renonciation par-devant notaire des auteurs de cette feuille périodique au Dictionnaire de la Crusca, dont le mot d’ordre était de « préférer les idées aux mots »32. Leitmotiv du Café, la formule « Des choses, pas des mots » (Cose, non parole) allait devenir en Italie l’emblème de ce que De Sanctis nomma la « nouvelle littérature », la littérature de la « grande régénération »33. Son enjeu était double : il s’agissait d’opposer au culte de la rhétorique et de la forme les maîtres-mots de simplicité et d’intelligibilité ; et d’imposer, ce faisant, la nécessité d’une langue « nationale », qui pût répondre à une exigence pratique de fonctionnalité et de communication, au détriment de toute considération régionaliste ou ornementale. Cette « langue nationale » – l’expression apparaît dans l’Essai de législation sur le pédantisme34 –, Alessandro Verri la concevait en opposition à la solution de l’« italien illustre » défendue par l’Académie toscane. « Nous voulons prendre ce qui est bon quand bien même cela se trouverait aux confins de l’univers », expliquait-il dans la Renonciation35. Guidé par une approche du langage comme signe d’idée inspirée des théories sensualistes de Condillac – et sans doute aussi de la Lettre à l’Académie de Fénelon, publiée en 171636 –, Alessandro Verri voyait dans l’évolution du lexique un facteur de modernisation du monde des idées. Il n’était pas le seul dans l’équipe du Café à relever cette corrélation entre langage et culture. Beccaria, qui considérait les textes et « dictionnaires classiques et autorisés » destinés à fixer la langue comme des « chaînes pour l’envol d’un esprit hardi », affirmait dans son Fragment sur le style : « quand une langue connaît des changements rapides, c’est un indice sûr d’une révolution dans les idées de la nation qui la parle, et de la nature du changement de la langue on pourra déduire le changement des idées »37. Plus volontariste, Alessandro Verri invitait dans son article Des défauts de la littérature et de quelques-unes de leurs causes à accomplir cette « révolution » :
Ne craignons pas les mutations dans le domaine de la langue. Si nous devons progresser dans le domaine de la raison, nous devons nécessairement les faire. Aucun changement dans les idées d’une nation ne peut advenir qui ne concerne également le moyen par lequel on les exprime. Peut-être doit-on l’immobilité de notre langue, qui depuis Pétrarque jusqu’à nous n’a pratiquement pas changé, à l’immobilité de nos idées38.
13La réflexion linguistique de Verri, à l’enseigne du rationalisme, le conduisait à appréhender le langage dans sa dimension civile plus que littéraire. Les questions du goût et du génie étaient évacuées : le besoin d’une langue « nationale » répondait d’abord à la nécessité d’élargir le public des lecteurs. Le choix de la forme journalistique, et non celle du livre, justifié par Beccaria dans l’article Des feuilles périodiques, répondait précisément à ce projet de passer d’une élite aristocratique à un public bourgeois, plus nombreux mais aussi moins cultivé : « on ne s’adresse ni aux hommes sublimes, ni aux hommes stupides et rustres », précisait-il, mais à « tout citoyen non manuel » ; de telle sorte que, toutes les connaissances utiles véhiculées par le périodique étant « plus universellement cultivées, elles mènent au bonheur d’un État »39.
14« On écrira pour être entendu de tout le monde, puisque l’on ne doit écrire ou publier que pour faire savoir au plus grand nombre possible ce que nous savons nous-mêmes »40, avait auparavant affirmé Alessandro Verri dans l’Essai de législation sur le pédantisme. Dans ce texte, comme dans ses articles Conversation tenue dans le café et Mémoire à l’attention de notre maître très respecté, Verri transposait son propos en termes économiques : à l’obsolescence de l’érudition, ce rapport à la culture imaginé sur le modèle du mercantilisme colbertiste, fondé sur l’octroi de privilèges commerciaux, la constitution de monopoles et l’accumulation de devises, il opposait l’idée moderne de libre circulation des savoirs dans l’espace public. « Contre le luxe de l’éloquence, le gâchis du pédantisme, l’avarice de l’érudition »41, ce renouveau linguistique devait aboutir, dans l’esprit des rédacteurs du Café, à une autre forme de relation entre gouvernants et gouvernés, permise par l’adoption d’une langue fonctionnelle destinée à la formation des consciences, à la production et l’échange des savoirs. Le brouillon de l’Essai de législation sur le pédantisme recelait une profession de foi en faveur du projet encyclopédique d’un commerce universel des esprits :
Les sciences et les lettres, et toutes les connaissances humaines, doivent être des devises courantes ; il ne faut pas les enfermer dans des coffres verrouillés, ni les dissimuler au vulgaire profane, mais les distribuer sans imposture à quiconque les recherche sincèrement, en facilitant ainsi le commerce le plus salutaire de la raison humaine42.
15Beccaria reprenait, dans Des feuilles périodiques, le parallèle entre la circulation monétaire et la circulation de l’information à l’échelle européenne grâce à la diffusion des périodiques, érigés en symbole de la pensée moderne en mouvement43. « L’Europe entière est une seule nation », renchérissait Alessandro Verri dans Des défauts de la littérature et de quelques-unes de leurs causes : « La presse diffuse aujourd’hui les découvertes récentes ; et les lumières nouvelles se diffusent en un instant de Londres à Reggio de Calabre »44. Le raccourci géographique reliait la plus éloignée des provinces méridionales au nord de l’Europe éclairée. La réflexion linguistique du Café finissait ainsi par s’émanciper du cadre strictement italien du débat académique, pour rallier la dimension plus large de la bataille de la raison contre les forces conservatrices.
16La critique de la Crusca était l’acte transgressif et libérateur par lequel les caffettisti marquaient d’emblée leur distance vis-à-vis du monde académique et – plus largement – d’une culture de caste, devenue l’instrument de préservation du vieux monde. La réforme culturelle du Café reposait sur la destitution des usages et des survivances de l’âge désormais révolu de la domination espagnole du duché de Lombardie : c’est toute la littérature de la cour qui était visée, l’ornementation du vieux discours, la langue de la flatterie ou de l’hommage courtisan, la littérature d’occasion et de célébration. Les rédacteurs entendaient bien bousculer les canons traditionnels de la prose, inventer un nouveau langage journalistique, fondé sur une syntaxe simplifiée, un style alerte, un ton volontiers humoristique et provocateur. En ces pages où « jubile une jeunesse triomphante »45, comme les définissait Alessandro Verri en 1767, la « sénile prudence » des « graves ignorants » était balayée par un « feu juvénile »46. Le saut de génération n’était plus pensé sur le modèle de la transmission d’un héritage : l’élargissement souhaité du public des lecteurs passait par un affranchissement des règles, des codes, de la surveillance dont la langue et le savoir faisaient l’objet. D’où une posture radicale, faite d’anti-classicisme et d’anti-dogmatisme, que résumait l’irrévérence enjouée de la Renonciation : « Toutes ces règles que le pédantisme capricieux a introduites et consacrées, nous ne les respecterons aucunement. […] Nous voulons, nous entendons et nous proclamons écrire et penser avec toute cette liberté qui ne porte pas atteinte à ces principes que nous vénérons »47. Dans son article Les révérences, Verri feignait, avec une affectation érudite et moqueuse, de vouloir composer un Traité mathématico-politique des révérences dans lequel établir une typologie codifiée des différentes révérences. Le corps humain s’y réduisait à une série de figures géométriques, de bâtonnets mobiles, contraints en postures corsetées et empruntées. Il transposait ainsi dans le domaine des usages mondains ses positions sur la langue : de même que le langage codifié de la Crusca n’était plus le véhicule d’un savoir utile ni d’une véritable sensibilité littéraire, de même, la gestuelle sociale, langage corporel de pure forme, était devenu un artifice de convention qui recouvrait une parfaite vacuité affective. Hypocrites, ces gesticulations cérémonieuses ne traduisaient ni l’attachement, ni l’amitié, qui étaient pour le groupe du Café, l’essence de la sociabilité. Réunis sous la plume du satiriste, la grammaire et les usages courtois n’étaient que les ornements de surface d’une absence de sens, les symptômes d’une société satisfaite de son propre spectacle.
17Si la visée civile des lettres prévalait dans le discours d’Alessandro Verri, les letterati ayant pour vocation d’être « les maîtres de l’humanité » et les fondateurs d’une nouvelle morale publique48, les préoccupations littéraires n’étaient cependant pas tout à fait absentes. « Des choses, pas des mots » : cela signifiait aussi opposer à la littérature mensongère et formaliste, conçue comme un jeu de l’esprit, une littérature « sincère », « honnête » et sensible. Annoncé par Pietro Verri dans son article Aux jeunes gens d’esprit qui craignent les pédants49, le culte de la sensibilité trouvait son expression la plus aboutie sous la plume d’Alessandro Verri, au cours de la seconde année du périodique. Parmi ses articles, Des défauts de la littérature et de quelques-unes de leurs causes examinait les raisons de la médiocrité des lettres italiennes – un thème amplement traité dans les discours académiques et les ouvrages d’historiographie littéraire de la seconde moitié du XVIIIe siècle50. « Le sentiment délicat du cœur, le langage des passions, la robuste, la libre imagination ne sont pas une affaire d’industrie ni de doctrines mécaniques », affirmait Verri, qui s’emportait contre la tyrannie en Italie de l’« esprit grammatical », de la « logique » et de la « dialectique »51. Il convenait d’être « sublime »52. Le terme ne désignait plus ici le style et les sujets élevés de l’esthétique classique, mais il ne se rattachait pas encore à la catégorie du sublime burkien (il faudra pour cela attendre Les Aventures de Sapho, en 1781) : il désignait un haut degré d’intensité dans l’expression de l’âme. Verri expliquait :
Les grands poètes, les grands orateurs, tandis qu’ils composent, n’ont à l’esprit aucune règle, aucun précepte ; mais ils sont agités par un sentiment très vif des choses […]. L’enthousiasme s’associe mal à la réflexion et au souci scrupuleux de ne transgresser aucune règle53.
18Pour Verri, usages linguistiques et création littéraire s’apparentent en cela qu’ils doivent être le fruit d’un mouvement transgressif, d’un processus dynamique contraire à « l’esprit d’immobilité »54 prédominant dans les académies de belles-lettres. Le génie, affirme-t-il, sait « délirer »55. L’écriture comme irrésistible nécessité intérieure (« impeto »), la suprématie des « très vives sensations »56, la puissance effective des « passions sublimes »57 : ces choix lexicaux sont constitutifs d’une poétique énergique de la langue, qui annonce déjà la sensibilité alfiérienne58. Deux visages de l’homme de lettres nouveau, et de sa mission, se dessinent ainsi : le réformateur et le génie. Le premier est le philosophe honnête homme, engagé dans l’entreprise de formation morale des citoyens : se définissant en premier lieu par ses qualités éthiques, il a renoncé à l’orgueil et aux cabales littéraires pour devenir bienfaiteur du genre humain et « modèle de vertu »59. Le second est l’écrivain émancipé des écoles, des règles et des cours, qui fait de la littérature le réceptacle de sa sensibilité. Mû par l’enthousiasme, il court le risque de se retrouver isolé dans une société où règne la médiocrité. Mais pour l’un comme pour l’autre, le langage sublime des sentiments (un sublime expurgé des troubles délices de la peur) s’impose comme un puissant vecteur de communication et de diffusion des idées, dans la mesure où il repose sur un substrat commun à l’ensemble des hommes. « Le sentiment n’a jamais tort »60 : Verri résumait ainsi l’heureuse conjonction entre vérité et sensibilité, rappelant le pouvoir d’émulation (d’« émotion ») dont disposent auprès des peuples le réformateur sincère et le poète. Ce faisant il s’engageait sur la voie d’une remise en cause des fondements rationalistes de la pensée réformatrice, qui allait progressivement s’imposer dans ses articles sur le droit et la morale.
La modernisation du droit civil lombard
19La critique juridique et la critique de la langue prennent leur essor, dans le périodique, à partir de prémisses identiques : une exigence de simplification, de rationalisation et de modernisation. À la bataille contre les « oracles de la Crusca »61 et les « adorateurs des mots »62 répondaient les attaques contre une autre sorte d’« idolâtrie commune » : la « vénération stupide »63 portée aux recueils de jurisprudence romaine, encore en usage dans le droit civil et pénal de l’Italie du XVIIIe siècle ; « les exceptions et les appendices »64, les « préceptes secs et tarabiscotés »65 étaient à la grammaire ce que les compilations de décisions de jurisprudence étaient aux textes de loi : des excroissances inutiles ; l’usage du latin dans les tribunaux rendait la justice incompréhensible au « peuple profane »66 : il s’agissait donc d’adopter la « langue vulgaire »67 et de redéfinir la terminologie spécialisée du droit afin que cette discipline qui codifiait les règles de la vie civile pût s’énoncer en des termes accessibles à tous. Bref, il s’agissait de réordonner le « chaos de la législation »68 – comme auparavant le « chaos des mots »69 – selon les critères du bon sens et de l’utilité. La langue et les lois devaient s’adapter aux besoins et aux usages d’une nation sous peine de devenir anachroniques.
20Le système juridique lombard, dont la critique échut plus spécifiquement à Alessandro Verri dans les pages du Café, était une cible des Pugni depuis 1763 et la parution de l’Orazione panegirica sulla giurisprudenza milanese de Pietro Verri, une apologie parodique du droit lombard qui en dénonçait les abus70. La même année, ce dernier avait réitéré plus gravement dans ses Considerazioni sul commercio dello Stato di Milano son invitation à combattre l’héritage du droit romain en éliminant le « pinaillage juridique » et, surtout, à réformer le Sénat de Milan, « union despotique de la législation et de la judicature »71. Verri n’était pas le seul désireux de voir amoindrie l’autorité de cette institution dont la tutelle sur les pouvoirs législatif et judiciaire s’était étendue sous la domination espagnole du Duché : la nouvelle administration viennoise caressait l’idée d’en finir avec la mainmise sur les affaires politiques de l’ancienne génération de personnel d’État. Puissant facteur d’immobilisme qui assurait la pérennité des traditions pénales, le Sénat de Milan constituait une force d’« opposition irréductible à l’activité législative d’unification et de “légalisation” de l’ordonnancement juridique de la part des souverains »72. De fait, magistrats et sénateurs apparaissaient aux yeux des Pugni comme les figures constitutives d’un « despotisme intermédiaire » qui tentait de s’interposer entre le pouvoir viennois et le peuple – un « despotisme » dont Beccaria avait dénoncé les méfaits dans le § XXVIII des Délits, et à propos duquel Pietro Verri écrivait dans ses Considerazioni sul commercio, transmises à Vienne en 1768 :
Le bonheur public et la vérité bienfaitrice me font désirer que cesse enfin le gouvernement des hommes pour que commence le gouvernement des lois, et que la faculté sacrée de faire les lois soit jalousement gardée par le trône, et non par d’autres73.
21Une étape importante dans la modernisation des institutions lombardes avait toutefois été franchie en novembre 1765, lorsque le Sénat et le Magistrato camerale avaient perdu une partie de leurs prérogatives au profit de nouveaux organes gouvernementaux, le Conseil suprême d’économie et la Giunta economale74. Il est donc peu étonnant de retrouver parmi les thèmes abordés par Alessandro Verri dans ses principaux articles juridiques De Justinien et de ses lois et Raisonnement sur les lois civiles à la fois la critique de la toute-puissance de la magistrature lombarde et la remise en cause d’une législation fondée en grande partie sur des édits romains du VIe siècle. La critique des lois romaines par Alessandro Verri s’articulait autour de deux points : l’inadaptation de codes nés « presque deux mille ans » plus tôt75, et l’arbitraire des juges entretenu par la complexité du droit.
22La principale cible de Verri était le Corpus juris civilis justinianeis, compilation de textes que l’empereur Justinien (527-565) avait fait réunir par le juriste Tribonien. Beccaria y voyait un héritage « des siècles les plus barbares »76 et Verri, qui avait livré dans son Discours sur le bonheur des Romains un réquisitoire cinglant contre « la férocité des mœurs » romaines77, le rejoignait sur ce point. Il soulignait la disjonction progressive entre les besoins particuliers des sociétés modernes et la teneur du droit civil romain, dont les textes s’avéraient « inadaptables ou inutiles pour nous, en grande partie »78. Lui qui dira, à Londres, apprécier des lois « faites par les Anglais et pour les Anglais, et non par les Grecs ou les Romains comme les nôtres »79, se déclarait, comme en matière de langue, tenant d’une perspective historiciste :
Prétendre à l’immobilité des lois, c’est prier en vain l’inexorable nature. Prières imbéciles ! L’univers est en mouvement, et il ne s’arrête jamais : pourquoi donc les circonstances d’une nation seraient-elles constantes ? Qu’elles changent, et qu’elles suivent les mutations nécessaires80.
23Cette inadaptation des codes juridiques, Verri, qui traitait dans Le Café de droit civil et non pénal, la relevait surtout en matière économique. C’est dans ce domaine que l’inadéquation et les manquements de la législation lombarde étaient les plus graves. Les lois romaines, expression d’une nation guerrière, ne pouvaient s’adapter aux nations modernes où l’esprit du commerce avait « remplacé la “guerre guerroyée” »81. Parues à la suite de l’article sur Justinien, Quelques réflexions sur l’idée selon laquelle le commerce déroge à la noblesse donnaient un exemple précis de ce à quoi devaient tendre les réformes en matière d’économie : favorable à la libéralisation des échanges afin de satisfaire les besoins de la population, Verri préconisait l’abrogation d’un édit espagnol du XVIe siècle qui interdisait aux nobles de pratiquer le commerce, pourtant perçu, notamment en Angleterre, comme l’un des piliers de la prospérité économique et du bonheur des nations.
24À la « vieille politique discréditée »82, celle de la guerre, de la rapine et de l’accumulation, devait se substituer une politique de paix. Sebastiano Franci proposait dans l’article Quelques pensées politiques la notion de « guerre d’industrie »83 pour désigner ce nouvel ordre de relations internationales fondé sur la liberté d’entreprise, le mouvement des capitaux et des biens, dans le but d’assurer l’enrichissement des nations et la paix entre les peuples. Or, en Italie, comme en France, la dérogeance, c’est-à-dire la perte des privilèges pour l’exercice d’une profession basse, avait longtemps constitué un facteur dissuasif. Dans ce contexte était paru en 1756 l’ouvrage de Gabriel-François Coyer, La Noblesse commerçante84, qui incitait la « noblesse enchaînée par l’indigence » à se consacrer aux activités commerciales, devenues « l’âme des intérêts politiques et de l’équilibre des Puissances »85. À sa suite, Verri brandissait des raisons économiques autant que morales pour fustiger « l’indolence » d’une classe issue d’« illustres guerriers », mais privée de raison d’être « une fois que les armes cessèrent d’être utiles »86. Fervent défenseur de l’« esprit d’industrie »87, Verri (comme Longo dans ses Observations sur les fidéicommis) embrassait les nouveaux idéaux de liberté économique, de productivité et de profit. Son article traduisait l’intérêt des caffettisti pour la science naissante de l’économie politique, qui étudiait les moyens dont disposait un État pour satisfaire les besoins de la population et assurer « le plus grand bonheur possible » par le biais d’une réforme des lois. La conquête du bien-être, du confort, du luxe faisait partie des buts assignés à la société moderne et le commerce apparaissait comme l’un des moyens d’y parvenir.
25Cette modernisation du droit était corrélée à une exigence de simplification. Virulent critique des glossateurs du Moyen Âge et en particulier de l’école des commentateurs de Bologne qui domina la science juridique des XIVe et XVe siècles en Italie, Verri relevait l’augmentation au fil des siècles de la masse des corpus légaux, en raison de l’intégration des décisions de jurisprudence, à l’instar des cinquante volumes de Pandectes compilés par Tribonien en complément du Corpus juris civilis justinianei. Ces intégrations avaient contribué à alimenter l’incertitude du droit, miné par les contradictions internes et desservi par l’absence de synthèse. Or la complexité des textes juridiques favorisait l’exercice d’un pouvoir arbitraire de la part des spécialistes à qui l’interprétation en était confiée. Verri, qui reprenait l’un des principes du constitutionnalisme moderne de Montesquieu, exigeait dans son Raisonnement sur les lois civiles que les compétences du législateur soient séparées de celles du juge, dont la fonction devait se résumer à faire appliquer la loi. Il appelait donc à supprimer la marge de discrétion dont disposait le juge, devenu « maître plutôt que le serviteur des lois »88. L’enjeu était de restituer aux lois une stricte inviolabilité – ce que Pietro Verri, en soutien à cette proposition, nommait le « despotisme des lois »89. C’est un Alessandro Verri « beccarien » qui exposait l’essence de cette réforme :
Substituer aux questions les lois, à leur interprétation leur ininterprétable clarté, aux doutes les axiomes, à la prolifération la concision, au particulier l’universel, aux détails l’amplitude de vue, telles sont les seules et véritables réformes à accomplir90.
26Le remède préconisé était radical : « À mon sens, une réforme partielle ne peut suffire », estimait l’auteur du Raisonnement91, qui proposait dans De Justinien de « refonder ou d’abolir » le système existant92. Il ne s’agissait plus d’accommoder ou d’adapter les lois romaines mais bien de démanteler dans son ensemble la tradition juridique de Justinien à Grotius afin de proposer « un nouveau code »93. Cette solution drastique du « trait de plume » pour « détruire des volumes entiers de controverses » et faire table rase des « antiques ruines » de la jurisprudence romaine94, avait pour finalité de mettre un terme à l’accroissement désordonné des sources du droit, devenues par la multiplication des commentaires d’inextricables palimpsestes. Trente ans avant les bouleversements qu’allait connaître le droit européen avec l’apparition des premiers codes juridiques modernes, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Verri anticipait dans Le Café ce que l’historien du droit Adriano Cavanna nommait :
la plus grande révolution de l’ordre juridique dont la culture occidentale ait fait l’expérience : la substitution par un régime moderne et unitaire des codes du traditionnel système pluraliste des sources, hérité de l’époque médiévale, et caractérisé par la présence diversifiée mais toujours fondamentale du droit romain commun95.
27Alessandro Verri, en conclusion de son Raisonnement, laissait à « celui qui a la puissance »96 le soin d’accomplir l’immense tâche de réformer la législation. Partisan d’une simplification et d’une unification des sources du droit confiée à l’autorité de l’État, face aux franges conservatrices de l’aristocratie sénatoriale (juges, magistrats, giurisperiti), il entendait par là, comme l’ensemble des rédacteurs du Café, marquer sa confiance à l’égard de Vienne, dont la relation à la fois distante et bienveillante à la Lombardie apparaissait comme un modèle d’interaction entre le gouvernant éclairé et ses sujets.
De la critique du droit naturel à la critique des mœurs
28S’il apparaît nécessaire à Alessandro Verri de « plier » les lois « au caractère des nations »97, c’est qu’il n’existe pas de norme juridique universelle et immuable : la nature humaine ne le permet pas. À mesure qu’il s’attache à identifier en historien du droit et des mœurs les constantes des comportements humains, qu’il reconnaît dans les conduites passionnelles, il en vient à réfuter l’hypothèse d’une raison naturelle. Il formule, en conséquence, une critique radicale du droit naturel, accusé de fonder un système juridique universel sur une idée abstraite, et donc fictive, de la nature humaine (« Nature, nature, crient haut et fort les publicistes. Nous attendons qu’ils en donnent une définition exacte »98). Mû par un fort pessimisme anthropologique, il en venait à adresser au législateur imprudent une mise en garde contre toute réforme risquant d’ébranler les fondements de l’ordre social.
29La critique du droit naturel se développait dans deux grands articles juridiques publiés au cours de la seconde année du Café : À propos de Carnéade et de Grotius et De quelques systèmes de droit public. Alessandro Verri entreprenait, dans le premier, de défendre les thèses du philosophe grec Carnéade, pour qui le droit relevait d’une convention passée entre les hommes selon le critère de l’utilité publique, contre les remarques du juriste hollandais Hugo Grotius qui postulait au contraire dans De jure belli ac pacis (1625) l’existence en absolu d’un ensemble de règles implicites et évidentes de justice, d’un ensemble de valeurs éthico-sociales universelles, fondées sur la nature rationnelle de l’homme. La pensée de Grotius, qui avait entrepris de « mettre en système les très purs principes du juste »99, trouvait un écho dans le « système de Pufendorf »100, autre représentant de la tradition jusnaturaliste qui, dans De jure naturae et gentium (1672), faisait également dériver les deux fondements du droit – le devoir d’humanité et l’aptitude à la société – de la raison naturelle.
30Verri, lui, récusait l’idéalisme du droit naturel. Il estimait que les normes juridiques avaient été élaborées historiquement, empiriquement, selon les « circonstances d’une nation »101, promulguées selon les nécessités du temps et du lieu pour répondre à une série de nécessités pratiques, notamment celle d’assigner des limites à l’action des individus afin de garantir les conditions d’une vie sociale apaisée – sans, donc, que la valeur des lois ne fût jamais donnée a priori. De ce point de vue, l’auteur de À propos de Carnéade et de Grotius se situait du côté de ce qu’Adriano Cavanna définit, en opposition au droit naturel strict, comme la « conception juspositiviste » : une conception selon laquelle le droit n’existe pas dans l’implicite, mais dérive uniquement de la loi102.
31De prime abord, cette réfutation des doctrines jusnaturalistes peut sembler paradoxal au regard de l’importance qu’elles allaient avoir, à la fin du XVIIIe siècle, dans la modernisation du droit européen que Verri appelait lui-même de ses vœux. Le droit naturel, en reconnaissant l’autonomie de la raison humaine, ouvrait la voie à une laïcisation des normes juridiques, à laquelle étaient favorables les rédacteurs du Café : il signifiait « la négation d’un ordre ontologique supranaturel, et l’affirmation de la libre subjectivité humaine comme source du droit »103. Les interventions de Verri participaient bien de ce recentrement du discours sur l’homme social. Mais c’est précisément sur la définition de l’homme que le possible dialogue entre Verri et les théoriciens du droit naturel achoppait. Il ne s’agissait pas de révoquer en doute la nécessité pour l’homme d’organiser lui-même les conditions de son existence civile, mais bien le postulat selon lequel cette capacité d’organisation dérivait spontanément de sa nature rationnelle et sociable. « Ne soyons pas cartésiens en morale », expliquait-il : « Partons de l’homme et de ses principes, tirons profit de ces derniers, fabriquons sur eux. Il n’y a pas d’autre fondement »104. Replacer l’homme sans « idée de perfection »105 au cœur de la réflexion sur l’origine du droit, répondre à l’abstraction théorique des systèmes juridiques en opposant à une conception rationaliste de la nature humaine une « métaphysique expérimentale de cet être jamais assez connu »106, tel était son projet. Verri était sceptique quant au fondement du droit, utilitariste quant à son but :
Je voudrais que les profonds vestiges d’une haute vertu, pure, désintéressée, indépendante de l’opinion et des besoins, fussent empreints dans le cœur de l’homme. Mais un si doux désir est vain, pour qui plonge ses pensées dans l’esprit humain et en analyse les principes. Je parle de l’homme abandonné à lui-même et à ses seules forces. Si l’on raisonne de pures institutions humaines, d’où est née la justice sinon de la nécessité, d’où sont nées les lois sinon du danger, et le droit sinon des inconvénients ? Ce furent, de même, la nécessité, le danger et les inconvénients qui produisirent cette science que l’on nomme droit public, droit des gens107.
32La pensée juridique et la réflexion morale d’Alessandro Verri se rejoignaient ainsi autour d’une défense du principe de l’utilité (une « utilité bien comprise et constante », « véritable et réelle », « prévoyante et calculatrice »108), tant à l’échelle individuelle qu’à l’échelle sociale, comme principe de comportement et comme fondement du droit. Cette conviction aurait dû permettre à Verri de préserver une forme de confiance en la capacité des sociétés humaines à s’autoréguler. En effet, l’homme, tout rétif qu’il fût au commandement de la loi morale et à l’injonction du « devoir »109, était spontanément conduit à agir en suivant la loi de son intérêt et de son amour-propre, selon le principe de la préservation de soi qui le conduisait à se faire apprécier d’autrui (ce mécanisme social de rétribution et d’émulation était illustré dans Le mensonge et L’ingratitude). En fonction de ce principe, une forme d’équilibre semblait devoir s’instaurer entre les pulsions naturelles de l’individu et les nécessités de l’organisation sociale. « La vertu et notre intérêt sont la même chose », affirmait-il, « tout consiste à calculer dans le moindre détail l’avantage et le désavantage de nos actions »110. Son propos se situait entre l’utilitarisme d’Helvétius111 et l’idéalisme d’un Shaftesubry, dont l’Inquiry concerning virtue or merit, traduite en français par Diderot en 1745, postulait l’existence d’une forme innée de morale (moral sense112) fondée sur les affects privés (selflove et self-interest). Mais Verri pouvait aussi se prévaloir des idées exposées par son frère dans les Méditations sur le bonheur de 1763, où le devoir découlait de l’intérêt (« les deux termes d’intérêt et de devoir ne se distinguent qu’en cela que la première représente le genre et l’autre l’espèce »113) et où « l’amour du plaisir », « seule loi universelle et toujours respectée par les êtres sensibles », se trouvait à l’origine du comportement vertueux114. De cette manière, la quête du bonheur personnel et la satisfaction de l’amour-propre conspiraient au bonheur collectif pour se constituer intuitivement, à travers l’expérience de la société, en valeurs éthiques.
33Mais cet équilibre entre individu et société restait un idéal théorique plus qu’il ne répondait à un constat empirique : à tout instant la suprématie des passions menaçait de le rompre. L’histoire en apportait la preuve : le gouvernement des passions vouait tout autant l’individu à la quête désintéressée du bien commun qu’aux troubles délices de la domination et de la guerre, et Verri oscillait entre l’espoir d’orienter vers le bien ce puissant dynamisme affectif et le renoncement à prétendre contrôler ce qui échappait à toute détermination rationnelle. Il fallait toujours que l’appareil juridique prît le relais de la morale pour encadrer, puissamment, strictement et de façon pérenne une société d’êtres passionnels et impulsifs. Déjà se profilait l’intuition que l’état de barbarie n’était pas moins naturel à l’homme que son état social. La paix devait non seulement être garantie, mais imposée, car, sans force contraignante, la civilisation restait à la merci du délitement. Comme le remarque Philippe Audegean :
Une anthropologie fondée sur la puissance dévorante des passions sert de vestibule à une théorie politique qui met en péril la préservation des libertés publiques. Elle conclut en effet du vide laissé par la raison à la nécessité de s’en remettre à un pouvoir souverain dont la volonté serve de norme et mette ainsi un terme aux conflits incessants qui déchirent la communauté humaine. […] Les prémisses des adversaires du jusnaturalisme semblent les mener tout droit à ce genre de conclusion115.
34Des rédacteurs du Café, Alessandro Verri est celui qui s’engageait le plus franchement sur cette voie. Beccaria, par exemple, qui accordait à la question de l’évolution des mœurs une place importante, montrait « que les passions affaiblies de ses contemporains rendent possible et souhaitable une politique modérée »116. En revanche, Verri justifiait par endroits l’instauration ou la préservation d’un pouvoir politique et juridique assez fort pour imposer l’ordre contre la libre détermination de chacun. En dépit du caractère assertif de la nécessité des réformes à mener et malgré son souhait d’aboutir rapidement à « une totale mutation du système de jurisprudence »117, la conclusion du Raisonnement sur les lois civiles invitait le législateur à la plus grande prudence, pour ne pas favoriser, en affaiblissant le cadre juridique existant, la résurgence d’une tentation anarchique chez le peuple. L’ambitieuse réforme générale se restreignait soudain à une révision des questions liées au commerce, aux testaments, aux dots, au crédit, et le réformateur était convié à accomplir cette tâche « avec cette crainte éclairée avec laquelle les grands législateurs travaillent sur le corps politique »118 :
Les passions humaines heurtent sans cesse contre les institutions sociales ; et si ces dernières ne se renforcent pas et ne se consolident pas, elles cèdent, pour ainsi dire, à cet assaut continu ; et, de même que dans les pays qui craignent la force impétueuse de la mer ou des fleuves, on trouve des magistrats destinés à veiller à la conservation et à la protection des digues, il est de même nécessaire que certaines personnes protègent et conservent les lois119.
35Verri n’était plus le chantre des bouleversements, mais le partisan de la restauration des digues (argini) contre la menace de leur érosion – autre thème qui allait parcourir son œuvre. « Le législateur devra moins édifier que détruire »120 avait-il pourtant affirmé un peu plus tôt dans son article ; mais la stabilité des institutions et la force assujettissante des lois s’imposaient in fine comme les seules garantes de la concorde civile face au péril d’une diffusion inconsidérée de l’esprit critique et au risque d’insubordination qui en découlait. Cette conviction donnait lieu à une seconde mise en garde contre l’agitation populaire dans À propos de Carnéade et de Grotius :
Un tyran me fait horreur, une nation qui lève la main sur son prince me fait horreur, l’abus que l’on peut faire de telles idées me fait horreur. […] Nous autres Européens, nous qui sommes nés sous des formes de gouvernement modérées, nous qui sommes jugés et protégés par les lois […], nous qui sentons tous les bienfaits de la dépendance et aucun de ses maux, si ce n’est ceux qui sont inhérents à toutes les institutions humaines, oserons-nous encore nous demander s’il est licite de perturber l’État et de condamner nos pères ? […] Une telle liberté [de presse] ne nous serait pas accordée si nous ne vivions pas sous des gouvernements modérés, sous lesquels les révolutions sont la seule chose que nous devions craindre et abhorrer. Il suffit de connaître l’histoire pour se convaincre d’une telle vérité. […] Les bons citoyens observent les lois de leur pays, respectent la forme de son gouvernement, abhorrent toute idée de sédition ; je dis que quiconque ignore combien de dommages causent les révolutions ne connaît pas l’histoire […] ; je dis que quiconque enseigne tranquillement qu’un homme privé est le juge de son souverain est un citoyen exécrable ; je dis que de tels dogmes n’ont jamais libéré le monde d’un seul tyran et ont fait le sacrifice d’excellents souverains121.
36Verri manifestait une défiance tout aristocratique et sans cesse plus marquée envers la capacité de la plèbe, guidée par ses instincts et ses appétits, à assimiler la leçon critique du discours des Lumières. Face à l’« abjection des âmes vulgaires », les grands esprits, dont seuls pouvait émaner l’initiative politique et juridique, s’apparentaient à une « race à part », isolée de la multitude de leurs semblables122.
Défiance et mépris philosophique
37Cette idée avait trouvé quelque écho dès les premiers articles d’Alessandro Verri. Il écrivait dans les Pensées écrites par un homme bon :
L’humanité et l’égalité nous interdisent de mépriser amèrement les hommes, mais une juste défiance doit nous rendre prudents lorsque nous leur accordons notre estime. Quiconque le fait sans discernement donne la preuve de son imbécillité123.
38La vertu, pour s’épanouir, exigeait des hommes une réciprocité dont il n’était pas certain qu’ils fassent preuve : mais il ne pouvait y avoir d’estime sans preuve préalable de vertu, ni de bienfaits sans marque préalable d’estime… Verri réitérait sa mise en garde dans L’esprit de société, satire de l’hypocrisie sociale, placée en clôture de la première année du Café (« Choisis, examine qui t’entoure, ne t’abandonne pas dans les bras du premier que tu rencontres en chemin. Réserve tes sentiments à ceux qui les méritent »124). Le cinquième numéro de la seconde année du périodique contenait un article d’une noirceur peu commune, le Petit commentaire d’un galant homme de mauvaise humeur, dont la prose acerbe et cinglante marquait le sombre apogée du scepticisme verrien. L’heure n’était plus à définir « la bonté de cœur » comme « l’âme de la société »125, ni l’amitié comme son « véritable esprit »126 : nous sommes sortis de la barbarie, expliquait Verri, tâchons de ne pas y retomber, et pour ce faire « ayons toujours dans notre esprit une petite cellule destinée à cette grande avant-coureuse de la vérité, la défiance »127. La défiance et non pas la méfiance, car, comme le précise bien le Littré, « la méfiance fait qu’on ne se fie pas du tout ; la défiance fait qu’on ne se fie qu’avec précaution ». La méfiance est l’âme du soupçon ; la défiance, elle, est le terrain du scepticisme, qui était la tonalité dominante du jeune auteur. Elle l’invitait à la précaution et à la vigilance vis-à-vis de ce qui lui paraissait délire de la raison, mensonge et forfanterie. La morale verrienne annonçait ce que Leopardi nommerait dans son Zibaldone, en 1829, le « machiavélisme de société »128 :
Qu’est-ce donc que cette prétendue société ? Vous êtes, il est vrai, les uns à côté des autres […], mais quel est le lien qui vous tient unis ? La force et la crainte. Qu’est-ce donc que cette prétendue fraternité sociale, qu’est-ce donc que ce dicton impertinent selon lequel chacun aime son semblable ? Chacun de vous considère ce qui advient aux dépens d’autrui comme le fond de son propre avantage129.
39Les derniers articles du périodique, en particulier les Digressions sur l’homme aimable, sur l’ennui et sur l’amour-propre, sont marqués par l’expression de cette désillusion. L’amour-propre y apparaît comme la valeur suprême des comportements individuels : il ne s’agit plus ici de l’amour de soi, matrice de l’intérêt bien compris, mais d’un désir de valorisation de soi et domination des autres dont dérivent les passions sociales telles que l’ambition, la rivalité et la jalousie. La société est le lieu d’un apprentissage précoce de la vigilance et de la fausseté :
L’éducation donne généralement à toute la masse sociale des hommes des principes communs de conduite ; et chacun, dans son éducation, a appris à se plier aux défauts d’autrui, à dissimuler ses propres sentiments et à agir avec une décence qui invite davantage à se plaire en société qu’à s’opposer à elle130.
40Verri avait déjà identifié, quelques pages plus haut, ce « pli » hypocrite comme un principe de préservation sociale : « Quel est l’homme aimable ? C’est celui qui se plie et se courbe le plus face à nos passions »131. La dissimulation, constatait Verri, est le creuset de la politesse.
41L’exposition de cette morale « à contrecœur » – puisqu’il s’agissait désormais de réprimer les élans de la sensibilité, de les contenir par nécessité – culminait dans l’article suivant, La vertu sociale, où se dévoilaient au grand jour les douloureuses contradictions de la philosophie morale de Verri. Au terme d’un vibrant plaidoyer pour une relation à l’autre spontanée et sensible, le précepteur se voyait contraint de recommander à son élève « de faire un grand saut en devenant prudent, c’est-à-dire dissimulateur » : « Il faut donc que tu deviennes, ô mon Lucillus, dissimulateur et défiant, quand tu es simple, bon, sincère et très doux »132. Il n’était plus question de louer, comme dans La preuve du cœur, la contagion vertueuse de l’enthousiasme et des passions. Il n’était plus question de supposer que les nations avaient « besoin de certaines grandes passions pour être grandes et heureuses »133. L’idée s’était imposée que « l’homme en société n’est plus capable de grandes passions. La culture les a réduites en miettes »134. Et il fallait conclure de l’invincibilité des vices sociaux à la nécessité de la ruse :
N’espère pas vaincre le vice. C’est un tyran devenu invincible. Il faut l’esquiver, voilà tout ce que l’on peut obtenir. […] Tu es tendre et délicat dans la commisération, vigoureux et magnanime contre l’injustice, sincère et franc dans tes opinions, admirateur enthousiaste des actions sublimes : comment ne serais-tu pas ridicule et incongru aux yeux de l’homme du monde froid, prudent, mesquin, léger, dissimulateur, oblique, adulateur ? […] Il faudra donc, mon Lucillus, que tu réserves à la solitude et à l’amitié les transports de ton âme135.
42Se résoudre aux défauts des hommes, afin de pouvoir vivre parmi eux : le moraliste s’engageait sur la voie risquée de la résignation à sa propre inutilité – à laquelle il refusait néanmoins de céder tout à fait :
Il ne s’agit pas de détruire ta vertu. Malheur à moi, si telle était ma destinée ! Il s’agit de la conformer [piegarla] aux inévitables défauts des hommes136.
43De nouveau, le « pli » était de rigueur : la vertu et l’amitié étaient l’objet d’un sacrifice dont Verri peinait à reconnaître le nom. « Crois-tu que je veuille faire de toi un misanthrope ? Non Lucillus, je veux t’épargner la grande douleur d’avoir affaire à des ingrats »137, ajoutait-il plus loin. Mais le précepteur se laissait aller, dans un ultime et paradoxal renversement, à un éloge vibrant du « feu sacré » de la vertu. « Pardonne ma contradiction », implorait-il son élève : « tandis que je me propose d’éteindre en toi les périlleux enthousiasmes de ton cœur trop grand et trop vertueux pour vivre au milieu de la corruption, je ne peux me défaire de mon style ancien »138. Il faut saisir dans cet article de Verri, l’un de ses derniers dans Le Café, l’emprise grandissante de ses doutes. La contradiction, érigée en mode de raisonnement, traduisait sa difficulté à préserver la ligne éclairée du périodique. Très tôt, la possible indignité des hommes et du public s’était imposée à lui comme une raison suffisante pour restreindre son commerce intellectuel à un cercle de happy few. Ce scepticisme avait trouvé une première formulation dans un passage du Saggio di morale cristiana repris à l’identique dans les Pensées écrites par un homme bon, où l’auteur théorisait un « mépris philosophique » qui avait toutes les apparences de l’indifférence :
Par une funeste expérience des hommes, il nous faudrait supposer que ceux que nous ne connaissons pas sont probablement malhonnêtes. Mais quand bien même notre raison nous conduirait à la découverte de cette terrible vérité, il n’est pas dans notre intérêt de pousser aussi loin nos pensées, car quiconque se persuade que presque tous les hommes sont mauvais, haïssant le genre humain et se détestant soi-même en tant que portion de celui-ci, mènerait une misérable vie de misanthrope, entre l’ennui et la rancœur d’une inimitié inutile. Beaucoup affectent le mépris envers les hommes, et rares sont ceux qui parviennent à les mépriser avec ce mépris philosophique, qui ne suppose pas de haine à leur encontre, mais bien une connaissance intime de leurs défauts et de la petitesse de leur raison139.
44Le philosophe, l’homme de culture et d’esprit n’était pas dissemblable d’un « sauvage du Canada arrivé à Pékin »140 : étranger dans sa propre société, il lui fallait s’affranchir du règne de l’opinion, sans nécessairement la combattre. « Une indifférence raisonnée des hommes vulgaires nous est utile et nous soulage de mille incommodités de la vie »141, répétait Verri. Le « Marcellus » de l’Académie des Pugni perdait de sa pugnacité : il n’était plus le penseur de la rupture et de la modernité, mais se posait à l’écart du genre humain, en observateur impuissant et résigné. Cette tentation du détachement le rendait proche d’un Pomponius Atticus, philosophe retiré du monde et surnom que s’était choisi Beccaria au sein des Pugni. De forts échos thématiques unissaient d’ailleurs les textes des deux rédacteurs. Dans Les plaisirs de l’imagination, Beccaria recommandait « d’acquérir un peu d’indolence philosophique », une « indifférence éclairée des choses humaines », loin de la « foule immense »142. Quelques années plus tard, à Rome, Alessandro Verri confiait à Pietro l’admiration qu’il vouait aux pacifiques vertus d’Atticus, « dont la vie et les mœurs sont un sujet si tranquille et si consolant pour les hommes de lettres qui n’entrent pas dans le tourbillon des révolutions humaines »143.
45Pietro Verri s’était toujours opposé à une pareille conception. Seule l’action (« la vigueur ») pouvait sauver des « Érynnies vengeresses »144 suscitées par le désœuvrement, écrivait-il dans ses Pensées sur la solitude. La solitude n’était acceptable que dans une relation dialectique à la pratique de la société (« les heures de solitude sont nécessaires à qui vit en société, comme les heures de société à qui vit dans la solitude »145). Bonheur et dignité ne se trouvaient que dans la recherche d’un équilibre entre la « bonne compagnie » et le repli individuel (Les délices de la villégiature). À ce titre, Pietro Verri reprochait à son frère d’avoir introduit dans ses articles « une légère teinte de misanthropie »146. Une « teinte » seulement, car Alessandro ne cédait jamais tout à fait, dans Le Café, à la tentation du mépris ou de l’indifférence. Du moins, son propos restait-il suffisamment ambivalent pour que l’on ne sût auquel des deux visages se fier : le satiriste et polémiste, partisan du « rire de Démocrite », ou le moraliste amer que les malheurs de l’humanité affligeait jusqu’aux larmes, à l’instar d’Héraclite d’Éphèse147 ? Verri jouait de cette oscillation entre diatribe et résignation, sans parvenir à dégager de via media : « Tu observeras, tantôt riant, tantôt pleurant, les folies et la cruauté des hommes »148.
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46L’originalité de la contribution d’Alessandro Verri au Café est d’avoir interprété en alternance les rôles du philosophe et du misanthrope. Sa contribution restait marquée tout à la fois par la persistance d’un discours égalitaire empreint d’humanisme et l’aspiration à ce que soit garantie politiquement la « tranquillité » publique, quitte à destituer le peuple, mouvant, imprévisible, indiscipliné, d’une partie de sa capacité de détermination. Laissant ouverte la question de la réforme des comportements, il s’attachait à témoigner de la difficulté d’une telle entreprise à travers une série de renversements paradoxaux. Ses écrits se situaient sur la ligne de partage entre la société libérale naissante, monde de l’échange entre les individus, et la vieille société espagnole, monde de l’apparat, des cérémoniaux et de la dissimulation, dont les vestiges étaient toujours présents. Verri, qui ne tranchait jamais entièrement en faveur de l’une contre l’autre, peinait à définir un nouveau type de sociabilité débarrassé des résidus de la vieille éducation nobiliaire, avec tout ce qu’elle comportait de défiance et de soupçon. En ce sens, il parvint à marquer Le Café de son empreinte, non pas en confortant l’intention qui avait présidé à la conception du périodique (« conquérir du terrain pour la raison »149), mais en éprouvant ses limites. Au regard de sa tentation précoce du repli et de l’indifférence, sa participation au débat public lombard paraissait relever d’une obligation liée à l’entreprise collective du Café, bien plus que d’une conviction intime et durable. Qu’Alessandro Verri fût porté par un courant qui ne correspondait pas entièrement à ses aspirations, son expérience du voyage à Paris allait en faire la preuve. Mais il avait su faire de son activité de caffettista une étape importante vers son émancipation intellectuelle : formulé pour la première fois dans le Petit commentaire d’un galant homme de mauvaise humeur, puis souvent invoqué dans sa correspondance avec Pietro Verri pour marquer sa distance vis-à-vis de ce dernier, l’aphorisme « l’homme ne change pas » (« l’uomo non si muta »150) est le fil rouge de sa réflexion morale jusque dans les dernières années de sa vie. Il reposait sur la conviction que le progrès n’est jamais qu’une victoire éphémère de l’« effort » sur la naturelle « imbécillité » des hommes151. Plutôt que de tenter avec constance l’aventure des « progrès de la raison », Verri s’interrogeait donc assez tôt sur la possibilité de leur échec : « Pour peu que la raison se taise un instant, voilà que règne l’opinion, adieu genre humain, tu retournes à des délires, nous nous reverrons à ton réveil »152. Certes, il travestissait sa voix : la véhémence du Petit commentaire était imputable au tempérament de son narrateur fictif, un honnête homme « de mauvaise humeur » comme le précisait le titre complet de l’article. Mais sous l’apparence du jeu oratoire, Verri laissait poindre une facette de sa réflexion sociale et politique qui allait reparaître dans sa production romanesque, puis, à l’aube du XIXe siècle, dans les Vicende memorabili. La feinte colère du moraliste, sa façon de châtier crûment les vices de ses semblables, de préférer la force des lois à la formation des consciences, présentait avec la vitupération contre-révolutionnaire de troublantes similitudes. L’auteur avait camouflé sous une voix d’emprunt, pour en désamorcer la violence véritable, les convictions qui allaient guider son parcours intellectuel. Il fallait à ce titre saisir dans l’observation sarcastique qui clôturait le Petit commentaire (« Je m’apprêtais à vous menacer d’une terrible conclusion : qu’il faille poser une limite à la philosophie »153) une première manifestation de sa tentation anti-philosophique.
Notes de bas de page
1 Il Caffè, appendice VI, p. 814.
2 Citons la Raccolta milanese (1756-1757), qui accueillait des textes d’érudition ou des inédits puisés dans les archives des familles milanaises, ou encore les Collezioni di Opuscoli. Voir L. Ferrari, Del « Caffè » periodico milanese del secolo XVIII, Pise, 1899, p. 27 et note 3.
3 Sur la polémique avec Baretti, voir G. Francioni, Storia editoriale del « Caffè », dans Il Caffè, p. XCV-CIX.
4 Voir P. Verri, Il Gran Zoroastro ossia astrologiche predizioni per l’anno bisestile 1764, dans ENPV, I, p. 558-560 (21 et 29 juin) et p. 575 (31 octobre).
5 P. Verri, Qu’est-ce donc que ce Café, dans Le Café, p. 45.
6 Sur De Felice, voir F. Venturi, Settecento riformatore. Da Muratori a Beccaria… cit., p. 549-552, ainsi que le catalogue de l’exposition organisée à la Biblioteca nazionale Braidense, Fortunato Bartolomeo De Felice editore illuminista (1723- 1789). Una mostra da Yverdon a Milano, Milan, 1983.
7 P. Verri, Qu’est-ce donc que ce Café, dans Le Café, p. 43.
8 Le Spectateur, ou Le Socrate moderne, Amsterdam, 1714, puis 1744.
9 ENCB, IV, p. 224
10 L’Osservatore veneto, 22 août et 10 octobre 1761. Voir A. Fontana et J.-L. Fournel, Piazza, corte, salotto, caffè, dans A. Asor Rosa (éd.), Letteratura italiana, V, Le questioni, Turin, 1986, p. 635-686.
11 Il Caffè (1960), p. XVI-XVII.
12 G. Ricuperati, Periodici eruditi, riviste e giornali di varia umanità dalle origini a metà Ottocento, dans A. Asor Rosa (éd.), Letteratura italiana, I, Il letterato e le istituzioni, Turin, 1982, p. 929.
13 P. Verri, Qu’est-ce donc que ce Café, dans Le Café, p. 47.
14 N. Raponi, Un discepolo e amico di Beccaria : Francesco Gallarati Scotti… cit., p. 133.
15 A. Fontana et J.-L. Fournel, Piazza, corte, salotto, caffè… cit., p. 674.
16 A Demetrio, dans Il Caffè, p. 752.
17 C. Capra, I progressi della ragione… cit., p. 251.
18 F. Venturi, Settecento riformatore. Da Muratori a Beccaria… cit., p. 738.
19 Voyage, 3 février 1767, p. 230. Voir aussi les lettres de P. Verri dans Carteggio, VI, 9 octobre 1773, p. 126 ; Carteggio, VIII, 14 août 1776, p. 154 ; Carteggio, X, 13 janvier 1779, p. 171-172.
20 Carteggio, IX, 14 février 1778, p. 222-223.
21 Pietro Verri le cite dans Le Café à l’appui de son argumentation en faveur du luxe (Elementi di commercio, dans Il Caffè, p. 30 et Considerazioni sul lusso, p. 162) et loue ses Éléments du commerce dans Voyage, 9 février 1767, p. 262.
22 R. Pasta, Editoria e cultura nel Settecento, Florence, 1997, p. 123-124.
23 A. Verri, Ragionamento sulle leggi civili, dans Il Caffè, p. 955.
24 Voir à ce sujet la note de L. Garlati Giugni dans P. Verri, Osservazioni sulla tortura, dans ENPV, VI, p. 130, note 17.
25 AV 485.12, Miscellanea, fol. 2r.
26 P. Verri, Osservazioni sulla tortura… cit., p. 132 et note.
27 Di alcuni sistemi del pubblico diritto, dans Il Caffè, p. 736.
28 F. Algarotti, Le Newtonianisme pour les Dames, trad. L.-A. du Perron de Castera, Paris, 1739, p. LVII-LVIII.
29 Voir S. Morgana, La lexicographie italienne, de la quatrième édition du « Vocabolario » de l’Académie de la Crusca au « Dizionazio universale critico enciclopedico della lingua italiana », dans Dix-Huitième siècle, n. 38, 2006, p. 39-67 ; G. Grazzini (éd.), L’Accademia della Crusca, Florence, 1968.
30 Voir F. Waquet, « La Lumière… vient de France ». Le livre français en Italie à la veille de la Révolution, dans MEFRIM, 102, n. 2, 1990, p. 240. Sur le rôle médiateur de la langue française dans la diffusion des œuvres en langue anglaise en Italie, voir P. Hazard, L’invasion des littératures du Nord dans l’Italie du XVIIIe siècle, dans Revue de littérature comparée, 1921, 1, p. 30-67. Rappelons que la Cyclopædia de Chambers parut en traduction italienne à Venise (1748-49) et à Naples (1748-54) et que l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert fut rééditée en français à Lucques (1758-1771), puis à Livourne (1770-1779).
31 Baretti moquait le « caquetage de la Crusca » dans le premier numéro de la Frusta letteraria, dans Opere Scelte, I, éd. B. Maier, Turin, 1975, p. 89.
32 Renonciation par-devant notaire…, dans Le Café, p. 81. Voir aussi A. Verri, Pensieri scritti da un buon uomo per instruzione di un buon giovine, dans Il Caffè, p. 198.
33 F. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, Florence, 1960, p. 687 et 706 : « La critique entre en rébellion, elle brise audacieusement ses idoles. […] Elle ouvre le feu contre la vieille littérature, qu’elle baptise sans détour du nom de pédanterie ».
34 Essai de législation sur le pédantisme, dans Le Café, p. 49.
35 Renonciation par-devant notaire…, ibid., p. 83.
36 Sur le lien entre purisme et appauvrissement linguistique, et sur les « parleurs de métier », voir Fénelon, Réflexions sur la grammaire, la rhétorique, la poétique et l’histoire (Lettre à l’Académie), dans Œuvres, II, Paris, 1997, p. 1139 et 1149. La citation d’Horace, dont Fénelon illustre son propos (Art poétique, v. 47-48), est reprise par Verri dans la Renonciation (Le Café, p. 81).
37 C. Beccaria, Fragment sur le style, dans Le Café, p. 97-99.
38 Des défauts de la littérature, ibid., p. 87.
39 Des feuilles périodiques, ibid., p. 105-107.
40 Essai de législation sur le pédantisme, ibid., p. 49.
41 A. Fontana et J.-L. Fournel, Piazza, corte, salotto, caffè… cit., p. 679.
42 Cité dans l’Apparato critico, dans Il Caffè, p. 880-881.
43 Des feuilles périodiques, dans Le Café, p. 103, traduction partielle. Dei fogli periodici, dans Il Caffè, p. 417 : « Ces nouvelles nous rendent presque concitoyens de l’Europe entière ; elles produisent un commerce continu entre les différentes nations et détruisent cette méfiance et ce dédain avec lequel les nations solitaires considèrent les nations étrangères. Tout en Europe tend à nous rapprocher et à nous unir […] ; tout cela, nous le devons à la communion des idées et des lumières ».
44 Dei difetti della letteratura, dans Il Caffè, p. 553-554.
45 Carteggio, I-2, 29 décembre 1767, p. 127.
46 A. Verri, Pensieri scritti da un buon uomo, dans Il Caffè, p. 194.
47 Renonciation par devant-notaire…, dans Le Café, p. 83-85.
48 A. Verri, Voti sinceri agli onesti letterati, dans Il Caffè, p. 556.
49 Il y défend un jugement artistique fondé sur « l’exquise sensibilité » et la « réaction du cœur » (Ai giovani d’ingegno che temono i pedanti, dans Il Caffè, p. 393). Cet article permet de saisir la progressive mutation de la critique du pédantisme en une réflexion sur les enjeux et les « beautés » de la littérature (p. 395), à l’initiative de Pietro et surtout d’Alessandro Verri.
50 Sur cette question, qui parcourt la littérature italienne de la fin du XVIIe à la fin du XIXe siècle, voir A. Gendrat-Claudel, S. Lanfranchi, P. Musitelli et V. Perdichizzi (dir.), « Risorgimento delle lettere » : l’invention d’un paradigme ?, dossier de la revue Laboratoire italien, 13, Lyon, 2013.
51 Des défauts de la littérature, dans Le Café, p. 88-93.
52 Dans le même article : « Les hommes sublimes s’abandonnent à leurs sentiments » ; « les maîtres sublimes […] sont entraînés par leur sentiment » (Dei difetti della letteratura, dans Il Caffè, p. 545).
53 Ibid., p. 558.
54 Ibid., p. 553.
55 Ibid., p. 546.
56 Ibid., p. 545.
57 A. Verri, Des erreurs utiles, dans Le Café, p. 75.
58 Voir V. Alfieri, Del principe e delle lettere [1789], dans Scritti politici e morali, I, éd. P. Cazzani, Asti, 1951, p. 138 et 224. Sur l’« uomo vivissimamente sentendo », voir sa lettre du 10 décembre 1796 à Teresa Regoli Mocenni, dans V. Alfieri, Epistolario, éd. L. Caretti, II, Asti, 1981, p. 197-198.
59 A. Verri, Voti sinceri agli onesti letterati, dans Il Caffè, p. 570.
60 A. Verri, Dei difetti della letteratura, ibid., p. 545.
61 A Verri, Renonciation, dans Le Café, p. 81.
62 P. Verri, Pensieri sullo spirito della letteratura italiana, dans Il Caffè, p. 218.
63 A. Verri, Di Giustiniano e delle sue leggi, ibid., p. 182.
64 A. Verri, Des défauts de la littérature, dans Le Café, p. 89.
65 Ibid., p. 85.
66 A. Verri, Di Giustiniano e delle sue leggi, dans Il Caffè, p. 188.
67 A. Verri, Ragionamento sulle leggi civili, ibid., p. 602.
68 A. Verri, Di Giustiniano e delle sue leggi, ibid., p. 187.
69 A. Verri, Des défauts de la littérature, dans Le Café, p. 89.
70 P. Verri, Orazione panegirica sulla giurisprudenza milanese, dans ENPV, I, p. 422-450.
71 P. Verri, Considerazioni sul commercio dello Stato di Milano (II, 2, § 1), dans ENPV, II, t. 1, p. 227 et 230.
72 A. Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa… cit., p. 231. Sur les modes d’exercice de la justice par le Sénat, voir également A. Monti, Iudicare tamquam deus… cit.
73 Cité dans C. Capra, I progressi della ragione… cit., p. 288.
74 Ibid., p. 249-250. Le Sénat fut aboli en 1786, à l’initiative de Joseph II.
75 Discorso sulla felicità de’ Romani, dans Il Caffè, p. 91.
76 C. Beccaria, Des délits et des peines (Fontana-Tabet 2015), À celui qui lit, p. 62.
77 Discorso sulla felicità de’ Romani, dans Il Caffè, p. 88.
78 Ragionamento sulle leggi civili, ibid., p. 573.
79 Viaggio, lettre à G. Verri, 25 février 1767, p. 484-485.
80 Ragionamento sulle leggi civili, dans Il Caffè, p. 591.
81 C. Beccaria, Des délits et des peines (Fontana-Tabet 2015), note 4, p. 62.
82 A. Verri, Di alcuni sistemi di pubblico diritto, dans Il Caffè, p. 739.
83 S. Franci, Alcuni pensieri politici, ibid., p. 150.
84 L’ouvrage de l’abbé Coyer est mentionné en note de l’article d’A. Verri, Quelques réflexions sur l’idée selon laquelle le commerce déroge à la noblesse, dans Le Café, p. 233.
85 G.-F. Coyer, La Noblesse commerçante, Paris, 1756, citations aux p. 10, 112, 9 et 37. Coyer concluait son ouvrage par des mots durs contre le conservatisme de la noblesse française et faisait de la philosophie, du commerce et du bonheur la trinité fondatrice de la prospérité moderne (p. 151).
86 A. Verri, Quelques réflexions sur l’idée selon laquelle le commerce déroge à la noblesse, dans Le Café, p. 235.
87 A. Verri, Alcune riflessioni sulla opinione che il commercio deroghi alla nobiltà, dans Il Caffè, p. 273.
88 Ragionamento sulle leggi civili, ibid., p. 595.
89 P. Verri, Sulla interpretazione delle leggi, ibid., p. 703.
90 Ragionamento sulle leggi civili, ibid., p. 596.
91 Ibid., p. 595.
92 Di Giustiniano e delle sue leggi, ibid., p. 186.
93 Raisonnement sur les lois civiles, dans Le Café, p. 203.
94 Ragionamento sulle leggi civili, dans Il Caffè, p. 590 et 582.
95 A. Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa… cit., p. 13. Concernant le débat sur la codification, qui remonte au XVIIe siècle, voir I. Birocchi, Alla ricerca dell’ordine. Fonti e cultura giuridica nell’età moderna, Turin, 2002, notamment p. 444-458.
96 Raisonnement sur les lois civiles, dans Le Café, p. 205.
97 Ibid., p. 203.
98 Comentariolo di un galantuomo di mal umore, dans Il Caffè, p. 640.
99 Di Carneade e di Grozio, ibid., p. 714.
100 Di alcuni sistemi del pubblico diritto, ibid., p. 732.
101 Alcune riflessioni sulla opinione che il commercio deroghi alla nobiltà, dans Il Caffè, p. 258. Voir aussi Di Giustiniano e delle sue leggi, ibid., p. 182.
102 A. Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa… cit., p. 322. Selon cette conception, « le droit n’est que droit positif, et plus particulièrement un ensemble de normes contenues dans la loi officiellement promulguée ou reconnue comme telle par l’autorité législative. Dans la perspective positiviste, toute règle de justice qui se trouve exclue de l’ordonnancement juridique formellement en vigueur doit être considérée comme un pur principe éthique privé de toute force d’autorité et de coercition » (p. 323).
103 Ibid., p. 321.
104 Di alcuni sistemi del pubblico diritto, dans Il Caffè, p. 737-738.
105 Ibid., p. 728.
106 Pensieri scritti da un buon uomo, ibid., p. 191.
107 Di alcuni sistemi del pubblico diritto, ibid., p. 726.
108 À propos de Carnéade et de Grotius, dans Le Café, p. 199.
109 Ibid.
110 Alcune idee sulla filosofia morale, dans Il Caffè, p. 688 et 693.
111 Helvétius, De l’Esprit, Paris, 1758, p. 46 et 53 : « Si l’univers physique est soumis aux loix du mouvement, l’univers moral ne l’est pas moins à celle de l’intérêt ».
112 Verri évoquait « les sentiments moraux que possède plus ou moins tout homme » (Alcune idee sulla filosofia morale, dans Il Caffè, p. 689). Sur cette « solution » du sens moral, voir P. Audegean, La philosophie de Beccaria. Savoir punir, savoir écrire, savoir produire, Paris, 2010, p. 82 et la référence bibliographique en note 3.
113 P. Verri, Meditazioni sulla felicità, dans ENPV, I, p. 747.
114 Ibid., p. 745. Voir aussi p. 746 : « L’amour du plaisir me porte à obéir aux lois de l’honnêteté, me maintient sur le chemin de la justice morale et me préserve des remords de la conscience ».
115 P. Audegean, Passions et liberté. Loi de nature et fondement du droit en Italie à l’époque de Beccaria, dans Studi settecenteschi, Naples, 23, 2003, p. 199-200.
116 P. Audegean, La philosophie de Beccaria… cit., p. 83.
117 Di Giustiniano e delle sue leggi, dans Il Caffè, p. 189.
118 Ragionamento sulle leggi civili, ibid., p. 606.
119 Ibid., p. 603.
120 Raisonnement sur les lois civiles, dans Le Café, p. 203.
121 Di Carneade e di Grozio, dans Il Caffè, p. 716-717.
122 Comentariolo di un galantuomo di mal umore, ibid., p. 653.
123 Pensieri scritti da un buon uomo, ibid., p. 189.
124 Lo spirito di società, ibid., p. 402.
125 Le mensonge, dans Le Café, p. 157.
126 L’ingratitudine, dans Il Caffè, p. 153.
127 Comentariolo di un galantuomo di mal umore, ibid., p. 637.
128 « Machiavélisme de société » est le titre d’un projet littéraire que Leopardi envisageait de tirer du Zibaldone. Voir en particulier le § 4501 : « La véritable politesse consiste à marquer de la bienveillance aux hommes [Rousseau, Pensées, II, 222]. Mais l’on ne parvient ainsi qu’à éviter leur malveillance. Pour s’en faire aimer, il faut user de la feinte et fausse politesse, qui consiste à montrer à tous de l’estime » (G. Leopardi, Zibaldone, trad. et éd. B. Schefer, Paris, 2003, p. 2071).
129 Comentariolo di un galantuomo di mal umore, dans Il Caffè, p. 649.
130 Ibid., p. 683.
131 Digressioni sull’uomo amabile, sulla noia e sull’amor proprio, ibid., p. 677.
132 La vertu sociale, dans Le Café, p. 159.
133 Des erreurs utiles, ibid., p. 75.
134 La vertu sociale, ibid., p. 163.
135 Ibid., p. 161-163.
136 Ibid., p. 161.
137 Ibid., p. 167.
138 Ibid., p. 167-169.
139 Saggio di morale cristiana, p. 108-109 ; Pensieri scritti da un buon uomo, dans Il Caffè, p. 190.
140 Lo spirito di società, ibid., p. 398.
141 Pensieri scritti da un buon uomo, ibid., p. 197.
142 C. Beccaria, Les plaisirs de l’imagination, dans Le Café, p. 187 et 189.
143 Carteggio, X, 8 septembre 1779, p. 368. Voir aussi au 30 janvier 1779, ibid., p. 185. Verri, qui fit du personnage d’Atticus l’une des figures des Nuits romaines, fut comparé à « cet illustre Romain, avec qui toute ressemblance est un titre de gloire » dans l’éloge funèbre prononcé à sa mémoire à l’Académie des Arcades (AV 503.8, Elogio accademico di Alessandro Verri tenuto in Arcadia, fol. 12r).
144 P. Verri, Pensieri sulla solitudine, dans Il Caffè, p. 666.
145 Ibid., p. 670.
146 Carteggio, I-2, 9 janvier 1768, p. 128.
147 Pensieri scritti da un buon uomo, dans Il Caffè, p. 190-191. L’image revient dans À propos de Carnéade et de Grotius, où s’opposent à nouveau Démocrite « qui riait toujours des folies des hommes » et Héraclite qui « toujours s’incommodait à pleurer nos grandes misères » (Di Carneade e di Grozio, dans Il Caffè, p. 713).
148 Pensieri scritti da un buon uomo, ibid., p. 197.
149 A. Verri, A Demetrio, ibid., p. 751.
150 Comentariolo di un galantuomo di mal umore, ibid., p. 645.
151 Ibid., respectivement p. 639, 627 et 636.
152 Ibid., p. 637.
153 Ibid., p. 655.
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