Introduction
p. 1-32
Texte intégral
1Qui sont les « hommes illustres » d’un quartier de la Rome moderne, et comment ont-ils réussi à obtenir cette qualification ? La création et la reconnaissance d’un statut de prééminence sociale sont des questions centrales dans le processus d’accès au pouvoir politique : dans la Rome moderne, être un « homme illustre » est une condition pour accéder aux offices municipaux. Dans cet ouvrage, la question de la prééminence sociale a été examinée sous le prisme des relations entre les élites et les classes populaires plutôt que sous celui des liens avec le pape. En d’autres termes, l’accent est mis sur la relation avec le « bas », et le pouvoir politique est pris en compte en tant que construction sociale. On se propose de montrer que les liens qui unissent l’élite à la population des quartiers jouent un rôle fondamental dans le processus de construction du pouvoir local et d’accès à la politique municipale. Le travail s’attache à démontrer que le fondement du pouvoir municipal local repose sur les transactions, tant économiques que sociales1, que les élites passent avec la population des quartiers : locations, échanges commerciaux, services domestiques, embauches de salariés, etc. Ces relations se développent autour du patrimoine immobilier et foncier, et principalement autour du complexe résidentiel des familles de l’élite urbaine.
2Le contexte politique et social de Rome, loin d’être un simple « cadre », est un élément explicatif de première importance. Aux XVIe et XVIIe siècles, la classe nobiliaire municipale romaine se caractérise par une forte mobilité sociale et montre un certain degré d’ouverture pour accueillir de nouveaux arrivants, ce qui explique en partie pourquoi il n’existe pas de définition univoque et explicite du terme « gentilhomme » et pourquoi aucune liste d’inscription des membres de l’élite n’a été dressée. Étonnamment, le livre d’or de la noblesse romaine ne sera en effet établi qu’en 1746. Pour obtenir un office municipal, le candidat est censé être un « homme illustre » du quartier où il réside : mais par qui la qualité d’« illustre » est-elle conférée ? Auprès de qui le candidat doit-il être connu, et reconnu, en tant que gentilhomme ? L’hypothèse de départ de ce travail est que les échanges entre le « haut » et le « bas » du monde social urbain jouent un rôle clé dans le processus de construction du pouvoir local et donc, en dernier lieu, dans la formation des élites. Ainsi, les charges politiques du Capitole ne seraient que la formalisation d’une autorité effective qui se construit et s’exerce tout d’abord sur le territoire. Une formalisation d’autant plus importante lorsque l’on constate que l’obtention d’un office municipal est assimilée à une preuve de noblesse, et qu’elle donne accès à la gestion d’un ensemble de ressources locales – d’où l’intérêt des candidats du Capitole de se faire élire.
3Ce travail s’insère dans le contexte historiographique de la microhistoire et, analysant la formation de réseaux de clientèle à partir des échanges économiques, s’organise autour des concepts d’enchâssement et d’imbrication des sphères sociales et économiques. À partir de ces concepts, la recherche met en œuvre un cadre interprétatif qui se nourrit de modèles empruntés à l’anthropologie politique, notamment ceux qui décrivent le pouvoir comme une construction relationnelle.
Center-men : la nature relationnelle du pouvoir
4La nature relationnelle du pouvoir constitue le point de départ des études qui ont identifié des modèles de gestion du pouvoir centrés sur les individus, dont l’autorité est construite et reconnue tout d’abord au sein d’un réseau social. Trois modèles ont été particulièrement utiles pour étudier les élites de la Rome moderne : la relation patron-client, l’entrepreneur et le big man. Les recherches qui mettent en évidence la nature relationnelle du pouvoir ont été menées lors du fort renouvellement de l’anthropologie politique, dominée jusqu’aux années 1960 par la théorie structuro-fonctionnaliste élaborée par Alfred R. Radcliffe-Brown et Bronisław Malinowski. Le but de ces analyses anthropologiques est d’identifier les principes structuraux qui représentent les bases des rapports entre groupes dans les sociétés, et qui leur permettent de conserver un équilibre interne, grâce à des normes partagées et à des rôles sociaux bien définis. Toutefois, ce type d’analyse – privilégiant les notions de structure, fonction, groupe social, norme, rôle, équilibre, ordre – ne permet pas de saisir et de décrire les processus historiques et les changements socioculturels. La décolonisation, phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur à partir des années 1960, attire l’attention des chercheurs sur les limites d’un modèle d’analyse anhistorique, incapable d’interpréter les événements et les transformations dans le temps. La place de l’individu dans ces études pose par ailleurs problème : la centralité du groupe (lignage, clan, groupe d’âge, etc.) au sein de ces sociétés y est en effet largement présupposée, sans tenir compte du potentiel d’action et de décision de chaque individu dans le contexte social.
5La réaction à ce modèle interprétatif a lieu dans les années 1960, en particulier grâce à l’École de Manchester, bien que les bases aient déjà été posées par Max Gluckman, Edmund Leach et Victor Turner. Ces derniers ont introduit au cours des années 1950 des concepts tels que le conflit, le changement et l’individu. Gluckman, dans ses ouvrages sur les Zoulous, analyse des populations – celles de l’Afrique du Sud – issues de sociétés qui ont été bouleversées par la force des colonisateurs et dont les valeurs traditionnelles ont été constamment confrontées à la modernisation2. Il élabore ainsi un modèle interprétatif qui, bien que décrivant une fois encore une situation d’équilibre obtenue par le jeu des groupes opposés, est malgré tout capable de rendre compte des évènements politiques et de faire place au changement dans l’analyse. En outre, l’anthropologue introduit la notion de conflit – qui sera reprise par la microhistoire dans les années 1980 – comme partie intégrante de la structure sociale : les normes qui règlent les rapports sociaux et politiques sont suffisamment ambigües pour être interprétées de manières différentes, et, surtout, pour faire l’objet de manipulations de la part des individus. Ce concept occupera une place fondamentale dans les études sur le patronage qui a pendant longtemps été interprété comme un système se développant dans les interstices de l’État grâce à la manipulation des normes de la part des individus.
6Edmund Leach, avec ses études sur les systèmes politiques de la Birmanie3, a apporté une contribution ultérieure essentielle au renouvellement de l’anthropologie politique et à l’adoption d’une approche processuelle plutôt que structurelle. Dans l’analyse de Leach, le facteur qui déclenche le changement est l’individu, en compétition avec d’autres individus pour la conquête du pouvoir. L’individu, avec sa capacité de manipuler les normes et son désir d’ascension sociale, devient donc le véritable moteur du changement politique. Une démarche similaire est adoptée par Victor Turner qui met un individu (Sandombu) au centre de l’analyse d’un village en Rhodésie (Ndembu)4. En décrivant le parcours de Sandombu, qui cherche en vain à atteindre le rôle de chef de sa communauté et qui échoue face à ses concurrents, Turner propose une lecture de la politique comme processus qui se développe à partir des actions individuelles plutôt que des groupes sociaux. Sandombu devient ainsi le premier d’une série d’individus qui, dans les années qui suivent, font l’objet d’analyses anthropologiques désormais fondées sur l’individualisme méthodologique.
7La lutte pour le pouvoir, la création de factions par des leaders, la compétition pour la suprématie, sont analysées comme étant des processus dont l’élément central est l’individu. Ce dernier est perçu comme un entrepreneur social qui manipule les normes et les rapports dans le but de poursuivre son intérêt et de construire un capital social. L’individu en quête de pouvoir politique et de prestige social réalise ses objectifs à travers la mobilisation de contacts personnels, en construisant des coalitions à même de l’aider et le soutenir dans la compétition. À ce propos, Frederik G. Bailey affirme que, au-delà de la variété qui caractérise les contextes socioculturels analysés par les anthropologues, il est possible de faire appel au même modèle interprétatif de la politique comme compétition, grâce à la présence d’éléments structuraux récurrents5. Parmi ces éléments, le plus important demeure la présence de règles (théoriques ou pratiques) qui concernent l’interaction entre les individus : la structure politique se développe ainsi à l’intérieur des limites posées par des normes partagées.
8Les concepts de processus, action et individu font ainsi leur entrée dans les analyses des anthropologues. Les modèles patron-client, entrepreneur et big man sont le résultat de ce renouvellement profond de la discipline, et envisagent le pouvoir comme une construction des individus, issue de la manipulation et de la création de rapports sociaux. La réflexion sur la relation patron-client a été menée à partir de l’étude de George M. Foster sur la pratique du patron-client compadrazgo dans le village mexicain de Tzintzuntzan. Caractérisée par l’absence de groupes institutionnels (« corporate ties »), la structure sociale du village s’articule autour de relations à deux, soit dyadiques, au sein desquelles Foster distingue les relations entre pairs des relations entre patrons et clients. Les deux types de relation, bien que partageant l’obligation réciproque des partenaires, se différencient sur plusieurs points. En effet, la relation entre patron et client est connotée par l’asymétrie – le patron étant placé à un niveau supérieur de l’échelle sociale par rapport au client – et par le fait qu’elle relève d’un échange de biens et de services différents, auxquels les deux partenaires n’ont pas accès autrement. À ce propos, Eric Wolf, dans son étude sur les sociétés paysannes, souligne que les biens offerts par le patron sont assez concrets – aide économique et protection –, tandis que les biens offerts par les clients sont des « intangible assets », tels que des démonstrations d’estime et de considération, des informations et, surtout, du soutien politique6. En plus d’être verticale et dyadique, la relation entre patron et client se caractérise par la multiplicité des liens qui la composent. Wolf définit cette relation comme étant « manystranded », formée par la superposition de plusieurs liens, du fait que le patron et le client partagent de nombreux intérêts et objectifs ; ce rapport est décrit par Julian Pitt-Rivers comme une « amitié asymétrique » (« lopsided friendship »)7. Selon Wolf, la superposition des liens est typique de cette relation car « tel que la parenté et l’amitié, le lien entre patron et client implique une multiplicité de facettes, et non les seuls besoins du moment »8. Il s’agit donc d’une relation « totale », pour ainsi dire, grâce à laquelle les acteurs font face à plusieurs types de besoins, et qui n’est pas activée et utilisée seulement pour répondre à des exigences ponctuelles.
9La notion d’entrepreneur a plusieurs points communs avec celle de patron, notamment le fait que, dans les deux cas, il s’agit d’individus qui disposent de ressources qu’ils redistribuent. C’est l’action de distribuer des ressources qui les place au centre d’un réseau formé par des clients. Introduit par Fredrik Barth dans les années 1960, le concept d’entrepreneur puise ses racines dans l’économie : il désigne un individu qui ne fait pas partie du système politique officiel et dont le pouvoir est entièrement informel9. L’entrepreneur social est typiquement décrit comme l’un des moteurs du changement, un élément qui dynamise les sociétés au sein desquelles il opère, pendant qu’il construit son capital social. En effet, l’entrepreneur agit souvent en tant que médiateur, comme l’illustre l’étude d’Anton Blok sur la mafia10 : son atout réside dans le rôle d’intermédiation entre les différents niveaux de la société qu’il joue et dans sa forte capacité d’innovation.
10Comme l’entrepreneur, le big man ne dispose pas d’un pouvoir officiellement reconnu, mais d’une autorité qu’il obtient grâce à sa capacité de créer autour de soi un groupe de clients qui le soutiennent. Marshall Sahlins, dans son étude sur le leadership politique en Mélanésie et Polynésie, définit le big man comme un homme de renom (« a man of renown »), « an influential pivot » autour duquel un groupe de clients (« followers ») se forme ; par conséquent, la structure politique de la tribu est composée de plusieurs groupes, chacun dominé par l’un de ces hommes forts11. La spécificité du big man réside dans le fait que son autorité est entièrement construite : « son leadership est une création – la création d’un entourage de clients »12. Le succès et l’ascension sociale du big man dépendent de ses capacités à cumuler des ressources – telles que les cochons ou les produits agricoles, mais aussi à prêter assistance à ceux qui en ont besoin, et à distribuer des cadeaux, afin de se faire connaître pour sa générosité13. Ainsi, la caractéristique principale du big man mélanésien est d’être capable de former une coalition : « chaque individu ambitieux, qui est en état de rassembler un groupe de clients, peut entreprendre une carrière politique »14.
11Bien qu’ils se différencient sur certains points – sur lesquels on reviendra par la suite – le patron, l’entrepreneur et le big man partagent plusieurs caractéristiques dont l’une des principales est celle de disposer de ressources qu’ils distribuent à leurs clients. Dans ce travail, on examinera la distribution de ressources immatérielles (protection), mais aussi et surtout de ressources concrètes, ce qui correspond à l’analyse des échanges économiques. De ce fait, on analysera la construction du groupe informel comme un processus qui se développe à partir de transactions économiques qui, à leur tour, s’articulent autour des patrimoines des élites : immeubles en ville, domaines agricoles et crédits. Ce faisant, ce travail puise ses racines dans le concept d’enchâssement proposé par Karl Polanyi et repris par Marc Granovetter15. Ce concept met en évidence l’enchevêtrement de la dimension économique et de la dimension sociale. Grâce à la notion d’enchâssement qu’il développe, Polanyi déplace l’attention portée à l’échange marchand vers d’autres principes qui règlent les échanges économiques, à savoir la redistribution et la réciprocité16. Pour étudier les processus de production et d’échange de biens et de services, il convient ainsi de ne pas se contenter d’une explication basée sur le marché, mais de considérer également les principes de redistribution et de réciprocité comme des facteurs qui règlent les transactions économiques. À travers la notion d’enchâssement, Polanyi propose ainsi une perspective qui se fonde sur l’imbrication des dimensions politiques, culturelles et sociales, et sur l’intégration de la transaction économique dans le contexte social. La perspective de Granovetter, qui applique la notion d’enchâssement à l’échange marchand17, s’inscrit dans une même logique. En effet, l’auteur décrit les échanges marchands sans les isoler du contexte social, en les insérant précisément dans des réseaux sociaux. Il met ainsi l’accent sur les ressources accessibles à travers les réseaux de relations personnelles conçues comme des dispositifs capables de faciliter les transactions économiques. Le concept d’enchâssement, associé à celui de réciprocité, sera utilisé pour décrire la formation des réseaux de clientèle à partir des circuits d’échanges économiques. En effet, le pouvoir des center-men est un pouvoir relationnel, qui se forme à partir d’une inégalité dans l’accès aux ressources : c’est grâce à cette différence qu’ils parviennent à regrouper autour d’eux des clients, des protégés et des supporteurs.
Groupes informels, coalitions et pouvoirs locaux
12Grâce aux échanges économiques et à la distribution de ressources, le patron, l’entrepreneur et le big man se situent au centre de groupes informels qui ne sont pas reconnus par les autorités en tant que tels. Wolf les définit comme des structures interstitielles, informelles, parallèles au pouvoir économique et politique formel – qui leur préexisterait logiquement –, et qui se forment en dehors du système politique officiel et des institutions18. Ainsi, les systèmes d’interaction centrés sur l’individu sont interprétés comme des éléments qui s’opposent à la notion de société entendue comme un ensemble de corps et de groupes sociaux formels. En 1968, une approche différente est choisie par Jeremy Boissevain qui met en évidence le manque d’intérêt des anthropologues et des sociologues pour les formes sociales qui, pour lui, « se situent quelque part entre les interactions individuelles d’un côté et les groupes formels de l’autre côté »19, à savoir les groupes d’amis, les « gangs », les factions et les clientèles. Selon cet auteur, la sociologie, attachée à l’analyse de la structure sociale, donc à des liens permanents, stables, « institutionnalisés », aurait négligé tous les liens se situant en dehors de ce cadre20. Initialement, Boissevain nomme ces formes sociales les « quasi-groupes », les définissant comme des coalitions d’individus « entre lesquels il existe un certain niveau d’interaction et d’organisation patterned » qui forment une entité sociale non permanente21. Cette définition met donc l’accent sur la nature temporaire de la coalition par rapport aux structures sociales formellement reconnues en tant que telles.
13Dans l’analyse des anthropologues, la formation de groupes informels, tels que les factions ou les clientèles, apparaît comme un élément typique des sociétés où les pouvoirs centraux sont absents, et où l’État est une entité faible qui laisse la place au développement de formes alternatives de pouvoir. Wolf pose clairement le lien entre groupes informels et faiblesse de l’État :
Ces liens se révèlent particulièrement fonctionnels dans des situations où la structure institutionnelle et formelle de la société est faible et incapable de fournir des biens et des services de façon régulière, spécialement aux niveaux les plus bas de l’échelle sociale. Dans ces conditions, les clients potentiels sont attirés par la fonction de protection sociale offerte par les patrons, et la formation d’un groupe de clients augmentera la capacité des patrons d’influencer les opérations politiques institutionnelles22.
14La recherche de protecteurs – qui sont des center-men – puise ainsi ses racines dans l’insécurité et l’incertitude de la vie des individus. Dans son étude sur le village de Tzintzuntzan, Foster met directement en relation l’insécurité de la vie des villageois et leur recherche d’un rapport privilégié avec une personne de niveau social supérieur, capable de les aider lors de moments de crises tels que la maladie ou le besoin d’argent.
Puisque les Tzintzuntzeños reconnaissent la faiblesse de leur position et leur manque de pouvoir et d’influence, ils sont continuellement en quête de la possibilité de mettre dans l’obligation une personne dont la richesse, la position ou l’influence sont supérieures ; ce faisant, ils établissent une relation patron-client qui, si tout va bien, garantira leur sécurité dans plusieurs situations de crise qui vont certainement se produire : maladie, besoin soudain d’argent, aide en cas de problèmes avec la justice, protection contre différentes formes d’exploitation, et conseils sur l’opportunité de certaines actions23.
15Le besoin de protection face aux risques est ainsi à la base de la recherche d’un patron, et ce type de relation marque en profondeur l’organisation sociale du village. Les liens de patronage seraient donc typiques des sociétés où l’État et ses structures politiques sont faiblement développés. Pour cette raison, les anthropologues qui ont étudié ces liens ont choisi comme champs d’observation des sociétés considérées comme complexes, mais politiquement peu développées : celles des pays de l’Amérique du Sud et de la Méditerranée24. Dans ce contexte, la réflexion sur le patronage s’insère dans celle, plus ample, qui porte sur les sociétés traditionnelles : lorsque les anthropologues sont passés de l’étude des sociétés « primitives » à celle des sociétés complexes, ils ont eu tendance à s’intéresser aux sociétés considérées comme traditionnelles – paysannes, préindustrielles, agricoles –, et à privilégier ainsi les villages comme champs d’observation.
16L’Italie, pensée comme un pays où la faiblesse de l’État coexiste avec une structure sociale fortement marquée par la tradition – il suffit de penser au stéréotype de l’importance de la famille pour les Italiens –, a constitué un terrain privilégié pour ce type d’études. La société sicilienne notamment, en raison de la présence d’un groupe politique informel extrêmement puissant tel que la mafia, a fait l’objet de plusieurs études25. Boissevain s’est intéressé au patronage en Sicile dans le cadre de sa réflexion plus générale sur la formation de groupes égocentrés ; de ce point de vue, la société sicilienne présente plusieurs caractéristiques qui font d’elle un champ d’observation privilégié. Dans les sociétés méditerranéennes, la relation de patronage reste informelle – aucun contrat, ni écrit ni oral, ne réglemente les liens du patron avec ses clients, contrairement à ce qui a été observé ailleurs26. Dans son étude, Boissevain met en rapport la présence de relations de patronage très répandues, avec certaines caractéristiques structurelles de la société sicilienne, et notamment son histoire récente – marquée par la violence –, l’importance de la famille et la hiérarchie socio-économique. Il s’agit en effet d’une société fortement stratifiée, où les niveaux de richesse et les statuts sociaux sont extrêmement diversifiés, ce qui entraîne l’inégalité dans l’accès aux ressources gérées et distribuées par des patrons. Ceux-ci construisent leur autorité en profitant du besoin des Siciliens de se protéger des ennemis et d’influencer les pouvoirs centraux perçus comme impersonnels, lointains et hostiles (« the remote, impersonal, if not hostile, authorities »27). La recherche de protecteurs bien placés dans le territoire – ainsi que du soutien d’amis et de membres de la famille – est une stratégie qui a pour objectif la protection et l’amélioration de sa propre position grâce à un réseau de contacts personnels. En ce qui concerne le fonctionnement de la relation entre patron et client, Boissevain spécifie que, dans une société où le prestige social est mesuré sur la base de la quantité de ressources auxquelles on a accès, avoir une clientèle formée par des personnes prêtes à rendre des services divers est un élément considérable. En effet, par rapport au client, le patron est un individu qui jouit d’un accès au pouvoir plus important, non nécessairement d’un statut social supérieur.
17Par rapport à Foster, Boissevain, attentif à la formation de groupes informels, met l’accent sur le rôle du médiateur, le « broker », qui met en contact le patron avec ses clients : les liens de patronage ne sont donc pas des relations dyadiques. L’existence de médiateurs et le fait que les clients soient en contact entre eux donnent lieu à une superposition de réseaux qui nous permet de définir le patronage comme un système plutôt qu’un simple ensemble de relations dyadiques. Comme Boissevain le souligne, c’est grâce au fait que B est le client d’un puissant patron (A) que C devient à son tour client de B. En outre, le mécanisme du patronage implique l’activation simultanée de liens verticaux et horizontaux, par exemple lorsque le client cherche une recommandation. Les liens entre patrons et clients sont donc à l’origine de la formation de réseaux – appelés coalitions, groupes informels, « non-corporate groups », « action-sets »28 , factions29, etc. Peter Schneider, dans son article sur la formation des coalitions, met l’accent sur la flexibilité et la nature temporaire des « non-corporate groups » (« temporary, ad hoc, task specific groups »)30, et sur la complexité de leurs fonctions économiques et politiques. Les coalitions ne sont pas des structures sociales secondaires et interstitielles typiques des sociétés traditionnelles : au contraire, elles sont capables de jouer un rôle central dans les processus économiques et politiques des sociétés « modernes » (non traditionnelles). Pour illustrer son propos, Schneider donne l’exemple de la mafia en Sicile, phénomène qui résiste et s’adapte aux changements politiques et aux transformations économiques qui touchent l’île au cours des XIXe-XXe siècles ; il définit la mafia comme un type spécifique de coalition, « le principal moyen d’organiser des activités orientées vers le marché, capitalistes, non traditionnelles, en absence d’un contrôle bureaucratique et légal efficace »31.
18Ainsi, les groupes informels ne sont pas seulement des formes sociales typiques des sociétés traditionnelles ; elles ne sont pas non plus interstitielles par rapport au pouvoir officiel : au contraire, elles représentent souvent la forme que le pouvoir central prend au niveau local. Le lien entre le pouvoir local et la structure politique centrale est mis en évidence, entre autres, par Blok, qui a analysé la mafia comme une opportunité de mobilité sociale pour les paysans (« L’exploitation des paysans par les propriétaires fonciers était possible car les moyens à travers lesquels elle était poursuivie – banditisme et mafia – représentaient pour les paysans, au moins en principe, le principal mécanisme de mobilité sociale »)32. Ce rapport est le point de départ de l’analyse du patronage dans les sciences politiques qui ont étudié le phénomène dans le contexte du système politique formel, en le considérant comme une caractéristique des gouvernements. Les études se concentrent sur les fonctions politiques du patronage, en particulier sur la pratique du clientélisme – distribution de biens en échange de votes et de soutien aux élections33. L’attention s’est ainsi portée sur le lien existant entre les deux niveaux de pouvoir, et sur le rôle du patronage comme un élément constitutif du fonctionnement du système politique dans son ensemble. On pourrait conclure que les sciences politiques étudient les sociétés modernes tandis que l’anthropologie se concentre sur les villages et les contextes traditionnels, mais il nous semble que la différence réside, plutôt que dans l’objet, dans la perspective adoptée. Celle-ci, dans le cas des études anthropologiques, se limite souvent à l’échelle locale ; si d’un côté cela permet de décrire et de comprendre efficacement les groupes informels qui se constituent autour des center-men, de l’autre on court le risque de masquer le lien entre politique locale et politique à l’échelle nationale. La difficulté de tenir ensemble les deux perspectives caractérise aussi les approches portées par les historiens du patronage qui s’inscrivent dans le cadre plus général d’une réflexion sur la naissance de l’État moderne. C’est pourquoi l’échelle locale et les pouvoirs informels qui lient les leaders à la population d’un territoire ont souvent été négligés : dans le passage de la Sicile à l’État moderne, les classes populaires ont disparu de l’analyse.
Regards historiques : l’État moderne et les pouvoirs informels
19Les historiens ont utilisé la notion de patronage pour analyser les structures de l’État moderne en situant ce phénomène dans les interstices du système politique officiel ou, au contraire, en le considérant comme un élément qui permet aux institutions de fonctionner : ce serait là « la véritable manière dont les institutions fonctionnent », selon Laurie Nussdorfer34. La plupart des études historiques qui utilisent la notion de la relation patron-client s’attachent à démontrer l’existence de liens de fidélité, plus ou moins instrumentaux, entre les pouvoirs centraux (souvent les rois) et la noblesse. Les études sur le patronage dans la noblesse de l’Ancien Régime ont commencé avec les travaux de Roland Mousnier, qui propose le concept de fidélité pour qualifier les liens d’attachement personnel dans la France du XVIe siècle35. Selon cet auteur, le principe d’organisation de cette société, qu’il définit comme post-féodale, est le lien vertical de fidélité qui donne consistance aux ordres structurant la vie sociale. Mousnier met l’accent sur la dimension personnelle et morale du lien de patronage, en distinguant la relation de clientèle de celle de patronage – cette dernière étant caractérisée par la sincérité de l’attachement et de la fidélité entre le client et son patron. Cette lecture est aussi visible dans les travaux d’Orest A. Ranum qui montre l’importance des relations et des pratiques de patronage dans le fonctionnement du pouvoir de l’époque, en utilisant notamment la notion de favoritisme36. Ces deux études définissent le cadre au sein duquel l’historiographie sur les clientèles nobiliaires s’est initialement développée37. Si certaines études réunies par Yves Durand en 198138 modifient partiellement le portrait des clientèles nobiliaires dressé par Mousnier, les critiques de ce modèle sont surtout venues d’historiens anglophones tels que Robert Harding, qui utilise le concept de clientèle plutôt que celui de fidélité39. Sharon Kettering a également tenté de proposer un nouveau modèle interprétatif global du patronage nobiliaire40. Selon l’historienne, la plupart des relations patron-client sont temporaires et motivées par des intérêts et des avantages matériels : la distribution de ressources joue donc un rôle central. La pratique de changer de patron lorsqu’on en trouve un plus puissant, ou d’en servir deux en même temps, suggère que l’intérêt matériel constitue le fondement de ce type de relation.
20Dans l’historiographie de l’Italie moderne, la notion de patronage a été utilisée dans le cadre de la réflexion sur la modernité de l’État, fortement influencée par les travaux de Federico Chabod. Chabod propose un modèle d’évolution fondé sur la croissance des fonctions et des structures du pouvoir central, et sur la formation de la bureaucratie. La « modernité » de l’État s’exprimerait ainsi dans des phénomènes tels que la rationalisation et la centralisation du pouvoir qui se manifestent dans la formation et le développement de la bureaucratie, de la fiscalité et de l’appareil judiciaire41. Les réactions à la thèse de la « modernité » de l’État de l’Ancien Régime ont, au contraire, mis en évidence que la pluralité des pouvoirs demeure une caractéristique du pouvoir central : Bartolomé Clavero et António Manuel Hespanha critiquent l’idée de l’État de l’Ancien Régime comme d’un ancêtre « imparfait » de l’État libéral, et ils en soulignent les spécificités, tels que la pluralité des juridictions et l’absence d’une distinction nette entre la sphère publique et la sphère privée42. De son côté, Marino Berengo a contesté l’idée d’un processus linéaire de développement de l’État moderne, le particularisme des corps étant selon lui la caractéristique centrale de l’État du XVIe siècle43. Ce processus a aussi été critiqué par les études consacrées à l’acquisition des fiefs par les familles pontificales, au lien entre féodalité et népotisme, à l’inefficacité du contrôle exercé par le pouvoir pontifical sur les provinces ainsi qu’aux échecs de la justice centrale dans la répression du banditisme et de la criminalité nobiliaire44. D’autres études sur le régime seigneurial dans le Latium moderne, telles que celles de Bertrand Forclaz et Renata Ago, ont montré que les prérogatives des feudataires (privilèges fiscaux et juridictionnels) y demeurent très étendues au moins jusqu’au XVIIe siècle45.
21Dans le même processus de remise en question de la centralisation de l’État moderne, les recherches de microhistoire ont déplacé l’attention vers l’importance des rapports personnels et des liens informels dans la gestion du pouvoir et dans la construction de l’État moderne, en proposant une démarche inspirée de l’anthropologie politique. L’État y est décrit comme un système territorial polycentrique caractérisé par la coexistence de pouvoirs autonomes, la pluralité des acteurs institutionnels et la négociation continuelle entre centre et périphérie. Giovanni Levi, dans sa célèbre étude sur le village piémontais de Santena, montre la nature relationnelle du pouvoir ayant recours à la catégorie de l’entrepreneur proposée par Barth46. Le cas d’étude de la carrière d’un « un leader politique local »47 montre le processus de formation d’un pouvoir qui n’est pas lié à la terre, mais au capital social et à la capacité d’agir comme médiateur entre échelles différentes (la communauté villageoise et le pouvoir central) : c’est-à-dire un pouvoir immatériel.
En effet la terre n’intéressait pas Giulio Chiesa. Cette pièce de terre qu’il avait reçue en don sera la seule qu’il déclarera lors de la cadastration de 1656, et elle ne grossira pas, d’après ce que nous savons, pendant tout le reste de sa vie : ses biens sont mobiliers, ses investissements se situent dans l’aire moins palpable du prestige et des relations, ce sont les protections et les loyautés données et reçues, ce sont les dots des filles ; l’héritage qu’il leur laissera sera un rôle social recherché et accumulé au cours de quarante années de gestion politique des conflits intérieurs de la communauté et du consortile nobiliaire, ou de ceux avec l’extérieur, avec la ville de Chieri et avec l’administration fiscale de l’État48.
22À travers ce cas, Levi remet en cause l’interprétation du passage des systèmes politiques centralisés et rigides à des formes où l’action individuelle a plus d’espace, ce qui ne rend pas compte de la présence d’individus capables de construire un pouvoir local et relationnel, grâce à leur rôle de médiateurs.
Les tendances de longue durée vers des systèmes politiques de plus en plus centralisés et des formes d’organisation de plus en plus complexes ont été pensées comme des tendances à passer des systèmes de stratification sociale et de pouvoir politique fondés sur l’attribution héritée et transmise d’une manière rigide à des systèmes plus souples et plus personnalisés où prendraient de l’importance des rôles acquis sous forme de carrières individuelles. Cette vision est trop tranchée et l’histoire qui sera racontée dans ce chapitre se propose précisément de suggérer, même pour des sociétés profondément hiérarchisées, où les mécanismes de succession aux différents rôles et statuts sociaux sont largement prédéterminés à travers des formes généralisées attribuées de manière stricte, la présence d’espace pour des personnalités entreprenantes et pour des dynamiques qui expriment une forte capacité d’innovation et de rupture49.
23L’interaction entre le pouvoir local et le pouvoir central est aussi au cœur de l’étude d’Osvaldo Raggio qui se concentre sur le caractère polycentrique de l’État moderne à partir d’une perspective locale, celle des villages de Rapallo et Chiavari50. La recherche met en évidence l’idée que la formation de l’État n’est pas un phénomène de conquête du centre à la périphérie, mais plutôt un processus de négociation continuelle, et que la forme étatique visible aujourd’hui n’est pas nécessairement la même dans les sociétés d’Ancien Régime.
Dans leur réflexion sur la formation de l’État moderne et sur la dimension du gouvernement dans l’Ancien Régime, les sciences sociales ont élaboré une variété de modèles, mais elles ont généralement privilégié les formes qui, au cours d’un long processus d’évolution, sont arrivées jusqu’à nous (parmi les centaines qui existaient dans l’Europe des XVIe-XVIIe siècles)51.
24Dans l’analyse de Raggio, la parenté est le principe d’organisation de la vie économique et sociale. Elle représente aussi le principe autour duquel la vie politique s’organise, ce que l’auteur démontre selon la double perspective du pouvoir central (les familles principales sont des auxiliaires précieuses du gouvernement central) et de la politique locale. Celle-ci est principalement constituée de factions – fronts familiaux ayant des intérêts en commun –, qui relient verticalement plusieurs couches de la population, et qui sont une caractéristique de la structure sociale de Gênes.
25L’importance de la dimension locale pour comprendre des phénomènes politiques de plus ample portée, ainsi que la prise en compte de sa fonction intégratrice, a été l’un des axes de recherches d’Edoardo Grendi. Dans ses analyses, la vie politique génoise est dominée par les alberghi, associations informelles de nobles qui sont le résultat et l’expression urbanistique de la lutte de factions. Grendi les décrit comme des structures démo-topographiques, « un principe d’organisation de la population sur la base du partage du même ‘cognomen’, mais aussi un principe d’organisation de l’espace urbain, ainsi que de distinction sociale et politique »52. L’association des familles au sein d’un albergo est motivée par une pluralité d’éléments, parmi lesquels Grendi signale l’identité sociale et l’autonomie judiciaire, ce qui fait de ces structures des acteurs centraux dans la politique locale, en dehors des institutions de l’État.
26Pour le présent travail, les études des microhistoriens sont celles qui ont été les plus utiles : ce sont en effet les seules qui, dans la description des pouvoirs informels et de ceux qu’on peut appeler big men systems, prennent en considération le rapport entre les « hommes forts » – qu’il s’agisse des notables ou des familles qui forment des factions – et les classes populaires, dans le cadre d’un contexte politique local.
Pouvoir et autorité : une construction sociale
27Par rapport aux recherches qui se sont focalisées sur les rapports entre les nobles et le pouvoir central, ce travail oriente son regard vers le bas de l’échelle sociale : tout en portant son attention sur la noblesse, il concentre l’analyse sur les liens qu’elle construit avec la population du quartier. Le but est de démontrer que, dans la construction du pouvoir personnel, ce ne sont pas seulement les liens avec le pouvoir central qui se révèlent utiles, mais aussi ceux qui sont tissés avec les classes populaires : l’attention est donc portée sur ce qui reliait les nobles à ces couches, plutôt que sur les relations entre les pouvoirs locaux et l’État. Si les recherches sur le patronage dans l’État moderne tâchent de comprendre son rôle dans le fonctionnement du gouvernement central, la recherche que l’on présente a plutôt pour objectif d’expliquer le processus de formation des pouvoirs locaux à partir des relations que les nobles entretiennent avec les habitants du quartier. Dans ce processus, les transactions économiques et sociales occupent une place centrale et sont à la base de la construction du pouvoir sur le terrain.
28Tout au long de ce travail, on enquêtera sur un pouvoir qui est à la fois officiel et informel. Les élites municipales qui font l’objet de cette étude sont en effet définies comme telles par le fait qu’elles obtiennent des offices au Capitole : elles sont donc détentrices d’un pouvoir institutionnel. Toutefois, en raison du système de sélection des officiers municipaux – et notamment des caporioni, les chefs des quartiers –, le fait d’être un « homme illustre » du quartier, donc de disposer d’un pouvoir local informel, est une condition nécessaire. Voyons brièvement comment la procédure de sélection des officiers fonctionne. Le processus commence au niveau des quartiers, lorsque les caporioni préparent une liste de tous les gentilshommes résidant dans le rione dont ils ont la responsabilité : il s’agit de personnes qui ont le droit de participer aux conseils municipaux publics53. Ensuite, les gentilshommes nomment un électeur (imbussolatore) qui choisit les candidats à une magistrature54. Les listes rédigées par l’électeur sont alors introduites dans une urne dans laquelle, tous les trois mois, sont extraits les noms des futurs officiers par l’imbussolatore et les caporioni. Dans la sélection des candidats, l’électeur doit tenir compte des conditions fixées par le statut de 1580 : les officiers doivent être des citoyens romains, par origine ou par privilège, et ceux qui ont occupé une charge ne peuvent l’occuper de nouveau qu’après un intervalle d’au moins deux ans. Par ailleurs, certaines personnes sont exclues de l’accès aux offices : il s’agit des condamnés à mort, des débiteurs de la Chambre apostolique55, de ceux qui ont un litige en cours avec un habitant de Rome, de tous ceux qui exercent une activité manuelle, ainsi que des fils illégitimes. La condition de statut à remplir est d’être gentilhomme et de ne pas exercer un travail manuel, mais, comme on l’a déjà mentionné, aucune liste officielle dénombrant les membres de la noblesse n’est disponible. En outre, en ce qui concerne la citoyenneté romaine, dans la pratique elle n’est pas toujours exigée, comme Nussdorfer l’a souligné56, et comme on le verra au cours de ce travail.
29Ainsi, les candidats aux offices capitolins sont censés être des « hommes illustres » du rione, des individus dont la prééminence sociale et l’autorité informelle sont reconnues par les habitants du quartier. En ce sens, on peut affirmer que la construction d’un pouvoir informel précède l’obtention d’une charge formelle, et que l’office municipal n’est que la validation officielle d’une situation qui puise ses racines dans la vie sociale et économique du quartier. Si ce schéma est valable pour les outsiders – les individus qui ne font pas partie de la noblesse, mais qui, grâce à des parcours personnels « entrepreneuriaux » arrivent à obtenir des offices et donc à s’insérer dans les élites de la ville –, il est certainement à nuancer pour les individus issus des grandes familles de l’ancienne noblesse. En effet, en tant que membres de maisonnées d’ancienne noblesse, ceux-ci jouissent d’une position de prééminence héritée qui facilite la construction de leur autorité locale, ainsi que l’obtention de charges municipales. Pourtant, même pour eux, l’accès au pouvoir ne doit pas être considéré comme acquis – quelque chose qui se situe dans le « vide » social et qui se transmet de génération en génération au sein de la famille sans aucun contact avec le monde social extérieur –, mais plutôt comme un processus dont la construction d’une autorité locale et informelle reste une partie essentielle. L’intérêt d’analyser la noblesse comme un groupe d’« entrepreneurs », réside effectivement dans la possibilité qu’offre ce choix de mettre en évidence le fait que, même dans les cas où le pouvoir semble être purement hérité et lié au statut social de naissance, il est au contraire, au moins partialement, le résultat de l’échange social. Le pouvoir est donc à la fois hérité et construit, ascribed et achieved.
30Dans un contexte de forte mobilité sociale tel que celui de l’élite municipale de Rome entre les XVIe et XVIIe siècles, l’obtention d’une charge municipale a pour effet de sanctionner le statut de noble. L’anoblissement qui découle de l’occupation d’un office est reconnu par les autorités municipales qui l’acceptent en tant que preuve de la noblesse d’un individu. À ce propos, Nussdorfer donne l’exemple d’une lettre des conservateurs, datée du 1617, attestant la noblesse d’un certain G. Gomes sur la base du fait qu’il a été caporione57. L’accès aux charges municipales est donc d’autant plus important qu’il permet de rendre officielles des situations de fait et de convertir en statut social l’autorité acquise sur le terrain – en l’occurrence, dans le quartier. En ce sens, c’est la loi elle-même – le statut de 1580 – qui ouvre les portes à la mobilité sociale, lorsqu’elle ne demande pas que les candidats aient un statut de noble formellement reconnu. Comme on le verra dans ce travail, ceci n’est pas le cas dans d’autres villes italiennes à la même époque, telles que Venise ou Gênes. On peut donc parler, pour la Rome moderne, d’une élite ouverte pour laquelle la mobilité sociale est possible, entre autres, grâce à la définition large du candidat au gouvernement municipal. Dans cette recherche, cependant, l’accent n’est pas mis sur le processus d’ascension sociale, mais plutôt sur la nécessité, pour des individus dont le statut de noble est déjà acquis, de garder et de renforcer leur prééminence sociale, ce qui leur garantit l’insertion dans l’élite capitoline. Une position qui, compte tenu l’importance de la mobilité sociale et la forte concurrence, n’est jamais garantie : un grand nombre de nouveaux arrivants souhaitent en effet s’insérer dans les rangs de la noblesse urbaine.
31Le concept de pouvoir entendu comme une construction qui se réalise grâce à l’échange social est bien évidemment emprunté à l’anthropologie politique, et aux recherches qui ont été mentionnées dans les pages précédentes. Il semble cependant nécessaire de donner quelques explications sur la façon dont les modèles anthropologiques élaborés pour interpréter les sociétés contemporaines ont été ici appliqués à l’Ancien Régime. Comme Levi le souligne à propos de l’utilisation du concept d’entrepreneur dans le contexte du Piémont du XVIIe siècle, l’application de ce modèle doit tenir compte des spécificités des sociétés d’Ancien Régime dans lesquelles les statuts sont des éléments centraux pour l’identité des individus. Levi en conclut que, sous l’Ancien Régime, l’entrepreneur avait un rôle bien plus « bouleversant » (dans le sens de remise en question de l’ordre social) que dans les sociétés contemporaines. Dans le contexte de la présente recherche, la forte mobilité sociale de l’élite romaine et le choix de se focaliser sur la classe nobiliaire rendent le cadre différent, voire inversé, par rapport à celui que Levi décrit. En effet, si Levi se focalise sur un parcours de mobilité ascendante dans un contexte de statuts figés, le présent travail entend, au contraire, illustrer à la fois le processus de création et celui de conservation du pouvoir (et donc d’un statut), dans un contexte de forte mobilité sociale. Le but est donc de corriger l’idée d’un ordre social donné, au sein duquel les outsiders sont les seuls à avoir besoin de l’échange social pour réaliser un chemin d’ascension et pour s’insérer dans les rangs des élites formellement reconnues ; au contraire, il s’agit de montrer que même les pouvoirs officiels ont besoin du social et de l’informel pour garder leur autorité.
32Ainsi, le concept de pouvoir relationnel et celui d’« homme fort » ont été essentiels pour décrire le processus de construction du pouvoir local. Le modèle de relation patron-client a également été pertinent pour révéler l’asymétrie du rapport entre les membres de l’élite capitoline et les habitants du quartier, ainsi que la fonction de protection exercée par le patron. Toutefois, ce modèle n’est pas capable de saisir la mobilité qui caractérise la construction du pouvoir local : tout d’abord, la relation patron-client, telle qu’elle a été décrite par les anthropologues, reste souvent connotée par l’exclusivité, tandis que, comme on le verra au cours de ce travail, les acteurs peuvent mobiliser plusieurs patrons, selon le type de ressources auxquelles ils souhaitent avoir accès. Deuxièmement, cette catégorie ne permet pas de mettre l’accent sur la construction en tant que processus. Pour ce faire, la notion d’entrepreneur se révèle plus pertinente car ce dernier dispose d’un pouvoir qu’il a construit à partir de ses relations sociales, qui reste donc informel, tandis que le patron est généralement décrit comme un individu dont le pouvoir est directement lié à son statut de naissance : c’est sa position de supériorité sociale qui le rend intéressant aux yeux des clients. L’entrepreneur doit son autorité aux relations qu’il établit avec un groupe de clients, dont l’importance varie suivant le nombre et le type de ressources dont il dispose et qu’il est capable de mobiliser. Ainsi, l’accent est principalement mis sur les capacités personnelles qui permettent la réalisation d’un parcours d’ascension sociale. Ce qui compte n’est pas le statut de naissance, mais celui qu’il réussit à atteindre grâce à son rôle de médiateur. Bien que la catégorie d’entrepreneur présente plusieurs aspects aptes à saisir le processus de construction du pouvoir local, on ne peut raisonnablement pas définir les membres de l’élite municipale comme des entrepreneurs, sous peine de sous-estimer le poids de leur statut de naissance. Si les élites ne le sont pas devenues seulement grâce au statut hérité, cet élément ne doit pas non plus être négligé dans l’analyse. Enfin, en ce qui concerne le modèle du big man pris en compte dans cette étude, son intérêt réside dans sa position intermédiaire entre les deux autres modèles. Le processus de construction du pouvoir occupe une place centrale et, avec lui, les qualités personnelles de l’individu et sa capacité à créer un « cluster of followers » qui lui permet de s’insérer dans la structure politique de la société. Bien que son pouvoir ne soit pas reconnu formellement et ne devienne jamais transmissible, il agit toutefois comme un chef, entouré de protégés et disposant de ressources à distribuer, au point que Sahlins, dans son analyse sur les systèmes politiques en Mélanésie et Polynésie, compare le big man aux chefs dont l’autorité est héritée. En d’autres termes, le big man est un leader, bien qu’informel, tandis que l’entrepreneur est principalement un médiateur.
33En ce qui concerne la fonction du patronage (par patronage, on entend toutes les relations construites par des center-men en quête de pouvoir local), ce travail exploite, parmi les différentes interprétations existantes, celle qui voit ce phénomène comme étant lié au contrôle politique des ressources que le patron est capable de contrôler et de mobiliser. Les élites capitolines de la Rome moderne peuvent jouer également un rôle de médiateurs entre les habitants du quartier et les autres pouvoirs municipaux ou pontificaux58 ; toutefois, on a choisi de ne pas mettre l’accent sur cette fonction et de privilégier celle de distributeurs de ressources locales. Malgré ce choix, ce travail reprend à son compte la notion de configuration proposée par Norbert Elias, et considère les relations analysées comme la partie « terminale » d’une configuration de relations qui, à partir du haut – la cour pontificale –, relie entre elles les différentes couches de la noblesse et la population des quartiers. Dans le cas de la Rome moderne, les concepts de configuration et de chaîne de relations sont d’autant plus pertinents que les familles de la noblesse poursuivent souvent des carrières à la fois municipales et ecclésiastiques, cherchant, dans le dernier cas, à accéder à la cour pontificale. La chaîne d’interrelations peut donc très bien relier des grands cardinaux – et même le pape – à un boulanger de quartier. Dans ce travail, l’analyse porte sur le dernier niveau de la configuration, entre les nobles et la population du quartier, un choix qui présuppose l’existence de rapports qui relient les individus jusqu’en haut de la chaîne – la partie de la configuration sur laquelle la plupart des études se sont concentrées jusqu’ici.
Rome aux XVIe et XVIIe siècles : les raisons d’un choix
34L’une des raisons qui expliquent que Rome ait été choisie comme terrain de cette enquête est la volonté de porter l’attention sur la présence et l’importance des couches populaires dans un contexte (ou mieux une configuration) qui a été décrit comme formé seulement par les nobles et la cour pontificale, détentrice du pouvoir central. Plusieurs études, mentionnées dans les pages précédentes, se sont focalisées sur la vie politique de l’État pontifical, en mettant en lumière les spécificités de ses structures et des processus qui le caractérisent, et qui ont parfois été interprétées comme paradigmatiques pour le développement de l’État moderne. Dans cette perspective, les recherches sur le patronage à Rome se sont essentiellement concentrées sur le poids des relations personnelles dans les carrières des cardinaux et dans l’organisation de la cour pontificale59. Bien que Nussdorfer ait souligné que la noblesse municipale constitue un noyau d’intérêts locaux extrêmement dense60, aucune étude ne s’est attachée à comprendre la manière dont les élites agissent localement, et sur quelles relations et quels échanges avec la population des quartiers leur pouvoir se fonde. Cependant, le choix de Rome comme site de l’enquête relève moins du souhait de combler un vide historiographique que du désir de corriger l’approche qui en est à l’origine. Ce vide est en effet le résultat d’une conception du pouvoir des élites comme quelque chose qui se reproduit grâce à la transmission d’un statut et grâce à un système de relations avec les hautes sphères du pouvoir central, sans aucun contact avec le reste de la population, notamment les couches populaires. Celles-ci resteraient donc exclues du jeu politique, sauf pour des formes de résistance à l’avancement du processus de centralisation de l’État. Le cas de Rome montre, au contraire, que l’autorité des élites, avant même qu’elle ne soit convertie en offices municipaux, se construit à partir du contact personnel avec les habitants du quartier, et que ces relations font partie d’un ensemble d’éléments-clés – qui, par ailleurs, inclut indéniablement aussi les rapports avec le pouvoir central – garantissant l’accès au pouvoir municipal.
35Le deuxième élément qui sous-tend le choix de Rome comme terrain d’enquête est l’ouverture de son élite, sur laquelle on s’est déjà attardé et qui sera approfondie au cours de ce travail. On peut rappeler brièvement que les membres de la noblesse de la ville ne sont inscrits dans aucun livre d’or jusqu’en 1746, lorsque le pape Benoît XIV, avec la constitution Urbem Romam, fait dresser la liste de 180 familles romaines faisant officiellement partie de l’aristocratie. Ainsi, tout au long de la période examinée (1550-1650), le patriciat reste ouvert aux nouveaux arrivants qui rejoignent ses rangs à la faveur de stratégies différenciées. En effet, la mobilité de l’élite romaine est inhérente au système politique de l’État pontifical : le pape étant détenteur d’un pouvoir qui n’est pas transmissible, à chaque nouvelle élection du pontife, on assiste à un renouvellement plus ou moins radical de la cour et de son entourage. En outre, son rôle de ville capitale de l’État pontifical fait de Rome la destination, souvent temporaire, de princes, d’ambassadeurs et de cardinaux qui s’y installent avec leur cour et leurs groupes de protégés. Il en résulte une forte mobilité de la population, composée, pour une large part, d’étrangers. Dans ce contexte de mobilité et de changement, la nécessité des élites de maintenir et de renforcer l’emprise sur le territoire se fait d’autant plus forte, surtout pour les familles d’ancienne noblesse municipale, qui se sentent concurrencées et menacées par les nouveaux arrivants. Certains, comme les Mattei, acceptent la situation et entament des carrières ecclésiastiques tout en conservant les offices municipaux ; d’autres comme les Velli, qui font l’objet du dernier chapitre de cette étude, n’absorbent les changements que trop tard, et continuent à parier sur une stratégie qui, à la moitié du XVIIe siècle, n’est plus efficace – à savoir la concentration exclusive sur les charges municipales. Dans tous les cas, la construction du pouvoir local et l’accès au Capitole se révèlent être des éléments précieux pour faire face à la concurrence de la noblesse de cour : en ce sens, tout au long de la période examinée, le Capitole reste un enjeu crucial pour les familles de l’ancienne noblesse.
36Le gouvernement municipal de l’âge moderne a été décrit comme une institution totalement dépourvue de pouvoir, envahie par les émissaires du pape dont il serait devenu le fantoche après le retour d’Avignon. La faiblesse de l’autorité capitoline a été soulignée par les observateurs contemporains ; d’après Paolo Giovio, le gouvernement municipal ne détenait qu’une « autorité ridicule »61, limitée à l’image de son honneur passée, en raison de la politique pontificale d’insertion des familles étrangères dans la vie politique romaine. S’il est indéniable que le Capitole aux XVIe et XVIIe siècles n’exerce plus un pouvoir exclusif comme dans le passé, il demeure toutefois une ressource importante pour le patriciat urbain. Pour de nombreuses familles, l’accès au gouvernement municipal constitue une part essentielle de leur stratégie d’ascension et d’affirmation sociale, puisque, comme on l’a vu, la participation à la vie politique et l’obtention d’une magistrature municipale est un élément anoblissant, reconnu par les autorités en tant que preuve de la noblesse d’un individu. Le rôle du Capitole comme facteur de promotion sociale est d’autant plus important que la noblesse de Rome ne dispose pas de liste de noblesse, donc d’éléments d’inscription nette au sein de l’aristocratie. Cette recherche veut donc nuancer l’idée du Capitole comme d’une entité située complètement en dehors de la vie politique de la Rome moderne : au contraire, le gouvernement municipal reste un élément clé dans les stratégies politiques de nombreuses familles qui utilisent cette ressource à laquelle leur pouvoir local est si étroitement associé. Le cadre chronologique de cette étude relève donc d’une volonté d’analyser une période où le gouvernement municipal est déjà considéré comme dépourvu de pouvoir, mais pendant laquelle le processus de fermeture du patriciat urbain n’a pas encore eu lieu, les élites capitolines demeurant ainsi des élites ouvertes.
La méthode et les sources
37La méthode utilisée dans cette étude relève tout d’abord de la microanalyse62. Ayant défini le pouvoir local comme issu d’un processus d’échange social, une approche microanalytique a été adoptée afin d’enquêter sur un phénomène qu’il serait impossible de cerner autrement. S’agissant d’un phénomène difficilement saisissable, et jamais mentionné de façon explicite, l’existence de relations de patronage et la construction de l’influence sociale locale ont été démontrées grâce à la reconstruction du cadre des échanges sociaux qui relient les élites à la population des quartiers. En effet, les sources ne donnent que très rarement des indices sur l’existence de rapport de patronage, au sens large du terme : la déclaration, lors d’un trouble avec la justice, d’un charcutier qui affirme avoir eu recours à la protection d’un noble client de sa boutique ; la lettre d’un caporione qui efface le mot « mon » qu’il avait instinctivement écrit avant rione ; un autre caporione qui propose à une jeune fille de l’aider parce qu’il dispose d’amis et de protecteurs puissants ; et ainsi de suite. À partir de ces indices, on a choisi de centrer l’analyse sur le pouvoir dans le quartier comme détention et distribution de ressources locales : c’est en effet grâce aux ressources locales dont il dispose que le gentilhomme réussit à garder son pouvoir et le nouvel arrivant à entreprendre une carrière politique municipale. Et c’est autour de ces ressources que les relations avec la population du quartier se forment. Si on sait depuis longtemps que les élites détiennent les ressources et les propriétés, ce travail s’est efforcé de démontrer que des relations sociales se construisent autour de ces biens, et que les avantages sont réciproques.
38La démarche suivie pour décrire le cadre du processus de formation du pouvoir local a ainsi consisté à reconstruire le contexte social, culturel, spatial et économique au sein duquel ces relations s’inscrivent, ainsi que les transactions sociales et économiques qui lient le noble aux habitants du rione. Ainsi, le contexte fournit la clé de lecture d’éléments apparemment dépourvus de signification spécifique mais qui, quand ils sont confrontés les uns avec les autres, forment un cadre assez net. Il s’agit donc de la juxtaposition d’éléments divers (les carrières municipales, le palais, la charité, les propriétés foncières, le crédit, etc.), qui sont décrits et approfondis successivement, et dont la pertinence n’est saisissable que si on les considère dans leur ensemble63.
39Cette démarche a été un choix de méthode, mais aussi le résultat de la difficulté posée par les sources, silencieuses quant au phénomène du patronage, et non homogènes, comme le sont souvent les sources de l’âge moderne. Ne disposant pas de corpus complets, on a approfondi chaque thème en ayant recours à plusieurs familles ; par exemple, en ce qui concerne les propriétés agricoles, le cas de la famille Mattei offre des nombreux actes notariés concernant la gestion des domaines, et le livre de comptes d’Orazio Manili des précieuses informations sur les relations du noble avec ses vignerons. Par contre, il est impossible d’étudier la composition du ménage (famille et familia, l’ensemble des serviteurs et domestiques) des Mattei, puisque les stati d’anime de leur paroisse ne sont disponibles qu’à partir du XVIIIe siècle. Également, les stati d’anime de la paroisse de Santa Maria in Trastevere, où résident les Velli auxquels la dernière partie de ce travail est consacrée, ne commencent qu’en 1656, date où la famille a désormais disparue. Par contre, la structure résidentielle familiale peut être analysée de près pour la famille Cenci, installée dans une paroisse qui prend son nom de la famille : San Tommaso ai Cenci. La structure résidentielle des Cenci est fortement « clanique », comme on le verra dans le cours de ce travail : il s’agit certainement d’un cas extrême, mais non d’une exception ou d’une anomalie, car la tendance à habiter ensemble et à constituer des complexes résidentiels autour du palais est partagée par une grande partie de l’aristocratie romaine.
40Cet exemple est révélateur de deux spécificités qui découlent de la démarche suivie. En premier lieu, dans la plupart des cas, on a veillé à observer des familles dont les caractéristiques sont assez semblables (carrière municipale, activités commerciales, propriétés agricoles, etc.), pour pouvoir, de manière vraisemblable, étendre les observations faites au sujet d’un cas spécifique aux autres familles64. Tarquinio Santacroce crée un réseau social dans son quartier autour de relations de crédit ; bien qu’on n’ait pas des sources spécifiques pour étudier le crédit chez les Cenci, on peut raisonnablement supposer qu’il ne doit pas fonctionner de manière très différente. De même, l’importance de la reconnaissance de l’autorité personnelle dans le quartier est mise en évidence dans quelques procès où les Velli sont impliqués ; toutefois, on peut supposer que ceci est un élément essentiel pour toutes les familles qui s’investissent dans la politique locale. Par ailleurs, cette démarche « fragmentée » a l’intérêt de montrer que la formation de relations sociales comme point de départ du processus de construction du pouvoir local est une pratique largement répandue dans les élites municipales, et que l’enracinement politique dans le quartier s’accompagne souvent de la formation de liens sociaux tissés autour des ressources possédées. Cela concerne donc la plupart des familles capitolines même si, pour chacune des familles considérées dans ce travail, un seul aspect (propriété, crédit, etc.) est analysé.
41Par conséquent, les sources utilisées sont extrêmement variées puisqu’il s’agit de documents faisant référence à différentes familles. Mais la variété des sources est aussi un choix de méthode : en effet, le but de ce travail n’a pas été d’exploiter de façon intensive un seul corpus documentaire, mais plutôt de démontrer l’existence d’un phénomène, celui de la construction sociale du pouvoir local, en ayant recours à toutes les sources à même de contribuer à sa description. Tout d’abord, il faut préciser que l’on n’a que très rarement utilisé la correspondance, source privilégiée pour l’étude du patronage aux plus hauts niveaux de l’échelle sociale, dans laquelle la référence à la protection est souvent faite de manière explicite65. Malgré l’intérêt de ce type de document, il n’a pas été possible d’en tirer profit puisque l’on a choisi de centrer l’analyse sur les couches populaires au sein desquelles la pratique de l’écriture reste rare. De nature proche de la correspondance, les suppliques adressées au pape, dans lesquelles on peut trouver des références à des protecteurs ou la notation « recommandé par » en marge du texte, ont été exploitées dans ce travail. Cependant, ces sources font surtout référence à des cardinaux et à des membres de la noblesse titrée et, pour cette raison, n’ont pas été étudiées de façon systématique.
42Venons-en donc aux sources effectivement utilisées. Afin de reconstruire les carrières municipales des membres de l’élite capitoline, on a construit une base de données qui renferme les noms de tous les officiers élus entre 1550 et 1650 recensés à partir des volumes des réunions du Conseil municipal. Cette base de données, qui compte 19610 entrées, a permis d’adopter une approche statistique des modèles de carrières municipales, en s’interrogeant notamment sur le rapport avec le quartier, comme on le verra par la suite.
43Pour décrire l’enracinement physique de la famille dans le quartier, on a essentiellement eu recours aux états des âmes (stati d’anime ou status animarum) de plusieurs paroisses. Les livres des status animarum recensent la population des paroisses chaque année avant Pâques, afin de dresser la liste de ceux qui pouvaient recevoir la communion pascale66. Bien que ne suivant pas une méthode standardisée, les curés enregistrent dans ces livres plusieurs informations sur la population de leurs paroisses, notamment le nom du chef de famille, ceux des autres membres composant la famille, les rapports de parenté des co-résidents avec le chef de famille, ainsi que le métier, l’âge et l’origine géographique. En outre, les états des âmes décrivent parfois le territoire d’un point de vue topographique, en mentionnant les confins, la division en îlots, la structure des immeubles, et ainsi de suite. Il s’agit donc d’une source précieuse pour étudier le cadre socio-territorial des familles du patriciat urbain. En ce qui concerne les paroisses, elles ont été sélectionnées en fonction de la richesse des informations disponibles (dans chaque paroisse, et souvent chaque année, un curé différent préparait ces documents : les informations sont donc très hétérogènes) et par la présence d’isole (îlots), zones urbaines fortement marquées par la présence de complexes résidentiels nobiliaires.
44L’aspect « culturel » du rapport de patronage et la reconnaissance de l’autorité personnelle au sein du quartier ont pu être étudiés en ayant recours à des actes de procès et à des documents du fonds Miscellanea famiglie. Les procès, sur l’utilisation desquels on renvoie aux réflexions de Carlo Ginzburg67, ont été sélectionnés sur la base des acteurs impliqués : membres de la noblesse municipale et/ou leurs domestiques. Ces sources se sont avérées utiles pour apporter des éclaircissements sur plusieurs thèmes abordés dans cet ouvrage. En effet, les témoignages et les déclarations, lorsqu’ils répondent à une question, mentionnent souvent des détails qui, bien que parfois peu importants d’un point de vue judiciaire, peuvent être extrêmement précieux pour l’historien. Lorsque le caporione Francesco Del Bene, accusé de viol, reconnaît avoir dit à la fille qu’il a des amis puissants qui l’aideraient à entrer dans un couvent, il livre une information qui nourrit le cadre des rapports de patronage qu’on a tâché de décrire : il s’agit d’une information inattendue, pour ainsi dire, puisque rien, dans un procès pour viol, n’aurait apparemment laissé penser que ce type de relation aurait été mentionné. En ce qui concerne la Miscellanea famiglie, elle a été exploitée pour chercher des actes à travers lesquels le noble se porte garant dans une dispute judiciaire ; il s’agit là d’une pratique souvent utilisée pour obtenir l’abandon d’une plainte et éviter un procès. Dans ce cas, des membres de l’élite capitoline se portent garants pour des individus qui peuvent appartenir à toutes les couches de la société ; toutefois, notre attention s’est principalement portée sur les actes qui mettent en évidence le lien entre le noble et les classes populaires : par exemple, lorsque Massimo Massimi devient le garant d’un groupe de porteurs immigrés de la Valteline.
45Les rapports sociaux noués autour des transactions économiques ont été étudiés à partir de plusieurs sources – tout d’abord, les actes notariés. Comme les procès, il s’agit là d’une source transversale par rapport au découpage des chapitres de ce travail car leur contenu est très varié. On a consulté des actes concernant le patrimoine des membres de l’élite municipale (inventaires, testaments, donations, achats de maisons et domaines), les immeubles (location d’appartements), les biens agricoles (contrats de salariés et de vignerons), les activités commerciales (ventes et achat, notamment de produits de la campagne) et le crédit (prêts). Mais les livres de comptes demeurent les documents les plus utiles pour tenter la reconstruction des relations sociales et commerciales. Parmi ceux exploités dans le cadre de cette recherche, on peut en distinguer trois types : ceux qui portent sur les locations de biens immobiliers, sur la gestion d’une vigne et sur le crédit. On a choisi des livres à même d’apporter des éclaircissements et de fournir des détails utiles à l’approfondissement de certains aspects du phénomène étudié. Ainsi, le livre de comptes de Tarquinio Santacroce a été analysé en raison de sa richesse informative sur les débiteurs du noble, tandis que celui d’Antonio Formicini se distingue pour les nombreuses données qu’il fournit sur les locataires qui se succèdent au cours des années dans les immeubles du gentilhomme.
46Enfin, le cas des Velli a pu être approfondi grâce à des archives familiales riches et variées. Ce fonds familial comprend environ 30 volumes datés de 1541 à 1688. On peut y distinguer plusieurs types de sources : les grands livres, les livres de recettes et de dépenses, les volumes de reçus, les livres de frais divers, les registres d’actes notariés concernant le patrimoine de la famille, les volumes relatifs à la gestion des domaines et un cadastre des biens immobiliers et des propriétés foncières. Ces archives ont été une ressource essentielle pour mener l’étude d’un cas exemplaire.
47En conclusion, on reviendra sur le plan retenu pour présenter les résultats de cette recherche, afin de rendre compte des choix qui ont été faits. Le premier chapitre est consacré à la nature relationnelle du pouvoir municipal local et décrit tout d’abord la classe des gentilshommes comme un groupe de center-men, distributeurs de ressources à la fois immatérielles (protection, recommandation) et matérielles (par exemple, le travail). On se penche sur le rôle des caporioni en tant que médiateurs locaux, entre la population des quartiers d’un côté et les ressources et les autorités municipales de l’autre. On y évoque aussi la difficulté de ces officiers d’affirmer leur autorité dans l’espace du quartier, concurrencés par la pluralité des pouvoirs en place.
48Ces réflexions introduisent le chapitre suivant, consacré au rione comme espace politique pluriel. On aborde ici la question de l’ouverture de l’élite municipale en évoquant les raisons de cette caractéristique et en étudiant ses effets dans le contexte local. Après avoir montré les enjeux liés à l’obtention d’un office capitolin, on analyse ensuite la distribution des charges dans les quartiers, en relevant la forte présence, à côté des grandes familles d’ancienne noblesse, d’individus qui ne sont élus qu’une fois, et qu’on appellera les « non habitués ». Cette analyse a pu être conduite grâce à la base de données susmentionnée qui rassemble les noms de tous les officiers capitolins actifs entre 1550 et 1650. Le chapitre, dans sa dernière partie, s’intéresse aussi aux autres institutions attribuant des charges locales, et se concentre en particulier sur les confréries à travers le cas de Santa Maria della Consolazione. On verra comment l’obtention de charges « alternatives » s’inscrit dans le cadre de stratégies politiques mises en place par les membres du patriciat, et comment les « hommes illustres » utilisent les confréries pour s’affirmer en tant que distributeurs de ressources locales telles que la dot pour les jeunes filles. Pour illustrer cette dynamique, on étudiera le cas de la famille Tesauro – des marchands de Ripa et du Trastevere qui créent un fonds dotal pour les jeunes filles des deux quartiers.
49Ayant montré, dans le chapitre II, que le rione est un espace politique pluriel, il nous a semblé nécessaire de multiplier les échelles d’analyse et de rechercher les structures topographiques du pouvoir local au sein des quartiers. Par « structures topographiques », on entend des zones qui sont marquées en profondeur par la présence d’une famille noble. Cette présence fait de l’espace avoisinant un lieu « semi-privé », ce dont témoignent les toponymes qui font référence à la famille résidente. Dans ce chapitre, on adopte une démarche de réduction progressive de l’échelle, en commençant par les monti, des zones semi-privées qui se créent autour du complexe résidentiel de la famille noble. L’exemple le plus probant, qui sera au cœur de cette partie, est le monte dei Cenci, la zone de résidence d’une famille du patriciat ancien qui continue d’habiter selon un modèle « clanique » tout au long de la période examinée. Des monti, on passe ensuite aux îlots pour montrer de plus près l’existence de systèmes de voisinage qui se forment dans les parcs immobiliers d’une même famille. Au centre de ces structures – monti, îlots, voisinages – se situe le complexe immobilier de la famille noble et surtout le palais, qui seront décrits comme des unités sociales. En centrant les recherches non seulement sur la structure architecturale, mais aussi et surtout sur ceux qui y habitent, on vise à montrer que, tout au long de la période examinée, le palais continue d’être le centre d’agrégation d’un groupe informel qui se crée autour du noble, selon un modèle qui peut évoquer, mutatis mutandis, les fiefs urbains de la Rome médiévale.
50Dans le chapitre IV, on s’intéresse aux transactions économiques et sociales qui lient les membres de l’élite municipale aux habitants des quartiers. Ces relations sont à la base de la formation du réseau de clientèle qui permet aux gentilshommes d’être qualifiés d’« hommes illustres » dans l’espace du quartier. Ayant recours au concept d’enchâssement de Karl Polanyi et Marc Granovetter, l’objectif de ce chapitre est de montrer la logique sociale des échanges, et la superposition des dimensions économiques et sociales. Le chapitre s’ouvre par une description de la composition des patrimoines des élites municipales ; c’est en effet autour des patrimoines (immeubles en ville, propriétés agricoles, crédits) que les transactions économiques ont lieu. Ensuite, on examine les différents types d’échange, en commençant par les relations de travail qui se développent autour du palais (serveurs et domestiques) et des domaines agricoles (vignerons, caporali, salariés). Puis, on en vient à considérer d’autres transactions, c’est-à-dire les locations et les rapports qui se créent entre les locataires et les propriétaires de biens immobiliers. En ce qui concerne les domaines, plutôt que la location, on analysera la vente de produits agricoles qui relie les élites aux aubergistes, aux charcutiers, aux détaillants alimentaires, aux bergers, etc. Enfin, on étudiera les relations de crédit et la fonction d’intégration sociale que le crédit exerce. Tout au long de ce chapitre, on mettra en évidence le fort degré de personnalisation des transactions pour en saisir la dimension sociale.
51La personnalisation des échanges est repérée à travers trois indices principaux : la longue durée des transactions (processus de clientélisation), les contacts entre les membres du même réseau nobiliaire et la superposition des transactions et des rôles sociaux (ce que Eric Wolf, comme on le verra, définit la nature manystranded de la relation). Introduits au cours du chapitre IV, ces trois indices sont repris et approfondis dans le dernier chapitre, consacré à une étude de cas : celui de la famille Velli dans le quartier du Trastevere. L’objectif du chapitre est d’illustrer la stratégie d’ancrage locale mise en place par une famille du patriciat urbain, fortement enracinée dans le tissu économique et social du quartier. Le rione a été choisi parce qu’il est le plus « populaire » de la ville, un territoire urbain à vocation agricole et commerciale ; les Velli y figurent parmi les familles les plus importantes. Après avoir traité de l’ancrage politique de la famille dans le quartier, du rôle central qu’elle occupe dans la sociabilité des nobles transtévérins, ainsi que des stratégies matrimoniales, le chapitre analyse les transactions des Velli avec les habitants du Trastevere. Le chapitre veut donc reprendre l’ensemble des aspects du modèle présentés au cours de ce travail et les mobilise pour étudier un cas familial. Ce faisant, on a souhaité illustrer les dynamiques de formation et de maintien d’un réseau de clientèle local que la famille développe notamment à partir des locations et du commerce des produits agricoles, et proposer une vue d’ensemble des mécanismes de construction du pouvoir local au sein d’un quartier.
Notes de bas de page
1 L’utilisation du mot « transaction » fait référence au concept proposé en 1966 par l’anthropologue Fredrik Barth (Barth 1966). Barth emprunte la notion de transaction des sciences économiques, et l’applique à toute relation réciproque entre les acteurs, en démontrant que les formes sociales – telles que la parenté, les groupes, et aussi les institutions – sont le résultat des interactions entre les individus. Les groupes qui font l’objet de l’analyse ne sont donc pas définis a priori, mais ils doivent être identifiés à partir des transactions qui relient les acteurs. Dans ce travail, la notion de transaction est utilisée pour démontrer l’existence d’une forme sociale qui est la clientèle nobiliaire, et surtout pour en démontrer l’importance dans le processus de construction du pouvoir municipal local.
2 Parmi les études de Gluckman sur les Zoulous, voir Gluckman 1958.
3 Leach 1964.
4 Turner 1958.
5 Bailey 1970.
6 Wolf 1968. S’agissant de rapports qui ne sont pas réglés officiellement, la confiance y joue un rôle essentiel : pour que la relation entre patron et client fonctionne, les deux doivent se faire confiance mutuellement, et être à connaissance des motivations réciproques (« en absence des sanctions formelles, une relation de confiance implique une compréhension réciproque des raisons et du comportement de l’autre » Ibidem). Sur la confiance, voir entre autres Eisenstadt – Roniger 1984 ; Gambetta 1988 ; Luhmann 2006.
7 Pitt-Rivers 1954.
8 Wolf 1968, p. 16, traduction personnelle. Voir aussi Wolf 1966.
9 Sur l’utilisation du concept d’entrepreneur dans les sciences sociales voir Barth 1963 ; Blok 1974 ; Levi 1978 ; Van Bakel – Hagesteijn – Van de Velde 1986.
10 Blok 1974.
11 Sahlins 1963, p. 289.
12 Ibidem, p. 291, traduction personnelle.
13 La culture du patronage est étroitement liée au concept de don, et la générosité fait partie de la rhétorique de la relation. Sur le don, voir Davis 2003 ; Mauss 2007 (1925) ; Weber 2007.
14 Sahlins 1963, p. 291, traduction personnelle.
15 Voir, entre autres, Coleman 1988 ; Portes 1998 ; Portes – Sensenbrenner 1993 ; Zukin – Di Maggio 1990.
16 Polanyi 1983 (1944).
17 Granovetter 1973 ; Granovetter 1985 ; Granovetter 2005.
18 Wolf 1968, p. 2.
19 Boissevain 1968, p. 542.
20 Cité dans Nadel 1951, p. 143.
21 Ibidem, p. 550 ; Boissevain 1971.
22 Wolf 1968, p. 17-18, traduction personnelle.
23 Foster 1963, p. 1283, traduction personnelle.
24 Dans l’analyse des anthropologues, l’unité culturelle des sociétés méditerranéennes réside précisément dans l’existence de groupes informels et dans la place centrale occupée par le concept d’honneur – souvent interprété comme un effet du conflit interpersonnel qui se développe autour du contrôle des ressources matérielles. Selon Gallatin Anderson : « The roots of social structure lie in and are nourished by Catholic dogma and tradition – especially in Mediterranean Europe and Latin America » (Anderson 1957, p. 32). Parmi les nombreuses études, voir : Davis 1976 ; Gluckman 1987 ; Pitt-Rivers 1963 ; Schneider 1971 ; Schneider – Schneider – Hansen 1972. L’Espagne est un autre terrain d’enquête privilégié : Kenny 1960 ; Gilmore 1977.
25 Blok 1969 ; Id. 1974 ; Boissevain 1966 ; Schneider 1969 ; Schneider 1972 ; Id. 1969. Parmi les études consacrées aux groupes informels en Italie, voir : Anderson 1957 ; Chubb 1982 ; Davis 1969 ; Gambetta 1993 ; Miller – Miller 1978 ; Silverman 1965 ; White 1980.
26 Trouwborst 1986.
27 Boissevain 1966, p. 21.
28 Schneider 1969.
29 Les factions ont été décrites comme des groupes ayant les caractéristiques suivantes : 1. qui se forment dans des situations de conflit, 2. politiques, 3. non officiels/non institutionnels, 4. rassemblés par un leader (Nicholas 1969). Sur les factions, voir Nicholas 1966 ; Silverman – Salisbury 1977. Sur les factions dans l’Europe moderne voir Heers 1981.
30 Schneider 1972, p. 262.
31 Ibidem, p. 256, traduction personnelle.
32 Blok 1969, p. 159, traduction personnelle.
33 Briquet 1995 ; Briquet – Sawicki 1998 ; Marin 2006 ; Weingrod 1968 ; Zinn 2001.
34 Molho 1988 ; Nussdorfer 2000, traduction personnelle.
35 Mousnier 1972.
36 Ranum 1966.
37 Voir Haddad 2006.
38 Durand 1981. Voir, en particulier, les chapitres d’Arlette Jouanna (Jouanna 1981) et Madeleine Foisil (Foisil 1981).
39 Harding 1978. La même thèse est reprise par Richard Bonney, qui analyse les relations entre Mazarin et la noblesse pendant la Fronde, Bonney 1981.
40 Kettering 1986 ; Ead. 1988 ; Ead. 1988bis ; Ead. 1989.
41 Chabod 1967. Sur le processus de centralisation dans l’État pontifical, voir Delumeau 1961 ; Prodi 1968 ; Id. 1982.
42 Clavero 1996 ; Hespanha 1993. Sur la spécificité des concepts de public et privé dans la politique de l’Ancien Régime voir aussi Chittolini 1994.
43 Berengo 1999. Sur l’Etat pontifical, voir Caravale – Caracciolo 1978.
44 Caracciolo 1982 ; Casanova 1981 ; Fosi 1985.
45 Ago 1981 ; Ead. 1986 ; Ead 1988 ; Ead 1994 ; Forclaz 2006.
46 Levi 1989.
47 Ibidem, p. 123.
48 Ibidem, p. 159.
49 Ibidem, p. 140-141.
50 Raggio 1990.
51 Ibidem, p. X, traduction personnelle.
52 Grendi 1987, p. 64, traduction personnelle.
53 Statuta Almae Urbis Romae, 1580, livre III, chapitre XXVII – De modo creandi Electores Officialium Romani Populi.
54 Ibidem, chapitre XXVIII – De Officio Electorum.
55 La Camera apostolica (Chambre apostolique) est la trésorerie papale. Voir Lombardo 1970.
56 Nussdorfer 1985 ; Ead. 1992.
57 Nussdorfer 1985, p. 146.
58 Pour une interprétation du patronage par les fonctions de médiation entre la communauté locale et l’État, voir Silverman 1975.
59 Ago 1990 ; Fosi 1997. Sur ces thèmes la bibliographie est très riche. Voir, entre autres : Jamme – Poncet 2005 ; Menniti Ippolito 2007 ; Laurain – Portemer 1973 ; Signorotto – Visceglia 1998 et 2002 ; Visceglia 2008 ; Reinhard 2001 ; Carocci 1999.
60 Nussdorfer 2000.
61 Paolo Giovio, La vita del cardinal Colonna, 1529, cité dans Miglio 1983, p. 264, traduction personnelle.
62 Allegra 2009 ; Grendi – Ginzburg 1994 ; Ginzburg – Poni 1979 ; Grendi 1977 ; Id. 1994 ; Levi 1985 ; Revel 1989 ; Id. 1996.
63 Carlo Ginzburg explique cette démarche ayant recours à la comparaison avec un tableau, dont les éléments ne sont compréhensibles que comme ensemble (Ginzburg 1994).
64 Parfois on a inclus dans l’analyse les cardinaux et la noblesse titrée. Bien qu’on ait conscience des différences entre élites municipales, cardinaux et noblesse titrée, on a fait des exceptions lorsque les données présentaient des éléments capables de fournir des éclaircissements sur certains aspects du contexte qu’on s’est attaché à reconstruire. Dans le cas des palais, les exemples tirés de la noblesse titrée et des cardinaux servent à porter l’attention sur l’importance de l’entourage des domestiques de la famille qui habite dans le palais, bien qu’on soit conscients du fait que la familia d’un prince n’était pas la même que celle d’un outsider de l’élite municipale, quant au nombre de domestiques. Également, on a choisi d’inclure les suppliques parce qu’elles sont des « preuves » explicites de l’existence d’une culture et d’une pratique du patronage et de rapports de dépendance personnelle, bien que les élites municipales n’y soient pas impliquées.
65 Sur ce sujet, voir Boutier 2009.
66 Sur les états des âmes voir Sbrana – Traina – Sonnino 1997.
67 Ginzburg 2006 (1989). Sur l’utilisation des sources criminelles en histoire sociale, voir aussi Grendi 1987.
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