Chapitre 5. Les monastères bénédictins de Dalmatie des relais de la diplomatie pontificale ?
p. 151-196
Texte intégral
1L’historiographie a peu pris en compte le rôle des monastères et des ascétères de l’Adriatique orientale dans la construction des sphères d’influence de la papauté et de l’Orient byzantin. La raison de ce désintérêt relatif tient d’abord à l’absence ou à la rareté des sources documentaires et à la difficulté d’appréhender les réalités archéologiques de ces nombreux ascétères encore mal connus. L’étude des fondations monastiques dalmato-croates connaît toutefois un profond renouvellement historiographique depuis une dizaine d’années : depuis l’ouvrage monumental de Ivan Ostojić sur les Bénédictins en Croatie1, paru en langue croate en 1963, le renouveau de l’archéologie monastique et des enquêtes historiques sur le monachisme insulaire2 en général et sur les fondations dalmates en particulier confirme que « la Dalmatie – au sens historique et maritime – n’était pas restée en marge du développement d’un monachisme précoce dans le bassin méditerranéen »3. Les premiers résultats du programme archéologique sur le monastère de Saint-Pierre d’Osor et sur les fondations monastiques du Kvarner entamé en 2006, démontrent l’importance des IXe-XIe siècles pour l’histoire monastique dans la région : alors que, pour l’Italie du Nord, « Byzance aurait favorisé l’implantation d’ermitages en lien avec le limes avec les Goths, puis avec les Lombards »4, il semble que « l’implantation des bénédictins puisse être située à partir du milieu du IXe siècle sur la côte et dans l’arrière-pays Dalmate correspondant aux territoires des Croates »5. La multiplication des fondations bénédictines, à partir du milieu du Xe siècle, aboutit en effet à la fin du XIe siècle à un nouveau marquage territorial du monachisme bénédictin sur la côte adriatique orientale.
2La multitude des îles dalmates offre un cadre géographique particulièrement adapté au développement de la vie ascétique. Depuis les origines du christianisme antique, l’île représente en effet un symbole et un lieu privilégiés de la retraite éloignée des fracas du monde6 qui trouva dans la fondation de Lérins sa plus parfaite expression dans l’histoire du monachisme occidental7. Si les enquêtes archéologiques confirment la présence précoce d’ascétères et de monastères dans la région, nous croyons toutefois que l’essor du monachisme dans le royaume de Dalmatie-Croatie ne trouve pas ses racines dans l’Antiquité tardive ou le premier Moyen Âge mais qu’elle s’explique essentiellement par les fondations bénédictines des Xe et XIe siècles qui donnèrent une impulsion sans précédent au monachisme dalmate. Sans présager des résultats des campagnes archéologiques en cours, nous voudrions explorer une première hypothèse sur les causes et les modalités de « l’expansion » bénédictine aux Xe-XIe siècles dans une période cruciale pour l’espace adriatique où se redéfinissent les sphères d’influence de la papauté et l’espace byzantin. Plusieurs éléments semblent montrer en effet que ce processus s’inscrit dans une politique de reconquête de la région par la papauté au moment de la rupture progressive avec l’Orient byzantin puis de la réforme « grégorienne ».
I. Les origines du monachisme dalmate au Ve siècle : le témoignage de saint Jérôme
3Saint Jérôme, qui était originaire de l’Adriatique, est sans doute l’un des premiers témoins du monachisme dalmate ou, du moins, de la présence d’ascètes chrétiens dans les îles de Dalmatie : son exhortation à Julianus, écrite en 407, évoque en effet le « grand nombre de saints dispersés sur les îles de Dalmatie »8. Sa correspondance contient aussi des indices intéressants mais plus ambigus, comme le célèbre portrait du monachus Bonose. Les deux hommes avaient étudié les arts libéraux à Rome avec Rufin et séjourné ensemble « sur les rives à demi-barbares du Rhin »9 où Jérôme décida de se consacrer à la vie monastique aux environs de Trèves où il découvrit la Vie d’Antoine d’Athanase d’Alexandrie. Les lettres de Jérôme, qui permettent de rattacher Bonose au milieu d’Aquilée, racontent qu’il abandonna sa famille pour se retirer sur un îlot isolé où il vécut absolument seul, « sans même avec lui le tout jeune Onésime »10 qu’il aimait comme un frère. Elles présentent un portrait exemplaire de Bonose, sorte de moine idéal vivant à l’imitation du Christ, comme un nouvel Antoine, et trouvant la perfection monastique dans une île, comme si la retraite par excellence, en Occident, ne pouvait être qu’un « desertum »11 insulaire. Cette conception renvoie à un usage antique de l’île comme lieu d’enfermement, d’isolement ou de relégation punitive, la deportatio in insulam, qui était une forme d’exil et de réclusion12. Elle fut également utilisée dans l’Antiquité tardive contre les hérétiques puisque Jovinien, dont la critique de l’ascétisme monastique avait suscité la vive réaction de Jérôme, fut exilé par l’empereur Honorius sur l’île dalmate de Bua13, dans l’archipel de Trogir, où l’empereur Valentinien avait déjà fait exiler Hymétius pour avoir recouru à la divination14.
4La conversion monastique de la réclusion insulaire apparaît dans la Chronique de Jérôme qui inscrit le désert insulaire dans une réflexion générale sur l’idéal monastique15 : il cite en effet trois moines d’exception (insignes monachi) Bonose, Florentinus et Rufin qui incarnent respectivement la contemplation exclusive, la charité et le retour aux origines. Or, la retraite choisie par Bonose désigne une île inhospitalière de l’Adriatique, entourée d’une mer déchaînée, dangereuse pour les navires, un « désert absolu », sans verdure, parfaitement adaptée à l’ascèse la plus rigoureuse :
Voici un jeune homme élevé avec nous dans les sciences et les arts, distingué parmi ses égaux par son rang et par ses richesses, qui abandonne sa mère, ses sœurs et un frère chéri, pour se retirer dans une île, inhabitée, affreuse par sa solitude, environnée de rochers escarpés et de récifs redoutables aux navigateurs ; il y est néanmoins comme un nouvel habitant du paradis. Là, dans ce vaste désert, pas un laboureur, pas un solitaire ; il n’a pas même avec lui le petit Onésime que vous avez connu, qui par ses caresses lui rappelait un frère. (…). Jetez pour un moment les yeux sur son désert (…). Autour de cette île mugit une mer toujours furieuse, et les flots se brisent contre les rochers avec un bruit épouvantable qui retentit au loin. La terre stérile et nue n’y montre aucune verdure, et la campagne desséchée et sans arbres n’y offre point d’ombre. Partout ce ne sont que des rochers escarpés, qui forment une espèce de prison qu’on ne saurait envisager sans horreur16.
5L’arrivée du saint sur l’île inhospitalière est un lieu commun de la littérature ascétique, que l’on retrouve par exemple dans le modèle du genre, la Vie de saint Honorat, le fondateur du monastère insulaire de Lérins. La comparaison entre l’arrivée de Bonose sur l’île de Dalmatie et celle d’Honorat sur l’île de Lérins fait ressortir plusieurs différences notables. La première concerne les relations que l’île entretient avec le monde : alors que la retraite insulaire de Bonose semble éloignée du monde en raison de l’absence d’indication topographique, l’île d’Honorat est « un désert proche de notre ville »17, c’est-à-dire proche d’Arles, la métropole provençale dont Honorat, Hilaire, son biographe, et d’autres moines lériniens devinrent des évêques importants. Dans le cas provençal, la retraite insulaire entretient donc des rapports étroits avec le siège épiscopal qui fut sans doute le premier, en Occident, à recevoir les pouvoirs métropolitains des mains de l’évêque de Rome. L’île sainte apparaît comme un élément du rayonnement de l’autorité épiscopale. Une autre différence tient aux conséquences de l’arrivée du saint sur la représentation de la retraite insulaire : dans le cas provençal, la sainteté d’Honorat transforme immédiatement ce lieu hostile en un paradis :
Honorat gagne une île inhabitée à cause de sa nature particulièrement repoussante, où personne n’abordait par la crainte des bêtes venimeuses. (…) Bien des gens s’efforçaient de le détourner d’un acte d’audace si nouveau. En effet, les habitants des environs racontaient que ce désert était effrayant (…) [Honorat] s’avance sans peur et il dissipe la frayeur des siens. L’horreur de la solitude s’enfuit, la masse des serpents est vaincue. Mais quelles ténèbres n’ont pas fui devant cette lumière ? (…) Dans ces lieux arides, la rencontre si fréquente de serpents, que les remous de la mer faisaient sortir, ne fut plus jamais une cause de danger ni même de frayeur. (…) Honorat installe là le « camp de Dieu » et ce lieu, qui avait dissuadé les hommes d’y séjourner, resplendit de l’éclat de ses services angéliques18.
6À l’inverse, l’arrivée de Bonose n’apaise pas la nature sauvage de l’île dalmate qui demeure cette « île inhabitée, affreuse par sa solitude, environnée de rochers escarpés et de récifs redoutables aux navigateurs ». Loin de pacifier ce lieu hostile, l’ascèse de Bonose se nourrit du caractère inhospitalier de ce lieu idéal pour la vie solitaire. Contrairement au paradis lérinien, la retraite insulaire de Bonose, qui n’est jamais qualifiée d’« île sainte », demeure une prison, un désert aux périls multiples. C’est en cela qu’elle constitue un paradis pour l’ermite :
Là, Bonose, tranquille, intrépide et armé de l’Apôtre, tantôt écoute Dieu dans de saintes lectures, et tantôt lui parle dans de ferventes prières ; peut-être même qu’enfermé dans son île il voit une partie de ce que saint Jean vit dans celle de Patmos. (…) Il y est néanmoins comme un nouvel habitant du paradis19.
7L’absence de référent topographique rend impossible la localisation de cette île que Stan Pellistrandi situe dans l’archipel dalmate en se fondant sur la topographie et le climat de l’archipel du Kvarner20. Il cite une autre lettre de Jérôme à Héliodore qui évoque explicitement la présence de moines sur les îles de Dalmatie, lettre dans laquelle Népotien, le neveu d’Héliodore, est présenté comme un homme désirant « ardemment se retirer dans les monastères de l’Égypte, ou visiter les solitaires de la Mésopotamie, ou mener une vie cachée dans ces îles de la Dalmatie qui ne sont séparées de la terre ferme que par le détroit d’Altino »21. Mais ces éléments sont trop vagues pour localiser les îles en question et la description de ces loci horridi rappelle avant tout un thème traditionnel de la littérature ascétique, à commencer par la Vie d’Antoine, où le désert égyptien est le lieu de tous les dangers. La signification métaphorique est d’autant plus évidente que la seule référence géographique citée dans la lettre à Rufin est celle de l’île de saint Jean, Patmos, symbole de l’île sainte au Moyen Âge22.
8Les allusions de Jérôme à la présence d’ascètes sur les îles dalmates, dépourvues de données géographiques précises, ne peuvent donc pas être considérées comme des témoignages historiques sur le premier monachisme insulaire de Dalmatie. Elles manifestent surtout une volonté d’universaliser la représentation, de ne pas la situer dans l’espace réel, pour en faire une représentation idéale de l’île monastique, lieu de la retraite et du désert monastique par excellence. Mais qu’en est-il vraiment et que nous apprennent les sources documentaires et archéologiques sur les fondations insulaires de Dalmatie durant les premiers siècles du haut Moyen Âge ?
II. L’influence croissante de l’abbaye du Mont-Cassin en Dalmatie
A. L’« expansion » bénédictine (IXe-XIe siècle)
1. Vue d’ensemble
9L’étude du premier monachisme dalmate se fonde essentiellement sur des enquêtes archéologiques et épigraphiques23 en raison de l’absence de sources documentaires avant le IXe siècle. La première mention dans un acte diplomatique apparaît en 852 dans un célèbre diplôme du duc croate Tirpimir qui indique « avoir fait construire un monastère (…) pour des troupes de frères » à Rižinice, aux environs de la forteresse de Klis, avec l’accord et le soutien matériel de « Pierre, l’archevêque de l’Église salonitaine »24. La dynastie croate et l’Église métropolitaine de Split, l’héritière de l’antique Salone, constituèrent des acteurs essentiels de l’essor du mouvement monastique en Dalmatie à travers un grand nombre de donations (d’îles, de terres, de bâtiments, d’objets précieux, etc.) évoquées dans le chapitre précédent. L’analyse des différentes formes de donation a révélé en effet que les monastères bénédictins étaient les principaux bénéficiaires de ces donations qui pouvaient prendre la forme d’un soutien économique, matériel ou foncier. Les principaux monastères bénéficiaires sont surtout masculins (70 occurrences de donation) et, dans une moindre mesure, féminins (21 occurrences). De façon globale, les actes diplomatiques conservés antérieurs à 1100 attestent l’existence de 18 fondations monastiques :
– Sites continentaux :
10Knin : monastère masculin Saint-Barthélémy
11Zadar : monastère masculin Saint-Chrysogone
monastère féminin Sainte-Marie
12Biograd : monastère masculin Saint-Jean-Évangéliste
monastère féminin Saint-Thomas
13Vrana : monastère masculin Saint-Grégoire (lieu précis indéterminé sur le territoire de Vrana)
14Trogir : monastère féminin Saint-Nicolas
15Salone : monastère masculin Saint-Moyse
monastère masculin Saint-Nicolas
16Klis [Rižinice] : monastère bénéficiaire de la donation de Tirpimir qui écrit en 852 « avoir fait construire un monastère (…) pour des troupes de frères » aux environs de la forteresse de Klis, sur les hauteurs de Salone
17Split : monastère masculin Saint-Étienne Protomartyr
monastère féminin Saint-Benoît
18Sello : monastère Saint-Pierre
19Epidaurium : monastère de Belem (Plat ?)
– Sites insulaires :
20Monastère Saint-Benoît de Lokrum
21Monastère Saint-Pierre de Rab
22Monastère Saint-Pierre des îles de Neum (saint-Pierre d’Ilovik) donné au monastère de Saint-Michel de Sansigo (Susak) par la communauté des habitants de Kissa, sur l’île de Pag, qui dépendait du diocèse de Rab25
23Monastère Saint-Michel de Sansigo (Susak) : cette fondation apparaît dédiée à saint Michel dans un acte de 1071 mais le monastère apparaît aussi dédié à « Saint-Nicolas »26 ou à « Saint-Michel et Saint-Nicolas »27 aux siècles suivants. Cette évolution s’explique peut-être par le fait que les habitants de Kissa précisent, dans l’acte de 1071, avoir donné le monastère Saint-Pierre des îles de Neum au monastère de Saint-Michel de Sansigo (Susak) après que « Dieu, dans sa miséricorde, [les] ait visités par la révélation de saint Nicolas »28.
24Cette liste de 18 fondations monastiques ne reflète pas l’ensemble des monastères dalmates antérieurs à 1100 puisqu’elle ne contient que les fondations évoquées explicitement dans la documentation écrite des IXe, Xe et XIe siècles. Pour une vue d’ensemble des fondations monastiques de l’Adriatique orientale, il est donc nécessaire de se reporter à la liste établie en 1963 par Ostojić qui se fonde sur l’ensemble des sources, écrites et archéologiques, qui étaient alors disponibles29. Toutefois, les sites mentionnés par Ostojić qui n’apparaissent pas dans les sources écrites méritent d’être étudiés avec prudence, en prenant en compte, d’une part, les résultats des fouilles récentes et, d’autre part, les représentations et les fonctions de ces monastères dans les diverses traditions spirituelles et historiographiques. Parmi ces fondations non-mentionnées dans les sources écrites antérieures à 1100 et donc absentes de la carte ci-dessous, nous attirons l’attention sur trois exemples de monastères situés sur les îles de Cres et de Krk. Si ces îles font actuellement partie de la région du Kvarner, Constantin Porphyrogénète les plaçait, au milieu du Xe siècle, sous la dépendance de la Dalmatie (ὑπὸ τὴν ἐπικράτειαν τῆς Δελματίας)30 :
le monastère de Martinšćica, sur l’île de Cres. I. Ostojić avait envisagé que la baie de Martinšćica, sur l’île de Cres, ait pu accueillir un monastère bénédictin avant 1046, année de la mort de saint Gérard de Sagredo, abbé de Saint-Georges dans la lagune de Venise. Mais il se fondait uniquement sur une indication de la Vie de saint Gérard de Sagredo écrite par le moine bénédictin Arnold Wion au début du XVIIe siècle, qui raconte que le saint aurait fait une escale, entre Venise et Zadar, dans un monastère placé sous la dédicace de saint Martin31.
le monastère Saint-Pierre d’Osor, sur l’île de Cres, n’est pas désigné explicitement comme un site monastique dans les actes avant le début du XIIIe siècle (voir infra, p. 185 sq.).
le monastère Sainte-Lucie de Baška, sur l’île de Krk : la stèle de Baška contient une inscription en alphabet glagolitique découverte en 1851 sur le dallage de l’église romane de Sainte-Lucie. Par cette inscription, deux abbés (Drziha et Dobrovit) font mémoire vers 1100 de la donation par le roi Zvonimir d’une terre à « Sainte-Lucie ». Mais ils ne précisent pas si « Sainte-Lucie » désigne un monastère ou une église au moment de la donation à la fin du XIe siècle32.
2. Le vocabulaire monastique
25La vocation monastique des établissements mentionnés sur la carte apparaît déjà dans le vocabulaire employé dans les actes33. Les termes monasterium ou cenobium sont utilisés systématiquement pour désigner chacune de ces 18 fondations, ce qui confirme, sans surprise, le caractère cénobitique et communautaire de ces établissements bénédictins. Le terme claustra est employé une seule fois « antiqua claustra »34 dans l’acte de 986 pour désigner la première fondation du monastère Saint-Chrysogone de Zadar que le prior de Zadar, vers 986, souhaite voir renaître et se développer sous la conduite de Madius, moine du Mont-Cassin. Si le champ lexical de « l’abbaye » est souvent présent (à travers les termes abbas, abbatis et abbatissa, abbatissae mais aussi à travers le verbe abbatiare au sens d’« être abbé »35), le terme « abbatia » en revanche n’apparaît jamais dans les actes antérieurs au XIIe siècle. Faut-il y voir un indice de l’absence d’« abbatia » dans le royaume dalmato-croate ? Faut-il y voir un nouvel indice de la dépendance des monastères bénédictins, y compris Saint-Chrysogone, à l’égard de l’abbaye du Mont-Cassin, l’« abbatia » par excellence ? Rien ne permet de le penser puisque les termes « abbé » ou « abbesse » sont employés fréquemment.
26Nous pensons en revanche que l’absence de terme lié à la vie ou à l’organisation monastique pour désigner d’autres établissements identifiés traditionnellement comme des établissements monastiques mérite d’être considérée avec attention : nous reviendrons plus loin sur l’exemple du monastère Saint-Pierre d’Osor, considéré comme un « foyer » de la réforme à l’époque moderne par les Annales Camaldules et l’Illyricum Sacrum. Nous verrons pourquoi l’absence de mention du monastère dans la documentation écrite avant le XIIIe siècle empêche de comptabiliser Saint-Pierre d’Osor et de le faire apparaître sur la carte des monastères attestés dans les sources diplomatiques du XIe siècle. D’autres fondations, a priori monastiques mais présentées uniquement comme ecclesia dans les actes, méritent d’être interprétées avec prudence36 dans la mesure où la distinction ecclesia / monasterium semble clairement établie en Dalmatie depuis la fin du Xe siècle37.
27La liste des 18 établissements monastiques mentionnés dans les sources diplomatiques devra être confrontée aux campagnes de prospections archéologiques qui cherchent à identifier les autres fondations bénédictines implantées dans la région38. Dans l’attente des résultats de ces campagnes, l’étude de la documentation administrative indique que plusieurs sites prospectés n’apparaissent jamais dans les actes diplomatiques antérieurs au XIIe siècle : cela signifie-t-il que la liste des fondations monastiques se réduit aux 18 sites évoqués dans les actes ? Cette question appelle probablement une réponse négative dans la mesure où l’identification des sites monastiques n’est pas toujours facile dans les sources écrites39. Cette question n’en soulève pas moins deux problèmes fondamentaux pour notre réflexion : 1. la définition architecturale, culturelle et sociale d’un monastère en Dalmatie-Croatie aux Xe-XIe siècles ; 2. la recherche des causes du développement rapide de certaines fondations liées à la cour dalmato-croate mais aussi aux grands abbayes bénédictines d’Italie du Sud, comme ce fut le cas du monastère Saint-Chrysogone de Zadar, le principal monastère de Dalmatie et le centre de « l’expansion » bénédictine dans la région qui a su constituer, au gré des donations et des extensions successives, un véritable complexe monastique au cœur de la capitale dalmate.
B. La reconstruction du monastère Saint-Chrysogone de Zadar
1. L’appel du prior de Zadar à un moine du Mont-Cassin (19 décembre 986 ?)
28Le renouveau du monastère Saint-Chrysogone mériterait une étude à part entière40 : le point de départ est un acte du 19 décembre 986 (?) par lequel le prior de Zadar, Maius, chef de l’administration citadine et proconsul de Dalmatie, « ordonne » que le monastère de Saint-Chrysogone, qui avait été fondé au début du IXe siècle et qui était placé sous le patronage des Madii41, soit reconstruit et que soit nommé à sa tête Madius, un moine de l’abbaye du Mont-Cassin, qui appartenait probablement aux Madii :
Ego quidem Maius, prior supra dicte ciuitatis atque proconsul Dalmatiarum, una cum consensu omnium nobilium ciuitati Jadere, ideu et here (dibus domini F) usculi atque Andree prioris; masculorum seu feminarum atque uniuersi populi, maiorum et minorum omnium, in unum conglobati uno consilio et pari uoluntate cogitantes de dei timore et etema retribuctione (…) ordinamus domnum Madium, dei sacerdotem et monachum, nostrum esse abbatem, qui fuit ex monasterio sancti Benedicti quod situm est in monte Casino, una cum consensu nostre congregationis beati Chrisogoni42.
29Avant de nous attarder sur les conséquences de cette requête, il faut noter que cet acte de 986 révèle l’existence d’une précédente fondation monastique. Il distingue en effet la route qui sépare l’ecclesia et l’antiqua claustra et que le prior de Zadar souhaite fermer afin de constituer le nouveau complexe monastique dirigé par Madius, le moine de Mont-Cassin :
Vnum tamen nobis reprehensibile esse uidetur, quod ecclesia extra antiquam claustram sit possita, quod precepta sancti patri Benedicti prohibent fieri, eo quod omnia necessaria monachis intra monasterium debeant haberi, ut nulla necessitas sit eis uagandi. Ideoque uiam publicam, que inter ecclesiam et antiquam claustram fuit, claudere fecimus, alia autem uia publica, que ab oriente ecclesie posita fuit, similiter claudere fecimus, sed in uicem eiusdem uie de territorio eiusdem ecclesie uiam fecimus publicam secus murum ciuitatis43.
30Mais la principale information délivrée par cet acte réside dans la requête du prior de Zadar, proconsul de Dalmatie, demandant à un moine du Mont-Cassin de diriger le monastère Saint-Chrysogone, renforçant ainsi de facto l’influence de l’abbaye campanienne sur la Dalmatie. L’identité du moine Madius semble indiquer, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, que ce moine, au même titre que le prior de Zadar, faisait partie de la puissante famille zaratine des Madii et, partant, que des membres de la noblesse zaratine étaient moines du Mont-Cassin. Mais cet acte va plus loin : il ne se contente pas de décider la reconstruction de Saint-Chrysogone et la nomination d’un moine du Mont-Cassin, originaire de Zadar, à la tête du monastère. Il exprime avec insistance44 le consensus entre le prior, autorité administrative de la cité et proconsul de Dalmatie, l’évêque Anastasius et la noblesse de Zadar qui décident d’un commun accord (una cum consensu) de faire appel à un moine du Mont-Cassin et de soumettre le monastère Saint-Chrysogone à la discipline de saint Benoît (precepta sancti patri Benedicti)45.
2. L’extension progressive d’un « complexe » monastique dans la capitale dalmate
31La reconstruction de Saint-Chrysogone sous influence cassinésienne fut favorisée, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, par les donations de la noblesse tout au long du XIe siècle qui accrurent la richesse foncière, les revenus mais aussi le statut du monastère de Zadar. La « cartula traditionis » de 986 indique déjà que le prior de la cité fit don au nouvel « abbé Madius et à ses successeurs » (domino Madio, abbati predicto, tuisque successoribus)46 de nombreux biens fonciers. Quatre ans plus tard, Maius céda encore au monastère Saint-Chrysogone « l’église Saint-Michel, avec ses terres adjacentes, située sur l’île Postimana »47. Les premiers actes conservés du « sacrum cenobium » Saint-Chrysogone de Zadar (CDCDS, 34, p. 50) nous apprennent aussi que, dès le début de l’abbatiat de Madius du Mont-Cassin, les nobiles de Zadar concédèrent les droits de pêche au monastère48 et que se multiplièrent, à partir de 1028, les donations de terres, de maisons, de biens, d’objets ou d’églises49, pouvant être aussi des sources de revenus50. La diversité des donations mériterait une étude à part entière. En attendant, la localisation des donations successives au monastère montre l’extension progressive de ses propriétés à Zadar, autour de Zadar, comme dans la localité de Diklo51, sur les îles voisines, comme à Melata et Tilago52, quand il ne s’agit pas d’îles entières données par le roi, comme le montre l’exemple de la donation de l’île de Maun53. Ces donations permirent à Saint-Chrysogone d’acquérir des propriétés très étendues au point d’apparaître comme l’un des principaux propriétaires fonciers de la région de Zadar. L’une des donations les plus spectaculaires est sans doute la donation de Diklo effectuée par le roi Krešimir II dans le troisième quart du Xe siècle et confirmée en 1067 par le roi Krešimir IV : comme nous l’avons vu plus haut, l’étude des toponymes a permis à Nikola Jakšić de montrer que la donation correspondait à une partie importante de l’ager publicus de l’ancienne colonie impériale de Jadera et à une partie extérieure à ce territoire qui appartenait donc au royaume croate54.
32Cette hypothèse stimulante met en évidence la limite de l’espace croate par rapport à celui de la capitale dalmate. Elle souligne aussi la porosité de cette limite qu’il serait bien excessif de considérer comme une frontière. La donation royale de Diklo (Yculus) montre enfin la volonté de rapprocher la cour, sise à Nin, du monastère Saint-Chrysogone dont les nouvelles possessions étaient reliées à Nin par une route directe (a mare usque viam antiquam, qua itur ad Nonam)55. Les donations de ce type sont naturellement les plus spectaculaires. Elles ne doivent pas néanmoins éclipser d’autres donations apparemment plus modestes. Portant sur des parcelles limitées ou des fragments de bien (« un huitième d’une maison »56, « la moitié d’une maison »57 ou « un jardin jouxtant le monastère »58), elles révèlent elles aussi la volonté de contribuer coûte que coûte à l’agrandissement du monastère lui-même, au cœur de la cité de Zadar, qui absorbe peu à peu des espaces limitrophes et s’affirme au cours du règne de Krešimir IV comme un véritable « complexe » monastique.
3. Le monastère féminin Sainte-Marie de Zadar et le rôle des femmes dans l’expansion bénédictine en Dalmatie
33Le développement du monastère Saint-Chrysogone est d’autant plus remarquable qu’il doit être mis en relation avec la fondation et l’essor rapide du monastère féminin Sainte-Marie59. Le monastère des moniales bénédictines de Zadar60 fut fondé à quelques centaines de mètres de Saint-Chrysogone sur la propriété d’une noble veuve, membre de la famille des Madii, nommée Čika, qui devient la première abbesse du monastère. Cet exemple attire notre attention sur le rôle notable des femmes dans l’expansion bénédictine, comme fondatrices, donatrices et comme religieuses. Le cas de Čika, qui est assurément le plus significatif, n’est pas isolé puisque la documentation révèle un processus identique dans d’autres cités dalmates : outre le cas de Čika61, on peut citer Vegeneg, la mère de Čika62, Mirazza ou Miraçça, fondatrice et abbesse du monastère Saint-Benoît de Split63 ou encore « la très noble » Chatena, future abbesse de ce même monastère de Split64.
34Certains de ces exemples révèlent le rôle déterminant des « évêques » qui ont encouragé la création des monastères féminins dans leur cité : ce fut le cas par exemple du monastère Saint-Nicolas de Trogir fondé en 1064 à l’initiative, semble-t-il, de l’évêque Jean et qui est aujourd’hui le plus ancien monastère féminin encore en activité en Dalmatie. Le monastère féminin Saint-Benoît de Split fut également fondé sous l’impulsion de l’archevêque Laurent en décembre 1068. Ces deux exemples démontrent l’importance des évêques dans la création et le développement de certaines fondations féminines65 auxquelles ils attribuèrent aussi de nombreuses donations66. Toutefois, l’implication de l’autorité épiscopale ne doit pas minimiser le rôle des femmes dans l’essor du monachisme féminin dalmate : en dehors des femmes « fondatrices » et/ou « abbesses » des communautés évoquées plus haut, il faut souligner leur rôle dans l’essor matériel des monastères : la documentation antérieure au XIIe siècle révèle en effet que 10 % environ des donateurs identifiés sont des femmes. On constate aussi que certaines épouses de prestigieux donateurs sont représentées dans certains actes de donation, de fondation ou de construction d’un établissement ecclésiastique. Ce dernier point, plus rare, est parfaitement illustré par l’acte du « Banus S. » : le ban procède en effet à d’importantes donations au monastère Saint-Chrysogone après avoir rappelé son rôle et celui de sa femme Maria dans la décision de construire l’église Saint-Nicolas de Zadar (cum coniuge mea Maria fabricaui eam)67. Loin d’être anecdotiques, ces exemples mettent en évidence le rôle non négligeable des épouses, des filles et des veuves dans les fondations et les transferts de biens aux monastères. Ils démontrent, plus largement, l’importance croissante des femmes dans la structure familiale de l’aristocratie et dans la société dalmate68.
35Les étroites relations entre les fondations monastiques masculines et féminines de Zadar, Biograd, Split et Trogir révèlent aussi la constitution d’institutions monastiques au cœur des principales cités dalmates69. Profitant de l’évergétisme aristocratique et des largesses royales mais aussi de ses liens privilégiés avec l’Église dalmate, le Mont-Cassin et la papauté, le monastère Saint-Chrysogone de Zadar devint rapidement l’épicentre d’un vaste réseau monastique qui se constitua au cours du XIe siècle en Dalmatie et sur les îles situées entre l’Italie et les côtes dalmates. L’exemple de Saint-Chrysogone et des principaux monastères bénédictins dalmates souligne enfin le rôle des voies de communication et du commerce maritimes70 dans l’essor des monastères71. En témoigne l’importance stratégique de l’abbaye bénédictine Sainte-Marie des îles Tremiti72, situées à douze milles nautiques des côtes italiennes sur la route maritime entre le nord des Pouilles et la Dalmatie, qui constituait un relais majeur entre l’Italie méridionale et les fondations dalmates. Cette abbaye fut l’objet, à partir de 1059, d’un intérêt particulier de la part de l’abbé Desiderius du Mont-Cassin.
C. L’abbaye du Mont-Cassin et les voies de communication dans l’Adriatique
1. Le conflit entre l’abbaye du Mont-Cassin et l’abbaye Sainte-Marie des Tremiti
36Cet intérêt se heurta très vite à la résistance de l’abbé des Tremiti, Adam. Le cartulaire du monastère permet de suivre les différentes étapes de la tentative de prise en main des Tremiti par l’abbé du Mont-Cassin qui suscita de vives tensions, au milieu du XIe siècle, entre les deux abbayes bénédictines. L’historiographie s’est assez peu penchée sur ce conflit73 qui doit être replacé dans l’histoire des relations politiques entre l’Italie méridionale et les Balkans, et des rapports entre les centres bénédictins de Campanie et les Pouilles septentrionales74 : depuis le Xe siècle, toute la région était soumise en effet à l’influence des Lombards et des monastères campaniens, comme le Mont-Cassin mais aussi l’abbaye de Cava dei Tirreni, San Vincenzo al Volturno et Santa Sofia de Bénévent, qui y possédaient des biens et des dépendances75. Mais la reconquête d’Ascoli, entre 981 et 983, et de Lesina marqua le début d’une colonisation byzantine de la Daunia dans la seconde décennie du XIe siècle qui se traduisit par les fortifications de Boioannes et par de nouvelles cités formant une double ligne le long de la frontière lombarde (Civitate, Dragonara, Fiorentino, Montecorvino, Biccari, Troia, Melfi)76. Cette évolution entraîna un développement des échanges avec la Dalmatie, favorisant le développement des relations entre les églises des deux rives de l’Adriatique77 et l’implantation de populations slaves dans le nord des Pouilles78 : le cartulaire du monastère bénédictin de Sainte-Marie des Tremiti révèle par exemple l’existence de deux colonies slaves sur la côte septentrionale du Gargano79 : le castellum de Devia, situé entre le lac de Lesina et de Varano, est attesté pour la première fois par un acte de 1023 et celui de Peschici, plus à l’est, par un acte de 105380. Le contexte troublé du milieu du XIe siècle permet de mieux comprendre les tensions croissantes entre le Mont-Cassin et Sainte-Marie des Tremiti qui occupait une position stratégique entre les deux rives de l’Adriatique et qui était « un point d’appui de la politique byzantine dans les Pouilles »81.
37En 1054, le cardinal réformateur Frédéric de Lorraine, qui avait été accueilli par l’abbé des Tremiti Guisenolfo, avait brusquement rompu avec son successeur, l’abbé Adam, auquel il reprochait une attitude trop ouvertement « philoimpériale »82. Un an plus tôt, la bataille de Civitate, au cours de laquelle les Normands avaient défait la coalition anti-normande conduite par Léon IX et soutenue par les Byzantins, avait profondément modifié les alliances. Menaçant les ambitions byzantines sur le nord des Pouilles, les nouveaux rapports de force obligèrent la papauté à composer avec les Normands et à réunir en août 1059 le premier concile de Melfi qui, grâce à la médiation de l’abbé du Mont-Cassin Desiderius, scella l’alliance entre la papauté et les Normands83. Profitant de ses bons rapports avec les Normands, Desiderius remplit un rôle déterminant dans les négociations de 1059, l’année même où il fut nommé vicaire pontifical pour la région des Pouilles et de la Calabre. Il saisit l’occasion du concile de Melfi pour revendiquer les droits de son abbaye sur le monastère des Tremiti, se basant sur un privilège apocryphe du pape Zacharie (741-752) qui aurait reconnu au Mont-Cassin une série de dépendances parmi lesquelles se trouvait le monastère des Tremiti. En plein concile, Desiderius ne demanda rien de moins que la soumission au Mont-Cassin du monastère des Tremiti (nostrum monasterium suo monasterio subesse). Cette revendication suscita la réaction immédiate d’Adam qui obtint finalement la reconnaissance de l’autonomie (libertatem) de son monastère par le pape Nicolas II qui écarta la requête de l’abbé du Mont-Cassin et rappela l’indépendance de l’abbaye insulaire :
Nouit uestra paternitas quod nudius tertius domnus abbas Sancti Benedicti de Monte Cassino coram sancta uestra presentia super me inparatum proclamationem fecit, dicens nostrum monasterium suo monasterio subesse debere; cui quia tunc respondere non potui, uestra misericordia michi canonicas inducias dare non renuit, unde modo paratus sum respondere, uisis priuilegiis nostre ecclesie et inquisitis quibus libertatem nostri Tremetensis monasterii indubitanter nunc defendi posse recognosco, Domino auxiliante.84
38Mais cette victoire de l’abbé des Tremiti fut remise en cause par l’intervention de l’un des successeurs de Nicolas II, le pape Grégoire VII, qui envoya, en 1073, une lettre aux moines des Tremiti confirmant Desiderius comme tuteur du monastère insulaire85, indiquant qu’il ne s’agissait pas de restreindre la liberté qui lui avait été accordée mais au contraire de « protéger cette liberté gravement menacée »86. Cette intervention de Grégoire VII en faveur de l’abbé du Mont-Cassin – quelques années avant que celui-ci ne lui succède sous le nom de Victor III – permit à Desiderius d’imposer son auctoritas sur Sainte-Marie des Tremiti qui apparut alors comme une dépendance du Mont-Cassin dans un certain nombre de privilèges pontificaux87. L’abbaye campanienne put ainsi étendre son influence sur les îles dépendantes du monastère Sainte-Marie des Tremiti qui est toujours désignée, dans les privilèges pontificaux, à travers la formule « S. Marie in Tremiti cum ipsis insulis ». S’il est vrai que la chronique du Mont-Cassin parle peu de la Dalmatie, il est intéressant de constater que le monastère Sainte-Marie de Rabiata (Rozata, près de l’actuelle Dubrovnik)88, qui apparut dans les privilèges pontificaux à partir d’Anastase IV en 1153/54, est mentionné sur les portes de bronze de l’abbaye du Mont-Cassin89, véritable cartulaire architectural présentant ses principales possessions.
39Erica Morlacchetti considère, après Augustin Fliche90, que les revendications de Desiderius étaient animées avant tout par la volonté de répondre aux confiscations dont l’abbaye du Mont-Cassin avait été victime et de lui redonner ainsi tout son rayonnement91. Elle interprète aussi l’argumentation prudente de Grégoire VII comme la preuve d’une approche différente de la question des Tremiti entre le pape et l’abbé du Mont-Cassin92. Sans vouloir absolument expliquer l’attitude de Desiderius par le désir de renforcer le mouvement réformateur dans l’Adriatique, il me paraît important de souligner les conséquences inévitables de cette stratégie sur l’extension de l’influence cassinésienne en Dalmatie et, partant, sur l’enracinement de l’influence cassinésienne dans l’Adriatique orientale. La reconnaissance des droits de l’abbaye du Mont-Cassin sur le monastère Santa-Maria dei Tremiti fut en effet une étape importante dans le renforcement de son influence sur la Dalmatie. En effet, si les relations du Mont-Cassin avec Trogir et Dubrovnik semblent plus tardives, les bénédictins des îles Tremiti étaient déjà présents dans la région puisque le monastère de Saint-Benoît, sur l’île de Lokrum tout près de Dubrovnik, fut fondé en 1023 par un moine des Tremiti, nommé Petrus93, auquel l’archevêque de Dubrovnik, Vitalis, et le praeses de la cité, Lampredius, avaient donné un terrain sur cette île94. Nous savons aussi que des clercs de la métropole de Split procédèrent à des donations importantes en faveur de l’abbaye des Tremiti sans que l’on puisse connaître avec précision le détail de ces donations95.
2. L’influence cassinésienne sur la Dalmatie dans la seconde moitié du XIe siècle
40Les modalités de l’influence cassinésienne dans le sud de la Dalmatie mériteraient une étude plus approfondie : on peut déjà affirmer néanmoins que les moines de l’abbaye campanienne sont omniprésents dans la vie religieuse dalmate à partir de la fin du Xe siècle : nous avons vu que Madius était devenu l’abbé du principal monastère de la région ; citons aussi l’exemple du légat apostolique Maynard, ancien moine du Mont-Cassin, abbé de Pomposa et cardinal, qui réunit à Split, selon le témoignage de Thomas l’archidiacre, un important synode vers 1059 et 106196. Une autre source extérieure permet d’évaluer l’influence de l’abbaye du Mont-Cassin qui apparaissait, à la fin de notre période, comme une autorité religieuse incontournable en Dalmatie : il s’agit de la lettre du roi Hongrois Ladislas écrite en 1091 au lendemain de la conquête hongroise de la Dalmatie-Croatie qui mit fin au royaume croate. Il est intéressant de constater en effet que le nouveau maître de la région s’adressa immédiatement à l’abbé du Mont-Cassin, Oderisius, pour souligner désormais leur proximité géographique :
Scias etiam me sancti Egidii abbati plurima in terra Ungarie prestitisse beneficia, quod sit tibi imago futuri beneficii, scilicet quandocumque me per legatos tuos exquisiueris. Mandass˛em etiam tibi iam ad manum quedam de nostris muneribus; set ueritus sum propter turbam terre uestre malis impedientibus uiris totum frustra fecisse, te quia uero iam credo te quosdam de tuis, quibus placita nostra suggeremus, ad me missurum, quod exspecto. Sed istud obnixe, non meritis meis quod uellem, sed spe future munificentie exigo, ut de sancti Benedicti reliquiis aliquid nostre dirigas patrie. Porro si neutra ad presens agere possis, saltim per legatum, quem papa mihi mittet, quod… quomodo uelis, rescribe; uicinis enim iam agere poteris, quia Sclauoniam iam fere totam acquisiui. Confirmatum tibi (?) per hunc scriptum, quicquid in Ungaria et Messia et Sclauonia ullo loco nostri homines offerre uoluerint97.
41Prenant acte de son « voisinage » avec l’abbaye du Mont-Cassin depuis qu’il a conquis la Sclavonie (uicinis enim iam agere poteris, quia Sclauoniam iam fere totam acquisiui), le roi hongrois profite de cette nouvelle situation pour demander à l’abbé Oderisius des reliques de saint Benoît et pour lui promettre de nouvelles donations98 malgré « l’abondance des terres »99 dont il dispose. Cet acte montre que les pratiques et la rhétorique de la donation font partie intégrante du rapprochement entre les autorités royales, dalmato-croates puis hongroises, et les fondations bénédictines de Dalmatie. Il fournit aussi la preuve de la présence de plus en plus visible des bénédictins du Mont-Cassin et de l’influence croissante de la culture bénédictine en Dalmatie.
D. La diffusion de la culture bénédictine en Dalmatie
1. Les saints bénédictins en Dalmatie : de saint Benoît à saint Barthélémy
42Le culte et la spiritualité de saint Benoit sont l’expression la plus visible de la diffusion de la culture bénédictine : s’il est difficile de dater la provenance, l’origine et les voies de diffusion en Dalmatie, on peut citer l’apparition de certaines dédicaces au XIe siècle, comme les monastères (féminin) Saint-Benoît de Split et (masculin) Saint-Benoît de Lokrum, ou la diffusion des textes fondateurs de la spiritualité bénédictine, comme la Vita Benedicti et les commentaires de la Regula Benedicti, dont on recense plusieurs copies en bénéventaines dalmates dès le XIe siècle100. Si les moines du Mont-Cassin – notamment Madius devenu abbé de Saint-Chrysogone de Zadar – ont sans doute joué un rôle dans l’essor du culte de Benoît en Dalmatie, d’autres abbayes d’Italie méridionale ont peut-être aussi contribué à diffuser la spiritualité bénédictine dans la région, comme semble le suggérer l’introduction du culte de saint Barthélémy dans la cité de Knin, l’un des sièges de la cour croate dès la seconde moitié du Xe siècle101. Cette hypothèse, formulée par Neven Budak102, est doublement intéressante pour notre propos : tout d’abord, elle confirmerait l’existence de liens étroits entre les moines bénédictins et la cour croate qui, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, a fortement encouragé l’essor des fondations bénédictines à travers de nombreuses donations ; elle mettrait aussi en évidence le rôle particulier des bénédictins de Bénévent dans le développement du monachisme dalmato-croate et, plus particulièrement, dans l’essor du monastère bénédictin de Knin et la diffusion du culte de saint Barthélémy103 en Dalmatie qui est attestée par des toponymes – à Knin, à Galovac (près de Zadar), à Morinje ou Donje Polje (près de Šibenik) et à Salone – qui semblent tous liés au monastère Saint-Barthélémy de Knin. Même limitée à quelques dépendances du monastère de Knin104, la diffusion du culte de saint Barthélémy démontre que les liens entre les monastères d’Italie méridionale et la Dalmatie médiévale ne se limitent pas à l’influence du Mont-Cassin mais pourraient impliquer aussi d’autres grandes abbayes de l’Italie méridionale, notamment de Bénévent. La diversité des voies de diffusion de la culture bénédictine apparaît de manière encore plus nette dans l’essor de l’écriture bénéventaine en Dalmatie.
2. L’écriture bénéventaine entre l’Italie méridionale et la Dalmatie
43Les particularités graphiques de l’écriture bénéventaine, qui était apparue à la fin du VIIIe siècle dans le duché de Bénévent et s’était développée dans les monastères bénédictins d’Italie du Sud, permettent de suivre assez précisément l’extension de certaines formes de la culture bénédictine en Italie méridionale et en Dalmatie où la majorité des manuscrits liturgiques et administratifs semblent avoir été copiés en bénéventaine entre le XIe et le XIVe siècle. Ces manuscrits ont été étudiés du point de vue paléographique par Elias Avery Loew et Virginia Brown105, du point de vue de la liturgie par Richard F. Gyug et Roger Reynolds106, et plus récemment du point de vue de la décoration, de l’ornementation et des enluminures107. L’évolution de cette écriture permet de distinguer deux variantes à partir du XIe siècle : le type du Mont-Cassin et le type de Bari. Mais alors que le type de Bari s’imposa dans une grande partie des Pouilles et en Dalmatie, il apparaît que « la bénéventaine de type cassinésien semble être l’unique écriture livresque utilisée au XIIe siècle en Capitanate et dans le Gargano »108, dans les Pouilles septentrionales, c’est-à-dire dans la région où s’affirma l’influence du Mont-Cassin durant la réforme « grégorienne ». La diffusion de l’écriture bénéventaine en Italie méridionale et en Dalmatie est un observatoire intéressant pour étudier l’essor de la culture bénédictine dans les îles adriatiques. En effet, cette écriture, qui fut à l’origine étroitement liée à l’abbaye du Mont-Cassin et à ses dépendances, fut exportée par les bénédictins en Dalmatie où elle fut utilisée entre le XIe et le XIVe siècle. Elle concerna la production livresque de tous les centres dalmates (Split, Kotor, Rab et Osor) mais fut surtout produite dans les trois principaux scriptoria bénédictins : Zadar, Trogir et Dubrovnik. S’il est vrai que la « bénéventaine » dalmate se rapproche surtout du type de Bari, Novak a rappelé à juste titre qu’elle arriva dans la région au tournant des Xe-XIe siècles à un moment où la distinction entre les types du Mont-Cassin et de Bari était peu évidente. Son arrivée en Dalmatie peut donc être mise en rapport avec l’expansion du monachisme cassinésien et, éventuellement, bénéventain en Dalmatie à partir de la fin du Xe siècle. Son évolution, qui la rapproche du type de Bari, est postérieure et est encore discutée : certains spécialistes contestent ses liens avec le type de Bari et considèrent qu’elle connut une évolution propre sur les côtes orientales de l’Adriatique109, notamment dans le scriptorium du monastère Saint-Chrysogone de Zadar110. Sans vouloir rouvrir une discussion qui dépasserait le cadre de notre étude, il convient de remarquer que les monastères insulaires dalmates contribuèrent au développement de la production de manuscrits latins en écriture bénéventaine sur les côtes orientales de l’Adriatique, comme en témoigne le célèbre évangéliaire d’Osor conservé à la Bibliothèque Vaticane111.
44À partir d’une analyse stylistique de la décoration du manuscrit et d’une comparaison avec la production contemporaine de Dalmatie et du sud de l’Italie, Emanuela Elba a proposé récemment une nouvelle étude du manuscrit qui reconsidère le lieu de production, les modèles et le rapport de l’Évangéliaire avec la cité insulaire d’Osor112. Retenant l’hypothèse d’une création du manuscrit à l’occasion de la donation du monastère de Susak à l’abbaye du Mont-Cassin, elle considère que le manuscrit a pu arriver à Osor plus tard, peut-être au moment du transfert sur l’île du franciscain de Zadar Michel qui devint évêque d’Osor. L’analyse du codex révèle plusieurs thématiques importantes du mouvement réformateur, notamment le motif récurrent du « Christ imberbe » (fig. 13) qui fait partie « des modèles figuratifs de l’art de la réforme » ou encore le thème de l’Agnus Dei qui apparaît aussi dans la miniature du Vere dignum de l’Exultet dans le codex Bodl. Canon. Lat. 61, le manuscrit le plus caractéristique de l’art de la miniature dalmate113. À cet égard, l’Évangéliaire d’Osor, comme la plupart des manuscrits dalmates écrits en bénéventaines dans la seconde moitié du XIe siècle, constitue une très belle illustration de « l’art orienté » dont parle Pierre Toubert en analysant l’iconographie de la réforme « grégorienne » dans l’Italie méridionale114.
45Les inventaires des bibliothèques monastiques du XIe siècle confirment la diffusion de l’écriture bénéventaine qui concerne la plupart des manuscrits liturgiques produits en Dalmatie entre le XIe et le XIIIe siècle : Elias Avery Loew a constaté par exemple que l’inventaire du monastère Saint-Pierre de Sello, au sud de Split, évoquait une douzaine de manuscrits dont un « psaultier en lettres françaises » (psalterium cum litteris francigenis)115, indication qui désigne un manuscrit copié en « lettres carolines ». Nous pensons comme Elias Loew que cette précision suggère a contrario que les autres manuscrits étaient copiés en écritures bénéventaines116.
46La documentation conservée dans le codex diplomaticus confirme l’importance de la production manuscrite des monastères bénédictins de Dalmatie : nous savons, par exemple, que la donation royale de l’île de Maun au monastère Saint-Chrysogone en 1069, que nous avons citée plus haut, contribua fortement à l’essor de son scriptorium d’où proviennent une grande partie des manuscrits latins dalmates en écriture bénéventaine. L’île de Maun était en effet un lieu privilégié pour le pâturage des troupeaux indispensables pour la production du parchemin utilisé par le scriptorium, en pleine expansion, du monastère de Zadar. Toutefois, outre les manuscrits liturgiques produits dans les scriptoria bénédictins, certains documents administratifs furent également copiés en lettres bénéventaines, comme en témoigne une copie du XIIe siècle d’un acte de donation de quatre frères croates réalisé sous le règne de Krešimir IV117.
47Même si nous ne pouvons certifier que l’acte original de cette donation fut copié en lettres bénéventaines, l’utilisation de la bénéventaine dans une copie du XIIe siècle et dans de nombreux autres actes administratifs illustre, croyons-nous, la diffusion et l’enracinement progressifs de la culture bénédictine en Dalmatie. L’utilisation de la bénéventaine dans les copies des actes royaux118 ne constitue pas non plus la preuve que les originaux du XIe siècle aient été copiés aussi en lettres bénéventaines, même si certaines de ces copies ont vraisemblablement été copiées moins d’un siècle après les originaux. Un manuscrit bien connu, contemporain des rois croates, pourrait toutefois démontrer l’usage de la bénéventaine à la cour. Il s’agit du Liber sequentiarium et sacramentarium, conservé à Šibenik, qui fut copié en carolines et en bénéventaines au tournant des Xe et XIe siècles. D’après Miho Demović, ce manuscrit liturgique aurait pu appartenir à l’évêque croate de la Cour, comme l’indiquent la prière du Vendredi Saint, qui mentionne les rois croates, et le calendrier célébrant la festivité de saint Nicolas119. D’après cette interprétation, ce manuscrit aurait donc pu servir, selon Demović, lors du couronnement des rois croates devant l’église Saint-Nicolas près de la Cour de Nin où sept rois croates auraient été couronnés120.
3. Bibliothèques et scriptoria monastiques
48Cette vue d’ensemble de la production manuscrite en bénéventaine permet de constater la diffusion d’une écriture qui révèle à la fois l’influence de la culture bénédictine sur les pratiques de l’écrit en Dalmatie et les liens anciens entre les scriptoria dalmates et les fondations de l’Italie méridionale. Elle démontre aussi la richesse et l’importance des bibliothèques bénédictines dans la vie culturelle dalmate. Là encore, les actes diplomatiques donnent quelques éléments sur leur contenu. Le CDCDS contient deux inventaires de bibliothèques bénédictines du XIe siècle : celui du monastère Saint-Pierre de Sello, au sud de Split (CDCDS, 173 (a. fin XIe siècle), p. 212) et celui du monastère féminin de Saint-Benoît de Split (CDCDS, 172 (a. fin XIe siècle), p. 211) qui possédaient chacun une vingtaine de codices, essentiellement des manuscrits liturgiques (évangéliaire, missel, bréviaire, psaultier, antiphonaire, sermonnaire, passionnaire et légendier) et quelques recueils de textes monastiques, notamment des allusions à une regula qui désigne sans doute la Regula Benedicti. Nous citons ci-dessous, à titre d’exemple, l’inventaire du monastère Saint-Pierre de Sello, à la fin du XIe siècle, qui semble avoir possédé une bonne quarantaine de textes différents, même s’il n’est pas possible de savoir si chaque texte correspondait à une unité codicologique différente :
I
In nomine domini. Incipit nota librorum: in primis misalum, et duos tefenarios nocturnales et alios uernales, et uitas patrum, et tres omelias, et matulinalem, et pasionalem, et unum collectarium, et unum penitentialem, et unum ordo ad uisitandum infirmum et unum textus regule de generibus uel uita monachorum, et unum liminarium, et unum librum pro mortuorum, et salterium, et lectionarium anni circulo, et alium psalterium, et ordo ad penitentiam dandas (!) et ordo ad monachum faciendum, et librum cum lectionibus dominicis et cum canticis monasticis, et orationalem de Pasca usque in sancti Martini, et alium ymnarium, et ordo de dominicis diebus siue cotidiamis secundum ordinem sancti Benedicti, et psalterium cum litteris francigenis.
II
(...) et II missalis, et I omelia de aduento et I omelia quadrage-simalo, et I omelia post Parasceuen, et I omelia Gregorialis, et I uita patrum, et II antifonariis, et I mattinalio, et III psalteriis, et II imnis, et I canones, et I liber. Et est aput ecclesiam I matutinalum, et I imnus, et I manualum, et I orationalum, et I psalterius, et I regula, et I sermocinalis. Istis rebus damus tenere in manus Talmacius. Testes sunt: Petris et Falcus et presbiter luanus et clericus Bendictus (!)121.
49La richesse de la bibliothèque du monastère bénédictin Saint-Pierre de Sello s’explique en partie par les dons de Petrus Zerni, une des principales figures de l’aristocratie spalatine. D’autres documents, notamment des actes de donation, délivrent des informations sur les bibliothèques monastiques : un document de l’année 1071 nous apprend par exemple que le monastère insulaire d’Ilovik possédait également une petite collection d’une dizaine de manuscrits122 ; un autre acte de 1042 indique que le ban croate S. (probablement le banus Stjepan, futur roi Stjepan Ier) offrit, en 1042, dix-neuf codices au monastère Saint-Chrysogone de Zadar123. Celui-ci possédait en outre un important scriptorium124 « étroitement associé aux activités du Mont-Cassin, ce qui lui valut son titre de Mont-Cassin croate »125. L’intensité de sa production, qui en fit « à l’apogée de l’activité de son scriptorium, aux XIe et XIIe siècles, (...) un foyer de production de livres latins pour tout le pays dalmato-croate »126, ne doit pas dissimuler l’activité, dès le XIe siècle, d’autres scriptoria à Trogir, Split, Dubrovnik et Kotor sur lesquels manquent néanmoins des informations précises. Une étude récente suppose également l’existence d’un scriptorium ecclésiastique dans la métropole de Split où auraient été copiés notamment les fragments conservés du Liber Psalmorum du XIe siècle (cod. Zagreb, Metropolitana, MR 164), l’un des plus anciens manuscrits en écriture bénéventaine dalmate, et l’archétype de l’Historia Salonitana de Thomas l’Archidiacre au XIIIe siècle (cod. Split, Archives Capitulaires, sign. Kas 623)127.
50La documentation du XIe siècle permet aussi d’identifier au moins quatre bibliothèques monastiques en Dalmatie (Saint-Chrysogone de Zadar, Saint-Benoît de Split, Saint-Pierre de Sello et Saint-Pierre d’Ilovik) qui possédaient des manuscrits liturgiques, homilétiques et monastiques dont une partie était copiée en écriture bénéventaine. Si les sources sont moins éloquentes sur les différents scriptoria ecclésiastiques dalmates, elles témoignent de l’intensité de la vie culturelle dans les milieux bénédictins qui se nourrit surtout, en même temps qu’elle y contribue, de l’essor du mouvement réformateur.
E. Les fondations bénédictines, foyers de la réforme ? L’exemple de Saint-Pierre d’Osor
51L’étude des foyers de la réforme nous plonge au cœur de la culture bénédictine et de l’histoire de la papauté médiévale dans un moment crucial de son essor en Méditerranée. Le meilleur exemple est sans doute la fondation supposée, autour de 1018, du monastère Saint-Pierre d’Osor qui fut dédié au Prince des apôtres et qui devint, selon l’historiographie camaldule128, un des foyers de la réforme ecclésiastique au XIe siècle dans l’Adriatique orientale129.
1. Saint-Pierre d’Osor dans l’historiographie camaldule
52Constantin Porphyrogénète considère la cité d’Osor comme une cité latine ayant probablement conservé ses structures municipales130. C’est dans ce lieu insulaire marqué par une occupation antique et une organisation romaine131 que la tradition camaldule situe la fondation du monastère Saint-Pierre par un édile ravennate et futur évêque d’Osor nommé Gaudentius132. Celui-ci était né à Osor et avait rencontré à l’abbaye de Pomposa, Romuald, le fondateur des Camaldules qui se retira en Istrie pour mener une vie d’ermite et qui entretenait de bons rapports avec l’abbé Odilon, le réformateur de Cluny133. Les Annales Camaldulenses134, éditées au XVIIIe siècle, racontent que Gaudentius « fonda plusieurs monastères, en exemple et avec l’aide des moines du Mont-Cassin (…) sous la norme de Romuald »135. L’importance de l’épiscopat de Gaudentius d’Osor dans la diffusion des idées réformatrices apparaît également dans le fait que deux des principaux soutiens de Grégoire VII en Dalmatie y auraient été formés : il s’agit de l’évêque Jean de Trogir136 et de l’archevêque Laurent de Split qui dirigea le siège métropolitain de Split entre 1060 et 1099 et qui peut être considéré, par son action normative et par la durée de son épiscopat, comme l’un des principaux acteurs de la réforme « grégorienne » en Dalmatie137. Or, les Annales Camaldulenses précisent aussi que « parmi ces monastères se trouve le coenobium de Saint-Pierre à l’intérieur des murailles de la cité d’Osor »138. Le fait que le monastère Saint-Pierre d’Osor soit l’unique fondation de Gaudentius citée par les Annales Camaldulenses suggère son importance et probablement sa place centrale dans le réseau monastique de Gaudentius. L’évocation de ses liens avec les moines du Mont-Cassin (exemplo et auxilio monachorum Casinatum) et de la règle de Romuald (consilio et sub norma Romualdi) met en évidence le rôle supposé de Saint-Pierre d’Osor dans l’influence croissante du monachisme réformateur en Dalmatie.
53Un second témoignage textuel, la Vie de saint Gaudentius139, semble confirmer la centralité d’Osor. Ce texte hagiographique, écrit à une date inconnue, aurait été retrouvé en 1714 dans la ville de Cres, non loin d’Osor, par l’érudit jésuite Filippo Riceputi (1667-1743). Celui-ci rassemblait alors les sources anciennes de son Museum Illyricum, travail préparatoire à son grand projet sur l’histoire de l’Église de l’Illyricum, qui fut finalement réalisé par Farlati et Coletti dans leur célèbre Illyricum sacrum qui contient notamment la Vie de saint Gaudentius.
54Le récit est assez vague : l’auteur anonyme raconte que le saint était en rapport avec un certain « Petrus, fondateur du coenobium de Novus Portus »140, que l’on identifie habituellement avec Pierre Damien, moine et prieur de Fonte Avellana, mais aussi l’un des principaux acteurs de la réforme « grégorienne »141. Cette identification reste hypothétique même si Pierre Damien évoque en termes élogieux Gaudentius avec lequel il a peut-être vécu une période de sa vie monastique142. Ces témoignages démontrent que Gaudentius était étroitement lié au réseau bénédictin réformateur et qu’il apparut comme un exemple lorsqu’il quitta l’épiscopat pour vivre la vie monastique143. Toutefois, aucun d’entre eux (ni la Vie de saint Gaudentius, ni les écrits de Pierre Damien...) n’évoque l’existence de cette fondation qui n’apparaît jamais, dans ces écrits, comme un point de rencontre entre les grands acteurs de la réforme en Dalmatie. Si le rôle de Jean de Trogir et de Laurent de Split dans la mise en place de la réforme est bien connu144, leur séjour au monastère Saint-Pierre d’Osor n’est attesté par aucun témoignage contemporain. La documentation écrite des XIe et XIIe siècles est également muette sur le monastère Saint-Pierre d’Osor.
2. Saint-Pierre d’Osor dans les sources textuelles et documentaires du Moyen Âge
55Un acte du XIe siècle mérite attention : il s’agit de l’inventaire du monastère Saint-Jean de Biograd, non loin de Zadar, qui évoque deux terrains du monastère ayant appartenu à des habitants d’Osor. Le premier a été acheté par « l’abbé P. » à « un habitant d’Osor » ; le second a été donné au monastère de Biograd par un certain « Jean d’Osor »« pour le salut de son âme et de celle de ses parents »145. Ce type de donations illustre les relations entre une partie de l’aristocratie d’Osor et le monastère de Biograd, où se trouvait une résidence des rois croates mais il n’existe aucun diplôme mentionnant une donation au monastère Saint-Pierre d’Osor.
56Si aucun acte du XIe siècle n’évoque l’autorité des rois croates sur les îles du Kvarner, celles-ci passèrent sous la domination du roi Coloman (ce fut du moins le cas de l’île de Rab) au début du XIIe siècle avant d’être placées sous l’autorité de Venise : ce processus apparaît dans des documents postérieurs du Codex diplomaticus qui contiennent des informations plus précises sur l’histoire ecclésiastique d’Osor. Les plus importants sont les décrétales pontificales adressées aux évêques dalmates : citons par exemple la lettre du pape Anastase IV de 1154 concédant le pallium à l’évêque de Zadar Lampredius : en élevant l’Église de Zadar au rang de métropole, le pape place sous sa juridiction les sièges insulaires de Rab, d’Osor et de Krk qui étaient alors sous l’autorité de la métropole de Split. Confirmant ainsi les intentions d’Eugène III, le rattachement des trois sièges insulaires à Zadar les place de fait dans l’orbite du patriarcat de Grado, autrement dit sous l’influence vénitienne. Venise renforçait ainsi sa présence et son influence sur Zadar et les îles voisines. Les tensions croissantes avec la Sérénissime, qui se traduisirent en 1183 par la rébellion de Zadar, qui se plaça sous la double protection de la Papauté et d’Imre de Hongrie, ne modifièrent pas substantiellement la géographie ecclésiastique : trois ans avant le siège vénitien de Zadar et la chute de la cité en 1202, le pape Innocent III envoya une lettre aux évêques dalmates et à l’abbé de Trogir dans laquelle il évoque l’envoi de lettres pontificales aux évêques de Pula, d’Osor et de Rab, confirmant ainsi l’importance de ces sièges épiscopaux pour l’organisation et la juridiction ecclésiastiques de la région146. Nous pourrions multiplier les exemples d’actes diplomatiques mentionnant la cité, l’évêque ou les habitants d’Osor sans jamais rencontrer la moindre évocation du monastère Saint-Pierre aux XIe et XIIe siècles. Durant cette période, d’autres monastères Saint-Pierre sont mentionnés dans les actes diplomatiques, comme le monastère Saint-Pierre de Rab147 dont l’abbé Ugo reçut lui aussi une lettre du pape Innocent III en 1199148. Il est aussi question d’un autre monastère Saint-Pierre dont le lieu n’est pas précisé à l’occasion d’une donation de l’abbesse Gruba du monastère Saint-Benoît de Split en 1119. La liste des témoins fait mention d’un « abbé de Saint-Pierre » (abbas sancti Petri)149. Mais rien ne permet de rapprocher cet élément du monastère d’Osor d’autant qu’aucun document n’évoque le moindre lien entre Osor et le monastère féminin Saint-Benoît de Split.
57La première attestation du monastère Saint-Pierre d’Osor dans la documentation écrite apparaît au début du XIIIe siècle dans un acte réalisé en 1212, à Osor, dans le palais de la comtesse Daria qui promet de donner ses droits sur la vieille ville de Ceska aux habitants de Rab, si ces derniers font de son fils Robert le comte de Rab150. Parmi les témoins apparaissent l’abbas Johannes et un certain Blancus, praepositus du monastère Saint-Pierre d’Osor : Actum est hoc in Apsaro in palatio eiusdem domine comitisse. Testes interfuere : Johannes abbas, Blancus sancti Petri de Apsaro (...)151.
58Le monastère Saint-Pierre d’Osor apparaît dans d’autres actes postérieurs à 1212, notamment dans les archives et les inventaires modernes du diocèse d’Osor conservées dans les archives épiscopales de Krk (Croatie)152 qui indiquent que l’établissement est tombé en commende vers 1440 et qui mentionnent en 1729 le dernier abbé commendataire d’Osor153. La plupart de ces mentions sont très rapides et la description la plus précise se trouve dans l’inventaire de 1534 qui cite « L’abbazia della Giesia di San Piero posto in Ossaro governata per il Reverendo Piero Lippomano, honorevole abbate del presente della dita abbazia », mentionnant le nom de l’abbé commendataire du monastère, Pietro Lippomano154. Saint-Pierre d’Osor est également mentionné dans le liber inventariorum ecclesiae S. Mariae de Cherso daté de 1563.
59De l’analyse des actes diplomatiques médiévaux, nous pouvons donc tirer plusieurs conclusions provisoires : 1. Le monastère Saint-Pierre d’Osor n’apparaît pas dans les sources écrites avant le début du XIIIe siècle, contrairement à d’autres fondations insulaires voisines évoquées dans des sources du XIe siècle, comme Saint-Pierre des îles de Neum (Ilovik) ou encore Saint-Michel de Sansigo (Susak)155. Aucun témoignage textuel ne confirme donc l’existence à Osor d’un monastère important qui aurait pu jouer le rôle d’un foyer de la réforme monastique au XIe siècle ; 2. Dans la documentation de la fin du Moyen Âge, les mentions du monastère Saint-Pierre d’Osor sont relativement rares et souvent très brèves ; 3. L’absence d’acte rédigé à Saint-Pierre d’Osor semble démontrer que ce monastère n’a jamais possédé de scriptorium.
60Ces conclusions partielles doivent être reçues avec prudence car elles semblent contredire les représentations de l’historiographie camaldule et, ce qui est plus gênant, les études archéologiques en cours qui semblent démontrer la présence de structures et de décors monastiques au XIe siècle156. En effet, certains fragments du décor des frises de la façade romane pourraient être mis en relation avec les sculptures de Venise, de Pomposa ou encore de Torcello157. Dès lors, comment expliquer le silence de la documentation écrite sur le monastère Saint-Pierre d’Osor aux XIe et XIIe siècles ?
3. Les représentations modernes du monastère Saint-Pierre d’Osor : un témoignage sur le sens de la réforme
61Le contraste entre les relevés archéologiques, qui semblent confirmer l’existence précoce d’un monastère, et les sources textuelles, qui n’en disent pas un mot avant le XIIIe siècle, fournit un exemple intéressant de la difficulté d’établir avec certitude les origines des fondations monastiques de Dalmatie et leur rôle éventuel dans le mouvement réformateur. Il convient donc d’examiner méthodiquement chaque témoignage à la lumière de l’ensemble des sources disponibles.
62Tout d’abord, il est normal de ne trouver aucune allusion à une fondation camaldule dans le premier quart du XIe siècle puisque Romuald de Ravenne fonda l’ermitage de Camaldoli vers 1025 et qu’il n’avait, semble-t-il, aucune intention de constituer une congrégation religieuse au sens juridique du terme158. Ce constat n’empêche pas qu’une fondation monastique ait pu exister à Osor dans la première moitié du XIe siècle et qu’elle ait eu des liens avec Romuald et son entourage. Toutefois, l’absence totale de témoignage sur cette fondation avant le XIIIe siècle et les très rares mentions du monastère entre le XIIIe et le XVIe siècle obligent à reconsidérer l’histoire de cette fondation monastique. Il est possible que cet établissement ecclésiastique n’ait pas été un monastère à l’origine mais qu’il le soit devenu progressivement en profitant de la diffusion des idées réformatrices et de l’implication des milieux monastiques dans la région. Toutefois, nous pouvons affirmer que cette fondation avait peu d’importance aux XIe et XIIe siècles, bien loin de la représentation d’un « foyer de la réforme » transmise à l’époque moderne par les Annales Camaldules et l’Illyricum Sacrum.
63La réécriture des origines réformatrices de Saint-Pierre d’Osor permet de mieux comprendre le mécanisme de la territorialisation d’un espace monastique159 et le sens profond de la réforme ecclésiastique. En effet, celle-ci se déploie bien au-delà de la période « grégorienne » et jusqu’à l’époque moderne à travers la construction d’une mémoire réformatrice qui se nourrit de la représentation de saints et « foyers » réformateurs. Elle démontre aussi qu’une réforme ecclésiastique durable ne se définit pas seulement par des évolutions strictement juridiques (concernant par exemple l’organisation structurelle) mais qu’elle se nourrit aussi, comme l’écrit Pierluigi Licciardello, de la « codification des expériences historiques exprimée par des figures symboliques, légendaires »160 ou hagiographiques161 qui furent « les instruments avec lesquels les hommes du Moyen Âge tentèrent de codifier la réalité, de formaliser les dialectiques du pouvoir, de s’identifier eux-mêmes, de justifier leurs institutions »162. Ces deux aspects complémentaires (d’une part, la gestion juridique et matérielle et, d’autre part, la conduite morale exemplaire) de la réforme (reformatio et restauratio) sont intrinsèquement liés par l’ecclésiologie grégorienne et il est intéressant de constater que l’éloge de Gaudentius dans les lettres de Pierre Damien souligne précisément les qualités, à la fois pratiques et ascétiques, de l’évêque d’Osor que la tradition honore comme le fondateur de Saint-Pierre d’Osor et dont le nom symbolise à lui seul les liens étroits entre le monastère et la cathédrale d’Osor.
4. Un monastère sous la dépendance du chapitre cathédral ?
64L’absence de sources écrites antérieures au XIIIe siècle pose également le problème du statut du monastère Saint-Pierre d’Osor au cours des deux siècles précédents. Si aucune archive textuelle ne confirme l’existence du monastère au XIe siècle, il serait imprudent d’en tirer des conclusions hâtives.
65La première raison tient à l’impossibilité d’interpréter de façon catégorique l’absence de sources écrites : celles-ci peuvent avoir été perdues ou ne pas avoir fait l’objet d’un enregistrement et d’une transmission volontaire. Indépendamment des pertes d’archives et des difficultés de la transmission documentaire (qui fut très aléatoire avant la révolution documentaire du XIIe siècle qui imposa des méthodes d’enregistrement et d’archivages qui marquèrent profondément l’organisation des chancelleries), les actes diplomatiques n’avaient pas toujours vocation à être conservés et transmis. À ces remarques évidentes s’ajoutent les relations méconnues entre le monastère et la cathédrale d’Osor.
66Les relations entre le monastère Saint-Pierre et la cathédrale doivent être considérées avec d’autant plus d’attention que le siège épiscopal d’Osor connaissait un rayonnement important, comme en témoignent ses riches archives manuscrites163, ainsi que des lettres pontificales164 et des documents émanant des chancelleries croates et hongroises165. Si aucune source ne nous renseigne sur la nature de ces relations, nous savons que d’autres monastères contemporains étaient placés sous la dépendance de chapitres cathédraux166. Lorsque la cathédrale et l’abbaye sont placées sous la dépendance directe de l’évêque, il arrive que la documentation diplomatique du monastère passe sous le contrôle épiscopal. C’est le cas, par exemple, à Regensburg, en Bavière, avec la cathédrale Saint-Pierre, à l’intérieur de la ville, et l’abbaye de Saint-Emmeran, située hors les murs. Toutefois, dans cet exemple, l’existence de l’abbaye est attestée par des actes épiscopaux des IXe et Xe siècles167. Ce qui n’est pas le cas de Saint-Pierre d’Osor.
67Pour conclure, l’étude rapide du monastère Saint-Pierre d’Osor dans les sources textuelles rend quasiment impossible toute conclusion hâtive sur l’origine du monastère. En effet, il est difficile de déterminer 1) si le monastère a bien été fondé dans la première moitié du XIe siècle, 2) à quel moment le monastère privé du fondateur Gaudentius est passé à la congrégation camaldule, 3) si la famille de Gaudentius a renoncé au droit de propriété mais conservé un droit de patronage dans les jeux de pouvoirs locaux et épiscopaux entre aristocraties (à la fois dalmates et italiennes), épiscopat et papauté. Nous ne pouvons pas déterminer non plus quelle était la nature des liens entre l’éventuelle fondation monastique du XIe siècle et la papauté réformatrice. Toutefois, il apparaît clairement, d’une part, que la construction moderne de la mémoire des origines réformatrices de Saint-Pierre d’Osor a contribué à renforcer a posteriori la légitimité du mouvement réformateur168 qui s’est prolongé en Dalmatie bien après la réforme dite « grégorienne » et, d’autre part, que la dynamique évolutive du monastère d’Osor s’est inscrite rapidement sous la dépendance du chapitre cathédral d’Osor.
68Dans ce chapitre, l’analyse des actes de donations produits dans l’espace dalmato-croate a permis de voir apparaître ou se transformer les principaux établissements monastiques de la région. Ces documents mettent également en lumière leur rôle dans l’organisation politique et sociale qui se mit en place en Dalmatie aux Xe et XIe siècles. L’exemple du monastère Saint-Chrysogone, au cœur de la capitale dalmate de Zadar, montre en effet l’éclosion d’un « espace monastique entendu au sens large de complexe cultuel et social – articulant lieu de culte, lieu de vie, lieu de production, lieu de domination »169. L’étude des fondations bénédictines dalmates des Xe-XIe siècles, qui connaît actuellement un profond renouvellement, attire notre attention sur les conditions sociales et politiques de « l’expansion » bénédictine en Dalmatie. Pour finir, trois éléments méritent d’être soulignés.
69Tout d’abord, le titre de la seconde partie attirait l’attention sur « la collaboration entre les élites dalmato-croates et les établissements ecclésiastiques (IXe-XIe s.) ». Plusieurs éléments ont démontré que les élites ont profité de l’essor du monachisme bénédicin pour conforter leur domination sur l’espace dalmato-croate : la meilleure illustration est sans doute l’implication des Madii – la principale famille de l’aristocratie zaratine – dans la restauration du monastère saint-Chrysogone de Zadar et dans la fondation du monastère féminin Sainte-Marie de Zadar. Cet exemple est d’autant plus intéressant que ces fondations se sont développées grâce aux donations des élites et des rois croates, surtout à partir des années 1030. Cela signifie que les fondations monastiques dirigées par des membres de la famille des Madii bénéficiaient du soutien politique, religieux et financier de la cour croate, ce qui ne pouvait que renforcer la position dominante et le rayonnement des Madii à Zadar, la capitale dalmate. Toutefois, le fait que les élites aient profité de ces fondations ne signifie pas nécessairement qu’il faille interpréter le succès du monachisme bénédictin comme un phénomène religieux et social « par le haut », émanant seulement de la volonté des élites dalmates. Les élites ont pu accompagner et soutenir, comme dans d’autres espaces gagnés par le mouvement réformateur, l’essor du monachisme bénédictin, sans l’avoir nécessairement initié. L’expansion bénédictine dalmate résulterait ainsi de la rencontre de traditions monastiques anciennes, de stratégies familiales et de la ferveur ou de l’attachement populaire dont témoignait encore, en 2018, la célébration du millénaire de la fondation supposée de Saint-Pierre d’Osor.
70Ma deuxième remarque conclusive concerne l’usage du mot « expansion » pour qualifier la multiplication et l’influence des fondations bénédictines aux Xe-XIe siècles. Dans l’état actuel des recherches documentaires et archéologiques, je propose en effet d’abandonner – même provisoirement – ce terme en raison de la valeur sémantique du terme « expansion » qui implique une diffusion massive et délibérée. Or, l’étude de la documentation diplomatique ne permet pas – du moins pour l’instant – de déceler une volonté globale et préconçue de diffuser le monachisme bénédictin dans la région.
71Ma troisième remarque, qui rejoint un constat réalisé par d’autres spécialistes du monachisme du haut Moyen Âge, souligne la difficulté de déterminer avec certitude la destination monastique de certaines fondations ecclésiastiques et, dans certains cas, de déterminer ce que signifie précisément le terme « monastère ». Il faut aussi rappeler les contestations auxquelles s’est heurté le développement de certaines fondations bénédictines et la relative lenteur d’un processus qui commença au IXe siècle mais ne prit réellement son envol que dans la seconde moitié du Xe siècle. Il convient donc de restituer les causes multiples qui ont favorisé l’implantation des bénédictins en Dalmatie et l’essor de la culture bénédictine influencée par les grands monastères de l’Italie méridionale. Cet objectif suppose une étude particulière, au cas par cas, des fondations monastiques qui s’imposèrent peu à peu, grâce à la collaboration d’une partie des élites dalmato-croates, comme des relais du renforcement de l’autorité pontificale au cours du XIe siècle.
Notes de bas de page
1 Ostojić 1963.
2 Bully – Čaušević-Bully 2011. On se reportera à cet article pour trouver un état bibliographique de la question depuis l’œuvre pionnière d’Ivan Ostojić parue en 1963. Voir aussi les différents comptes rendus de fouilles publiés in HAM depuis 2007 et Bully et al. 2009.
3 Bully – Čaušević-Bully 2011.
4 Ibid.
5 Ibid.
6 L’éloge de la « retraite insulaire », qui n’est pas une invention chrétienne, est relativement rare dans la littérature païenne. Certains passages célèbres, comme les vers d’Épicure, natif de l’île de Samos, vantent, il est vrai, l’attitude du sage contemplant à l’abri le fracas des tempêtes (Lucrèce, De rerum natura, II, 1-2 : Suaue, mari magno turbantibus aequora uentis, / e terra magnum alterius spectare laborem). Toutefois, c’est la retraite du sage et non l’île qui est célébrée par Epicure qui n’emploie pas le terme insula et évoque plutôt un lieu idéal, éloigné de la société des hommes, « désocialisé » en quelque sorte. Dans ces exemples, c’est le retrait du monde qui compte, non l’évocation de l’île en tant que telle qui est généralement perçue, durant l’Antiquité païenne, comme un anti-idéal, un lieu d’exil, de relégation, de fuite de la société, une cachette honteuse et sale dévalorisée pour ses significations antisociales (Baslez 2008 ; Flamment 2008). Cette perception négative de la retraite insulaire est parfaitement illustrée par la description horrifiée des ascètes de l’île de Capraia par Rutilius Namatianus, Sur son retour, I, 439-450 (Processu pelagi iam se Capraria tollit ; / Squalet lucifugis insula plena uiris. / Ipsi se monachos Graio cognomine dicunt / Quod soli nullo uiuere teste uolunt. / Munera fortunae metuunt, dum damna uerentur. / Quisquam sponte miser, ne miser esse queat ? / Quaenam peruersi rabies tam stulta cerebri (…) ? / Tristia seu nigro uiscera felle tument. / Sic nimiae bilis morbum assignauit Homerus / Bellerophonteis sollicitudinibus).
7 Le succès de ses règles de vie, la diffusion de sa spiritualité, la richesse de sa littérature, qui compte plusieurs chefs-d’œuvre de l’Antiquité tardive, et la personnalité de nombreux lériniens, qui devinrent des évêques de premier plan bien au-delà de la Provence des Ve et VIe siècles, ont contribué à forger une représentation idéale de la communauté de Lérins et, à travers elle, du monachisme insulaire. Malgré son déclin au profit des fondations monastiques mérovingiennes, Lérins ne cessa d’être représentée comme un exemple : cette retraite insulaire représenté d’abord comme un refuge, un ascétère parmi d’autres, un lieu de relégation, un locus circonscrit dans l’espace, puis comme une île habitée par des saints (insula sanctorum), devint, dès le VIe siècle, une « île sainte » (insula sancta), un espace sanctifié par la présence et surtout la sépulture des saints auquel la renaissance de la vie monastique sur l’île aux XIe-XIIe siècles et l’essor des cultes lériniens donna une signification et une représentation nouvelles : celle d’un espace ecclésial sacré (insula sacra), figure ecclésiale à part entière, symbole de l’Église (voir Dessì – Lauwers 2009 ; je me permets de renvoyer aussi à Gioanni 2013).
8 Jérôme, epist. 118, 5 « Exhortation à Julianus » : Non planxisti filias mortuas, et paternae in genis lacrymae Christi timore siccatae sunt. Quanto major Abraham, qui unicum filium uoluntate jugulauit, et quem haeredem mundi futurum audierat, non desperat etiam post mortem esse uicturum. Jephte obtulit uirginem filiam, et idcirco in enumeratione Sanctorum ab Apostolo ponitur. Nolo tantum ea offeras Domino, quae potest fur rapere, hostis inuadere, proscriptio tollere : quae et accedere possunt, et recedere, et instar undarum ac fluctuum a succedentibus sibi dominis occupantur : atque, ut uno cuncta sermone comprehendam, quae uelis, nolis, in morte dimissurus es. Illud offer, quod tibi nullus hostis possit auferre, nullus eripere tyrannus : quod tecum pergat ad inferos, imo ad regna coelorum, et ad paradisi delicias. Exstruis monasteria, et multus a te per insulas Dalmatiae sanctorum numerus sustentatur. Sed melius faceres, si et ipse sanctus inter sanctos uiueres. Sancti estote, quoniam ego sanctus sum, dicit Dominus.
9 Jérôme, Lettre à Rufin, 3, 5 : post Romana studia ad Rheni semi-barbaras ripas (…).
10 Ibid., 3, 4 : Nullus ibi agricolarum, nullus Monachorum ne paruulus quidem, quem nosti, Onesimus, quo uelut fratre in osculo fruebatur, in tanta uastitate adhaeret lateri comes.
11 Il faut insister sur l’originalité du terme « desertum » qui ne désigne pas, du moins à l’origine, le « désert » de sable des ascètes orientaux. Formé sur la racine du verbe deserere (desero, is, ere, serui, sertum : se séparer de, abandonner), le substantif « desertum » désigne étymologiquement un lieu « séparé » et « éloigné » des activités et des valeurs de la vie sociale. Il ne décrit donc pas un espace naturel précis mais un lieu mental qui peut être favorisé par différents lieux naturels, comme une île, une grotte escarpée ou un espace inhabité. Sur la notion de « désert » monastique dans l’Antiquité tardive : Guillaumont 1989, Fisher 1989, Rapp 2006 ; Alciati 2018, p. 64-68.
12 Vilatte 1999 ; Ripart à paraître.
13 13Sur l’utilisation de l’île dalmate de Bua (Bubus, Bavo, Bua ou Boa, aujourd’hui Čiovo) comme lieu de réclusion : Alberi 2008, p. 894-899.
14 Ammien Marcellin, Histoires, V, livre XXVIII, 1, 23, p. 153.
15 Bousquet-Labouérie 2006.
16 Id., Lettre à Rufin, 3, 4 : Bonosus tuus, imo ut uerius dicam, noster, scalam praesagatam meus, et, Jacob somniante iam scandit : portat crucem suam, nec de crastino cogitat, nec post tergum respicit. Seminat in lacrymis, ut in gaudio metat. Et sacramento Moysi, serpentem in eremo suspendit. Cedant huic ueritati, tam Graeco quam Romano stylo, mendaciis ficta miracula. Ecce puer honestis saeculi nobiscum artibus institutus, cui opes affatim, dignitas apprime inter aequales erat, contemptu matre, sororibus, et carissimo sibi germano, insulam pelago circumsonante naufragam, cui asperae cautes et nuda saxa et solitudo terrori est, quasi quidam nouus paradisi colonus insedit. Nullus ibi agricolarum, nullus monachorum ne paruulus quidem, quem nosti, Onesimus, quo uelut fratre in osculo fruebatur, in tanta uastitate adhaeret lateri comes. Solus ibi, imo jam Christo comitante non solus, uidet gloriam Dei, quam etiam Apostoli, nisi in deserto non uiderant. Non quidem conspicit turritas urbes ; sed in nouae ciuitatis censu dedit nomen suum. Horrent sacco membra deformia ; sed sic melius obuiam Christo rapietur in nubibus. Nulla curiporum amoenitate perfruitur ; sed de latere Domini aquam uitae bibit. Propone haec tibi ante oculos, amice dulcissime, et in praesentiam rei totus animo ac mente conuertere. Tunc poteris laudare uictoriam, cum laborem praeliantis agnoueris. Totam circa insulam fremit insanum mare, et sinuosis montium illisum scopulis aequor reclamat. Nullo terra gramine uiret, nullis uernans campus densatur umbraculis.
17 Hilaire d’Arles, Vita Honorati, 15, 1, p. 106 : hunc in heremum huic urbi propinquam Christus inuitat.
18 Id., 15, 2-16, 1, p. 108-111 : Vacantem itaque insulam ob nimietatem squaloris et inaccessam uenenatorum animalium metu (…) plurimis a tam nouo ausu retrahere illum conantibus. Nam circumiecti accolae terribilem illam uastitatem ferebant et suis illum occupare finibus fidei ambitione certabant. (…) Ingreditur itaque impauidus et pauorem suorum securitate sua discutit. Fugit horror solitudinis, cedit turba serpentium. At quae non tenebrae illud lumen refugerunt ? (…) Tam frequens ut uidimus in illis ariditatibus serpentium occursus, marinis praesertim aestibus excitatus, nulli umquam non solum periculo sed nec pauori fuit. (…) Honoratus uester castra illic quaedam Dei collocat et, qui locus dudum homines a sua commoratione reppulerat, angelicis illustratur officiis.
19 Jérôme, Lettre 3, 4 au moine Rufin : Abruptae rupes, quasi quemdam horrore carcerem claudunt. Ille securus, intrepidus, et totus de Apostolo armatus, nunc Deum audit, dum diuina relegit, nunc cum Deo loquitur, cum Dominum rogat : et fortasse ad exemplum Joannis aliquid uidet, dum in insula commoratur. (...) quasi quidam nouus paradisi colonus insedit.
20 Pellistrandi 1988.
21 Jérôme, epist. 60, 10 : aut ad Aegypti monasteria pergere, aut Mesopotomiae inuisere choros uel certe insularum Dalmatiae, quae Altino tantum freto distant, solitudines occupare.
22 Dessì 2009.
23 En plus des enquêtes archéologiques dirigées par M. Čaušević-Bully et S. Bully (voir infra, p. 151, n. 2), citons les travaux de Nikolina Uroda sur les premières fondations insulaires de la Dalmatie centrale (par exemple Uroda 2013) voir aussi Galović 2020.
24 CDCDS, n. 3 (a. 852), p. 4-5 : Vnde ego, licet peccator, Tirpimir, dux Chroatorum, (…) solicitus nimis anime mee commune consilium meis cum omnibus zuppanis construxi monasterium ibique cateruas fratrum adhibui, quorum sedulis uotis et frequens oratio nos immunes redderet deo peccatis, in hanc adiecit mens nostra, eiusdem monasterii ecclesie aliquid in utensilibus preparare. Cum autem non sufficeret in argento ipsa uasa perficiendum, accomodauit nobis Petrus, Salonitane ecclesie aechiepiscopus et dilectus compater, undecim libras argenteas.
25 CDCDS, 92 (a. 1071), p. 124-125 : Anno ab incarnatione domini nostri Jesu Christi MLXXI. indictione nona. Tempore Cresimiri Dalmatinorum et Croatorum regis, et Dragi arbensis episcopi. Nos denique kesensis communitas, (...) quia deus sua misericordia nos per reuelationem sancti Nicolai uisitauit ; quod strages qua deprimimur ob id super nos deuenisset, communi consilio, pro emendatione male facti, quod fecimus, donamus nostrum monasterium sancti Petri de Neumis insulis monasterio Sansicouo, cum suis utrisque insuliis Neumis, et eorum pertinentiis, et cum decem libris ecclesie, et tribus aratris boum.
26 Bloch 1986, p. 417-418.
27 Bully – Čaušević-Bully 2011.
28 CDCDS, 92 (a. 1071), p. 124-125 : (...) quia deus sua misericordia nos per reuelationem sancti Nicolai uisitauit.
29 Ostojić 1963.
30 DAI, cap. 29 : « Sous la dépendance de la Dalmatie est un ensemble de très nombreux archipels (…). Parmi ces îles est la cité de Vekla (Krk) et sur une autre île Arbe (Rab), sur une autre île Opsara (Osor) et sur une autre île Lumbricaton (Vrgada) et elles sont encore habitées. Les autres sont inhabitées et ont sur elles des villes désertes, dont les noms suivent : Katautrebeno, Pizouch, Selbo, Skerda, Aloep, Skirdakissa, Pyrotima, Meleta, Estiounez, et d’autres très nombreuses dont les noms ne sont pas intelligibles. Les autres cités, sur la partie continentale de la province, furent prises par lesdits Slaves, sont maintenant inhabitées et désertées, et personne n’y vit ».
31 Ostojić 1963, t. II, p. 157-158. Je remercie Sébastien Bully pour cette information.
32 Voir infra, p. 103, n. 11 : « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, moi, abbé Drziha, j’ai écrit cela à propos de la parcelle de terre que donna en ses jours Zvonimir, le roi croate, à Sainte Lucie, devant ces témoins : Desimir, préfet de Krbava, Martin (Mratin) de Lika, Pribinezha, clerc à Vinodol, Jacob (Jakov) sur l’île. Qui ose nier cela, que Dieu le maudisse, ainsi que les 12 apôtres, les 4 évangélistes et la sainte Lucie. Amen. Que qui vive ici, prie Dieu pour nous. Moi, abbé Dobrovit, j’ai bâti cette église avec mes neuf frères dans le temps où le prince Kosmat régnait sur toute la région. Et à ces temps-ci, Mikula était ensemble avec Sainte Lucie à Ototchats (Otočac) ».
33 Sur le vocabulaire de la vie monastique : Leclercq 1963.
34 CDCDS, 31 (a. 986 ?), p. 45.
35 CDCDS, 115 (a. 1076), p. 147 : Petro in eodem monasterio abbatiante.
36 36Par exemple l’établissement Saint-Michel de Salone qui est présenté comme une ecclesia dans les actes de 994, 1000 et 1084-1085 (CDCDS, 32, 35, 36, 141) et qui ne doit donc pas être confondu avec le monasterium Saint-Michel de Sansego : CDCDS, 92 (a. 1071).
37 L’acte du 19 décembre 986, qui marque la renaissance du monastère Saint-Chrysogone, distingue clairement la route qui sépare l’ecclesia et l’antiqua claustra (voir infra, p. 164).
38 Le projet pluridisciplinaire « MONACORALE (Histoire et archéologie des monastères et des sites ecclésiaux d’Istrie et de Dalmatie (VIe-XIIe s.) » dirigé par Sébastien Bully, Morana Čaušević-Bully, Pascale Chevalier et Stéphane Gioanni a pour objectif la constitution d’un Système d’Information Géographique et d’une carte des sites ecclésiastiques (pas uniquement monastiques) de la côte istrienne et dalmate médiévale. En attendant les résultats de ce projet, la liste des sites envisagés donne une première idée de l’expansion bénédictine au XIe siècle : « sur l’île de Krk, Saint-Nicolas d’Omišalj, Saint-Laurent et Saint-Michel de Krk, Sainte-Marie de Košljun vers Punat, Sainte-Lucie de Baška, sur l’îlot d’Ilovik, Saint-Pierre, sur l’île de Rab, Saint-Étienne à Barbat, Saint-André et Saint-Jean l’Évangéliste à Rab, Saint-Pierre à Supetarska Draga, Saint-Michel-Saint-Nicolas sur l’île de Susak, etc. » (Bully – Čaušević-Bully 2011).
39 Sur le problème de l’identification d’un espace monastique (ou érémitique) en l’absence de sources écrites : Brogiolo 2013.
40 Les archives médiévales du monastère Saint-Chrysogone de Zadar sont conservées aux Archives d’État de Zadar. Je remercie chaleureusement le Prof. Nikola Jakšić (Université de Zadar) pour son accueil dans cet établissement encore peu fréquenté par les chercheurs non-croates. Je le remercie aussi pour ses précieux conseils sur la documentation zaratine.
41 Praga 1929-1940 ; Jakšić 2001 ; Josipović – Tomas 2017.
42 CDCDS, 31, (a. 986 ?), p. 45.
43 Ibid.
44 La nomination de Madius, empreinte d’une grande solennité, est justifiée par la volonté unanime, répétée trois fois (una cum consensu ; in unum conglobati uno consilio ; pari uoluntate cogitantes), d’établir un lien fort entre l’abbaye de Campanie et le monastère de Zadar Saint-Chrysogone au Mont-Cassin.
45 CDCDS, 31 (a. 986 ?), p. 45 : Vnum tamen nobis reprehensibile esse uidet ut quod ecclesia extra antiquam claustram sit possita, quod precepta sancti patri Benedicti prohibent fieri, eo quod omnia necessaria monachis intra monasterium debeant haberi, ut nulla necessitas sit eis uagandi.
46 Ibid. : Et tradimus ei predicte ecclesie omnia ibidem pertinentia : domus, uineas et terras cultas uel incultas, mobilia seu immobilia, ut in ipsius sit potestate et suorum fratrum ad solatium ibidem seruientium utendum ; possidendum, perfruendum, ordinandum, sine contradictione ullius, tibi domino Madio, abbati predicto, tuisque successoribus, qui post te uenturi sunt secundum monasticum ordinem.
47 DHC, n. 18, vers 990, p. 23 : Maius prior una cum nobilius Jaderae ecclesiam s. Michaelis ‘cum adiacentibus territoriis’, sitam in insula Postimana, concedit monasterio s. Chrysogoni ‘in opus fratrum ibidem famulancium’.
48 CDCDS, 34 (a. 986-999), p. 49-51 : Offerimus tibi, beatissime Chrisogone martir, pro remedio animarum nostrarum nostrę hemptę piscationis munus. Et si illud quis nostrorum uel aliorum superbię spiritu inflatus a tuo sacro cenobio uel ab eorum potestate, qui tibi in ipso deseruierint, subtrahere temptauerit, iram omnipotentis dei incurrat et trecentorum decem et octo sanctorum patrum maledictionem habeat et in nouissimo cum luda traditore omnibusque iniquis infernum possideat.
49 Parmi les actes de donation conservés, 30 concernent le monastère Saint-Chrysogone de Zadar : CDCDS, 31, 34, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 56, 57, 60, 61, 72, 78, 79, 82, 84, 85, 86, 87, 88, 93, 94, 96, 107, 111, 131, 132, 165.
50 Les donations peuvent être aussi une source de revenus lorsqu’elles portent sur des terres cultivées ou se traduisent par des dons en nature, comme l’indique, en 1056, le don d’une partie des prises des pêcheurs de Zadar : CDCDS, 60-61 (a. 1056), p. 82-84, p. 83-84 : uos a majore usque ad minorem scitis, quia sanctus Crisogonus abuit unum beneficium ab antecessonibus nostris in ista ciuitate, id est, ut omnes cripatores unam partem darent ei, qualem haberet unusquisque eorum, qui piscarent. Propter quod ego pro amore huius consecrationis beati martiris Crisogoni concedo et confirmo coram priore uestro Gorbina et coram uobismet ipsis, ut istam partem, quam supra diximus, sub nostris temporibus in posterum integram dent piscatores atque confertam beati G.4 monasterio eiusque sancte congregationi.
51 CDCDS, 79 (a. 1067), p. 106-109.
52 CDCDS, 132 (a. 1078), p. 168.
53 CDCDS, 82 (a. 1069), p. 112-113.
54 Jakšić 1985-1986.
55 CDCDS, 79 (a. 1067), p. 107 : (…) Secundus namque terminus per transversum a mare usque viam antiquam, qua itur ad Nonam, que est etiam contra Sablata, in qua hac de causa antiquitus sita est est parvula collumpnella lapidis, que erat ab insidiatoribus de loco, quo steterat, remota in orientem quasi passos CCtos, quam nos cum consensu Cresimiri, regis Chroatorum, suorumque nobilium in pristino restituimus loco.
56 CDCDS, 50 (a. 1034), p. 68-69 : Savina, épouse de Gimma, donne un huitième de sa maison (« octavam partem domus suae ») au monastère Saint-Chrysogone.
57 CDCDS, 52 (a. 1036), p. 70-71 : Sergius, fils de Pierre, cède, au titre d’un échange, la moitié de sa maison (« Dimidium partem domus suae ») au monastère Saint-Chrysogone.
58 CDCDS, 57 (a. 1044), p. 77-78 : Dauseta lègue par testament au monastère son jardin (« Hortum suum iuxta monasterium sancti Chrysogoni situm ») qui jouxte le monastère Saint-Chrysogone.
59 Il existait peut-être un second monastère féminin bénédictin à Zadar, le monastère Saint-Nicolas, où se serait installé bien plus tard le couvent franciscain. Je remercie une nouvelle fois le Prof. Nikola Jakšić de m’avoir fait part de cette hypothèse qui reste à vérifier.
60 Les actes du colloque de 2016, organisé à l’occasion du 950e anniversaire du monastère Sainte-Marie de Zadar, a permis de faire le point sur les connaissances et les recherches en cours : Vežić – Josipović 2020.
61 CDCDS, 73 (a. 1066), p. 101.
62 Ibid. Sur la lignée des abbesses et l’essor du monastère Sainte-Marie de Zadar au début du XIIe siècle : Ančić 2018, et surtout Vežić – Josipović 2020.
63 CDCDS, 145 (a. 1086), p. 186.
64 CDCDS, 80 (a. 1068), p. 110-111 : inprimis domna Chatena, nobilissima feminarum, quan postea abbatissam uidimus domino volente.
65 Les faiblesses de la documentation ne permettent pas de reconstituer les liens prosopographiques entre ces évêques et ces femmes. Il est possible qu’ils aient fait partie de la même famille comme ce fut souvent le cas en Germanie ou en Gaule.
66 Sur ces deux exemples : Neralić 2014.
67 CDCDS, 56 (a. 1042-1044), p. 75-76 : Ego S. banus fabricaui istam ecclesiam ad honorem sancti Nicolay confessoris Christi (…) cum coniuge mea Maria fabricaui eam.
68 L’importance des femmes dans la structure familiale de l’aristocratie dalmate a été étudiée dans Nikolić 2004a et Nikolić 2002.
69 Faut-il interpréter le développement des monastères bénédictins dans les villes dalmates comme un héritage de l’Italie méridionale ? Les rapports entre monastères et cités sont en effet un trait marquant de la société de l’Italie méridionale : Penco 1988 ; Houben 1996 et Bove 1995.
70 Ferluga 1987 ; Ferluga 1993.
71 Sur la question fondamentale des sites monastiques insulaires situés sur les voies de communication et de commerce maritimes : Bully – Čaušević-Bully 2012. Dans le cas de Saint-Pierre d’Ilovik, les auteurs se fondent à juste titre sur sur le constat d’une continuité d’occupation depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du Moyen Âge et sur le caractère apparamment monumental de cet établissement ecclésiastique pourtant situé sur une île de petite dimension.
72 On dispose désormais d’une monographie sur le monastère et les archives médiévales de Sainte-Marie des Tremiti : Morlacchetti 2015.
73 Sur les revendications de Desiderius et la réaction d’Adam : Morlacchetti 2015, p. 98-110 : « La disputa con Montecassino (1059-1081) » et Leccisotti 1949.
74 Martin J.-M. 1988.
75 Les archives documentaires de ces abbayes campaniennes recèlent d’ailleurs de précieuses informations sur le Gargano médiéval : Martin J.-M. 1994 (Codice diplomatico pugliese, 32).
76 Martin J.-M. 2006.
77 L’archevêque de Bari comptait parmi ses suffragants l’évêque de Kotor à partir de 1025 : voir IP, IX, 317 sq. et Codice diplomatico Barese, I, n° 13, puis n° 25.
78 78Les implantations slaves dans les Pouilles septentrionales doivent être distinguées de l’arrivée, à Siponte, le 10 juillet 926, du rex Sclavorum Michel. Alors que A. Guillou présentait cette arrivée comme un événement pacifique, cette interprétation a été remise en cause par J.-M. Martin, suivi par M. Loffredo, qui s’appuie sur les Annales Barenses pour affirmer qu’« il ne peut s’agir que d’une conquête par la force » (Guillou 1973 ; Martin J.-M. 1988, p. 60 ; Loffredo 2015).
79 Corsi 2012.
80 CDT, n. 8, p. 24-27 et n. 47-48, p. 150-156. Concernant les implantations slaves du nord des Pouilles et de l’Italie méridionale, l’étude pionnière de Milan Rešetar (Rešetar 1911) a été suivie de nombreux travaux : voir notamment Perrone Capano 1962-1963 ; Reichenkron 1964 ; Rohlfs 1972 ; Capaldo 1979 ; Spremić 1979 ; Spremić 1980 ; Fanciullo 1987 ; Muljačić 2005 ; Torre 2013 ; Loffredo 2015. Sur la colonie de Devia : Fuiano 1981.
81 81Codice diplomatico del monastero benedettino di S. Maria di Tremiti, désormais abrégé CDT, p. XLII.
82 Ibid.
83 Cowdrey 1983.
84 CDT, 64, p. 198 (Nicolai II papae placitum). Deux ans plus tard, Nicolas accueillit les « justes requêtes » d’Adam en concédant au monastère des Tremiti un privilège d’immunité (voir n. 70, p. 214-217, Nicolai papae II priuilegium : Nicolaus episcopus seruus seruorum Dei. Ecclesiae Beate semper uirginis Marie in insula que dicitur Tremeti, et per eam Ade uenerabili abati suisque successoribus ibidem regulariter promouendis in perpetuum. (...) Vnde frater et abba eiusdem prefati monasterii Adam, iustis petitionibus tuis annuentes, per priuilegium sancte apostolice Sedis confirmamus eidem ecclesie bona que iuste et legaliter uidetur habere, aut umquam legali fidelium donatione habitura est).
85 Id., 82, p. 244-246 : Vniuerse congregationi monasterii Sancte Marie de Tremiti salutem et apostolicam benedictionem. (...) Proinde, utilitati uestre propicientes, abbatem Montis Cassini D(esiderium), confratrem et consacerdotem uestrum, contra multa que uobis inferuntur pericula, tutorem et defensorem fore statuimus, eo quidem ordine et cautela, ut eam quam nobis debetis reuerentiam, sibi et non alicui successori suo exhibeatis.
86 Ibid. : Non enim uolumus ut locus uester alicui subdatur loco, neque ex libertate sibi concessa aliquam sui patiatur diminutionem, sed in propria permanens libertate huic dumtaxat constitutioni obtemperet, quatenus ab infestationibus quibus grauiter afficitur, per studium iam dicti fratris nostri D(esiderii) liberetur, et omne ius concesse sibi libertatis illesum seruetur.
87 87Par exemple les privilèges d’Étienne IX en 1058 (IP VIII, p. 139-140 n° 81), de Nicolas II en 1059 (IP VIII, p. 141 n° 88, RPD 28 : cellam S. Iacobi in Tremiti cum ipsis insulis), d’Urbain II en 1097 (IP VIII, p. 154n° 141, RPD 36 : S. Marie in Tremiti cum ipsis insulis, formule reprise par les privilèges suivants), de Pascal II en 1105 (IP VIII, p. 158 n° 157, RPD 40) et en 1112 (IP VIII, p. 161 n° 170, RPD 44), de Calixte II en 1122 (IP VIII, p. 168 n° 201, RPD 46), d’Innocent II en [1138-42] (IP VIII, p. 178-9 n° 250, RPD 76), etc. La Chronique du Mont-Cassin rappelle les droits de l’abbaye campanienne sur les Tremiti en évoquant ces privilèges : voir Chronica monasterii casinensis, III, 25, p. 392 : Preterea cum de rectoribus Tremitensis cenobii, quod nobis antiquitus pertinuisse Romanorum quoque pontificum priuilegia pleraque testantur, multa eo tempore inhonesta et nefanda diffamarentur, eidem Desiderio ad disquirendum et disponendum illud, prout sibi optimum uideretur, data ab apostolico auctoritas est. Voir IP IX, p. 178-186. Je remercie vivement Jean-Marie Martin de m’avoir éclairé sur ce point.
88 Le monastère de Santa-Maria de Rabiata, qui eut comme prieurs des moines cassinésiens jusqu’au XVe siècle, fait l’objet d’un développement de Bloch 1986, p. 417-418. Bloch met en garde contre la confusion faite par D. Lohrmann (Das Register Papst Johannes VIII) entre Santa-Maria de Rabiata, qui se trouvait à Rozato au nord de Dubrovnik sur la rive nord de la vallée d’Ombla, et le monastère de l’île de Lokrum, au sud de Dubrovnik. H. Bloch cite encore, comme dépendance cassinésienne, le monastère Saint-Nicolas sur l’île de Susak près de Split.
89 Bloch 1986, panel XXVII, 152, p. 414 : In Dalmatia ( : ) p (ro) pe / ciuitate (m) Ragusa (m) / eccl (esi) a(m) / S(anctae) Mariae / in loco q (ui) d (icitu) r in Rabi/ata /
90 Fliche 1940, p. 166.
91 Morlacchetti 2015, p. 101.
92 Dans le prolongement de l’analyse de Graham A. Loud, Erica Morlacchetti va jusqu’à noter un « refroidissement des relations entre Grégoire VII et Desiderius » en raison de la question normande et du « renforcement excessif du pouvoir pontifical qui aurait pu menacer l’indépendance du Mont-Cassin » (Morlacchetti 2015, p. 107 cite Loud 2000, p. 307-326 : « Abbot Desiderius of Montecassino and the Gregorian Papacy »).
93 CDCDS, 45 (a. 1023), p. 63 : (...) donamus Lacronomam insulam, cuius dandi occasio hec fuit. Hic itaque Petrus presbiter et monachus de Tremitana insula, in qua sub abbatis Benedicti regula degebat, quodammodo a nobis coactus uisendi causa ad nos usque uectus est.
94 CDT, 9, p. 29 : donationem fecimus Deo omnipotenti et quibusdam nostris conciuibus Leoni presbitero et Petro monaco, campum scilicet illum cuius nomen est Ville in Lacromensi insula, cuius dandi occasio hec fuit. Hic itaque Petrus presbiter et monachus de Tremitana insula, in qua sub abbatis Rocci regula degebat, quodam modo a nobis coactus uisendi causa ad nos usque uectus est, qui cum omnibus nobis salutatis ad suum uellet reuerti monasterium publico in loco et publico aminiculo construi statuisset. Au sud de Dubrovnik, la région de Kotor connut d’autres implantations bénédictines plus tardives (Butorac 1959, p. 1-31).
95 Citons à titre d’exemple la donation, en 1050, du prêtre de Split Johannes au monastère des Tremiti : CDCDS, 58 (a. 1050), p. 78.
96 HS, 16, p. 72.
97 CDCDS, 158 (a. 1091), p. 198. Une nouvelle édition de cette lettre a été publiée dans l’édition du Registrum de Pierre Diacre du Mont-Cassin (Registrum Petri Diaconi, p. 471-472).
98 Sur les donations des rois hongrois aux institutions ecclésiastiques : Gál 2015.
99 CDCDS, 158 (a. 1091), p. 198 : propter turbam terre uestre.
100 Citons par exemple le codex Split, Archeological museum, S.N. (olim 50 c 2/2) Fragm. 9, saec. XI, contenant la Vie de saint Benoît composée par Grégoire le Grand (Dialogi, II.2-3, B.H.L. 1102).
101 Budak 1999d, p. 241 : d’après N. Budak, une inscription du monastère portant le nom du premier roi croate permet de situer l’origine du monastère au plus tôt dans la seconde moitié du Xe siècle. Notons par ailleurs qu’un acte diplomatique daté du règne du roi Krešimir Ier (en 950) mentionne déjà une église Saint-Barthélémy à Knin sans que l’on puisse déterminer toutefois si cette église désigne le monastère Saint-Bartholomée de Knin : CDCDS, 28 (a. 950 ?), p. 41.
102 Id., p. 246 : « the cult of St. Bartholomew was introduced into Croatia by Benedictines from the duchy of Benevento some time after 839 (translation of the saint to Benevento) and 892 (end of the rule of Branimir). The reason for this is to be looked for in the fact that St. Bartholomew was believed to have been himself of royal origin and at the same time a converter of kings (he converted the Armenian king Polymius) and disciple of John the Baptist ».
103 Le culte de Barthélémy est particulièrement développé dans les Églises orientales, notamment arméniennes, qui honorent Barthélémy comme étant à l’origine de la prédication et de la christianisation en Arménie.
104 Budak 1999d, p. 244.
105 Loew 1980 ; Loew 1962.
106 Gyug 1998 et Reynolds 2001.
107 Parmi les publications récentes, citons la thèse de doctorat de Rozana Vojvoda sur les manuscrits décorés écrits en bénéventaine en Dalmatie (Vojvoda 2011). Voir aussi l’ouvrage d’Emanuela Elba dans le domaine de la miniature (Elba 2011). Ces travaux de première importance ont révélé l’existence de nouveaux manuscrits liturgiques dalmates qui s’ajoutent à la liste déjà établie au XIXe siècle par Giuseppe Praga, ancien bibliothécaire de Venise, lui-même originaire de Zadar qui a laissé à la Biblioteca Marciana de nombreuses archives, souvent inédites, relatives à l’histoire politique, religieuse et culturelle de la Dalmatie, en particulier un ensemble de quatre-vingt-cinq fiches correspondant à des livres dalmates, manuscrits et imprimés, du VIIe au XVe siècle (Ferrari 1959, p. 16 : « Il census si propone la massima completezza, e si riscontrano infatti presi in considerazione anche i frammenti di codici superstiti : soprattutto quelli in iscrittura beneventana ». Je remercie le conservateur du fonds ancien de la Biblioteca Marciana de m’avoir facilité l’accès à ces archives).
108 Petrucci 1968, p. 15 : « la beneventana di tipo cassinese sembra essere stata l’unica scrittura libraria adoperata nel XII secolo in Capitanata e nel Gargano. Oltre che a Traoia e a S. Lorenzo ‘in Carminiano’, essa era usata anche in altri centri religiosi della zona, e precisamente nel monastero femminile di S. Cecilia presso Foggia, in quello di S. Maria delle isole Tremiti e in quello di S. Maria di Gauldo Mazzocca ». A. Petrucci cite l’exemple du scribe Ascaro, près de Troia, qui copia, entre 1145 et 1165, un magnifique manuscrit de grand format contenant un commentaire attribué à Aimon d’Halberstadt (Biblioteca Nazionale Napoli, VI B) dont l’écriture est une bénéventaine de type cassinésien plus ou moins contrasté dans la décoration avec des motifs de style de type de Bari (IP, IX, p. 107-8).
109 Novak 1920 ; Novak 1961 ; Ančić 2011. S’il paraît évident que la bénéventaine dalmate connut une évolution propre, il est aussi probable que cette évolution se nourrit des échanges continus entre les deux rives de l’Adriatique, y compris aux XIIe et XIIIe siècles : Elba 2007.
110 Praga 1929-1940 ; Jakšić 2001, p. 194.
111 Biblioteca Apostolica Vaticana, Borg. Lat. 339 (probablement copié vers 1081/1082). Ce codex enluminé a appartenu au cardinal Stefano Borgia (1731-1804) dont les précieux manuscrits ont rejoint les fonds de la Biblioteca Apostolica Vaticana en 1902 : Labriola 2014, p. 105, 116, note 16.
112 Elba à paraître a. Je remercie E. Elba d’avoir attiré mon attention sur le motif du "Christ imberbe" dans l’évangéliaire d’Osor (fig. 13).
113 Elba 2011, p. 82-90 et 157-168 et Vojvoda 2011, p. 84 sq.
114 Toubert 2001.
115 CDCDS, 173 (a. fin XIe siècle), p. 212.
116 Loew 1980, p. 48.
117 CDCDS, 93 (a. 1072), p. 126.
118 Par exemple l’acte de donation du roi Krešimir IV de 1072 (Benediktinski samostan svetog Krševana) conservé aux Archives de Zadar, Broj fonda : HR-DAZD-336.
119 Demović 1996.
120 Cette interprétation a toutefois été remise en cause par Hana Breko qui voit dans ce manuscrit le plus ancien missel de Pula en Istrie (Breko 2004).
121 CDCDS, 173 (a. fin XIe siècle), p. 212 : Inventarium librorum et supellectilis.
122 CDCDS, 92 (a. 1071), p. 125 : (…) donamus nostrum monasterium sancti Petri de Neumis insulis monasterio Sansicouo, cum suis utrisque insuliis Neumis, et eorum pertinentiis, et cum decem libris ecclesie, et tribus aratris boum.
123 CDCDS, 56 (a. 1042-1044), p. 75-76 : De propria mea facultate (…) dedi in eam (…) III libros missales, I passionario ( !), III omelie, smaragdum I, duo antiphonaria, II manuale, splalteria ( !) IIII, imnaria II, brebiarium ( !).
124 Praga 1929-1940. La bibliothèque du monastère Saint-Chrysogone de Zadar possédait près de 60 manuscrits au XIIIe siècle (Skender 2003).
125 Petrović 2006, p. 220.
126 Id., p. 221, n. 93 : « À l’apogée de l’activité de son scriptorium, aux XIe et XIIe siècles, ce monastère était un foyer de production de livres latins pour tout le pays dalmato-croate ».
127 Vojvoda 2014.
128 Sur l’historiographie camaldule : Caby 1999, p. 9-30 ; Caby 1997a, p. 225- 268 ; Caby 1997b, p. 319-334 ; Caby 2000, p. 175-191.
129 Jurković – Maraković 2007, p. 96.
130 DAI, cap. 29 : « Sous le contrôle de la Dalmatie est un ensemble de très nombreux archipels (…). Parmi ces îles est la cité de Vekla (Krk) et sur une autre île Arbe (Rab), sur une autre île Opsara (Osor) et sur une autre île Lumbricaton (Vrgada) et elles sont encore habitées ».
131 Čaušević-Bully – J. Ćus-Rukonić 2008, p. 253-270.
132 Sur l’évocation des monastères insulaires dalmates dans l’historiographie camaldule : Salata 1897 ; Lemessi 1980 ; Damiani di Vergada 2008.
133 Tabacco 1965, p. 73-121 ; p. 109, n. 111.
134 Annales Camaldulenses : les neuf volumes furent publiés à Venise entre 1755 et 1773 avec l’indication « aere monasterii S. Michaelis de Muriano ». Ils comprennent une rédaction narrative suivie, en annexes, de l’édition de nombreux documents. La Praefatio revendique un lien étroit avec les Annales Ordinis s. Benedicti de Mabillon, présenté comme le modèle absolu. Elle cite également les précédents de Lodovico Antonio Muratori (Antiquitates Italicae Medii Aevi, 1738-1742) et de Angelo Maria Querini (De monastica Italiae historia conscribenda dissertatio, 1717). Voir aussi Regesto di Camaldoli, vol. I et II.
135 Ann. Camald., VII, p. 258 : Ad haec eadem tempora referri possunt constructiones monasteriorum, factae in insula absarensi a Gaudentio, absarensi postea episcopo, et quem Romualdi discipulum faciunt tum plures auctores, tum traditio oppidanorum ejus insulae. Ferunt enim Gaudentium nobilissima stirpe natum in urbe Absaro Dalmatiae prouinciae, exemplo et auxilio monachorum Casinatum, qui ex eo sacro monte per haec tempora in Histriam et Dalmatiam transmissi fuere, ope etiam, consilio et sub norma Romualdi, qui incola erat his annis circumjacentis et conterminae regionis, monasteria plura erexisse, quae feminarum fuerunt sanctorum et praeclarissimorum uirorum, qui Dalmatiam illustrarunt hoc potissimum seculo, Laurentii praesertim prius Absarensis, inde Spalatensis archiepiscopi et Johannis Traguriensis episcopi. Recensetur in iis monasteriis coenobium sancti Petri intra moenia Absarensis urbis, cujus monachi canonicorum uicem supplebant in ecclesia principe ejus insulae.
136 Sur l’évêque Jean de Trogir, Neralić 2014.
137 Thomas l’Archidiacre raconte que le pape Grégoire VII, à peine élu sur le trône de saint Pierre, lui envoya son légat, l’archevêque Gerard de Siponte, afin d’organiser un synode destiné à renforcer l’autorité du métropolitain de Split sur ses suffragants, les évêques de Zadar, de Trogir, de Nin, de Rab, de Biograd, d’Horvat et d’Osor et quelques autres (HS, 16. 8, p. 86 : Hic ergo misit legatum ad partes Dalmatie uenerabilem uirum Gerardum archiepiscopum Sipontinum. Qui Spalatum accedens cum magno gaudio et honore a Laurentio archiepiscopo susceptus est. Misit igitur et conuocauit suffraganeos Salonitane metropolis uniuersos. Qui cum conuenissent, prouincialem cum eis synodum aput Salonam debita maturitate celebrauit. Interfuerunt autem isti suffraganei ecclesie Spalatensis : primo Laurentius archiepiscopus, secundus post eum Stephanus episcopus Iaderensis, Iohannes Traguriensis, Forminus Nonensis, Gregorius Arbensis, Theodosius Belgradensis, Gregorius Chroatensis, Basilius Absarensis et alii quidam).
138 Annales Camaldulenses, VII, p. 258 : Recensetur in iis monasteriis coenobium sancti Petri intra moenia Absarensis urbis, cujus monachi canonicorum vicem supplebant in ecclesia principe ejus insulae.
139 Beati Gaudentii in Absarensi episcopatu Gesta, p. 350-361.
140 Id., p. : (...) prudens Petrus nomine qui fundator Novi Portus coenobii.
141 Sur le rôle de Pierre Damien dans la réforme de l’Église : Longo 2012 ; Freund 1996 ; D’Acunto 1999 ; Benericetti 2007.
142 Pier Damiani, Ep. 72, 2, p. 329.
143 Id., Ep. I, 9 à Nicolas II, pape (= opusc. 19 De abdicatione episcopatus), PL 145, col. 425 : Venerabilis quoque Gaudentius Apsarensis episcopus, cuius ego familiaritatis dulcedinem merui (...) episcopatum dimisit.
144 Marinković 2016, p. 187-223.
145 CDCDS I, 116, (a. 1070-1076), p. 151, inventaire des biens du monastère Saint-Jean de Biograd : De terra in eadem valle Pagnana. Abbas P. emit terram in eodem loco supra ecclesiam sancti Alexandri a quodam Absaritano pro IIII solidis romanatis. De alia terra in eadem valle. Est et ibidem alia, quam Iohannes Absarensis dedit eidem monasterio pro animabus, tam sua, quam et parentum suorum.
146 CDCDS II, 303, (a. 1199 - 12 juillet – Latran), p. 322 : Postmodum autem prefatus N. farensis episcopus a nobis ad venerabiles fratres nostros polensem, absarensem et arbensem episcopos litteras impetravit.
147 CDCDS II (a. 1106), p. 16 ; (a. 1199), p. 320, 366 et 367.
148 CDCDS II (a. 1199 - 25 mai - Latran), p. 320 : Innocentius etc. Vgoni abbati monasterii sancti Petri de insula arbensi, eiusque fratribus presentibus, quam futuris monasticam vitam professis, in perpetuum.
149 CDCDS II, 31 (a. 1119), p. 32 : Ego Gruba abbatissa sancti Benedicti cum cunctis meis sororibus edificavimus domum in paratina prope sancti Cipriani (quam) Pradana ( !) mater Gaudii Falsamine secum in monasterio aduxit, quam predictam paratinam divisimus de paratina sancti Cipriani et sancti Nicolai, et de propria nostra terra (permi) simus ex omni parte sex palmos pro sacellis, ante hos testes - - - abbas sancti Petri - - - Prarana monachus eiusdem monasterii, filius Mene, Sabacius filius Lampredii, Ercaltus (?) - - - advocatus - - - Jura Falculi advocator sancti Cipriani.
150 CDCDS, vol. III, n° 88 (1212), p. 110 : Anno dominice incarnationis millesimo ducentesimo duodecimo, mensis marcii die quintodecimo astante, indictione quinta decima, in presentia testium quorum nomina inferius continentur. Daria dei gratia Apsarensis comitissa una cum filiis suis Roberto et Petro comitibus, uniuerse Arbensi communitati promisit pro se et suis omnibus filiis, quod si homines Arbenses filium suum Ro (bertum) Arbensem comitem facerent, omnia iura et raciones quas ipsa habet in Kessa Ueterana cum omnibus ad eam pertinentibus eis concedit tali siquidem tenore, quod predicta communitas Arbensis possideat et utilitatem suam faciat, quousque predictus R(obertus) comes in eodem existeret comitatu (...).
151 Ibid.
152 Sur les archives du diocèse d’Osor : Štefanić – Košuta 1951, p. 289-332. Je tiens à remercier vivement Mgr. Franjo Velčić, maître de conférences à la Faculté de Théologie de Rijeka, vicaire général de l’évêché de Krk et responsable des Archives de Krk, de m’avoir permis de consulter les archives relatives aux fondations monastiques du Kvarner. Cette étude n’aurait pas été possible sans son accueil chaleureux et ses conseils précieux. Je remercie également Morana Čaušević-Bully et Daniel Ciković d’avoir facilité mes démarches auprès des Archives épiscopales de Krk.
153 Voir aussi Ostojić 1963, p. 149.
154 Après avoir suivi l’enseignement de l’humaniste Giovanni Aurelio Augurelli et des études de droit canonique à Bologne, Pietro Lippomano devint évêque de Bergame en 1520, évêque de Vérone en 1544 et nonce apostolique jusqu’à sa mort en 1548 : Gullino 2005 ; Jedin 1972, p. 633.
155 CDCDS I, 92 (a. 1071), p. 124-125 : CDCDS, 92 (a. 1071), p. 125 : (…) donamus nostrum monasterium sancti Petri de Neumis insulis monasterio Sansicouo, cum suis utrisque insuliis Neumis, et eorum pertinentiis, et cum decem libris ecclesie, et tribus aratris boum.
156 Jurković – Bully – Marić – Čaušević-Bully 2007 ; Bully et al. 2015.
157 Jurković 2013, p. 267-275. Miljenko Jurković a étudié les deux fragments mis à jour, contemporains de la période de la fondation du monastère, provenant probablement du décor de frises de la façade romane. Selon lui, l’étude morphologique et iconographique doit être mise en relation avec les sculptures de Venise, de Pomposa ou encore de Torcello et les fragments pourraient être datés de la première moitié du XIe siècle.
158 Sur les origines de l’érémitisme camaldule : Kurze 1983 ; Kurze 1989, p. 243-275 et 275-294 ; Petri Damiani Vita beati Romualdi ; Tabacco 1965 ; Tabacco, 1993, p. 195-248 ; Tabacco 1970 ; Tabacco 1994.
159 Licciardello 2014.
160 Licciardello 2007, p. 180-181 (trad. S. Gioanni).
161 Licciardello 2004 ; Caby 1994 ; Caby 1995a.
162 Licciardello 2007, p. 181 (trad. S. Gioanni).
163 Voir la contribution d’Emanuela Elba (L’Evangeliario “di Osor” : nuove considerazioni e prospettive di ricerca dans Elba à paraître a). L’analyse historique, paléographique, stylistique et codicologique de l’Évangélaire d’Osor permet à l’auteur de proposer une nouvelle interprétation de l’origine et de la transmission de ce célèbre manuscrit et de reconsidérer ses liens avec la cathédrale d’Osor, à laquelle il a été rattaché, et avec le monastère de Susak, où il a peut-être été réalisé. Ces hypothèses, qui restent naturellement ouvertes, apportent une nouvelle lumière sur la production des manuscrits dalmates en écriture bénéventaine. Sur ce point : Elba 2011 et Elba 2012.
164 Par exemple CDCDS II, 303 (a. 1199), p. 322 (lettre du pape Innocent III aux évêques dalmates et à l’abbé de Trogir) ; CDCDS II, 78 (a. 1154), p. 77 (lettre du pape Anastase IV à Lampredius, archevêque de Zadar) ; CDCDS VII, 21 (a. 1291), p. 25 (lettre du pape Nicolas IV à l’évêque d’Osor), etc.
165 Par exemple l’acte de nomination de l’évêque d’Osor Nikola, en 1399, par les bans Nikola et Ivan Gorjansky : CDCDS XVIII, 301 (a. 1399), p. 429 (Banovi Nikola i Ivan Gorjanski imenuju Nikolu, sina Pavla de Soklos biskupom u Osoru : Cum igitur episcopatus Abseriensis in ecclesia Kathedrali beate virginis, in insula nostra Vzor vocata constructa, situs, per serenissimum principem dominum nostrum dominum Sigismundum, regem Hungarie etc., nobis sub nove donacionis titulo simul cum patronatu ipsius ecclesie et collacione dicti episcopatus perpetuo donata, per decessum venerabilis in Christo patris et domini Protini, pye recordacionis episcopi predicte ecclesie Abseriensis, iam in dicta insula nostra de iure et de facto vacare contingat, cius collacio seu presentacio ad nos, ut premittitur, pertinere dinoscatur, nos itaque attendentes morum honestatem…).
166 166Cette situation n’a rien à voir avec le cas particulier des cathédrales monastiques (McNeill 2013).
167 De Cazanove 2016, p. 97 : « The church of St. Peter and the abbey of St. Emmeram were both run by the bishop of Regensburg, even if they were geographically distant (the abbey is located extra muros, whereas the cathedral is located within the city). The two places run by the bishop are brought together through diplomatic expressions ».
168 Les travaux de Wilhelm Kurze ont replacé l’essor du monachisme camaldule dans le cadre territorial du mouvement réformateur monastique et grégorien : Kurze 1989c. L’auteur étudie les origines de l’ermitage de Camaldule et sa transformation progressive en puissante congrégation et son extension bien au-delà de la Péninsule italienne. Il montre notamment le rôle des récits et des pratiques de l’écrit, entre réalité et légende, comme en témoigne la célèbre donation du « campus Malduli » par le mythique comte Maldolo à saint Romuald (Kurze 1989a). Notons que Paolo Cammarosano a étudié, dans le diocèse d’Arezzo en Toscane, le cas de la fondation monastique privée de San Salvatore della Berardenga passée aux Camaldules à la fin du XIe siècle qui pourrait fournir un exemple comparable : Cammarosano 1974.
169 Lauwers 2014a, p. 10 ; Sur la définition du « complexe » comme « groupements multiples et plutôt cloisonnés », voir aussi dans le même volume, Lauwers 2014b, p. 43.
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