L’épitaphe versifiée d’un esclave de la familia de Juba II
Texte intégral
1L’inscription répertoriée, sans proposition de datation, sous le n° 21303 dans le CIL, VIII présente l’originalité de mentionner des esclaves ; elle s’insère dans une série de carmina funéraires composés de distiques élégiaques provenant de Césarée de Maurétanie (Cherchell), gravés sur des stèles caractéristiques du Ier siècle p. C.1. De petite taille, elles présentent un fronton triangulaire, flanqué parfois d’acrotères, orné d’un croissant lunaire dont les cornes sont dirigées vers le haut. Ce fronton n’est pas toujours dégagé mais peut être suggéré par un trait. L’inscription est gravée sur l’architrave, le plus souvent dans une tabula ansata ; parfois le texte en déborde les limites. En dessous était évidée une niche dans laquelle était figuré un personnage, tenant une grappe de raisin dans la main droite pendant le long du corps, et, dans la main gauche repliée sur la poitrine, un oiseau, un fruit (grenade) ou un vase. Certains poèmes concernent indubitablement des membres de la familia royale2. Dès lors se pose la question de l’appartenance des esclaves mentionnés dans l’épitaphe à la familia de Juba ou de Ptolémée.
2Le texte publié dans le CIL s’appuyait sur la description accompagnée d’un schéma et sur l’édition proposées par Waille et Glaucker 1891, p. 26-27, n° 24 : les auteurs présentaient le monument comme un fragment de stèle en marbre, à fronton triangulaire décoré d’un croissant lunaire ; Waille donnait une largeur de 17 cm et une hauteur de « 1 cm » (sic) :
3Ce texte fut reproduit par Bücheler, CLE, 1245, puis édité dans le Corpus par Dessau. Ni Waille ni le CIL ne proposaient de datation. Alors que Waille et Bücheler n’avaient pas hésité à compléter toutes les lacunes du texte, avec des variantes3, Dessau s’était montré beaucoup plus prudent en ne retenant que les restitutions quasi certaines et il était en désaccord avec ses prédécesseurs sur un point : l’interprétation du duo gravé dans le fronton, hors du champ épigraphique. En effet Waille, suivi par Bücheler, considérait que la même sépulture renfermait deux dépouilles, celle de l’esclave Salvius et celle de son frère, mentionné à la l. 7, mort peu auparavant et pour lequel Bücheler allait jusqu’à restituer le nom de Paulus, tout à fait arbitrairement, comme il l’avait fait pour un autre poème en distiques, de même provenance et fragmentaire4. Dessau pensait que le duo venait tout simplement compléter le bis denos uitae de la première ligne et renvoyait à l’âge du défunt ; il ne restituait pas à la fin du vers 1, contrairement à ce qu’écrit Bücheler, pertulit annos.
4En se fondant sur ces diverses éditions, le Groupe de Recherches sur l’Afrique Antique de Montpellier a proposé en 2011 une lecture qui acceptait l’hypothèse de deux défunts mais différait sur quelques points de détails des restitutions de Bücheler5, une traduction, une étude métrique6 et un commentaire. Dans le groupe de travail réuni autour du projet mis en œuvre par P. Leveau pour élaborer un corpus des inscriptions de Cherchell à partir des archives constituées alors qu’il travaillait à sa thèse sur Césarée, j’ai été chargée de préparer l’édition des carmina ; ce travail m’a fait prendre conscience tout d’abord de l’homogénéité que présentaient les poèmes de Césarée composés de distiques élégiaques75 ; puis P. Leveau a retrouvé une photo de l’inscription que je reproduis ici avec son aimable autorisation, photo qui conduit à remettre en question le texte tel qu’il a été publié par Waille.
Édition
5Cette photo confirme l’identification du monument : il s’agit bien d’une stèle à fronton triangulaire légèrement évidé et délimité par une moulure, décoré au centre d’un croissant lunaire en léger relief, incomplète de tous côtés, sauf en haut au sommet du fronton. Il reste apparemment la plus grande partie de la moitié gauche du texte.
6Lieu de découverte inconnu. Conservée au musée de Cherchell (n° inv. 405).
7Le texte comporte huit lignes : la première est gravée hors champ épigraphique dans le fronton. On y lit duo, mais avant, on distingue nettement deux autres lettres VS, sans doute la fin du nom Saluius. Le champ épigraphique qui encadre les lignes suivantes est en léger relief : peut-être était-il inscrit dans une tabula ansata, comme on le constate dans d’autres exemples de stèles similaires retrouvées à Cherchell. La hauteur des lettres est indéterminée, mais celles des l. 2 à 8 sont plus petites. On remarque des points de séparation triangulaires.
8La pierre conservée était scellée avec du ciment dans le mur du musée, ce qui a fait disparaître à gauche et à droite certaines des lettres lues par Waille ; mais ce dernier mentionne une ligature INN à la fin de la l. 2 et la graphie particulière de Libuae avec le A ajouté au-dessus du V au début de la l. 3, ainsi que celle de conse(r)ui à la dernière ligne : on peut penser que ces particularités étaient effectivement apparentes sur la pierre examinée par Waille et on peut donc accepter les mots qu’il a lus et qui ne sont plus visibles aujourd’hui, tumulo à la l. 4, qui prestetit à la ligne suivante et, pour les deux dernières lignes conservées, pressa avant cenis et conseui casu. Cependant, en confrontant le dessin de Waille et la photo, on remarque que la disposition sur la pierre de la partie du texte encore visible ne coïncide pas avec celle des lignes 5 et 6 que propose Waille : fratri est au milieu du fragment, cenis sur la ligne suivante et l’on constate un uacat après cenis. Sur la pierre, on lit en effet :
---VS DVO // | |
uac BIS * DENOS * VITAE QV --- | |
--- PEROS * FIDVS * HIC * FVIT * I+--- | |
--- GENVIT * TELLVS * EADEM --- | |
4 | --- O * PVLVIS * ET * OSSA * IACE --- |
--- STETIT * ANTE * FRATRI --- | |
--- ENIS * | |
--- * FLENTES * DIXERE * SVP --- |
9À quoi correspond donc l’édition de Waille ?
10Waille, sans le mentionner explicitement, n’a pas reproduit la disposition des lettres telles qu’elles apparaissaient sur la pierre, mais a présenté le texte du poème tel qu’il le restituait ; comme la plupart des autres poèmes en distiques de Cherchell adoptent effectivement une mise en page respectant les vers, personne ne s’est interrogé sur l’allure réelle de la gravure. Or, visiblement, le lapicide a procédé sans respecter la disposition des distiques, se contentant d’aller à la ligne après chaque pentamètre. Un cas similaire se retrouve dans un autre poème de Cherchell, l’épitaphe très mutilée d’un jeune esclave, Philo8, où chaque ligne correspond à un distique. Il s’agit, dans ce cas, d’un travail très soigné et très bien gravé, avec un texte aligné des deux côtés, ce qui n’est pas le cas de l’épitaphe de Salvius dont la mise en page est très médiocre : lettres ou mots ajoutés, écriture très irrégulière voire maladroite, espacement inégal entre les lettres, lignes plus ou moins longues. L’étude de l’étendue des lacunes de l’épitaphe de Salvius permet de conforter cette hypothèse sur la disposition du texte. La pierre mesure en effet 17 cm de large pour un peu plus de la moitié du texte initial, ce qui correspond aux dimensions des autres stèles retrouvées dans les nécropoles de Césarée, des stèles assez petites qui ont une largeur comprise entre 24 et 29 cm. On peut donc avoir une idée de l’étendue des lacunes : à la première ligne du poème, il y a un uacat au début de la ligne qui, de ce fait, commence sous le nom du défunt dont on reconnaît les deux dernières lettres avant DVO ; c’est sans doute ce que voulait exprimer Waille, quand il écrivait que le nom Salvius était « mis en vedette »9. On compte ensuite, pour ce premier vers, 13 lettres suivies de QV ; il reste donc la place pour 14 lettres environ : compleuerat annos peut raisonnablement être accepté. Les lettres des lignes suivantes sont d’une taille moindre : à la ligne 2, au début, [ad su] tient sans problème et, à la fin, innocuus avec ligature NN est court, mais, comme c’est la fin du pentamètre, on constate que le lapicide est allé à la ligne pour commencer le deuxième hexamètre. Waille lisait au début de la ligne unc Libuae, deux mots aujourd’hui disparus. À la fin, la restitution -que recepit, acceptée par Dessau, est tout à fait justifiée par le contexte ; c’est un thème récurrent dans les carmina de rapprocher le lieu de naissance et celui de décès : on le retrouve, avec des variantes, dans l’épitaphe de Virgile10, mais aussi dans un certain nombre de carmina de Cherchell de la même époque11. Cependant, au vu de la place restante, le lapicide a sans doute gravé ensuite le début du pentamètre et la ligne 4 du poème devait commencer par tumulo ; à la fin de la ligne 3, il faut donc attendre une expression comme hoc nunc in (in est plus fréquent que sub dans les carmina de Césarée). Iacet marque la fin du deuxième pentamètre et il faut admettre là encore un uacat. Il faut renoncer à toute proposition pour la fin de troisième hexamètre : on peut supposer qu’une nouvelle phrase commençait avec l’hexamètre, et qui prestetit ante fratri ---, et se terminait par la fin du pentamètre pressa cenis, pour pressa cinis. Cette lecture invalide la proposition de Waille qui faisait commencer le pentamètre avec fratri, ce qui est impossible au vu de la disposition sur la pierre. Enfin le dernier distique comprend un hexamètre presque complet et devait donc être suivi d’un pentamètre comportant sans doute les formules de repos : voir CLE, 1028, 6 : sit tibi perpetuo terra leuis tumulo ; 1029, 6 : Tellus, huic tumulo ne grauis esse uelis ou alors, comme dans un poème contemporain de Cherchell (CIL, VIII, 21179 ; CLE, 429) : tibi ut nullum terrae sit pondus grauatum.
11On peut donc proposer de lire ainsi la pierre qu’a eue sous les yeux Waille (en italique, les lettres vues par Waille aujourd’hui disparues) :
12On constate que la pierre était complète à gauche et que l’étendue des lacunes sur le fragment aujourd’hui conservé coïncide parfaitement avec l’espace occupé par les lettres :
a) | SALVIVS DVO // |
b) | BIS * DENOS * VITAEQV[---] |
AD * SVPEROS * FIDVS * HIC * FVIT * I(NN)[---] | |
VNC *LIBVAE * GENVIT * TELLVS * EADEMQ[---] | |
4 | TVMVLO * PVLVIS * ET * OSSA * IACET [---] |
[---] QVI PRESTETIT * ANTE * FRATRI * H[---] | |
PRESSA * CENIS | |
CONSEVI CASV * FLENTES * DIXERE * SVPRE[---] | |
8 | [---] |
13Restitution :
Saluius duo // | |
Bis denos uitae qu[i compleuerat annos] | |
ad superos fidus hic fuit inn[ocuus]. | |
(H)unc Libuae genuit tellus eademq[ue recepit, hoc nunc in] | |
5 | tumulo puluis et ossa iacet. |
Et qui prestetit ante fratri h[---] | |
pressa cenis, | |
conseui casu flentes dixere supre[mo] : | |
[…] |
14Versification :
Bis duodenos uitae qui compleuerat annos | | - u u | - - | u || - u u | - u u | x | |
ad superos fidus hic fuit innocuus. | | - u u | - u u | - - | - / u u | - u u | - u | |
Hunc Libuae genuit tellus eademque recepit, | | - u u | - u u | - - | - / u u | - u u | - u | |
hoc nunc in tumulo puluis et ossa iacet. | | - - | - u u| - || - u u | - u u | x | |
Et qui prestetit ante fratri [---] | | - - | - u u | - u - | - [---] |
[---] pressa cenis, | [---] u u | - u |
conseui casu flentes dixere supremo / | | - - | - - | - / - | - - | - u u | - - | u - |
15Traduction :
16« Salvius, qui avait accompli les deux fois douze ans de sa vie, fidèle à ceux d’en haut, n’a fait aucun mal. La terre de Libye l’engendra et c’est elle aussi qui le reçut. Dans ce tombeau désormais, il gît, poussière et ossements ; et à un frère qui excella [---] réduit en cendres, ses compagnons de servitude, en pleurant sur un malheur aussi grand ont dit : [« que la terre te soit légère… »].
17Il n’y a pas lieu de penser qu’il y a deux défunts ; il faut préférer la proposition de Dessau dans le CIL : le mot duo a été oublié et se rattache simplement à l’âge du défunt, comme le montre son insertion dans la métrique du premier vers. Deux autres poèmes de Cherchell, contemporains, expriment de la même façon l’âge :
CIL, VIII, 21146 = CLE, 1290, distiques, v. 3 : Vltuma ter denos ac tr[es mi annos tulit aetas], « je n’ai pas dépassé l’âge de trente-trois ans »
et CIL, VIII, 21179 = CLE, 429, hexamètres, v. 3 : uixi ego bis denos annos tres atque seimitum, « j’ai vécu deux fois dix ans et trois années et demie »12.
18La stèle ne concerne donc qu’un défunt, Salvius, âgé de 24 ans. De ce fait, le mot fratri, au vers 5, s’applique à Salvius, car il n’est pas rare que les esclaves se désignent ainsi entre eux et c’est le complément de dixere. Il me semble alors que le troisième distique oppose ce qu’était le défunt de son vivant, si l’on donne à praestare le sens d’« exceller », et ce qu’il est après son trépas, comme dans le poème d’un anonyme, mort à Cherchell : BCTH, 1915, p. cxxvi-cxxvii : [--- hic] miti sopitus morte quiesc[o / --- ti]tulis inclytus egregiis, et comme dans CIL, VIII, 21146 : cara uiuo uixi, moria[r ---]13.
19Deux mots présentent un problème : tout d’abord, superos au vers 2 désigne dans les épitaphes les dieux d’en haut14, mais il peut aussi s’appliquer au monde des vivants par rapport aux enfers15 ; il est cependant peu probable que le terme puisse renvoyer ici aux maîtres de l’esclave, bien que la fidélité aux maîtres soit une vertu servile. Ensuite, au dernier vers conservé, au lieu de supremo, complément de casu, on pourrait penser, comme Waille, à suprema, dernières paroles.
Commentaire
20Les deux premiers distiques concernent le défunt (âge, origo, qualités morales), l’évocation de son tombeau et la fragilité de la condition humaine. Le dernier distique concerne les dédicants, ses conserui, des compagnons de servitude qui ont prononcé les formules rituelles. L’inscription, datée du début du Ier siècle par la forme du monument, présente un double intérêt dans le cadre de notre thème : la condition servile du défunt et des dédicants. En effet les épitaphes pour des esclaves par des esclaves sont rares et plus encore quand il s’agit de textes versifiés ; un rapide survol dans les CLE fait apparaître trois types de situations :
- celle où le défunt comme le dédicant sont esclaves, comme dans notre inscription, avec la particularité d’avoir parfois la mention d’un groupe comme dédicants ;
- celle où le défunt est esclave et le dédicant libre ;
- celle où le défunt est libre et le dédicant esclave.
21En Afrique, on ne peut répertorier que six exemples de ces différents types :
- à Césarée même, l’épitaphe d’un uerna de la gens des Vibii, Philo, déjà citée16, par son père, lui-même affranchi de L. Vibius Secundus ; 4 distiques élégiaques qui sont groupés sur 4 lignes ; il s’agit vraisemblablement de membres de la familia du procurateur L. Vibius Secundus, connu par Tacite (Ann., XIV, 28, 2 et Hist., II, 10, 2-6), car il fut accusé de concussion (accusantibus Mauris repetundarum) par les Maures (c’est-à-dire le concilium) à la fin de l’année 60 ;
- à Carthage, 5 poèmes un peu plus tardifs, sans doute du début du IIe siècle17, provenant du cimetière des officiales :
- * CIL, VIII, 12792 = CLE, 1187, épitaphe de Minucia Prima par son époux Nicodromus, esclave impérial, où l’on retrouve une variante de la formule sur les origines : Roma tibi genus est, fatum fuit ut Libys esset ; deux hexamètres suivis de 4 distiques élégiaques.
- * CIL, VIII, 13134 = CLE, 1606, commaticum dédié à Severa, esclave impériale, par son époux anonyme.
- * CIL, VIII, 25006 = CLE, 1331, épitaphe d’un petit esclave dont « on ne dit ni le nom ni l’âge » par des dédicants inconnus (sans doute les parents).
- * CIL, VIII, 24734 = CLE, suppl., 2215, poème très émouvant dédié à Daphnis morte en couche, sans doute par son époux, Hermès, lui-aussi esclave, bien que ce ne soit pas explicitement précisé par un praescriptum.
- * CIL, VIII, 13110 = CLE, 1188, l’épitaphe en deux hexamètres suivis d’un distique pour la jeune Priscilla, de la part de ses frères : hanc fratres pietate pari maestique sororem / sedibus Elysiis condiderunt tumulo (vers 3-4).
22Soit quatre poèmes seulement concernant uniquement des esclaves, dont un émane d’un groupe indifférencié d’esclaves, les frères et sœurs.
23Si l’on se tourne vers Rome, on peut dresser le même constat de rareté. Certes, beaucoup de poèmes ne comportent ni praescriptum ni subscriptum, mais quelques-uns, dont on ne peut rien dire de plus, concernent visiblement des esclaves :
- CIL, VI, 21151 = CLE, 398, hexamètres avec en praescriptum Lasciua uerna Q. Sulpici Abascanti ;
- CIL, VI, 23472 = CLE, 1107, 3 distiques élégiaques avec en praescriptum : Dis Manibus Onesimi ; Anicetus carissimo fecit domino ;
- CIL, VI, 23730 = CLE, 837, épitaphe de Palinurus L. Aponi (seruus) par son frère Typhus (un frère d’esclavage ?) ;
- un peu plus précis, CIL, VI, 9199 = CLE, 1080, deux distiques avec en praescriptum : Zethus T. Vini atrie(n)s(is) u(ixit) a(nnis) XX. C’est son frère Amphio qui a consacré le tombeau ; au v. 3, il y a une allusion aux frères et sœurs, sans doute d’esclavage : parcite Fata meis, ualeant fratresque sorores. Le maître est sans doute le légat de Galba, T. Vinius Rufinus (Tacite, Hist., I, 48) ;
- CIL, VI, 23548 = CLE, 1002, un distique ; l’intérêt réside dans la pluralité des dédicants : Optatus, Nireus, Anthus, ses amici sodales à Pactolus de la familia de Q. Satrienius Pollio ;
- CIL, VI, 7233 = CLE, 831, il ne reste qu’un vers : conliberti et conserui posuerunt.
24Dans le cadre de la familia impériale1, on relève plusieurs exemples :
- CIL, VI, 8703 = CLE, 1028, époque augustéenne2 : 3 distiques pour son épouse affranchie, Iulia Procilla, morte à 19 ans, par Amaranthus, Caesaris (seruus) aeditus (aedis) ab Concordia ;
- CIL, VI, 19747 = CLE, 987, 3 distiques pour le fils d’esclaves de Livie, épouse de Drusus le fils de Tibère, avec en praescriptum : Iucundus Liuiae Drusi Caesaris (seruus), f(ilius) Gryphi et Vitalis ;
- CIL, VI, 15258 = CLE, 1499, épitaphe de Ti. Claudius Secundus (affranchi de Claude ?), par sa compagne (contubernalis), Merope Caes(aris serua) ;
- CIL, VI, 18296 = CLE, 816, un distique pour Flauia Auita, sa compagne, affranchie d’un empereur flavien, par Syntrophus, esclave d’Aegisthus, esclave impérial (a Syntropho Aegisti Aug(usti) serui uicario contubernali) ;
- on peut ajouter le poème CLE, 1463, trouvé dans un tombeau de la familia impériale près du lac albain : un distique pour Fortunata, épouse d’Abascantus Caesar(is) n(ostri) ser(uus) uillic(us).
25Enfin, quelques poèmes figurent parmi les épitaphes d’esclaves ou affranchis (428 au total) retrouvées dans le columbarium des Statilii18, construit par le consul de l’an 11 p. C. Le plus souvent il s’agit de plaques de marbre, avec parfois un trou pour les libations :
- CIL, VI, 6314 = CLE, 1014 = Caldelli n° 24, plaque avec en praescriptum, Nothi librari a manu suivi de 3 distiques élégiaques ;
- CIL, VI, 6467 = CLE, 130 = Caldelli n° 158 : deux sénaires à valeur de sententia avec praescriptum : Heracla Catulli Tauri l(iberti) seruos19 ;
- CIL, VI, 6250 = CLE, 179 = Caldelli n° 75, épitaphe de Statilia Hilara, affranchie, par Amarantus colorator et Philologus atrie(n)sis son époux ;
- CIL, VI, 6502 = CLE, 1001 = Caldelli n° 362, 3 distiques élégiaques : Anthus à Plocamus, son coaequalis ;
- CIL, VI, 6275 = CLE, 999 = Caldelli n° 1 (fig. 18), un distique suivi d’un subscriptum mentionnant Faustus Erotis dispensatoris uicarius, donc l’esclave de l’intendant de la maison ;
- CIL, VI, 6319 = CLE, 1066 = Caldelli n° 206, quatre distiques élégiaques pour un enfant, Gratus, avec mention de sa sœur Spoudènè, enfants du médecin des Statilii, Lysa, qui a des chances d’être affranchi20 ;
- CIL, VI, 6423 = Caldelli n° 32, commaticum pour Clemens fils de deux esclaves ;
- CIL, VI, 6492 = Caldelli n° 171 : ossa Nicenis avec sententia.
26L’ensemble des références montre que ces poèmes concernent des esclaves de la familia impériale ou celle de grandes familles, comme les Statilii, très proches du pouvoir au début du règne d’Auguste. Ils ne se distinguent pas de ceux qui sont composés pour les affranchis de ces mêmes familiae et ce sont souvent des liens de parenté qui unissent le défunt et le dédicant. Les inscriptions faites par des groupes, très peu nombreuses21, témoignent peut-être de l’existence de collèges funéraires : outre celle de Cherchell, on en trouve une à Carthage, et trois à Rome, dont une seule mentionne les conserui (CLE, 831)22, alors que les autres en appellent au vocabulaire de la famille frater ou soror, voire à celui d’amici. Notre inscription, qui comporte à la fois le terme de conseruus et celui de frater, renvoie aux pratiques funéraires dans le cadre d’une familia, qui ne peut être que celle des rois de Maurétanie, qui avaient adopté les comportements des grandes familles romaines.
27Juba II avait en effet constitué l’embryon d’une administration, composée des membres de sa familia, sur le modèle de ce qu’avait fait Auguste à Rome : esclaves et affranchis étaient appelés à gérer aussi bien les affaires du royaume (notamment les relations avec Rome mais aussi avec les communautés du royaume) que celles de la maison privée (la gestion des biens personnels et des palais). Au début du règne de Ptolémée, si l’on en croit le témoignage peu bienveillant de Tacite23, ils en étaient venus à jouer un rôle très important. Or on a la chance d’avoir retrouvé les nécropoles de Césarée24 et, en particulier, dans ces nécropoles païennes, d’avoir identifié certains des tombeaux collectifs de la familia royale25, soit à l’ouest de la ville près de l’oued El Kantara, soit à l’est près de l’oued Nsara. On dispose ainsi d’un petit corpus26 ; à partir d’un examen critique des inscriptions retenues d’abord par P. Leveau27, puis par M. Coltelloni-Trannoy28, on peut dresser une liste de 46 noms d’affranchis ou d’esclaves de la familia royale. Parmi ces 46 noms, 10 à 13 personnages sont de condition servile :
281. Amar[antus], esclave de Ptolémée (CIL, VIII, 21091, inscription très fragmentaire)
2. Ammonios, esclave de Ptolémée (CIL, VIII, 21446, fragment de stèle en grec)
3. Anteros, esclave passé de la familia de Vedius (Pollio) Molpus à celle de Juba, joueur de flûte (hypaules) (CIL, VIII, 21098, fragment de stèle)
4. Crestus, esclave de Juba, garde du corps (decurio corpore custodum) (CIL, VIII, 21068, stèle dédiée par son épouse Aulè)
5. Dinamis, esclave, mère de Iulia Clita, affranchie d’Epap(h)ra, affranchi de Juba (CIL, VIII, 21086, stèle grossière)
6. Faustus, esclave, licteur (lictor) (CIL, VIII, 21069, stèle dédiée par son épouse Rosis)
7. Iacentus, esclave de Juba, garde du corps (corpore custos) (AE, 1976, 519, stèle)
8. Tychè, récitante de vers (stychologos) (AE, 1954, 210, urne, même tombeau que le n° 10)
9. [---]us, esclave de Ptolémée, comptable ([actu]arius) mieux que [Ianu]arius (CIL, VIII, 21094, stèle médiocre)
10. [---] esclave attaché au cellier ([seru]us cellario) de Ptolémée (AE, 1971, 517).
Il faut sans doute y ajouter les trois textes suivants :
12. Fausta, nourrice ou femme de chambre ([nut]rix ou [sarcinat]rix) (CIL, VIII, 21097, très fragmentaire)29
13. Gorgene, uestiarius (esclave chargé de la garde-robe) (CIL, VIII, 20967, stèle à Saturne) Rogata, femme de chambre (sarcinatrix), (CIL, VIII, 10938, stèle à Saturne)30.
14. Rogata, femme de chambre (sarcinatrix), (CIL, VIII, 10938, stèle à Saturne).
29Les fonctions mentionnées, tant pour les esclaves que pour les affranchis, replacent les individus parmi le personnel subalterne des catégories domestiques du palais et rarement parmi celui de l’administration ; dans les inscriptions sans précision, l’allure modeste des monuments renvoie au même milieu. Les esclaves et affranchis plus importants semblent absents. Cependant, même si le statut n’est pas toujours précisé31, dans cette petite série de stèles ou plaques funéraires qui se distinguent par la présence d’un court poème, le plus souvent en distiques élégiaques d’une rare élégance et d’une inspiration tout à fait grecque32, trois proviennent indubitablement de la familia royale comme l’atteste le praescriptum33. La qualité du poème de Salvius, comparable aux autres, et le statut du défunt et des dédicants rendent ainsi quasi certain le rapprochement avec la familia des rois : Salvius, dont on précise l’origine africaine, occupait vraisemblablement un certain rang parmi les esclaves (conserui) de cette familia, puisque on lui a fait l’honneur d’un poème et c’est peut-être à cette position que renvoie le début du vers 5.
30Ces poèmes valorisaient les esclaves, et surtout les affranchis, de la famille royale, mais ils participaient aussi à l’affichage de l’image dynastique de Juba, très proche de celle qu’affichaient les Statilii au même moment à Rome. En tout cas, ils contribuèrent à la diffusion très précoce de la coutume du poème funéraire dans le milieu des élites de Césarée, permettant l’affirmation gentilice de ces familles : il en va ainsi pour le remarquable poème AE, 1995, 1793, que son époux consacre à Rubria Festa, une flaminique provinciale, matrone exemplaire et féconde, et, bien que le poème soit moins élégant (CIL, VIII, 9519 = CLE, 526), pour l’épitaphe de Sergius Sulpicius Festus dédicacée par son père34.
Notes de bas de page
1 Leveau 1984a, p. 82-84 : les stèles sont les monuments funéraires les plus caractéristiques de cette époque ; 140 stèles funéraires et 28 stèles votives présentent une forme identique : toutes sont de petite taille, allant de 30 x 15 cm à 70 x 27 cm, et taillées dans des plaques de marbre de 3 à 5 cm.
2 Hamdoune 2013.
3 L. 1 : [degit Saluius annos], Waille ; [uix compleuerat annos], Bücheler. L. 4 : [contectum], Waille, Dessau ; [hic nunc sub], Bücheler. L. 5 : [munus idem Paulo functo], Bücheler. L. 6 : h[ic hodie saxi pondere], Waille ; h[ic nunc saxo est utraque], Bücheler. L. 7 : supre[ma], Waille ; supre[mo], Bücheler. L. 8 (dont l’existence est justifiée par la nécessité de compléter le dernier distique : [Paule, tibi et Salui, sit tibi terra leuis], Bücheler.
4 CIL, VIII, 21146 = CLE, 1290, stèle à fronton dont il ne reste que la partie gauche, provenant de la nécropole d’El Kantara, composée de 4 distiques élégiaques ; vers 1 : coniunx hic Blandi s[ita sum Crispina Munati] …
5 Hamdoune 2011, p. 258-260, n° 160, avec une datation du Ier s. p.-C. : l. 4 : [hoc nunc sub] ; l. 5 : [munus idem paulo] ; l. 6 : h[ic nunc saxo est pondere] ; l. 7 : supre[mo].
6 Étude de J. Soubeyran : distiques élégants mais avec deux fautes de prosodie (au vers 2 sur fidus, u long et au vers 6 hiatus fratri/hic).
7 Hamdoune 2013, p. 5-17.
8 CIL, VIII, 9508 = CLE, 1234.
9 Pour l’utilisation du fronton par une partie du texte épigraphique, voir la stèle de Furius Herennus (CIL, VIII, 21031 = CLE, 479) et CIL, VIII, 21284, épitaphe d’Olumphia : un commaticum ; ces deux inscriptions sont contemporaines de celle de Salvius.
10 Carbonell, Pena 2009.
11 CIL, VIII, 21031 = CLE, 479, v. 1 : Baetica me genuit telus … ; BCTH, 1915, p. cxxvi-cxxvii (Hamdoune 2011, n° 164, p. 263-265, v. 4-5 : [H]emesa patria me diua crea[uit] / [Caesarea b]usti sarcophagum reti[net] ; CIL, VIII, 21275 = CLE, 1243, v. 4 : [hic defunct]us est natus in Hesperia ; AE, 1985, 958, v. 5-6 : Hic, Callo, iaceo tellure as[cita] finibus Italiae lucis ad[---].
12 Voir Hamdoune 2011, n° 161, p. 260-261 et n° 167, p. 269-270.
13 Voir Hamdoune 2011, n° 164, p. 263-265 et n° 161, p. 260-261.
14 Voir par exemple, le poème de l’affranchie de Juba, Callo (AE, 1985, 956), v. 7 ; sur ce texte, voir Hamdoune 2013, p. 6-7.
15 Virg., Én., 6, 481.
16 Voir supra n. 8.
17 Hamdoune 2011, p. 84-90, n° 39-42 et p. 92-93, n° 44.
18 Caldelli, Ricci 1999.
19 L. Valerius Catullus qui fut l’époux de Statilia Messalina.
20 Peut-être aussi CIL, VI, 6593 = CLE, 1030 = Caldelli n° 368 (fig. 64), deux distiques pour une épouse, mais le défunt et le dédicataire sont anonymes.
21 On en possède cependant plusieurs exemples dans des épitaphes en prose provenant du colombarium des Statilii ; CIL, VI, 6306 : épitaphe d’une lectikaria par quatre esclaves ; CIL, VI, 6435 = Caldelli, n° 140. La présence d’un groupe de dédicants laisse supposer l’existence de collèges funéraires, attestés pour la familia des Statilii dans les inscriptions qui mentionnent explicitement le collegium commorientium (pour les esclaves et les affranchis) divisé en décuries : voir CIL, VI, 6215 à 6222.
22 On trouve le terme dans l’épitaphe en prose d’Epaphus par son conseruus Diodorus provenant du colombarium des Statilii (CIL, VI, 6595).
23 Tacite, Ann., IV, 23 : qui Ptolemaeo Iubae filio inuenta incurioso, libertos regios et seruilia imperia bello mutauerant, les Maures « qui, devant l’insouciante jeunesse de Ptolémée, fils de Juba, avaient troqué contre la guerre le gouvernement d’affranchis royaux et la domination d’esclaves. » Sur cette remarque voir infra.
24 Leveau 1987, p. 281-290, pl. 47 à 52.
25 La plupart des inscriptions retrouvées in situ se rattachent à un édifice important, mausolée ou hypogée, où sont réunies plusieurs sépultures. Voir Leveau 1977 et Leveau 1978.
26 Voir Hamdoune 2015.
27 Leveau 1984b.
28 Coltelloni-Trannoy 1997, p. 215-217 ; en annexe tous les textes que l’auteur rattache à la familia : 44 attestations à Césarée pour les deux rois, auxquelles il faut ajouter 5 textes de Rome ; toutes ces propositions ne peuvent à mon sens être retenues, car il est difficile d’en lier certaines à la familia même s’il s’agit d’affranchis : n° 9 (AE, 1971, 516) épitaphe de P. Basilius Atacis libertus Syneros ; n° 32 (CIL, VIII, 21208) Gemella fille de Philocalus ; n° 35 (AE, 1971, 520) Seuerinus ; n° 37 (AE, 1971, 518) Claudia Spes.
29 La fonction de sarcinatrix est attestée dans le colombarium des Statilii (CIL, VI, 6349 et 6350).
30 Voir là encore la composition de la familia des Statilii.
31 Ce qui peut s’expliquer par la place du tombeau dans un tombeau collectif bien identifiable.
32 Hamdoune 2013, p. 13-15.
33 CIL, VIII, 9350 ; CIL, VIII, 21090 aujourd’hui perdue et AE, 1985, 956, fragmentaire.
34 Hamdoune 2011, n° 168, p. 270-272, pour Rubria Festa et n° 166, p. 266-269 pour Sergius Sulpicius.
Notes de fin
Auteur
Université Paul Valéry-Montpellier III - GRAA (Groupe de recherche sur l’Afrique Antique) - chrhamdoune@gmail.com
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