Chapitre V. « Faire rire » et politique à l’époque triumvirale (44-30 a.C.) : vestiges républicains et singularités politiques
p. 215-264
Texte intégral
1Les années entre la mort de César et la bataille d’Actium demeurent, en comparaison des décennies précédentes, mal connues des historiens1. Souvent évacuée en quelques pages ou occultée, l’analyse de l’humour politique d’époque triumvirale permet pourtant de dégager la spécificité de ces années à la charnière de la République et du Principat2. Il faut alors insister sur la présence accrue d’un « faire rire » agressif et sur la difficulté de différencier la raillerie ou la plaisanterie de l’invective et de l’insulte. Il faut ensuite attirer l’attention sur la « propagande » politique3 : à la différence d’une époque césarienne de plus en plus polarisée par la lutte entre partisans et opposants de César, la « dictature collective »4 de la période triumvirale connut de multiples jeux d’alliances, qui recomposèrent en permanence les « camps » politiques en présence5. Ainsi, considérer les discours de Cicéron contre Antoine, les bons mots contre la cruauté d’Octavien ou l’usage politique de l’humour par Antoine en Orient permet de scruter la morphologie d’un « faire rire » à la croisée des pratiques républicaines et impériales. Pointer la coexistence de railleries anonymes et de traits ouverts offre enfin la possibilité de restreindre la portée d’une analyse téléologique qui voit dans l’époque triumvirale une marche inéluctable vers l’Empire, marquée par la mort de la parole publique face à la violence des armes6.
I. L’impossible retour du libre « faire rire » ? Des ides de mars à la proscription (44-43)
2Les mois qui suivirent la mort de César furent l’occasion d’un retour du « faire rire » politique aristocratique, notamment dans les Philippiques de Cicéron. Néanmoins, la proscription de 43 remit en question cette libre opposition et marqua le retour des railleries détournées ou anonymes contre les triumvirs.
A. L’humour politique de Cicéron contre Antoine (mars 44-décembre 43)
3Les Philippiques, quatorze discours publiés par Cicéron contre Antoine du 2 septembre 44 au 26 avril 437, témoignent de la volonté de convaincre le Sénat et les citoyens par des discours déclamés et/ou publiés8. De ce point de vue, l’échantillon est à la fois partial et partiel : afin de présenter une rancœur avant tout personnelle comme une lutte entre les bons et les mauvais citoyens et, dans le même temps, de passer sous silence le thème honni de la guerre civile, Cicéron dépeignit Antoine comme un ennemi extérieur mettant la cité en péril9. La violence oratoire de l’Arpinate révélait autant qu’elle justifiait une haine juste (iustum odium) motivant une guerre juste (bellum iustum) contre l’ennemi du peuple romain10 : Antoine devenait, au fil des discours, un monstre qu’il fallait à tout prix éliminer par le verbe, le droit et les armes11.
1. L’humour politique et l’invective dans les Philippiques : réflexions synthétiques
4Virulentes, les Philippiques de Cicéron s’accompagnèrent, à la différence du modèle démosthénien12, d’un humour ironique et injurieux13 qui n’a que récemment été considéré par les historiens14. Les thèmes retenus relèvent d’un « faire rire » classique (critique du manque de pudeur ou de la leuitas, mise en évidence de pratiques sodomites), mais sont accompagnés d’une insistance sur l’entourage antonien, de plus en plus violemment raillé au fil des discours et de leur radicalisation politique15. Le consul de 44 est, à de multiples reprises, faussement loué pour son action, dont le ridicule met en exergue son impudence16 et sa nullité17. Cicéron sapa la crédibilité politique et oratoire de son ennemi avant d’y joindre une critique personnelle de la leuitas d’Antoine. Il reproche plaisamment à Antoine de n’être pas un homme18 et le dépeint comme une courtisane ayant épousé Curion pour obtenir le tribunat de la plèbe19, liant à nouveau des mœurs sexuelles dissolues à l’idée d’instabilité politique20. Ailleurs, il se moque de la nomination d’Antoine comme magister equitum (Ἳππαρχος), magistrature inaugurant sa vie commune avec Hippias21.
5En plus d’une association entre les mœurs dissolues d’Antoine et son avancement, lié à sa proximité avec des Césariens débauchés, l’évocation des Pisistratides entre dans le projet de présenter Antoine comme un tyran en puissance, dès avant la mort de César. L’attitude condamnable d’Antoine le rendait indigne de la République qu’il prétendait incarner en tant que consul : alors qu’il invoquait les glorieux ancêtres de Fulvia, Cicéron mentionnait Tuditanus, croqué de manière sarcastique pour souligner la folie de ce dernier, préférable à la cupidité d’Antoine22. Ces éléments de critique relèvent de la causticité aristocratique tardo-républicaine et ne sont pas sans rappeler les cas de Nicomède et César. Toutefois, à la différence de Catilina ou de Clodius, que Cicéron individualisait pour mieux concentrer ses attaques, Antoine n’est pas seulement raillé pour lui-même. Son entourage, présenté comme une contre-République néfaste, essuie également de violentes railleries de la part de l’orateur, cherchant à accentuer la gravité de l’action antonienne et à parfaire sa mise à distance de la cité. M.-Cl. Ferriès a analysé ce thème et situe son entrée en scène dans la deuxième et surtout dans la troisième Philippique23.
6Il faut dire que le dossier prêtait le flanc à la critique, comme le rappelle Suétone, évoquant Sex. Clodius, rhéteur qui se moquait avec excès d’Antoine et de sa femme Fulvia et fut traité en ami par Antoine qui, devenu consul, le récompensa largement24. Si le témoignage de Suétone est incomplet25, voire fautif, dans la transmission du texte cicéronien26, l’auteur prête à Cicéron cette phrase finale : « c’est un sujet facile que de vous railler, toi et tes amis ». La critique s’adressait parfois aux partisans d’Antoine défendant leur chef au Sénat, comme en témoigne le cas de Fufius Calenus, attaqué, avec modération, dans la dixième et la douzième Philippiques27. Ce sont surtout les Antoniens présents auprès de leur chef qui sont dépeints comme des débauchés invétérés : Antoine devient un leno (proxénète) entouré de personnes qui ne pouvaient servir convenablement l’État28. L’attaque railleuse, souvent xénophobe, se focalise sur ceux qui ont été promus juges de la troisième décurie par la lex Antonia du 4 juin 44, et auxquels Cicéron reproche d’être des étrangers et des gens aux pratiques blâmables, tel Curius « qui, chaque jour, met sa fortune en jeu »29. On y trouve aussi le crétois Cydas30 et l’Athénien Lisyadès, critiqué pour sa leuitas, rendant parfois ses jugements en pallium31. Les attaques frappaient aussi les non-citoyens ou les citoyens jugés illégitimes, comme le Celtibère L. Decidius Saxa, souvent attaqué avec son compère Cafo32. L’orateur attaqua enfin les Italiens aux noms à consonance marse, peuple considéré comme un des plus dangereux lors de la guerre sociale33. Les thèmes du manque de vertu et de l’origine peu glorieuse se combinaient et les appuis non romains d’Antoine étaient parfois raillés pour leur amour de la boisson34. Tous ces personnages composaient le Sénat d’Antoine, contre-cité à l’opposé de l’éthique naturelle et à la bestialité sans limites35.
7Cet entourage est décrit comme touché d’une folie sanguinaire, comparable à celles de « gladiateurs »36 ou de « myrmillons », surnom dont Cicéron affuble L. Antonius37. Tous les vices étaient donc réunis au sein de ce que Cicéron présente comme un ridicule mais dangereux Sénat antonien :
Serait-ce plutôt ton camp auquel nous irions donner le nom de Sénat ? […] Il y a d’anciens préteurs, Philadelphus Annius et l’inoffensif Gallus, d’anciens édiles, celui qui m’a servi de punching-ball pour entraîner mes poumons et ma voix, Bestia, et un patron du crédit, un banqueroutier frauduleux, Trebellius, et un homme brisé et ruiné, Caelius, et le support des amis d’Antoine, Cotyla Varius […] puis les délices et les amours du peuple romain, L. Antonius, des tribuns, et d’abord deux désignés, Tullus Hostilius qui, de son plein droit, fit inscrire son nom sur une porte, porte par laquelle, n’ayant pu trahir son général, il a déserté ; l’autre désigné est je ne sais quel Insteius, vaillant brigand, dit-on, qui toutefois, selon la rumeur publique, était à Pisaure, tempérant l’eau des bains38.
8Cicéron usait parfois du terme de sodales pour décrire ces personnes, qui avaient profité de la mort de César pour devenir sénateurs39. Par ce mot qui désignait les compagnons de beuverie d’Antoine, l’orateur faisait de l’entourage antonien une faction conspirative40 et rappelait qu’Antoine revendiquait le maintien des Acta Caesaris, tout en bafouant l’héritage césarien41. Les Romains, probablement des aristocrates (même si Suétone évoque le uulgus), reprirent le thème et raillèrent ceux qui étaient devenus magistrats ou sénateurs par les Acta Caesaris et la volonté d’Antoine, qui furent surnommés les Orciui ou les « Charonites »42. On peut y voir une critique générale et xénophobe contre les provinciaux élevés aux plus hautes charges par les mesures césariennes et antoniennes43. Étaient également attaqués ceux qui devaient leur avancement aux initiatives du défunt tyran, tel P. Decius, raillé pour son endettement et son cognomen prestigieux de Mus (« rat »)44.
9Antoine et tous ses partisans débauchés, étrangers et monstrueux, ne faisaient qu’un. Ils constituaient un monde inversé, un gouffre qui allait engloutir la cité45 si Cicéron et le Sénat légitime de Rome (avant l’introduction de nouveaux sénateurs césaro-antoniens) ne l’en empêchaient pas. L’analyse des Philippiques permet de retrouver des éléments de l’humour tardo-républicain : une attaque ouverte, portée dans un lieu du politique (le Sénat ou devant le peuple) et usant de thèmes récurrents comme la leuitas, les pratiques sexuelles ou la cruauté. Toutefois, les conditions d’expression du « faire rire » avaient changé. Premièrement, ces discours étaient publiés dans le but de gagner un combat politique qui s’étendait désormais à l’échelle de l’Italie, voire de l’empire. Deuxièmement, Cicéron fuyait Rome à chaque fois qu’Antoine s’y trouvait et n’attaquait jamais le consul de front, ni même en sa présence. Cette distance géographique lui permettait d’exprimer un humour violent et injurieux qui constitue également une marque de l’humour des Philippiques, alternant ironie, insulte, invective et sarcasme afin d’éliminer Antoine. Dans sa tâche, Cicéron était alors soutenu par Octavien, mais un trait maladroit de l’Arpinate contre le fils de César causa peut-être sa perte.
2. Le rôle du « faire rire » politique dans l’exécution de Cicéron (mai-décembre 43)
10Dans une lettre de D. Brutus à Cicéron le 24 mai 43, on lit une mise en garde à propos d’un trait malhabile où l’Arpinate aurait souhaité, sous couvert d’éloges, la mort d’Octavien :
Ce que je ne ressens pas pour moi, l’amitié que je te porte et tes bons offices m’obligent à le ressentir pour toi : de la crainte. En fait, on m’en avait souvent parlé et je n’avais pas méprisé l’avertissement ; or, tout récemment, Segulius Labeo, parfaitement semblable à lui-même, me raconte qu’il a été chez César [Octavien] et qu’on a beaucoup parlé de toi ; César lui-même ne te reprochait absolument rien, paraît-il, sauf un mot ; d’après lui, tu aurais dit que le jeune homme devait être complimenté, honoré, … « poussé » ; il répondit que lui ne s’exposerait pas à ce qu’on puisse le « pousser » (ipsum Caesarem nihil sane de te questum, nisi dictum quod diceret te dixisse, laudandum adolescentem, ornandum, tollendum ; se non esse commissurum, ut tolli posset)46.
11Ce bon mot, rapporté par Labeo (inconnu), jouait sur le verbe tollere, qui signifiait « exalter » mais aussi « faire disparaître », et éventuellement mettre à mort : l’association des verbes « tollere » et « ornare » peut d’ailleurs renvoyer à un contexte de sacrifice religieux. Velleius Paterculus y voit une marque de l’adhésion de Cicéron à un parti pompéien renaissant47 et D.R. Shackleton Bailey évoque une attaque qui ne s’embarrassa même pas du double sens48. Cette position est excessive, mais on envisagea que le trait ait pu provoquer l’ire d’Octavien et motiver son changement de camp politique au profit d’Antoine : « in what were to be the final days of the Republic, a joke eventually cost the orator his life »49.
12Pourtant, l’affaire semble plus complexe. Premièrement, il est possible que Cicéron n’ait pas prononcé le mot en question, comme le suggère la suite de la lettre de D. Brutus50 et le même D. Brutus rappelle que certaines personnes rapportaient cela dans le but d’effrayer l’orateur et de réfréner ses paroles51. De plus, cette affaire intervint alors qu’Antoine était en position de faiblesse après sa défaite à Modène, ce qui fit (peut-être) l’objet d’un bon mot de la part d’un « proche d’Antoine »52. Néanmoins, Antoine connut par la suite de nombreux ralliements de prime importance, notamment ceux d’Asinius Pollion et de L. Munatius Plancus53. Suétone rapporte ainsi que le mot fut utile à Octavien, qui y trouva un prétexte pour rompre sa collaboration politique avec le Sénat et se rapprocher d’Antoine54. Toutefois, l’auteur antonin ne prête pas ce bon mot à Cicéron et il est possible que cette plaisanterie ait été faussement (mais consciemment) attribuée par Octavien à Cicéron, ou même forgée par Labeo voire par Octavien, peut-être en s’appuyant sur un extrait ambigu de la cinquième Philippique55. Le caustique Cicéron, qui avait fait étalage de sa verve incendiaire dans ses discours contre Antoine, devenait gênant, et Octavien avait trouvé un prétexte pour l’abandonner. Après le vote de la lex Titia du 27 novembre 43, Octavien put, en gage de confiance politique, permettre à Antoine d’inscrire Cicéron parmi des proscrits.
13Ainsi, si ce trait coûta sa vie à Cicéron, ce fut en raison de son attitude après les ides de mars : l’orateur s’était ouvertement réjoui de la mort de César et avait peut-être publié des anecdotes contre le tyran mort56, avant d’attaquer Antoine et ses partisans dans les Philippiques. Dans sa correspondance, il avait raillé Dolabella, consul avec Antoine en 44 et nommé gouverneur de Syrie pour 4357, et avait peut-être attaqué, à une date inconnue, Lépide au Sénat, avant de le critiquer pour son hésitation et son ralliement à Antoine58. Tant que Cicéron avait le soutien d’Octavien et que le Sénat était en position de force, une telle attitude était soutenable, bien que risquée, comme en témoignent les retraites de Cicéron lorsque Antoine se trouvait à Rome. Toutefois, après Modène, le revirement d’Octavien et la rancune antonienne se combinèrent dans le contexte de la proscription et aboutirent à la mise à mort de Cicéron. L’abandon politique d’Octavien intervint plusieurs mois après la lettre de D. Brutus et ce sont surtout l’action de Cicéron en tant que consulaire et les critiques qu’il dispensa ouvertement (dont les Philippiques) qui le tuèrent. Cet exemple attire l’attention sur le problème d’invectives portées en place publique et sur la prise de conscience de la dangerosité des bons mots par les acteurs du temps. Associer la mort de Cicéron à la fin de l’éloquence et de la raillerie politique serait ainsi tentant, puisque la proscription de 43 plaçait la libre parole dans une position délicate59.
B. Rire pendant les proscriptions : prudence et rires de protection
1. La mise à mort de l’humour libre ? La parenthèse de mars 44-novembre 43
14À la différence des années 49 à 44, plaisanter ouvertement des triumvirs pouvait mener à une mort directe. Une fois Cicéron assassiné60, Antoine lui fit trancher la main droite (avec laquelle il avait écrit les Philippiques) et la tête avant de contempler le spectacle et d’éclater d’un rire dément, peut-être rituel, pour outrager la mémoire de son ennemi61. Peu après, il fit clouer la main et la tête de l’Arpinate sur les Rostres construites par César et inaugurées par lui-même, dans le cœur de la cité, à l’endroit où Cicéron l’avait publiquement attaqué. L’impact de cette mise en scène, en partie reprise par les auteurs d’époque impériale favorables à Octavien62 et accompagnée sur le moment d’assassinats politiques dans l’Vrbs, fut sans doute important sur les éventuels opposants à la nouvelle formation triumvirale et illustrait la dimension terroriste63 et meurtrière64 de la proscription. Cette mise en garde bannissait la contestation et la raillerie politique ouvertes de la cité65 et s’accompagna, pour accentuer le phénomène, de la possibilité de la part des seuls triumvirs de railler leurs victimes. Ainsi Terentius Varro fut accablé des « sarcasmes » d’Antoine avant d’être tué66. La teneur des propos antoniens et la véracité de l’anecdote sont incertaines67, mais l’épisode rappelle que la raillerie et l’insulte demeurèrent présentes dans la cité soumise à la proscription.
15Si les discours publics continuèrent après 43, ils furent majoritairement le fait des triumvirs ou de leurs soutiens68. Quelques orateurs se sont ainsi exprimés de manière ouverte, tels M. Valerius Messala Corvinus69 ou Asinius Pollion. Ce dernier, « homme de toutes les heures »70 au franc-parler proverbial, louait les tyrannicides dans ses ouvrages historiques écrits à l’époque augustéenne71. Pourtant, il fut sans doute lui aussi concerné par le contexte de la proscription et Macrobe rapporte un mot, énoncé à une date inconnue, dans lequel Pollion évoquait l’impossibilité d’écrire en réponse aux pamphlets railleurs composés par Octavien, qui possédait le pouvoir de proscrire (Non est enim facile in eum scribere qui potest proscribere)72. Par ce jeu sur le verbe (pro) scribere, Pollion plaisantait précisément pour mettre en exergue l’impossibilité de plaisanter et de critiquer des triumvirs qui pouvaient afficher (proscribere) leurs attaques contre les citoyens en public73. On peut situer ce bon mot au moment de la proscription de 43 (ce qui était courir un grand risque) ou lors de la guerre de Pérouse, période lors de laquelle Octavien eut une forte activité railleuse74. Cette attitude de Pollion est-elle révélatrice de la possibilité de railler ouvertement les triumvirs ? Même si on élude les problèmes de datation, son cas est exceptionnel et la possibilité de formuler ouvertement une vérité politique provenait de sa position éminente dans le parti d’Antoine depuis son action décisive de 43, et de son rang de consul pour l’année 4075. Si certains proches partisans des vainqueurs pouvaient ainsi plaisanter contre un des triumvirs sans risquer des représailles, ils étaient plus prudents lorsqu’ils n’étaient plus en position de force :
Ce mot de Plancus ne manque pas non plus d’agrément : on lui disait qu’Asinius Pollion préparait contre lui des discours qui seraient publiés par lui-même ou par ses affranchis après la mort de Plancus, pour qu’il ne pût répondre : « Il n’y a que les vers », dit-il, « qui se battent avec les morts ». Le mot a d’ailleurs porté un tel coup à ces discours que les savants les tiennent pour la plus grande impudence du monde76.
16Ce mot pourrait se comprendre dans le contexte de l’année 32, après le revirement de Plancus, revenu auprès d’Octavien à la suite de son séjour avec Antoine77 et peut-être raillé pour cela par Coponius78. La stratégie de Pollion illustrait sa prudence envers un partisan d’Octavien plus influent que lui, qui venait de fournir à son nouveau chef la teneur du testament d’Antoine79. La situation politique, à l’avantage de Plancus, fournit à ce dernier l’occasion de formuler sa répartie et de ridiculiser le projet de Pollion.
17L’examen des cas, emblématiques mais partiels, de Cicéron et de Pollion ne permet donc pas de conclure à la présence d’un « faire rire » aristocratique clairement exprimé contre les triumvirs : la libertas de parole était, depuis la proscription de 43, remodelée par la puissance triumvirale et ne pouvaient plaisanter librement que ceux qui étaient assez puissants et/ou proches des triumvirs pour le faire. Si les railleries sans auteur désigné n’ont jamais disparu de la cité (comme en témoignent les traits contre les « sénateurs d’outre-tombe »), l’humour politique redevint majoritairement anonyme, du moins dans nos sources (lacunaires sur cette période). Dans un contexte politique nouveau, le « faire rire » était utilisé par des auteurs aux profils politiques divers, usant de thèmes parfois différents de ceux observables pour l’époque césarienne.
2. Nouveaux thèmes et nouveaux auteurs : de la République au triumvirat
18D’autres témoignages permettent de conclure à un retour du « faire rire » anonyme et indirect au moment de la formation de l’entente triumvirale. Certains thèmes de railleries reviennent dans les sources (considérées ici dans l’ordre chronologique des épisodes rapportés), mais la nouveauté réside dans l’identité des auteurs des bons mots, témoignant de la recomposition du contexte politique. Le premier épisode significatif fut la nomination, lors des accords de Bologne du 27 novembre 43, de P. Ventidius Bassus, ancien tribun de la plèbe (45) et préteur (43), comme pontife et consul suffect pour la fin de l’année 4380. Ventidius avait visiblement entamé sa carrière comme « muletier », avant d’être chargé par César de l’adjudication des fournitures lors de la guerre des Gaules et de rallier Antoine après Modène81. Le nouveau consul fut moqué par des libelles affichés dans l’Vrbs :
Quand le parti [celui des Césariens] se fut ressoudé, non seulement il [Ventidius Bassus] récupéra son ancienne situation, mais il obtint le pontificat et ensuite le consulat aussi, et le peuple romain qui se souvenait que Ventidius Bassus avait gagné sa vie en s’occupant de mules supportait si mal la chose que des petits vers furent affichés en public dans les rues de la ville : « Accourez tous, augures, haruspices, un prodige inouï vient de se produire : celui qui frottait/ branlait les mules est devenu consul »82.
19Si les « municipaux » italiens, notamment commerçants, dont était Ventidius83, étaient perçus comme une menace par les Romains, on peut aussi lire ces railleries anonymes comme une critique de la politique clientélaire des triumvirs84. Ainsi, bien qu’Aulu-Gelle attribue le bon mot au peuple de Rome, les auteurs de ces vers furent plutôt des aristocrates, peut-être proches de Cicéron85 : ce dernier, qui insiste dans un passage obscur des Philippiques sur les origines de Ventidius86, put prendre connaissance du surnom de « muletier », déjà utilisé par Plancus dans sa correspondance avec l’orateur87. L’expression du « faire rire » politique anonyme contre les agissements du triumvirat se poursuivit lors du triomphe de Plancus et Lépide fin décembre 4388 et il serait également tentant de proposer que les aristocrates furent les auteurs à l’origine de ces mots anonymes, même s’il est possible que les soldats aient critiqué un procédé de mise à mort collective dont ils devaient assurer le déroulement concret, en tuant les victimes89.
20Toutes ces railleries semblent assez proches de celles d’époque césarienne, dans leur morphologie et leur provenance. Toutefois, l’analyse d’un dernier thème de moqueries, la cupidité des triumvirs, permet d’identifier un changement important. En effet, si la logique terroriste prima sur la volonté d’engendrer des revenus, par ailleurs insuffisants90, la proscription de 43 fut parfois considérée comme une entreprise de spoliations dénuée de cohérence politique91. Dans un mot anonyme gravé sur une de ses statues, on reprocha à Octavien (et non pas à Auguste92) de mettre certains aristocrates à mort afin de s’approprier leurs vases de bronze de Corinthe :
On l’accusa également d’être passionné pour les meubles de prix et pour les vases de Corinthe, et de trop aimer le jeu. Ainsi, au temps de la proscription, on inscrivit sur sa statue : « Mon père maniait l’argent, moi le bronze de Corinthe » parce qu’on le soupçonnait d’avoir fait mettre certaines personnes au nombre des proscrits, pour s’approprier leurs vases de Corinthe93.
21Fondé sur une asyndète, ce jeu de mots versifié et difficilement traduisible94 insiste sur la cruauté d’un personnage qui tuait par cupidité et qui, à la différence des percussores anonymes d’époque syllanienne, était publiquement accusé pour ses actes. Cette inscription faisait d’Octavien un Corinthiarius, c’est-à-dire un esclave chargé de l’entretien des bronzes dans les grandes familles de Rome95 : se voyait raillée l’attitude cupide d’Octavien, mais aussi, comme pour Ventidius, le métier de banquier du père et du grand-père biologiques d’Octavien96. Or le thème des origines familiales et du banquier furent des angles d’attaque majeurs de la propagande anti-octavienne (infra), utilisés par Antoine afin de briser le lien qu’Octavien entendait tisser avec le divin César97. Il faut enfin ajouter ici le thème de la dégénérescence générationnelle, puisque à l’âge d’argent succédait l’âge du bronze, métal moins précieux. Il serait donc possible de voir dans cet épisode, si on accepte sa datation98, une marque de la lutte propagandiste naissante entre Antoine et Octavien, d’autant que, selon Pline l’Ancien, Antoine aurait fait proscrire le célèbre Verrès pour accaparer ses biens en bronze de Corinthe99 : la similitude de l’accusation et la discordance des textes pourraient résulter d’une erreur de Pline, d’une méprise de Suétone ou révéler une critique formulée contre les deux triumvirs, principaux bénéficiaires de la proscription. On peut également y voir une marque de la lutte de propagandes politiques contradictoires, les partisans d’Octavien ayant accusé Antoine du méfait et vice-versa : chacun des auteurs d’époque impériale aurait alors retenu une seule des versions en présence100.
22La proscription n’empêcha donc pas les bons mots politiques anonymes, qui ne provenaient plus seulement d’aristocrates mis en difficulté, mais aussi des partisans des triumvirs, qui s’affrontaient par railleries interposées101. La lutte entre Antoine et Octavien se superposa à la critique générale contre les triumvirs, qui dominait le paysage politique peu avant la fin de l’année 43. À cet égard, une brève comparaison avec les massacres d’époque syllanienne permet de souligner la morphologie particulière du rire en contexte de proscription et de discuter de la portée politique des traits observés pour la proscription de 43.
3. Risus proscriptionis ?
23La proscription de 43 fut l’occasion de bons mots politiques, mais la proscription de Sylla (82/81), dont les triumvirs de 43 se réclamaient102, fut plutôt le théâtre d’un humour noir marqué par le contexte de danger et de terreur. Le souvenir traumatique103 de la proscription syllanienne donna par exemple lieu à des traits d’humour : lorsque Faustus Cornelius Sylla, le fils du dictateur, mit en vente ses biens, Cicéron déclara « préférer ses affiches à celles de son père »104. Ce mot, peut-être prononcé en 52/51105, était l’œuvre d’un homme qui avait connu la dictature syllanienne et les massacres de proscrits, souvent perpétrés par des citoyens106. Si on se penche à présent sur deux passages qui rapportent des épisodes de « faire rire » lors des massacres de 82/81, on remarque que, fruits de la peur d’une mort imminente et horrible, les moqueries revêtent une forme inattendue :
Les victimes de la colère ou de la haine furent infiniment moins nombreuses que celles qui étaient égorgées à cause de leurs richesses ; aussi les bourreaux pouvaient-ils dire : « Celui-ci, c’est sa grande maison qui l’a tué, celui-là, son jardin, cet autre, ses thermes » (ἀλλὰ καὶ λέγειν ἐπῄει τοῖς κολάζουσιν ὡς τόνδε μὲν ἀνῄρηκεν οἰκία μεγάλη, τόνδε δὲ κῆπος, ἄλλον ὕδατα θερμά). Quintus Aurelius, un homme tranquille qui ne se croyait pas concerné par ces malheurs, sinon par la pitié que lui inspiraient les infortunés, se rendit au Forum et se mit à lire le nom des proscrits ; il y trouva le sien. « Pauvre de moi, s’écria-t-il, c’est ma propriété d’Albe qui me poursuit ! » (« Οἴμοι τάλας » εἶπε, « διώκει με τὸ ἐν ᾿Αλβανῷ χωρίον »). À peine avait-il fait quelques pas qu’il fut égorgé par un homme qui l’avait suivi107.
24Diodore de Sicile rapporte également qu’un homme avait raillé certains proscrits avant de lire son propre nom sur la liste et d’être tué sur le Forum, au grand plaisir de la foule :
La table de proscription ayant été exposée sur le Forum, un grand nombre d’habitants accoururent pour la lire. La plupart étaient touchés du sort de ceux qui devaient mourir. Parmi ces curieux, il y en eut un qui, aussi méchant qu’insensible, railla les condamnés et se permit des invectives insultantes. La vengeance divine atteignit sur-le-champ le railleur impudent et lui infligea une punition méritée (Εἷς δὲ τῶν συνεληλυθότων, κακίᾳ καὶ ὑπερηφανίᾳ διαφέρων, ἐγγελῶν τοῖς κινδυνεύουσι πολλὰ κατ’ αὐτῶν ὑβριστικῶς ἐβλασφήμησεν. Ἔνθα δὴ δαιμονίου τινὸς νέμεσις τῷ διασύροντι τὴν τῶν ἀκληρούντων τύχην ἐπέθηκε τὴν πρέπουσαν τῇ κακίᾳ τιμωρίαν). En effet, il trouva son nom parmi ceux des proscrits ; se cachant aussitôt la tête, il fendit la foule, dans l’espérance d’échapper et de sauver sa vie. Mais reconnu par un de ses voisins, il fut arrêté et exécuté aux applaudissements de tous les assistants108.
25Le Forum, délaissé pour les mises à mort judicaires (qui y restaient possibles) à la fin de la République, était le théâtre de l’affichage et de l’exécution, ce qui accentuait la visibilité du meurtre et son impact terrorisant109. Toutefois, dans ce cas, la tournure des événements montre qu’une mise à mort imprévisible pouvait provoquer un rire qui relevait de la lutte temporaire contre la terreur : l’exécution d’un citoyen, condamné injustement à mort mais qui s’était moqué du sort d’autres citoyens, devenait un spectacle vengeur110. Si le faible nombre de témoignages disponibles ne permet aucune affirmation systématique, la présence d’un humour et d’un rire morbides lors de la proscription de 82/81 s’explique en partie par le contexte psychologique du moment violent de la proscription, faisant du rire une réaction physique à la violence111.
26Le rire ouvert et morbide de la première proscription releva plutôt de la mise à distance mentale et du relâchement social face à l’omniprésence de la violence au cœur de la cité112, alors que l’humour prudent de la proscription de 43 engendra des critiques plus directement politiques, formulées dans une cité que la violence des guerres civiles avait transformée.
27Après mars 44, le « faire rire » aristocratique prudent d’époque césarienne laissa donc place à un humour librement exprimé et partageant de nombreuses caractéristiques avec l’humour tardo-républicain, tout en proposant quelques innovations, telle l’émergence de cibles collectives dans les Philippiques. Un second changement intervint lors de la formation du triumvirat et de la mort de l’Arpinate fin 43 : face aux triumvirs, le « faire rire » redevint plus anonyme, restant focalisé sur des thèmes chers à la période tardo-républicaine, mais en intégrant des motifs conjoncturels, comme la cupidité ou l’action meurtrière des triumvirs. En ce sens, le « faire rire » est un réceptacle et un indicateur des mutations profondes de la parole politique et de ses conditions d’expression, liés à la conjoncture à court terme. Les aristocrates républicains, pour la plupart exilés et réduits au silence, ont laissé place à deux nouveaux types d’auteurs. Tout d’abord, les aristocrates qui se sentaient assez proches des triumvirs pouvaient les railler, dans une certaine mesure et dans un certain contexte. Toutefois, la majorité des moqueurs devaient opérer en toute discrétion. Parmi ceux-là agissaient les partisans d’Antoine et Octavien, qu’on retrouve de 43 à 30.
28Étudier les attaques contre et par les triumvirs pose des difficultés d’évaluation résultant du rôle joué par les « propagandes » contradictoires et l’affrontement triumviral a laissé des traces dans le ton du récit des auteurs postérieurs. Cette mise en garde est d’autant plus utile que la perte du témoignage de Cicéron implique une approche désormais tournée vers le commentaire de quelques anecdotes révélatrices.
II. Octavien et le « faire rire » : histoires d’un renversement politique (44-30)
29Prenant la forme d’une remise en cause d’une légitimité fondée sur son adoption, son patronage par Apollon ou sa uirtus, la plupart des attaques caustiques contre Octavien datent de l’année 44-43 et relèvent d’une invective qui porte le sceau d’Antoine puis de ses partisans. Toutefois, « l’humour de combat » fut également utilisé par Octavien dans le but d’asseoir sa légitimité contre Antoine et de marquer ses différences politiques avec celui-ci, surtout entre 34 et 30. Entre la guerre de Pérouse et celle d’Actium, le « faire rire » défensif d’Octavien laissa place à un humour plus offensif.
A. Des ancêtres qui prêtent à rire : contre le Diui Caesaris filius (44-43)
30L’entreprise de sape politique lancée contre le jeune César débuta dès la deuxième partie de l’année 44, alors qu’il s’érigeait en héritier du défunt dictateur113. Les attaques se concentrèrent sur son ignobilitas, résultat d’origines familiales prétendument obscures et peu glorieuses. L’enchevêtrement entre « faire rire » et invective est à nouveau omniprésent et Suétone rapporte qu’Antoine évoquait, dans ses lettres, le surnom de Thurinus donné à Octavien dans sa jeunesse afin d’en faire une insulte114. Ce surnom était lié aux ancêtres d’Octavien, qui aurait eu un affranchi de Thurium pour arrière-grand-père et un changeur d’argent pour grand-père115. Du côté maternel, l’arrière-grand-père d’Octavien aurait été d’origine africaine, parfumeur puis boulanger dans la cité d’Aricie116. Ces éléments se retrouvent dans une lettre de Cassius de Parme, tyrannicide rallié à Antoine en 35, après la chute de Sextus Pompée qu’il avait rejoint après Philippes117. Dans cette missive contre Octavien, il écrivait : « Ta farine maternelle provient du plus grossier moulin d’Aricie, et c’est un changeur de Nerulum qui l’a pétrie de ses mains noircies au contact de l’argent »118. Ce passage, fondé sur un usage incertain du verbe fingere119, tourne en ridicule les ancêtres d’Octavien en présentant sa mère sous les traits d’une « farine maternelle » (farina materna), ce qui suggérait peut-être l’origine servile des ancêtres d’Octavien120. Cassius a pu rédiger cette lettre railleuse lorsqu’il se trouvait auprès des tyrannicides en Orient, entre 44 à 42, afin de limiter l’influence symbolique de celui qui se présentait comme le fils du dictateur assassiné aux ides de mars. Son attaque serait alors intervenue conjointement avec celle d’Antoine, entre milieu 44 et fin 43. Pourtant, il est également possible que cette attaque intervienne entre 34 et 32, au plus fort des tensions entre Octavien et Antoine, le nouveau chef de Cassius de Parme : cela expliquerait en partie sa mise à mort par Octavien, éliminant du même coup le dernier Césaricide121. Si la date de leur énonciation est incertaine122 et bien que certains éléments évoqués plus loin encouragent à les situer en 44-43, ces attaques se fondent sur l’origine géographique des ancêtres d’Octavien et sur leur activité professionnelle, éléments primordiaux du statut socio-politique.
31Le thème du banquier véhiculait de nombreux stéréotypes négatifs et fut un moyen répandu d’attaque entre les aristocrates à la fin de la République123. J. Andreau a discuté de la véracité des accusations portées contre les ancêtres d’Octavien et conclut que son père ne fut pas argentarius (ou alors avant de devenir sénateur), mais qu’il put prêter de l’argent à titre privé : on aurait alors pu confondre le père avec le grand-père d’Octavien, qui fut (peut-être) banquier toute sa vie. Il est pourtant probable qu’il fut non pas argentarius mais negotiator, ce qui expliquerait son statut de chevalier124. Les bruits lancés par Antoine auraient pu se fonder sur l’homonymie avec un C. Octavius connu pour ses activités bancaires, ou même être inventés par Antoine ou Cassius125. Pour ce qui est de l’origine géographique des ancêtres d’Octavien, il faut ajouter à l’insulte de Thurinus un épisode rapporté par Plutarque :
Un certain Octavius, à qui l’on reprochait son origine africaine, dit un jour à Cicéron, au cours d’un procès, qu’il ne l’entendait pas. « Ce n’est pourtant pas faute d’avoir l’oreille percée », répliqua Cicéron126.
32L’oreille percée permettait de préciser l’origine de la personne127, mais ce détail était surtout un trait distinctif des esclaves orientaux : c’est peut-être cette condition servile que railla Cicéron à une date inconnue, car soumise à l’identification du personnage concerné. En effet, même si Macrobe met Cicéron aux prises avec Octave lui-même128, il ne s’agissait sans doute pas d’Octave, sans quoi Plutarque l’aurait noté. Soit Macrobe a pris connaissance d’écrits dont Plutarque ne disposait pas, soit (c’est le plus probable) il a, consciemment ou non, fait d’Octave le personnage central de l’anecdote. L’erreur contribue en elle-même à montrer que ces traits poursuivaient un seul but : saper la légitimité d’Octavien en passant sous silence son lien filial avec César et en dévalorisant sa naissance, afin de nier sa noblesse et de contester ses uirtutes. Le thème du banquier permettait de reprocher à Octavien de fonder son assise sur le bilan de son père adoptif, dont il mettait la divinisation en exergue par la frappe de monnaies, notamment lors de la guerre de Pérouse129. Le « faire rire » politique immédiatement postérieur aux ides de mars exprimé contre Octavien relève autant de l’insulte politique que de la raillerie et le célèbre épisode du banquet des douze dieux renforce l’assertion, permettant de s’interroger sur un autre angle d’attaque contre Octavien : son patronage par Apollon.
B. L’impietas du protégé d’Apollon : le banquet des douze dieux (44-43)
33L’affaire du banquet des douze dieux (δωδεκάθεος), repas fastueux donné par Octavien dans une domus de Rome, suscite des interprétations contradictoires car sa reconstitution repose exclusivement sur un passage de Suétone :
On parla beaucoup aussi d’un dîner secret donné par Auguste et que tout le monde appelait le festin des « douze dieux » ; les convives y parurent, en effet, travestis en dieux ou en déesses, et Auguste lui-même, déguisé en Apollon, à ce que leur reprochent non seulement les lettres d’Antoine, qui énumère tous leurs noms avec une cruelle ironie, mais encore ces vers anonymes et bien connus : « Dès que cette tablée sacrilège eut embauché le maître de chœur et que Mallia vit six dieux et six déesses Quand César, dans son impiété, osa parodier Phébus, Quand il régala ses convives des nouveaux adultères des dieux Alors toutes les divinités s’éloignèrent de ce monde, Jupiter lui-même s’enfuit loin de son trône doré ». Ce qui accrut le scandale de ce dîner, c’est que Rome souffrait alors cruellement de la disette et de la famine ; aussi, le lendemain, entendit-on crier « que les dieux avaient mangé tout le blé et que César était vraiment Apollon, mais Apollon Bourreau », vocable sous lequel on honorait ce dieu dans un quartier de la ville130.
1. Une datation controversée : la thèse de 44-43
34L’évocation d’une disette a conduit à situer l’événement entre fin 39 et début 38, au moment du blocus imposé à Rome par Sextus Pompée131. Certains auteurs voient dans ce repas une célébration du mariage entre Livie et Octavien et proposent même la date du 17 janvier 38132. Le rapprochement avec le mariage d’Octavien et Livie, alors que cette dernière était encore, quelques mois auparavant, mariée à Ti. Claudius Nero et Octavien à Scribonia, repose sur l’un des vers cités par Suétone133 : Livie, le jour du banquet, était enceinte de six mois de son premier mari et cela expliquerait la phrase « Dum noua diuorum cenat adulteria »134. Nous aurions une autre trace de cette critique dans un passage de la Vie du Divin Claude, où certains rappelèrent avec ironie que « les gens heureux ont des enfants en trois mois »135. Cet ensemble d’arguments conduit à placer le banquet début 38, au moment où Sextus Pompée, fort de ses succès sur mer, se plaçait sous le patronage de Neptune136 et où Antoine se présentait comme un Dionysos entouré de divinités137. Toutefois, J. Gagé rappelle que L.R. Taylor situe le repas après l’entrevue de Brindes (automne 40), avant de proposer lui-même une datation plus basse, entre 38 et 37, au plus fort du blocus de Sextus Pompée138. Enfin, l’auteur rejette l’association établie par K. Scott entre le banquet des douze dieux et le bon mot sur les enfants de trois mois. Ajoutons à cela une mauvaise datation de l’intervention de la « divinité » Plancus/Glaucus auprès de Dionysos/Antoine139 et l’hypothèse d’une datation comprise entre 39 et 37 s’affaiblit sensiblement.
35Il est alors possible de proposer une date plus haute et peut-être plus cohérente. Tout d’abord, les famines et disettes ont été, entre 50 et 36, d’une récurrence qui exclut toute certitude quant à l’épisode concerné140. Ensuite, le thème de la récupération de la figure d’Apollon a commencé dès la mort de César et Octavien ne faisait que reprendre l’effort de captation symbolique mené par Sylla puis César, notamment afin de contrer la récupération républicaine qu’en faisait Brutus en Grèce au même moment141 : le banquet aurait donc théoriquement pu avoir lieu dès le mois de mai 44, lors du retour d’Octavien à Rome. De plus, le chapitre 70 de la Vie du Divin Auguste a pu comporter une logique temporelle : l’auteur évoque le banquet, l’épisode du Corinthiarius (pendant ou immédiatement après la proscription fin 43) et, enfin, un bon mot postérieur raillant l’incapacité d’Octavien contre Sextus Pompée (infra). Cela ferait alors de la fin du mois de novembre 43 le terminus ante quem de l’épisode. Il paraît en effet peu crédible, une fois l’entente triumvirale scellée par la lex Titia du 27 novembre, qu’Antoine ait attaqué ouvertement son collègue en évoquant le banquet dans une lettre publique devant le Sénat. Les lettres auraient alors pu être privées, ce qui expliquerait que Suétone en ait eu connaissance, sans pour autant les citer. Un dernier argument a été avancé par D. Palombi, qui a rappelé que la « Mallia » évoquée dans les vers n’était pas l’hôte de la soirée ni une divinité, mais la domus où se tint le banquet142 : la domus Manlia aurait été celle d’un dénommé A. Manlius Torquatus, proscrit dont les biens furent confisqués fin 43 et qui mourut à Philippes en 42143.
36Il faudrait ainsi dater le banquet entre le mois de mai 44 (retour d’Octavien à Rome après la mort de César) et la fin 43 (soit en novembre, soit dès avant le début de la proscription qui vit la maison de Manlius effectivement lui échapper, sans doute au profit d’Octavien qui habitait une domus – sans doute la même que celle de Manlius – dans le quartier des Carènes). Si on accepte cette datation de 44-43144, quels furent alors les auteurs de ces attaques ?
2. Le « peuple de Rome » contre le protégé d’Apollon ?
37La lettre d’Antoine comporte une teneur ironique et critique dont le détail n’est pas rapporté par Suétone, alors que les vers insistent sur l’impietas d’Octavien qui, par son attitude, était indigne de son patronage par Apollon et fâchait les dieux. Passons rapidement sur ces vers à la morphologie relativement nouvelle et à la véracité parfois discutée145 qui, s’ils sont des critiques de l’impietas d’Octavien, ne contiennent pas d’éléments humoristiques et pourraient être dus à Cassius de Parme ou à un inconnu proche d’Antoine146. C’est alors le peuple de Rome qui aurait diffusé le bon mot sur l’Apollon Bourreau et la cruauté d’Octavien147. Suétone souligne la proximité chronologique entre le banquet et les bruits qui, dès le lendemain (postridie), affublèrent Octavien du surnom d’Apollon Bourreau148. Si le récit suétonien est à prendre ad litteram, il y eut une diffusion extrêmement rapide de la sphère de la domus Manlia à celle de l’Vrbs : en quelques heures et avant même la rédaction de la lettre et des vers, une partie de la cité (au moins du quartier) aurait été au courant du scandale, peut-être transmis par un des convives, par un soldat responsable de la surveillance ou par un domestique présent au banquet149. Antoine aurait alors repris ces mots pour alimenter sa lettre. On ne peut pourtant s’empêcher de penser que Suétone inverse la chronologie des événements et que les bruits ont pu se répandre une fois la lettre d’Antoine et les vers diffusés, soit quelques jours après le banquet, juste avant le vote de la lex Titia.
38Ainsi, si on retient l’hypothèse d’un bon mot postérieur à un repas lui-même daté de novembre-décembre 43, c’est le « peuple » de Rome qui put effectivement railler Octavien. Si on accepte, par contre, une datation située peu avant l’accord triumviral de fin novembre 43, il est permis de supposer que les Antoniens alimentèrent (ou ne s’opposèrent pas) à l’assimilation entre Octavien et l’Apollon « Bourreau »150. Enfin, on peut proposer que les moqueries populaires de la fin 43 aient été reprises par Antoine dans ses lettres, entre 34 et 32.
3. L’Apollon « Bourreau » : emprise toponymique et railleries politiques
39L’épiclèse de Tortor est délicate à interpréter, puisqu’il s’agit d’un unicum. Il est possible d’y voir une remise en cause du lien entre Octavien et Apollon, expliquant peut-être en partie l’emprise symbolique d’Octavien puis d’Auguste dans certains quartiers de Rome. Malaisé à situer151, le uicus Sandaliarius ou « quartier des cordonniers » était sans doute la pars urbis évoqué par Suétone et fournirait un exemple du rapport entre Octavien et Apollon, comme l’attestent plusieurs inscriptions d’époque impériale152. Puisqu’il semble également qu’Octavien-Auguste ait dédié une statue à Apollon Sandaliarius au niveau d’un compitum situé près de la praefectura urbis augustéenne153, il est alors possible, bien que ce uicus ne soit pas le seul dédié à Apollon, que le uicus concerné ait été le uicus Sandaliarius. Ainsi, Auguste aurait eut, à une date inconnue, intérêt à mettre en exergue le nom de l’Apollo Sandaliarius non seulement pour réaffirmer sa proximité symbolique avec le dieu protecteur des cordonniers, qui occupaient le quartier lors de sa qualification toponymique154, mais peut-être aussi pour faire oublier l’autre épiclèse du dieu présente dans un quartier (peut-être dans ce quartier), celle de Tortor.
40Cette dernière épiclèse était probablement auparavant utilisée pour des raisons professionnelles, puisque la proximité du lieu d’habitation ou d’exercice des tortores (pratiquant la torture judiciaire des esclaves) conféra peut-être au dieu de ce uicus son surnom155. En récupérant le culte de l’Apollon Bourreau et en l’appliquant à la statue dédiée par Octavien, le peuple de Rome aurait exprimé son mécontentement face un bourreau affamant le peuple : Antoine ou l’auteur des vers (selon la date du banquet) n’avaient plus qu’à reprendre le thème de l’impiété de cet Apollon Bourreau pour porter son coup à Octavien. C’est peut-être cette réputation malvenue, issue d’un bon mot « populaire », qui expliquerait en partie l’attitude d’Octavien-Auguste envers ce quartier de Rome et notamment sa volonté d’affirmer la figure de l’Apollon Sandaliarius pour répondre, symboliquement, aux accusations de cruauté156.
41Il y eut donc une concentration d’attaques railleuses et violentes contre l’héritier de César entre mars 44 et fin 43. Antoine attaquait ouvertement Octavien, mais calma sa verve publique dès que les deux hommes furent associés dans le triumvirat : à partir de 42, le « faire rire » devient moins clairement imputable à l’action directe d’Antoine, ce qui ne signifie pas l’arrêt de la lutte politique entre les deux hommes et leurs partisans. L’affrontement n’était simplement plus aussi net et visible que lorsque Antoine écrivait des lettres railleuses au Sénat. Quelques mois plus tard, des plaisanteries formulées lors la guerre de Pérouse illustrent peut-être cette évolution.
C. La uirtus d’Octavien : railleries détournées et droits de réponse (44-40)
1. Un « enculé » maître du monde : Octavien au théâtre
42Avant le possible tournant de la fin 43, Octavien fut attaqué par Sextus Pompée, par Antoine et par Lucius (le frère d’Antoine), pour son manque de uirtus, sa possible relation charnelle avec César (qui lui aurait valu son adoption) et avec Hirtius, le consul de 43, lors d’un séjour dans la péninsule Ibérique157. Lors d’une représentation théâtrale, Octavien fut assimilé par le public à un cinaedus qui dirigeait le monde avec son doigt :
La foule tout entière accueillit comme une injure à l’adresse d’Auguste, et fut unanime pour applaudir ce vers que récitait un acteur en désignant un galle, prêtre de Cybèle qui jouait du tambourin : « Vois-tu comme cet enculé gouverne l’univers avec le doigt ? »158.
43Il n’est pas certain que les attaques d’Antoine et Lucius aient coïncidé avec cet épisode, fruit d’un mot sur le terme d’orbs, qui signifiait « le cercle » ou « la sphère », mais renvoyait aussi à l’instrument de musique du galle Matris (modèle de féminité) et au monde ou à la terre159. Ce trait intervint peut-être en 44-43 au moment où Octave souhaitait faire officialiser son adoption par le défunt César160, mais une datation plus basse, pendant la guerre de Pérouse voire sous le Principat d’Auguste, n’est pas entièrement exclue161. Selon Suétone, c’est le peuple présent au théâtre qui décida, par ses applaudissements, d’attribuer le mot à Octavien, critiquant avec humour sa réputation et ses prétentions politiques. Outre le signe d’une plèbe politisée capable de décrypter certaines références à l’actualité politique162, faut-il voir dans l’épisode la preuve d’une présence de partisans d’Antoine dans le théâtre ce jour-là ? La piste est d’autant plus envisageable qu’Antoine entendait incarner la virilité du soldat pour rappeler, par contraste avec Octavien, son rôle comme général de César. On peut également penser, à condition de nuancer l’hypothèse d’un mécontentement plébéien contre l’incapacité d’Octavien à ravitailler Rome, que le peuple entendit les rumeurs et railleries contre Octavien dans la cité163 et qu’une partie de son action politique fut de les relayer : ces deux options ne s’excluent pas et l’attaque associe classiquement apparence efféminée, pratiques sexuelles douteuses et appétit de pouvoir, comme pour Pompée et César. Ce type d’attaque fut réactivé pendant la guerre de Pérouse.
2. Octavien pendant la guerre de Pérouse (41-40) : de la défense à l’attaque ?
44À la différence de l’épisode du théâtre, les attaques contre la uirtus d’Octavien furent moins ouvertement portées par Antoine dès lors qu’il fut le collègue d’Octavien : L. Antonius, frère d’Antoine, et Fulvia, l’épouse du triumvir, furent les deux meneurs du conflit de Pérouse (41-40)164, qui éclata pour des raisons politiques et personnelles, nouées autour du problème des terres italiennes des vétérans, et qui manqua de remettre en cause l’entente triumvirale consolidée par la victoire sur les Républicains à Philippes (42)165. Antoine y prit une part discrète166 et les attaques verbales se focalisèrent sur les protagonistes directs de l’affrontement. Le conflit railleur eut lieu à Rome, comme le rappelle Martial :
Ces six vers osés de l’empereur Auguste, lis-les donc, envieux, toi qui te rembrunis en lisant certains termes de franc latin : « Sous prétexte qu’Antoine baise Glaphyra, Fulvia me condamne à la baiser elle aussi. Que je baise Fulvia ? Eh quoi ! Si Manius m’invitait à l’enculer, faudrait-il le faire ? Je m’imagine bien que non, si j’ai un grain de bon sens ». « Baise-moi ou battons-nous », me dit-elle. « Mais, ma bite ne m’est-elle pas plus précieuse que ma vie ? Sonnez, trompettes ! ». Pour sûr, Auguste, tu absous mes pages badines, toi qui sais parler avec une franchise toute romaine167.
45Cette épigramme fut le fait d’Octavien et non pas d’Auguste : rappeler le souvenir de Fulvia alors qu’Auguste était empereur était malvenu, étant donné que le projet du prince était de pacifier le monde romain après les guerres civiles. L’évocation des origines du conflit, de Fulvia et d’une certaine Glaphyra permet par ailleurs de penser que le poème fut composé dans les premiers mois de la guerre de Pérouse168. Pour autant, et bien que le ton confiant de la fin du poème laisse penser à une composition postérieure à la victoire d’Octavien et à la retraite de Fulvia, le cas des balles de fronde utilisées lors du siège de Pérouse (infra) ne permet pas de déterminer l’ordre chronologique entre le siège de la cité et ce poème rapporté par Martial : il est alors possible de conclure à leur simultanéité. Quel que soit le détail, le choix de rendre public un poème caustique dans un contexte aussi grave a de quoi surprendre. En effet, cette guerre fratricide traumatisante fut une réelle source d’embarras pour Octavien qui, en omettant le consul afin de se concentrer sur des aspects non institutionnels, cherchait peut-être à désamorcer la situation par un poème reposant sur une mise en scène comique et adoptant un langage vulgaire et imagé169.
46Le texte fut diffusé à Rome, peut-être afin de convaincre les propriétaires favorables à Fulvia de l’illégitimité de sa cause. Cet humour agressif, auquel se mêlait l’invective, est à nouveau symptomatique du « faire rire » post-césarien170 : Octavien se présente comme un homme qui a refusé les avances de Fulvia. Cette dernière, jalouse de voir son mari en Orient avec Glaphyra (ou Cléopâtre), aurait cherché les faveurs d’Octavien et, se les voyant refuser, en prit ombrage et déclencha la guerre de Pérouse, en convainquant L. Antonius d’entrer en conflit ouvert171. Fulvia est dépeinte comme une hystérique nymphomane qui mettait la République en péril pour une histoire d’alcôve : le ton du poème rappelle sa condition de femme (ce qui constituait en soi une critique de sa légitimité à faire la guerre) qui toutefois exigeait un rapport sexuel et se comportait d’une manière brutale, assez masculine172. Fulvia est aussi présentée comme un chef de guerre sans armée, à l’inverse d’Octavien qui pouvait, d’une simple parole, faire sonner les trompettes du combat. Derrière un langage cru, railleur et imagé se cachait donc un équilibre subtil visant à saper la crédibilité de l’action de Fulvia dans son ensemble. Le poème revêt en cela une première signification politique, puisqu’il exonère Octavien du déclenchement du conflit tout en mettant en cause Fulvia, et non pas directement Antoine.
47Ces lignes constituent dans le même temps une réponse aux attaques formulées contre la vertu d’Octavien, peut-être encouragées par Fulvia et L. Antonius et dont nous aurions une trace dans les balles de fronde. Contre ces accusations, Octavien se présenta comme un homme viril qui attirait la gent féminine et qui, même dans la présentation comique d’une hypothétique relation sexuelle avec Manius, demeurait le dominant du couple173. Enfin, Octavien rapporte que son membre viril est plus important que sa vie même et se résout (à la différence d’Antoine cédant devant Glaphyra174) à entrer en guerre plutôt que de se souiller par une relation avec Fulvia175. En rapportant ce poème, Martial put, selon J. Hallett, vouloir annihiler les critiques formulées contre les pratiques adultères d’Octavien avec Livie et, dans le même temps, annoncer les réformes de l’empereur Auguste sur la répression desdites pratiques176. Une autre hypothèse, sans doute plus pertinente et explorée plus loin, est que Martial voulut mettre en exergue le modèle de franc-parler d’Auguste afin de justifier sa propre licence sous le principat du libéral Nerva, qui avait depuis peu succédé au tyrannique Domitien. Quoi qu’il en soit, les sous-entendus formulés entre 44 et 41 eurent un impact sur Octavien, qui prit soin d’y répondre par ce texte, puis par ses actes. En effet, Octavien commença, juste après le conflit, à user du thème du chef romain viril sur ses monnaies177. De même, il épousa Scribonia dès 39, alors qu’il avait répudié la fille de Fulvia moins d’un an avant (sans la toucher), avant d’épouser Livie en janvier 38. En se comportant de la sorte, Octavien privilégiait une stratégie de « virilisation » sexuelle et militaire, notamment après sa conduite peu glorieuse à Philippes178. Il poursuivait ainsi ses efforts pour annihiler la propagande de Fulvia et de L. Antonius, reprenant des attaques auparavant formulées par Antoine contre sa uirtus.
48Si Octavien mit un point d’honneur à lutter contre cette propagande, c’est aussi parce que la lutte avait dépassé le cadre de Rome et avait touché l’Italie en guerre. Cette hypothèse est confirmée par l’existence de documents épigraphiques d’une grande originalité, mais sous-exploités par les études sur les luttes politiques d’époque triumvirale : les balles de fronde.
3. Du Latium à l’Ombrie : le cas des balles de fronde
49Les Perusinae glandes, armes de jet bien connues, furent utilisées par les soldats d’Octavien et par leurs adversaires durant le siège de Pérouse, entre janvier et février 40179. Nous en avons gardé de nombreux exemplaires, qui ont fait l’objet d’études récentes180 : comportant de fréquents dessins de pénis, les balles rapportent des insultes et messages sexuels sur les chefs de chacun des camps181. Plusieurs balles évoquent les supposées pratiques sexuelles d’Octavien et s’intègrent dans le courant de critiques portées depuis 44-43182. Donnons quelques exemples, en rappelant que les soutiens d’Octavien le nomment « César » et ses adversaires « Octavius » :
CIL XI, 6721.5 : FULUIA / [L]ẠNDICAM / PET[O] / Eclair figuré : « Je vise le clitoris de Fulvia »183.
CIL XI, 6721.7 : PET[O] / OCTAUIA[I] / CULUM / vacat. : « Je vise le cul d’Octave »184.
CIL XI, 6721.9a : ΛΓXF / OCTAUI / FELAS / vacat., soit [S]alue Octaui felas : « Salut Octave ! Tu suces ! »185.
CIL XI, 6721.10 : Phallus / OCTAUI / LAX[E] : « Pédé d’Octave ».
CIL XI, 6721.11 : OCTAUI / LAXE / SEDE / phallus : « Pédé d’Octave, assieds-toi [sur le phallus] »186.
CIL XI, 6721.13187: L. ANTONI CALUẸ / PERISTI / C. CAESARUS (sic) / UICTORIA : « L. Antonius, pédé, tu es mort ! La victoire est à C. César »188.
50Dans un contexte de lutte militaire aiguë, les attaques contre les pratiques sexuelles d’Octavien eurent un impact auquel le poème évoqué par Martial fait écho189. Ces mots vulgaires, à la limite du « faire rire », reproduisaient toutes les facettes du conflit de la guerre de Pérouse et étaient utilisés par des soldats qui se trouvaient parfois à Rome quelques années ou mois auparavant, et qui avaient baigné dans l’atmosphère de critiques et de moqueries décrite plus haut. La lecture de ces (rares) témoignages montre ainsi que l’année 41-40 fut un moment d’évolution dans l’usage que faisait Octavien de l’humour politique : ce dernier se mettait à attaquer (ou à répondre à) ses adversaires par des railleries agressives. Cette attitude s’accordait avec l’image du jeune aristocrate sanguinaire qui, s’il avait épargné L. Antonius et ses soldats, extermina peut-être une partie des élites de la cité de Pérouse190.
51Si une telle stratégie de communication politique prit ce type d’orientation, c’est que, après fin 43, le combat n’opposait plus frontalement les deux triumvirs, qui disposaient d’intermédiaires faisant office de relais. Ceci pourrait expliquer qu’Antoine ait laissé courir les bruits et plaisanteries sans pour autant s’y associer et aboutir à une rupture politique évitée, sur le plan diplomatique, par les accords de Misène (39) qui intégraient Sextus Pompée à l’équation. Cette rencontre fut d’ailleurs l’occasion pour les généraux de rivaliser de mots d’esprit qui mettent en évidence les tensions liées à l’occupation de la domus de Pompée par Antoine, étudiées par J.-P. Guilhembet dans un article détaillé191.
D. Vers un « faire rire » déclaré ? Octavien à la fin de l’époque triumvirale (34-30)
52Conclure à un retour significatif de l’humour frontal à la fin de l’époque triumvirale repose sur un faible nombre de témoignages, mais relève d’une certaine logique politique. En effet, afin d’éviter de plonger une nouvelle fois dans la guerre civile et parce que chacun des triumvirs se concentrait sur sa zone d’influence, les traits d’opposition entre collègues, qui ne disparurent pas192, furent discrets et peu agressifs entre 40 et 34. Pourtant, un changement de rapport de force politique s’opéra durant ce laps de temps et pourrait expliquer une mutation de la communication politique adoptée par Octavien.
1. Les « dés sont jetés » : le problème Sextus Pompée
53Octavien parvint, entre 39 et 34, à consolider son pouvoir à Rome, au détriment de son collègue, surtout après avoir vaincu Sextus Pompée, tué en 35 peut-être sur ordre d’Antoine193. Néanmoins, la victoire fut laborieuse et un bon mot courut sur les difficultés d’Octavien à vaincre Sextus, entre 39 et 36194 :
Plus tard, durant la guerre de Sicile, on fit courir cette épigramme : « Après avoir perdu ses navires dans deux défaites sur mer, Pour vaincre enfin, il joue continuellement aux dés »195.
54Le mot provint, selon Suétone, du peuple romain scandalisé par l’amour du jeu d’Octavien (en inadéquation avec son activité de général) et par son incapacité à mettre un terme au blocus maritime qu’imposait Sextus, présenté (notamment avant 38) comme un « archipirate » par la propagande en faveur d’Octavien196 : l’attaque mettait en exergue l’amour d’Octavien pour le jeu et la paresse afin de souligner son action inefficace sur les théâtres d’opérations197. Il s’agit sans doute d’une épigramme composée par des partisans de Sextus, qui jouissait d’une bonne popularité à Rome, et il serait également tentant, même si rien ne permet de l’affirmer, d’y voir une nouvelle attaque politique voilée de la part des Antoniens198, voire de Cassius de Parme lui-même199. Sachant qu’Octavien et Antoine s’entendirent afin de lutter ensemble contre Sextus Pompée au printemps 37, le bon mot aurait alors pu souligner l’incapacité du premier à vaincre sans l’aide du second, et ainsi créer un décalage entre le joueur incapable et le soldat expérimenté. S’il ne faut évidemment pas attribuer l’intégralité des mots contre Octavien aux partisans d’Antoine200, l’hypothèse ne saurait être ici écartée, d’autant qu’un épisode postérieur est étrangement similaire et que c’est peut-être en réponse à ces accusations qu’Octavien adressa un trait cinglant à Antoine en 34.
2. Octavien victorieux, Octavien railleur : la rupture avec Antoine
55Cassius Dion rapporte les reproches mutuels que s’adressèrent Octavien et Antoine entre 36 et 34 : le premier prononçait des discours devant le Sénat et le peuple alors que le second écrivait des lettres ouvertes201. Dans ce contexte, Plutarque rapporte une réplique du fils de César à une lettre d’Antoine. Alors que ce dernier avait échoué en Arménie et avait capturé le roi Artavasdès par une ruse (en 34), il célébra ostensiblement sa victoire à Alexandrie aux côtés de Cléopâtre et, sans l’autorisation du Sénat, conféra des royaumes à ses enfants202. Cette attitude fut jugée d’autant plus scandaleuse qu’Antoine, dans un but de rupture politique et pour répondre aux provocations d’Octavien, avait, selon la présentation propagandiste qui l’emporta finalement, préféré Cléopâtre à son épouse Octavie début 35203. Cette situation donna l’occasion à Octavien de se moquer de manière ironique de l’échec d’Antoine contre les Parthes : il déclara que les soldats d’Antoine « n’avaient aucun droit sur l’Italie, puisqu’ils avaient la Médie et la Parthie, qu’ils avaient ajoutées à l’empire romain en combattant vaillamment avec leur imperator »204.
56Antoine se voyait « pris au piège de sa propre propagande »205 et, si ses propres accusations étaient pour la plupart recevables206, Octavien disposait lui aussi de percutants éléments de critiques contre un général présenté comme incapable et fanfaron207. Cette répartie d’Octavien, probablement formulée en 34 ou début 33208, reprenait le thème du miles gloriosus, déjà amplement utilisé par Cicéron dans les Philippiques, et mêlait une ironie mordante à une attaque politique directe. L’attaque témoigne en cela d’un changement de rapport de force politique et intervient au début de la rupture entre les triumvirs. Le contexte était alors différent de celui de 37-36 et Octavien était en position de force, auréolé de sa victoire (réelle et non pas feinte) contre Sextus Pompée en 36. Cette atmosphère politique permit au fils de César ce sarcasme puissant, qui montrait le retour d’une uituperatio frontale du type de celle observée pour 44-43209. Après dix ans d’entente triumvirale, le spectre de la guerre civile, qui n’avait jamais disparu, refaisait surface210 : le rapport de force politique orientait la direction de l’humour autant que l’usage du « faire rire » provoquait et/ou sanctionnait une rupture politique. Les bons mots appelaient et précédaient les armes, et tout se régla à Actium, le 2 septembre 31211.
3. Le roi et les morts : le dernier trait d’Octavien, la première plaisanterie d’Auguste
57Octavien entra victorieux dans Alexandrie le 3 août 30212, se rendit au gymnase où Antoine avait célébré son entrée en majesté quelques années auparavant et, s’adressant en grec aux Alexandrins, il leur accorda son pardon, justifié par la volonté d’honorer le dieu Sarapis, le philosophe alexandrin Aréios et Alexandre le Grand213. Peu après cet épisode, il fit ouvrir, comme César avant lui, le sarcophage d’Alexandre afin de déposer une couronne d’or sur la tête du roi défunt214. Alors qu’on lui proposait de voir le tombeau des souverains Ptolémées, situé à proximité215, Octavien usa d’un humour sarcastique :
À la même époque, s’étant fait montrer le sarcophage et le corps d’Alexandre le Grand, que l’on retira de son tombeau, il lui rendit hommage en plaçant sur sa tête une couronne d’or et en le jonchant de fleurs, mais, comme on lui demandait s’il désirait visiter également les tombes de Ptolémées, il dit « qu’il avait voulu voir un roi et non des morts »216.
58Cette raillerie rapportée par Suétone et Cassius Dion, ayant peut-être comme source commune l’autobiographie d’Auguste217, contient plusieurs niveaux de lecture politiques cohérents, concentrés dans le bon mot final, parfait exemple de communication politique maîtrisée et programmatique. Ce trait illustre en effet la sélection opérée par Octavien dans l’héritage symbolique légué par le royaume égyptien. Le nouveau vainqueur refusait d’honorer la mémoire des Ptolémées, dynastie dont la réputation était peu favorable à Rome218 et qu’il venait de tuer à Actium219.
59Le trait attaquait aussi Cléopâtre, ennemie officielle de Rome qui avait rendu fou Antoine et l’avait poussé à répudier Octavie. Ce faisant, Octavien passait sous silence la guerre civile et prônait l’oubli des Ptolémées réduits à leur état de cadavre, en instillant l’idée d’une réorganisation de l’Égypte sous l’égide du seul roi respectable : Alexandre. Or ce dernier avait confié de manière posthume son pouvoir à Ptolémée Ier, simple dépositaire de l’autorité. Par son hommage et son mot, Octavien se plaçait donc sous le patronage direct du Macédonien pour mieux éluder le rôle des Ptolémées220, entre-deux indigne entre le roi fondateur et le nouveau maître de l’Égypte, successeur direct et alors âgé, comme Alexandre à sa mort, de 33 ans : cela placerait le mot vers la fin du « règne » des enfants de Cléopâtre, lorsque Octavien devint officiellement souverain du royaume, soit le jour de la nouvelle année égyptienne, le 31 août 30221. Ce lien avec Alexandre fut réaffirmé tout au long du principat augustéen, notamment si on admet que le prince s’inspira du tombeau d’Alexandre pour ériger son propre mausolée222. Enfin, si le texte originel où puisèrent Suétone et Cassius Dion fut celui de l’autobiographie (ou Mémoires) du prince, rédigée à l’époque du Principat mais dont le récit s’interrompt en 25 a.C., il est possible qu’Auguste ait forgé ce bon mot a posteriori dans le but de rappeler sa capacité à vaincre une dynastie orientale (et non pas un autre Romain), de rappeler sa pietas envers Alexandre (et, indirectement, envers César223) et de mettre en exergue son rôle de pacificateur de la partie orientale de l’Empire : le dernier bon mot d’Octavien était un fragment du programme politique qui marquait la fin de la guerre civile et la naissance symbolique, sur le moment comme après coup, du futur Auguste.
60Si l’on accepte les révisions de datations de certains bons mots suggérées ici, les traits anonymes furent surtout lancés entre fin 43 et 34, au moment où les attaques frontales entre collègues triumvirs se firent bien plus rares. Les auteurs de ces mots anonymes furent souvent des Antoniens discrets qui soulignaient les qualités d’Antoine et critiquaient, par contraste, les faiblesses du fils de César, qui fut attaqué selon des thèmes visant à saper sa légitimité politique. Octavien se mit pourtant à répondre à la raillerie par la raillerie : porté par un contexte politique favorable, il devint même l’assaillant d’Antoine entre 34 et 30, et usa d’un « faire rire » politique redevenu agressif et frontal. Avant de valider ce schéma d’ensemble, il importe toutefois de réfléchir à un possible effet de source, qui se révèle lorsqu’on analyse la trajectoire d’Antoine et de son rapport à l’humour politique durant les années triumvirales.
III. Antoine et le « faire rire » en Orient : plaisanter pour être aimé (41-30) ?
61La distance d’Antoine par rapport à Rome, de 43 à 31, laisse voir des différences dans l’usage d’un « faire rire » politique hors de Rome, mais qui reste lié aux enjeux politiques de la cité-mère. Afin de proposer des hypothèses articulées autour des attaques contre Antoine puis formulées par Antoine, il faut considérer des effets de sources résultant de la propagande en faveur d’Octavien qui, reprise par la plupart des auteurs anciens, présentait, de manière téléologique, l’entreprise orientale d’Antoine comme vouée à l’échec.
A. Face-à-face caustique entre Antoine et les cités grecques d’Orient (41-33)
1. Hybréas, notable frondeur (hiver 41)
62La situation de l’Orient en 41 n’avait rien d’encourageant : une partie de la région, notamment l’Asie Mineure, avait de longue date été pillée par Rome et dernièrement par les Libérateurs, qui exigèrent entre 43 et 42 de lourds tributs224. Or Antoine, qui venait d’obtenir le contrôle de la zone après la victoire de Philippes, devait lever de l’argent pour régler le problème des vétérans en Italie et faire face à la menace parthe. Pour cela, il devait composer avec les cités et avec les royaumes alliés ou amis dans le but d’assurer de régulières levées d’impôts. Antoine réunit à cette fin les représentants des cités d’Asie Mineure et leur adressa le « discours d’Éphèse »225 : le triumvir exigeait dix ans de tribut en un an alors que, quelques mois plus tôt, les Césaricides avaient réclamé aux cités dix années de tribut en deux ans. Endettées de manière structurelle depuis l’époque des guerres contre Mithridate au point de devoir emprunter pour rembourser leurs dettes, les cités étaient, malgré un relatif répit sous l’autorité de César de 48 à 44, de nouveau sanctionnées et ponctionnées en raison de leur soutien aux Césaricides.
63Selon Appien, les Grecs d’Asie, dénonçant ce procédé proche du rançonnage, supplièrent Antoine de revoir sa demande à la baisse et obtinrent une réduction du tribut, soit neuf années de tribut à payer en deux fois226. Toutefois, le récit d’Appien est contredit par Plutarque, qui rapporte qu’Antoine exigea un « second tribut » en une année :
Pour finir, il imposa aux cités un second tribut. Alors, Hybréas, parlant au nom de l’Asie, osa dire, avec une éloquence déclamatoire qui ne déplaisait pas au goût d’Antoine : « Si tu peux recevoir deux fois le tribut d’une seule année, ne peux-tu nous donner aussi deux étés et deux automnes ? » (« εἰ δύνασαι δὶς λαβεῖν ἑνὸς ἐνιαυτοῦ φόρον, δύνασαι καὶ δὶς ἡμῖν ποιήσασθαι θέρος καὶ δὶς ὀπώραν ; »). Puis, résumant les faits de façon énergique et frappante, il rappela que l’Asie avait payé deux cents mille talents et ajouta : « Cette somme, si tu ne l’as pas reçue, réclame-la à ceux qui l’ont perçue, mais si tu l’as reçue et si tu ne l’as plus, nous sommes perdus ». Ce mot bouleversa profondément Antoine. Il ignorait la plupart des exactions qui se commettaient, ce qui venait moins de sa négligence que de la confiance qu’il accordait, par naïveté, à ceux qui l’entouraient227.
64Hybréas, dirigeant de la cité de Mylasa de Carie, était un « homme nouveau » enrichi qui avait vraisemblablement reçu la citoyenneté romaine de César228 et qui était connu pour son éloquence efficace, marquée du sceau de l’asianisme229. Sa qualité de porte-parole des cités d’Asie Mineure et de soutien de César peu soupçonnable de nostalgie à l’égard de la présence des Libérateurs lui permit de répondre aux demandes d’Antoine, qui fut touché par son intervention. La fin du passage sur la candeur d’Antoine encourage toutefois à rediscuter du détail de l’épisode. Premièrement, Plutarque évoque un prélèvement de 200 000 talents, somme correspondant à plusieurs décennies de contribution et impossible à payer. L’auteur rapporte ensuite le prélèvement de deux tributs sur la même année, ce qui ne manque pas d’étonner : on peut alors penser que la province avait, dans un premier temps, été forcée de payer les Césaricides et que, accusée de complaisance par Antoine, elle devait payer un nouveau tribut quelques mois après. Toutefois, la seconde déclaration d’Hybréas, à la fin du passage, laisse penser qu’Antoine devait réclamer l’argent à ceux qui avaient déjà perçu l’impôt et donc que certains légats d’Antoine avaient ponctionné les cités avant même l’arrivée de leur chef. Cette option expliquerait alors l’étrange mention d’un double tribut, absente du récit d’Appien. Cette curiosité a mené certains historiens à contester l’exactitude du passage plutarquien et à proposer la datation de 33 pour l’épisode d’Hybréas230 : Antoine avait alors d’immenses besoins en argent pour mener à bien sa lutte contre Octavien et Hybréas, auréolé de son action de résistance contre Labienus (41-40), était en position de force pour intervenir. Il y aurait ainsi eu deux tributs distincts en moins de dix ans, le premier en 41, le second en 33. Néanmoins, cela rendait inefficace le bon mot rapporté par Plutarque, puisque la réplique d’Hybréas reposait sur la proximité chronologique intolérable entre les deux prélèvements et sur l’évocation de saisons clémentes, par opposition à l’hiver, peu propice aux récoltes. Pour ces raisons et pour d’autres231, il faudrait plutôt retenir la datation proposée par Plutarque et situer l’épisode au début de l’hiver 41.
65Cette anecdote permet de comprendre certaines des modalités de l’interaction caustique entre le triumvir fraîchement arrivé et les notables des cités d’une partie de l’Orient. L’épisode conduit par exemple à s’interroger sur l’existence d’un humour d’opposition à l’impôt : le thème n’est pas absent de la cité romaine, mais les dialogues houleux entre Vespasien et les Alexandrins permettront de préciser la teneur parfois nettement antifiscale du « faire rire » oriental. On relève ensuite que le notable Hybréas, à l’instar de Théophanès de Mitylène, de Théopompe de Chios ou de Zénôn de Laodicée, était un personnage de premier plan232 : comme dans les cas de Pollion ou Plancus évoqués plus haut, on pourrait alors penser que tous les Orientaux ne pouvaient pas s’adresser ouvertement au triumvir. Pourtant, un épisode athénien vient contredire l’assertion et permet de suivre la piste d’un « faire rire » civique propre à cette partie du monde romain.
2. Le divorce de Dionysos et Athéna : la rupture entre Antoine et Octavien vue de l’Orient (39/33)
66À la fin de l’été 39, Antoine s’installa à Athènes avec Octavie, qu’il avait épousée après la paix de Brindes, conclue avec Octavien en octobre 40. Les sources rapportent le comportement philhellène d’Antoine qui aurait assisté aux spectacles et banqueté sans se soucier d’affaires politiques233. Cette attitude typiquement grecque, voire « démocrate », pouvait être perçue comme le comportement d’un roi hellénistique, objet de la défiance des Romains à l’époque tardo-républicaine234, d’autant qu’Antoine tint (après l’hiver 38) à se faire appeler « Nouveau Dionysos » parce qu’il comptait relancer la conquête de l’Orient suite à sa défaite contre les Parthes235. Cette association revêtit un caractère officiel, comme le révèle un décret célébrant, pour 38, « les Panathénées antoniennes du dieu Antoine, nouveau Dionysos »236. Tel était le contexte lorsque les Athéniens offrirent à Dionysos-Antoine d’épouser leur déesse poliade Athéna, afin de placer la cité sous la protection conjointe des deux divinités. C’est alors, selon Cassius Dion, qu’Antoine réclama une dot d’un million de drachmes237. Sénèque le Rhéteur évoque, lui, une demande de six millions de drachmes :
Ils dirent qu’ils lui promettaient en mariage leur Minerve et lui demandèrent de l’épouser ; Antoine dit qu’il y consentait, mais que, comme dot, il leur imposait une contribution de mille talents. Alors un de ces petits Grecs lui dit : « Seigneur, Zeus a pris sans dot ta mère Sémélé ». Ce trait d’audace resta impuni, mais le cadeau de noces des Athéniens demeura taxé à ces mille talents. Pendant qu’on les levait, on affichait un très grand nombre de placards injurieux ; on en mettait quelques-uns sous les yeux d’Antoine lui-même, par exemple ce mot écrit sur le piédestal de sa statue, parce qu’il avait comme femmes, à la fois, Octavie et Cléopâtre : « Octavie et Athéna à Antoine : reprends tes biens (nous divorçons) »238.
67L’assimilation entre Antoine et Dionysos explique le mot du graeculus et la tendance à la plaisanterie d’Antoine explique que le Grec ait d’abord cru à une plaisanterie et ait répondu sur le même ton badin. De même, l’absence de représailles, notée par Sénèque, s’explique par le fait qu’Antoine déployait de nombreux efforts pour se rendre populaire et ne pouvait pas, après une demande malvenue, réprimer la parole railleuse de la cité : ainsi, le mot contre Dionysos-Antoine s’intègre plausiblement dans ce que nous savons de l’humour contre le triumvir en Orient. Le trait du graffito est, en revanche, plus délicat à interpréter. Le texte, sans doute placardé sur une statue d’Antoine-Dionysos, était bilingue et peut-être compréhensible de tous239. La proximité avec le premier mot chez Sénèque ne doit pas induire en erreur et cette partie de l’anecdote daterait de plusieurs mois après celle du graeculus, au plus tôt de l’hiver 37/36, date de l’union avec Cléopâtre. Pourtant, si on accepte l’idée d’un mariage antérieur entre Athéna et Antoine-Dionysos, alors ce dernier était déjà symboliquement bigame (il avait Octavie et Athéna pour épouses) lorsqu’il officialisa sa liaison avec la reine égyptienne, devenant ainsi trigame.
68Afin de résoudre le problème, il faut mobiliser une inscription de l’agora d’Athènes, qui célèbre le couple des « divins bienfaiteurs Antoine et Octavie » et mène à conclure qu’Octavie avait été associée par les Athéniens à Athéna Polias, tout comme Antoine l’avait été à Dionysos240. Antoine-Dionysos était donc « monogame » car marié à sa seule femme Octavie-Athéna, jusqu’à l’intervention de Cléopâtre, qui provoqua la demande de divorce mise en scène par le graffito. Ajoutons une autre interprétation : alors qu’Antoine passait son temps entre Athènes et Alexandrie, mais que sa nouvelle « épouse » Cléopâtre le retenait en Égypte, Octavie-Athéna, femme appréciée des Athéniens et incarnation de la cité attique, était insultée et décidait d’une séparation. Si on accepte cette lecture, renforcée par l’hypothèse selon laquelle l’association d’Antoine à Dionysos put lui être suggérée en partie par Cléopâtre241, cela signifierait que le mariage avec Athéna avait été conclu et la dot versée : Athènes payait pour être sous la protection d’un couple divin, ce qui provoquait les réactions hostiles de la cité. Sénèque évoque en effet des placards injurieux et il y a fort à parier qu’ils concernaient autant les demandes financières d’Antoine que ses histoires d’amour qui, de plus, l’éloignaient d’Athènes : c’est peut-être la scandaleuse demande de dot et son prélèvement forcé qui ont coûté à Antoine une partie de sa popularité auprès des Athéniens. Cette lecture est d’autant plus acceptable que le ressentiment des citoyens d’Athènes a pu être accentué par un mot de Q. Dellius, moquant des difficultés des Athéniens à réunir la somme demandée242.
69Si les thèmes retenus et la morphologie du « faire rire » employé rendent l’épisode plausible, les historiens sont divisés sur le crédit à lui accorder, ce qui multiplie les potentielles lectures politiques de l’épisode. À la suite de la démonstration de Raubitschek, qui concerne l’association d’Antoine à Dionysos et non pas l’épisode de la dot, J.H. Kroll interprète la frappe de monnaies à l’effigie de Dionysos et la situation financière critique d’Athènes après le passage d’Antoine comme un signe de la véracité d’une importante ponction qui correspondrait à la dot243. Chr. Pelling reconnaît de son côté que l’épisode a pu être arrangé ou amplifié par Sénèque, mais que le fond de l’affaire est recevable, surtout si elle repose sur les écrits de première main de Q. Dellius ou sur le récit de Sénèque le Rhéteur qui, né en 55 a.C., a pu entendre raconter l’épisode lors de sa jeunesse244. Face à cette position « fidéiste », une lecture plus critique voit dans l’épisode une fiction élaborée dans le but de discréditer l’association démesurée d’Antoine avec Dionysos et sa pratique blâmable de la polygamie245. La combinaison de ces informations désigne alors celui qui voulait limiter la puissance symbolique d’Antoine fondée sur le patronage divin, et critiquer sa bigamie au détriment d’Octavie : Octavien lui-même.
70Rapprocher la nouvelle position de force d’Octavien après la victoire sur Sextus Pompée et le moment où Octavie et Antoine étaient encore mariés encourage à situer l’élaboration de l’anecdote entre fin 36 et début 35 : ce mot put ainsi avoir une cause « athénienne », mais il put être repris par Octavien afin de contrer les bons mots pro-antoniens contre l’incapacité d’Octavien face à Sextus Pompée. Si l’on considère que c’est la répudiation d’Octavie qui expliquait la mention d’un « divorce » et qui a déclenché la « création » de cet épisode, alors le bon mot put, par contre, être diffusé à Rome au moment de l’opposition ouverte avec Antoine, puisque l’affront subi par Octavie et la « bigamie » d’Antoine étaient une des causes de la rupture politique avec Octavien autour de 35-34246.
71Enfin, si on accepte le postulat de deux épisodes de dates différentes, l’épisode de la dot a pu être exagéré, mais une ponction put effectivement avoir eu lieu et avoir provoqué les railleries des Athéniens. L’épisode du graffito, concernant plus directement Octavien, aurait, lui, été forgé a posteriori dans un but propagandiste. Finalement, si l’anecdote est vraie, elle revêt un fort aspect politique, mais si elle est partiellement inventée ou exagérée, la dimension politique, loin de disparaître, prend de nouvelles formes et s’intègre dans la lutte propagandiste entre Octavien et Antoine. On retrouve des traces de cette propagande en faveur d’Octavien chez Plutarque, qui rapporte qu’Antoine se rendit populaire en Orient par un usage ostentatoire et ridicule des plaisanteries.
B. Les facéties d’Antoine, une stratégie de communication politique ?
1. Masque comique et masque tragique : une stratégie « démocrate » adaptée au contexte local
72Chez Plutarque, notre unique source sur ce sujet, Antoine est présenté comme un homme sympathique qui aimait à plaisanter et à se laisser plaisanter sur sa vie personnelle247. Cette attitude ouverte, assortie d’une grande générosité, peut-être influencée par l’exemple de César, constituait un des fondements de sa popularité auprès des soldats et du peuple :
Même ce que les civils jugeaient vulgaires, sa forfanterie, son esprit railleur, son habitude de vider des coupes en public, de s’asseoir à côté des dîneurs et de prendre ses repas à la table des soldats, tout cela inspirait à ses hommes une affection et un attachement étonnants. Quant à sa vie amoureuse, elle n’était pas indigne d’Aphrodite et lui valait même une grande popularité, car il favorisait les amours d’autrui et se laissait volontiers plaisanter sur les siennes248.
73La conséquence de cette proximité fut la mise en place d’une sorte de dialogue railleur apaisé que l’auteur de Chéronée relève à nouveau, plus loin dans la Vie d’Antoine :
Quant à l’insolence de ses plaisanteries et de ses railleries, elle portait son remède en elle-même ; en effet, Antoine permettait aux gens de lui renvoyer ses railleries et de se rire de lui à leur tour, et il prenait autant de plaisir à être moqué qu’à se moquer249.
74Antoine adopta la même attitude badine auprès des Athéniens et des Alexandrins, ces derniers étant décrits par les auteurs, de Polybe à Cassius Dion, comme prompts à la parole caustique250. Ce choix de communication politique, fondé sur un « faire rire » de réciprocité251, était inextricablement lié à sa relation avec Cléopâtre :
Elle jouait aux dés avec lui, buvait avec lui, chassait avec lui et le regardait s’entraîner aux armes ; la nuit, quand il s’arrêtait aux portes et aux fenêtres des gens du pays pour se moquer de ceux qui étaient à l’intérieur, elle rôdait à l’aventure avec lui, déguisée en servante. Il essayait lui aussi de revêtir un déguisement analogue, ce qui lui valut de récolter, avant de rentrer, des quolibets et souvent même des coups, mais la plupart des gens devinaient qui il était. Cependant les Alexandrins se réjouissaient de ses farces et s’amusaient avec lui, d’une manière qui ne manquait ni d’à-propos ni d’esprit. La situation leur plaisait : « Antoine, disaient-ils, prend avec les Romains le masque tragique et avec nous le masque comique ». Il serait long de raconter toutes les plaisanteries auxquelles il se livra à cette époque252.
75K. Scott propose de situer ces épisodes de railleries entre 36 et 32, lorsque les tensions avec Octavien firent leur retour253. L’idée n’est pas dénuée de logique politique et Antoine était à ce moment au paroxysme de sa vie de cour avec Cléopâtre, mais la lecture des sources ne permet pas de circonscrire l’humour antonien à ces années et cette attitude put durer plus longtemps254. Ce comportement, en relative rupture avec celui des souverains lagides, pouvait surprendre les habitants255 et être perçu comme étrange et puéril par les aristocrates à Rome. Il fut critiqué par Plutarque256, mais visiblement apprécié des Alexandrins (même si la part de cliché joua un rôle dans le récit de Plutarque) : la ville était connue pour être un lieu de circulation de nombreux brocards et plaisanteries et ses habitants savaient peut-être apprécier chez Antoine sa prise en compte de pratiques et de sensibilités politiques différentes de celles de l’Vrbs. Sa présence au milieu des citoyens faisait de lui un dirigeant apprécié pour sa leuitas. Par ses facéties calculées, Antoine se présentait comme un souverain « démocrate » et ciuilis, un roi hellénistique proche de ses sujets, tel Démétrios, son binôme dans les Vies de Plutarque257.
76Cette proximité politique avec le peuple, largement théâtralisée258 et servant à afficher l’étalage des richesses des « inimitables »259, assurait une paix civile propice aux prélèvements financiers ou à la demande de participation à l’effort de guerre. Ce pouvoir permettant la raillerie fondait donc en partie la puissance symbolique du couple des « inimitables », comme en témoigne une inscription commentée par P.M. Fraser en 1957260. Si elle répondait peut-être à une volonté de brouillage des hiérarchies socio-politiques du type de celle étudiée par Bakhtine261 et qu’on retrouvera adaptée au cas romain dans le cas du ciuilis princeps, la stratégie d’Antoine pouvait être dangereuse, notamment à la cour des « inimitables ».
2. Le règne des faux-semblants : les plaisanteries de l’entourage d’Antoine chez Plutarque
77Plutarque rapporte au sujet de la propension d’Antoine à plaisanter et à se laisser railler que « cette attitude ruina souvent ses affaires, car il n’imaginait pas que ceux qui avaient leur franc-parler quand ils plaisantaient pouvaient le flatter quand ils étaient sérieux »262. Dans les lignes qui suivent, l’auteur dépeint Antoine comme sensible aux louanges, qu’il prenait pour de la sympathie sincère et non pas pour de la flatterie263. Le projet de Plutarque, dans la Vie d’Antoine comme ailleurs, était d’associer, au sein du récit, l’amitié et la flatterie afin de les distinguer : l’ami réprimait la démesure, le flatteur l’encourageait par complaisance264. À ce sujet, l’attitude badine de Q. Dellius à Athènes ou celle de Philotas qui, pour un bon mot lors d’un banquet, se vit offrir par le fils d’Antoine et de Fulvia des coupes de grande valeur, sont révélatrices265.
78Selon l’auteur de Chéronée, le cercle des proches partisans d’Antoine semblait propice à des relations politiques fondées sur les faux-semblants, sur des plaisanteries trompeuses donnant à Antoine l’illusion d’un soutien unanime et du bien-fondé de ses choix politiques et personnels. Flatteurs invétérés comme pouvait l’être L. Munatius Plancus, arbitre du fameux « pari de la perle » se déguisant en dieu marin Glaucus pour plaire à la reine et à Antoine266, ces membres de l’entourage d’Antoine fournissent aux historiens les témoignages les plus précis sur la vie des « inimitables » et sur les plaisanteries qui s’y échangeaient. Leurs écrits ont sans doute fourni la source du récit de Plutarque concernant une partie de pêche, peut-être tenue en 41, mise en scène par Antoine et moquée par Cléopâtre afin de flatter le triumvir :
Un jour qu’il pêchait et qu’il ne prenait rien, ce qui le contrariait, car Cléopâtre se trouvait à côté de lui, il demanda aux pêcheurs de plonger sans attirer l’attention et d’attacher à son hameçon des poissons qu’ils avaient pris auparavant ; cela fait, il ramena deux ou trois fois sa ligne avec succès. Mais son manège n’avait pas échappé à l’Égyptienne. Feignant l’admiration, elle en parla à ses amis et les convia à la partie de pêche du lendemain. Ils furent nombreux à monter dans des barques de pêcheurs. Dès qu’Antoine eut jeté sa ligne, Cléopâtre ordonna à l’un de ses serviteurs de plonger sans attendre et d’attacher à l’hameçon un poisson salé du Pont. Quand Antoine, qui croyait tenir quelque chose, ramena sa ligne, le rire fut général, comme on peut l’imaginer. Cléopâtre lui dit : « Laisse-nous la canne à pêche, imperator, à nous qui régnons sur les habitants de Pharos et de Canope. Ce que tu dois pêcher, toi, ce sont les cités, les royaumes et les continents ! »267.
79Ce passage concentre tous les clichés associés à la vie d’Antoine et Cléopâtre, couple évoluant dans un perpétuel banquet où l’hypocrisie, la beuverie, la plaisanterie et la flatterie étaient omniprésentes, créant une atmosphère typique de la mollitia orientale. La reine est ainsi décrite comme une flatteuse habile, apte à entretenir une conversation plaisante268 et usant de duperies que Plutarque souligne par l’évocation de la théorie des quatre flatteries, issue du Gorgias de Platon269. Elle alla jusqu’à plaisanter au sujet d’Octavien tandis qu’Antoine était en difficulté lors de la bataille d’Actium, engagée sur mer afin (selon Plutarque) de plaire à Cléopâtre :
César [Octavien] fut plus rapide qu’Antoine, qui était mouillé près d’Actium, à l’endroit où se dresse maintenant Nicopolis ; il traversa la mer Ionienne et s’empara d’une place forte d’Épire nommée Torynè [signifiant « cuillère en bois »]. Comme Antoine et ses partisans s’inquiétaient car leur armée de terre tardait, Cléopâtre lança en plaisantant : « Qu’y a-t-il de terrible à voir César perché sur une cuillère en bois »270.
80La vie de cour répondait à des codes de comportement inévitables : plaisanter en toute circonstance, faire montre d’esprit pour impressionner et plaire faisaient partie de cette vie « inimitable ». La reine, en plus de dresser un parallèle plaisant avec la situation militaire et de relativiser le coup porté à Antoine, railla peut-être, par un jeu sur le sens du terme τορύνῃ (« pénis »), la vertu d’Octavien, comme l’avait fait Antoine pendant des années271. Si séduisantes soient-elles, les remarques de Plutarque au sujet du rapport d’Antoine et de son entourage aux plaisanteries interpellent : le récit de l’auteur de Chéronée souligne la leuitas d’Antoine par un jeu de miroir redondant entre l’opinion du peuple (favorable à Antoine) et celle des gens de biens (les aristocrates), hostiles au comportement indigne du triumvir272. Plutarque détourne aux fins d’une démonstration morale et philosophique des plaisanteries qui avaient un sens politique lui important peu : la description des amis d’Antoine273, réunis à l’occasion de banquets lors desquels ils buvaient et plaisantaient, est pour Plutarque l’occasion de critiquer la moralité du triumvir274, comme il le fit dans le cas de Sylla275.
81Les banquets étaient perçus comme des événements éminemment politiques et le symposiarque capable de se contrôler, de mener à bien un banquet, de ménager les susceptibilités et d’éviter les sujets délicats était un dirigeant sûr pour la cité, qui répondait à des demandes semblables sur le plan de la rigueur et de la mise en scène du pouvoir276. Antoine adoptait ici une attitude contraire à celle du dirigeant de confiance et délaissait la politique et la guerre, alors même qu’il était en charge de la conquête de l’Orient. La mise en scène des plaisantins et les plaisanteries qui l’entouraient servent de plus à illustrer la crédulité de celui qui ne savait pas différencier le bon mot de la flatterie formulée par des partisans motivés par le souhait de favoriser leur propre position. Dans ce portrait à charge, souvent repris depuis, Plutarque se fait le relais d’une propagande favorable à Octavien qui stigmatise l’attitude d’Antoine auprès de Cléopâtre, notamment entre 34 et 31, attitude à laquelle répondit d’ailleurs partiellement Antoine dans un pamphlet perdu, le De Ebrietate277.
82Comme Cicéron et Octavien (animés de raisons plus directement politiques), Plutarque perçoit Antoine comme un Romain indigne dont le projet oriental devait échouer pour des raisons morales. La manière antonienne de se montrer proche des sujets lui apparaissait comme un prototype des pratiques de Néron et a pu influencer le récit plutarquien de manière négative278, d’autant qu’Antoine perdit contre Octavien-Auguste, modèle égalé par Trajan, sous le principat duquel Plutarque écrivait279. Sous le feu conjoint de Cicéron, d’Octavien-Auguste et de Plutarque, l’attitude politique d’Antoine en Orient ne pouvait être que celle d’un irresponsable déconnecté des réalités. Ces habitudes, éloignées des comportements romains, lui auraient valu en partie l’abandon de ses proches partisans, même si les multiples défections dont il fut la victime furent bien souvent le résultat de choix politiques et des relations compliquées entre les Antoniens et Cléopâtre280. Face à cette vision tronquée, il faut réaffirmer l’attitude politique originale et habile d’Antoine : ce dernier sut être à la fois l’auteur et la cible de bons mots, s’assurant une certaine proximité avec les habitants des cités d’Alexandrie et d’Athènes ainsi qu’auprès de la cour de Cléopâtre. Cette attitude d’insertion put s’avérer payante sur place et a, pour cette raison, pu constituer un prétexte efficace pour noircir l’action d’Antoine, notamment entre 34 et 32 : le Romain devenait un roi hellénistique trop crédible et trop apprécié et le laisser continuer pouvait s’avérer dangereux pour Octavien, présenté par nombre d’auteurs comme celui qui incarnait les intérêts de Rome.
83L’étude de l’humour contre Antoine révèle les conditions d’énonciation propres à la situation orientale et à ses logiques, s’incarnant dans l’usage des graffitis et dans une capacité à user d’un « faire rire » frontal. Plus qu’une simple bouffonnerie naturelle, l’attitude ouverte d’Antoine face au « faire rire » fut un choix de communication politique de la part d’un dirigeant qui avait compris le mode de fonctionnement des habitants d’Alexandrie et d’Athènes et adoptait une attitude « démocrate ». Les ennemis d’Antoine firent de cette stratégie une marque de mollitia orientale et les analogies qu’opèrent les auteurs avec la situation romaine révèlent le décalage avec le contexte oriental. La propagande d’Octavien a ainsi obscurci l’appréciation de l’usage pourtant habile de l’humour par Antoine : le triumvir usait d’un « faire rire » adapté à l’Orient, mais c’est à Rome qu’on le lui reprochait.
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84Existe-t-il un faciès triumviral du risum mouere politique qui, comme celui de l’époque césarienne, présenterait une morphologie réductible à quelques traits distincts de l’humour tardo-républicain ? Le manque de cohérence politique qui caractérise parfois cette période rend a priori l’affirmation risquée. Si on considère la part prédominante de l’invective, de l’agressivité et de la « propagande » dans des traits caustiques qui reflètent bien le contexte de tension politique des années 44 à 30, alors le « faire rire » d’époque triumvirale se démarque de la période précédente. Toutefois, si l’on réduit l’appellation de « triumvirat » à l’époque de l’entente politique entre Octavien et Antoine, de fin 43 à 34, alors l’humour politique se fit, comme à l’époque de César, anonyme et prudent. Octavien fut une cible de choix, mais devint avec le temps un homme politique de plus en plus assuré qui répondait à ses ennemis par l’invective, avant de les railler ouvertement à propos de leurs échecs. De son côté, Antoine était moqué par les Grecs et Orientaux et se moquait d’eux, ce qui met en évidence la singularité des pratiques politiques orientales et de leur rapport à la moquerie. Pourtant, chez les auteurs anciens (surtout Plutarque), cette attitude jugée puérile et naïve fut en partie la cause de sa chute. Trop évident pour être retenu sans précaution, ce croisement de trajectoires (descendante pour Antoine, ascendante pour Octavien) porte le sceau de reconstructions a posteriori, dont l’influence joua, pour l’essentiel, en faveur du vainqueur des guerres civiles : ce schéma prévoyait la défaite d’Antoine autant qu’il annonçait la venue du prince Auguste. Pareille conclusion peut aussi être formulée dans le cas du « faire rire » énoncé par César et Octavien.
Notes de bas de page
1 Les rares synthèses sont Millar 2009 [1973 et 2002], Pelling 1996 (p. 3-69), Roddaz 2000 (p. 825-912) et Osgood 2006a. Sur des sujets plus précis, Allély 2004, Ferriès 2007, Welch 2012 et Laignoux à paraître.
2 Seul Cupaiuolo 1993, p. 52-60 traite du dossier.
3 Si le travail de Scott 1933 sur la « political propaganda » est marqué par le contexte des années 1930, Hurlet 2007, p. 208 et 2014, p. 27 rappelle, de manière plus nuancée, que le terme « propagande » est excessif lorsqu’il traite d’une époque apaisée, mais peut être retenu afin de décrire un contexte de crise comme celui de l’époque triumvirale : sur la propagande triumvirale, Borgies 2016 (p. 15-24 sur l’usage du concept de « propagande »).
4 Roddaz 2000, p. 841.
5 Ferriès 2007 rappelle, pour le cas des partisans d’Antoine, la difficulté à parler d’un « parti » constitué autour d’un des acteurs principaux du temps, même si Antoine et Octavien furent deux repères politiques essentiels.
6 Sur les mutations de l’éloquence à l’époque du triumvirat, Osgood 2006b et David 2012b.
7 Pour leur mise en contexte, Manuwald I, 2007, p. 9-30, Tempest 2011, p. 195-208 et Allély 2012, p. 94-100.
8 Sur la publication rapide des Philippiques, Kelly 2008, résumé par Ferriès 2014, p. 366 n. 3.
9 Grangé 2003, p. 10-12.
10 Sur la notion de « guerre juste », Calore 2003. Jal 1964 sur la notion dans les Philippiques.
11 Lévy 1998, p. 139-157 sur le vocabulaire de la monstruosité antonienne.
12 Sur l’influence de Démosthène, Wooten 1983, p. 193-195. Pour le cas du « faire rire », supra chap. I.
13 Dubreuil 2013, p. 198-199 : la « densité injurieuse » moyenne des discours de Cicéron est d’une expression injurieuse tous les 55 mots. Ses discours les plus injurieux sont le Pro Roscio Amerino, l’In Pisonem, l’In Vatinium et les Philippiques (une injure tous les 45 mots).
14 Orlandini 2002 puis Ferriès 2014.
15 Cette progression n’est cependant pas linéaire (Wooten 1983, p. 164 et Ferriès 2014, p. 352 n. 2).
16 Lors des Lupercales de 44 : « Quelle splendide éloquence que la tienne quand, tout nu, tu haranguas le peuple ! » (Cic., Phil., 2.86).
17 Lorsque l’orateur répond aux critiques d’Antoine sur son consulat dans Cic., Phil., 2.11 : « Voilà ce que toi, qui fais preuve de sagesse autant que d’éloquence (homo sapiens, non solum eloquens), tu as osé dénigrer auprès de ceux dont les conseils et la sagesse ont inspiré ces actions » ; Cic., Phil., 2.18 : « L’habile orateur (homo disertus) ne comprend pas qu’il fait l’éloge de celui contre qui il parle et qu’il blâme ceux devant qui il parle » et Cic., Phil., 2.28 : « Comment cet esprit subtil a-t-il démontré que j’étais coupable ? ».
18 Cic., Phil., 2.34 : « Quant à moi (vois combien peu je te traite en ennemi !), tu as eu une fois une bonne intention, je t’en félicite ; tu n’as pas révélé le complot [contre César], je t’en remercie ; tu ne l’as pas exécuté, je te le pardonne : c’est un homme que réclamait une telle action (Virum res illa quaerebat) ».
19 Cic., Phil., 2.44 : « Bientôt survint Curio, qui t’enleva au métier de courtisane et qui, comme s’il t’avait donné la robe des matrones, t’a établi en un mariage stable et régulier » (in matrimonio stabili et certo collocauit) ; Cic., Phil., 2.50 : « Sans ressources, tu t’es précipité sur le tribunat, dans cette magistrature, semblable, s’il était possible, à ton mari [Curio] ». C. Scribonius Curio (trib. pl. 50, Broughton 1951-1986, II, p. 249) était le césarien qui avait rallié Antoine à la cause de César et qui aurait initié le jeune Antoine à des pratiques condamnables (Plut., Ant., 2).
20 Steenblock 2013, p. 76-80.
21 Cic., Phil., 2.62 : « À cela s’ajouta qu’à l’insu de César, alors à Alexandrie, grâce aux amis de celui-ci, il fut nommé maître de la cavalerie. Alors il se crût en droit de vivre avec Hippias et d’attribuer au mime Sergius la fourniture à l’État des chevaux de course ». Cicéron joue ici sur le mot grec servant à traduire magister equitum. Antoine, devenu « hipparque », vivait avec Hippias, comme l’avaient fait les enfants de Pisistrate (Hippias et Hipparque), d’ailleurs exécutés. C’est lors de noces données par Hippias (inconnu dont le statut de mimus ne dit rien) qu’Antoine but trop de vin et vomit, le lendemain, devant le peuple (Phil., 2.63, Plut., Ant., 9.6).
22 Cic., Phil., 3.16 : « “Mais, dit-il, j’ai un aïeul noble”. Il s’agit sans doute de ce Tuditanus qui, vêtu d’un manteau grec et chaussé de cothurnes, jetait des pièces de monnaie au peuple du haut des rostres. Je regrette qu’il n’ait pas laissé à ses descendants ce mépris de l’argent ! Vous avez une noblesse de race digne de gloire » (Habetis nobilitatem generis gloriosam) : sans doute Sempronius Tuditanus, fils de C. Sempronius Tuditanus, cos. 129 (Val. Max., 7.8.1, Manuwald II, 2007, p. 383).
23 Ferriès 2014, p. 349 sur la nouveauté que constitue cette technique d’attaque de l’entourage. Fantham 2004, p. 206-207 et Cristofoli 2004 sur la deuxième Philippique.
24 Suét., Gram. et Rhet., 29.1 : « Sex. Clodius, qui était originaire de Sicile et enseignait à le fois l’éloquence latine et l’éloquence grecque, ayant mauvaise vue et aimant à railler, affirmait que [… lacune du texte…] ses deux yeux en étant l’ami du triumvir Marc-Antoine. De la femme de ce dernier, Fulvia, qui avait une joue enflée, il dit qu’elle tentait la pointe du stylet, et n’en fut pas pour autant moins cher à Antoine, bien au contraire. Celui-ci, lorsqu’il devint ensuite consul, lui fit même un somptueux présent, ainsi que le lui reproche Cicéron dans les Philippiques : “Tu emploies, pour plaisanter, un maître que tes compagnons de beuverie et toi-même avez élu rhéteur et à qui tu as permis de dire contre toi tout ce qu’il voudrait, un homme d’esprit en vérité, mais c’est un sujet facile que de vous railler, toi et tes amis” » (sed materia facilis in te et in tuos dicta dicere). Sex. Clodius, originaire de Palerme (Pironne 1914), est souvent confondu avec le rhéteur Clodius Sabinus (Sén. le Rhet., Contr., 9.3.13) ou avec un homonyme (Arnobe, Nat., 5.18). Antoine appréciait les mots cruels de Clodius et lui avait fait don de biens publics, plutôt que de le punir (Phil., 2.42-43).
25 Quel était le premier bon mot perdu ? La locution male oculatus encourage à restituer extrisse se ou extinctum esse : Clodius aurait voulu dire qu’il perdait la vue en passant des nuits avec Antoine au lieu de dormir, vivant dans l’excès et contemplant la débauche. Le contexte rend cette restitution plausible.
26 Phil., 2.42 semble mal rapporté par Suétone, qui pourrait le citer de mémoire, avoir consulté un manuscrit erroné ou aurait pu se montrer critique face au témoignage de l’Arpinate.
27 Ferriès 2007, p. 405 : Q. Fufius Calenus était puissant et Cicéron ne pouvait se permettre de briser l’unité apparente des patres. Calenus a sans doute répondu, provoquant des joutes oratoires au sein de l’assemblée, aujourd’hui perdues, mais partiellement reconstituées par Cassius Dion au livre 46 de l’Histoire Romaine.
28 Martin 2007. Phil., 2.58 et 8.26 et 2.20 sur sa maîtresse Cythéris, comédienne nommée mima uxor.
29 Cic., Phil., 5.14 : Puto ne Curium quidem esse crudelem, qui periculum fortunae cotidie facit.
30 Cic., Phil., 5.12-13 : « Il a choisi des joueurs, il a choisi des exilés, il a choisi des Grecs (Oh ! La splendide réunion de juges ! L’admirable prestige de ce conseil ! Mon envie est grande de défendre un accusé devant un tel tribunal !) […] La Crète assurément est mieux connue de vous que Rome ne l’est de Cydas ». Ferriès 2007, p. 385-386 (no 56) et Manuwald II, 2007, p. 599.
31 Cic., Phil., 5.14 : « Si Lysiadès, appelé comme juge, ne répondait pas à la convocation et alléguait pour excuse qu’il est aréopagite et qu’il n’est pas tenu d’exercer en même temps les fonctions de juge à Rome et à Athènes, le président du tribunal admettra-t-il l’excuse de ce grécaillon de juge, qui porte tantôt le pallium et tantôt la toge ? » (Graeculi iudicis modo palliati, modo togati ?). Malgré leurs compétences et leur citoyenneté romaine (Tzamtzis 1998, p. 543-544 et 546 n. 37), les deux hommes étaient objets de railleries (Manuwald II, 2007, p. 603-604). Sur l’incompatibilité entre la toge du citoyen et le pallium comme signe de grécité, Baroin – Valette-Cagnac 2007, p. 528-529.
32 Phil., 8.26 : Saxa et Cafo sont qualifiés de lenones. Phil., 13.27 : Cicéron souligne que le second fut tribun sans être citoyen. Sur Saxa, Ferriès 2007, p. 387-389 (no 58).
33 Ferriès 2014, p. 358.
34 Cic., Phil., 2.106 [sur le trajet d’Antoine vers Rome et son attitude hautaine à Aquinum] : « Il avait avec lui deux Anagniens, Mustela et Laco, maîtres dans le maniement, l’un des épées, l’autre des coupes » (alter gladiorum est princeps, alter poculorum).
35 Lévy 1998, p. 146-148.
36 Sur l’insulte de gladiateur, Phil., 2.7, 2.74, 3.18, 5.10, 5.32, 6.3, 7.17, 13.16, 13.20, 13.25 puis Martin 2011.
37 Phil., 5.20 et 6.10 sur ce « myrmillon d’Asie » qui avait combattu (7.17) et étranglé un thrace allié à Mylasa (6.13). Ce changement de terme, au-delà de l’effet stylistique, attire l’attention sur le caractère immoral de l’action de Lucius (Ferriès 2014, p. 360).
38 Cic., Phil., 13.26 : An uero tua castra potius senatum appellaremus ? […] praetorii Philadelphus Annius et innocens Gallius, aedilicii corycus laterum et uocis meae, Bestia, et fidei patronus, fraudator creditorum, Trebellius, et homo diruptus dirutusque Q. Coelius, columenque amicorum Antoni, Cotyla Varius, […] tum deliciae atque amores populi Romani, L. Antonius, tribuni primum duo designati, Tullus Hostilius, qui suo iure in porta nomen inscripsit, qua, cum prodere imperatorem suum non potuisset, reliquit ; alter est designatus Insteius nescio qui, fortis, ut aiunt, latro, quem tamen temperantem fuisse ferunt Pisauri balneatorem. Annius Philadelphe (« qui aime son frère ») est le T. Annius Cimber évoqué supra chap. IV pour le meurtre de son frère. L. Calpurnius Bestia fut acquitté cinq fois grâce à Cicéron, avant d’être condamné pour brigue en 56 et d’être rappelé par César. L. Trebellius Fides était endetté au plus haut point alors que L. Antonius, frère d’Antoine et ennemi privilégié de la sixième Philippique, présidait une commission agraire et distribuait les terres d’une façon que critiquait Cicéron (Ferriès 2007, p. 324-327 [no 9]). Le mot sur Hostilius est peu clair, mais renvoie sans doute à une tentative de sa part de s’emparer militairement d’une cité pour le compte d’Antoine. Pisaure était une cité du Picenum mais le cognomen de Pison renvoyait également à la notion de tempérance, ici appliquée aux bains, activité révélant l’oisiveté de la cible. On identifie une distance feinte pour traiter d’Insteius qui, « dit-on (ut aiunt) », etc. Cette manière de rapporter un fait, sans avoir l’air d’y accorder du crédit mais en fondant son argumentaire dessus, est une marque de l’ironie cicéronienne, fondée sur l’emploi des adverbes (Orlandini 2002, p. 215-217, Manuwald I, 2007, p. 834 et 836 sur Phil., 7.2-3), de conjonctions comme « enim » (Phil., 7.21 et 8.27, Manuwald II, 2007, p. 888 et 1007), du verbe « credo » (Manuwald II, 2007, p. 408, 567 sur Phil., 5.5, 620 sur 5.19) ou de l’expression « nisi uero » (Phil., 7.10, Manuwald II, 2007, p. 857).
39 Cic., Phil., 13.28 : « Il y a aussi un certain Asinius, sénateur volontaire, qui s’est choisi lui-même : il vit la curie ouverte après la mort de César, il changea de chaussures et devint tout à coup sénateur ».
40 Ferriès 2007, p. 49.
41 Les sodales sont, stricto sensu, des membres réunis en collèges qui défendent des intérêts identiques. César était censé avoir mis fin à cette pratique par la loi De Collegiis de 46 (Suét., Ces., 42 et Yavetz 1990 [1983], p. 98-110). Chez Cicéron, le terme désigne des réunions de puissants et non pas les collèges d’artisans.
42 Suét., Aug., 35.1 : « Le Sénat était peuplé de toute une foule mêlée et sans prestige, il comptait, en effet, plus de mille membres et certains tout à fait indignes, que la faveur et la corruption y avaient introduits après le meurtre de César et que le public nommait Orciui (“sénateurs d’outre-tombe”) » (quos orciuos uulgus uocabat). Le terme d’Orciui ou Orcini signifie « libres par la grâce d’Orcus », soit les sénateurs admis par Antoine au Sénat, ce dernier se fondant sur les acta Caesaris confirmés le 1er juin 44 (Matijevic’ 2006). Le récit est repris dans D.C., Hist. Rom., 48.34 et Plut., Ant., 15.4 : « Par plaisanterie (ἐπισκώπτοντες), les Romains surnommèrent tous les bénéficiaires de ces mesures des Charonites (οἱ Ῥωμαῖοι Χαρωνίτας ἐκάλουν), car si on examinait leur cas, ils alléguaient pour leur défense les Mémoires du mort ». Selon Pelling 1988, p. 156, Plutarque aurait manqué la signification du bon mot, faisant des Orcini des affranchis par leur maître Antoine.
43 Cette xénophobie a été étudiée par Achard 1981 (p. 204-206). Syme 1967 (1939), p. 149 note que c’est le caractère politique de l’attaque contre Saxa qui prima, puisque Cicéron louait, ailleurs, Balbus de Gadès.
44 Cic., Phil., 13.27 : « Il y a encore là-bas Decius, issu, je crois, des fameux Mus, ce qui lui a fait ronger les présents de César (itaque Caesaris munera rosit) ; le souvenir des Decius a été vraiment renouvelé après un long intervalle, par cet illustre personnage ». Cicéron raillait la déchéance de la famille des Decii Mures, connue pour sa deuotio et dont le dernier représentant, endetté, était réduit à manger des miettes laissées par César, tel un rat. Sur Mus, Ferriès 2007, p. 389-390 (no 59).
45 Ferriès 2014, p. 363-365.
46 Cic., Fam., 11.20.1.
47 Vell., Hist. Rom., 2.62.6. La source de Velleius serait l’autobiographie d’Auguste, selon J. Hellegouarc’h (CUF, 1982, p. 211).
48 Shackleton-Bailey 1977, II, p. 541.
49 Corbeill 1996, p. 217.
50 Cic., Fam., 11.20.1 : « Je soupçonne Labeo d’avoir rapporté ce mot à César ou de l’avoir inventé, et que le jeune César n’y est pour rien ».
51 Cic., Fam., 11.23.2.
52 Macr., Sat., 2.2.7 : « Après la débâcle de Modène, comme on demandait ce que faisait Antoine, un de ses proches, à ce que l’on racontait, répondit : “Comme les chiens en Égypte ; il boit et il fuit”. Comme on sait, dans ces contrées, les chiens, craignant d’être mangés par les crocodiles, boivent en courant ». L’anecdote correspond à la réalité de la vie égyptienne (Él., Hist. Var., 1.4 et Nat. Anim., 6.53), mais fait penser à une situation postérieure à Actium.
53 Montlahuc 2010, p. 337-342.
54 Suét., Aug., 12.1 : « Auguste abandonna sans hésitation la cause des optimates en incriminant, pour fournir un prétexte à ce changement de résolutions, les propos et les actes de certains d’entre eux : selon lui, d’aucuns auraient dit avec suffisance qu’il était un gamin, d’autres “qu’il fallait le couvrir de fleurs et l’élever jusqu’au ciel” » (quasi alii « se puerum », alii « ornandum tollendumque » iactassent). Trad. GFL modifiée.
55 Cic., Phil., 5.43 : « Quel dieu nous présenta et présenta au peuple romain ce jeune homme divin (diuinum adulescentem) ? ».
56 Jal 1963, p. 205 évoque une histoire critique envers César, à laquelle Cicéron travaillait depuis 59.
57 Cic., Att., 15.13.4 décrit avec ironie l’empressement que mettait Dolabella à prendre la place de Cassius en Syrie, alors qu’il se trouvait sur place depuis trente jours seulement. Cicéron faisait ainsi de Cassius le gouverneur légitime de la Syrie, alors que ce dernier s’était vu accorder la Cyrénaïque. Déjà le 15 avril 44, Cicéron moquait les projets de Dolabella et de son comparse Nicias (Cic., Att., 14.9.3).
58 Un mot, peu compréhensible car le texte est lacunaire, se lit chez Macr., Sat., 2.3.16 : « Comme Lépide au Sénat avait dit aux pères conscrits [… lacune…], Cicéron fit remarquer : “Personnellement, je n’aurais pas fait si grand cas d’une pareille consonance” » (Ego non tanti fecissem ὁμοιοποίητον). Trad. La roue à livres modifiée. Davies 1969, p. 169 propose de voir dans ce passage un bon mot sur le nom de Lepidus (« charmant », « agréable ») : en raillant « une pareille consonance », Cicéron refusait l’éloge destiné à Lépide.
59 Osgood 2006b, p. 527-528.
60 Sur la mise à mort de Cicéron, Allély 2014, p. 101-102 (avec renvois à la bibliographie antérieure).
61 Plut., Ant., 20.3-4, dont : « Lorsque ces dépouilles lui furent apportées, il les contempla avec plaisir et, dans sa joie, éclata de rire à plusieurs reprises ». Voir aussi Plut., Cic., 48-49, et D.C., Hist. Rom., 47.8.3-4. Pelling 1988, p. 167-168 y voit un « pure melodrama, and hard to believe ». La portée rituelle put être importante, comme le cas de Crassus après Carrhes le laisse penser : la main étant un symbole du pouvoir souverain, la séparer du corps était un moyen d’annihiler la puissance du défunt, jusque dans l’au-delà. De surcroît, la main droite était, pour les Romains, celle du serment et de la fides : la couper revenait à juger le défunt comme impie et irrespectueux des serments.
62 Ce fut peut-être le cas d’Appien (Borgies 2016, p. 151-155).
63 Hinard 1985, p. 303-312 puis 2011 [2006]. Traina 2014, p. 98 parle de « politique-spectacle » pour la mort de Cicéron.
64 Hinard 1985a, p. 116-120, donnant globalement foi au récit de Plutarque, conclut pour 43 au chiffre total de 520 victimes, sénateurs et chevaliers confondus, dans des proportions mal connues.
65 Achard 1991, p. 111-117 et Osgood 2006b, p. 535.
66 Vell., Hist. Rom., 2.71.2 : « Quant à Varron, sur le point de mourir sous les railleries d’Antoine (Varro ad ludibrium moriturus Antonii), il lui prédit avec une grande hardiesse une fin digne de lui et qui se réalisa effectivement ». Le terme de ludibrium signifie « dérision insultante », « outrage » ou « sarcasme », mais n’a pas nécessairement un sens humoristique et pourrait ici revêtir un sens physique. L’auteur du mot fut sans doute M. Terentius Varro Gibba, défenseur de M. Saufeius (meurtrier supposé de Clodius) en 52, questeur en 46 et trib. pl. 43. Hinard 1985, p. 528-529 y voit M. Terentius Varro Lucullus, mort à Philippes ou peu après. Antoine aurait mis à mort le dénommé Varro alors que ce dernier avait publié un document pour se démarquer d’un autre Varro, affiché sur la liste des proscrits (D.C., Hist. Rom., 47.11.3-4). Antoine tuant finalement « l’autre » Varro, la plaisanterie tourna peut-être autour de ce thème (Woodman 1983, p. 172).
67 L’anecdote provient d’un auteur d’époque tibérienne et favorable à Auguste, qui démontre la cruauté d’Antoine en même temps qu’elle prophétise sa chute treize ans avant qu’elle n’intervienne effectivement.
68 Osgood 2006b, p. 530-534.
69 Proscrit puis gracié, Messala rejoignit les Républicains à Philippes, se rallia à Antoine puis à Octavien (Tansey 2007 et les remarques de Landrea 2013).
70 Quint., Inst. Or., 6.3.110-111 : « D’Asinius Pollion, qui s’adaptait également aux affaires sérieuses et aux plaisirs, on disait qu’il était un homme de toutes les heures (esse eum omnium horarum) ».
71 Sur Pollion, André 1949, Bardon 1956, p. 80-81 et Morgan 2000. Sur son parcours, Bosworth 1972 et Ledentu 2009, p. 34-36.
72 Macr., Sat., 2.4.21 : « Sous le triumvirat, Pollion, contre qui Auguste avait composé des vers fescennins, déclara : “Moi, je me tais ; car il n’est pas facile d’écrire contre qui peut proscrire” » (« At ego taceo. Non est enim facile in eum scribere qui potest proscribere »).
73 Hawkins 2017, p. 129-131 et 136 sur ce bon mot révélateur de la transition politique à l’époque triumvirale.
74 Pollion était alors légat d’Antoine et fut envoyé par son chef négocier avec Octavien (Ferriès 2007, p. 338).
75 Il avait rallié Plancus à la cause antonienne en 43, ouvrant la voie à la coopération politique d’Octavien. Il fut légat en Cisalpine en 42 puis consul deux ans plus tard (Ferriès 2007, p. 335-341).
76 Plin., HN, Praef. 31 : Nec Plancus inlepide, cum diceretur Asinius Pollio orationes in eum parare, quae ab ipso aut libertis post mortem Planci ederentur, ne respondere posset : « cum mortuis non nisi laruas luctari ». Quo dicto sic repercussit illas, ut apud eruditos nihil impudentius iudicetur.
77 Le mot daterait d’avant 22, année de la censure de Plancus, lors de laquelle il disparaît des sources. Ces discours furent peut-être une des sources sur laquelle s’appuya Velleius pour critiquer Plancus.
78 Vell., Hist. Rom., 2.83 : « Antoine a fait bien des choses la veille du jour où tu l’as quitté ! » (supra chap. II).
79 Sur l’importance de cette révélation et l’usage politique qu’en fit Octavien, Montlahuc 2010, p. 330-332.
80 Broughton 1951-1986, II, p. 337 et 356.
81 Sur son parcours, Massimi 1984 et 1985, Ferriès 1996, p. 78-90 et 2007, p. 487-491 (no 142), Rohr Vio 2009.
82 Gell., Noct. Att., 15.4.3 : … ut uulgo per uias urbis uersiculi proscriberentur : « concurrite omnes augures, haruspices ! portentum inusitatum conflatum est recens : nam mulos qui fricabat, consul factus est ». Cocchia 1925, p. 85-86, Morel 1963, p. 93 et Courtney 1993, p. 471. Le verbe frico signifiait « branler », ce qui faisait de Ventidius « celui qui branle les mules » (Adams 1982, p. 184).
83 Il n’était pas un simple « muletier », mais plutôt un entrepreneur qui officiait dans le domaine des transports.
84 « Consul factus est », formule canonique, signifiait « est devenu consul » mais aussi « a été fait consul », ce qui put alimenter le jeu de mots. Notons, sans surinterpréter la chose, que le texte use du verbe proscribere.
85 Railler un métier s’accordait mal avec la fierté sociale des plébéiens et ne pouvait pas être la signature d’auteurs issus du peuple modeste de Rome. En revanche, la mention des origines de l’adversaire et d’un métier jugé infamant se rencontre fréquemment dans le jeu de la critique aristocratique (Courrier 2014, p. 839).
86 Cic., Phil., inconnue : Mulionem Ventidium… (Ferriès 1996, p. 79 n. 2). Le thème fit florès et fut réutilisé contre Vespasien (Suét., Vesp., 4.6 : infra chap. VIII).
87 Cic., Fam., 10.18.3 (envoyée d’un camp proche de l’Isère, le 18 mai 43) : Ventidique mulionis.
88 Vell., Hist. Rom., 2.67.4 : « C’est de Germains, non de Gaulois que triomphent les deux consuls » (supra chap. IV).
89 Le terme ciuium utilisé par Velleius est ambigu et peut être compris comme un génitif objectif ou subjectif : soit les soldats étaient responsables, comme leurs généraux, de la mauvaise situation des citoyens, soit ils s’associaient à la critique des citoyens envers l’action des généraux.
90 App., B.C., 4.31, Hinard 1985, p. 304-305 et Allély 2004, p. 125.
91 Sur les détails pratiques et l’impact des confiscations triumvirales, Ferriès 2013.
92 Contra Baroin 2005, p. 111-112, qui relève toutefois à juste titre que l’anecdote montre une sorte de conquête culturelle du monde grec et du succès de ses goûts à Rome.
93 Suét., Aug., 70.3-4 : ... Nam et proscriptionis tempore ad statuam eius ascriptum est : « Pater argentarius, ego Corinthiarius », cum existimaretur quosdam propter uasa Corinthia inter proscriptos curasse referendos. Trad. CUF modifiée.
94 La phrase, traduite littéralement, pourrait être : « Mon père était argentier, moi vainqueur des Corinthiens ». Néanmoins, nous peinons à voir la pertinence d’une telle traduction dans le contexte de luttes politiques. GFL, p. 107 sur la difficulté de cette traduction.
95 Courtney 1993, p. 475 et D’Hautcourt 1997, p. 803.
96 Borgies 2016, p. 71-73.
97 D’Hautcourt 1997, p. 808-810.
98 Hurlet 2015a, p. 33 note, avec un certain découragement, que les rumeurs et calomnies « étaient également invérifiables dès l’époque même où elles furent émises et à ce titre inexploitables par l’historien ».
99 Plin., HN, 34.6. Verrès était amateur de bronze (voir l’épisode du sphinx commenté supra chap. II).
100 C’est l’explication astucieuse d’Hinard 1985, p. 543.
101 Borgies 2016, p. 449-450 sur l’aspect « populaire » de ce graffito, influencé par les thèmes de la uituperatio.
102 Gabba 1993, p. 127-131.
103 Eckert 2016 sur le « cultural trauma » lié à cette proscription, jusqu’à l’époque de Pline l’Ancien au moins.
104 Plut., Cic., 27.6 : « Faustus, fils du fameux Sylla qui avait détenu le pouvoir monarchique à Rome et fait afficher le nom de tant de citoyens promis à la mort, s’était endetté et avait dissipé une grande partie de sa fortune ; il fit annoncer par affiches la vente aux enchères de ses biens. “J’aime mieux ses affiches, dit Cicéron, que celles de son père” » (« μᾶλλον αὐτῷ τὴν προγραφὴν ἀρέσκειν ἢ τὴν πατρῴαν »). Idem chez Plut., Reg. et Imp. Apopht., 205 C. Faustus Sylla, le plus riche des Quirites, savait manier le « faire rire » : « Faustus, fils de Sylla, dont la sœur avait en même temps deux amants, Fulvius fils d’un foulon et Pompeius surnommé Macula [“la Tache”], dit : “Je m’étonne que ma sœur conserve une tache alors qu’elle dispose d’un foulon” » (Macr., Sat., 2.2.9).
105 Il serait a priori tentant de dater ce mot de 66, lorsqu’un tribun (inconnu) attaqua Faustus pour le forcer à restituer les biens que son père avait prélevés sur les proscrits. Toutefois, le procès échoua et Faustus conserva ses biens, ce qui rend impossible cette datation (Hinard 1985, p. 189-195). En 52, la Curia Hostilia avait été incendiée par les partisans de Clodius et, comme elle avait été restaurée par Sylla lors de sa dictature, le Sénat demanda à son fils Faustus d’en assurer la nouvelle restauration (D.C., Hist. Rom., 40.50.2). Cela lui coûta beaucoup et expliquerait ses difficultés financières, le conduisant à vendre ses biens.
106 Voir les récits éloquents d’App., B.C., 1.95.443 et Oros., Hist., 5.21.4.
107 Plut., Syll., 31.10-12. Sur les spoliations lors de la première proscription, Hinard 1985, p. 51-52 et 85-87.
108 Diod., Frag., 38.19.
109 Sur les lieux d’exécution dans la cité et leur visibilité, Hinard 2011 [1987], p. 336-343.
110 Certaines exécutions judiciaires comprenaient d’ailleurs un jeu de rôle mettant en scène le trépas à venir du condamné, sous forme de devinettes ou de conversations (Coleman 1990 sur ces « fatal charades »).
111 La violence du rire n’excluait pas la violence physique (Guérin 2009a, p. 236-237) et on peut évoquer le cas de Jugurtha, brutalement enfermé dans le cachot du Tullianum en 104 a.C. et qui « l’esprit troublé, dit avec un rire sardonique (διασεσηρώς) : “Par Hercule, que vos thermes sont froids” » (Plut., Mar., 12.4). Le cachot avait la forme d’une étuve de bain romain creusée dans la roche et ouverte par une bouche d’air à son sommet, ce qui explique le bon mot.
112 Schulten 2002, p. 224 rappelle que les moqueries des Anciens contre la mort relevaient de ce procédé de protection mentale assortie d’une forme de déni et le Philogelos contient nombre de plaisanteries sur la mort (Beard 2014, p. 197). Pour des considérations générales sur le rire de protection, Charrin 2013, p. 17-29.
113 Martin 1994, p. 395-400.
114 Suét., Aug., 7.3 : « M. Antoine, dans ses lettres, l’appelle souvent Thurinus, en manière d’injure (per contumeliam), et Octave se borne à lui répondre qu’il est surpris de se voir jeter comme une insulte son premier nom ». Borgies 2016, p. 80-84.
115 Suét., Aug., 2.6.
116 Suét., Aug., 4.3.
117 Cova 1992 et Ferriès 2007, p. 364-365 (no 36).
118 Suét., Aug., 4.4 : « Cassius de Parme, dans l’une de ses lettres, le taxe d’avoir eu pour grands-pères non pas seulement un boulanger, mais aussi un changeur de monnaies, voici en quels termes : “Ta farine maternelle provient du plus grossier moulin d’Aricie, et c’est un boutiquier de Nerulum qui l’a pétrie de ses mains noircies au contact de l’argent” » (« Materna tibi farina est ex crudissimo Ariciae pistrino ; hanc finxit manibus collybo decoloratis Nerulonensis mensarius »). Trad. CUF légèrement modifiée. « Collybus » renvoie à la fois à une petite pièce et à un gâteau rond (Borgies 2016, p. 64).
119 La forme verbale « finxit » utilisée par Suétone pourrait signifier « engendrer », ce qui ferait du mensarius le père d’Atia. Elle peut aussi être traduite par « pétrir », voire « peloter », ce qui renverrait alors à C. Octavius, le père d’Octavien. Borgies 2016, p. 63-67 résume utilement ces débats.
120 Suétone parle d’un nummularius et Cassius de Parme d’un mensarius, terme à la valeur péjorative de « boutiquier » renvoyant à des origines grecques et serviles (Andreau 1987, p. 432).
121 Ferriès 2007, p. 365.
122 Borgies 2016, p. 70.
123 Andreau 1987, p. 182-184 et 431-436, D’Hautcourt 1997 et Cébeillac-Gervasoni 1998, p. 174.
124 Louis 2010, p. 98-100 résume la démonstration d’Andreau.
125 Andreau 1987, p. 436 note que Suétone place les attaques d’Antoine en fin de paragraphe et y voit une possible volonté de ne pas leur accorder crédit. Toutefois, D’Hautcourt 1997, p. 805 relève que Suétone présentait souvent la version des opposants à Octavien en fin de paragraphe.
126 Plut., Cic., 26.5 : … πρὸς τοῦτον ἔν τινι δίκῃ λέγοντα τοῦ Κικέρωνος μὴ ἐξακούειν « καὶ μὴν οὐκ ἔχεις » εἶπε « τὸ οὖς ἀτρύπητον ». Idem chez Plut., Reg. et Imp. Apopht., 205 B et Prop. de Tabl., 631 D.
127 Les oreilles percées renvoient aux populations asiatiques (Xén., An., 3.1.31 et Juv., Sat., 1.102-105).
128 Macr., Sat., 7.3.7 : « Octave, qui passait pour être d’origine noble, dit un jour à Cicéron, qui lisait en sa présence : “Je n’entends pas ce que tu dis”. – “Cependant, lui répondit celui-ci, je te savais les oreilles bien ouvertes” : ce qui faisait allusion à l’opinion d’après laquelle Octave aurait été originaire de Libye, où c’est l’usage de percer les oreilles » (infra chap. VII pour le commentaire du passage).
129 Alföldi et Giard 1984, Amelia Valverde 2003 et, plus généralement, Zanker 1990 (1987), p. 33-37. Sur le rapport entre Octavien et le diuus Iulius, voir les références données par D’Hautcourt 1997, p. 808 n. 55 et 56.
130 Suét., Aug., 70.1-2 : Cena quoque eius secretior in fabulis fuit, quae uulgo δωδεκάθεος uocabatur ; in qua deorum dearumque habitu discubuisse conuiuas et ipsum pro Apolline ornatum non Antoni modo epistulae singulorum nomina amarissime enumerantis exprobrant, sed et sine auctore notissimi uersus : « Cum primum istorum conduxit mensa choragum, Sexque deos uidit Mallia sexque deas, Impia dum Phoebi Caesar mendacia ludit, Dum noua diuorum cenat adulteria, Omnia se a terris tunc numina declinarunt, Fugit et auratos Iuppiter ipse thronos ». Auxit cenae rumorem summa tunc in ciuitate penuria ac fames adclamatumque est postridie : « omne frumentum deos comedisse et Caesarem esse plane Apollinem, sed Tortorem », quo cognomine is deus quadam in parte urbis colebatur. Cresci Marrone 2002, Louis 2010, p. 451-454 et Borgies 2016, p. 175-178.
131 Scott 1933, p. 29-32, Virlouvet 1985, p. 53, Slater 2014, p. 297 : la crise frumentaire alimenta l’impopularité d’Octavien, qui refusait de traiter avec Sextus Pompée.
132 Flory 1988 et Osgood 2006a, p. 236-237.
133 Sur les stratégies matrimoniales d’Octavien-Auguste, Rohr Vio 2016.
134 Selon D.C., Hist. Rom., 48.44.2, Octavien aurait consulté les pontifes pour s’assurer de la validité du mariage. Sur la présence de Livie et son rapport avec la datation de l’épisode, Cresci Marrone 2002, p. 31-32.
135 Suét., Claud., 1.1 : « On soupçonna qu’il [Drusus, père de Claude] naquit d’une relation adultère avec son beau-père. En tout cas, un vers fit immédiatement florès : “Avec de la chance, on a même des enfants en trois mois” » (Statim certe uulgatus est uersus : Τοῖς εὐτυχοῦσι καὶ τρίμηνα παιδία).
136 Welch 2012, p. 294-299.
137 Scott 1933, p. 32 puis Osgood 2006a, p. 239-240, qui évoque les monnaies à l’effigie d’Apollon.
138 Gagé 1955, p. 485-488.
139 Plancus fut à la cour des « inimitables » de 35 au milieu de l’année 32, ce qui annihile l’argument de Scott.
140 Virlouvet 1985, p. 16-17.
141 Gosling 1987.
142 Palombi 1997, p. 148-149 contra Gagé 1955, p. 487, Courtney 1993, p. 474, Osgood 2006a, p. 238 et Slater 2014, p. 299. Louis 2010, p. 453 reprend l’hypothèse de Verdière 1972, p. 294 n. 2, qui lisait le nom de Mania, divinité dégoutée du spectacle offert par Auguste.
143 Hinard 1985, p. 492.
144 Retenue par Courrier 2014, p. 834-835, ignorée de Borgies 2016, p. 176-177.
145 Cupaiuolo 1993, p. 52-60. Il s’agissait peut-être d’une parodie de lectisternium (Courtney 1993, p. 473). Les débats sur la transcription du poème portent sur l’usage du terme grec thronus au lieu du latin solium mais cela ne remet pas en cause l’anecdote (Slater 2014, p. 298 n. 19).
146 Scott 1933, p. 31 y voit la marque de Cassius de Parme, mais aucun texte ne vient accréditer l’hypothèse. Cova 1992, p. 65-70 note que la présence d’homonymes de Cassius (de Parme) a pu aboutir à ce qu’on lui attribue abusivement nombre d’écrits et la piste d’auteurs anonymes proches d’Antoine ne peut être écartée (Ruffell 2003, p. 45). Les hypothèses d’un poème écrit par un catullien ou d’un écrit de jeunesse d’Ovide ont même parfois été évoquées (Louis 2010, p. 452).
147 Après Bruun 2003, p. 80 et Courrier 2014, p. 834-835, Borgies 2016, p. 177 note aussi cette diffusion rapide.
148 Pavon 2007, p. 381.
149 Cresci Marrone 2002, p. 29-30 sur la porosité entre l’épisode « privé » et la sphère « publique ».
150 Huet 2008, p. 153 affirme le fait, sans toutefois le discuter.
151 Il se trouvait sans doute dans la regio IV (Templum Pacis). Les Régionnaires mentionnent le uicus Sandaliarius près des horrea Chartaria et la liste positionne le uicus après le Bucinum et avant le Templum Telluris, les horrea Chartaria et le Tigillum Sororium (LTUR vol. V, p. 189 [Coarelli], Lott 2004, p. 144 et Marroni 2010, p. 63). Il s’agirait de la rue partant du milieu du côté sud-est du Templum Pacis et longeant le côté nord-est de ce temple (Richardson 1992, p. 14, 427). Le uicus serait plus largement la partie nord de la Via del Colosseo, soit la rue allant du Tigillum Sororium vers les Carènes et Subure (Platner – Ashby 1929, p. 577). Le uicus Sandaliarius se situerait donc entre la porticus Absidata et le Tigillum Sororium, soit entre les Carènes et l’Esquilin, près du temple de Tellus (LTUR vol. I, p. 57 [Coarelli]). Le quartier fut occupé par de nombreux libraires à l’époque impériale (Gell., Noct. Att., 18.4.1, Galen., Libr. prop., Kuhn 19, p. 8, praenot., 4-5, Kuhn 14, 620, 625) et put s’étendre autour de l’Argiletum, du Templum Pacis et du Forum Transitorium, quartiers connus de librairies (Mart., Epigr., 1.3.1-2, 1.2.8). Rose 1997 propose quant à lui de localiser le uicus dans Subure, près du Forum Augusti, s’appuyant sur une étude de l’iconographie de l’autel dédié aux lares d’Auguste, situé initialement dans le uicus Sandaliarius et datable de 2 a.C. Malgré ces hypothèses, le uicus ne peut être situé précisément et la carte de D. Palombi (LTUR, vol. IV) ne localise pas le uicus au sein de la regio IV.
152 L’une de 2 a.C. (CIL VI, 448 = ILS 3614) se trouve sur un autel dédié aux lares d’Auguste : l’iconographie rappelle des événements militaires ou politiques en lien direct avec la dynastie impériale inaugurée par Auguste, comme en témoigne la présence de Livie, de Gaius et d’une Victoire. En dédiant cet autel l’année du consulat de Gaius et de son entrée dans la vie publique sous l’égide du princeps, les magistrats du uicus rappelaient la dédicace du temple de Mars Ultor par Auguste la même année, démontrant leur loyauté envers la famille d’Auguste (Lott 2004, p. 125-126, 144-145 pour des illustrations de l’autel mentionné, 193 pour l’inscription). L’autre inscription, datable de 12 p.C. (CIL VI, 761 = ILS 3308) consacre une statue de Stata Fortuna (Lott 2004, p. 202-203). Les deux inscriptions ne fournissent pas d’indications précises de localisation, car elles n’ont pas été retrouvées in situ. Une troisième inscription sur marbre, plus tardive, a été retrouvée à Rome près de l’église S. Eusebio et mentionne un empereur associé à l’Apollo Sandaliarius (Bull. Comm., 1877, p. 162, n° 35). L’inscription, mutilée, fait état d’un empereur ayant porté le surnom d’Arabicus, ce qui laisse à penser que la dédicace fut réalisée sous Septime Sévère, Caracalla ou, moins probablement, sous Constantin. Néanmoins, elle n’est pas non plus précisément localisable.
153 Miller 2009, p. 15-16. Déjà Jordan – Hülsen 1907, p. 329, suivi par Chastagnol 1960, p. 250.
154 Sandaliarius signifie « cordonnier » et le nom du uicus provient vraisemblablement de la présence de gens de cette profession dans le quartier lorsque le nom du lieu fut adopté. La concentration de cordonniers dans le quartier poussa sans doute Auguste à élever dans le uicus une statue à l’Apollon Sandaliarius afin d’entretenir de bonnes relations avec les plébéiens, grâce aux étrennes (streniae) prélevées le 1er janvier (Suét., Aug. 57.9). Il se peut également que la statue en question ait représenté un Apollon liant ses sandales, figure sculpturale attribuée à Lysippe, et que le uicus ait tiré son nom de cette statue. Marroni 2010 (p. 61) rappelle que les deux origines étymologiques de la statue (et non du uicus) peuvent être complémentaires.
155 Mart., Epigr., 2.17.1-3 puis Pavon 2007, p. 377-381 et 382 n. 34. Cependant, l’auteur suppose que Martial mentionne l’endroit où vivent les tortores et non le lieu où la torture était pratiquée (Pavon 2007, p. 383, ignoré par Marroni 2010, p. 64). L’épiclèse Tortor pourrait aussi venir du mythe de Marsyas, torturé et tué après sa défaite à un concours de chant (Miller 2009, p. 28).
156 À l’époque impériale, les travaux pour la construction du Forum Transitorium firent déplacer artisans et boutiquiers vers la périphérie et les libraires passèrent du quartier de l’Argilète (rendu difficilement praticable) au uicus Sandaliarius (Morel 1987). Ainsi, le quartier des cordonniers était devenu celui des libraires après qu’Apollo Sandaliarius est redevenu la divinité majeure du uicus Sandaliarius.
157 Il y aurait appris à s’épiler les jambes avec des noix chaudes pour avoir les poils doux (Suét., Aug., 68.1). Sur Hirtius, Nicolet 1974, p. 912-913 et Broughton 1951-1986, II, p. 334-336.
158 Suét., Aug., 68.2 : Sed et populus quondam uniuersus ludorum die et accepit in contumeliam eius et adsensu maximo conprobauit uersum in scaena pronuntiatum de gallo Matris deum tympanizante : Videsne, ut cinaedus orbem digito temperat ? Trad. CUF modifiée. Louis 2010, p. 448.
159 Sur les aspects symboliques du cercle à Rome, Arnaud 1984.
160 Louis 2010, p. 446-448 propose, après d’autres, de dater l’attaque d’Antoine de l’année 44. Les conditions d’expression rendent la chose plausible, mais n’excluent pas une attaque portée en 43. L’attaque de Lucius sur Hirtius en 43 pose problème puisque le consul ne s’est visiblement pas rendu en Espagne en 43. Il y alla avec César en 49, à un moment où Octave n’y était sans doute pas : on pourrait ainsi conclure à une invention de Lucius ou bien distinguer la date d’un possible séjour (inconnu) et celle du brocard (Courrier 2014, p. 836).
161 Scott 1933, p. 24 et n. 2 (peu suivi, sauf par Carter 1982, p. 190, qui situe l’anecdote entre 41 et 39). L’anecdote pourrait également concerner Auguste, même si cela correspond plus difficilement au portrait général que Suétone dresse du prince.
162 Nicolet 1976, p. 486-487.
163 Sur le poids des rumeurs dans les luttes propagandistes entre Octavien et Antoine, Borgies 2016, p. 456-459.
164 Sur Fulvia, Ferriès 2007, p. 405-408 (no 71), p. 324-327 (no 9), Roddaz 1988 sur le consul philorépublicain L. Antonius.
165 Gabba 1971, Roddaz 2000, p. 858-864 et Benedetti 2012, p. 39-42. Sur l’enjeu des vétérans, Keppie 1983.
166 Traina 2003, p. 63-78 et Ferriès 2007, p. 178-201 sur la division des Antoniens.
167 Mart., Epigr., 11.20 : Caesaris Augusti lasciuos, liuide, uersus. Sex lege, qui tristis uerba Latina legis. « Quod futuit Glaphyran Antonius, hanc mihi poenam. Fuluia constituit, se quoque uti futuam. Fuluiam ego ut futuam ? Quod si me Manius oret. Pedicem ? Faciam ? Non puto, si sapiam. Aut futue, aut pugnemus ait. Quid quod mihi uita. Carior est ipsa mentula ? Signa canant ! ». Absoluis lepidos nimirum, Auguste, libellos. Qui scis Romana simplicitate loqui. Trad. CUF revue afin de se rapprocher de celle de D. Vallat (Borgies 2016, p. 229). Pour un commentaire du livre 11 des Épigrammes de Martial, voir Kay 1985.
168 Gabba 1970, p. XLIII-XLIV, Delia 1991, p. 205 et Galinsky 1996, p. 372. Antoine était à Athènes durant l’hiver 42-41, avant d’installer sur le trône de Cappadoce le roi Sisinna, fils de Glaphyra, peut-être alors sa maîtresse. Son idylle avec la reine dut s’interrompre en 41, au moment de sa rencontre avec Cléopâtre à Tarse : il passa l’hiver 41-40 à Alexandrie.
169 Hallett 1977, p. 163.
170 Pour Scott 1933, p. 25, le style de l’épigramme n’était pas sans rappeler (à nouveau !) Cassius de Parme.
171 La guerre de Pérouse est perçue, par Plut., Ant., 30 et d’autres, influencés par la propagande d’Octavien, comme une manœuvre de Fulvia pour capter l’attention d’Antoine, alors avec Cléopâtre en Orient (Delia 1991).
172 Ainsi Vell., Hist. Rom. 2.74.3, influencé par la propagande augustéenne. Pour un jugement similaire, Flor., Epit., 2.16 (4.5.) 2. Sur le mélange entre capacités masculines et défauts féminins chez Fulvia, Hemlrijk 2004, p. 192-193 puis Rohr Vio 2015 sur son rôle de chef d’armée. Sur le rôle politique des femmes de l’aristocratie romaine à l’époque triumvirale, Cluett 1998.
173 Sur Manius, accusé par Octavien et Antoine d’être responsable du conflit, alors que son rôle fut sans doute secondaire, Ferriès 2007, p. 431-432 (no 94).
174 Borgies 2016, p. 271.
175 Cantarella 1988, p. 206.
176 La valeur prophétique du poème expliquerait son succès et sa longévité, selon Hallett 1977, p. 161. La lex Iulia de adulteriis de 17 a.C. encourageait la natalité, prévoyant l’exil et la défense de commercer pour les coupables.
177 Hallett 1977, p. 159 : cela coïncide avec l’émergence du thème du Diuus Iulius.
178 Cantarella 1988, p. 205 : « Con l’immagine del dominatore politico, egli acquistò anche quella del conquistatore di donne ». Havener 2016 sur la construction discursive de sa persona militaire par Auguste.
179 Ces balles, évoquées par App., B.C., 5.36 dans le cas de Pérouse, furent également utilisées lors d’autres affrontements civils, tel ceux d’Espagne en 45 (Jal 1963, p. 335-336, Díaz Ariño 2005, Pina Polo – Zanier 2006).
180 Zangemeister 1885, p. 52-80, CIL XI (6721.1 à 40) et ILLRP (1106-1118). Hallett 1977, Rosen 1976, Keppie 1984, p. 123-125 et Borgies 2016, p. 454-456. Benedetti 2012 s’attache au commentaire épigraphique des balles.
181 Le terme de glans renvoie d’ailleurs à la fois à la balle de jet et au gland du pénis.
182 Benedetti 2012, p. 47-129 (et les images dans Keppie 1984, p. 124).
183 Le terme landicam (« clitoris ») semble approprié, même s’il est rarement attesté (Adams 1982, p. 97-99).
184 Benedetti 2012, p. 72-73. On pourrait retenir la restitution d’Octauia[ni], ce qui renverrait alors à la sœur d’Octave. Toutefois, considérant qu’Octave n’est presque jamais nommé Octavien, il est préférable d’y voir Octauia[i], en référence aux pratiques sexuelles d’Octavien.
185 Zangemeister 1885, p. 35, suivi par Benedetti 2012, p. 72.
186 Sede serait adressé à la balle mais peut signifier culus (Zangemeister 1885, p. 58 et Benedetti 2012, p. 70).
187 Graffito en partie cursif (Zangemeister 1885, pl. 9.1).
188 Caluus renvoie à la passivité sexuelle entre hommes (Benedetti 2012, p. 74-75) et « Caesaris » est ici remplacé par Caesarus, forme de latin populaire (lisible également dans CIL IV, 2440).
189 Hallett 1977, p. 154-160.
190 App., B.C., 5.48-49, et Suét., Aug., 15.
191 Plut., Ant., 32.4-6 : « Comme Antoine lui demandait où se déroulerait le dîner, [Sextus] répondit, en montrant son navire amiral, qui avaient six rangs de rameurs : “Ici, puisque c’est la maison paternelle qu’on a laissé à Pompée”. Ces mots visaient Antoine qui occupait la maison de Pompée, le père de Sextus. […] Pendant que la réunion battait son plein et que les plaisanteries sur Cléopâtre et Antoine fusaient de tous côtés (καὶ τῶν εἰς Κλεοπάτραν καὶ Ἀντώνιον ἀνθούντων σκωμμάτων), le pirate Ménas s’approcha de Pompée… ». Guilhembet 1992 (Annexe A pour les autres sources de l’épisode : Vell., Hist. Rom., 2.77, D.C., Hist. Rom., 48.38, Flor., Epit., 2.18.4 (4.8) et Ps. Aur.-Vict., Vir., 84). La domus de Pompée appartenait à sa gens depuis une date inconnue et constituait un avatar urbain de la personnalité politique de Pompée : s’en emparer revenait à affaiblir le statut du personnage (sur ce phénomène en général, Guilhembet 1995, p. 435-568). Après la mort de Pompée, la domus fut acquise (après confiscation) par Antoine puis habitée par celui-ci, ce qui indigna Cicéron (Cic., Phil., 2.68). Ce transfert de propriété eut de fortes résonances politiques et put revêtir de l’importance pour Sextus. La confiscation fournit alors l’occasion à Sextus d’adresser ce mot à Antoine, d’autant plus habile que la domus put être pourvue de rostres décoratifs (Guilhembet 1992, p. 810-815 et 2005, p. 58 n. 28, repris par Palombi 1997, p. 141 contra Jolivet 1983, p. 119-121 qui propose d’identifier la maison rostrale à celle des jardins de Pompée). Si l’on accepte cette dernière hypothèse, le jeu de mots de Sextus revêtait alors une signification politique, synthétisant le thème de la confiscation de la domus et la symbolique de la mission prévue pour Sextus par les accords de Misène, soit celle de purger la mer des pirates et de ravitailler la Ville.
192 Borgies 2016, p. 469 sur les années 42-36 : « L’affrontement propagandiste s’amenuise, devient plus implicite et plus difficile à cerner dans les sources, mais ne cesse pas ».
193 Octavien reprocha à Antoine la mise à mort de Sextus lorsque les relations entre les deux hommes se refroidirent après 35, et l’épisode a fait l’objet de multiples récupérations politiques (Montlahuc 2014).
194 Octavien avait divorcé de Scribonia, parente de Sextus, dès 39, alors qu’il l’avait épousée après l’entente de Misène, ce qui place le début théorique du retour du conflit avec Sextus à ce moment, même si la « guerre de Sicile » ne débuta que plus tard (Welch 2012, p. 261-291).
195 Suét., Aug., 70.4 : Deinde bello Siciliensi epigramma uulgatum est : Postquam bis classe uictus naues perdidit, Aliquando ut uincat, ludit assidue aleam.
196 Powell 2008, p. 98. Sur le thème de l’archipirate, Gowing 2002.
197 Suét., Aug., 71 et Courtney 1993, p. 475.
198 Sur un potentiel lien avec la propagande d’Antoine, Borgies 2016, p. 203 propose que l’épigramme ait été inscrite sur la même statue que celle concernée par le graffito « Pater argentarius, ego Corinthiarius ». L’hypothèse se fonde toutefois sur l’unique argument, trop fragile, de la cohérence interne du récit suétonien (sur ce dernier point, Flamerie de Lachapelle 2016, p. XXVII).
199 Scott 1933, p. 14 reprend une hypothèse qu’il ne peut pas, là non plus, prouver de manière décisive.
200 Borgies 2016, p. 253.
201 D.C., Hist. Rom., 50.1 et 50.2.1.
202 Ce sont les « donations d’Alexandrie » (Vell., Hist. Rom., 2.82.3, Plut., Ant., 54.4-9), qui relevaient sans doute du projet antonien de réorganisation de l’Orient (Herklotz 2012, p. 12 et Pelling 1988, p. 249-252). Antoine avait été trahi par le roi arménien lors de sa marche contre les Parthes en 36 et avait fait miroiter au traître une réconciliation. Ce dernier, piégé par Antoine qui le captura lors de leur rencontre, défila, prisonnier de chaînes d’or, lors de l’aduentus célébré par Antoine en 34 (Green 1997 [1990], p. 742).
203 Plut., Ant., 53.1-3. D.C. 49.33.4 lie l’épisode de la ruse contre le roi d’Arménie et la répudiation d’Octavie par Antoine, dominé par son amour pour Cléopâtre.
204 Plut., Ant., 55.4 : « … Μηδίαν γὰρ ἔχειν καὶ Παρθίαν αὐτούς, ἃς προσεκτήσαντο Ῥωμαίοις καλῶς ἀγωνισάμενοι μετὰ τοῦ αὐτοκράτορος. Trad. CUF légèrement modifiée. Pelling 1988, p. 252-253.
205 Cosme 2014, p. 29.
206 App., B.C., 5.95 (et Plut., Ant., 35.7) : Antoine avait prêté 120 navires à son collègue lors de la lutte contre Sextus Pompée. Octavien avait en 36 destitué Lépide, qui avait tenté de rallier les troupes siciliennes de Sextus, vaincu à Nauloque. Octavien avait récupéré les troupes de Lépide et lui avait pris l’Afrique, qui lui avait été confiée à Brindes en 40 (App., B.C., 5.31-32.123-126 et D.C., Hist. Rom., 49.12). Alors que les deux collègues restants devaient administrer ensemble l’Italie, vivier de recrutement de troupes (App., B.C., 5.65.275) resté hors de partage (D.C., Hist. Rom., 48.2), Antoine pouvait se plaindre que les légionnaires demandés contre les Parthes ne soient jamais arrivés en Orient (App., B.C., 5.96.396).
207 D.C., Hist. Rom., 50.1-8 : Octavien lui reprochait de gérer l’Égypte sans tirage au sort, d’avoir fait tuer Sextus Pompée sans lui accorder une mort digne, d’avoir usé d’un subterfuge qui ternissait l’image du peuple romain contre le roi d’Arménie, et le sort réservé à Octavie, conséquence de son lien avec Cléopâtre. Enfin, les enfants posaient problème, notamment Césarion, présenté comme le fils de César et potentiel rival d’Octavien.
208 Pelling 1988, p. 253.
209 Sur l’impact des lettres, pamphlets et discours échangés à ce moment, Borgies 2016, p. 307-312.
210 Sextus ayant été vaincu (35), Artavades fait prisonnier (34), les Parthes et les Illyriens-Dalmates calmés, Octavien entra en conflit contre les consuls antoniens de 32 avant d’accueillir dans ses rangs certains partisans d’Antoine, dont Titius et Plancus, protagonistes de l’affaire du testament (D.C., Hist. Rom., 50.2.2-3.5). Octavien utilisa ce document pour instiller l’idée selon laquelle Antoine souhaitait transférer la capitale de Rome vers Alexandrie (Ceauşescu 1976) et déclarer la guerre à Cléopâtre (Cosme 2014, p. 27-36). Vervaet 2009, p. 50-55 sur la date discutée de la fin officielle du triumvirat.
211 Sur cette bataille, voir désormais Cosme 2014.
212 La chronologie du séjour d’Octavien à Alexandrie est discutée par Skeat 1953 puis Grzybek 2007.
213 Plut., Ant., 80.1, D.C., Hist. Rom., 51.16.4 puis Pelling 1988, p. 310-312.
214 Ptolémée II Philadelphe avait fait déplacer à Alexandrie le sarcophage rapporté à Memphis, depuis Babylone, par Ptolémée Ier en 323. Ptolémée IV Philopator l’avait de nouveau déplacé pour le mettre dans le mausolée qu’il avait fait construire pour sa famille dans le palais royal (Hölbl 2001, p. 378-379 et Southern 1998, p. 145). Ce tombeau en forme de tumulus était un espace sacré (Luc., Phars., 8.694 puis Bernhardt 1956).
215 Strab., Geogr., 17.1.8.
216 Suét., Aug., 18.1 : … num et Ptolemaeum inspicere uellet, « regem se uoluisse ait uidere, non mortuos » ainsi que D.C., Hist. Rom., 51.16.5 : « βασιλέα ἀλλ´ οὐ νεκροὺς ἰδεῖν ἐπεθύμησα ». Carter 1982, p. 110-111 et Louis 2010, p. 183-184.
217 Selon Manuwald 1979, p. 261.
218 Une telle appréciation résultait de la propagande favorable à Octavien, présentant les Lagides sous leur plus mauvais jour avant de leur déclarer la guerre, et du traitement jadis réservé à Pompée (Luc., Phars., 8.696-697).
219 L’articulation précise entre la mort de Cléopâtre et la visite du tombeau est incertaine (Herklotz 2012, p. 12-13) : entré à Alexandrie le 3 août, Octavien a sans doute rencontré la reine le 10 août, peu avant son suicide le 12 (Skeat 1953, p. 100). Il est difficile de situer, dans ce laps de temps, la visite du tombeau et on ne peut savoir si le bon mot concernait également Cléopâtre, déjà morte, ou s’il ne s’agissait que d’évoquer la mort « politique » de la dernière des Ptolémées après Actium.
220 Ce rejet fut partiel et les décisions administratives d’Octavien consistèrent surtout à poursuivre l’œuvre des Lagides (Huzar 1988). On a même conservé un camée représentant Octavien en héritier des Ptolémées (Galinksy 1996, p. 114-115).
221 Les enfants de Cléopâtre « régnèrent » du 12 au 30 août. Coarelli – Thébert 1988, p. 789 : « Il ne s’agit pas, en fait, d’un simple hommage, mais d’une véritable passation de pouvoirs ». Sur les liens entre Alexandre et Auguste, Kienast 1969.
222 L’idée ancienne, mais peu retenue, d’une influence des tumuli italiques et des mausolées d’Halicarnasse et surtout d’Alexandre est réaffirmée par Coarelli – Thébert 1988, p. 788-789 (suivis par Gros 2001, p. 429).
223 Plut., Ces., 11.6, Suét., Ces., 7.1, App., B.C., 2.149-154 et Martin 1994, p. 310-315.
224 La cité de Xanthos, refusant de payer le tribut, fut ravagée : le roi de Cappadoce Ariobazane III fut mis à mort car il avait hésité à aider les Césaricides (App., B.C., 4.63, D.C., Hist. Rom., 47.33).
225 App., B.C., 5.4.15-5.25.
226 App., B.C., 5.5.21-6.27.
227 Plut., Ant., 24.7-9. Sur ce passage, voir Delrieux – Ferriès 2004, p. 63-66.
228 Cic., Fam., 13.56.1. Sur Hybréas, Marasco 1992a, p. 37-59 et Noé 1996, p. 51-64.
229 Strab., Geogr., 14.2.24 ; 13.4.5 et Val. Max., 9.14.2. Antoine maniait lui aussi l’asianisme (Calboli 1997).
230 Pelling 1988, p. 181, Marasco 1992a, p. 44-46 et Noé 1996, p. 57 n. 21.
231 Delrieux – Ferriès 2004, p. 65 n. 79 et 80 : Antoine avait demandé un montant exorbitant qui se justifiait plus en 33 qu’en 41 ? Dans les deux cas, ce montant était impayable et l’erreur des 200000 talents est imputable à une confusion de Plutarque ou à une mauvaise lecture de son manuscrit, mais ne rend pas l’intégralité du passage irrecevable. Hybréas n’était pas en mesure d’intervenir dès 41 car il n’était pas assez influent ? La citoyenneté reçue par César et Strab., Geogr., 14.2.24 démontrent qu’il était déjà un personnage important avant 41 (Sartre 2004 [2003], p. 268). De surcroît, si l’épisode avait eu lieu en 33, Hybréas n’était pas le choix le plus indiqué pour représenter les cités d’Asie, qui lui auraient sans doute préféré Zénôn de Laodicée, proche d’Antoine rendu célèbre par sa féroce résistance à Labienus.
232 Sur la condition prestigieuse d’Hybréas et des autres personnages cités, Sartre 2004 [2003], p. 269.
233 Sur ce comportement, qui illustrerait un « choix conscient de civilisation », voir Chamoux 1986, p. 274-275.
234 Erskine 1991.
235 Habicht 2006 [1999], p. 392-395.
236 IG II2 1043, l. 22-23 et Habicht 2006 [1999], p. 396.
237 D.C., Hist. Rom., 48.39.2.
238 Sén. le Rhet., Suas., 1.6 : Dixerunt despondere ipsos in matrimonium illi Mineruam suam et rogauerunt, ut duceret. Antonius ait ducturum sed dotis nomine imperare se illis mille talenta. Tum ex Graeculis quidam ait : « Kύριε, ὁ Ζεύς τὴν μητέρα σου Σεμέλην απροίκον είχεν ». Huic quidem impune fuit, sed Atheniensium sponsalia mille talentis aestimata sunt. Quae cum exigerentur, complures contumeliosi libelli proponebantur, quidam etiam ipsi Antonio tradebantur, sicut ille, qui subscriptus statuae eius fuit, cum eodem tempore et Octauiam uxorem haberet et Cleopatram « Ὀκταουία καὶ Ἀθηνα Ἀντωνίῳ. Res tuas tibi habe ».
239 Il suffisait d’une connaissance basique de l’alphabet grec pour déchiffrer les noms propres, puis de (re)connaître la formule stéréotypée du divorce ou de la répudiation (lisible chez Plaute : Trinum., 267, Amphitr., 928 ou Cas., 211) afin de saisir le sens du trait (Slater 2014, p. 294).
240 Agora inu., n° 3071 : Raubitschek 1946, p. 149, suivi par J. et L. Robert (Bull. Epig., 1948, no 55).
241 Ferriès 2007, p. 252-253 sur le rôle de Cléopâtre, 253-256 sur l’adhésion des Antoniens à ce thème.
242 Sén. le Rhet., Suas., 1.7 : « Comme les Athéniens demandaient du temps pour réunir la somme et n’en obtenaient pas, Dellius dit à Antoine : “Eh bien ! Réponds-leur qu’ils te paieront en une, deux ou trois échéances ; une par jour” » (« Et tamen dicito illos tibi annua, bienni, trienni die debere »). Le lieu où fut prononcé le bon mot ne peut être déterminé avec certitude et il se peut que ce fût l’intimité de l’entourage du chef ou lors de la tenue d’une séance publique de doléances. Sur le parcours chaotique de Dellius, « acrobate des guerres civiles », Ferriès 2007, p. 391-392 (no 60).
243 Kroll 1972, p. 98-100 et 1993, p. 85 (résumé par Hoff 1989, p. 273 n. 36).
244 Pelling 1988, p. 208-209 et 1996, p. 23 n. 99.
245 Tarn 1934, p. 53-54 rappelle que l’anecdote est rapportée dans les Suasoriae et doit ainsi être appréhendée avec prudence. Larsen 1938, p. 434 formule l’hypothèse d’une anecdote forgée a posteriori.
246 C’est surtout chez Plutarque que la répudiation d’Octavie est la cause principale de la rupture entre Antoine et Octavien (Pelling 1995, p. 148). Moreau 2005 note que l’Égypte servait de repoussoir symbolique aux Romains lorsqu’ils critiquaient les pratiques non romaines liées au mariage (ici dans un but politique).
247 L’usage du rire dans la Vie d’Antoine est discuté par Beck 2016, dans un article typologique et décevant.
248 Plut., Ant., 4.4-5 : … συμπράττων τε τοῖς ἐρῶσι καὶ σκωπτόμενος οὐκ ἀηδῶς εἰς τοὺς ἰδίους ἔρωτας. Suivent immédiatement des lignes sur la générosité d’Antoine (voir aussi Ant., 43.5).
249 Plut., Ant., 24.11 : Ἡ δὲ περὶ τὰς παιδιὰς καὶ τὰς ἐπισκώψεις ὕβρις ἐν αὑτῇ τὸ φάρμακον εἶχεν· ἀντισκῶψαι γὰρ ἐξῆν καὶ ἀνθυβρίσαι, καὶ γελώμενος οὐχ ἧττον ἢ γελῶν ἔχαιρε. Sur les stéréotypes dans cette partie du récit, Pelling 1988, p. 124-125. Sur l’opinion des soldats envers Antoine, Scuderi 1978.
250 Pol., Hist., 15.27.2-3 (supra chap. IV), D.C., Hist. Rom., 39.58 ou infra chap. VIII sur Vespasien.
251 Sur les 44 notices de ce chapitre, six relèvent du rire égalitaire : une concerne Sylla, les cinq autres Antoine.
252 Plut., Ant., 29.2-5 : … Οὐ μὴν ἀλλὰ προσέχαιρον αὐτοῦ τῇ βωμολοχίᾳ καὶ συνέπαιζον οὐκ ἀρρύθμως οὐδ’ ἀμούσως οἱ Ἀλεξανδρεῖς, ἀγαπῶντες καὶ λέγοντες ὡς τῷ τραγικῷ πρὸς τοὺς Ῥωμαίους χρῆται προσώπῳ, τῷ δὲ κωμικῷ πρὸς αὐτούς. Τὰ μὲν οὖν πολλὰ τῶν τόθ’ ὑπ’ αὐτοῦ παιζομένων διηγεῖσθαι πολὺς ἂν εἴη φλύαρος. Sur le rire des Alexandrins, Giangrande 1975, Fournet 2009, p. 51-56, et infra chap. VIII.
253 Scott 1933, p. 35.
254 Même après Actium, Antoine aurait déclaré vouloir imiter le misanthrope Timon, auteur de plaisanteries cruelles abandonné de tous (Plut., Ant., 70.1-7).
255 Fraser 1986 [1972], p. 130-131 pointe une différence structurelle (évidemment tendancielle) entre le IIIe s. a.C., temps des relations apaisées entre les rois et la population de la cité, et les deux siècles suivants, marqués par les émeutes urbaines et par une défiance mutuelle. Veïsse 2004 étudie les stratégies de reconquête de légitimité utilisées par les Lagides et évoque l’importance des épiphanies royales et des cérémonies de couronnement (p. 185-196).
256 Plut., Ant., 30.1 : « Pendant qu’Antoine s’occupait à ces sottises et à ces gamineries... » (Τοιαῦτα ληροῦντα καὶ μειρακιευόμενον).
257 Lui aussi tenait des banquets où les plaisanteries abondaient (Plut., Dem., 25.7).
258 Sur la théâtralisation dans les Vies d’Antoine et Démétrios, Pelling 1988, p. 21-22 et Brenk 1992a, p. 4375-4402. Sur l’approche psychologique de Plutarque, faisant d’Antoine un héros de tragédie, Scuderi 2006.
259 Chamoux 1986, p. 313.
260 Fraser 1957 republie l’inscription d’une base de granit datée de fin 34 (Dittenberger OGIS I, 195), dédiée par un certain Parasitos au dieu Antoine et aux « vivants inimitables » (devenue après Actium les « inséparables dans la mort » : Plut., Ant., 71). Le texte contient un jeu de mots sur l’expression « σύνοδος ἀμιμητοβίων », signifiant « l’amant inimitable » et le « foie inimitable » : « the ‘Inimitable Liver’ is dubbed the ‘Inimitable Lover’, and Antony, who appreciated witticisms about his love-affairs and whose own buffoonery was greatly enjoyed by the Alexandrians, was no doubt the first to laugh at this public joke at his expense » (Fraser 1957, p. 73). Sur ce document, Chamoux 1986, p. 325, Brenk 1992a, p. 4393 n. 104 et 1992b, p. 171.
261 Beck 2016, p. 145 est convaincu de cette interprétation, mais ne prend pas soin de la démontrer.
262 Plut., Ant., 24.12.
263 Plut., Ant., 24.12 (à la suite du passage cité dans le corps du texte) : « Il se laissa donc facilement prendre aux louanges, ignorant que certains mêlent la franchise à la flatterie… ».
264 Voir l’entrée « amis/amitié » du Dictionnaire Plutarque (éd. Gallimard des Vies Parallèles, 2001, p. 1952-1954).
265 Plut., Ant., 28.8-10 : « Un jour qu’un médecin prétentieux ennuyait les dîneurs, Philotas lui ferma la bouche avec le sophisme suivant : “À celui qui a un peu de fièvre, il faut donner de l’eau glacée ; or toute personne qui a de la fièvre a au moins un peu de fièvre ; il faut donc donner de l’eau glacée à toute personne qui a de la fièvre”. L’homme, abasourdi, resta sans voix et l’enfant, tout joyeux, se mit à rire ; désignant une table couverte de beaucoup de grandes coupes, il dit : “Philotas, je te donne tout cela”. Philotas accueillit aimablement cette attention, mais il était bien loin de croire qu’un enfant de cet âge eût la permission de faire de si grands cadeaux ».
266 Vell., Hist. Rom., 2.83.2 sur l’épisode de Glaucus, Plin., HN, 9.119-121 sur le « pari de la perle ».
267 Plut., Ant., 29.5-7 : … Ὡς δ’ ἔχειν πεισθεὶς ὁ Ἀντώνιος ἀνεῖλκε, γέλωτος οἷον εἰκὸς γενομένου, « παράδος ἡμῖν » ἔφη « τὸν κάλαμον αὐτόκρατορ τοῖς Φαρίταις καὶ Κανωβίταις βασιλεῦσιν· ἡ δὲ σὴ θήρα πόλεις εἰσὶ καὶ βασιλεῖαι καὶ ἤπειροι ». Voir le commentaire proposé dans l’édition Gallimard (2001, p. 1693 n. 138).
268 Brenk 1992a, p. 4422 interprète ce passage comme un fugace compliment de Plutarque sur la capacité de Cléopâtre à entretenir une conversation plaisante, ce qui contribua à séduire Antoine.
269 Plut., Ant., 29.1.
270 Plut., Ant., 62.5-6 : … ἡ μὲν Κλεοπάτρα σκώπτουσα « τί δεινόν » ἔλεγεν « εἰ Καῖσαρ ἐπὶ τῇ τορύνῃ κάθηται ; » Le lieu concerné serait la cité moderne de Parga. Brenk 1992a, p. 4418 sur l’engagement d’un combat naval pour satisfaire Cléopâtre.
271 Adams 1982, p. 23. Cela rendrait le passage de Plutarque cohérent d’un point de vue politique, même si le sens obscène du mot a pu échapper à l’auteur (Pelling 1988, p. 272).
272 Plut., Ant., 6.5.
273 Sur les Antoniens « compagnons de la vie inimitable », Ferriès 2007, p. 251-256.
274 Frazier 2000, p. 489-490 sur ce « trop grand amateur de fêtes ».
275 Plut., Syll., 2.3-5 : « Il n’est pas déplacé d’invoquer de tels arguments à propos d’un homme naturellement fort enclin à la plaisanterie (φιλοσκώμμονα) : encore jeune et inconnu, il passait son temps avec des mimes et des bouffons (μίμων καὶ γελωτοποιῶν), dont il partageait la vie de débauche. Lorsqu’il fut devenu maître absolu, il réunissait, chaque jour, les plus impudents des acteurs et des gens de théâtre, pour boire et faire assaut de railleries (καὶ διαπληκτίζεσθαι τοῖς σκώμμασι) avec eux. Cette conduite paraissait peu convenable pour son âge et, sans parler du déshonneur qu’il infligeait à la dignité de sa charge, elle le poussait à négliger de nombreuses affaires qui réclamaient ses soins. Il était impossible, lorsque Sylla dînait, de l’entretenir de rien de sérieux ». Pordomingo Pardo 1999 sur le banquet comme fiction littéraire plutarquienne.
276 Stadter 2001, p. 128-129. Sur le banquet comme spectacle du puissant, D’Arms 1999, Pagan 2006, p. 376-379 et Grandjean – Hugoniot – Lion 2013.
277 Ferriès 2007, p. 252 n. 92 et Marasco 1992b.
278 Pelling 1988, p. 197, repris par Brenk 1992a, p. 4348-4375 et Cizek 1993.
279 Sur l’adhésion de Plutarque à l’idéologie politique de Trajan et sur son rapport à Auguste, Stadter 2002.
280 Ferriès 2007, p. 256-259 sur les rapports avec Cléopâtre, 274-283 sur les vagues de défections.
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