Introduction
p. 1-31
Texte intégral
Contrôler et aménager l’espace territorial de Rome
1Le contrôle de l’espace constitue un enjeu fondamental pour Rome, qui au cours de son histoire passe du statut de petite cité du Latium à celui d’empire à la tête d’un territoire débordant largement les rives du bassin méditerranéen. Dans ce contexte, il était crucial que soient garanties la fluidité des échanges et la circulation des hommes, des biens et des informations, qui, à des niveaux variés – militaire, administratif, économique ou religieux –, s’avéraient stratégiques pour la cohésion et la prospérité d’un monde romain en expansion1.
2Outre des entreprises officielles d’exploration et de balisage territorial2, cet effort de maîtrise spatiale s’était surtout appuyé, dès les premiers temps des conquêtes romaines et pour des raisons originellement militaires, sur des opérations logistiques de grande ampleur, dont la responsabilité incombait à l’État romain, à l’échelle globale, provinciale ou locale. On pensera naturellement à la mise en place des voies romaines, qui, dès la fin du IVe s. av. J.-C., se développent progressivement en Italie puis autour du bassin méditerranéen dans un schéma en étoile dont Rome forme le centre3 ; mais il faut également prendre en compte l’aménagement de voies fluviales et de ports, la construction de ponts et d’autres équipements routiers ou encore la création de dispositifs de communication et de déplacements publics, à l’instar du service de courriers organisé par Auguste dans les années 6-10 apr. J.-C., qui, par la suite, prend le nom de uehiculatio puis de cursus publicus4. L’avènement du Principat constitue, d’ailleurs, une étape décisive dans ce processus : Cl. Nicolet a montré combien Auguste avait fait de l’aménagement du territoire l’un des aspects fondamentaux de son programme de refondation de l’État romain5. Au milieu du IIe s. apr. J.-C., Aelius Aristide peut dès lors attribuer le succès de cette entreprise aux vertus de la pax romana, en l’étendant à l’ensemble de l’oikoumène :
Καὶ μὴν τό γε ὑπὸ πάντων λεγόμενον, ὅτι γῆ πάντων μήτηρ καὶ πατρὶς κοινὴ πάντων, ἄριστα ὑμεῖς ἀπεδείξατε. νῦν γοῦν ἔξεστι καὶ Ἕλληνι καὶ βαρβάρῳ καὶ τὰ αὑτοῦ κομίζοντι καὶ χωρὶς τῶν αὑτοῦ βαδίζειν ὅποι βούλεται ῥᾳδίως, ἀτεχνῶς ὡς ἐκ πατρίδος εἰς πατρίδα ἰόντι. Καὶ οὔτε Πύλαι Κιλίκιοι φόβον παρέχουσιν οὔτε στεναὶ καὶ ψαμμώδεις δι´ Ἀράβων ἐπ´ Αἴγυπτον πάροδοι, οὐκ ὄρη δύσβατα, οὐ ποταμῶν ἄπειρα μεγέθη, οὐ γένη βαρβάρων ἄμικτα, ἀλλ´ εἰς ἀσφάλειαν ἐξαρκεῖ Ῥωμαῖον εἶναι, μᾶλλον δὲ ἕνα τῶν ὑφ´ ὑμῖν. Καὶ τὸ Ὁμήρῳ λεχθὲν« Γαῖα δέ τοι ξυνὴ πάντων »ὑμεῖς ἔργῳ ἐποιήσατε, καταμετρήσαντες μὲν πᾶσαν τὴν οἰκουμένην, ζεύξαντες δὲ παντοδαπαῖς γεφύραις ποταμοὺς, καὶ ὄρη κόψαντες ἱππήλατον γῆν εἶναι, σταθμοῖς τε τὰ ἔρημα ἀναπλήσαντες, καὶ διαίτῃ καὶ τάξει πάντα ἡμερώσαντες6.
3Du reste, en dépit de l’image de peuple sédentaire et rural communément attachée aux Romains, pour qui le mouvement, nécessairement contraint, serait source de tous les maux7, ce sont à peu près tous les milieux sociaux qui, à partir au moins de la période médio-républicaine et surtout du Haut-Empire, sont amenés à se déplacer à travers le territoire romain, quittant, de manière libre ou imposée, sur des distances plus ou moins étendues et pour des motifs les plus variés, ponctuellement ou régulièrement, pour un temps limité ou pour toujours, un lieu de l’empire pour un autre. Ainsi, comme le rappelle Cl. Moatti, « la mobilité dans l’empire romain est une donnée incontestable », avant d’énumérer « conférenciers, marchands, hommes d’affaires, mais aussi officiels et pèlerins, exilés, fugitifs et mendiants, étudiants et aventuriers8 » parmi ceux qu’elle désigne comme les « gens de passage9 » de l’Antiquité romaine. De fait, cette liste pourrait être étendue à l’envi10 et sans aller jusqu’à parler, avec J. Rougé, de véritable « manie des voyages11 » dans la Rome antique, la pratique, sinon la culture, du déplacement semble bien diffusée à tous les niveaux de la population romaine dès la fin de la République, en lien avec les nouvelles conditions territoriales de l’imperium Romanum.
Une multitude de modalités d’accueil
4La mise en place par l’État et par les pouvoirs locaux d’infrastructures routières, maritimes et fluviales adaptées permettait donc aux hommes et aux marchandises de se déplacer sur des distances parfois importantes. Toutefois, dès lors que le trajet excédait une journée, des étapes étaient indispensables, au moins pour les itinéraires par voie terrestre12. Plusieurs solutions de séjour s’offraient alors à ces gens de passage, qui dépendaient, pour une large part, de leur statut personnel et de la nature de leur déplacement.
5Si la pratique du « pique-nique » et le recours aux campements de fortune sont bien attestés, pour les particuliers13 comme pour les officiels14, ces modalités de séjour, et surtout l’hébergement à la belle étoile ou sous tente, pouvaient toutefois devenir inconfortables en cas de conditions climatiques rigoureuses ; elles s’avéraient de plus risquées, en raison de l’insécurité des routes romaines, en proie à un banditisme persistant15. De ce fait, dans le contexte romain, un certain nombre de lieux et de dispositifs dédiés assuraient aux individus amenés à séjourner hors domicile un accueil en dur, à l’étape ou une fois arrivés à destination ; cet accueil consistait, le plus souvent, en un hébergement, éventuellement assorti de prestations complémentaires.
Relais privés et publics
6Il était d’abord possible de se faire édifier des relais privés le long d’un itinéraire donné, à l’instar de Cicéron16 ; mais cette solution, réservée à une élite particulièrement aisée17, n’était valable que sur des distances réduites et, surtout, pour des circuits de déplacement habituels. Certains de ces gens de passage mentionnés plus haut se voyaient d’autre part garantir par l’État le droit de bénéficier gratuitement de prestations d’accueil durant leur trajet : il s’agissait généralement de personnages officiels, investis d’une mission publique, militaire et plus tard religieuse18. À partir au moins du règne de Néron, des relais publics furent mis en place19, en lien avec le système de la uehiculatio proprement dite ; ces lieux d’étape, pour la plupart dotés d’espaces d’hébergement, étaient utilisés par les courriers mais aussi, plus largement, par tous les individus, magistrats, militaires, envoyés de l’État, qui s’en voyaient conférer le droit. Même si cette modalité d’accueil donna lieu à de nombreux abus que le pouvoir s’efforça, souvent en vain d’ailleurs, de limiter20, elle ne concernait toutefois qu’un nombre restreint d’individus et demeurait sujette à approbation préalable21.
L’hospitium22
7Plus généralement, lorsqu’ils se trouvaient en déplacement, les Romains pouvaient compter sur l’hospitalité de leurs pairs, en mettant à profit ce qu’ils nommaient l’hospitium. Dans son acception générique, ce terme recouvrait toutes sortes de pratiques d’accueil gratuites23 destinées à des individus extérieurs à un groupe donné : on l’assimilera, dans ce cas, à l’hospitalité au sens large. Mais il pouvait désigner plus précisément des conventions particulières d’hospitalité entre des individus et/ou des groupes, fondées sur un principe de réciprocité ouverte, qui garantissaient aux partenaires un appui mutuel, juridique, social et, le cas échéant, politique, et qui leur permettaient, plus prosaïquement, d’assurer l’intendance lors d’un déplacement. Ces conventions particulières d’hospitalité pouvaient également prendre un caractère public sous le nom d’hospitium publicum, qui dénotait l’existence, entre les partenaires, de liens plus intimes que ceux qu’offraient de pures alliances politiques : des relations de ce type pouvaient unir le peuple romain et une nation étrangère, le peuple romain et un citoyen étranger ou encore une nation étrangère et un citoyen romain qui devenait son patronus. Hospitalité simple, hospitium priuatum et hospitium publicum pouvaient enfin se cumuler, ce qui renforçait d’autant la relation qu’entretenaient un personnage et une communauté.
8L’hospitalité, qu’elle ait été fondée sur des solidarités personnelles, professionnelles, régionales ou religieuses, était ainsi mise à profit à tous les niveaux de la population romaine ; toutefois, elle prenait une valeur toute particulière parmi les élites, dans la mesure où la possession d’un réseau d’hôtes étendu entrait dans la définition de l’influence politique et sociale d’un individu. Elle constituait plus largement une valeur de référence en matière d’accueil, à Rome comme dans les mondes grecs et hellénistiques, qui plongeait ses racines dans la plus haute antiquité, en remontant jusqu’au modèle de l’hospitalité dite « homérique24 ».
9Dans le prolongement de certains des phénomènes évoqués ici, au croisement de la valorisation ancestrale de l’hospitium et du développement d’une culture chrétienne de l’hospitalité universelle25, mais aussi sous l’influence du système des relais publics et de la uehiculatio, on assiste enfin, à partir du IVe s. apr. J.-C., à l’apparition en Orient puis en Occident de lieux d’accueil chrétiens, les ξενοδοχεῖα/xenodochia, dans le cadre d’une Église et d’une communauté des fidèles extrêmement mobiles26.
Auberges et établissements d’accueil
10Ces diverses modalités d’accueil supposaient de disposer de réseaux plus ou moins personnels dans lesquels venait s’inscrire la prise en charge de ces individus de passage ; certaines d’entre elles, destinées aux acteurs officiels en mission, étaient qui plus est soumises à autorisation. Il est douteux que tous ceux qui parcouraient les routes du monde romain aient pu en bénéficier ; mais surtout, quelque étendus qu’aient été ces réseaux d’accueil, ils ne pouvaient pas couvrir l’ensemble de l’espace dans lequel les Romains étaient susceptibles de circuler. C’est en partant de ce double constat que j’ai choisi de m’intéresser au rôle joué dans la gestion des mobilités humaines par un ensemble d’établissements commerciaux dont l’activité consistait à fournir à leur clientèle des prestations d’accueil, incluant en particulier un hébergement provisoire : ces établissements étaient désignés en latin par des termes variés, parmi lesquels les plus connus aujourd’hui sont sans doute caupona, stabulum et popina.
11À l’instar des auberges des périodes médiévales et modernes en Europe27, on pouvait en effet s’attendre à ce que ces établissements aient été considérés dans l’Antiquité romaine comme un moyen ordinaire, commode et accessible à tous ou presque de se procurer gîte et couvert durant un trajet. La découverte des sources à disposition pour l’étude du phénomène hôtelier dans l’Occident romain antique (cf. infra) prouva toutefois dès les premiers temps de l’enquête que ce questionnement originel, pour partie inspiré de phénomènes bien attestés aux époques ultérieures28, demandait à être repensé en fonction de réalités proprement romaines.
Le métier d’aubergiste dans l’Antiquité romaine : problèmes de définition
12La première question à surgir était celle de la définition précise de l’objet d’étude « auberge » dans le contexte romain. On pourrait être tenté, par commodité, de rendre simplement compte des réalités anciennes à l’aune des typologies de périodes postérieures, selon la méthode couramment adoptée à ce sujet dans la littérature secondaire29 ; selon les catégories qui se mettent en place en Europe à partir de la période moderne et, surtout, du XIXe siècle, cela reviendrait à isoler l’hébergement de la restauration et du débit de boissons, en parlant respectivement en français d’hôtels, de restaurants et de bars/cafés/débits de boissons/buvettes/tavernes. Les établissements alliant gîte et couvert pourraient être qualifiés, pour leur part, d’hôtels-restaurants, voire plutôt, puisque ces termes semblent associés de manière privilégiée en français à des réalités plus anciennes, d’hôtelleries ou, donc, d’auberges30.
Accueil mercantile et prestations de séjour
13Si l’enquête révélera que ces équivalences se sont pas infondées au regard des réalités romaines, il semblait toutefois plus pertinent et plus rigoureux scientifiquement de commencer par explorer la manière dont les Romains eux-mêmes concevaient l’activité commerciale que, pour limiter les risques d’anachronismes et faute d’une désignation globale latine qui s’imposerait sans équivoque dès le début de l’étude, on qualifiera pour l’instant d’accueil mercantile31. Ainsi, l’accueil mercantile romain était-il véritablement défini et organisé en fonction du type de prestations fournies aux clients qui y avaient recours ou d’autres critères entraient-ils en ligne de compte ? Plus fondamentalement encore, de la même manière, par exemple, que dans la France contemporaine la catégorie officielle dite des métiers de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration (HCR) peut s’étendre à d’autres cadres de consommation et même à d’autres activités voisines32, l’accueil mercantile romain se bornait-il à délivrer des prestations d’hébergement et de bouche en vue d’un usage sur place ou incluait-il également d’autres services et/ou d’autres modalités de commercialisation de ces prestations ? Inversement, les différentes formes d’accueil commercial observées dans la documentation antique étaient-elles véritablement considérées en contexte comme relevant d’une même activité et donc d’un même métier ou des fractionnements en secteurs/sous-secteurs commerciaux existaient-ils, en fonction d’éventuelles distinctions typologiques, voire de considérations géographiques, commerciales ou sociales ? En somme, quelles étaient les limites exactes du secteur commercial de l’accueil mercantile dans l’Antiquité romaine ?
Accueil mercantile et mobilité
14Le lien établi à titre d’hypothèse, dès les prémices de l’étude, entre accueil mercantile et pratique de la mobilité demandait, lui aussi, à être précisé. Certes, le voyage au sens large semble constituer l’occasion la plus ordinaire et la plus fréquente de voir un individu privé de son cadre de résidence habituel ou originel, ce qui pouvait l’amener à avoir recours aux ressources commerciales des établissements d’accueil romains, en particulier à l’hébergement qui y était fourni. Il convient, dans ce cas, de s’interroger plus en détail sur l’identité de ces usagers de passage qui franchissaient la porte de l’auberge, du restaurant ou du débit de boissons, sur les motifs de leurs déplacements, sur l’organisation logistique et le cadre spatial et temporel de leur trajet : peut-on ainsi identifier, parmi ces gens de passage clients des établissements d’accueil romains, un voire plusieurs profils homogènes ? Il ne faut pas exclure pour autant l’existence éventuelle d’autres usages pour ces établissements. La situation à cet égard de la restauration et du débit de boissons stricto sensu soulève notamment un certain nombre d’interrogations car de la même manière que la commensalité privée ou publique excédait le cadre de l’accueil de l’allogène33, ce qui était sans doute bien moins fréquemment le cas de l’hébergement gracieux, de même cette activité donnait-elle peut-être lieu, en contexte commercial, à des usages plus variés que le logement nocturne de la clientèle ; mais cette hypothèse devra être contrôlée à la lumière des sources. On peut enfin se demander si ces établissements étaient réservés à un usage purement commercial, ou s’ils étaient inclus, dans certaines conditions, au système de contributions et de relais publics qui facilitait les déplacements d’acteurs officiels.
15Dans le même temps, le caractère temporaire des prestations fournies, qui apparaît également tributaire du lien établi entre accueil mercantile et mobilité, méritait d’être vérifié34 : assistait-on notamment, dans le contexte romain, à l’installation prolongée dans l’auberge de certains clients qui en faisaient leur cadre de vie durable ou saisonnier, à la manière des pensionnaires des garnis et des hôtels parisiens de la période moderne, étudiés par D. Roche35 ? En somme, il s’agit de déterminer si ce contexte du déplacement et/ou du séjour provisoire suffit à épuiser l’ensemble des manières dont leurs usagers avaient recours aux prestations prodiguées contre paiement par les établissements d’accueil romains.
Accueil mercantile et hospitalité
16Dès les premiers temps de l’enquête, il est enfin apparu essentiel de prendre en compte ce paramètre déterminant que constituait l’importance conférée à l’hospitalité gratuite et à ses réseaux dans le contexte de l’Antiquité romaine. De fait, il est indéniable qu’une certaine concurrence de l’hospitium se donne à voir dans les sources mises à l’étude, qui influait directement sur le statut reconnu à l’accueil mercantile romain, dans la mesure où cette modalité commerciale de séjour pouvait être jugée incompatible avec les logiques de don et de contre-don, de réciprocité et de dépendance, d’amitié et de clientèle sur lesquelles étaient fondés, à Rome, les rapports politiques et sociaux et dont l’hospitium constituait l’une des manifestations privilégiées36. L’importance de ce phénomène est particulièrement sensible dans les sources littéraires, qui, selon une particularité propre à l’analyse des realia antiques, constituent quantitativement l’essentiel du corpus textuel sur lequel s’appuyer pour étudier l’accueil mercantile, tout comme pour la plupart des activités commerciales et artisanales du monde romain. Ces sources émanaient en effet des milieux de l’élite pour lesquels la fréquentation des établissements d’accueil durant un déplacement pouvait être le signe d’un réseau défaillant, et, conjointement, d’un manque de prestige social et politique ; or l’accueil mercantile s’y trouve largement déprécié, parfois en référence directe à l’hospitalité dont il est dépeint comme l’exacte antithèse. Inversement, nous le verrons, l’importance fondamentale de l’hospitium dans le contexte culturel romain se ressent dans la manière même dont les professionnels de l’accueil donnaient à voir, et sans doute concevaient, leur métier comme une pratique d’hospitalité à part entière.
17Ce rapport polémique au monde de l’auberge pouvait toutefois s’affranchir de la question de l’hospitalité pour se constituer en modes de représentation plus généraux, confinant souvent au folklore, voire au fantasme : comme nous aurons l’occasion de le découvrir au fil de l’enquête, les professionnels de l’accueil sont ainsi couramment dépeints dans les sources littéraires comme des criminels ou des fraudeurs, et, pour les femmes, comme des sorcières ou des prostituées en puissance, tandis que leur clientèle se voit assimilée tantôt à la lie de la société romaine, tantôt à des membres de l’élite déclassés ou avides de sensations interlopes. Ces modes de représentation, qui, pour certains au moins, relayaient sans doute des accusations fondées, trouvaient comme un écho sur les murs d’auberges et de restaurants/débits de boissons, où des graffiti laissés par les clients remettaient en cause la probité de l’exploitant ou s’en prenaient à la vertu des femmes du lieu. Ces différents points de vue et représentations, partiellement orientés par la valeur de référence que constitue l’hospitium, demandaient par conséquent à être analysés, puis, le cas échéant, dépassés, pour tenter d’évaluer plus objectivement la place dévolue à l’accueil mercantile, aux professionnels qui exerçaient cette activité et aux clients qui y avaient recours au sein de la culture, de la société et des realia romains.
Une forme d’accueil méconnue
18Le traitement réservé à l’accueil mercantile romain dans l’historiographie contemporaine apparaît assez limité au regard de la visibilité réelle qui est la sienne dans le corpus documentaire, tant textuel que matériel, à nous être parvenu pour l’Antiquité romaine. De fait, cette activité commerciale a bien moins intéressé historiens et archéologues que d’autres modes d’accueil, en particulier que les infrastructures destinées au séjour de personnages officiels et plus précisément encore, que les fameuses stations dites « du cursus publicus37 ». En dehors des cas où l’accueil mercantile peut être convoqué, dans le cadre de travaux plus généraux, à titre d’exemple d’activité professionnelle et/ou commerciale38, ou dans des études qui privilégient un type de sources en particulier39, cette modalité de séjour se trouve ainsi essentiellement survolée en quelques pages dans des livres consacrés au voyage dans l’Antiquité, au titre des realia pittoresques de la route40. En raison de leur portée généraliste, ces ouvrages se contentent le plus souvent de compiler anecdotes et détails concrets glanés dans les sources littéraires, en leur associant quelques inscriptions et quelques cas archéologiques récurrents, sans se livrer à la nécessaire analyse critique des documents mis à contribution et sans mieux définir les catégories d’établissements évoquées, au prix, le plus souvent, d’une simple équivalence entre typologie contemporaine et réalités anciennes.
19La seule approche globale du phénomène de l’accueil mercantile romain, encore que largement orientée par une perspective terminologique, reste celle de l’historien suédois T. Kleberg. Son étude, issue d’une thèse soutenue et publiée auprès de l’université de Göteborg41 mais qui est le plus souvent citée dans son édition française de 1957, Hôtels, restaurants et cabarets dans l’Antiquité romaine. Études historiques et philologiques, continue de faire référence en ce domaine42. La terminologie latine des établissements d’accueil telle que la restitue T. Kleberg a ainsi été largement reprise par la suite, notamment dans les publications archéologiques, sans jamais d’ailleurs que les historiens et archéologues se réclamant des travaux de l’historien suédois se soient vraiment accordés sur une nomenclature unique, comme nous le découvrirons dans le courant de l’analyse. Il ne s’agit naturellement pas de proposer ici une simple actualisation des travaux de T. Kleberg, même si cette entreprise était bien entendu rendue nécessaire par la date déjà ancienne de l’ouvrage, qui apparaît particulièrement vieilli pour les sources épigraphiques et archéologiques. Il était plus fondamentalement indispensable de repenser l’approche documentaire développée en son temps par l’historien suédois, qui conditionne l’ensemble des résultats présentés dans son livre. En dehors de quelques analyses plus spécialisées, suscitées pour l’essentiel par les sources archéologiques, T. Kleberg se contente en effet le plus souvent d’extraire sans autre forme de procès les informations contenues dans des documents textuels et matériels de nature disparate et d’époques variées, pour les compiler ensuite selon une logique thématique43. Cette méthode revient, d’une part, à décontextualiser sources et éléments factuels, et, de l’autre, à leur conférer une valeur égale, sans tenir compte des facteurs historiques, géographiques, génériques et stylistiques qui ont pu présider à la naissance des documents convoqués, alors même que ces facteurs influent directement, nous le verrons, sur l’orientation et le contenu de nos sources et, en conséquence, sur les données que ces dernières paraissent nous fournir.
20Il y avait par conséquent bien matière à reprendre l’étude d’un objet méconnu, qui pouvait apporter une importante contribution à la connaissance des enjeux logistiques, sociaux et culturels de la mobilité dans le contexte romain antique. Cette enquête s’inscrit par là même dans le renouvellement épistémologique dont bénéficient, depuis une quinzaine d’années, l’étude de la circulation des hommes, des biens et de l’information dans le contexte de la Méditerranée antique, à la suite des programmes de recherches coordonnés par Cl. Moatti et W. Kaiser sur les gens de passage et le monde de l’itinérance entre Antiquité et époque moderne, par C. Virlouvet et J. Andreau sur l’information et la mer dans l’Antiquité méditerranéenne, ou encore – sous l’angle cette fois plus spatial d’une Méditerranée envisagée en tant qu’écosystème – des travaux de P. Horden et de N. Purcell autour de la notion de « connectivity »44. Dans une autre perspective, cette analyse du milieu des aubergistes romains s’inspire également des avancées récentes des recherches sur le monde du petit commerce, de l’artisanat et de la plèbe dans l’Antiquité romaine45, et en particulier des approches développées par N. Tran autour de la notion de « statut de travail », à la suite des travaux précurseurs de J. Andreau46.
Définition du cadre spatio-temporel et documentaire de l’étude
Une enquête sur le temps long
21Même si l’accueil mercantile est attesté à une date reculée dans le bassin méditerranéen, notamment en Orient47 et en Grèce48, et selon toute vraisemblance dès les premiers siècles de l’existence de Rome, les sources textuelles les plus anciennes qui nous ont été transmises ne vont pas en-deçà du IIIe s. av. J.-C., sans que les sources archéologiques permettent pour leur part de remonter plus avant dans le temps. Du reste, c’est à la fin du IVe s. av. J.-C. que s’amorcent le développement de l’empire territorial de Rome, l’accroissement sans précédents de l’espace à travers lequel hommes et biens sont désormais susceptibles de circuler et la mise en place systématique d’infrastructures de transport routières et maritimes : c’est donc bien, semble-t-il, à partir de cette période médio-républicaine que la question du séjour hors domicile et, le cas échéant, le rôle de l’auberge acquièrent une importance accrue, dans le cadre de l’essor des déplacements privés, politiques et économiques qui a été mis en lumière au début de cette introduction. À l’autre extrémité du spectre chronologique, l’enquête s’ouvre aux débuts de l’Antiquité tardive, en prenant en compte la documentation du IVe s. et des premières décennies du Ve s. apr. J.-C., pour l’essentiel jusqu’aux morts de Jérôme et d’Augustin.
22Si un tel déploiement historique, qui couvre près de huit siècles, pourrait sembler surprenant de prime abord, ce choix du temps long se justifie toutefois de plusieurs points de vue pour l’étude de l’accueil mercantile romain. D’abord, il apparaît opportun au regard de considérations documentaires : les sources tardives, textuelles comme matérielles, constituent en effet, quantitativement et qualitativement, une somme importante d’informations sur l’accueil mercantile, qui entrent souvent en résonance avec des phénomènes attestés aux périodes plus anciennes, dont elles nous permettent, dès lors, d’améliorer la connaissance. D’autre part, l’étude a rapidement révélé l’importance, pour la terminologie de l’accueil mercantile, de phénomènes d’évolution sémantique qui doivent être pensés sur le long terme ; les sources chrétiennes tardives jouent un rôle essentiel dans cette perspective. Enfin, ce cadre chronologique étendu permettait de s’interroger, par le prisme des pratiques et des représentations hôtelières, sur les évolutions, sur les ruptures mais aussi sur les continuités en matière d’accueil au sein d’un monde romain devenu chrétien, pour lequel la mobilité et l’accueil continuent de revêtir, avec d’indéniables mutations, un rôle essentiel. Naturellement, cette amplitude chronologique impliquera une attention accrue aux transformations culturelles, sociales, économiques, ou encore juridiques que pouvait connaître l’accueil mercantile durant la longue période couverte par l’enquête : le début de l’Antiquité tardive se révélera d’ailleurs une époque charnière de ce point de vue.
L’accueil mercantile dans l’Occident romain
23Quant au cadre géographique de cette enquête, c’est, pour l’essentiel, celui de l’Occident romain, avec une concentration sur l’Italie, sur les provinces gauloises et, pour les sources textuelles au moins, africaines. De fait, l’Orient romain, et plus précisément la zone du Proche-Orient et l’Égypte, présentent, en matière d’accueil mercantile et plus largement de déplacements humains, de nombreuses spécificités, bien antérieures aux conquêtes, qui justifieraient une synthèse propre à cette partie de l’empire49. Cela ne signifie pas pour autant que la documentation non occidentale s’en trouvera ignorée. De fait, celle-ci apparaîtra fréquemment au fil des pages, en particulier par le prisme des sources textuelles orientales de langue grecque50, au moins lorsque ces occurrences viennent croiser directement les thématiques présentes dans les sources occidentales, latines en majorité, auxquelles elles peuvent apporter un autre éclairage. Quelques sources orientales de langue latine particulièrement riches ont de même été intégrées au corpus d’étude51. Certains des documents versés au dossier de l’accueil mercantile romain, tout particulièrement les textes littéraires à caractère fictionnel, philosophique ou rhétorique, apparaissent enfin directement tributaires de modèles grecs ou hellénistiques plus anciens ou contemporains ; il était alors légitime, et même indispensable, de prendre en compte ces modèles pour mettre en lumière d’éventuelles spécificités dans le traitement de l’accueil mercantile au sein de la documentation occidentale de langue latine.
Une étude à la croisée des sources textuelles et matérielles
24L’approche culturelle, économique et socio-juridique de l’accueil mercantile dans l’Occident romain proposée dans cet ouvrage passe en premier lieu par une exploration des sources textuelles. On s’intéressera naturellement aux sources littéraires, en soulignant la place prépondérante occupée ici par les deux plus célèbres romans de la littérature latine, le Satiricon de Pétrone et les Métamorphoses d’Apulée. Le corpus épigraphique sera également convoqué, avec une domination des inscriptions originaires des cités du Vésuve, d’Ostie, de Rome et de la Narbonnaise52. Les sources juridiques feront enfin l’objet d’une attention toute particulière : de fait, si elles n’ont guère retenu l’attention des historiens qui se sont intéressés à l’accueil mercantile romain, elles s’avèrent d’une très grande richesse pour accéder aux profils sociaux et aux comportements économiques des aubergistes et de leurs clients.
25Une prise en compte de l’inscription matérielle des phénomènes étudiés demeurait tout aussi indispensable, et ce d’autant plus que le but premier de l’accueil mercantile était de mettre à disposition de la clientèle qui y avait recours divers aménagements et prestations destinés au séjour ; cette activité ne pouvait dès lors se concevoir sans l’agencement d’espaces et d’équipements adaptés à ce qui faisait le cœur de métier des professionnels de l’accueil romains. On chercherait toutefois vainement, derrière le corpus archéologique réuni pour mener cette enquête, des logiques de catalogue typologique ou de synthèse régionale ; l’objectif était plutôt de dégager un ensemble suffisamment représentatif de cas pertinents et variés, bien documentés et ayant fait l’objet de publications récentes, afin d’identifier par leur biais, dans un jeu de va-et-vient permanent avec les sources textuelles, des réponses aux questionnements généraux de l’enquête et de mettre en lumière les interrogations que soulèvent les vestiges archéologiques.
26Les cités du Vésuve – et tout particulièrement Pompéi, puisque Herculanum n’a fourni, en plus de quelques commerces alimentaires offrant une possibilité de consommation sur place, qu’un seul site dont le plan pourrait convenir à celui d’une auberge53 – ainsi qu’Ostie constituaient naturellement des terrains d’enquête incontournables, auxquels T. Kleberg consacre déjà la plus grande partie de ses investigations archéologiques. De fait, de nombreux édifices identifiés comme des établissements d’accueil (auberges, restaurants ou débits de boissons) ont été mis au jour dans ces sites, qui ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs études spécifiquement centrées sur la question de l’accueil mercantile ; ces approches archéologiques, qui s’inspirent généralement des travaux de l’historien suédois pour la contextualisation commerciale des vestiges, constituent une exception notable dans un champ historiographique qui reste comme on l’a vu restreint54. Il convient toutefois de remarquer que ces enquêtes campaniennes et ostiennes se sont en grande partie centrées sur les prestations alimentaires des établissements d’accueil et en particulier sur la structure caractéristique dite du « commerce alimentaire », en passant davantage sous silence la question de l’hébergement, qui demeurait donc à explorer55. D’autre part, il était indispensable d’ouvrir le propos à des sites urbains, péri-urbains et ruraux issus d’autres parties de l’Italie et des provinces occidentales, afin de mettre en perspective les informations fournies par les exemples campaniens et ostiens, qui, bien que constituant des témoignages extrêmement riches sur l’activité étudiée, n’en demeurent pas moins, chacun dans sa catégorie, des cas particuliers.
27Mais pour parvenir à la mise au point du corpus d’étude, il fallait affronter la question de l’identification archéologique de ces établissements d’accueil commerciaux, à Pompéi, à Ostie ou ailleurs56. Dans la littérature secondaire, c’est généralement l’observation des fonctions attribuées à un site, telles qu’on peut les déduire d’indices matériels précis, qui permet aux archéologues d’avancer l’hypothèse interprétative de l’auberge, du restaurant ou du débit de boissons57. Ainsi, dans le cas de la « Casa del Priapo » d’Herculanum (IV, 17-18), l’absence de communication au rez-de-chaussée entre les pièces situées dans le secteur de la cour, selon un plan que l’on retrouve à l’étage, associée à l’existence, en façade, d’un commerce alimentaire accessible autant du cardo IV que de l’intérieur de la maison, invitent N. Monteix à restituer dans ce complexe une « probable activité hôtelière » assortie de fonctions de restauration58. Cette méthode d’identification, qui s’appuie sur des considérations de topographie, de plan, d’aménagements et de matériel, est bien entendu d’autant plus légitime que différents indices se conjuguent dans un même site59.
28Signalons toutefois que l’accueil mercantile n’apparaît souvent, dans ce cas, qu’une interprétation possible parmi d’autres. Quelques exemples particulièrement frappants peuvent être convoqués pour appuyer ce constat. Évoquons d’abord, pour le contexte urbain, les structures repérées dans le sous-sol d’une maison tardo-républicaine attribuée à M. Aemilius Scaurus, en périphérie du Forum romain, à l’ouest de l’Arc de Titus. Ces structures, mises au jour au début du XXe siècle par G. Boni, dont les travaux n’ont malheureusement pas fait l’objet d’une publication60, sont mieux connues depuis les fouilles qu’y a menées A. Carandini en 198561. Elles consistent en un couloir flanqué d’une quinzaine de cellules closes et indépendantes, formées sur un module unique et toutes équipées d’un support de lit en maçonnerie ; au sud-ouest du complexe se trouve un balneum62. Or, en se fondant sur des critères identiques, à savoir ce plan, le décor des pièces63 et le matériel retrouvé in situ64, ces structures souterraines ont pu être indifféremment identifiées comme une auberge, un bordel, des espaces de stockage, ou encore comme les quartiers d’habitation de la familia servile de la domus65, la présence d’une décoration raffinée et d’un matériel de qualité n’étant plus considérée aujourd’hui comme un critère qui permettrait d’exclure cette dernière hypothèse66. Le grand édifice à triclinia mis au jour en 1959 à Murecine (sud du suburbium antique de Pompéi), d’où proviennent les célèbres « tablettes des Sulpicii », témoigne d’hésitations similaires : sur la base de son plan atypique de porticus triplex à triclinia67 et de son programme décoratif68, il a en effet pu être interprété comme une uilla suburbana, comme un siège de corporation ou encore comme une auberge de luxe69. Du reste, même les cas campaniens et ostiens, qui pourraient sembler mieux balisés, ne sont pas sans poser de nombreuses difficultés d’identification : de fait, on se rendra rapidement compte que si l’accueil mercantile a bien fait l’objet de nombreuses recensions pour ces sites, ces dernières apparaissent souvent suspectes, sinon dans l’analyse des vestiges isolés, du moins dans le panorama général qu’elles proposent. Elles ne s’accordent ni sur le nombre des vestiges à assigner à la catégorie de l’accueil mercantile ni sur leur typologie ; ce phénomène est notamment lié à la variété des critères adoptés d’un catalogue à l’autre, que vient compliquer un recours souvent erratique à la terminologie latine pour caractériser les établissements retenus.
29Des difficultés interprétatives particulièrement aiguës m’ont en particulier amenée à écarter trois dossiers que l’on s’attendrait peut-être à trouver dans cette enquête archéologique, dans la mesure où leur fonction se trouve associée au sein de la bibliographie, fréquemment ou à titre ponctuel, à l’accueil commercial des gens de passage de l’Occident romain.
30Le premier de ces dossiers, circonscrit géographiquement, est celui des « bâtiments à auges » africains. Par cette expression, on désigne une série d’édifices de plan homogène, attestés à l’époque tardive en Afrique proconsulaire70, dans une zone qui correspond à l’actuelle frontière algéro-tunisienne71. De forme basilicale, trifoliée ou cruciformes, et parfois dotés d’un étage, ils s’organisent au rez-de-chaussée autour de trois nefs séparées par des rangées d’auges ; la nef centrale, plus grande, s’achève parfois en abside. La présence de ces auges, interprétées comme des abreuvoirs ou des mangeoires au sein de bâtiments par ailleurs caractérisés par une certaine recherche architecturale72, explique que ces édifices aient pu se voir assigner une fonction d’accueil payant des voyageurs et de leurs montures. Il convient toutefois de souligner que rien ne vient suggérer leur usage commercial : l’association directe de certains de ces « bâtiments à auge » à des églises, comme dans le cas du complexe chrétien de Theveste (actuelle Tébessa, en Algérie), semble plutôt parler en faveur de l’identification d’un lieu d’accueil à destination des fidèles venus de loin, dans lequel certains historiens et archéologues proposent d’identifier un xenodochium doté d’une écurie73. Cette interprétation est elle-même sujette à controverse, dans la mesure où la configuration des lieux ne permet pas toujours, dans la pratique, la prise en charge de chevaux, mules et mulets74. Dès lors, ce sont d’autres hypothèses interprétatives qui priment aujourd’hui pour ces espaces, dont on pense qu’ils étaient dédiés à des activités économiques ou civiques (stockage, distributions publiques, collectes en nature pour l’annone, etc.75). Ce corpus est donc apparu trop fragile pour être inclus aux réflexions archéologiques de cette enquête dédiée à l’accueil mercantile romain.
31Le deuxième dossier qui n’a pas été pris en compte dans cette enquête, sinon ponctuellement et à titre d’ouverture, est celui du praetorium. Parmi d’autres significations, le terme désigne, en latin comme au sein de la littérature archéologique, un bâtiment destiné au séjour du gouverneur pendant ses tournées dans sa province76. Il a appartenu à Ph. Leveau de le mettre en relation avec l’accueil des gens de passage, sur la base notamment d’une inscription mise au jour à Muru de Bangius (Sardaigne) et associée à un complexe du IIe s. apr. J.-C.77. L’inscription, datant du règne de Caracalla et aujourd’hui dans un état lacunaire, associe ce praetorium à la prise en charge des commeantes, des arrivants78. Ph. Leveau étend ensuite son enquête à des cas d’édifices occidentaux routiers ou urbains identifiés comme des praetoria, qui auraient pu selon lui accueillir des voyageurs79, de même qu’à un ensemble d’inscriptions issues des provinces de Thrace et de Macédoine, qui pourraient faire allusion à des fonctions de ce type au sujet de praetoria viaires80. Toutefois, si cette question sort du champ de la uehiculatio stricto sensu, on se trouve toujours ici, semble-t-il, dans le cadre de l’accueil de personnages officiels ou du moins de voyageurs spécifiques ; l’usage commercial de ces praetoria n’est en revanche nullement attesté par la documentation, écrite comme matérielle. En l’état actuel des sources disponibles, un seul cas pourrait être retenu, celui du praetorium cum duabus tabernis de Dion de Piérie (AE, 2000, 1295), mis en relation par D. Pandermalis avec un complexe exhumé dans le voisinage de l’agora de la cité, qui aurait pu servir à l’accueil conjoint d’officiels au sein du praetorium et de simples voyageurs dans le cadre payant des tabernae81. Cette interprétation demeure toutefois largement hypothétique et nous nous trouvons de plus ici en dehors du cadre géographique fixé pour cette enquête, ce qui invite à exclure cet exemple du corpus d’étude.
32Mais se posait surtout l’épineuse question des stations routières romaines. Par cette expression, on désigne des bâtiments ou des regroupements cohérents d’édifices situés en bordure de voie, dont la fonction première aurait été de fournir aux voyageurs, durant leur étape, les différents services et équipements indispensables à la poursuite de leur trajet (hébergement, restauration, prise en charge des montures et des véhicules, bains, stockage des marchandises, etc.) ; il convient de les distinguer nettement des stationes militum et fiscales, qui renvoient à des réalités distinctes, même si elles pouvaient être associées à des lieux d’étape82. Longtemps mal connus, ces ensembles ont vu depuis une trentaine d’années se multiplier les fouilles, en particulier préventives, qui aboutissent peu à peu à la publication de sites et de synthèses régionales. Les études qui leur ont été consacrées ont remis pour partie en cause l’assimilation, traditionnelle dans la littérature archéologique, des stations routières mentionnées dans les itinéraires et/ou mises au jour par les fouilles à des lieux d’étape officiels ; dans le même temps, on discute désormais davantage de la pertinence du recours à la terminologie latine dite du « cursus publicus » pour qualifier les vestiges83. On voit ainsi poindre, ces dernières années, une tentative de renouvellement de ce champ d’étude qui vise à dépasser les cloisonnements entre public, commercial et privé au profit d’une approche plus générale du lieu d’accueil dans le contexte de l’Antiquité romaine84.
33Si l’évolution des problématiques et la multiplication des études de cas permettent désormais de sortir des automatismes interprétatifs, les écueils que pose l’identification de ces stations routières et surtout des auberges commerciales en leur sein demeurent aigus. Certes, plusieurs critères reviennent régulièrement au sein de la bibliographie pour l’identification des lieux d’étape routiers : correspondance topographique et/ou toponymique avec les haltes mentionnées dans les itinéraires antiques, identification d’édifices au plan ramassé organisé autour d’une cour charretière et/ ou d’un portique ou au contraire de séries de bâtiments alignés sur la voie, communication directe avec la route, association avec d’autres bâtiments pouvant offrir des services utiles aux voyageurs (forges, thermes, espaces de stockage), surreprésentation au sein du matériel attesté de vaisselle de cuisine et de service, d’éléments de chars et de harnachement. Toutefois, dans les études de site considérées isolément, on s’aperçoit que les archéologues hésitent fréquemment, en fonction du plan des vestiges, entre l’identification d’un relais commercial, d’une station officielle mais aussi d’un entrepôt, d’une rangée de boutiques en bordure de route et, plus fréquemment encore, d’une uilla85. De plus, la reconnaissance du caractère commercial de ces stations, dans leur intégralité ou pour certains des édifices qu’elles englobaient, demeure une gageure86. Dès lors, si des exemples de possibles auberges routières, incluses ou non à des groupes de bâtiments plus étendus, ont été intégrés au corpus archéologique de cette étude, il n’a pas été possible, eu égard aux difficultés interprétatives qui viennent d’être soulignées, de reprendre dans son intégralité le dossier de l’identification des établissements commerciaux d’accueil dans les stations routières de l’Occident romain. Les résultats présentés dans cet ouvrage offriront, espérons-le, les bases nécessaires à l’étude spécifique qu’il reste à dédier à ce sujet.
34Face à ces écueils interprétatifs, qui se révèlent le plus souvent insurmontables, j’ai donc été amenée, dans la constitution du corpus, à privilégier les cas où une inscription (comportant une des désignations retenues à l’issue de l’analyse sémantique du corpus textuel ou dont le contenu renvoyait, de manière certaine ou probable, à des prestations de séjour) et/ou un programme iconographique (« scènes d’auberge », motifs en rapport avec l’alimentation et la boisson) nous informent de manière fiable, et souvent certaine, sur le lien d’un établissement donné à l’accueil mercantile, en accord avec les structures observées in situ. Outre le fait de procurer un échantillon solide, un autre intérêt de cette démarche croisant inscriptions et vestiges est qu’elle permet de mesurer l’emprise des mots sur le réel et de venir ainsi confirmer ou nuancer les premiers résultats de l’enquête fondés sur l’étude des textes. Dans un premier temps, seuls Pompéi, avec une vingtaine d’établissements et, dans une bien moindre mesure, Ostie (4 cas) et Herculanum (1 cas), présentaient une configuration documentaire de ce type : un exemple provincial est toutefois venu s’ajouter dans un développement ultérieur de l’étude, celui du bâtiment B du site de la Scène nationale à Clermont-Ferrand, fouillé entre 2013 et 2014, où la découverte d’une enseigne peinte évoquant des uiatores, des « voyageurs », confirme l’hypothèse interprétative de l’auberge, qui apparaissait déjà solide au regard de la configuration du site et du matériel qui y avait été mis au jour87.
35Cet échantillon de cas « sûrs », qui constitue le point de départ des analyses matérielles et spatiales de l’enquête, sera désigné dans le courant de cette étude sous le titre de Corpus archéologique 1. Il a ensuite été complété par treize cas plus incertains, formant le Corpus archéologique 2, pour lesquels l’interprétation hôtelière peut ne constituer qu’une hypothèse interprétative parmi d’autres et qui feront dès lors l’objet d’un traitement plus prudent dans le cours des différents développements. Pour constituer ce corpus complémentaire, j’ai privilégié les cas présentant des caractéristiques proches de celles du premier groupe d’établissements, notamment en matière de plan, tout en variant davantage entre établissements urbains, péri-urbains et ruraux. Les aléas des fouilles archéologiques et surtout la volonté de m’appuyer, dans la mesure du possible, sur des ensembles ayant fait l’objet de publications récentes et détaillées, ont eu pour effet que seuls des exemples italiens et gaulois se trouvent intégrés à ce corpus complémentaire ; mais eu égard à l’intérêt que suscite actuellement la problématique de l’accueil dans le contexte de l’Antiquité romaine, de nouveaux exemples viendront sans nul doute enrichir dans un avenir proche ce premier échantillon d’étude. La liste des cas retenus est la suivante88 :
Axes de l’étude
36À partir de ce cadre général, l’étude s’est plus précisément orientée autour de quatre axes, qui constituent les quatre chapitres de cet ouvrage. Le premier vise à mieux cerner ce qui constituait le cœur de métier des professionnels de l’accueil romains, ce dont ils tiraient leur merces, leur rétribution, en partant pour cela d’un fragment juridique de Gaius (D., 4, 9, 5, pr., Gaius 5 ad ed. prouinc.) qui constitue la seule tentative de définition commerciale de l’activité du caupo à nous avoir été conservée ; cette phase initiale de l’enquête passe notamment par une exploration approfondie de la terminologie latine de l’accueil mercantile, pour mieux cerner les concepts communs qui se donnent à voir derrière l’hétérogénéité apparente de ce champ lexical. On se tournera dans un deuxième temps vers l’étude du fonctionnement de l’accueil mercantile en tant qu’activité commerciale, en analysant les comportements économiques et commerciaux associés à l’exercice de cette activité, ainsi qu’à l’encadrement juridique dont elle faisait l’objet. Enfin, on s’intéressera à cette société de l’accueil particulière que constituaient les aubergistes et leurs clients. Il sera d’abord question de l’identité sociale et juridique des professionnels de l’accueil, de leur place dans la société romaine, ainsi que de leur statut de travail, où l’on s’interrogera notamment sur les conséquences éventuelles que pouvait avoir sur ces professionnels la dévalorisation dont leur activité pouvait faire l’objet au quotidien et dans le regard des observateurs extérieurs. Le dernier chapitre de l’ouvrage sera dédié aux clients des établissements d’accueil dans l’Occident romain, dont on se demandera s’ils formaient un groupe homogène, du point de vue de leur identité et dans la manière dont ils avaient recours aux services de l’accueil mercantile.
Notes de bas de page
1 Adams 2001, p. 1 : « Travel and communication are dynamics which were central to the Roman empire. Its sheer size and diversity demanded that there was an efficient system of communication in order for government to take place. »
2 Nicolet 1988 ; Adams – Laurence 2001.
3 Chevallier 1972 ; 19972.
4 Après les études fondatrices de Holmberg 1933 et Pflaum 1940, voir notamment Crogiez 1993 ; Black 1995 ; Di Paola 1999 ; Eck 1999 ; Kolb 2000 ; Corsi 2000 ; Lemcke 2016 ; Basso – Zanini 2016.
5 Nicolet 1988, p. 40 : « Avec [Auguste], et tel qu’il ressort de l’exposé des Res Gestae, l’Empire est bien un monde, presque un nouveau monde, qui a été ouvert, reconnu et maîtrisé. C’est dans un espace géographique concret qu’il s’est réalisé. Et c’est à la mesure de cet espace qu’il veut être reconnu et, naturellement, admiré par le lecteur. »
6 « Et ce dicton populaire qui veut que la Terre soit la mère de tous et la patrie commune à tous, c’est vous qui en avez démontré au mieux la justesse. De fait, il est maintenant possible au Grec comme au barbare, avec ou sans bagages, de se rendre aisément où il le souhaite, tout simplement, comme s’il allait de patrie en patrie. Nous n’avons peur ni des Portes de Cilicie, ni des sentiers étroits et sablonneux traversant l’Arabie vers l’Égypte, ni des montagnes escarpées, ni des grandeurs infinies des fleuves, ni de la sauvagerie des peuples barbares : il suffit, pour être en sécurité, d’être Romain ou plutôt d’être l’un de ceux soumis à votre domination. Et ces mots d’Homère, “la Terre est commune à tous”, c’est vous qui les avez mis à exécution, en mesurant tout l’univers, en jugulant les fleuves de ponts de toutes sortes, en coupant les montagnes de manière à rendre la terre carrossable, en remplissant les déserts de lieux d’étape, et en civilisant tous lieux par votre mode de vie et votre bon ordre » (Aristid., Or., 26, 100-101 éd. Keil). Cf. également, un siècle plus tard, l’hommage similaire adressé par un Grec anonyme à l’empereur Philippe l’Arabe (Ps. Aristid., Bas., 37).
7 Ce sont d’ailleurs les Romains eux-mêmes qui ont contribué à construire cette idée, consubstantielle de la conception de leur origine comme populus de paysans-soldats mais largement démentie par les évolutions de leur histoire. Sur ce motif, voir notamment Bonjour 1975 ; Moatti 2000, p. 925-927 ; Chambert 2005, p. 7-10, qui pointe la contradiction évidente entre cette éthique de la sédentarité paysanne et la mobilité, bien réelle même si désapprouvée, des Romains, en parlant très justement à ce sujet de « dichotomie du mouvement et de l’ancrage » ; Guédon 2010, p. 52-54 pour l’évolution de ce motif à la période tardive, telle qu’elle se donne à voir dans l’œuvre d’Augustin.
8 Moatti 2000, p. 926.
9 Au regard de cette diversité, on préférera d’ailleurs, pour rendre compte du contexte romain, la désignation de « gens de passage » adoptée par Cl. Moatti à celle de « voyageurs », de même qu’au terme « voyage » ceux de « déplacement » ou de « mobilité ». En effet, la notion de voyage, en dépit d’une définition originelle plus large en français, paraît associée par défaut dans son acception contemporaine à une activité de loisir (cf. TLFi, s. u. « voyage » et « voyageur »). Elle recouvre, dans ce cas, les seuls déplacements librement choisis et sous-tend une recherche du déplacement pour le déplacement, par curiosité, soif de découverte ou d’aventure, envie de dépaysement. Les déplacements obéissant à d’autres visées verront davantage en français leur nature précisée au moyen d’expressions du type « voyage officiel », « voyage d’affaires », « voyageur de commerce ». Si la pratique du voyage-loisir n’était pas inconnue des Romains, notamment au sein des milieux les plus aisés, elle ne saurait suffire à la multiplicité des contextes à l’origine des mobilités humaines dans ce cadre historique (Guédon 2010, p. 11-12). En dépit de leur inadéquation partielle aux réalités anciennes considérées dans leur ensemble, je serai malgré tout amenée à avoir recours ponctuellement à « voyage » et à ses composés dans cette étude, notamment dans la traduction des sources anciennes. Sur cette notion transpériodique de « gens de passage », voir notamment Moatti – Kaiser 2007 ; Moatti – Kaiser – Pébarthe 2009.
10 L. Casson (1974, p. 128-137) parle pour sa part de « miscellany of travellers ». Il est bien entendu impossible de proposer dans le cadre restreint de cette introduction une recension exhaustive de toutes les catégories concernées par la pratique de la mobilité dans le contexte romain. On trouvera d’utiles catalogues, plus ou moins complets et critiques, au sein de différentes synthèses sur le voyage et les déplacements dans l’Antiquité romaine : voir par exemple Chevallier 1988, p. 133-410 ; Frézouls 1989 ; André – Baslez 1993, p. 167-372. Voir aussi, davantage dans la perspective des mobilités durables, les diverses études de cas contenues dans Sordi 1994 ou dans Akerraz – Ruggeri – Siraj 2006 ; on renverra également, dans une perspective un peu différente, à la recension des étrangers résidant dans la ville de Rome proposée par D. Noy (2000, notamment p. 55-127) ou par C. Ricci (2006). Pour des analyses de catégories particulières d’individus et de groupes circulants, voir par exemple Broadhead 2004 (Latins) ; Hezser 2011 (Juifs) ; Coudry 2004 (ambassadeurs) ; Chambert 2005, p. 15-16 et p. 122-130 (philosophes) ; Shaw 1981 ; Pavis d’Escurac 1988 ; De Ligt 1993 ; Colin 2000 ; Erdkamp 2016 ; Holleran 2016 (commerçants et acteurs économiques) ; Fellmeth 2001, p. 49-68 (transporteurs) ; Millar 1977, p. 456-463 (athlètes et artistes) ; ou encore les références évoquées supra au sujet du cursus publicus, qui s’intéressent aux déplacements des officiels en mission, de l’armée et de certains dignitaires religieux, ainsi que Hostein – Lalanne 2012 et Destephen 2016 pour l’empereur et sa suite. Pour l’époque tardive, voir, au sein d’une abondante bibliographie, Gorce 1925 ; Perler 1969 ; Hunt 1984 ; Cantino Wataghin – Caillet 2016. Enfin, pour une approche régionale du déplacement, on évoquera par exemple les cas de l’Afrique romaine (Rebuffat 2004 ; Guédon 2010) ; de l’Égypte (Adams 2007 ; 2016 ; Foubert 2016) ; ou des Gaules (Wierschowski 1995 ; 2001).
11 Rougé 1966, p. 365.
12 Le trajet journalier moyen est estimé de 25 à 35 milles romains pour les individus véhiculés, en fonction du moyen de transport adopté ; il était naturellement beaucoup plus bas pour ceux qui circulaient à pied (voir par exemple Corsi 2000, p. 15). Pour les déplacements par mer et par voie fluviale, qui se faisaient généralement en embarquant sur des navires de commerce au titre de passager payant, le séjour avait le plus souvent lieu à bord, parfois dans des tentes installées sur le pont (Rougé 1966, p. 362 avec références ; André – Baslez 1993, p. 423-424 ; Corsi 2000, p. 14-15). En cas de navigation fluviale ou de cabotage, l’étape pouvait être terrestre, soit en usant d’installations de fortune (ainsi Rut. Nam., 1, 343-349), soit en ayant recours aux diverses modalités d’accueil décrites dans la suite de cette introduction.
13 Cf. le passage de Rutilius Namatianus évoqué dans la note précédente ainsi que, par exemple, Sen., epist., 87, 2-3.
14 À l’époque républicaine, le pouvoir romain fournissait à ses envoyés et ses magistrats en mission, en plus ou à la place de subsides, des animaux pour le transport et des équipements (tentes, couvertures, etc.), qui permettaient au bénéficiaire et à sa suite de se ménager des étapes sur la route (Kolb 2000, p. 28-34). Auguste substitua à ce système l’allocation d’indemnités de déplacement (Suet., Aug., 36).
15 Voir Shaw 1984 ; Grünewald 1999 ; Wolff 2003 ; Buonopane 2016.
16 Qui, pour desservir ses huit villas du Latium et de Campanie, s’était fait installer neuf deuersoria. Cf. par exemple Cic., epist., 7, 23, 3 (Terracine), Att., 14, 8, 1 (Sinuessa), etc. Voir Carcopino 1947, 1, p. 77-89 ; Chevallier 1988, p. 337-340.
17 Si l’on se fie au prix indiqué dans Cic., Att., 10, 5, 3, le coût total de ces deuersoria se serait élevé à environ 400000 sesterces (Carcopino 1947, 1, p. 89-90).
18 Dès l’époque républicaine, l’accueil des représentants de l’État faisait ainsi partie des prestations qui pouvaient être exigées des populations locales. Selon Tite-Live, le consul L. Postumius Albinus aurait été le premier magistrat en déplacement à exiger un hébergement des socii lors de son voyage de Rome à Préneste, en 173 av. J.-C. (Liv., 42, 1, 8-11).
19 Soit en s’appuyant sur des structures préexistantes, soit en édifiant ses propres stations (Kolb 2000, p. 183-198). Cf. infra.
20 Kolb 2000, p. 117-122.
21 Il fallait ainsi obtenir un diploma délivré par les instances revêtues du droit d’euectio, à savoir en premier lieu par l’empereur et ses services (Crogiez 1993, notamment p. 245-249). La terminologie et l’organisation du système ont pu varier en synchronie et en diachronie (voir Corsi 2000, p. 7-10 pour un tableau d’ensemble du phénomène entre Haut-Empire et Antiquité tardive).
22 Cette étude de l’hospitium sera approfondie dans le courant de l’ouvrage, notamment dans le cadre des développements consacrés au terme hospes et à ses dérivés dans le premier chapitre de cet ouvrage ; on s’y référera pour une sélection de références bibliographiques sur l’hospitium romain.
23 Adjectif que l’on entendra ici dans le sens strict de « qui ne fait pas l’objet d’une rétribution directe », selon l’opposition établie en latin entre gratuitus et mercenarius. Cette hospitalité, sous-tendue par des logiques de réciprocité plus ou moins contraignantes en fonction du statut des partenaires et de la nature de leur relation, ne doit en effet pas être ramenée au pur altruisme ou au sentiment d’un devoir moral d’assistance à l’égard de l’étranger. Voir Michel 1962, p. 473-475.
24 Sur l’hospitalité dans le corpus homérique, voir Kakridis 1963 ; Lacore 1991 ; Reece 1993 ; Hiltbrunner 2005, notamment p. 26-33.
25 Selon les Écritures, l’accueil et l’assistance de l’étranger font en effet partie des devoirs du chrétien (cf. par exemple Matth., 10).
26 Gorce 1925, en particulier p. 146-189 ; Hiltbrunner – Gorce – Wehr 1972, col. 1005-1019 ; Fauchon 2012 ; plus ponctuellement Corsi 2000, p. 11-13 et 2016. Le ξενοδοχεῖον/xenodochium est un lieu d’accueil non commercial, le plus souvent associé à un monastère, voire situé directement à l’intérieur de celui-ci, qui reçoit, pour un temps généralement bref, les pèlerins mais aussi d’autres types de voyageurs ; ces derniers se voient fournir un hébergement et des repas et peuvent être également intégrés aux activités religieuses. Ces lieux se développent à partir du milieu du IVe s. apr. J.-C. en Orient, à la suite du Concile de Nicée de 325 qui fait de la construction d’édifices de ce type un des devoirs des communautés chrétiennes ; ils se diffusent ensuite dans la partie occidentale de l’empire à une date un peu plus tardive.
27 Voir L’homme et la route 1982 ; Peyer 1983 ; 1987.
28 H.C. Peyer définit ainsi le Gasthaus médiéval comme un établissement fournissant à des étrangers de passage un hébergement pour un temps défini et des prestations de restauration, sans sélection et contre paiement (« Ein Haus, das fremden Gästen für befristete Beherbergung und Verpflegung gegen Entgelt stets offenstand. Es mußte alles aufnehmen, die es zu fassen vermochte, die nicht von Rechts wegen ausgeschlossen waren und die den Anordnungen des Wirtes Folge leisteten, gleichgültig ob es nun Taverne, Herberge, offenbares Gasthaus oder anders genannt wurde », Peyer 1987, p. 220).
29 Cf., par exemple, le titre adopté pour la traduction française de l’ouvrage de référence de T. Kleberg (cf. infra), Hôtels, restaurants et cabarets dans l’Antiquité romaine. Études historiques et philologiques (Kleberg 1957).
30 La première acception donnée par le Trésor de la langue française pour le terme « auberge » est ainsi : « petit hôtel à la campagne, dans les petites villes ou les faubourgs, où les voyageurs peuvent se loger et se restaurer », et, pour « hôtellerie », à partir de la définition générale d’« établissement fournissant le gîte et le couvert moyennant paiement », « établissement, généralement modeste et situé en dehors des villes, où les voyageurs trouvaient nourriture et logement » (TLFi, s. u. « auberge » et « hôtellerie »). On voit d’ailleurs qu’outre les prestations fournies, ces définitions prennent en compte les critères cumulés de la localisation et de la clientèle ; le choix de la catégorie des voyageurs pour désigner ces clients traduit le lien communément établi entre l’auberge et les mobilités humaines. C’est à une terminologie renvoyant à des réalités similaires à celles recouvertes par la notion d’auberge en français que T. Kleberg avait eu recours dans la version originelle de l’ouvrage évoqué dans la note précédente, intitulée Värdshus och värdshusliv i den romerska antiken, « L’auberge et la vie à l’auberge dans l’antiquité romaine » (Kleberg 1934 ; cf. Svenska Akademien Ordbok en ligne, s. u. « härbärge »). La version allemande de ce livre adopte une terminologie encore différente, en parlant cette fois dans le même temps de Wirtsthäuser (« auberges ») et de Weinstuben (« tavernes »), terme qui est surtout employé dans le sud de l’Allemagne et qui est chargé de connotations médiévales (Kleberg 1963). Ces variations traduisent les hésitations que peut susciter la traduction des réalités anciennes par des catégories contemporaines, ainsi, d’ailleurs, que les nombreuses distinctions qui peuvent exister d’une langue à l’autre en matière d’hôtellerie, de restauration et de débit de boissons.
31 Cette désignation, ainsi que les catégories afférentes de professionnels de l’accueil et d’établissements d’accueil, forgées pour les besoins de l’enquête et étendues pour l’instant sans distinction aux réalités de l’hébergement, de la restauration et du débit de boissons avec consommation sur place, doivent être envisagées de la manière la plus neutre possible à ce point initial de l’analyse, avant que la découverte progressive de la documentation vienne justement en préciser la définition. Toutefois, comme le trahit dès à présent le titre choisi pour cet ouvrage, je serai moi aussi fréquemment amenée à avoir recours à des termes modernes pour qualifier les réalités anciennes, selon les équivalences exposées supra, notamment dans la traduction des sources : l’analyse du lexique latin permettra de juger plus objectivement du degré d’adéquation entre les désignations contemporaines et antiques.
32 Cf. la définition officielle du secteur fournie en novembre 2016 par le Ministère de l’Économie et des Finances (Direction générale des entreprises) : « Le secteur HCR comprend principalement les restaurants traditionnels, les hôtels et les hôtels restaurants, les débits de boissons (cafés, bars, brasseries), les discothèques, les casinos auxquels il convient d’ajouter la restauration collective, les traiteurs, les cafétérias, les bowlings et les instituts de thalassothérapie » (http://www.entreprises.gouv.fr/tourisme/metiers/metiers-des-hotels-cafes-restaurants-hcr,pageconsultéele29novembre2016).
33 Sur le banquet romain, désigné en latin par le terme cena, puis par celui de conuiuium dans sa version festive et, enfin, par celui d’epulum en contexte public, voir à date récente, au sein d’une innombrable bibliographie, Dupont 2002 ; Dunbabin 2003 ; Zaccaria Ruggiu 2003 ; Malmberg 2003 ; Stein-Hölkeskamp 2005 ; Roller 2006 ; Vössing 2008 ; Catoni 2010 ; Schnurbusch 2011. On trouvera dans Vössing 2012 un bilan historiographique plus complet, centré sur la question de l’interaction sociale et de la communication au banquet, ainsi que quelques pistes et références complémentaires dans Schmitt-Pantel 2012 et dans Nadeau – Lion – Raga 2012.
34 Cf., toujours pour les définitions normatives françaises, celle de l’« hôtel de tourisme » : « L’hôtel de tourisme est un établissement commercial d’hébergement classé, qui offre des chambres ou des appartements meublés en location à une clientèle de passage qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois, mais qui, sauf exception, n’y élit pas domicile. Il peut comporter un service de restauration. Il est exploité toute l’année en permanence ou seulement pendant une ou plusieurs saisons. Il est dit hôtel saisonnier lorsque sa durée d’ouverture n’excède pas neuf mois par an en une ou plusieurs périodes » (article D.311-4 du Code du tourisme).
35 Roche 2000a. Dans le Paris de l’époque moderne, on distinguait théoriquement entre hôtels et garnis, c’est-à-dire entre des établissements qui offraient à une clientèle de voyageurs un logement provisoire assorti d’autres services destinés à faciliter leur séjour parisien, pour un temps généralement limité, et des établissements aux prestations moins complètes, tournés vers l’hébergement de groupes migrants plus modestes, qui y résidaient de manière parfois prolongée avant de repartir ou, éventuellement, de s’installer plus franchement dans la ville ; toutefois, pour une frange réduite d’usagers de ces garnis, dont la situation était particulièrement fragile d’un point de vue économique et social, ce type d’hébergement pouvait se transformer en « un véritable mode d’habitat, instable et précaire, mais qui tend[ait] à devenir permanent » (Juratic 2000, p. 188) ; dans la pratique, du reste, ces distinctions demeuraient fluides et un même établissement pouvait donner lieu à des formes d’usages variés. Voir également Chabaud – Milliot – Roy 2000, p. 159 ; Roche 2000b, p. 304.
36 À ce sujet, on se référera en particulier, au sein d’une abondante bibliographie, à Hellegouarc’h 1963 ; Wiseman 1971, en particulier p. 33-38 ; Nicols 2001 ; Peachin – Caldelli 2001 ; davantage dans la perspective de l’hospitium publicum, Badian 1958 ; Mangas 1983 ; Nicols 2014, en particulier p. 185-192 ; Jehne – Pina Polo 2015.
37 Ainsi, des études récentes consacrées aux déplacements à travers l’Occident romain n’abordent qu’incidemment cet aspect commercial de la question, en privilégiant les seules structures officielles : voir par exemple Molin 2009 ; Crogiez-Pétrequin – Nelis-Clément 2009 ; ou encore, au sujet des sources épigraphiques, Demougin – Navarro Caballero 2014 ; seul Ph. Leveau (2014b) prend directement en compte l’accueil mercantile dans sa contribution à cet ouvrage. Sur les stations « du cursus publicus », cf. infra.
38 Il est ainsi fait référence à ces professionnels dans les travaux de N. Tran (2006 ; 2013) sur les associations professionnelles et sur les entrepreneurs romains ; de J.-J. Aubert (1994) sur la préposition ; de H. Mouritsen (1988) sur les inscriptions électorales de Pompéi ; de P. Kruschwitz (1999) sur la publicité.
39 En dehors du cas particulier des sources juridiques relatives à l’accueil mercantile romain, dont l’étude est demeurée le fait des historiens du droit (cf. chap. II), on mentionnera surtout en ce sens les sources archéologiques (cf. infra).
40 Six pages dans un chapitre consacré par J.-M. André et M.-Fr. Baslez (1993, p. 461-466) à l’« intendance du voyage » ; trois dans Chevallier 1972 (p. 218-220) ; une vingtaine dans Casson 1974 (p. 197-218) ; une dizaine dans Chevallier 1988 (p. 66-78) ; signalons que les quelques pages que St. Guédon (2010, p. 89-94) dédie à l’accueil commercial dans son étude des voyages en Afrique s’efforcent de dépasser cette approche traditionnelle, notamment grâce à un renouvellement des sources convoquées. Dans une perspective différente, on évoquera enfin les travaux d’O. Hiltbrunner (2005) sur l’hospitalité dans l’Antiquité méditerranéenne, qui comprennent quelques développements consacrés aux auberges.
41 Kleberg 1934.
42 Kleberg 1957. Cette version française constitue la traduction presque littérale de l’original suédois, assortie de mises à jour archéologiques qui sont notamment fondées sur les découvertes faites à Ostie à partir de la fin des années 1930. Je ferai pour l’essentiel référence à l’ouvrage français, en renvoyant à la pagination correspondante dans la version suédoise ; quand cette seconde indication fait défaut, c’est que le passage en question a été ajouté à la version originelle au moment de l’édition française. La version allemande de l’ouvrage (Kleberg 1963), si elle varie davantage dans sa forme, n’apporte guère de changements quant aux sources convoquées et à la méthode adoptée. Outre ses travaux d’érudition philologique et d’ecdotique, T. Kleberg, dont la carrière s’est déroulée à la tête de la Bibliothèque générale de l’université d’Uppsala, est également connu pour un ouvrage consacré au commerce du livre dans l’Antiquité romaine (Kleberg 1962 ; 19692).
43 Voir par exemple Kleberg 1957, p. 88 = 1934, p. 110, passage où T. Kleberg, dans son étude du personnel des établissements d’accueil romains, évoque sans solution de continuité une inscription de la ville de Rome datant du VIe s. apr. J.-C. et un passage d’une satire du Haut-Empire : « Il est tout naturel que bien peu de noms des membres du personnel hôtelier soient passés à la postérité. À Rome, outre Iohannis u. h. (h) olographus propine Isidori de l’inscription CIL, VI, 9826, nous connaissons la serveuse Cyane nommée dans Iuv., 8, 162 et qui travaillait chez le cabaretier syro-phénicien de la Porta Idumaea. »
44 Moatti 2004 ; Moatti – Kaiser 2007 ; Moatti – Kaiser – Pébarthe 2009 ; Andreau – Virlouvet 2002 ; Horden – Purcell 2000.
45 Tran 2006 ; 2013b ; Monteix 2010 ; Monteix-Tran 2011 ; Courrier 2014 ; Schoevaert 2018 .
46 Sur cette notion, convoquée par J. Andreau au sujet des manieurs d’argent pour rendre compte du « rapport au travail et à l’activité, tant sur le plan des institutions qu’à celui des représentations » (1985, p. 378, n. 10), voir notamment Andreau 1982, p. 181-183 ; 1985, p. 378 ; 1987, p. 25-33 ; 1992, p. 232-233 ; 2001, p. 17. On en trouvera une analyse synthétique assortie d’un bilan historiographique dans Tran 2013b, p. 5-10.
47 Entre autres sous la forme particulière du caravansérail. Voir Hiltbrunner 2005, p. 106-109 ; p. 123-125.
48 Cf. Ar., Ra., 111-115 ; Aeschin., 2, 97 ; D., 19, 158 ; ces passages mettent en lumière des problématiques assez similaires à celles que connaît le contexte romain, comme on en prendra de nouveau conscience en découvrant les sources hellénophones d’époque romaine (Hiltbrunner 2005, p. 125-130).
49 La pratique du voyage en convoi explique ainsi l’existence, au Proche-Orient et en Égypte, de véritables stations caravanières, éventuellement liées à des implantations militaires mais destinées aux civils, notamment aux marchands, qui sont sans équivalent direct pour l’Occident et qui préexistent, le plus souvent, à l’occupation romaine. En raison de conditions géographiques et climatiques souvent hostiles, la pratique du déplacement y apparaît beaucoup plus organisée qu’en Occident, laissant une part moindre à l’initiative individuelle des voyageurs et des professionnels de l’accueil. Les stations, lorsqu’elles ne sont pas créées directement par le pouvoir, peuvent ainsi être le produit de fondations évergétiques commémorées par des inscriptions. Voir par exemple Reddé – Bauzou 1989 (Égypte) ; Sartre-Fauriat 1999 (Arabie).
50 En particulier, pour les sources littéraires, les romans (Chereas et Callirhoe de Chariton d’Aphrodisias, Leucippe et Clitophon d’Achille Tatius et Vie d’Apollonios de Tyane de Philostrate, qui datent, pour les deux premiers, du IIe s. apr. J.-C. et, pour le troisième, du IIIe s. apr. J.-C.). Les dépouillements des corpus épigraphique et papyrologique de langue grecque, menés à partir des bases de données en ligne, n’ont pour leur part donné que des résultats très limités tant pour l’Orient que pour l’Occident romains.
51 Ainsi en va-t-il par exemple de l’inscription macédonienne CIL, III, 14206, 21 = ILS, 7479 (AE, 1898, 148 ; AE, 1902, 155 ; AE, 1902, 232), qui offre un regard intéressant sur la gestion d’un débit de boissons. Cf. RE1.
52 Sur la composition de ce corpus épigraphique, cf. chap. III.
53 Il s’agit de la « Casa del Priapo » (Herculanum, IV, 17-18). Voir Monteix 2010, p. 108-112 et infra (CA2Herculanum).
54 Voir par exemple Hermansen 1982 ; La Torre 1988 ; DeFelice 2001 ; Ellis 2004 ; Calabrò 2012 ; McGinn 2004, qui traite largement de la question de l’accueil mercantile dans le cadre d’une étude consacrée aux cadres économiques de la prostitution dans l’Occident romain, et tout particulièrement à Pompéi ; ainsi que, bien entendu, les études de références de N. Monteix pour Pompéi et Herculanum et de J. Schoevaert pour Ostie, qui abordent ce domaine par le biais des commerces alimentaires (Monteix 2010 et Schoevaert 2018).
55 Ainsi Monteix 2010, p. 113 : « Comme second point, insister sur le local principal permet d’éviter une trop grande dispersion : les salles annexes, en tout cas celles destinées à la réception de la clientèle, n’ont été que survolées. Je n’aborderai que brièvement la question des salles à manger, et ne mentionnerai par les problèmes posés par l’hôtellerie. En revanche, j’ai étudié les pièces annexes participant au bon fonctionnement du commerce par leur fonction de stockage ou de préparation. »
56 Les réflexions qui suivent synthétisent les remarques introductives de Le Guennec 2016a.
57 Même si le pas allant de l’hypothèse à l’assertion est parfois rapidement franchi dans la bibliographie. On évoquera par exemple le cas bien connu d’Ambrussum (Hérault ; cf. CA2Villetelle). Dans la première publication dont fit l’objet l’étude du « quartier bas » de cet oppidum en bordure de la uia Domitia, les possibles fonctions d’accueil commercial d’une propriété par ailleurs identifiée comme une ferme sont évoquées à titre d’hypothèse permettant d’expliquer les particularités du plan d’ensemble et la nature du matériel qui y a été trouvé. En revanche, les publications ultérieures parlent désormais à son sujet, sans plus de précautions rhétoriques, de « ferme-auberge », avec le risque de faire accéder cette notion au statut de canon interprétatif pour d’autres sites présentant des caractéristiques similaires (à l’instar de celui de Soumaltre, dans l’Hérault, Thernot – Bel – Mauné 2004 ; cf. CA2Soumaltre). On comparera par exemple Fiches 1989, p. 92-93 (« Ce constat ne constitue pas à lui seul un critère distinctif même s’il est parlant, mais il s’y ajoute l’existence de la structure centrale, du moulin et du four, les traces du passage des animaux, les portes charretières donnant des deux côtés de la propriété, les pièces de stockage et de remisage qui tissent un réseau d’indices confortant l’interprétation de cet îlot. Même si par ailleurs la position d’Ambrussum sur la voie Domitienne et sa mention comme mutatio sur l’itinéraire de Bordeaux à Jérusalem fournissent la tentation d’interpréter cette propriété comme un relais pour le changement des montures, cette fonction n’est pas incompatible avec celle d’une ferme où l’on entretient des animaux (de trait, de monte ou de portage notamment), où l’on produit et stocke des céréales et des légumineuses, où l’on moud le grain et cuit des céréales et où l’on forge peut-être également le fer ») et Fiches – Mathieu 2002 où il est cette fois directement question d’une « ferme-auberge » (voir par exemple, p. 531) et d’une famille d’« agriculteurs aubergistes » (p. 548). Dans le cas de la « Caupona del Pavone » d’Ostie (IV, ii, 6 ; cf. CA2Ostie3), le pas interprétatif est franchi dans le courant même de l’étude de C. Gasparri (1970). La destination hôtelière de l’ensemble, initialement présentée comme une suggestion permettant de rendre compte du plan singulier du complexe (p. 13) est envisagée, quelques pages plus loin (p. 31-33), comme un phénomène-clé en fonction duquel sont reconstituées les différentes phases de la vie du bâtiment.
58 Monteix 2010, p. 108-112. Cf. également, au sujet de la « Caupona del Pavone » (IV, ii, 6), les propos de C. Gasparri (1970, p. 13) : « Una pianta simile, con la sua ripartizione dello spazio per ottenere il maggior numero di stanze, potrebbe suggerire per l’edificio, fin dall’inizio, la funzione di albergo ; di hospitium quindi se non già di caupona, con servizio di cibi e bevande, che venivano forniti nell’ambiente più spazioso in fondo alla casa. »
59 Pour un bilan, voir Zanini 2016 ; Le Guennec 2016a.
60 Voir Tomei 1995, p. 549-552.
61 Carandini 1990. On se référera également à Lugli 1947 ; García Barraco – Lugli 2012.
62 Cf. CA2Rome.
63 Voir Tomei 1995, p. 614.
64 Composé en majorité, d’après les recensions de G. Boni, de lampes, de vaisselle de service et de verres à boire (Tomei 1995, p. 558-614). À signaler également la présence de restes de coquillages ; on ne trouve en revanche pas mention d’autres types de restes animaux, ce qui ne plaide pas en faveur d’activités de restauration, même si M.A. Tomei explique cette singularité par une application stricte des décrets impériaux du Ier s. apr. J.-C. qui visaient à réduire l’offre alimentaire des restaurants de la ville de Rome (Le Guennec 2016b).
65 On se référera à Tomei 1995 pour un bilan historiographique des différentes interprétations proposées. L’auteur se prononce, pour sa part, en faveur de l’hypothèse hôtelière. Elle propose ainsi de reconnaître dans ces structures « una grande caupona intensamente frequentata, posta presso un importante incrocio stradale tra la via Sacra e il clivo Palatino » (ibid., p. 616), à laquelle se trouveraient adjointes des activités thermales et de prostitution. Voir également Guzzo – Scarano Ussani 2009, p. 22, n. 192.
66 Voir Ghedini – Basso 2003, p. 449-450.
67 Pour une description des vestiges, voir Nappo 1999 ; 2008 ; Mastroroberto 2002, p. 37-39. Cf. CA2Pompéi.
68 Mastroroberto 2002, p. 39-69. L’auteur voit dans ce programme un acte de propagande à la gloire de Néron, ce qui lui permet de justifier le lien qu’elle établit entre ce complexe et Suet., Nero, 27, 3.
69 Pour un bilan historiographique, voir Mastroroberto 2002, p. 35-37, Nappo 2008, p. 66-67 ainsi que les différentes interventions consacrées à ce complexe dans le numéro de la revue Ostraka de 2003 (12-2), qui est en partie dédié au site de Murecine.
70 Aux IVe et surtout Ve siècles : Duval – Duval 1972, p. 706.
71 Guédon 2010, p. 97. On trouvera une exposition approfondie de ce corpus dans Duval – Duval 1972 ; Christern 1976, p. 231-239 ; Golvin 2009.
72 Duval – Duval 1972, p. 704.
73 Sur le « bâtiment à auges » de Theveste, voir notamment Christern 1976, p. 90-94 ; Duval – Cintas 1976. Pour une interprétation de cet édifice comme xenodochium, Salama 19872, p. 374-375.
74 Par exemple parce que ces auges sont trop proches les unes des autres, comme à Ammaedara, ou parce que la présence de colonnes d’angle en bloque l’accès, comme à Henchir Faraoun. Voir Duval – Duval 1972, p. 706-707 et Guédon 2010, p. 97.
75 Duval – Duval 1972, p. 708-709 ; Duval 1979 ; Guédon 2010, p. 97 ; Golvin 2009, p. 250 et, dernièrement, le colloque Les salles à auges dans l’architecture de l’Antiquité tardive, entre Afrique et Proche-Orient. Monuments pour les distributions publiques ou écuries (29-30 mai 2015, Colegio de España, Paris). On trouvera d’autres hypothèses interprétatives, plus anciennes et qui penchent davantage pour un usage religieux de ces bâtiments (église ou baptistère collectif), dans Duval – Duval 1972, p. 697-699 et p. 706-710.
76 Zucca 1992, p. 606-607.
77 Leveau 2016b.
78 AE, 1992, 892. Sur ce site et l’inscription, voir Zucca 1992.
79 C’est également, par exemple, l’hypothèse interprétative proposée par M. Poux et A. Borlenghi pour le complexe résidentiel de la possible station routière de Bergusium (identifié au site des Buissières à Panossas, dans l’Isère), Poux – Borlenghi 2016 ; ou par F. Colleoni et C. Petit-Aupert pour l’établissement routier de la Goudagne, dans le Gers, connu par des prospections aériennes (Colleoni – Petit-Aupert 2016).
80 AE, 1912, 193 ; CIL, III, 6123 = 14207, 34 = ILS, 231 ; IGBulg, V, 5691.
81 Pandermalis 2002 ; Leveau 2016b ; Kolb 2016.
82 France – Nelis-Clément 2014a ; 2014b.
83 Les bâtiments destinés à l’accueil des officiels en déplacement étaient le plus souvent désignés en latin par le terme statio, qui correspondait au grec σταθμός (Crogiez-Pétrequin 2014, p. 314-317). Le terme mansio (μονή), plus tardif dans ce champ et plus large dans son acception, renvoyait, pour sa part, autant au bâtiment d’accueil qu’à la station d’étape considérée dans son ensemble, qui pouvait également comporter greniers, thermes, espaces commerciaux, habitat et qui donnait parfois naissance à des agglomérations secondaires en bord de route (ibid., p. 310-311). Quant au terme mutatio, qui désignait un lieu destiné spécifiquement au changement des montures, il demeure tardif et rare (ibid., p. 311). Comme l’a montré à plusieurs reprises S. Crogiez-Pétrequin, la terminologie employée dans les sources traitant de ces relais publics varie en fonction des contextes historiques et géographiques ainsi que du type de document envisagé ; elle apparaît ainsi largement flottante à l’échelle de l’ensemble du corpus. La bibliographie secondaire, notamment à caractère archéologique, retient généralement le seul couple de désignations mansio/mutatio pour qualifier des vestiges identifiés comme des lieux d’étape officiels, là où en réalité « pour désigner concrètement un édifice du cursus publicus, c’est bien le terme statio qui est le plus fréquent » (ibid., p. 317). Pour une analyse de la terminologie de ces stations, voir également, entre autres, Corsi 2000 ; Crogiez-Pétrequin 2016 ; Colleoni 2016b, p. 5-6.
84 Pour l’Italie, avec des parallèles provinciaux, voir les études de cas contenues dans Basso – Zanini 2016 ; pour la Gaule, le dossier dirigé par F. Colleoni dans le numéro 73-1 de Gallia (Colleoni 2016a). Pour un bilan historiographique et méthodologique sur cette question, voir Colleoni 2016b.
85 Citons par exemple le site de Malvito (Loc. Pauciuri), en Calabre : les fouilles successives ont fini par démentir de manière à peu près définitive l’hypothèse du relais (qui était plutôt identifié à une mansio officielle), faute notamment d’avoir découvert une voie (voir Crogiez 1990 ; Corsi 2000, p. 133-135, et les différents rapports d’activité publiés entre 1985 et 2002 dans les MEFRA).
86 Colleoni 2016b, p. 5.
87 Ollivier 2016 ; Ollivier et al. 2016 ; Blondel – Le Guennec 2016.
88 On trouvera dans l’annexe V des fiches détaillées pour chacun de ces sites (annexe V.1. : Corpus archéologique 1 ; annexe V.2. : Corpus archéologique 2), auxquelles il sera fait référence dans le corps de l’étude par des renvois abrégés (ex : CA1Pompéi1 ; CA2Villetelle).
89 Cf. la fin du chap. I pour une explicitation de ces critères.
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