Chapitre 9. Le rapport de l’immobilier urbain
p. 413-463
Texte intégral
1Les choix d’investissement des élites italiennes durant l’époque moderne ont été traditionnellement envisagés comme une « course vers la terre ». Ce transfert massif des capitaux vers des investissements fonciers au détriment des placements mobiliers a été expliqué par des raisons socio-culturelles (achat de terres et de fiefs en vue d’un anoblissement, retrait du commerce considéré comme une activité vile et dérogeante), mais aussi économiques1. Le débat historiographique s’inscrit en effet plus globalement dans la tentative d’expliquer la crise que connaît l’Italie à partir du XVIIe siècle. Après avoir accusé les élites italiennes d’être responsables de ce déclin en retirant leurs capitaux du commerce (« la trahison de la bourgeoisie »), les historiens ont renversé la perspective et considéré que la terre représentait l’un des meilleurs investissements possibles étant donné les mutations économiques de l’époque (marginalisation de l’Italie par rapport aux nouvelles routes du commerce international, émergence de puissances économiques concurrentes, augmentation du prix des produits agricoles…). Face à cette prépondérance des patrimoines fonciers ruraux, l’historiographie a négligé l’immobilier urbain qui ne constitue certes qu’une part minoritaire des patrimoines nobiliaires2. Il représente pourtant un capital dont la valeur peut évoluer au cours du temps, mais qui s’avère un investissement relativement sûr. Il constitue aussi une source de revenus à travers sa mise en location ou à travers d’autres formes d’exploitation, tels les contrats de livello (baux emphytéotiques). La source cadastrale offre un suivi précis des transferts de propriété effectués dans la seconde moitié du XVIIIe siècle qui permet d’évaluer la place du patriciat dans les transactions immobilières. Les choix de gestion du parc locatif seront ensuite envisagés à partir des contrats retrouvés dans les archives familiales. Ces choix de gestion ne sont pas conduits exclusivement dans la perspective de bénéfices économiques car la location de logements s’insère dans des pratiques clientélistes qui s’avèrent contradictoires avec la logique d’une rentabilité maximale des biens. Les pratiques évoluent également en fonction de la conjoncture, des types de biens et de l’état de ceux-ci.
Les patriciens et le marché immobilier
L’immeuble urbain : un capital susceptible de valorisation ?
2Le marché des immeubles urbains suit des règles bien spécifiques dans la mesure où il concerne des biens uniques par leurs caractéristiques et non des produits reproductibles. Leur valeur est fixée selon les qualités intrinsèques du bien (taille, état du bâti, etc.) pondérées par la loi de l’offre et de la demande. Jean-François Chauvard, qui s’est intéressé aux mécanismes de formation des prix des immeubles à Venise, conclut à un modèle mixte qui n’est « ni impersonnel et individualiste », « ni coercitif et anticoncurrentiel »3. Le prix de vente, comme dans l’économie de marché, est calculé par capitalisation de la rente, mais l’estimation de l’expert qui dégage la valeur intrinsèque et théorique des biens joue un rôle fondamental. Elle permet la négociation du prix « sur la base d’une valeur communément partagée, la communis aestimatio ». La relative stabilité des taux de rentabilité « renforce l’idée selon laquelle il existe un prix véritable qui réside dans la nature du bien et ses qualités intrinsèques, et non sur un jeu d’évaluations qui aurait une part d’arbitraire »4. Pourtant, l’auteur met aussi en évidence l’existence de variations des taux de rentabilité qui « rappellent que les prix du marché disposent d’une autonomie par rapport à une norme qui sert avant tout à exprimer la valeur des choses qui ne passent pas sur le marché »5. Michela Barbot, qui a étudié les ventes réalisées par la Fabrique du Duomo de Milan entre 1570 et 1670, montre la pluralité des principes d’évaluation qui interviennent dans la formation des prix des immeubles. Chaque transaction est le résultat « d’un échange à mesure des choses et des personnes » impliquées qui mobilise une « multiplicité de facteurs matériels et immatériels, économiques et extra-économiques »6. L’étude des estimations réalisées par les ingénieurs, qui accompagnent généralement les actes de vente, montre ainsi une différence de traitement entre les édifices commerciaux (pour lesquels la capitalisation de la rente apparaît particulièrement importante) et les édifices résidentiels (pour lesquels les matériaux utilisés ainsi que l’état de conservation jouent un rôle essentiel). La localisation à l’intérieur de l’espace urbain constitue également un facteur de variation ainsi que les aspects sociaux (relations entre vendeur et acheteur) et juridiques (stratification des droits sur l’immeuble, situations litigieuses). M. Barbot conclut en soulignant l’importance croissante prise par le taux de capitalisation de la rente au cours du XVIIIe siècle. La valeur d’échange correspondrait donc largement à la valeur d’usage du bien, limitant ainsi les phénomènes de spéculation7.
3Dans la ville d’Ancien Régime, les théories néo-marxistes de la valeur foncière ou les approches sociologiques qui considèrent celle-ci comme le résultat de la division sociale de l’espace ne semblent pas très appropriées8. En effet, les petites paroisses où se concentrent les résidences patriciennes ne sont pas celles où la valeur du sol urbain apparaît la plus élevée (pl. XXXIX et pl. VII). Celle-ci dépend surtout des usages économiques (réels ou potentiels) qui sont déterminés par la localisation, à travers les critères d’accessibilité et de centralité. Les valeurs extrêmement élevées atteintes par certaines parcelles témoignent d’une forte valorisation de certains emplacements favorables au commerce : hyper-centre de la ville, grands axes conduisant aux portes ou carrefours stratégiques (pl. XL). L’étude des valeurs foncières laisse donc percer l’importance de la rente urbaine (en particulier pour les édifices à usage commercial) et conduit à nuancer les conceptions qui font de la ville un lieu secondaire face à la campagne pour la richesse foncière. À titre de comparaison, les terrains ruraux qui dégagent les revenus les plus importants sont estimés à 0,13 lires par m2 et les moins productifs à 0,02 lires par m2 9. Une parcelle avec boutique sur la place du Duomo atteint une valeur de 20 lires par m2. Pour retrouver la même valeur, il faut donc 89 perches de bonnes terres cultivables (soit 5, 8 hectares) et 625 perches de mauvaises terres (soit plus de 40 ha).
4Les stratégies d’investissement des patriciens, guidées essentiellement par des critères géographiques (compléter le noyau patrimonial autour de la résidence), peuvent constituer des facteurs d’élévation des prix de vente. Le recours à l’article De Aedificiis apparaît clairement dans les actes notariés qui donnent initialement le prix résultant de l’expertise, puis le prix final comprenant l’augmentation de 25 % à titre de dédommagement. Sans qu’il y ait forcément recours à une procédure d’expropriation, un accord à l’amiable avec le vendeur peut aussi impliquer un dédommagement en faveur de celui-ci pour compenser la perte d’un bien dont il n’avait initialement pas l’intention de se débarrasser. C’est le cas en 1781, lorsque le marquis Molinari vend au comte Borromeo Arese sa casa da nobile située sur la place de S. Maria Pedone : le prix s’élève alors à 200 000 lires plus 45 000 lires à titre de compensation dans la mesure où la vente a été réalisée à la demande des Borromeo (soit 22,5 % du prix pour dédommagement)10. Le marquis Molinari réalise ainsi un bénéfice exceptionnel puisqu’il avait acheté la demeure 96 000 lires, en 1715, auprès du marquis Carpani. Plusieurs autres exemples confirment que l’acquéreur peut être prêt à payer un prix particulièrement élevé pour entrer en possession d’un bien qui se trouve à proximité de sa résidence. En 1693, Giuseppe Giulino revend au marquis Giorgio II Clerici une maison située dans la paroisse de S. Protaso ad Monacos pour 24 000 lires alors qu’il l’avait achetée 18 000 lires en 1672 au comte Gerolamo Terzago11. Le prix a donc augmenté d’un tiers dans un contexte qui, à l’inverse du précédent, ne se caractérise pas par un dynamisme urbain : les Clerici sont disposés à surpayer un bien dans la mesure où il côtoie leur palais. La plupart des acquisitions des Belgioioso et des Serbelloni, à l’occasion de la construction de leurs palais, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ont aussi été réalisées grâce à l’article De Aedificiis et se sont donc effectuées à des prix majorés d’au moins 25 %. Lorsqu’un bien est si chèrement payé, il est évident qu’une éventuelle revente risque de se faire à perte. Mais généralement, les propriétés voisines de la résidence, achetées au prix fort, ne sont pas destinées à être revendues. Elles sont au contraire destinées à être fixées dans le patrimoine familial sur la très longue durée, éventuellement au moyen de fidéicommis (voir chap. 10). Sans surprise, les logiques qui guident les investissements des patriciens dans la ville ne suivent donc pas toujours les simples intérêts économiques. La volonté d’agrandir leur palais ou de renforcer leur emprise foncière dans une zone précise leur fait débourser une somme bien supérieure au marché pour acquérir un bien qui possède, pour eux, une valeur particulière12. Pour les biens éloignés de la résidence, qui ne sont donc pas investis d’un intérêt similaire, de nombreux exemples témoignent d’une relative stabilité des prix entre l’achat et la revente. Les opérations qui peuvent garantir une réelle plus-value concernent essentiellement les biens qui ont été acquis auprès de propriétaires endettés ou dans le cadre d’enchères organisées par le fisc. Dans ces cas précis, l’édifice a souvent été acheté à un prix inférieur à sa valeur. C’est le cas d’une sostra dans S. Carpoforo qui avait été cédée pour 9 400 lires aux Crivelli en 1646 par son propriétaire endetté et qui est revendue 17 981 lires en 180013. En un siècle et demi, son prix a quasiment doublé, alors que la valeur de la lire évolue peu entre ces deux dates. En 1683, les Crivelli s’étaient portés acquéreurs d’une partie des jardins du Château de Milan mis en vente par la Regia Camera. Le bien, saisi pour non-paiement des impôts par son propriétaire, est acheté 242 000 lires. En 1701, le marquis Tiberio le revend 252 600 lires. L’opération, réalisée dans un laps de temps plus réduit que la première, témoigne encore d’une bonne affaire pour la famille. À la fin du XVIIIe siècle, il est fort probable que la cession des ex-propriétés ecclésiastiques, en particulier dans le contexte de la vente des biens nationaux, ait pu procurer quelques plus-values intéressantes, mais le phénomène reste difficile à appréhender à partir de la documentation cadastrale et les patriciens ne semblent pas avoir été très impliqués dans ce type d’opérations. Toutefois, d’autres catégories sociales ont pu profiter de cette opportunité. En général, les patriciens ne vendent pas un bien pour réaliser un bénéfice, mais lorsqu’ils doivent faire face à une nécessité économique14. Si le comte Alessandro Sormani vend une maison à Don Pietro Taverna en 1774, c’est pour régler les dettes de la primogéniture Giussani15 ; si Giovanni Battista Visconti se sépare, en 1653, de sa casa da nobile de la contrada dei Bossi, c’est parce qu’il y est contraint par l’endettement ; si la comtesse Francesca Bigli cède le Palazzo dei Cani, c’est pour faire face aux frais de la succession Visconti16. Et l’on pourrait multiplier ces exemples. Par ailleurs, dans un contexte de stabilité des loyers, le prix des édifices est peu susceptible d’évolutions17. Dans la mesure où les améliorations réalisées dans un immeuble sont simplement additionnées au prix d’achat antérieur lors de la revente, les investissements visant à réaliser un bénéfice par une démarche de ce type (achat-travaux-revente) sont rares. La construction du palais Diotti, dans une conjoncture nouvelle, pourrait illustrer une telle démarche, mais l’opération n’est pas le fait d’un patricien. De la part de ceux-ci, aucune opération de lotissement de terrain n’a été identifiée. Les entreprises de spéculation foncière menées par l’aristocratie dans d’autres grandes villes européennes à la même époque18 semblent peu présentes à Milan qui ne se caractérise pas, il est vrai, par un contexte d’extension du territoire urbain. Dans la capitale lombarde, les opérations de spéculation édilitaire sont conduites par d’autres acteurs et celles dans lesquelles sont impliqués des patriciens se font surtout autour de la construction des grands théâtres urbains (Scala, Canobiana) avec la revente des loges19. La fin du XVIIIe siècle pourrait cependant marquer une évolution à ce niveau, la formation des prix apparaissant moins liée à la valeur intrinsèque des biens et davantage à la demande.
Les transactions immobilières à Milan (1751-1784)
5Les transactions immobilières sont appréhendées à partir des petizioni per trasporti d’estimo (demandes de transfert de propriété), lettres adressées par les nouveaux propriétaires à l’administration du cadastre pour demander le transfert à leur nom d’une parcelle qu’ils viennent d’acquérir ou qui leur a été transmise. Si cette documentation n’est peut-être pas complètement exhaustive20, elle apporte des informations supplémentaires à celles fournies par les registres de transfert du cadastre (Libri dei trasporti) : les petizioni mentionnent notamment la nature du transfert (vente, héritage, donation, etc.) et donnent les références de l’acte notarié (date et nom du notaire), ce qui permet éventuellement de s’y reporter pour avoir des renseignements complémentaires sur la transaction. Les petizioni per trasporti d’estimo, en dépit de leurs limites, offrent une vision générale des mouvements immobiliers effectués entre 1751 et 1784, permettant d’évaluer la place du patriciat dans les transactions immobilières.
6Les années 1770 marquent une très nette augmentation des échanges immobiliers. En effet, la décennie 1770-1780 concentre à elle seule 52 % des échanges déclarés et connaît en moyenne 76,7 transactions par an contre seulement 17,9 pour la décennie 1751- 1760. Il s’agit, en effet, d’un moment de croissance démographique, de reprise économique et d’une phase d’intense activité édilitaire. Ces facteurs contribuent à donner un nouvel élan au marché immobilier. Les premières suppressions ecclésiastiques, à partir de 1769, sont aussi largement responsables de l’augmentation des transactions comme le confirmera, un peu plus loin, l’étude de la provenance des biens. Le début des années 1780 amorce une légère diminution avec 68,7 transactions par an. Le nombre de parcelles par transaction reste relativement stable au cours de la période même s’il connaît une légère augmentation (de 1,08 à 1,13). Globalement, l’immense majorité des contrats de vente ou de livello (près de 90 %) ne concerne qu’une seule parcelle. Il est très rare que les contrats portent sur plus de deux parcelles.
Tab. 48 – Nombre de parcelles par transaction (1751-1784).
Nombre de parcelles impliquées dans la transaction | Nombre de transactions | % |
1 | 1444 | 89,1 |
2 | 150 | 9,3 |
3 | 15 | 0,9 |
4 | 10 | 0,6 |
5 | 2 | 0,1 |
Total | 1621 | 100,0 |
7Les échanges immobiliers apparaissent relativement répartis dans l’ensemble de la ville. La proportion de parcelles affectées par une transaction varie entre 28,3 et 34,7 % selon les quartiers. Porta Orientale cumule certes un maximum de transactions immobilières (1260), mais si l’on rapporte le nombre de parcelles échangées au nombre total de parcelles dans le quartier, ce sont ceux de Porta Romana et de Porta Comasina qui apparaissent les plus dynamiques. Il s’agit en effet de quartiers où la propriété bourgeoise et artisanale est plus importante qu’ailleurs, et celle-ci s’avère par nature plus mobile. L’étude des acteurs des transactions confirme la place prépondérante de ces groupes sociaux dans les échanges.
8Si les ventes simples sont nettement majoritaires sur l’ensemble de la période, on observe cependant une diminution de celles-ci entre 1751 et 1784 au profit des contrats de livello. Ces derniers, qui ne représentaient que 5 % des contrats pour la décennie 1750, finissent par concerner 43,6 % des échanges, à parité avec les ventes simples, durant les années 1780-1784. Les ventes de la propriété utile augmentent également car elles correspondent en réalité à la cession de livelli. Leur croissance est donc le résultat direct de l’augmentation des investitures livellarie. Nous verrons que cette forme de gestion de la propriété, qui libère le propriétaire éminent de toutes les charges inhérentes au bien, s’avère particulièrement favorable d’un point de vue économique dans certains cas. Par ailleurs, le Fondo di Religione ne réussissant pas à vendre tous les ex-biens ecclésiastique fait aussi le choix de les céder à travers des contrats de livelli. Finalement, l’analyse de la provenance sociale des contractants permet de déterminer quelles catégories sociales sont davantage présentes dans les échanges immobiliers.
9Les non-nobles constituent la catégorie sociale la plus active dans le marché immobilier milanais entre 1751 et 1784. Ils représentent la majeure partie des vendeurs (51 à 65 % selon les périodes) et sont en proportion encore plus grande parmi les acheteurs (73 à 80 %). Ils sont donc surreprésentés dans les échanges immobiliers puisqu’ils ne possédaient vers 1751 que 32,8 % des unités immobilières de Milan22. Ce phénomène est lié au fait que leurs propriétés sont plus mobiles que les patrimoines des institutions ecclésiastiques ou les patrimoines nobiliaires : les nécessités économiques occasionnent davantage de ventes pour un groupe social dont les ressources financières sont plus limitées et qui se trouve plus sensible que d’autres à l’endettement. D’autre part, certains individus, à l’intérieur de ce groupe hétérogène, connaissent une ascension sociale et renforcent leur part dans la propriété foncière du sol au cours de la période. En effet, le nombre de transactions où ils sont acquéreurs est supérieur de 22 % à celui des transactions où ils sont vendeurs. C’est donc une situation inverse à celle du patriciat qui apparaît davantage dans les vendeurs (16 à 20 %) que dans les acheteurs (10 à 14 %). Il est vrai que les propriétés patriciennes sont davantage vouées à l’immobilisme : les traditions d’ancrage dans un quartier et les pratiques visant à perpétuer les patrimoines ont donc un effet bien visible. En outre, le groupe patricien, du fait de sa relative solidité économique, est a priori moins touché par les ventes pour endettement que les non-nobles. Quant à l’Église et aux institutions caritatives, elles n’occupent qu’une position marginale dans le marché immobilier, sauf durant la décennie 1770- 1780 où elles représentent plus de 12 % des vendeurs, ce qui est lié aux suppressions ecclésiastiques et à la réorganisation des institutions caritatives. Celles-ci se poursuivent au cours des années 1780, mais la volonté du gouvernement de ne pas inonder le marché immobilier au risque d’en faire baisser les prix conduit à un échelonnement des ventes au cours du temps et à privilégier finalement les contrats de livello. Les réformes qui visent à limiter la propriété ecclésiastique et interdisent les acquisitions sous le régime de la mainmorte à partir de 1767 sont aussi responsables de sa faible présence parmi les acquéreurs. Une prise en compte de la valeur des parcelles impliquées dans les transactions nuancerait peut-être cette image des acteurs du marché immobilier car il est possible que les patriciens échangent des biens de plus grande valeur que les non-nobles.
10Le marché des contrats de livello renvoie une image différente de celui des ventes : les bailleurs de ce type de contrats sont essentiellement des institutions ecclésiastiques et caritatives (75 % à elles deux en moyenne). En réalité, une immense partie des contrats de livello est effectuée par le Fondo di religione qui a en charge la gestion des biens des congrégations supprimées à partir des années 1770. La part des non-nobles apparaît très limitée parmi les bailleurs alors qu’ils représentent l’immense majorité des preneurs (81 à 100 % selon les périodes). Les patriciens et les nobles non-patriciens apparaissent également dans ce type de contrat, comme bailleurs ou preneurs, mais dans des proportions bien moindres à leur emprise foncière. Le patriciat représente 10,6 % des bailleurs et 7,2 % des preneurs, alors qu’il dispose de 20 % de la valeur immobilière urbaine.
11Ces tableaux démontrent également la place limitée occupée par les patriciens dans le contexte des suppressions ecclésiastiques. Les principaux acquéreurs sont des non-nobles, comme en témoigne le bilan des cessions réalisées en 1783. Sur les 34 biens cédés par le Fondo di Religione cette même année, seulement deux sont repris par des patriciens et tous les autres parviennent à des particuliers non-nobles23. Les frères Manara et Perego, identifiés par U. Marcelli comme les principaux acquéreurs de biens nationaux, ont acheté – en sus de nombreuses possessions rurales – plusieurs immeubles urbains24. Gaetano Manara intervient par exemple dans l’achat du monastère de S. Erasmo, en 1778, pour le compte des frères Perego25. Certaines familles de la bourgeoisie milanaise profitent ainsi des suppressions ecclésiastiques pour construire de somptueuses demeures : c’est par exemple le cas des Bovara qui ont édifié leur résidence en 1787 à l’emplacement de S. Maria del Rosario ou des Diotti qui achèvent en 1789 un prestigieux palais sur l’ancienne propriété du monastère de S. Pietro in Monforte26. L’opération a manifestement une dimension financière puisqu’ils cherchent à revendre l’édifice aménagé en réalisant ainsi un beau bénéfice. Les achats urbains du patriciat s’avèrent donc plutôt limités et consistent essentiellement à renforcer leur emprise foncière autour de leur résidence (chap. 5). Des investissements beaucoup plus importants semblent en revanche réalisés pour l’acquisition de biens ruraux. Le comte Gio Pietro Annone, par exemple, ne figure pas parmi les acquéreurs de biens urbains alors qu’il a acheté de nombreuses propriétés rurales pour une somme supérieure à 305 000 lires27.
12Finalement, l’étude des petizioni démontre que l’essentiel des transactions immobilières effectuées sur le marché se fait en faveur des non-nobles, qu’il s’agisse des ventes ou des contrats de livello. Certes, il faudrait tenir compte d’autres critères : la valeur des biens objets de la transaction et le nombre de biens concernés. Mais ces données ne semblent pas en mesure de pouvoir inverser la tendance. Les transactions qui impliquent plusieurs biens sont du reste en nombre assez limité. L’analyse des échanges immobiliers entre 1751 et 1784 révèle donc deux phénomènes importants : d’abord, la diminution du poids foncier de l’Église qui n’apparaît plus du tout parmi les acquéreurs, mais qui est en revanche très présente parmi les vendeurs ; ensuite, la faible part du patriciat dans les échanges. Si les comportements patrimoniaux et les fidéicommis peuvent expliquer sa sous-représentation dans les transactions, ils ne peuvent justifier la supériorité des ventes aux achats. Cette tendance démontrerait-elle un manque d’intérêt pour la propriété urbaine durant cette période et la volonté de placer ailleurs les capitaux ainsi récupérés ? L’étude des revenus procurés par l’immobilier urbain doit alors prendre en considération d’autres formes d’investissements.
Rente urbaine et choix de gestion
13L’immobilier urbain représente un capital qui procure des revenus à travers différentes modalités d’exploitation. La plus évidente est la mise en location, mais une multitude d’alternatives existaient dans les sociétés préindustrielles caractérisées par un enchevêtrement des droits de propriété28. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les contrats de livello qui s’accompagnent d’une scission de la propriété et procurent une rente régulière au propriétaire éminent apparaissent pratiqués par de nombreux patriciens. Quel rapport dégagent donc ces différentes formes de gestion de la propriété et quels choix sont effectués par les propriétaires ? Ces choix ne sont pas conduits exclusivement selon des logiques économiques qui viseraient la recherche de la plus grande rentabilité. Ils recouvrent aussi des considérations sociales, la location d’immeubles étant étroitement associée à la constitution ou à l’entretien d’une clientèle29. Les locataires appartiennent à un monde très hétérogène, allant du travailleur précaire et isolé à la famille patricienne, en passant par des familles d’artisans, de juristes ou d’ingénieurs. Les liens qui unissent propriétaire et locataire ne sont donc pas neutres et pèsent dans l’établissement du contrat ainsi que dans les pratiques d’administration (de la tolérance à l’expulsion des mauvais payeurs).
Les contrats de livello : une alternative à la location ou à la vente
14Le contrat de livello recouvre lui-même des réalités fort variables quant au contenu juridique et économique des contrats. J.-F. Chauvard distinguait ainsi trois types de livelli dans la Venise moderne : le premier correspondait à un cens recognitif dans le cadre d’un régime dissocié de la propriété, le second était utilisé dans une opération de crédit garantie sur un bien immobilier et le troisième constituait une rente perpétuelle30. À Milan, la quasi-totalité des contrats de livello établis à partir des années 1770 correspondent au premier modèle. Le second type, qui correspond à une opération de crédit, se fait apparemment plus rare dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il était en revanche courant aux XVIe et XVIIe siècles et a permis à de nombreux patriciens d’entrer en possession de biens urbains. La troisième forme n’a pas été souvent rencontrée dans la documentation consultée ; sans doute concerne-t-elle davantage d’autres catégories sociales.
La multiplication des contrats de livello dans la seconde moitié du XVIIIe siècle
15La pratique des contrats de livello, correspondant à la dissociation de la propriété accompagnée du versement d’un cens recognitif, est ancienne. Certains contrats, conclus au XVe siècle et toujours actifs au XVIIIe siècle, ont perdu leur valeur économique suite aux évolutions monétaires : les redevances annuelles qui s’élèvent à quelques lires – voire quelques dizaines de lires – ne possèdent plus qu’une fonction purement symbolique. Il semble même que certains soient tombés en désuétude et ne soient pas mentionnés par le cadastre qui considère comme unique propriétaire celui qui n’avait à l’origine que la propriété utile du bien. La pratique des contrats de livello connaît toutefois un renouveau à partir des années 1770. À la différence des contrats de location simples, les contrats de livello donnent lieu systématiquement à des actes notariés qui servent à préserver les droits du propriétaire éminent dans une culture juridique qui accorde une place prééminente aux droits réels31. Ils établissent toujours une scission de la propriété entre un propriétaire éminent (auquel est versé le montant de la redevance annuelle) et un propriétaire utile, livellario au nom duquel est enregistrée la propriété dans le cadastre. Ces contrats de livello correspondent donc à une véritable transaction immobilière et le propriétaire éminent s’engage à remettre au preneur tous les actes concernant le bien en sa possession. Son enregistrement dans le cadastre se fait néanmoins sous une forme spécifique puisque le preneur devient le propriétaire de référence – qui paie l’impôt –, mais les registres l’inscrivent néanmoins comme livellario du bailleur. Au moment de l’établissement du contrat, le preneur verse au bailleur l’adeale, une somme équivalente à quelques années de la redevance annuelle. L’une des caractéristiques principales de ces contrats est l’obligation d’améliorer le bien. En cela, ils peuvent parfois être assimilés à des baux emphytéotiques, même s’il n’y a pas de distinction entre la propriété du sol et celle de l’immeuble, ou encore à des baux à rente32. Les actes notariés désignent du reste explicitement le preneur comme l’enfiteuta. Il s’agit également de contrats de longue durée qui couvrent au moins trois générations et s’établissent souvent à perpétuité. Enfin, si le versement effectué au moment de la prise de possession du bien n’est pas très élevé, le montant de la redevance annuelle est important : souvent, il est quasiment équivalent à un loyer normal. Sur l’obligation d’améliorer le bien, les actes s’avèrent plus ou moins précis. Parfois, l’obligation est mentionnée sans autre complément ; parfois, la nature des réparations ou des travaux à effectuer est décrite. Il peut s’agir, par exemple, de la réfection d’un toit ou de l’ajout d’un étage pour les interventions les plus importantes. Dans d’autres cas, l’acte mentionne une somme globale à dépenser (généralement plusieurs milliers de lires) sans autres précisions. Un délai pour réaliser ces travaux est également établi et lorsque ces conditions sont précisément définies, la visite d’un ingénieur est prévue à la fin du terme fixé afin de vérifier le respect des engagements et d’estimer les améliorations entreprises. Lorsqu’une somme d’argent à dépenser est stipulée, il semble qu’elle puisse parfois faire usage d’adeale (versement au propriétaire éminent lors de la prise de possession du bien). Le montant de l’adeale est variable mais représente assez souvent trois années de redevances annuelles. Pourquoi observe-t-on donc une telle recrudescence de ce type de contrats dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ? Et dans quelle mesure les propriétaires trouvent-ils un avantage à aliéner une partie de leurs droits en cédant la propriété utile des biens de manière parfois irréversible ? Cette forme d’exploitation présente en réalité un certain nombre d’avantages : le propriétaire est dégagé de toutes les charges inhérentes au bien (réparations, impôts, entretien des rues, etc.) et se garantit un revenu régulier qui, on le verra, peut s’avérer supérieur à celui procuré par un contrat de location simple. Il voit également la valeur de la propriété augmenter puisque le preneur s’engage à améliorer le bien33. La longue durée du contrat et la possibilité de transmettre la propriété utile de l’immeuble aux héritiers permettent en effet d’amortir des investissements coûteux. Le bailleur perd en revanche la possibilité d’augmenter la redevance et ne pourra récupérer la propriété complète du bien que dans des conditions précises (droit de préemption lors de la vente de la propriété utile par le preneur ou non-paiement de la redevance annuelle par celui-ci). Une première raison expliquant la multiplication de ce type de contrats dans la seconde moitié du XVIIIe siècle est liée au vieillissement du parc immobilier qui nécessite des travaux de rénovation. Cet argument est en effet utilisé, lors des opérations cadastrales, en faveur d’une déduction importante pour les édifices urbains « étant donné la nécessité pour de nombreuses maisons de Milan, très anciennes, d’entreprendre des travaux »34. Le principe du livello permet donc au propriétaire de s’exempter de ceux-ci en les confiant au preneur. Deux autres raisons se rattachent davantage à la conjoncture des années 1770 : il s’agit d’abord de la mise en application du nouveau système fiscal qui fait suite à la réalisation du cadastre. Celui-ci augmente de manière importante les impôts sur l’immobilier et les propriétaires cherchent donc à s’en exempter en les reportant sur les preneurs des contrats de livello. Il s’agit ensuite de la situation économique et démographique qui caractérise Milan dans les années 1770 : l’augmentation de la population crée une pression sur les logements et nécessite donc d’augmenter les capacités d’accueil des immeubles existants. Le gouvernement profite du reste des suppressions ecclésiastiques pour encourager le développement de logements dans le centre de la ville35. Par l’établissement de contrats de livello, le propriétaire confie au preneur la charge des travaux à réaliser pour accroître les possibilités de logement. Perd-il pour autant le bénéfice direct des travaux réalisés en n’étant pas le destinataire des revenus apportés par les nouveaux loyers ? Il semble que la redevance fixée lors de la signature du contrat tienne compte des perspectives de rentabilité future du bien puisqu’elle s’avère parfois supérieure à celle du loyer préexistant. Pourtant, certains éléments peuvent aussi faire douter du réel intérêt économique des investissements immobiliers durant cette période : plusieurs propriétaires se plaignent en effet de la difficulté à trouver des preneurs au prix désiré et sont obligés de réitérer à plusieurs reprises les enchères avant de céder le bien36. J.-P. Bardet, qui a étudié le cas rouennais, associait du reste les contrats d’emphytéose à une conjoncture de dépression économique : étant donné la baisse des loyers, la multiplication des vacances et des mauvais payeurs, le propriétaire se garantissait ainsi un revenu annuel fixe en se déchargeant des frais d’entretien. Il précisait que, dans un marché de ce type, le preneur était optimiste, espérant une reprise et s’assurant la demi-propriété du bien ; le bailleur était pessimiste et jouait sur la continuité de la déflation37. C’est à une conclusion semblable qu’aboutit Michela Barbot, qui a étudié le parc immobilier de la Fabrique du Duomo de Milan aux XVIe et XVIIe siècles38. Elle oppose ainsi les contrats de livello, privilégiés dans une conjoncture de stagnation voire de déclin économique car ils garantissent une sécurité au propriétaire éminent, aux contrats de location, plus sensibles à la conjoncture et adoptés dans des contextes de croissance. Toutefois, le contexte milanais de la fin du XVIIIe siècle est plutôt celui d’une reprise économique, ce qui conduit à nuancer ces analyses et à s’interroger sur les acteurs de ce type de contrat.
16Le nombre de contrats de livello enregistrés entre 1751 et 1784 s’élève à 470, mais ce sont en réalité 547 parcelles qui sont concernées par une mutation de ce type. Ils représentent environ 20 % des transferts de propriété enregistrés dans le cadastre.
17Le choix du contrat de livello est principalement celui des institutions (monastères, scuole, fabbriche, luoghi pii, etc.) : 76 % des contrats sont en effet stipulés par celles-ci, et pas exclusivement dans le cadre des suppressions ecclésiastiques. Au début des années 1770, la Giunta economale recommande en effet aux institutions de céder leurs biens en livello. Les raisons ne sont pas précisées, mais il est probable que ces formes de contrats permettent de restaurer des immeubles qui ne sont pas toujours bien entretenus par leurs propriétaires et d’augmenter les capacités de logements dans la ville. Plusieurs institutions ecclésiastiques connaissent en effet des difficultés financières, et ce constat est l’argument invoqué par les pouvoirs publics pour justifier les premières suppressions. La Fabrique de S. Celso effectue ainsi douze contrats de livello entre 1771 et 1775 qui concernent environ un tiers de ses propriétés. Le Luogo Pio di Loreto en effectue 18, soit environ 43 % de ses propriétés39. Proportionnellement, les particuliers semblent moins recourir à cette forme de gestion du patrimoine, même si leur part augmente notablement dans les années 1780. Les patriciens effectuent 47 contrats en livello entre 1751 et 1784 tandis qu’ils apparaissent preneurs dans 37 cas. Dans quelle mesure ce type de contrat peut-il donc s’avérer économiquement favorable pour les propriétaires patriciens ? L’étude du cas des Castel San Pietro offre une réponse à cette question.
La rentabilité des livelli : le cas des immeubles des Castel San Pietro
18Le patrimoine des comtes Castel San Pietro est loin d’être l’un des plus importants du patriciat, mais il se compose de plusieurs biens répartis dans diverses paroisses de la ville : en 1751, les différents membres de la famille possèdent sept biens, tous à destination locative, pour une valeur de 5 820 scudi. La documentation concernant la cession en livello de plusieurs biens au cours des années 1770 permet de mesurer la rentabilité de la démarche et l’intérêt de celle-ci dans le cas spécifique du comte Giovanni Castel San Pietro, qui réside à Bruxelles et se trouve donc déchargé de la gestion courante de ses propriétés. Le marquis Piantanida, qui a reçu une procuration du comte Castel San Pietro, a ainsi la charge d’établir les contrats de livello pour ses immeubles urbains et s’efforce d’en tirer une rentabilité maximale. Les immeubles concernés sont : une casa da nobile située contrada dei Piatti et une petite maison voisine (paroisse de S. Fermo), une maison avec deux boutiques dans la contrada del Capello (S. Satiro), une maison située dans le borgo del Guasto (Porta Comasina), soit des propriétés de nature diverse. Un ingénieur de la ville, qui réalise la description des biens avant la prise de possession par les nouveaux livellari, compare les revenus procurés par le système des livelli à ceux offerts par le statut antécédent de location simple40. Avec les contrats de location existants, toutes ces maisons rapportaient un revenu net de 2 112 lires par an. Données en livello, elles rapporteront 2 654 lires, soit un gain de 25 %. Les contrats de livello apparaissent donc nettement plus avantageux d’un point de vue économique pour le propriétaire. Le choix de recourir à une mise aux enchères pour l’établissement de ces contrats garantit, par ailleurs, une rentabilité maximale. Le 21 juillet 1775, après environ deux semaines d’exposition des cedole destinées à rendre publique l’information41, le marquis Piantanida ouvre les enchères pour la mise en livello des biens dans la salle d’audience de sa propre résidence. Avant le début des enchères, les conditions de cession sont énoncées : pour la maison avec boutiques de la contrada del Capello, il s’agit de réaliser 1 500 lires de travaux avant trois ans. Trois personnes participent alors à la surenchère : Pietro Sartorio, l’actuel locataire du bien, Giuseppe Didone et Carlo Parravicini. La première proposition est lancée par Didone sur la base de 18 gigliati par an, mais les offres ne montent pas très haut puisqu’elles s’arrêtent à 21 gigliati, toujours de la part de Didone. Les enchères sont finalement closes sans qu’aucun contrat ne soit signé pour ce bien, les propositions ne s’étant pas montrées à la hauteur des espérances. Il est intéressant de noter que Pietro Sartorio participait aux enchères, mais proposait un contrat de location simple : parti de 22 gigliati (380 lires) il était finalement monté jusque 24 gigliati. Probablement ne pouvait-il pas effectuer les 1 500 lires de travaux requis par l’investiture en livello. L’exemple témoigne donc clairement de la préférence du bailleur pour un contrat de livello et de la faible différence de la redevance selon qu’il s’agisse d’une location simple ou d’un contrat de livello. Une semaine plus tard, le 28 juillet, le marquis Piantanida reçoit une offre de Francesco Ventura qui propose de prendre la maison en livello pour 24 gigliati et demi. Didone lance alors une contre-proposition pour 25 gigliati. Cette dernière offre est finalement acceptée. Le bénéfice est important pour le propriétaire qui réussit ainsi à accroître ses revenus de 52 % par rapport au revenu net que procurait la location précédente, tout en s’exemptant du paiement des charges et des réparations nécessaires. En ce qui concerne les biens de la contrada dei Piatti (une casa da nobile et une petite maison voisine), Don Carlo Brivio offre un livello annuel de 225 lires pour la petite maison et demande le droit d’unir l’immeuble à sa propre résidence qui se trouve juste à côté de celle-ci. Après une telle intervention, il est évident que le propriétaire éminent peut plus difficilement espérer récupérer la jouissance du bien. Pietro Francesco Luci, alors locataire de la casa da nobile, propose quant à lui de prendre cette dernière en livello pour 440 lires par an et s’engage à entreprendre, avant trois ans, des travaux d’amélioration pour la somme de 2 000 lires. Mais le marquis Piantanida refuse d’établir des contrats séparés pour la casa da nobile et la petite maison voisine. Carlo Brivio et Francesco Luci s’entendent donc pour prendre les deux biens ensemble pour 665 lires par an. C’est sur cette proposition que débutent les enchères auxquelles participent aussi Giovanni Battista Maderna et Antonio Calvi, le notaire qui rédigera les actes d’investiture. Finalement, Francesco Luci remporte le contrat en proposant 910 lires par an (avec toujours 2 000 lires de travaux à effectuer). Il réalise ensuite, la cession de la petite maison à Carlo Brivio pour 302 lires par an42. Dans ce cas encore, le propriétaire se trouve gagnant avec le contrat de livello, même si l’augmentation est moindre que pour la maison de S. Satiro puisqu’elle ne s’élève qu’à 11 %. Pour la maison de S. Sebastiano, le contrat n’est pas établi en 1775 car les offres n’avaient probablement pas satisfait les attentes, et c’est seulement quatre ans plus tard qu’il est conclu. Le bien est cédé en livello lors des enchères du 25 février 1779 qui précisent que le preneur doit s’engager à effectuer 4 000 lires de travaux dans les trois années à venir. Bien qu’il y ait ici une dépense importante en frais de réfection, le contrat établit aussi le versement d’un adeale lors de la prise de possession du bien. Celui-ci est cependant faible puisqu’il correspond à moins d’une année de redevance. Les enchères se jouent alors sur ces deux niveaux : pour la redevance annuelle, les propositions sont passées de 60 gigliati (première offre de Carlo Gallarini) à 72 gigliati (dernière offre de Carlo Giuseppe Giambelli qui remporte le contrat). En ce qui concerne l’adeale, la surenchère n’a que faiblement augmenté de 51 à 52 gigliati. Dans le cas de ce dernier immeuble, le propriétaire y trouve encore son compte puisqu’il réalise un bénéfice de 17 % par rapport au contrat de location antérieur tout en gagnant le montant de l’adeale et la réfection de l’immeuble.
19Pour ces immeubles, le choix d’un contrat de livello s’avère financièrement intéressant dans la mesure où les charges qui pesaient sur le loyer brut étaient particulièrement élevées (20 à 26 %). Pour d’autres immeubles, les charges sont généralement moins importantes et avoisinent plutôt les 10 %. Pour ces derniers, il est donc moins sûr que le livello s’avère la solution économiquement la plus favorable. L’exemple de la maison de S. Satiro montre bien l’aspect prévisionnel sur lequel s’établit le contrat de livello. En effet, si le revenu du propriétaire s’est accru de 52 %, c’est parce le preneur prévoyait la possibilité d’une grande rentabilité de l’immeuble à la suite des travaux. La présence de boutiques et sa situation au cœur du centre commercial de Milan garantissaient en effet de fortes potentialités. Dans le cas des Castel San Pietro, d’autres éléments interviennent en faveur du livello : l’importance des travaux à réaliser pour les immeubles et l’éloignement des propriétaires qui peut aussi expliquer leur avantage à se dégager de la gestion courante des immeubles. En dehors du cas des Castel San Pietro, la possibilité de confronter les revenus d’un loyer classique à ceux d’un contrat de livello n’est que rarement offerte par les sources. Le nombre relativement important de patriciens qui font le choix de donner leurs biens en livello démontre en tout cas qu’il existe un intérêt économique dans cette forme de gestion de la propriété, du moins pour certaines catégories d’immeubles : ceux qui nécessitent d’importants travaux ou ceux sur lesquels pèsent de lourdes charges.
20Dans certains cas, le contrat de livello peut aussi apparaître comme une alternative non plus à la location, mais à la vente. Si certains propriétaires ont un besoin financier urgent, la cession de la propriété utile peut devenir l’occasion d’obtenir un capital assez important à travers l’adeale, tout en conservant une redevance annuelle. Le rapport variable entre ces deux éléments (adeale et redevance) témoigne donc de la diversité des contrats. Le recours aux contrats de livello peut ainsi correspondre à la difficulté de vendre la propriété entière des biens, étant donné les faibles disponibilités financières des acquéreurs potentiels. Cette hypothèse est corroborée par le fait que les cedole annoncent parfois la vente ou mise en livello des biens, comme si cette seconde solution constituait un recours. Cette difficulté à vendre les immeubles urbains était du reste clairement soulignée par le Fondo di Religione, chargé de céder les propriétés des monastères supprimés. Il envisageait ainsi la réalisation de contrats mixtes, mêlant vente et livello (par exemple, un tiers de vente, deux tiers de livello)43. Le choix de la forme de cession est, en réalité, fonction de la valeur des biens : les plus modestes (estimés moins de 1 500 lires) sont systématiquement vendus. Le recours à des contrats mixtes semble en revanche peu pratiqué par les particuliers dans le cadre urbain. Les contrats de livello, dans les décennies 1770-1780, constituent ainsi le moyen de s’affranchir des différentes charges pesant sur les biens. Ils représentent, pour le propriétaire, l’assurance d’une rente fixe, sans déductions à effectuer. C’est aussi le moyen de valoriser un bien en confiant au preneur la dépense des travaux à effectuer. Et si le preneur ne remplit pas son obligation de paiement annuel de la redevance, le bien revient au propriétaire éminent avec les améliorations réalisées sans que le livellario ne puisse rien prétendre sur ces dernières. En revanche, le propriétaire perd le contrôle du bien sur de longues années et notamment la possibilité d’augmenter la redevance. Il ne peut récupérer l’immeuble qu’en cas de renoncement du preneur, de transfert du contrat de livello à un tiers (avec un droit de préemption) ou de non-paiement de la redevance. Si la fin du XVIIIe siècle marque donc une tendance à la division de la propriété utile et éminente, les premières années du XIXe siècle semblent au contraire se caractériser par la réunion de ces deux formes de propriétés entre les mains d’une même personne44. Mais si la proportion des contrats de livello augmente de manière remarquable à partir des années 1770 et a pu permettre une rénovation du parc immobilier milanais, il n’en reste pas moins que la forme d’exploitation principale de l’immobilier urbain demeure l’établissement de contrats de location simples.
Les contrats de location : pratiques clientélistes et rôle de la conjoncture
21Au milieu du XVIIIe siècle, la majeure partie de la population milanaise vit en location, par suite d’une concentration de la propriété au cours des siècles précédents. Selon le cadastre thérésien, 82 % des parcelles sont mises en location. Le marché locatif apparaît très diversifié par la nature des biens qui sont proposés (simple chambre, appartement, maison, casa da nobile, boutique, hôtellerie, jardin maraîcher…) et par le statut social des locataires. Aux deux extrêmes, on trouve, d’un côté, la veuve Cattarina Erba qui loue en 1707 une petite chambre sous les toits dans le grand immeuble de rapport des Trivulzi pour 25 lires par an et, de l’autre, le comte Antonio della Somaglia qui, la même année, loue la casa da nobile des Visconti Borromeo Arese et ses trois maisons voisines pour 4 000 lires45. Si les nombreux petits locataires qui peuplent un immeuble de rapport n’ont pas d’attentes particulières, le patricien qui loue la casa da nobile se montre exigeant sur la qualité des lieux et peut réclamer des aménagements récurrents. À la différence des contrats de livello dans lesquels le preneur assure les réparations de l’immeuble et toutes les charges inhérentes à celui-ci, ces différents éléments pèsent généralement sur le propriétaire dans les contrats de location classiques. Le revenu locatif brut est donc amputé par ces dépenses, plus ou moins élevées selon les cas. Cependant, la question de la rentabilité économique n’est pas toujours prédominante dans la mise en location des immeubles. Des considérations sociales interviennent également : la « clientèle » qui entoure les grandes familles patriciennes correspond bien souvent aux principaux locataires de ses immeubles, et il n’est pas rare que des liens personnels unissent propriétaires et locataires. Les contrats de location d’immeubles urbains donnent très rarement lieu à un acte notarié, qui serait trop coûteux étant donné la durée de la location et le montant souvent limité des loyers versés. Le notaire n’intervient que dans le cas de biens d’une grande valeur, telle la location d’un palais. Les contrats de location prévoient toujours le paiement d’un loyer annuel en deux versements, effectués à Pâques et à la Saint-Michel. Ils sont parfois accompagnés d’une consegna, soit la description précise du bien par un ingénieur, au moment de l’entrée du locataire. Dans les archives familiales, la conservation de ces contrats s’avère aléatoire, et la possibilité de suivre un bien immobilier sur la longue durée se révèle finalement rare. Par ailleurs, dans le cas des immeubles de rapport, les recompositions des appartements loués à différents preneurs au fil des années ne facilitent pas le suivi. Les contrats de location témoignent en effet souvent de l’absence de continuité spatiale des unités locatives qui peuvent comprendre une pièce au premier étage, une autre au troisième et une cuisine séparée des chambres. Les appartements conçus comme unités fonctionnelles apparaissent encore assez rares, bien que le terme soit présent dans les sources. Une telle distribution des espaces permet ainsi une recomposition des biens loués en fonction des besoins des locataires qui peuvent varier d’une année à l’autre, selon le nombre de personnes que la famille accueille et les activités de ses membres (commerce, artisanat, travail à domicile, notamment dans le textile). Mais ces recompositions sont aussi liées à une pratique courante : la sous-location. Si de nombreux contrats précisent l’interdiction de sous-louer le bien, le procédé est parfois permis à condition qu’il s’agisse de personnes de « bonnes mœurs ». M. Barbot distinguait du reste la location accordée à des personnes relativement sûres et la sous-location qui constituait souvent le seul moyen d’obtenir un logement pour les franges les plus mobiles et financièrement les plus faibles de la population46. Lors du renouvellement des contrats, il n’est donc pas rare que la composition du bien loué évolue (avec l’ajout ou le retrait de pièces). Les contrats qui caractérisent les différentes unités locatives d’un immeuble de rapport sont renouvelés généralement à des dates différentes pour des durées variables ou sont reconduits de manière tacite, ce qui rend souvent impossible d’avoir un état de l’ensemble des locataires pour une même année. Si la réalisation de travaux importants est généralement mentionnée, il peut toutefois s’avérer difficile d’estimer si l’augmentation d’un loyer est liée à la conjoncture ou aux aménagements de l’immeuble. À un autre niveau, il est délicat d’évaluer le rapport dégagé par le bien dans la mesure où l’on ne dispose que rarement du revenu locatif et du prix d’achat d’un même immeuble afin de pouvoir effectuer le calcul. Les ingénieurs du cadastre, au milieu du XVIIIe siècle, s’étaient fondés sur une rente de 4 % pour opérer la capitalisation des immeubles urbains et n’avaient pas effectué de distinction selon le type de biens. La rente locative apparaît pourtant variable selon les usages de l’immeuble. Les boutiques et hôtelleries, comme nous le verrons, tendent à dégager des revenus plus importants que les immeubles résidentiels, mais ils sont aussi plus sensibles à la conjoncture. Pour toutes ces raisons, un traitement statistique de la documentation recueillie s’avérait difficile. Il a donc été choisi de réaliser des « biographies » d’immeubles pour envisager les différentes caractéristiques de la rente locative, ses évolutions au cours du temps et les modalités de gestion des biens de la part des propriétaires (pl. XLI)47.
La Casa dell’Isola : la gestion paternaliste d’un immeuble de rapport (1682-1766)
22La Casa dell’Isola, qui appartient aux princes Trivulzio, constitue un exemple de grand immeuble de rapport divisé en de nombreuses unités locatives aux fonctionnalités diverses48. S’élevant sur trois étages, il se trouve dans la contrada della Signora, juste en face du palais familial qui compte parmi les plus prestigieux de Milan. Une partie de l’immeuble sert du reste parfois d’annexe pour la résidence Trivulzio. Il accueille une population très diversifiée, qui témoigne de la mixité sociale existante et de l’insertion de certaines demeures aristocratiques dans un environnement populaire. Une telle configuration peut être lue comme l’héritage de pratiques résidentielles anciennes pour une vieille famille milanaise, bien que la contrada della Signora ne soit pas l’emplacement originel de la famille qui avait initialement élu domicile près de S. Nazaro. Son transfert dans la paroisse voisine de S. Stefano in Brolio, au XVIe siècle, s’accompagne donc de la re-création d’un noyau locatif qui sert en partie à abriter les proches de la famille et la clientèle qui gravite autour d’elle.
23L’édifice a été baptisé Casa dell’Isola car il donne sur la rue par trois de ses côtés, ce qui est assez rare et valorisant pour les activités commerciales : les autres voies qui le bordent sont le corso de Porta Tosa et la stretta dei morti. D’après les descriptions de 1708, il se compose de six boutiques et de nombreux espaces au rez-de-chaussée à usage de service ou d’entrepôts. Dans la cour se trouve aussi une grande écurie pouvant accueillir vingt chevaux et des remises. Chacun des trois étages compte environ une dizaine de pièces. Au total, ce sont 23 locataires qui ont signé un bail à cette date pour des ensembles plus ou moins importants et qui rapportent aux Trivulzio 2 559 lires par an, soit davantage que l’immeuble avec trois boutiques des Borromeo près du Palazzo Reale à la même époque49. Sur les six boutiques, deux sont louées à la confrérie de la croix de Porta Tosa (située en face de l’immeuble) et servent pour les réunions et les prières du soir de ses membres. Elles ont donc perdu leur fonction commerciale et sans doute le loyer en tient-il compte puisqu’il s’élève à 84 lires, somme modique qui témoigne aussi de la volonté du prince de soutenir la confrérie religieuse. Une troisième boutique, louée alors à G. F. Tantardino, est une forge dotée des équipements nécessaires (« con fucina di ferraro ») ; la quatrième et la cinquième sont occupées par Giacomo Antonio Canetta, un menuisier. Elles lui servent pour la fabrication de carrosses et l’une d’elle est équipée à cet effet puisqu’elle est dotée d’un tour à bois. Tantardino et Canetta semblent travailler ensemble pour la fabrication des carrosses, l’un s’occupant du travail des métaux et l’autre de celui du bois. L’usage de la sixième boutique, qui est rattachée au contrat de Teresa Lanzone, n’est pas précisé. Antonio Pollo, probablement un marchand de vin, a pris en location une grande cave équipée de sept tonneaux, au prix relativement élevé de 120 lires par an. Le principal locataire de l’immeuble, Camillo Bignami, en plus de nombreuses pièces, loue la grande écurie pouvant contenir vingt chevaux et la remise pour les carrosses. Les 23 locataires témoignent d’une grande hétérogénéité sociale : on y trouve divers artisans exerçant leur activité dans les lieux qui viennent d’être décrits et qui logent avec leur famille dans des appartements à l’étage, plus ou moins spacieux et équipés. La salle principale de l’appartement de G. A. Canetta, le menuisier, se caractérise par une cheminée de pierre dotée d’une corniche et d’un blason qui laisse penser que la demeure était peut-être une ancienne casa da nobile reconvertie en immeuble de rapport50. La hiérarchie sociale des locataires suit le principe bien connu d’une division verticale de l’espace. Alors que le premier et le deuxième étage accueillent les locataires les plus aisés qui habitent les pièces les plus confortables et au loyer le plus élevé (35 à 40 lires par pièce)51, le troisième étage se compose de petites chambres sous les toits qui sont louées pour seulement 25 lires. C’est le domaine des travailleurs les plus pauvres et des veuves. Un certain nombre de personnes travaillent à domicile (probablement dans le textile) puisque le contrat précise qu’elles ne doivent pas travailler en dehors de la pièce qu’elles ont louée pour ne pas déranger les autres locataires.
24Les relations entre certains locataires et le propriétaire apparaissent assez étroites et sont probablement renforcées par la proximité géographique, d’autant que la Casa dell’Isola sert aussi à héberger des proches ou des dépendants qui ne peuvent loger au palais. La correspondance échangée par Francesco Magonio avec le prince Trivulzio en 1730 témoigne bien des relations directes qui existent entre le locataire et le propriétaire appelé « Mio Signore »52. Francesco Magonio obtient en effet une remise sur son loyer pour des leçons qu’il a données, probablement des leçons de dessin ou peinture puisque telle est sa profession. Giacomo Antonio Canetta, fabricant de carrosses, est aussi le fournisseur de la famille Trivulzio : il obtient en 1696 une remise de 470 lires sur son loyer comme solde de sa facture. La situation est identique pour Francesco Tantardino, forgeron, qui obtient, au même moment, une déduction de 320 lires en compensation de son ouvrage sur les carrosses des Trivulzio. Elle est en revanche différente pour les petits locataires qui prennent une simple chambre au troisième étage : ceux-ci se caractérisent, sans surprise, par une forte mobilité et les contrats sont du reste établis pour une durée annuelle53. Les locataires principaux demeurent en revanche dans les lieux sur de longues périodes. La présence de Tantardino est attestée depuis 1682 et jusqu’aux années 1710. Il est alors remplacé par Pertuso et son associé Baldini, qui sont toujours présents dans les années 1760 et bénéficient à cette date de contrats de six ans (soit une durée relativement longue par rapport aux autres). Giacomo Antonio Canetta, le menuisier, est également demeuré dans la Casa dell’Isola durant au moins une trentaine d’années. En 1711, il apparaissait même comme le locataire de la majeure partie de l’immeuble puisqu’il avait pris les six boutiques et plusieurs pièces aux étages (pour 1 925 lires et une durée de six ans). C’est l’un des rares cas où le contrat autorise alors la sous-location. Giuseppe Antignani, locataire d’une boutique et de quelques pièces au début des années 1730, est toujours dans les lieux durant les années 1770. Un seul contrat est établi au nom de Camillo Bignami, en 1708, mais il est fort possible que celui-ci soit tacitement prolongé, dans la mesure où personne ne semble reprendre l’écurie par la suite.
25Si tous ces locataires sont présents dans l’immeuble durant plusieurs décennies, les pièces qu’ils louent varient souvent d’un contrat à l’autre. Il semble que ces variations soient liées essentiellement à leur usage personnel car les contrats interdisent généralement la sous-location, sauf cas exceptionnels. En 1729, Giuseppe Antignani apparaît ainsi locataire d’une chambre au deuxième étage pour 42 lires par an ; l’année suivante, toujours pour un contrat d’un an, il prend en supplément une boutique (loyer de 60 lires). En 1734, son contrat est renouvelé pour ces deux unités, non plus pour une durée annuelle comme auparavant, mais pour cinq ans. En 1744, une autre chambre et une cave se sont ajoutées, et cette fois l’investiture se fait pour neuf ans, à raison de 142 lires par an ; en 1766, son loyer passe à 192 lires, à cause d’une nouvelle pièce prise pour six ans et, en 1771, il s’élève finalement à 205 lires. Son cas donne donc l’impression d’une modulation des espaces en fonction du cycle de vie : sa situation économique a dû s’améliorer et sa famille s’est peut-être aussi agrandie. Il semble également que le propriétaire établisse des contrats à durée limitée pour les nouveaux arrivants et, lorsque ceux-ci se sont révélés fiables, leur accorde des unités plus importantes sur une plus longue durée. Dans le cas de Giuseppe Antignani, le contrat s’interrompt pourtant en 1775 car il s’avère débiteur de 360 lires pour loyers non payés. À cette date, l’immeuble est géré par le Luogo Pio Trivulzio, fondé à la mort du prince en 1767, et il est probable que l’institution soit finalement plus rigoureuse que le patricien dans la gestion de ses propriétés. En effet, plusieurs exemples montrent que les anciens locataires bénéficiaient d’une certaine tolérance pour les délais de paiement. C’est le cas d’Anna Perona qui obtient en 1693 de reprendre la boutique et les deux pièces que louait déjà un membre de sa famille en 1689 (Dionisio Perone) pour 275 lires par an. En 1696, ses arriérés de loyer s’élèvent à 600 lires. Elle ne parvient à régler que 43 lires et laisse en compensation les ustensiles de sa boutique, bien loin de représenter le solde restant. La relative indulgence qui a été démontrée envers elle, en lui permettant de conserver quelques années la boutique dont elle ne parvenait pas à régler le loyer, s’explique sans doute par la présence ancienne de sa famille dans l’immeuble. Envers Ambrogio Longone, un autre locataire qui se trouve face à des difficultés de paiement, une certaine compréhension est également manifestée : le dottore Roccio, employé du prince, indique à celui-ci qu’il faut lui permettre de rester en dépit des 356 lires dues. Longone loue les lieux pour la confrérie de la croix de Porta Tosa, une cause pieuse qui mérite le soutien du prince. Le contrat est donc renouvelé en 1698, mais avec une pièce en moins (ce qui fait passer le loyer de 126 à 84 lires), et deux autres personnes s’associent à Longone pour le signer, apportant ainsi une garantie supplémentaire. En 1728, « à titre de charité » pour la confrérie, le loyer des deux pièces sera encore diminué de 56 lires, ne s’élèvant désormais qu’à 28 lires54. L’exemple démontre encore une indulgence du propriétaire qui ne fait pas passer son intérêt économique au premier plan. En revanche, le cas d’Antonio Besozzi, un nouveau venu, est réglé beaucoup plus rapidement d’autant qu’il ne semble faire aucun effort pour s’acquitter de son dû : le 29 août 1762, Besozzi prend en location une boutique avec une cuisine et une chambre au rez-de-chaussée pour trois ans et 140 lires par an. Le 23 juin 1763, comme il n’a pas réglé le terme du loyer échu à Pâques, on l’avertit que le contrat cessera s’il ne paye pas dans les dix jours à venir. Il ne réussit apparemment pas à réunir la somme due car, le 7 juillet, l’ensemble est reloué à Pietro et Paolo Chiesa aux mêmes conditions.
26Sur l’ensemble de la période envisagée, les loyers semblent demeurer stables, mais il s’avère difficile de mesurer une éventuelle augmentation dans les années 1770-1780 du fait des recompositions des unités locatives et du changement de gestion à la mort d’Antonio Tolomeo Trivulzio en 1767, avec l’instauration du Luogo Pio Trivulzio. Comme en témoigne le cas de Giuseppe Antignani, qui était pourtant un ancien résident, la nouvelle institution se montre sévère en cas de retard de paiement. De cette période date aussi un important projet d’aménagement proposé par l’un des locataires. Le 17 septembre 1773, Giuseppe Piatti dépose en effet au Luogo Pio un plan de transformation des boutiques, jadis à usage des menuisiers, en prestino de pain blanc55. Piatti s’engage à financer lui-même les travaux à condition que lui soit accordé un contrat de longue durée (dix-huit ans). Les éventuelles réparations postérieures resteront pourtant à charge du Luogo Pio et à la fin du contrat, ce dernier pourra récupérer les améliorations réalisées par Piatti. Le principe est accepté avec quelques modifications concernant notamment la durée du contrat ; les enchères pour la mise en location des biens sont emportées par Piatti et un contrat est finalement signé, devant notaire, stipulant la location des dites boutiques et pièces pour neuf ans (renouvelables) et 1 050 lires annuelles. Le 14 octobre 1774, à l’entrée en possession des biens, l’ingénieur Bartolomeo Calastri réalise la description des lieux et, quelques jours plus tard, débutent les travaux (la première facture est datée du 27 octobre). Ce sont au final 3 448 lires qui sont dépensées par Piatti pour réaliser les aménagements, soit une somme particulièrement importante pour un locataire dont les revenus à venir ne seront a priori pas très élevés56. Les travaux sont dirigés par le capomastro Carnevale (qui s’était également occupé des immeubles des Verri) et le gros de la dépense est représenté par les matériaux de construction (environ 52 % des frais). À partir de 1786, une grande partie de la Casa dell’Isola est louée à Bernardo Polti (contrat de neuf ans pour 1 611 lires) qui sous-loue probablement diverses boutiques et pièces. La diversité sociale des locataires de cet immeuble se traduit ainsi au niveau des pratiques locatives (durée du bail, type de bien), mais aussi dans le rapport avec le propriétaire qui semble particulièrement étroit du fait de la proximité de sa résidence.
27Le choix d’un locataire principal pratiquant ensuite la sous-location n’avait été qu’exceptionnellement adopté par les Trivulzio pour la Casa dell’Isola. Il est en revanche régulièrement pratiqué pour un autre immeuble de rapport de la famille, situé dans la paroisse de S. Lorenzo (Porta Ticinese), le long du canal, au niveau du Ponte dei Fabbri57. Le 27 juillet 1720, Lorenzo Todeschini, qui habitait déjà l’immeuble, prend en location l’ensemble des appartements pour neuf ans, à raison de 1 100 lires par an. Les dix familles présentes en 1719 demeurent les mêmes. Le contrat est renouvelé en 1729 pour seulement 1 050 lires, ce qui semble témoigner de la difficulté de la conjoncture économique. Les Trivulzio, qui avaient probablement confiance en Todeschini, se sont ainsi simplifié la gestion de l’immeuble, plus éloigné de leur palais, en n’effectuant qu’un seul contrat au lieu des dix précédents. Le fait que les sous-locataires soient déjà connus a pu constituer une relative garantie pour les propriétaires qui sont souvent réticents à ces pratiques. À partir des années 1740, les modalités de gestion changent à nouveau et l’on retrouve des locations directement effectuées par les Trivulzio, peut être par suite du départ de Todeschini (qui n’apparaît plus dans la documentation) ou en raison de la conjoncture délicate qui n’encourage pas un locataire à se charger de l’ensemble de l’immeuble. En revanche, le début des années 1770, qui marque le passage à des temps meilleurs, se caractérise par une augmentation des loyers : un appartement de deux pièces loué 50 lires en 1768 passe à 60 lires lorsque le contrat est renouvelé en 1772 (+ 20 %), un autre de trois pièces passe de 75 à 80 lires en 1771 (+ 7 %) et les quatre pièces qui demeurent à P. Bareggi connaissent une hausse de 10 % en 1771. Une augmentation similaire concerne la maison avec sostra qui se trouve juste à côté et appartient aussi à la famille Trivulzio. Le loyer s’accroît de 18 % en 1771, après avoir subi une diminution dans les années 1740.
28La gestion paternaliste des Trivulzio pour l’immeuble situé à proximité de leur palais n’est pas le seul exemple qui témoigne de l’importance des relations sociales dans l’établissement de contrats locatifs. Un immeuble des Borromeo, situé dans le voisinage de leur palais, contrada di S. Orsola, est loué sur une longue durée à une famille d’ingénieurs milanais : les Quarantini. La proximité géographique s’accompagne aussi d’une relation plus étroite entre le propriétaire et le locataire, comme en témoigne la correspondance échangée pour l’entretien de la maison58. Le 16 janvier 1738 est établi le premier contrat avec l’ingénieur Bernardo Maria Quarantini pour 9 ans et 350 lires. Celui-ci succède au dottore Bernardino Curione, membre d’un collège milanais et donc de niveau social comparable. Dès le mois d’octobre de la même année, les Quarantini obtiennent une prolongation pour dix-huit ans, au terme du premier contrat, pour le même loyer. Cette longue durée est obtenue dans un contexte de faible rapport de la rente immobilière et à la condition, pour le preneur, d’effectuer quelques travaux. Le fait que les Quarantini soient ingénieurs de profession constitue sûrement une garantie pour les aménagements entrepris et offre a priori une sécurité au propriétaire quant au paiement des loyers. Des travaux ont ainsi été financés par Quarantini qui affirme, en 1746, avoir dépensé 874 lires et réclame alors une compensation avec une remise de loyer. Pour conclure « amicalement » l’affaire (c’est le terme employé dans la lettre), la famille Borromeo s’engage à décompter 623 lires du loyer dû tandis que les charges qui pèsent sur le revenu brut semblent alors très limitées59. En 1767, le contrat est renouvelé pour neuf ans en faveur de Cesare Quarantini, probablement le fils de Bernardo Maria, mais le loyer est augmenté de 150 lires, soit une hausse importante de 43 %. Elle confirme la conjoncture d’augmentation générale des loyers, alors que les premiers contrats avaient été établis dans une période moins favorable, pour un bien qui nécessitait des réparations. La proximité qui unit le locataire au propriétaire apparaît encore à travers un autre épisode. Cesare Quarantini, qui avait apparemment eu des problèmes avec le personnel des Borromeo au sujet de loyers non réglés, s’adresse directement au comte en lui demandant une audience pour plaider sa bonne foi et se défendre des accusations portées contre lui60. La lettre témoigne donc d’une relation personnelle entre le locataire et le comte Borromeo, qui ne lui tient probablement pas rigueur de l’affaire puisqu’il renouvelle le contrat de location en 1776. Pour demander ce renouvellement, toujours pour une longue durée (dix-huit ans ou au moins neuf ans), Cesare Quarantini adresse un autre courrier au comte. Il y rappelle l’ancienneté de l’installation de sa famille dans les lieux, son honnêteté, le grand respect porté aux Borromeo, sa promptitude à payer les loyers et les demandes limitées de réparations de la part des Quarantini qui ont par ailleurs payé une partie de celles-ci. La location d’édifices commerciaux dans le centre de la ville semblerait davantage sujette à la recherche d’un profit économique par leur fonction et par la distance géographique qui les sépare souvent des palais patriciens.
Les boutiques du centre commercial : la recherche d’un rapport élevé
29La famille Borromeo a reçu de l’héritage Arese, en 1674, une maison avec boutiques située contrada dei Capellari, une rue qui débouche sur la place du Duomo et qui se trouve juste derrière le Palais Ducal, emplacement privilégié pour le commerce61. Les contrats sont manifestement lacunaires pour le début de la période, mais l’immeuble semble divisé entre trois locataires : Del Conte, Mesmer et Riva. Une première boutique est utilisée par un astrologue, une deuxième boutique sert à un épicier (droghiere) et la troisième est louée à un marchand de toile. Les relations des propriétaires avec les locataires semblent témoigner d’une confiance réciproque et même d’une forme d’assistance dans les situations difficiles. Les baux démontrent une permanence des locataires qui louent généralement le bien jusqu’à leur mort. Ce sont ensuite leurs proches, famille ou associés, qui reprennent le contrat. Lorsque Giuseppe Landriani décède, les Borromeo permettent ainsi à sa veuve et à ses héritiers de rester dans les lieux, même si ceux-ci n’ont plus les moyens de payer régulièrement. En 1713, ils doivent quatre ans de loyer aux Borromeo (1 800 lires). Ils s’acquittent toutefois de leur dû dès qu’ils peuvent puisqu’ils remettent, peu de temps après, 1 406 lires à leur propriétaire. Giuseppe Maria Nicoli, un épicier (droghiere), entre dans l’immeuble en 1753. Lorsqu’il renouvelle le contrat en 1777, il précise que s’il décède, c’est son associé Giovanni Antonio Molinari qui devra lui succéder. Les loyers de ces boutiques sont relativement stables jusqu’aux années 1770. Les augmentations observées sont en effet surtout liées aux recompositions des unités locatives : si le loyer de Giuseppe Landriani passe de 330 à 450 lires en 1703, c’est parce qu’il prend en supplément un entrepôt qui était auparavant loué à Giuseppe Del Conte. En 1764, si le loyer de Giuseppe Maria Nicoli augmente (passant de 1 200 à 1 300 lires), c’est suite à la réalisation de balcons au premier étage. L’augmentation de 100 lires dégage néanmoins un rapport pour le propriétaire dans la mesure où elle couvre quasiment, en une seule année, la facture des travaux62. Sans doute la conjoncture des loyers, caractérisée par une tendance à la hausse, justifie-t-elle aussi cette augmentation. En effet, quelques années plus tard, en 1777, le comte Renato Borromeo fait estimer le bien par un ingénieur pour évaluer le réajustement à opérer. L’immeuble est alors partagé en deux unités locatives : la première, composée de deux boutiques et de deux entrepôts, est louée par Giuseppe Maria Nicoli ; la seconde, plus petite et dotée d’une seule boutique est prise à bail par Gaspare Ravizza, un boulanger. L’ingénieur Pissina juge que le loyer de la première unité peut être augmenté de 1 350 à 1 470 lires (soit une hausse de 9 %) « étant donné l’accroissement général des loyers durant ces dernières années et à plus forte raison étant donné le voisinage du Palazzo Ducale ». La situation est donc valorisante pour le bien et le fait que des travaux soient en cours dans la résidence des gouverneurs peut probablement occasionner une augmentation de la clientèle pour les commerces alimentaires proches. La seconde unité locative étant moins bien située – car donnant vers la cour – et les pièces étant de « qualité inférieure », le loyer n’est augmenté que de 2,5 % et passe ainsi de 390 à 400 lires. C’est donc un revenu brut de 1 870 lires par an qui revient à la famille Borromeo pour l’ensemble de l’immeuble. En 1787, alors que le bail est renouvelé en faveur du seul Molinari, devenu le locataire principal de tout l’édifice, le montant s’élève désormais à 2 660 lires, soit une augmentation de 42 %. Celle-ci peut-être due à quelques travaux effectués au cours des années 178063, mais ils ne suffisent pas à expliquer une telle croissance. Celle-ci s’explique largement par la conjoncture favorable pour la rente immobilière urbaine que de nombreux exemples viendront confirmer. En dépit de ce rapport appréciable, le comte Giberto Borromeo décide de vendre l’immeuble, en 1801, à Giuseppe Monguzzi et Giovanni Corbellino pour 46 500 lires, ce qui donne un taux de rentabilité brut de 5,7 % pour les acquéreurs64. C’est du reste une période où les Borromeo cèdent en vente ou en livello toutes les maisons et boutiques qu’ils possédaient dans la paroisse de S. Tecla65. Les fonds obtenus contribuent peut-être à financer les nouvelles acquisitions dans S. Maria Pedone, autour de leur palais66.
30L’évolution des loyers des boutiques Visconti (puis Biglia), situées dans la paroisse de S. Calimero, offre une comparaison possible67. On retrouve une relative stabilité des loyers jusqu’aux années 1770, sauf dans les cas de renouvellement du bail au cours des années 1730. Dans ce cas, la conjoncture économique particulièrement défavorable occasionne une baisse importante. Lorsque le marquis Visconti loue une boutique avec deux pièces, en 1738, à Paolo Cardinale, le loyer chute ainsi de 17 % par rapport au contrat précédent. Mais le prix initial est retrouvé lors de l’investiture suivante, en 1750. Dans le cas des trois unités immobilières, les décennies 1770 ou 1780 marquent une augmentation des loyers allant de 6 % à 25 %. Les deux premières unités locatives témoignent en tout cas d’une réelle permanence des locataires : Carlo Francesco Merescalco a loué la maison avec boutique pendant au moins 37 ans, son successeur, Carlo Bianchi, y reste douze ans et, ensuite, Silvestro Bianchi renouvelle le contrat après un premier bail d’une durée exceptionnelle de vingt ans. La boutique avec trois pièces a, quant à elle, été louée par Emanuele De Vicenti pendant au moins 28 ans et sûrement davantage. Les contrats de location d’une boutique appartenant aux Clerici, située sur la place du Duomo, témoignent de fluctuations au cours du XVIIe siècle68. Les boutiques, du fait de leur usage commercial, semblent particulièrement sensibles aux effets de la conjoncture. L’immeuble, qui provient de l’héritage Carcano, est en effet loué 1150 lires en 1646 contre 1 300 lires auparavant (baisse de 11,5 %). Les conséquences de la crise de 1630 sur l’immobilier se font donc sentir, tandis que les années 1670 marquent une reprise avec une augmentation du loyer de 30 % (il passe à 1 500 lires). Une nouvelle baisse a lieu en 1753 (loyer de 1 200 lires), lors du renouvellement du bail après la conjoncture délicate des années 1730-1740. Le type de commerce exercé dans la boutique peut également influer sur le rapport dégagé. Les boucheries semblent en effet trouver difficilement preneur dans les années 1740-1750. En 1747, le marquis Foppa, propriétaire de deux boutiques à usage de boucherie sur le corso de Porta Ticinese, demande en effet la possibilité d’affecter l’une des deux à un autre usage, sans perdre le droit d’y exercer la boucherie, dans la mesure où il n’arrive pas à la louer. Pour appuyer sa demande, il donne l’exemple du marquis Domenico Arrigoni auquel une telle faculté avait été accordée pour sa boucherie de Porta Orientale69. Les Nava effectuent une requête identique en 1757, visant à incorporer une boucherie à leur résidence étant donné le faible revenu qu’elle dégage et les charges qu’elle représente70. Après les difficultés des années 1730-1740, les années 1770 témoignent donc d’une forte hausse pour les immeubles commerciaux, surtout lorsqu’ils sont bien situés. Le phénomène est aussi confirmé par les nombreuses demandes d’ouverture de boutiques à la même période (voir chap. 7).
La rentabilité des hôtelleries et leur sensibilité à la conjoncture
31En 1603, Ercole Visconti entre en possession de la propriété utile de l’Osteria delle Due Spade et d’autres immeubles voisins comportant au total six boutiques. Les biens, situés dans la paroisse de S. Calimero (Porta Romana), avaient été cédés par Raffaele Brunetto en compensation de ses dettes pour 51 300 lires71. L’hôtellerie se trouve en cœur d’îlot et donne sur le borgo de Porta Romana par un passage. Le rez-de-chaussée se compose de sept pièces, une cuisine et deux dispenses qui sont organisées autour d’une grande cour à portiques et d’une autre cour plus petite. Le premier étage accueille dix-neuf pièces de grandeur variable qui sont distribuées autour d’une galerie et d’une loggia. L’hôtellerie possède aussi deux grandes écuries, un poulailler et un jardin comprenant des pieds de vigne et des mûriers. Au milieu du XVIIIe siècle, elle appartient à la marquise Bianca Visconti née Rho et est estimée dans le cadastre 2 192 scudi. Par sa fonction même, elle constitue un type de bien particulier dont l’importante valeur conduit à effectuer les contrats de location devant notaire. La fluctuation importante des loyers témoigne d’une sensibilité particulière de ce type de bien à la conjoncture, mais aussi des ajustements qui ont lieu au renouvellement des contrats entre loyer en argent, loyer en nature et les éventuelles aides du propriétaire au locataire. En effet, une petite partie du loyer est représentée par des versements en nature, ce qui s’avère exceptionnel pour l’immobilier urbain72. Les effets de la peste de 1630 et de la crise qui s’ensuit sont manifestes à travers une baisse de moitié du loyer en 1634 qui connaît toutefois une récupération progressive. À partir de 1725, le loyer se stabilise à 2 600 lires tandis que les années 1780 marquent une forte augmentation (28 %). Le bail de trois ans n’est renouvelé en général qu’une ou deux fois par les locataires, démontrant une relative mobilité qui s’atténue toutefois à la fin du XVIIIe siècle en lien avec l’allongement des contrats à une durée de neuf ans. Probablement est-ce là une manière d’encourager les locataires à réaliser des aménagements et, à partir de 1786, un certain Pirotta prend l’hôtellerie en location pendant une vingtaine d’années.
32Le rapport particulièrement élevé procuré par l’Osteria delle Due Spade (aux alentours de 5 % avant même l’augmentation des années 1780) peut être confronté à celui de l’Osteria del Rebechino, propriété du comte Visconti di Rho73. Cette hôtellerie occupe un emplacement privilégié, se trouvant en plein cœur de Milan, dans la paroisse de S. Tecla, mais sa taille et ses possibilités d’accueil sont plus réduites que pour les Due Spade. En 1748, le comte Annibale Visconti loue l’hôtellerie ainsi que les trois boutiques voisines à Antonio Ferrario et Giacinto Rossi pour trois ans et 1 656 lires par an, ce qui est proportionnellement bien inférieur à l’Osteria delle due Spade si l’on compare leur estimation cadastrale74. Le cas de l’Osteria della Cervia, propriété de la famille Rosales, témoigne des charges importantes qui grèvent le revenu locatif et de la forte baisse de celui-ci en temps de crise. En 1644, le comte Rosales acquiert l’Osteria della Cervia, située dans la paroisse de S. Stefano in Borgogna pour 17 500 lires75. Celle-ci est louée en 1659 à Giuseppe Bertucci et Martino Capretti in solidum pour 1 350 lires par an, ce qui donne un rapport brut de 7,7 %76. En 1725, le rapport net du bien s’élève à 5,8 % environ, ce qui en fait encore un placement avantageux77. Toutefois, en 1736, alors que la crise économique touche Milan, le revenu se réduit à 540 lires nettes. La déperdition est telle que l’on peut suspecter un mauvais état de l’immeuble, comme pourrait le confirmer le poids important des charges : 26 % en 1725 et même 46 % en 1736. Ceci explique probablement pourquoi la famille Rosales décide de se séparer du bien qui est acquis par la marquise Castelli en 1738 et passe ensuite par héritage aux Visconti di Modrone. Le renouvellement du loyer dans les années 1740 se fait selon des modalités différentes : il s’élève à 1134 lires, mais les locataires s’engagent à payer les charges (impôts, réfection de la rue et du canal, réparations courantes… )78. Les hôtelleries constituent donc un placement immobilier spécifique par le rapport élevé qu’elles peuvent produire, mais elles s’avèrent aussi particulièrement sensibles à la conjoncture. Les jardins maraîchers constituent une autre catégorie de propriétés urbaines pouvant procurer un revenu important, surtout à la fin du XVIIIe siècle, dans le cadre d’une gestion attentive.
L’ortaglia de S. Simpliciano (1798-1806) : des revenus agricoles en milieu urbain
33Les circonstances qui entourent la mise en location de l’ortaglia acquise par les Crivelli en 1798 paraissent manifester une nouvelle forme de gestion du patrimoine locatif, qui peut aussi être mise en rapport avec la nature particulière du bien, destiné à une exploitation agricole79. Le 14 août 1800 a lieu, dans la résidence de la famille, une mise aux enchères de l’ortaglia, qui sera louée à la personne faisant la meilleure offre80. La dernière offre, 3 920 lires par an, est pourtant jugée insuffisante par Tiberio Crivelli, qui décide de ne pas conclure l’affaire. Il reçoit finalement, après la clôture des enchères, une proposition de Felice Fagino pour 4 050 lires qui est acceptée. La pratique des enchères témoigne d’un contrat qui ne s’établit plus sur la base de relations personnelles, mais qui se fait en faveur du meilleur offrant. C’est également selon cette même modalité que la famille met en location les biens ruraux d’Inverigo, selon les conseils de Vittorio Piazza, afin d’accroître les rendements de ceux-ci81. Les exigences des Crivelli en matière de loyer manifestent donc la volonté de tirer le rapport maximal du bien. Celle-ci est d’autant plus évidente lorsque l’on confronte la gestion des Crivelli à celle de l’ancien propriétaire, le monastère de S. Simpliciano. Le jardin maraîcher, qui devait être un peu plus grand puisqu’il comprenait encore la partie revenue aux frères Fè (environ 30 perches), était loué pour 2 200 lires en 1748 puis pour 2 400 lires en 1770, dans le contexte d’augmentation générale des loyers et des prix agricoles. Avec les Crivelli, trois décennies plus tard, il y a donc eu une augmentation de 68 % du revenu dégagé par le bien. Certes, la pratique d’un loyer en partie en nature s’est perdue et atténue la différence, mais le décalage demeure tout de même important. L’estimation du bien par les ingénieurs, au moment de sa vente, en 1798, se basait du reste sur un revenu brut de 2 749 lires, dont la majeure partie était procurée par les rendements agricoles82. Les Crivelli réussissent donc à obtenir un rapport bien plus important qui s’élève à 12 %, duquel il faudrait toutefois déduire d’éventuelles charges. Tiberio Crivelli réduit également la durée du bail de dix-huit ans à neuf ans, ce qui permet un ajustement plus rapide des loyers dans une conjoncture de croissance. Le cas de l’ortaglia des Verri, dans cette même paroisse de S. Simpliciano, confirme également l’augmentation du rendement de ce type de bien avec une croissance de 46 % au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle83. Ces deux exemples démontrent donc l’importance économique des jardins maraîchers dans la ville. L’important revenu qu’ils dégagent peut aussi expliquer pourquoi ces terrains sont restés non-bâtis. Certes, à surface égale, les terrains bâtis rapportent davantage, mais en tenant compte des frais importants occasionnés par l’édification, la différence ne rendait probablement pas très avantageuse une opération de lotissement de ces espaces sur le court terme, en l’absence d’une réelle pression foncière.
L’immobilier de prestige : la location des case da nobile
34La location d’un véritable palais rapporte souvent davantage que tout un immeuble de rapport. En effet, ce type de bien est particulièrement recherché et le loyer annuel s’élève généralement à plusieurs milliers de lires, ce qui représente quasiment le prix d’achat d’une maison. Toutefois, selon la conjoncture, les caractéristiques et l’état de l’édifice, sa location apparaît plus ou moins facile et plus ou moins rentable. En 1783, les ingénieurs qui estimaient les propriétés urbaines des Verri se basaient sur un revenu net de 4 % pour la casa da nobile alors que la maison de location voisine était estimée sur la base d’un rapport de 3,5%84. Toutefois, plus d’un siècle auparavant, dans une conjoncture économique certes différente, Matteo de Rosales estimait la valeur de sa résidence sur la base d’une capitalisation à 2 %, reconnaissant la difficulté à louer ce type d’immeubles85. Il est extrêmement difficile de calculer le taux de rapport d’un tel édifice dans la mesure où il a souvent été l’objet d’interventions variées. Laura Giacomini insistait sur la valeur économique des palais loués et sur l’intérêt du propriétaire qui se retrouvait souvent, pour ce type de bien, avec une demeure rénovée à la fin du contrat sans avoir eu à débourser une lire, le locataire prenant souvent à charge les travaux86. Cette analyse est toutefois à nuancer car, bien souvent, les travaux effectués viennent en déduction du loyer et ils peuvent être source de conflits entre le bailleur et le preneur. En 1544, le palais Trivulzio de la contrada Signora est donné en location à Violante Bentivoglio Sforza pour six ans avec un loyer annuel de 100 scudi. La demeure est encore assez modeste avant les grands travaux entrepris au XVIIe siècle et le contrat laisse au locataire la possibilité d’y faire des réparations qui viennent toutefois en déduction du loyer87. L’ancien palais Trivulzio de la via Rugabella est loué au marquis Giorgio Pallavicino par le prince Trivulzio de 1622 à 1640 pour 2 400 lires par an88. Au début des années 1780, une casa da nobile de la contrada Bassano Porrone, propriété des Clerici, est louée à Don Costanzo Sopransi pour 2 000 lires, revenu important pour une demeure qui ne peut être comparée aux grands palais milanais. La demeure des Visconti Borromeo représente en revanche un véritable palais qui fut habité par une prestigieuse famille du patriciat89. La description de 1686 fait en effet état de 91 pièces90 et la valeur qui lui est attribuée dans le cadastre s’élève à 3 055 scudi (contre 1 944 scudi pour la casa da nobile de la contrada Bassano Porrone). En 1685, alors que les héritiers se sont transférés dans le palais Arese de Porta Vercellina, la demeure est louée à Angelo Mantegazza. Elle procure à la comtesse Margherita Visconti Borromeo Arese un revenu brut de 3 000 lires par an et le bail de deux ans est renouvelé en 1687 aux mêmes conditions91. En 1707, le locataire est désormais le comte Antonio della Somaglia qui reste dans les lieux jusqu’à la fin de sa vie puisque le dernier renouvellement dont on ait la trace date de 1765. Il loue le palais de Monforte et les trois maisons qui l’entourent pour 4 300 lires par an92. Bien que le prix de location soit déjà élevé, le contrat précise que les réparations courantes seront à charge du locataire qui s’engage à améliorer le bien. Il est probable que les maisons de location situées autour du palais accueillent l’entourage de la famille (personnel, agent, etc.) tandis qu’une partie est peut-être sous-louée. Le comte della Somaglia récupère ainsi tout un noyau patrimonial au sein duquel il peut reproduire le modèle résidentiel des plus importantes familles patriciennes. Il s’installe dans les lieux pour plusieurs décennies et y effectue divers aménagements. C’est, là encore, la marque des comportements aristocratiques qui n’ont de cesse d’adapter leur résidence aux nouvelles exigences de la famillle, de la mode et du confort. Au fur et à mesure des renouvellements, la durée du bail s’allonge (passant de deux ans à neuf ans) et le prix du loyer tend à baisser, effet des compensations du propriétaire pour les réparations et améliorations réalisées par le locataire. En 1709, une première diminution fait passer le loyer à 4 000 lires puis, en 1734, à 3 000 lires. Un mémoire postérieur à cette date fait état des contestations qui peuvent surgir entre les deux parties sur le problème de l’entretien de l’édifice et des aménagements93. Si les principaux palais milanais servent de résidence à la famille qui en est propriétaire (tels le palais Clerici, Litta ou Borromeo), les estimations effectuées par les ingénieurs dans le cadre de successions démontrent qu’ils pourraient être loués pour 7 000 lires et sûrement davantage pour certains à la fin du XVIIIe siècle.
35La location d’appartements à l’intérieur d’un palais habité par la famille propriétaire est rare à Milan. C’est néanmoins le cas du palais Crivelli qui accueille d’autres représentants de l’élite patricienne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Des membres de la famille Borromeo s’installent ainsi, à plusieurs reprises, dans l’un des appartements : le comte Borromeo entre 1754 et 175794 puis, en 1789, la comtesse Giulia Borromeo Lucini. Cette dernière reprend un appartement occupé auparavant par Don Paolo della Silva (un autre patricien), pour un bail de neuf ans et un loyer annuel de 2 200 lires. Le contrat s’accompagne alors de conditions particulières liées au statut des locataires : la comtesse a le droit de se promener dans le jardin (droit qui vaut exclusivement pour les maîtres et non pour les domestiques) et peut aussi faire entrer ses visiteurs par la cour noble du palais. L’appartenance sociale n’est cependant pas une garantie de paiement régulier des loyers comme le démontre le cas du comte Alessandro Barbiano di Belgioioso. Celui-ci avait loué, en 1690, la casa grande da nobile située à proximité du palais Crivelli, pour 700 lires, mais les sources démontrent de nombreux arriérés. Ces manquements n’avaient pas empêché le renouvellement du contrat en 1693. Les palais trouvent donc preneur à des loyers élevés mais il reste toutefois difficile d’apprécier le rapport réel du bien dans la mesure où il faudrait prendre en compte les aménagements dont il a pu être l’objet après son acquisition.
Les dernières décennies du XVIIIe siècle : un tournant dans la conception économique de l’immobilier urbain ?
36De cette diversité des cas étudiés se dégage cependant un élément commun : l’augmentation de la rente locative au cours des années 1770 et la tendance des familles, à partir de ce moment, à gérer leurs immeubles en privilégiant les logiques économiques aux logiques sociales. Pour les biens d’une certaine valeur, le choix du locataire s’effectue de plus en plus souvent par le biais d’une mise aux enchères qui garantit au propriétaire la meilleure offre possible. Les réajustements fréquents des loyers, dans cette nouvelle conjoncture, rompent avec une période de grande stabilité qui voyait certains contrats renouvelés pendant des décennies pour le même montant. Cette stabilité était certes entrecoupée de périodes de crises : les années 1630-1650 suite à l’épidémie de peste et les années 1730-1750 dans le contexte des guerres de succession s’étaient caractérisées par une chute des loyers urbains95. Les trois dernières décennies du XVIIIe siècle inaugurent en tout cas une conjoncture favorable qui semble se poursuivre au début du XIXe siècle. Le lien entre l’intense activité édilitaire des années 1770-1780 et la hausse des loyers est bien manifeste : la conjoncture de croissance de la rente immobilière encourage les propriétaires à réaliser des travaux. La mise en application du nouveau système fiscal à partir des années 1760 peut, par ailleurs, contribuer à une meilleure gestion de l’immobilier, comme ce fut le cas pour l’exploitation des terres agricoles. En effet, l’attribution d’une valeur imposable, fixe et définitive, à l’immeuble encourageait les propriétaires à dégager un revenu plus important puisque le supplément obtenu n’était pas imposable. Cette hausse des loyers, à partir des années 1770, est à relier à l’existence d’une demande croissante en logements qui se heurte toutefois aux disponibilités financières réduites de la majeure partie des locataires.
Le problème du logement : une conjoncture nouvelle à Milan
37Après une longue période de stagnation, la population milanaise augmente dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, créant de nouveaux besoins en logement. L’évolution de la démographie urbaine peut être suivie précisément durant le dernier tiers du XVIIIe siècle, montrant les années d’accroissement maximal96.
38La population milanaise connaît un mouvement de croissance globale entre 1768 et 1796, puisqu’elle passe de 125 935 à 134 437 habitants. Elle gagne donc 6,7 % d’habitants sur les 27 ans considérés, ce qui donne une croissance annuelle moyenne de 2,4 ‰, soit un taux plutôt faible par rapport à d’autres villes européennes. Ces trois décennies représentent en fait la majeure partie de l’accroissement démographique du XVIIIe siècle : si l’on se base sur le chiffre de 123 000 habitants en 1715, on obtient en effet une croissance de 9,3 % pour le siècle. Il s’agit là d’un pourcentage bien faible face à d’autres villes européennes : la population de Lyon augmente de 55 % au XVIIIe siècle, celle de Marseille de 47 %, celle de Paris de 20 %98. En Italie, Turin passe de 47 000 habitants en 1720 à 76 000 en 1790, soit une augmentation de 60 % qui fait figure d’exception en Italie. La population de la péninsule reste en effet étrangère à la grande expansion démographique qui concerne le reste de l’Europe99. L’augmentation est donc modeste mais elle n’en est pas moins réelle et surtout se fait sentir à des moments bien précis. Cette croissance globale qui caractérise les années 1768-1795 n’est pas régulière et uniforme. Un maximum de 134 467 habitants est atteint dès 1782 et témoigne d’un dynamisme démographique particulier au cours des années 1770. Cette décennie effectue à elle seule la moitié de l’accroissement démographique de tout le siècle. Les années qui suivent se caractérisent au contraire par une chute de la population (1784-1787) puis par une récupération. Les fortes augmentations correspondent souvent à une année particulière (25 ‰ en 1775 et 1788), tandis que pour d’autres, la perte est en proportion identique (1784, 1786). De tels mouvements sont liés aux flux migratoires. L’arrivée d’ouvriers du bâtiment, employés sur les nombreux chantiers que compte la ville à cette époque, a joué un rôle non négligeable, mais il s’agit d’une population mobile qui quitte la ville une fois le travail achevé100. Les départs apparaissent particulièrement nombreux en 1784 et 1786, provoquant une forte chute de la population qui inquiète les autorités : une enquête du gouvernement confirme ainsi l’existence de migrations temporaires de travailleurs vers les États voisins (Piémont, Vénétie, États pontificaux)101.
39Le problème du logement pour les couches populaires apparaît clairement dans les préoccupations des pouvoirs publics dès les années 1770 :
L’augmentation de la population dans la paroisse du Duomo résulte de l’élévation de divers immeubles de location auxquels ont été ajoutés de nouveaux étages, ce qui s’est effectué aussi dans d’autres parties de la ville car les Luoghi Pii ont donnés en livello, en conformité avec les ordres de la R. G. E. [Regia Giunta Economale], pratiquement tous les immeubles qu’ils possédaient avec des redevances importantes outre le versement d’un adeale non négligeable et l’obligation d’améliorer le bien, les livellari respectifs se sont vus obligés, pour amortir de si lourds contrats, de transformer les biens en immeubles de rapport afin d’en tirer des loyers plus importants. L’affaire leur a réussit puisque des habitants, même de condition modeste et de disponibilités financières réduites, alléchés par le bel aspect de ces immeubles, ont pris en location des appartements plus étendus et plus dispendieux de ce qu’ils étaient habitués à avoir. À cause des améliorations réalisées dans une grande partie des immeubles susdits, qui servaient d’habitations populaires et de celles effectuées par les familles les plus riches de la ville, viennent à manquer les habitations pour le petit peuple102.
40Dans les années 1770, Milan connaît en effet une véritable crise du logement. Entre 1768 et 1782, la population est passée de 126 000 à 134 000 habitants. Durant l’année de croissance démographique majeure (entre 1774 et 1775), la ville a gagné plus de 3 000 habitants auxquels il faut donc trouver des logements. En 1798, le gouvernement de la République Cisalpine témoigne encore de la nécessité pressante de fournir des logements pour de nombreuses familles milanaises :
Les réclamations des habitants concernant l’impossibilité de trouver un logement se multiplient. Après avoir tenté tous les moyens suggérés par la prudence et la situation, pour contenir les désordres naissants, nous nous voyons dans la nécessité de signaler que la tranquilité publique est compromise si une détermination supérieure ne permet pas, rapidement, de suspendre au moins pour une décennie tous les ajustements de loyer qui ne sont pas le fruit d’une conciliation entre les parties. La mise en location est absolument urgente et nécessite toute l’attention possible. Au cours de cette décennie, nous nous employerons incessamment à renouveler les moyens qui peuvent faciliter les dits ajustements, convaincus que vous-même mettrez en œuvre les mesures les plus opportunes afin que soient logées de nombreuses familles qui demeurent sans toit103.
41Si la conjoncture des années 1770 apparaît nettement plus dynamique à Milan, elle se heurte toutefois au problème inhérent à l’économie d’Ancien Régime de disposer de liquidités importantes pour effectuer des achats immobiliers ou des travaux de rénovation. La demande en logement est forte, mais elle est le fait d’une population qui n’a pas forcément les moyens de payer des loyers élevés. Enfin, l’abondance de biens mis en vente avec les suppressions ecclésiastiques peut engendrer une offre supérieure à la demande même si les pouvoirs publics sont attentifs, de ce point de vue, à limiter les déséquilibres possibles du marché. Les caractéristiques de la démographie milanaise expliquent aussi certains traits du foncier milanais. La forte hausse de population dans les années 1770 est largement responsable de l’augmentation des loyers. Toutefois, cette augmentation n’est pas continue et reste finalement relativement modérée face à d’autres villes européennes. Ceci explique sans doute la réticence de certains propriétaires à engager des investissements importants et à conduire de grosses opérations de lotissement. Certains patriciens, tels les Verri, semblent toutefois considérer l’immobilier urbain comme une source durable de rapport.
Un exemple de valorisation du patrimoine locatif dans les années 1770 : le cas de la famille Verri
42La gestion de l’ensemble du patrimoine locatif de la famille Verri, particulièrement bien documenté, présente l’exemple d’une famille attentive à valoriser ses propriétés urbaines dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et prête à investir des sommes importantes pour augmenter les capacités d’accueil de ses immeubles dans un contexte de croissance urbaine. En 1751, les propriétés des Verri, toutes à destination locative, se composent d’un noyau principal de cinq parcelles dans la paroisse de S. Nazaro in Brolio (Porta Romana). Deux autres maisons dans S. Babila et une sostra dans S. Pietro in Caminadella complètent le patrimoine familial. L’acquisition de la résidence de S. Andrea, en 1760, s’accompagne d’un nouveau noyau locatif aux alentours de celle-ci, qui comprend plusieurs boutiques. Les années 1770 se caractérisent enfin par l’achat de jardins maraîchers dans la paroisse de S. Simpliciano, montrant la volonté de diversifier le patrimoine locatif. L’un des immeubles de S. Nazaro in Brolio donne sur la contrada delle Monache. Il se compose, au rez-de-chaussée, de deux boutiques104, huit pièces, un puits et un petit jardin. Aux étages se trouvent dix-huit autres pièces. De 1669 à 1724, divers contrats de location sont établis par les Verri qui divisent l’immeuble en plusieurs ensembles. Les loyers s’échelonnent de 28 lires par an pour une simple pièce à 200 lires pour une boutique et quatre pièces avec jouissance du jardin et des caves. Comme pour la Casa dell’Isola, on observe une continuité des locataires principaux : Pietro Gallo, fileur de soie, est présent dans l’immeuble de 1678 jusqu’à sa mort en 1724 ; Filippo Mapelli y habite également de 1669 à 1709. À partir de 1747, la maison est louée en bloc à une personne qui se charge ensuite de la sous-louer. Entre cette date et 1768, le loyer augmente légèrement puisqu’il passe de 460 lires à 500 lires, soit une hausse de 8 % en 20 ans. Sans doute les Verri sont-ils plus attentifs que d’autres à la rentabilité de leurs maisons urbaines. C’est aussi pour cela qu’ils décident, en 1771, d’entreprendre des travaux importants dans l’immeuble105. Il s’agit là d’une période où la rentabilité de l’immobilier urbain s’accroît, et les aménagements réalisés leur permettront d’augmenter les revenus locatifs. Ils s’avéraient également urgents et nécessaires car la maison se trouvait « en mauvais état du fait de sa structure ancienne et de ses vieux murs » : le toit et un mur étaient sur le point de s’effondrer, les fenêtres étaient « irrégulières et dépourvues de symétrie »106. Les Verri en profitent pour agrandir l’immeuble : six nouvelles pièces sont créées tandis que le deuxième étage est surélevé des deux tiers. La somme importante de 10 504 lires est engagée pour la réfection de l’édifice : elle représente le tiers de ce que la famille a dépensé pour sa propre résidence, alors qu’il n’y a ici aucun frais de décoration intérieure. L’importance des opérations consacrées au gros œuvre et le prix élevé des matériaux expliquent cette somme. Les travaux durent près de deux ans et les principaux postes de dépenses sont les suivants : 7 796 lires pour la fourniture de matériaux, 2 629 pour la main d’œuvre et 97 lires pour le transport. La part des matériaux qui sont exclusivement destinés au gros œuvre (bois, pierre, fer, sable, chaux) représente donc près des ¾ du coût de la construction. Certes, les factures du menuisier et du vitrier, qui ont été incluses dans les matériaux, comprennent une part de main d’œuvre mais celle-ci est a priori minime confrontée au prix du verre ou du bois. La famille Verri fait appel à certains fournisseurs ou artisans déjà employés sur le chantier de leur résidence tel le capomastro Giovanni Carnevale qui dirige les travaux et ne se fait payer que 68 lires pour ses propres compétences techniques en architecture. Le charretier Antonio Gorla est chargé de déblayer la terre ; les sostrari Gaetano Baroggi et Felice Pozzi fournissent respectivement le bois et la pierre ; le ferraro Francesco Castino livre les métaux. Compte tenu des travaux entrepris et de l’agrandissement réalisé, le loyer de la maison est augmenté de 64 % et passe à 820 lires la première année, « le temps d’assécher les murs », puis à 980 lires. En 1780, une nouvelle augmentation le fait passer à 1 200 lires. La hausse du loyer est donc particulièrement importante (140 %). Toutefois, il faudra plus d’une dizaine d’années pour amortir les frais engagés (10 504 lires auxquelles s’ajoutent toujours les diverses charges annuelles). L’exemple permet donc de comprendre pourquoi un certain nombre de propriétaires patriciens, dans un cas similaire, font le choix d’un contrat de livello qui leur garantit un bénéfice immédiat et leur épargne d’importantes dépenses. Pourtant, sur la longue durée, dans une conjoncture d’augmentation des loyers, les contrats de location simples s’avèrent plus rentables.
43L’accroissement des loyers, dans les années 1770, permet en effet aux Verri de réaliser des bénéfices importants dans leurs autres propriétés locatives. En même temps que la nouvelle résidence de S. Andrea, ils avaient acheté au marquis Lonati, deux maisons de location situées dans le voisinage immédiat de celle-ci. Une partie de l’une d’elle avait été intégrée à la casa da nobile lors des travaux107, mais les immeubles avaient conservé leur fonction locative et, en dépit de l’amputation réalisée, les loyers augmentent. Les recompositions opérées dans les biens loués rendent difficile un suivi précis de ceux-ci, pourtant quelques éléments peuvent être mis en évidence. Dans les années 1730, alors que les deux maisons appartenaient encore aux Lonati, elles étaient louées pour 400 et 480 lires par an. Lorsque les Verri prennent possession des biens, le loyer de la maison située à l’angle de la contrada de S. Pietro et de S. Vittore passe de 415 lires (contrat de 1753 au nom de Giuseppe Salvioni) à 450 lires (contrat de 1770 au nom d’Antonio Maria Negri, un fileur de soie) puis à 600 lires (contrat de 1779 à Antonio Cassina), soit une augmentation de 33 %. En ce qui concerne l’autre maison, plus grande que la précédente, l’accroissement est encore plus manifeste : le loyer passe de 480 lires dans les années 1730-1740 à 850 lires en 1766 (lorsque Carlo Sala, un fabricant de cabrette a telaio reprend l’immeuble) puis à 900 lires l’année suivante et enfin à 1 430 lires lors de la location à Giuseppe Dones en 1779. À ce moment, il est possible que des travaux aient été réalisés. En effet, la typologie de l’édifice est transformée puisqu’il est devenu une casa da vicini, qui accueille un nombre supérieur d’unités locatives. L’organisation interne des immeubles, permettant de constituer des unités locatives plus ou moins grandes et cohérentes, apparaît en effet un aspect important pour leur rentabilisation. Giorgio Bigatti soulignait du reste que la structure des immeubles milanais au XVIIIe siècle ne garantissait pas un rendement maximal. C’est seulement dans la première moitié du XIXe siècle que se sont développés des édifices dont la distribution et la taille des logements permettaient au propriétaire d’en dégager un revenu élevé108. Dans le cas présent, l’ouverture de nouvelles boutiques a sûrement joué aussi un rôle déterminant dans cette croissance des loyers qui procure un triplement du rapport de l’édifice109. Après ces réorganisations, les revenus qu’ils tirent des deux maisons voisines de leur résidence s’élèvent à 2 348 lires en 1792 et ils passent à 3 492 lires en 1809. Certes, il faut tenir compte de l’inflation existante à cette période, mais le revenu réel n’en connaît pas moins une augmentation exceptionnelle.
44Les Verri ne sont pas les seuls patriciens soucieux de rentabiliser leurs propriétés urbaines en entreprenant des travaux pour accroître les possibilités d’accueil de celles-ci, mais ils apparaissent des précurseurs. D’autres exemples témoignent de leur attention particulière à réajuster les loyers dans le contexte de croissance des années 1770. En 1775, ils donnent en location à Pietro Martire Ciceri une casa da nobile située sur le corso de Porta Orientale, comprenant « plusieurs appartements, deux écuries, un jardin et d’autres comodités ». Le contrat, d’une durée de trois ans, fixe un loyer annuel de 3 200 lires110. Lorsque l’investiture est renouvelée en 1778, pour six ans, le loyer est passé à 220 zecchini gigliati (soit plus de 3 500 lires). En 1772, les Verri prolongent de trois ans le contrat de location établi par le comte Felice Busi envers Don Carlo Lecchi pour deux appartements : le loyer s’accroît alors de près de 10 % (passant de 550 à 600 lires) tandis que la durée du bail diminue, permettant des réajustements plus rapides111. Des différences de gestion sont manifestes entre les immeubles de S. Vittore (proches de leur résidence) et ceux de S. Nazaro in Brolio. Ces derniers, jadis fractionnés entre plusieurs locataires, sont passés à un locataire principal qui pratique la sous-location. Pour les immeubles de S. Vittore, après avoir tenté une pratique similaire, les Verri sont revenus à l’établissement de contrats directs à partir de 1788. La famille peut ainsi contrôler directement le voisinage de sa résidence et se garantit probablement un bénéfice plus important. La durée des contrats tend également à se réduire afin de permettre des réajustements plus rapides dans une conjoncture de hausse des loyers.
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45Les pratiques de gestion des patrimoines immobiliers révèlent ainsi une grande diversité de situations, selon le type de bien, sa localisation, son état et la conjoncture. Elles confirment la dimension morale de l’économie d’Ancien Régime, en contradiction avec des objectifs de simple rentabilité112. La fonction économique des propriétés urbaines apparaît finalement assez limitée pour les patriciens. Les phénomènes de spéculation immobilière semblent quasiment inexistants à travers la documentation consultée et l’intérêt économique de l’immobilier urbain se trouve essentiellement dans la rente locative. Le rapport de celle-ci varie selon le type de bien, la conjoncture, les choix de gestion des propriétaires. De lourdes charges pèsent toutefois sur les revenus des immeubles qui nécessitent un entretien régulier. C’est pour cela que les patriciens se tournent parfois vers des contrats de livello qui leur garantissent un revenu net et qui s’avèrent, dans certaines situations, plus favorables que la location. Face à cela, le rapport des terres agricoles ou des placements financiers peut apparaître plus attrayant, mais le premier n’est pas non plus dénué de charges et celles-ci peuvent même être supérieures dans certaines situations à celles de l’immobilier urbain113. Les investissements des patriciens dans la ville semblent, en réalité, commandés par d’autres motivations que l’intérêt purement économique, même lorsqu’il s’agit de biens locatifs. La fonction de ces propriétés urbaines consiste plutôt à créer des liens sociaux à travers la pratique des locations. Les acquisitions de biens provenant des institutions ecclésiastiques supprimées ont du reste eu pour objectif essentiel de renforcer les ancrages territoriaux préexistants autour de la résidence. Bien sûr, certaines familles sont plus attentives que d’autres à la gestion de leurs propriétés et la fin du XVIIIe siècle démontre des évolutions dans la manière de concevoir le rôle économique de la propriété urbaine. Les pratiques qui se développent alors (recours aux enchères pour l’établissement de contrats de location, forte augmentation des loyers et diminution de la durée des baux) attestent de formes de gestion plus attentives à la rentabilité des biens.
Notes de bas de page
1 C. M. Cipolla, Aspetti e problemi nell’economia milanese e lombarda nei secoli XVI e XVII, dans Storia di Milano, t. XI, Milan, 1953-66, p. 377-403. Ce mouvement de repli vers la terre ne concerne pas seulement la Lombardie mais aussi d’autres régions de l’Italie : L. Bulferetti, L’oro, la terra e la società. Un’interpretazione del nostro Seicento, dans ASL, 1953, p. 5-66 ; F. Angiolini, Le basi economiche del potere aristocratico nell’Italia centro-settentrionale tra XVI e XVIII secolo, dans Società e storia, 2, 1978, p. 317-331 ; pour la Vénétie : D. Beltrami, La penetrazione economica dei veneziani in Terraferma : forze di lavoro e proprietà fondiaria nelle campagne venete sei secoli XVII e XVIII, Venise-Rome, 1956.
2 L’immobilier urbain a davantage été étudié à travers les grands patrimoines ecclésiastiques : M. Vaquero Piñeiro, La renta y las casas : el patrimonio inmobiliario de Santiago de los Españoles en Roma entre los siglos XV y XVII, Rome, 1999 ; F. Masè, Patrimoines immobiliers ecclésiastiques dans la Venise médiévale (XIe-XVe siècle) : une lecture de la ville, Rome, 2006 ; M. Barbot, Le architetture della vita quotidiana : uso dello spazio e scambio immobiliare a Milano in età moderna. Il patrimonio della Fabbrica del Duomo fra XVI e XVII sec., Venise, 2008.
3 L’auteur s’est basé pour cela sur l’étude des taux de rentabilité des ventes, mettant en évidence les formes de divergences et de convergences : J.-F. Chauvard, La formation du prix des maisons dans la Venise du XVIIe siècle, dans Histoire et Mesure, 3-4, 1999, p. 331-368 ; Id. La circulation des biens à Venise… cit., p. 183-208.
4 J.-F. Chauvard, La formation du prix des maisons… cit., p. 345.
5 J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise… . cit., p. 192-193.
6 M. Barbot, « Ad ogni casa il suo prezzo » : le stime degli immobili della fabbrica del Duomo di Milano tra Cinque e Settecento », dans MEFRIM, 119-2, 2007, p. 249-260 (citation p. 259).
7 Sur les différentes théories de la rente foncière et leur évolution : J.-L. Guigou, La rente foncière : les théories et leur évolution depuis 1650, Paris, 1982. Pour les théories classiques, la valeur du sol est le reflet de sa productivité économique alors que pour les néo-classiques, la valeur est le résultat d’une disparité entre l’offre et la demande, soit de la rareté relative des biens.
8 A. Lipietz, Le tribut foncier urbain, Paris, 1974 ; Id., La valeur de l’espace économique, dans J.-L. Gourdon, E. Perrin, A. Tarrius, Ville, espace et valeur, Paris, 1995, p. 101-107 ; C. Topalov, Capital et propriété foncière : introduction à l’étude des politiques foncières urbaines, Paris, 1973 ; Id., Le profit, la rente et la ville : éléments de théorie, Paris, 1984 ; M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers, Paris, 1989 ; Id., Sociologie de la bourgeoisie, Paris, 2000.
9 Ces valeurs, données à titre d’exemple, sont celles de terrains situés dans la commune de Dervio (Riviera di Lecco). Les 0,13 lires / m2 sont la transcription des 14 scudi / pertica qui correspondent aux bonnes terres mises en culture (aratorio di prima squadra). Les 0,02 lires / m2 renvoient aux 2 scudi / pertica des paludes et terrains sujets aux inondations.
10 ABIB, cart. Milano, Piazza Borromeo, case n° 2840/8 e 2841/10 : acquisti 1708-1722.
11 ASM, Clerici r. a., cart. 9, fasc. 3.
12 Le phénomène avait été noté par J.-F. Chauvard, qui soulignait, à ce niveau, l’existence d’un micro-marché spécifique : J.-F. Chauvard, La formation du prix des maisons… cit., p. 357-358.
13 Acte du 29 mars 1800, ASM, Crivelli, Archivio Vecchio, cart. 36. La valeur vénale du bien avait été estimée par l’ingénieur à 20 000 lires en 1800 à la condition d’y effectuer quelques travaux, mais le marquis Crivelli préféra le revendre en l’état.
14 Dans le cas vénitien, ce phénomène est aussi souligné par J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise… cit.
15 Acte du 7 octobre 1774, dans ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 412.
16 Acte du 21 mai 1778, r° Agostino Perrocchio. ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 405.
17 R. Curto, Da un’ idea di valore al valore di rendimento… cit. L’auteur insiste sur le retard de l’Italie dans la conception mercantile des édifices urbains. Pendant des siècles, la valeur des maisons avait été considérée comme dérivant de la valeur du sol et de la construction, déduisant le premier du marché et considérant le second en termes de coût déprécié.
18 Dans le cas parisien : E. Le Roy Ladurie (dir.), Histoire de la France urbaine : la ville des temps modernes… cit., p. 127 et sq., p. 145 et sq. Sur l’exemple des entreprises du ministre Desmarets, du duc de Montmorency et du comte de Choiseul-Gouffier dans le nord-ouest parisien au XVIIIe siècle : N. Coquery, L’hôtel aristocratique… cit., p. 239 et sq. Même dans une ville plus modeste comme Caen, l’existence d’une plus-value foncière grâce à l’augmentation des prix de l’immobilier a été mise en évidence : J.-C. Perrot, Genèse d’une ville moderne : Caen au XVIIIe siècle, Lille, 1974, p. 614.
19 S. Bobbi, Nascita della speculazione edilizia moderna e ruolo dei materiali da costruzione nella Milano riformista del secondo Settecento, dans MEFRIM, 119-2, 2007, p. 235-247 ; Id., La Milano dei Fé : appalti e opere pubbliche nel Settecento, Soveria Mannelli, 2006. Outre la revente des loges, l’auteur met en évidence la naissance de la spéculation édilitaire dans les années 1770 autour des grosses adjudications publiques de l’entreprise Nosetti et Fè.
20 Certains documents ont peut-être été perdus ou détruits. Par ailleurs, leur classement archivistique est quelque peu désordonné. Si une cohérence apparaît pour la série 1758-1784, classée d’abord par paroisse puis, à l’intérieur de celles-ci, par ordre chronologique, la série correspondant aux années postérieures (1784-1802) est organisée par ordre alphabétique des demandeurs et surtout, la documentation du cadastre thérésien est mélangée avec des documents qui remontent au XVIe siècle. La documentation concernant la ville de Milan se trouve essentiellement dans le fonds Catasto ainsi que dans le fonds Censo, qui concerne notamment les ex-biens ecclésiastiques (voir liste des sources). Il arrive également qu’un même transfert (même parcelle, même acte notarié) soit présenté à deux reprises, à quelques années d’intervalle. Les libri dei trasporti sont a priori exhaustifs mais présentent d’autres limites (voir chap. 2).
21 Le tableau ne retient que les transactions réalisées sur le marché et exclut donc les passages de propriété par héritage, dot ou donation. Il est réalisé à partir de la date des actes notariés mentionnée dans les petizioni et non à partir de la date d’enregistrement par le cadastre qui est souvent postérieure de plusieurs années.
22 Le constat d’une sous-représentation du patriciat dans les transactions immobilières se retrouve également à Venise : J.-F. Chauvard, La circulation des biens… cit., p. 252-253.
23 ASM, Fondi Camerali p.a., cart. 182, fasc. 8. Les deux biens repris par des patriciens sont une maison avec boutique dans S. Pietro alla Vigna provenant du monastère de S. Orsola (comte Castiglione) et une maison dans S. Giorgio al Palazzo (marquis Calderara).
24 U. Marcelli, La vendita dei beni nazionali nella repubblica cisalpina, Bologne, 1967.
25 ASM, Notarile, cart. 44217, acte du 2 juin 1778, r° C. L. Rusca.
26 Les traces de leurs interventions édilitaires se trouvent dans ASCM, Località Milanesi, cart. 231/2. Voir, N. Raponi N. et A. Scotti Tosini, Palazzo Diotti a Milano, 2 vol., Milan, 2006.
27 C’est le montant qu’il doit encore au Fondo di Religione en 1794 (ASM, Fondi Camerali, cart. 3 (1793-1797). Sur les nombreux patriciens candidats à l’achat de biens nationaux ruraux, voir « Elenco degli azionisti forzati e volontari (1798) » dans ASM, Fondi camerali, cart. 6.
28 Sur les « grammaires » complexes de la propriété avant l’instauration du Code civil : M. Barbot, Per una storia economica della proprietà dissociata : efficacia e scomparsa di un altro modo di possedere (Milano, XVI-XVII secolo), dans Materiali per una storia della cultura giuridica, I, 2008, p. 33-61.
29 Sur cet aspect : numéro spécial de Quaderni storici « Proprietari e inquilini », 113, 2003.
30 J.-F. Chauvard, La circulation des biens à Venise… cit., p. 79-81.
31 R. Ago, Economia barocca... cit. ; Quaderni Storici, 88, 1995, numéro spécial sur les droits de propriété, édité par R. Ago ; P. Grossi, Il dominio e le cose : percezioni medievali e moderne dei diritti reali, Milan, 1992.
32 Les différentes terminologies sont utilisées de manière variable selon les auteurs, chacun tendant à donner sa propre définition. Paolo Grossi considère que le trait principal de l’emphytéose est l’obligation d’améliorer le bien (P. Grossi, Locatio ad longum tempus, Naples, 1963, p. 238 et sq). Elle est aussi associée à une dissociation du sol et de l’immeuble, forme contractuelle qui était initialement utilisée au Moyen Âge, par les grands propriétaires pour faire bâtir les terrains qu’ils possédaient sans supporter eux-mêmes le coût de la construction (O. Faron et E. Hubert [dir.], Le Sol et l’immeuble : les formes dissociées de la propriété immobilière dans les villes de France et d’Italie XIIe-XIXe siècle, Rome, 1995). M. Barbot limite l’emphytéose aux situations qui établissent une distinction entre le propriétaire du sol et celui de l’immeuble (M. Barbot, Per una storia economica della proprietà dissociata… cit.). Sur l’emphytéose, voir aussi : « Enfiteusi » dans Enciclopedia del diritto, t. XIV, Milan, 1965, p. 920-960 et R. Feenstra, L’emphytéose et le problème des droits réels, dans La Formazione storica del diritto moderna in Europa, Florence, 1977, t. 3, p. 1290-1320. Ce dernier soulignait l’incertitude de la terminologie et du contenu qu’elle recouvrait. Il retenait comme caractéristiques de l’emphytéose le droit de jouissance héréditaire pour le preneur, la longue durée et l’aliénabilité de ce droit. En revanche, il écartait l’obligation de payer une redevance, la modicité de celle-ci, l’obligation d’améliorer le bien et la perpétuité.
33 Olivier Faron a souligné le rôle important de l’emphytéose dans le développement urbain : en permettant à un autre personnage que le propriétaire d’investir dans le processus de construction, le système a multiplié ainsi les acteurs de la croissance urbaine : O. Faron, La situazione dell’enfiteusi nell’epoca moderna e contemporanea, dans Storia urbana, XIX, 1995, p. 171-183. Dans le cas milanais, il avait déjà mis en évidence le recours à l’emphytéose au début du XIXe siècle et montrait que celle-ci était loin de correspondre à une forme juridique dépassée : O. Faron, Sur les formes de propriété dissociée à l’époque contemporaine (Milan-XIXe siècle), dans O. Faron et E. Hubert (dir.), Le Sol et l’immeuble… cit., p. 101-113 ; Id., À propos de la modernité de l’emphytéose, dans Le Sol et l’immeuble… cit., p. 9-14.
34 ASM, Censo p.a., cart. 25. Il est probable que la longue période de crise puis de stagnation économique qu’a connue Milan depuis les années 1630 ait contribué au manque d’entretien et, à terme, à la dégradation des immeubles.
35 Cette nécessité apparaît clairement dans une lettre de Kaunitz évoquant la transformation des monastères supprimés en immeubles locatifs : « Il monastero delle Teresiane Scalze, posto fuori dell’abitato ed in luogo d’aria salubre, invece d’essere venduto per un tenue prezzo, potrebbe servire per trasportarvi altre monache, o qualche conservatorio. Ciò darebbe luogo a mettere in libertà la fabbrica di qualche monastero o conservatorio nel cuore della città, che entrando nella pubblica contrattazione, gioverà per accrescere le case d’abitazioni che ora ivi scarseggiano » (ASM, Fondo Camerale, p. a., cart. 1, lettre du 16 janvier 1783). Par ailleurs, au sujet de l’ex-monastère de S. Chiara, « si è imposto l’obbligo di adattare parte dell’antico loro monastero a comodo pubblico con dovere fabbricare delle case d’affitto » (lettre du 19 avril 1783, dans id.).
36 C’est par exemple le cas de la Congrégation de Loreto qui, en février 1780, renouvelle l’annonce de la mise en vente ou en livello de ses biens immobiliers pour ne pas avoir trouvé preneur au cours des années précédentes. L’annonce en avait pourtant été faite chaque année de 1773 à 1780 (acte du 20 août 1781, r° A. Calvi, ASM, Notarile, cart. 45003).
37 J.-P. Bardet, Rouen aux XVIIe-XVIIIe siècles : les mutations d’un espace social, Paris, 1983, chap. 3, 4 : « L’urbanisme occulte : habiter, entretenir, bâtir ».
38 M. Barbot, Per una storia economica della proprietà dissociata… cit.
39 En 1751, la Fabrique de S. Celso était propriétaire de 37 parcelles et le Luogo Pio di Loreto de 42 parcelles.
40 Estimation en date du 26 septembre 1775 par Antonio Pecchio Ghiringhelli, dans ASM, Notarile, cart. 44 996.
41 Les cedole sont des affiches annonçant la mise vente, en livello ou même en location de biens immobiliers. Ces avis sont apposés sur les places de la ville et sur les carrobbi (carrefours au niveau de l’enceinte antique qui constituaient des lieux de marché).
42 Ces 302 lires incluent une charge de 40 lires par an à payer au Duomo de Milan.
43 ASM, Fondo Camerali p. a., cart. 1, note de Kaunitz en 1785 : « Si tratta ora di vedere quale sia il metodo più vantaggioso e più cauto per il vacante. Io sono del costante parere, che quello d’alienare i fondi suddetti per contratti misti di livello e di compera è il più conveniente, perché si evita la difficoltà derivante dal bisogno di grandiosa somma, che sarebbero per una compera libera, ciò che ridurebbe a troppo piccolo numero gli aspiranti all’asta ».
44 O. Faron, La ville des destins croisés... cit., p. 138-139. L’auteur souligne l’existence d’une « consolidation emphytéotique » dans les années 1810-1811.
45 ASM, TAM, cart. 101 et AOM, Fondo Litta, cart. 261. Sur l’hétérogénéité du monde des locataires et des liens qu’ils peuvent entretenir avec le propriétaire : J.-F. Chauvard, Rendita, diritto e morale : proprietari e inquilini in età moderna, dans Quaderni Storici, 113, 2003, p. 305-323.
46 Sur la pratique de la sous-location : M. Barbot, Le architetture della vita quotidiana… cit., p. 160 et sq.
47 La valeur de la lire n’évolue que de manière limitée au cours des XVIIe-XVIIIe siècles, du moins jusqu’aux années 1770 (voir tab. p. IX et P. Malanima, L’economia italiana… cit.). Ceci permet d’obtenir le rapport approximatif d’un bien sans devoir réaliser les ajustements monétaires nécessaires. Comme référence au prix des loyers, dix kilos de grains valent d’1,4 à 2 lires de 1600 à 1770. Les prix agricoles connaissent ensuite une augmentation exceptionnelle pour atteindre 4 lires les dix kilos vers 1800.
48 Dans le cadastre, l’immeuble correspond au n° 305 de S. Stefano in Brolio (Porta Orientale) et est estimé 1905 scudi. La documentation sur les contrats de location de cet immeuble se trouve dans ASM, TAM, cart. 101.
49 L’estimation cadastrale des deux biens, qui n’ont a priori pas subi de grandes transformations, reflète une différence en sens contraire, en faveur des boutiques de S. Tecla (2 194 scudi). Celle-ci pourrait traduire la volonté d’imposer davantage les édifices à fonction commerciale.
50 Une telle mutation des usages n’est pas rare. On la retrouve dans le cas d’une casa da nobile appartenant aux Clerici qui était louée pour 1 554 lires au comte Messerati en 1660. Dans les années 1760, devenue propriété de la famille Guidoboni, elle a été transformée en immeuble de rapport (ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 414).
51 Outre le menuisier et le forgeron déjà mentionnés, certaines de ces pièces sont aussi louées à un ecclésiastique et à un « chevalier ».
52 ASM, TAM, cart. 101. Lettres en date du 13 et du 26 avril 1730.
53 Sur l’existence d’une population pauvre à Milan : V. Mazzuchelli, Il bene della società civile : riforme e povertà nella Milano della benefica sovrana, dans A. De Maddalena, E. Rotelli et G. Barbarisi (dir.), Economia, istituzioni e cultura... cit. t. 3, p. 161-239.
54 ASM, TAM, cart. 99. Mémoire en date du 6 août 1728. La confrérie de la Santa Croce de Porta Tosa souhaite réaliser une grille qui entourera la croix et la protégera d’éventuelles offenses. Elle demande donc une aide financière au prince Trivulzio ou au moins une diminution des loyers à titre de charité et s’engage, en remerciement, à prier pour lui lors des oraisons qui ont lieu chaque soir.
55 ASM, TAM, cart. 103.
56 Le manque à gagner pour les trois mois correspondant à la durée des travaux est estimé à 262 lires. Il faudra donc plusieurs années à Giuseppe Piatti pour commencer à voir les bénéfices des frais engagés.
57 Il s’agit de la parcelle n° 251, estimée 833 scudi dans le cadastre. La documentation sur la location de cet immeuble se trouve dans ASM, TAM, cart. 101 et 102.
58 ABIB, Fondi Stabili Milano, Via Moriggi, casa n° 2856/4.
59 Si l’on s’en tient à la période 1745-1756 : le nettoyage de la fosse a engendré une facture de 6 lires en 1748, puis un autre nettoyage 7 lires en 1751 ; les impôts sont aussi de l’ordre de 7 lires, tandis que 7 autres lires ont été dépensées en réparations.
60 ABIB, Fondi Stabili Milano, Via Moriggi, casa n° 2856/4. La date ne figure pas, mais on peut penser que la lettre a été rédigée entre 1767 et 1776.
61 Dans le cadastre, il s’agit de la parcelle n° 171 de S. Tecla nella Metropolitana (PR), accueillant une maison avec trois boutiques, estimée 2 194 scudi. Les actes et contrats concernant ce bien se trouvent dans ABIB, Fondi Stabili Milano, cart. « Bottenuto Capellari ».
62 La facture, datée de 1764, s’élèvait à 118 lires.
63 Le fonds Località Milanesi témoigne, de la part des Borromeo, d’une demande d’intervention pour l’immeuble de la contrada de’ Capellari en 1780 (cart. 97, fasc. 6). Il s’agit de réaliser de nouveaux balcons.
64 Acte de vente du 10 août 1801, r° Carlo Alciati. Notons le taux d’intérêt assez élevé (5 %) pour les acheteurs qui doivent verser le solde dans les six ans à venir.
65 En 1751, le comte Renato Borromeo possédait en effet cinq biens dans S. Tecla. La parcelle 171 que l’on vient d’évoquer était pourvue de la plus forte estimation. En 1787, il avait déjà donné en livello les parcelles n° 198 et 199 (555 et 1 111 scudi) à Giuseppe Campio (acte du 13 mars 1787, r° Giulio Fasoli).
66 En 1781, ils acquièrent le palais du marquis Molinari ainsi qu’une maison voisine (estimation cadastrale de 3 402 scudi).
67 ASM, Fondo Crivelli, possedimenti familiari, case Milano, cart. 14.
68 ASM, Fondo Clerici r.a., cart. 8, fasc. 5.
69 ASCM, Località Milanesi, cart. 282, fasc. 2.
70 ASCM, Località Milanesi, cart. 447, fasc. 10, en date du 27 août 1757.
71 ASM, Fondo Crivelli, poss. fam, cart 14. cf actes du 16 et 17 avril 1603, r° Ferrante Dossena. La propriété directe du bien appartient alors à l’abbaye de S. Antonio qui touche une redevance de 190 lires par an.
72 Les versements en nature, très répandus pour la location de biens ruraux, ne concernent que les hôtelleries et les jardins maraîchers en milieu urbain. En 1746, Giuseppe Ronchetti et Felice Jorio doivent ainsi remettre huit brente de vin (soit 604 litres), quatre charriots de fumier et douze stracchini (fromages). En 1766, les prestations en nature sont réduites à deux charriots de fumier et six stracchini. En 1780, il ne s’agit plus que de douze stracchini.
73 Sur cet immeuble : ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 415. L’hôtellerie provient de l’épouse d’Annibale Visconti, Marianna Lomazza Campana.
74 Dans le cadastre, les estimations sont de 1 855 scudi pour l’Osteria del Rebecchino et de 2 192 scudi pour l’Osteria delle Due Spade, pour un loyer respectif de 1 656 lires et 2 600 lires au début des années 1750.
75 AR, Fondo Amministrazione, cart. 3, fasc. 12. Vente des frères Giuseppe et Gio Antonio Zanatte au comte Rosales de l’Osteria della Cervia (Porta Orientale), acte en date du 5 octobre 1644.
76 AR, Eredita, cart. 1, 1627-1675. Acte du 4 janvier 1659, r° Gio Batta Crodara (mentionné dans l’inventaire de l’héritage de Matteo de Rosales).
77 AR, Fondo Amministrazione, cart. 3. fasc. 1 : Prospetti delle entrate annuali di Casa Rosales. En 1725, elle procure un loyer brut de 1 400 lires qui se réduit à 1 027 lires une fois les charges déduites.
78 Archivio Visconti Modrone, cart. I 283.
79 Sur l’acquisition de ce bien voir supra chap. 5.
80 Pour la documentation sur la location de l’ortaglia : ASM, Crivelli Vecchio, cart. 28.
81 ASM, Crivelli Araldica, cart. 48, fasc. 86. Lors d’une visite à Inverigo, Vittorio Piazza, procurateur du marquis Crivelli, avait constaté que le locataire n’effectuait pas la mise en eau des prés, pratique permettant une augmentation des rendements fourragers. Ce constat et la volonté d’encourager la productivité agricole l’avaient amené à proposer une mise aux enchères pour les futures locations.
82 ASM, Crivelli, Case Milano, cart. 4. Le loyer provenant de la « cavata dei generi » était estimé à 2 449 lires, le loyer pour les constructions (maison, pressoir, écuries, remises) à seulement 300 lires.
83 ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 418, « casa con ortaglia in Borghetto ». Le loyer, en 1754, était de 875 lires. Il passe à 940 lires (1768), puis 970 lires (1771), et enfin 1 280 lires (1797). L’augmentation est quasiment similaire pour la petite maison voisine, puisque le loyer s’élève de 70 lires (en 1738) à 100 lires (en 1787).
84 A.V. cart. 104, fasc. 1.
85 AR, Eredita ; cart. 1, 1627-1675, testament de Matteo, 1666.
86 L. Giacomini, Costruire una lauta dimora… cit. Elle citait notamment l’exemple du palais Medicis de la via Brera qui est loué à Pirro Visconti pour 2 100 lires par an avec la charge au locataire d’effectuer d’éventuels travaux de rénovation.
87 ASM, TAM, cart. 425.
88 ASM, TAM, cart. 96.
89 La documentation sur la location du palais de Monforte se trouve dans AOM, Fondo Litta, cart. 253, 260 et 261.
90 AOM, Fondo Litta, cart 261, consegna de 1686 réalisée à l’occasion de sa mise en location. Une nouvelle consegna est effectuée en 1753.
91 Acte du 23 août 1685, r° Carlo Francesco Daverio et prorogation du 25 avril 1687.
92 Acte du 9 août 1707, r° Pietro Carrara. Il s’agit des parcelles n° 108, 109, 110 de S. Babila estimées respectivement 1 372, 347 et 986 scudi. Le palais occupe la parcelle n° 111.
93 Le comte della Somaglia a en effet réalisé divers travaux entre 1714 et 1720. Pour cela, il a obtenu en 1722 de la part du comte Giulio Visconti Borromeo Arese, une remise de 2 599 lires sur les loyers. Entre 1720 et 1733, une nouvelle remise de 2 000 lires est effectuée. En 1734, un litige apparaît dans la mesure où les ingénieurs envoyés par le propriétaire ont constaté que diverses réparations courantes (tant pour le palais que pour les maisons) à charge du locataire n’ont pas été effectuées. La nature “courante” de ces interventions est alors contestée.
94 ASM, Fondo Crivelli, Case Milano, cart. 6. L’appartement loué se compose de la manière suivante : une écurie et deux remises dans la cour rustique, quatre pièces au rez-de-chaussée de la cour noble pour la cuisine et les domestiques, quatre caves pour le vin et le garde-manger, l’escalier et le salon d’entrée commun avec les propriétaires, six pièces et un cabinet vers le jardin, quatre pièces et un cabinet vers la cour rustique, les mezzani supérieurs aux dites pièces.
95 L. Mocarelli estimait le rapport de l’immobilier urbain de 5 à 8 % au début du XVIIIe siècle, de 2,5 à 3 % au milieu du siècle et de 4 à 4,5 % vers les années 1780-1790 (Una realtà produttiva… cit., p. 120).
96 Le gouvernement autrichien décide un recensement général de la population en 1768, puis, par le décret du 3 avril 1769, ordonne la transmission annuelle des données relatives aux naissances, morts et mariages de la part des curés. Des officiers publics collectent les informations et les font ensuite remonter à l’Office central du recensement qui peut dès lors fournir un état général de la population, chaque année, pour les villes principales et les provinces de l’État de Milan.
97 D’après les Sommari della Popolazione, Bibl. Ambr., ms O VIII 14 suss. Il manque les chiffres de l’année 1772 car elle correspond au changement de date pour le recensement (non plus l’année civile 1772 mais de Pâques 1772 à Pâques 1773). Les chiffres de la population milanaise incluent les Corpi Santi, qui représentent environ 15 000 habitants au début de la période.
98 E. Le Roy Ladurie, Histoire de la France urbaine : la ville des temps modernes… cit., p. 295.
99 A. Bellettini, L’evoluzione demografica dell’Italia nel quadro europeo del Settecento : analogie e particolarità, dans La popolazione italiana nel Settecento, Bologne, 1980, p. 13-70.
100 Les autorités sont du reste bien conscientes du caractère temporaire de cette immigration : « un tale aumento di popolazione non sarà stabile perchè trattandosi di gente, che qui dimora per causa del suo esercizio, subito che finite le fabbriche verrà a mancarle il lavoro, se ne partirà da Milano (...) ». ASM, Popolazione p.a., cart. 10, note du 26 juin 1776.
101 R. Canetta, Una fonte per lo studio della mobilità della popolazione nel Settecento : l’inchiesta del 1789 sull’emigrazione nella Lombardia austriaca, dans La popolazione italiana nel Settecento [Atti del Convegno su la ripresa demografica del Settecento, Bologne 26-28 avril 1979], Bologne 1980, p. 501-510.
102 ASM, Popolazione p.a., cart. 10.
103 ASM, Fondo Camerale p. a., cart. 183, lettre du 7 vendémiaire, année VII.
104 La présence de boutiques, mentionnée dans la description, n’apparaît pas dans le cadastre. Ceci est probablement lié au fait qu’il s’agit en réalité d’ateliers pour le travail du textile non concernés par l’activité de vente au détail. Les contrats de location les désignent comme « bottega da tessitore » et « bottega da filatore di seta ».
105 A.V., cart. 103, fasc. 6.
106 On note au passage l’attention portée à la symétrie des fenêtres, critère qui semble devenir important à cette période, avant même le contrôle imposé par Piermarini.
107 Dans le contrat de location de 1760, qui accorde le casino da nobile à Antonio Maria Negri, quatre pièces proches de la porte d’entrée (deux au rez-de-chaussée et deux à l’étage), alors habitées par l’abbé Bonfanti, sont exclues du bail car les Verri ont l’intention de les réunir à leur casa da nobile ainsi qu’une partie de la cour. Ils se réservent aussi un droit de passage avec la création d’une porte dont eux seuls possèderont la clé.
108 G. Bigatti, Trasformazioni urbane e condizione abitativa nella Milano austriaca, dans Storia in Lombardia, 1, 1984, p. 3-29, p. 16.
109 Dans le cadastre, la maison est recensée avec une seule boutique. En 1779, lorsqu’elle est louée à Giuseppe Dones, elle en comporte trois. Il y a en effet eu une demande d’ouverture de porte et de création de boutiques entre temps (ASCM, Località Milanesi, cart. 427/4).
110 A.V. cart. 106. Gabriele Verri était entré en possession de la demeure en tant qu’héritier du dottore Antonio Rusca. Il s’agit des maisons n° 76 et 77 de S. Babila, estimées 616 et 902 scudi qui sont réunies pour ne faire qu’un seul édifice (ASCM, Località Milanesi, cart. 272 : demande de construction sur le corso de Porta Orientale en 1764). L’une des maisons, soumise à un livello annuel de 185 lires envers l’abbaye de S. Dionigio, avait été achetée par Carlo Francesco Rusca en 1686 (ASM, Fondo Sormani Andreani Verri, cart. 400). Les Verri rachètent le livello en utilisant la Prammatica di ammortizzazione et, en 1780, ils peuvent finalement réunir la propriété utile et directe de l’édifice.
111 A.V. cart. 106.
112 Voir L. Fontaine, L’économie morale : pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe pré-industrielle, Paris, 2008.
113 En 1725, l’état des revenus familiaux des Rosales permet une confrontation précise des charges pesant sur les biens immobiliers urbains et sur les biens ruraux dans un contexte économique qui n’est pas encore concerné par la crise des années 1730-1740 (AR, Fondo amministrazione, cart. 3). Les 2 512 lires rapportées par les immeubles milanais sont réduites de 21 % à cause des charges diverses pesant sur les biens. Les 27 482 lires provenant de la location des propriétés agricoles subissent quant à elles une diminution de 25 % pour arriver au revenu net. Enfin les biens immobiliers situés dans d’autres bourgs de Lombardie (hôtellerie et boutique de ferronier à Lambrate, casa da nobile à Cassano…) rapportent un total de 2 522 lires qui subit une diminution de 19 %. Ces chiffres invitent donc à relativiser le poids des charges pesant sur les immeubles urbains.
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