Chapitre 2. La deuxième période du marché du crédit en Égypte romaine (69-170)
p. 93-144
Texte intégral
1Ce chapitre présente la situation du marché du crédit pendant une deuxième période, qui va de la création de la bibliothèque des acquêts en 69 à l’année 170, début d’une période d’instabilité monétaire qui dure jusqu’à 190 environ. C’est pour cette période que la documentation papyrologique est la plus nombreuse et la plus variée. Là encore la documentation financière ne fait pas exception : c’est la période pour laquelle mon corpus est le plus riche1. Je dispose d’environ trois fois plus de textes pour cette deuxième période : 218 références contre 72 pour la période précédente. Cette augmentation du nombre de textes va de pair avec une plus grande variété géographique dans l’origine des textes. Pendant la première période, seuls Oxyrhynchos, Tebtynis et Soknopaiou Nesos sont relativement bien documentés. Pendant la seconde période, Ptolemaïs Euergetis et Hermoupolis viennent s’ajouter à ces trois localités. Au lieu d’une métropole et de deux villages, ce sont maintenant trois métropoles et deux villages que l’on peut analyser. L’élément urbain, hellénisé de la province d’Égypte devient plus visible.
2À la fin de cette deuxième période, en 170, la population de l’Égypte atteint un pic. C’est à cette date que l’on peut estimer que la population d’Oxyrhynchos atteint 25000 habitants, celle d’Hermoupolis 42000 et celle de Ptolemaïs Euergetis, 46000 voire davantage. Hermoupolis et Ptolemaïs Euergetis ne sont donc pas seulement deux métropoles de plus. Elles sont probablement significativement plus peuplées qu’Oxyrhynchos, ce qui peut avoir des conséquences en matière financière.
3Les cinq localités ne sont pas également documentées. Le corpus se décompose comme suit : Tebtynis, 76 documents ; Oxyrhynchos, 69 documents ; Soknopaiou Nesos, 35 documents ; Hermoupolis, 23 documents et Ptolemaïs Euergetis, 15 documents. La relative faiblesse du nombre de documents venant de Ptolemaïs Euergetis est largement compensée par leur complémentarité avec les textes de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos.
4La documentation de cette deuxième période, pourtant très riche, n’offre rien de comparable avec les registres du grapheion de Tebtynis. On dispose bien pour cette période de fragments de registres d’offices notariaux et même de registres de contrats passés par l’intermédiaire de banques privées (eiromena trapezitica), mais la plupart du temps ils sont très courts et ils ne contiennent que quelques transactions. On est très loin des 836 contrats contenus dans P. Mich. II 123. On peut regretter cette absence, on aimerait notamment disposer de registres bancaires (eiromena trapezitica) plus développés, mais l’abondance de la documentation des textes isolés (trois fois plus de textes, venant de cinq localités) permet de la relativiser.
5Historiquement, cette deuxième période est marquée par une accélération du processus de municipalisation de la province d’Égypte. Elle correspond notamment à la période de plein fonctionnement du système des liturgies et des magistratures dans les métropoles à partir de Trajan2. Les rapports entre le pouvoir romain, les Alexandrins et les élites de la chôra ont considérablement évolué3.
6Les problèmes relatifs au marché du crédit se posent donc différemment. L’analyse de la première période a permis de mettre en lumière une période de transition entre le marché du crédit de l’époque ptolémaïque et celui de l’époque romaine. La deuxième période est davantage marquée par les dimensions économiques et sociales du processus de municipalisation : le processus de différenciation croissante de la société et du territoire égyptiens a désormais des conséquences bien visibles. Pendant cette période, les métropoles se mettent à jouer un rôle perceptible de catalyseur économique pour les villages du nome, et des élites pré-civiques dotées d’importants patrimoines économiques, principalement fonciers, sont clairement identifiables4.
7Puisqu’il s’agit de comparer les deux périodes, la démarche suivie dans le début de ce deuxième chapitre est pour l’essentiel identique à celle du début du chapitre 1. Il sera donc d’abord question de la fréquence du prêt, des montants prêtés, du taux d’intérêt et surtout des garanties, qui prennent durant cette période une importance considérable. La comparaison entre les différents résultats obtenus pour la première et la deuxième périodes montre plusieurs changements importants. Grâce aux transformations qui touchent les garanties, un nouveau mode de fonctionnement se met en place sur le marché du crédit entre 69 et 170, qui permet notamment une ouverture des marchés financiers locaux, qu’on peut mettre en évidence par l’étude de l’origine géographique des contractants, qui constitue une nouveauté par rapport au premier chapitre.
Des prêts toujours aussi fréquents et encore plus divers
8Avec 72 documents pour la première période, on a déjà pu conclure que le prêt d’argent était une activité extrêmement fréquente en Égypte romaine. On ne peut que réitérer ce constat avec les 218 textes de la deuxième période. Cette forte augmentation de la documentation financière ne doit cependant pas faire illusion. Elle ne correspond pas à une intensification de la fréquence des transactions financières. En effet, cet accroissement (une multiplication par 3) correspond à peu près à l’évolution de la documentation papyrologique dans son ensemble (de 2765 textes à 9883, HGV juin 2015). Si la documentation financière n’augmente pas en part relative, elle est en revanche de plus en plus variée, si bien que l’impression d’omniprésence du crédit augmente encore. Aucun milieu, aucune couche sociale, aucun lieu n’est absent, le crédit est partout. En voici quelques exemples.
9P. Kron. 13, une quittance notariée de remboursement de Tebtynis datant de 137 mentionne un prêt de 50 art. de blé consenti à Kronion et à son frère Harphaesis par un nommé Orsenouphis. Aucun intérêt n’est explicitement mentionné. Il s’agit d’un prêt en nature accordé dans le cadre du village à deux frères qui exploitent probablement en commun des terres et qui empruntent du blé pour les ensemencer. Cette situation où deux frères empruntent ensemble est typique des structures familiales égyptiennes. La quantité prêtée est importante puisqu’une artabe correspond à 40 litres environ. Le prix d’une artabe de blé à cette époque tourne autour de 8 dr.
10P. Amh. II 111 est une quittance notariée de remboursement datée de 132 rédigée à Herakleïa alors que le contrat notarié avait été rédigé à Soknopaiou Nesos, ce qui illustre la proximité entre les deux villages. Dans ce texte, un nommé Pakysis fils de Pakysis fils d’Harpagathes donne quittance pour une somme de 224 dr. à six débiteurs groupés qui portent les noms suivants :
Stotoetis fils d’Harpagathes fils de Satabous,
Harpagathes fils de Pakysis fils d’Harpagathes,
Deux frères nommés Tesenouphis et Stotoetis, tous les deux fils d’Horus fils de Panephrymmis,
Stotoetis fils de Stotoetis l’ancien, fils de Stotoetis,
Stotoetis le jeune, fils d’Onnophris fils de Stotoetis.
11Ce texte illustre particulièrement bien le particularisme onomastique de certains villages du Fayoum, même s’il faut admettre que les choses sont rarement aussi poussées qu’à Soknopaiou Nesos, où la documentation financière donne l’impression que les habitants portent en tout et pour tout une dizaine de noms différents avec une forte préférence pour Stotoetis. Les noms des individus sont de ce fait un bon indice de provenance locale. On comprend pourquoi dans ces conditions les notaires prenaient soin d’indiquer avec précision la filiation et les cicatrices diverses des contractants. Autrement, on imagine sans peine les malheurs d’un étranger venu à Soknopaiou Nesos pour le compte d’un tiers exiger le remboursement d’une créance sur un débiteur récalcitrant nommé Stotoetis.
12Dans SB X 10786 qui date de 133, on sort cette fois du cadre strictement local du marché villageois. Deux habitants de Tebtynis, Taonnophris et son fils Sarapion empruntent par contrat notarié 1300 dr., une somme importante, à Herodes, ancien gymnasiarque de Ptolemaïs Euergetis, un des notables du nome arsinoïte. L’argent du prêt est versé par la banque d’Apollonios et Sabinos, située à Ptolemaïs Euergetis. Le prêt est accordé pour un an et il est soumis à un intérêt de 12 % par an. Taonnophris garantit son emprunt par un hypallagma, une forme d’hypothèque, sur des terres, signalé à la bibliothèque des acquêts du nome. La somme prêtée est légèrement supérieure à la solde annuelle en argent d’un légionnaire romain (1200 dr.) et au prix moyen et médian d’un esclave, dont on sait qu’ils étaient des biens réservés à une élite privilégiée en Égypte romaine5. En effet, dans les prix d’esclaves rassemblés par J. Straus pour cette période6, le prix moyen est de 974 dr. et le prix médian est de 800 dr.
13Dans P. Coll. Youtie I 25 qui date de 147, le schéma est probablement le même. Une femme de Tebtynis, Soubaketis, emprunte 120 dr. à Sarapion par l’intermédiaire d’une banque de Ptolemaïs Euergetis. Le créancier agit en qualité de tuteur pour deux enfants. Il doit faire fructifier le capital laissé aux mineurs dont il a la charge. On voit ici que le prêt peut constituer un placement privilégié, un placement de père de famille. P. Oxy. LVIII 3921-39227, un compte annuel des recettes et des dépenses faites pour des mineurs par leur tuteur, en est un autre exemple. Il montre une fois encore que le prêt d’argent est une activité banale qui permet d’obtenir d’importants revenus. Le capital des mineurs est constitué pour l’année concernée d’un prêt de 2056 dr. qui a rapporté 240 dr. d’intérêt (20 dr. par mois), d’une maison dont le loyer a rapporté 120 dr. et d’une esclave tisserande dont les salaires ont rapporté 140 dr. Les recettes annuelles sont donc de 500 dr. et les intérêts du prêt représentent à eux seuls presque la moitié de celles-ci.
14Dans P. Oxy. XXVI 2774, daté de 129, un nommé Agathos Daimon, citoyen alexandrin, emprunte 7500 dr. pour une durée d’un an au taux d’intérêt de 6 % par an, à un nommé Pausanias fils de Sarapion, de la métropole d’Oxyrhynchos où la transaction a peut-être été conclue. Le contrat est conclu sous une forme chirographaire et aucune garantie n’est mentionnée. Il s’agit de la somme la plus importante du corpus étudié pour la deuxième période. Pausanias fils de Sarapion est probablement l’ancêtre d’une famille du IIIème siècle au statut social très élevé8. On voit que l’ancêtre possible de cette famille, qu’aucun titre ou qualité d’ancien magistrat ne vient distinguer du commun des mortels, a déjà atteint un niveau élevé de richesse au début du IIème siècle.
15Enfin, P. Oxy. III 530 retrouvé à Oxyrhynchos et datant du IIème siècle est un texte exceptionnel qui diffère de l’essentiel des documents du corpus. En effet, il ne s’agit ni d’un contrat, ni d’une quittance, ni même d’une pétition, mais d’une lettre privée. Elle est envoyée par un nommé Dionysios à sa mère Tetheus. Elle nous apprend que Dionysios a emprunté 100 dr. à « son ami » Sarapion. Il précise qu’il doit verser 8 dr. d’intérêt en supplément, mais comme la durée de l’emprunt n’est pas connue, il n’est pas possible de connaître le taux d’intérêt. La garantie de l’emprunt, des habits mis en gage, constitue la spécificité du prêt. Le gage n’apparaît quasiment jamais dans les contrats, il faut une lettre privée pour documenter des pratiques financières qui ne sont en règle générale pas mises par écrit, sur papyrus au moins9.
16Les créanciers et les débiteurs se trouvent donc dans les villes et dans les villages et ils appartiennent à tous les milieux sociaux. On ne peut pas en dire autant, par exemple, des propriétaires d’esclaves qui, dans la grande majorité des cas, appartiennent aux milieux hellénisés ou romanisés10.
Les prêts en argent l’emportent toujours aussi largement sur les prêts en nature
17Sur les 218 documents qui composent la documentation de la deuxième période, 180 sont des prêts en argent, 19 sont des prêts en nature, 9 sont des prêts mixtes (prêts en argent et en nature) et 10 sont trop fragmentaires pour qu’on puisse décider quel est l’objet du prêt. Par définition, les prêts mixtes sont à la fois des prêts en argent et en nature. Cependant pour calculer la proportion des prêts en argent, il paraît préférable de les considérer comme des prêts en nature car ils partagent avec eux une caractéristique essentielle que je vais préciser plus loin. En adoptant cette répartition, les prêts en argent représentent 87 % (180/208) du total. Pour la première période, on arrivait au chiffre légèrement supérieur de 94 %. Il ne faut pas surinterpréter cette légère différence. Le chiffre de la première période n’était calculé qu’à partir de 72 textes, celui de la deuxième période est plus solide. De toute façon, la différence est minime, les prêts en argent dominent toujours de très loin les transactions financières. Cependant, à la différence de la première période, on dispose cette fois d’un nombre un peu plus important de prêts en nature et de prêts mixtes qui permet d’obtenir quelques résultats.
Les prêts en nature : le « taux d’intérêt en nature » n’existe pas
18Dans les 19 prêts en nature, le bien prêté est presque toujours constitué de céréales (17 cas sur 19), blé le plus souvent, mais aussi orge. On trouve aussi des légumes (P. Flor. I 82) ou de l’huile (P. Tebt. II 395).
19La plupart des textes viennent des villages du Fayoum, trois viennent du nome hermopolite (et non d’Hermoupolis) et seulement deux d’Oxyrhynchos (dont un vient du nome et non de la métropole proprement dit). Ces prêts ont donc essentiellement lieu dans les villages des nomes et non pas dans les métropoles, ce qui n’est pas surprenant.
20Les clauses relatives à l’intérêt dans ces prêts en nature sont plus compliquées que celles des prêts en argent11 et il est quasiment impossible d’arriver à mettre en évidence des formulaires contractuels locaux en évidence. Onze textes seulement, dont quatre quittances de remboursement, sont pertinents pour cette question. Le résultat le plus important est peut-être qu’en toute rigueur, on ne peut pas parler d’intérêt pour les prêts en nature car ce que le débiteur rembourse au créancier en plus du capital ne dépend pas du temps écoulé entre le début et la fin du prêt, contrairement aux prêts d’argent. Il vaut mieux parler de « supplément », qui peut selon les cas être nul ou constituer en une fraction du capital, mais qui ne dépend pas du temps12, à l’exception peut-être des textes d’Hermoupolis. Il est donc erroné de prétendre comparer le taux d’intérêt sur les prêts en argent à celui sur les prêts en nature13.
21En matière de supplément sur le capital tout d’abord, les documents de Tebtynis14 ne contiennent aucune information, ni les contrats, ni les quittances de remboursements15. Faut-il en conclure que ces prêts sont gratuits ? Cela est possible mais les quantités en jeu sont importantes, 20 art. de blé et 20 art. d’orge dans P. Kron. 9, ou 50 art. de blé dans P. Kron. 13. On peut supposer que le supplément à payer est inclus dans le chiffre mentionné dans le contrat, mais cela reste indémontrable et le montant du supplément éventuel demeure inconnu.
22Pour Oxyrhynchos, deux textes sont pertinents. Dans le premier, P. Mert. I 14 qui date de 103, aucun supplément n’est mentionné, ni sur le capital, ni en cas de retard. Mais le texte contient une clause de pénalité absente jusqu’ici des prêts en nature du corpus. Il s’agit d’une peine se montant à la moitié de la somme due (μεθ’ ἡμιολίας). Dans le second, P. Oxy. LXXVII 5109, qui date de 162/163, soit la fin de cette deuxième période, on trouve en revanche un supplément (diaphoron) d’un tiers, indépendant de la durée du prêt (il ne faut donc pas le confondre avec un taux d’intérêt de 33 % par an). Cette pratique du supplément (diaphoron) explicite est courante dans les prêts en nature oxyrhynchites au IIIème siècle (voir p. 302-305).
23De leur côté, les documents d’Hermoupolis mentionnent quelque chose qui pourrait être interprété comme des intérêts sur le capital dans les prêts en nature. Dans F. Flor I 82, l. 2-3, et dans PSI V 470, l. 3, l’adjectif entokon, « portant intérêt », suit le mot chrêsin. Dans P. Sarap. 16, l. 3, la présence de l’intérêt est visible grâce à l’expression σὺν τόκῳ, « avec intérêt ». Néanmoins, ces formulations implicites laissent le montant complétement inconnu. Ces deux expressions hermopolitaines sont relativement surprenantes car ces deux termes sont utilisés pour les prêts en argent dans le nome arsinoïte. Il faut ici dire que les textes hermopolitains ont un statut un peu particulier dans l’étude des formulaires contractuels d’époque romaine. En effet, contrairement aux textes issus de nomes très peu documentés, l’Héliopolite par exemple, ils sont en général assez nombreux pour laisser entrevoir un formulaire original, mais ils ne le sont pas assez pour qu’on puisse véritablement établir leur spécificité formulaire, à la différence des textes de l’Arsinoïte ou de l’Oxyrhynchite. Cependant, pour autant qu’on puisse en juger, on peut dire qu’en matière de contrats de prêts, les textes hermopolitains entretiennent en général une proximité formulaire plus grande avec les textes arsinoïtes qu’avec les textes oxyrhynchites.
24Pour conclure sur les suppléments appliqués aux prêts en nature durant la deuxième période, on peut surtout mesurer notre ignorance et rappeler qu’on dispose de peu de documents pertinents pour pouvoir traiter le problème. Dans un article sur le crédit en nature en Égypte ptolémaïque, romaine et byzantine, D. Foraboschi et A. Gara parlent de deux pôles dominants en matière d’intérêt dans les prêts en nature, l’un autour de 0 %, l’autre autour de 50%16, et leurs conclusions sont parfois reprises dans des éditions de papyrus. Au-delà du fait déjà signalé qu’il paraît préférable de parler de supplément plutôt que d’intérêt, leurs résultats ne sont pas recevables car un triple problème méthodologique vicie leurs conclusions. Tout d’abord, les deux auteurs ne font pas la distinction entre l’époque ptolémaïque et l’époque romaine et concluent donc a priori que la situation est la même aux deux époques. On sait de plus que le crédit en nature tient une place très différente aux deux époques, comme les deux auteurs l’ont eux-mêmes montré de manière convaincante. Ensuite, ils ne distinguent pas entre les suppléments sur le capital et les suppléments moratoires, alors que ces deux types de supplément ne sont pas présents dans tous les documents. Certains ne mentionnent rien, d’autres mentionnent des suppléments sur le capital mais pas de suppléments de retard, ou inversement. Enfin, ils ne tiennent aucun compte de l’origine locale des textes. En tenant compte de ces trois aspects, on arrive à des résultats sensiblement différents. Dans le Fayoum, aucun supplément n’est mentionné, mais il reste possible, même si c’est indémontrable, qu’il soit inclus dans la quantité due. À Oxyrhynchos, un contrat de la fin de la période mentionne un diaphoron, pratique ensuite courante au IIIème s. À Hermoupolis enfin, il existe peut-être un intérêt sur le capital mais on ignore son montant. Enfin, il n’est jamais question de suppléments moratoires entre 69 et 170 dans les prêts en nature de mon corpus.
Les prêts mixtes
25Dans les prêts mixtes, on prête à la fois de l’argent et une quantité de biens en nature. Là encore, il s’agit la plupart du temps de céréales (blé ou orge). En matière d’intérêt sur le capital, les prêts mixtes sont plus riches que les prêts en nature, mais le montant précis reste inconnu et il est probable que l’intérêt sur le capital ne porte que sur la somme d’argent. À Tebtynis, P. Fouad 49 contient l’adjectif entokon mais deux autres contrats17 ne contiennent aucune information. Là encore, on peut penser que les prêts sont gratuits, mais on peut aussi penser sans pouvoir le démontrer davantage, que l’intérêt est inclus dans la somme prêtée. On peut dire la même chose de CPR VI 3 (Soknopaiou Nesos, 159) qui ne contient aucune information. P. Lond. II 308 (p. 218) et BGU I 290, tous deux rédigés à Herakleïa pour des habitants de Soknopaiou Nesos, contiennent l’adjectif entokon, « portant intérêt », de même que P. Flor. I 72 d’Hermoupolis. Il existe donc un intérêt sur le capital dans ces prêts mixtes mais on n’en connaît pas le montant. L’adjectif entokon n’est jamais utilisé à Oxyrhynchos d’où proviennent les deux prêts mixtes suivants. Dans Princ. II 32, on trouve la clause typiquement oxyrhynchite αἷς οὐδὲν τῶι καθόλου προσῆκται, qu’il ne faut probablement pas interpréter comme une absence d’intérêt, mais plutôt comme un taux de 12 % s’appliquant uniquement à la somme d’argent18, tandis que dans P. Fouad I 48, on ne trouve mention d’aucun intérêt sur le capital alors qu’il est question d’un taux d’intérêt de retard de 12 % sur la somme en argent (BL V, 32).
26On en sait donc un peu plus sur l’intérêt dans les prêts mixtes que sur le supplément dans les prêts en nature, mais la diversité des situations s’impose comme l’aspect le plus frappant. Un intérêt sur le capital est plus fréquemment mentionné mais il ne porte probablement pas sur la quantité en nature et son montant précis n’est jamais explicité. Les intérêts de retard ne sont attestés que dans un seul cas, à Oxyrhynchos.
27Les prêts mixtes et les prêts en nature ont une caractéristique commune qui incite à les traiter ensemble. Alors que le mois d’échéance des prêts d’argent peut se situer tout au long de l’année, le mois d’échéance des prêts mixtes et des prêts en nature est presque toujours le mois de la moisson (Payni ou Epeiph). Sur 19 cas pertinents, 16 partagent cette spécificité, les trois autres devant être remboursés le dernier mois de l’année (Mesore).
28En revanche, les quantités de céréales prêtées diffèrent fortement. La médiane pour les prêts mixtes est de 2 art.19 tandis que la médiane pour les prêts en nature est de 20 art. Les quantités empruntées n’ont donc probablement pas la même fonction dans les prêts en nature et dans les prêts mixtes. Certains prêts mixtes pourraient peut-être être interprétés comme des prêts de soudure, ainsi P. Mert. III 110 (40 dr. et 2 art. d’orge) ou P. Flor. I 72 (16 dr. et 1 1/3 art. d’orge). C’est en revanche impossible à concevoir pour les prêts en nature où les quantités sont vraiment importantes (P. Kron. 13 : 50 art. ; P. Sarap. 16 : 20 art.) et dont la valeur monétaire se chiffre en centaine de drachmes. Il s’agit sûrement dans ce cas d’emprunts pour ensemencer plusieurs hectares. Il ne peut en tout cas être question de prêts de soudure contractés par des paysans au bord de la disette car les quantités sont trop importantes. On retrouve donc le constat fait au chapitre 1 à partir des deux cas dont on dispose pour la période précédant 69 : les prêts en nature sont en valeur du même ordre de grandeur que les prêts d’argent, il n’y a donc pas lieu d’opposer un marché du crédit en nature et un marché du crédit en argent, et ils sont hors de portée des paysans pauvres, ils sont le fait de paysans qui cultivent au moins plusieurs hectares.
Tableau 2.1 – Les 19 prêts en nature entre 69 et 170.
Texte | Date | Mois d’échéance | Quantité prêtée |
P. Amh. II 110 | 75 | Payni | 35 art. de blé |
P. Fam. Tebt. 4 | 94 | Payni | 9 2/3 art. de blé |
P. Fam. Tebt. 29 | 133 | Payni | 26 art. de blé |
P. Flor. I 82 | 82-83 | Epeiph | 18,5 art. de lachanon |
P. Fouad 41 | 134 | Payni | 6 2/3 art. de blé |
P. Kron. 9 | 111 | Payni | 20 art. de blé, 20 art d’orge |
P. Kron. 12 | 135 | Mesore | 20 art. de blé |
P. Kron. 13 | 137 | X | 50 art. de blé |
P. Kron. 15 | 136 | X | x art. de blé |
P. Lips. II 143 | 169/176 ? | X | 17 art. de blé |
P. Merton I 14 | 103 | Payni | 170 art. de blé |
P. Oxy. XII 1472 | 136 | X | 24,5 art. de blé et 9 ch. d’orge |
P. Oxy. XII 1472 | 136 | X | 24 art. de blé et 3 ch. de blé |
P. Oxy. LXXVII 5109 | 162/163 | Payni | 9 art. d’orge |
P. Sarap. 16 | 105 ou 106 | Epeiph | 20 art. de blé |
P. Sarap. 18 | 117 | X | 12 art. de blé |
P. Tebt. II 395 | 150 | Mesore | 1 metrêtês d’huile d’olive |
PSI V 470 | 102-103 | Epeiph | 8 art. de blé |
SB XIV 12023 | 2s | Payni | 4 art. de blé |
Tableau 2.2 – Les 9 prêts mixtes entre 69 et 170.
Texte | Date | Mois d’échéance | Quantité prêtée |
BGU I 290 | 150 | X | 84 dr. et 1 1/2 1/5 art. de blé |
CPR VI 3 | 159 | Payni | 200 dr. et 4 art. de blé |
P. Flor. I 72 | 128-129 | X | 16 dr. et 1 1/3 d’art. d’orge |
P. Fouad 49 | 100 | Epeiph | 248 dr. et x art. de d’orge |
P. Fouad I 48 | 90 | Mesore | 200 dr. et 110 art. de blé |
P. Lond. II 308 (p. 218) | 145 | Payni | 200 dr. et 15 art. de blé |
P. Mert. III 110 | 154 | Payni | 40 dr. et 2 art. d’orge |
P. Princ. II 32 | 99/100 | Payni | 100 dr. et 2 art. de blé |
P. Tebt. II 388 | 98 | Payni | 8 dr., 11/6 art. blé, 1/3 art. lentilles |
Un triplement du montant médian des sommes empruntées dans les prêts en argent par rapport à la période précédente
29Pendant cette deuxième période, je dispose de 178 prêts d’argent. Dans 155 d’entre eux, la somme est conservée. Je dispose donc de trois fois plus de références que pour la première période, ce qui simplifie considérablement le calcul d’une moyenne et d’une médiane significatives. Un très gros prêt déstabilise moins la représentation de la réalité de l’échantillon offerte par la moyenne.
Tableau 2.3 – Les sommes prêtées sur la totalité du corpus entre 30 avant J.-C. et 69 et entre 69 et 170.
Avant 69 | Entre 69 et 170 | |
Nombre de cas | 55 cas (de 24 dr. à 13200 dr.) | 155 cas (de 12 dr. à 7500 dr.) |
Moyenne | 237 dr. | 750 dr. |
Médiane | 106 dr. | 360 dr. |
Pourcentage de prêts ≤ 50 dr. | 5/55 = 9 % | 7/155 = 5 % |
Pourcentage de prêts ≥ 100 dr. | 38/55 = 69 % | 139/155 = 90 % |
Pourcentage de prêts ≥ 200 dr. | 21/55 = 38 % | 106/155 = 68 % |
Pourcentage de prêts ≥ 400 dr. | 9/55 = 16 % | 73/155 = 47 % |
Pourcentage de prêts ≥ 800 dr. | 2/55 = 4 % | 41/155 = 26 % |
30Un premier constat s’impose. Il y a une très forte augmentation des sommes prêtées par rapport à la première période. Alors que le niveau des prix reste le même, la moyenne comme la médiane sont multipliées par trois, ce qui est considérable. Il s’agit d’un événement majeur pour le marché du crédit. Seul un changement de grande ampleur peut expliquer une telle augmentation.
31Afin de mieux évaluer cette augmentation, quatre sous-catégories ont été définies : les prêts supérieurs ou égaux à 100 dr., les prêts supérieurs ou égaux à 200 dr., les prêts supérieurs ou égaux à 400 dr. et les prêts supérieurs ou égaux à 800 dr. La différence entre les deux périodes devient de plus en plus visible au fur et à mesure qu’on s’élève dans les catégories. Pour la première tranche (supérieurs ou égaux à 100 dr.), on a un rapport de 1 à 1,4 entre les deux périodes ; pour la seconde, de 1 à 1,8 ; pour la troisième, de 1 à 2,9 et pour la quatrième et dernière, de 1 à 6,5. Les prêts importants, supérieurs à 400 dr., n’étaient pas inconnus avant 69 mais ils étaient relativement rares. À partir de 69 et jusqu’en 170, ils constituent l’ordinaire du crédit en Égypte romaine. Les prêts très importants, supérieurs à 800 dr., étaient très rares avant 69, alors qu’ils représentent un quart du crédit entre 69 et 170. La généralisation de ces prêts importants et très importants constitue la vraie nouveauté sur le marché du crédit pendant la deuxième période.
32Comme le montre le tableau suivant, les montants prêtés ont augmenté dans les trois localités où l’on peut faire la comparaison entre la première et la deuxième période : Oxyrhynchos, Tebtynis et Soknopaiou Nesos. Il s’agit donc d’une tendance générale. Cependant, si les sommes prêtées augmentent partout, elles n’augmentent pas partout au même rythme ni dans les mêmes proportions. Les transactions d’Oxyrhynchos sont nettement plus importantes que celles de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos. On retrouve ce résultat si on calcule la proportion de prêts supérieurs ou égaux à 400 dr. : à Oxyrhynchos, elle est de 66 % (31/47) tandis qu’à Tebtynis-Soknopaiou Nesos, elle n’est que de 37 % (30/81).
Tableau 2.4 – Sommes prêtées à Oxyrhynchos, Tebtynis et Soknopaiou Nesos (en dr.).
Avant 69 | Entre 69 et 170 | |
Chiffres généraux | Moy : 237 ; Méd : 107 (n=51) | Moy : 750 ; Méd : 360 (n = 156) |
Oxyrhynchos | Moy : 165 ; Méd : 160 (n=22) | Moy : 1027 ; Méd : 450 (n=47) |
Tebtynis | Moy : 243 ; Méd : 116 (n=12) | Moy : 603 ; Méd : 224 (n=53) |
Soknopaiou Nesos | Moy : 136 ; Méd : 84 (n=11) | Moy : 530 ; Méd : 358 (n=28) |
33Les différences entre la métropole et les deux villages se sont donc creusées avec le mouvement d’augmentation globale des sommes. Si on agrège les données des deux villages du Fayoum, on obtient une moyenne de 577 dr. et une médiane de 240 dr. (81 cas), soit à peu près la moitié des chiffres obtenus à partir des textes d’Oxyrhynchos.
34Une petite partie de cette différence est due à un décalage chronologique. Dans les deux villages du Fayoum, l’augmentation des sommes prêtées est plus tardive qu’à Oxyrhynchos. Si l’on restreint l’intervalle chronologique à la période 69-100, on obtient pour les deux villages une moyenne de 139 dr. et une médiane de 100 dr. (10 cas), soit des chiffres similaires à ceux de la première période. Ce n’est qu’à partir de 100 qu’un mouvement général d’augmentation des sommes se produit dans les deux villages. Entre 100 et 169, à Soknopaiou Nesos et à Tebtynis, la moyenne des sommes prêtées est de 639 dr. et la médiane est de 350 dr. (71 cas). À Oxyrhynchos, le mouvement d’augmentation des sommes se produit dès 69 : pendant la période 69-100, la moyenne est de 1220 dr. et la médiane est de 465 dr. (18 cas)20. Oxyrhynchos est donc pionnière dans le changement.
35Même si l’on tient compte de ce décalage chronologique, les sommes prêtées à Oxyrhynchos demeurent nettement supérieures à celles prêtées dans les deux villages du Fayoum. Il est particulièrement significatif que les prêts importants, supérieurs ou égaux à 400 dr., ceux qui constituent la nouveauté de la deuxième période, représentent les deux tiers des transactions à Oxyrhynchos et seulement un peu plus d’un tiers (37 %) dans les deux villages du Fayoum. Avant 69, il était difficile de voir une différence nette entre les sommes prêtées dans les différentes localités, notamment entre Tebtynis et Oxyrhynchos. Cette difficulté pouvait être due à la faiblesse numérique des sources qui rendait fragile le calcul des moyennes et des médianes des prêts. On peut imaginer qu’avec davantage de sources, les résultats auraient été plus différenciés. Mais il est également possible, et cette hypothèse est bien sûr plus séduisante que la première, que les différences économiques et sociales entre les villages et les villes se soient accrues avec le mouvement de municipalisation.
36On peut résumer ces résultats sur les sommes prêtées en trois points :
pendant la deuxième période se produit une augmentation générale très importante, un triplement, tant de la moyenne que de la médiane, des sommes prêtées. Ce changement majeur pour le marché du crédit se produit, plus ou moins fortement, dans toutes les localités où l’on peut comparer la première et la deuxième période.
c’est à Oxyrhynchos qu’il est le plus fort et, durant cette période, les sommes prêtées à Oxyrhynchos sont nettement supérieures à celles prêtées à Tebtynis et à Soknopaiou Nesos.
dans les deux villages du Fayoum, l’augmentation ne débute véritablement qu’en 100 alors qu’elle se produit dès 69 à Oxyrhynchos.
37Plus que jamais, les prêts d’argent documentés par des papyrus durant cette deuxième période sont donc le fait de gens aisés. Entre 69 et 170, les prêts inférieurs à 50 dr. ne représentent que 5 % des transactions.
38Le grand nombre de documents disponibles pour cette seconde période permet également de montrer que les sommes prêtées varient suivant le mois d’échéance. Dans le schéma d’interprétation primitiviste qui veut que les prêts soient des prêts de consommation, portant sur des sommes faibles, le mois d’échéance joue un rôle important puisque les paysans qui rencontrent des difficultés sont supposés emprunter quelques mois avant la moisson, le mois essentiel dans une économie principalement rurale, et rembourser une fois qu’ils ont touché le produit de leurs récoltes.
39Or si le mois principal de la moisson, Payni, est bien un mois privilégié pour l’échéance des prêts d’argent dans mon corpus (16 % des prêts), il n’est pas le seul, et le mois de Mesore, le dernier de l’année, est également surreprésenté (également 16 % des prêts)21. Mais il est vrai que les prêts remboursables en Payni entre 69 et 170 présentent une différence marquée avec les prêts remboursables au mois de Mesore et, plus généralement, avec le montant médian annuel durant cette période : ils portent sur des sommes nettement plus faibles (126 dr.)22. Les prêts remboursables en Mesore sont quant à eux légèrement supérieurs (375 dr.) à la médiane générale observée durant cette période (360 dr.). Les prêts remboursables en Payni semblent donc particuliers par rapport aux autres prêts accordés dans l’année.
40Les ostraca étudiés par T. Wilfong dans son chapitre sur Koloje, la prêteuse sur gages de Jeme23, même s’ils sont postérieurs de plusieurs siècles à la documentation étudiée ici, peuvent également fournir un point de comparaison intéressant. L’archive de Koloje est exceptionnelle pour l’histoire du monde financier antique car elle documente de manière détaillée le prêt sur gage qui n’apparaît d’habitude que très rarement dans les sources écrites. La nature de la garantie est la grande différence entre le prêt sur gage et les autres prêts. La plupart du temps dans les prêts sur gage, quand on a la chance de les apercevoir, le gage consiste en habits ou en bijoux. C’est le cas dans cette archive, et les sommes maniées par Koloje, documentées par des ostraca, sont inférieures à celles manipulées par d’autres femmes dans d’autres affaires documentées sur papyrus24. Les prêts octroyés par Koloje présentent également une autre particularité : pour la très grande majorité d’entre eux, l’échéance est fixée au mois de Paone (Payni), qu’il s’agisse de prêts en argent ou en nature25, ce qui s’accorde bien avec le reste des caractéristiques des prêts accordés par Koloje : des prêts au formulaire simple, rédigés sur ostraca, portant sur des sommes relativement faibles et qu’on rembourse au moment de la moisson quand on dispose enfin de liquidités après la vente d’une partie de la récolte.
41Même s’ils demeurent supérieurs aux sommes prêtées dans l’archive de Koloje, il n’est pas étonnant que les prêts dont le remboursement est prévu au mois de Payni dans mon corpus portent sur des sommes plus faibles que les autres prêts. Dans ces contrats, les débiteurs sont probablement plus soumis au rythme annuel de l’économie rurale. Les débiteurs qui empruntent de plus grosses sommes ont probablement plus de liquidités et de marge de manœuvre dans la gestion de leurs affaires. Quoi qu’il en soit, ces prêts remboursables en Payni ne représentent que 16 % des prêts de mon corpus. Cela me paraît un argument supplémentaire pour dire qu’en règle générale, les prêts contractés dans ces papyrus ne sont pas le fait de débiteurs en difficulté financière, mais de débiteurs ayant besoin de liquidités dans une économie où les patrimoines sont très peu liquides.
42La période 69-170 offre en outre l’occasion de tester l’hypothèse énoncée dans l’introduction selon laquelle les prêts les plus petits nous échappent parce qu’ils n’étaient pas mis par écrit sur papyrus, mais qu’ils faisaient peut-être l’objet d’une mise par écrit sur ostraca, ostraca qui n’auraient pas reçu l’attention des fouilleurs de la fin du XIXème et du début du XXème siècle et qui ne nous sont donc pas parvenus. En effet, on dispose pour cette période d’une série d’ostraca financiers grâce aux fouilles menées au Mons Claudianus dans le désert oriental par H. Cuvigny et son équipe entre 1987 et 1993. Dans les O. Claud. III, H. Cuvigny a ainsi publié plusieurs prêts, en argent26 et en nature27, conservés sur ostraca, qui datent pour la plupart d’entre eux du principat d’Antonin. La médiane des prêts d’argent dans les O. Claud. III est de 5 dr., celle des prêts en nature de 0,55 art. de blé, à comparer aux sommes prêtées dans le corpus.
Tableau 2.5 – Comparaison des sommes prêtées dans le corpus et dans les O. Claud. III.
Prêts dans le corpus | O. Claud. III | |
En argent (dr.) | Moy. : 750 ; Méd : 360 (n=155) | Moy. : 8,7 ; Méd. : 5 (n=7) |
En nature (art.) | Moy. : 29,7 ; Méd. : 20 (n=16) | Moy : 0,6 ; Méd. : 0, 55 (n=4) |
43Ces prêts sur ostraca du Mons Claudianus, rédigés sous forme chirographaire, portent donc sur des sommes beaucoup plus faibles que les prêts de la même période rédigés sur papyrus dans la vallée du Nil et dans le Fayoum. Certains sont particulièrement frappants : dans O. Claud. III 541, le débiteur emprunte 4 drachmes qu’il s’engage à rembourser en deux versements mensuels successifs, de 2 drachmes chacun. On est donc très loin des transactions documentées dans le corpus et pourtant cette transaction a fait l’objet d’un contrat écrit, mais d’un contrat écrit sur ostracon et non pas sur papyrus.
44La population qui vit dans la carrière du Mons Claudianus située dans le désert oriental n’a bien sûr en moyenne pas grand’chose à voir avec celle des deux villages du Fayoum et encore moins avec celle des trois métropoles du corpus. Mais le Mons Claudianus n’a pas le monopole des gens modestes en Égypte, il en existait forcément, beaucoup, dans les cinq localités du corpus, et ces gens empruntaient certainement aussi, mais les prêts de ces individus n’apparaissent pas dans les contrats écrits sur papyrus, alors qu’ils apparaîtraient peut-être dans les ostraca si ceux-ci avaient retenu l’attention des fouilleurs d’avant la première guerre mondiale. Ce n’est probablement pas un hasard si les sommes prêtées au Mons Claudianus dans les contrats rédigés sur ostraca se situent juste en dessous ou à la frontière des sommes minimales prêtées dans les contrats rédigés sur papyrus. Grâce aux O. Claud. III, on peut mesurer tout ce qu’on a probablement perdu dans la vallée du Nil et dans le Fayoum28.
Des « marchés sans prix » : la fixité du taux d’intérêt29
45Le taux d’intérêt maximal légal romain est probablement mis en place sous Tibère après une période de transition entre le taux d’intérêt ptolémaïque de 24 % et le taux d’intérêt romain de 12 %. Qu’en est-il durant la seconde période ?
46Dès 1899, dans ce qui était seulement le deuxième volume publié des P. Oxy., B. Grenfell et A. Hunt parlaient à propos de P. Oxy. II 243 de « the usual interest of 1 per cent. a month », soit 12 % par an, tant celui-ci paraissait omniprésent dans les papyrus financiers d’Égypte romaine. Entre 69 et 170 dans mon corpus, on compte 45 attestations explicites du taux de 12 % pour quatre exceptions30. À ces attestations explicites, il faut ajouter 48 mentions implicites du taux d’intérêt. Dans les contrats, on lit que le prêt est entokon, à intérêt. Dans les quittances de remboursements, on lit que le capital est remboursé ainsi que les intérêts, καὶ τοὺς τόκους, sans que le montant de l’intérêt soit précisé. Comme le taux de 12 % est omniprésent dans les attestations explicites, on en conclut en général que par entokon ou καὶ τοὺς τόκους, il faut comprendre un taux d’intérêt de 12%31 et je ne vois aucune raison de remettre en cause cette assimilation. L’absence d’explicitation du taux d’intérêt implique qu’il est évident et cette évidence se comprend très bien lorsqu’on connaît la permanence du taux de 12 % parmi les attestations explicites32.
47Le taux d’intérêt de 12 % représente donc 95 % des références explicites et implicites et dans la mesure où les quatre exceptions sont isolées et couvrent une période de 41 ans, allant de 129 à 170, il est difficile de les interpréter comme des signes d’une brusque baisse du taux d’intérêt pendant une courte période ou comme des indications de possibles fluctuations conjoncturelles du niveau de l’intérêt à un moment donné. On doit donc les considérer comme d’inévitables exceptions à la règle historique du taux d’intérêt de 12 %. En anticipant sur la troisième période, de 170 à 275, on peut ajouter que le taux d’intérêt de 12 % continue à être la norme dans les prêts d’argent jusqu’à la brutale poussée inflationniste qui démarre en 275 et qui se poursuit pendant une bonne partie du IVème siècle. Pendant près de deux siècles et demi donc, de 30 environ à 275, le taux d’intérêt ne connaît pas de fluctuations conjoncturelles en Égypte romaine, ce qui constitue un résultat important pour l’histoire économique romaine en général puisque l’Égypte romaine est une des rares régions de l’Empire pour laquelle on dispose d’une documentation financière relativement suivie33. Cette rigidité de l’intérêt à très long terme, étonnante par rapport à la situation économique contemporaine, n’est pas sans parallèle historique, loin s’en faut. Le marché du crédit égyptien partage cette caractéristique avec d’autres marchés du crédit, ainsi à Paris du XVIème au XVIIIème siècle, ce qui a conduit P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal à parler à leur propos de « marchés sans prix »34.
48En effet, le taux d’intérêt est en général considéré comme le prix qui équilibre l’offre et de la demande sur le marché du crédit. En Égypte romaine, ce n’est pas le cas et cette absence de variation de l’intérêt pendant près de deux siècles et demi est une caractéristique essentielle du marché du crédit en Égypte romaine. Le taux d’intérêt, le « prix de l’argent », joue un rôle mineur dans l’organisation et le fonctionnement du marché du crédit puisque ce n’est pas lui qui égalise l’offre et la demande de crédit et qu’il ne régule que marginalement le volume des transactions. Le prix de l’argent étant fixé, c’est l’information dont disposent les créanciers et les débiteurs potentiels qui détermine qu’une transaction ait lieu ou non, notamment l’information que les créanciers peuvent avoir sur la solvabilité des débiteurs. Plus que les prix, ce sont donc les garanties qui sont le déterminant essentiel de l’évolution historique du fonctionnement du marché du crédit en Égypte romaine.
Les garanties
49Le changement que connaissent les garanties entre la première et la deuxième période est le plus important de toute l’histoire du marché du crédit en Égypte romaine et c’est ce phénomène qui m’a amené à retenir la date de 69 comme césure chronologique. Sans un système de garanties efficace, les prêts importants, ou les prêts consentis en dehors du cercle des relations du créancier, sont très rares. Le marché du crédit est alors en fait une juxtaposition de petits marchés locaux étanches. Après 69, le marché du crédit reste une juxtaposition de marchés locaux, mais ceux-ci ne sont plus aussi étanches que pendant la période précédente.
Une très forte augmentation du nombre de prêts garantis
50Afin de pouvoir prendre la mesure du changement, il est nécessaire de présenter les résultats chiffrés obtenus à partir du corpus en matière de garanties. Rappelons qu’avant 69, 55 % des prêts n’étaient pas garantis et ne comportaient qu’une clause-praxis. Parmi les prêts qui étaient garantis, la majeure partie était constituée d’ônai en pistei, un héritage égyptien attesté uniquement à Tebtynis et à Soknopaiou Nesos et qui ne permettait pas d’emprunter des sommes supérieures à celles que l’on trouve dans les prêts non garantis. À Oxyrhynchos, sur les 15 prêts pour lesquels on a des informations, aucun n’était garanti. Sur tout le corpus d’avant 69, seules deux transactions étaient garanties par mesiteia, mais elles portaient sur des sommes deux ou trois fois supérieures à la moyenne générale des prêts. Ces prêts restaient encore très marginaux avant 69.
51Entre 69 et 170, les textes sont trois fois plus nombreux. Sur 218 références, on compte 46 prêts garantis, 42 prêts ne comportant qu’une clause-praxis, 2 ônai en pistei35, et une mesiteia36. On dispose donc au total de 91 références pertinentes. Les 46 prêts sont garantis soit par hypothêkê, soit par hypallagma, deux types de garanties qui n’étaient pas attestés auparavant dans mon corpus37. Elles sont différentes de l’ônê en pistei car elles n’impliquent pas le transfert de la propriété au créancier. Les ônai en pistei, quant à elles, disparaissent rapidement.
52Les 46 prêts garantis (hors ônai en pistei) sont bien évidemment la grande nouveauté. Absents lors de la période précédente, les prêts garantis par hypothêkê et par hypallagma représentent la moitié des prêts entre 69 et 170. Ce changement considérable ne se déroule pas partout au même rythme, ni avec la même ampleur.
53C’est à Oxyrhynchos qu’il est le plus spectaculaire. En effet, dans cette métropole où l’ônê en pistei et la mesiteia n’étaient pas attestées, les prêts non garantis dominaient intégralement avant 69. Puis, entre 69 et 170, on relève 24 prêts garantis et 11 prêts non garantis (ne comportant qu’une clause-praxis). Les prêts garantis représentent donc deux tiers des prêts pour lesquels on dispose d’une information sur l’existence d’une garantie (24/35). La situation a donc totalement changé par rapport à la période précédente et le changement est visible dès 69-100, soit le début de la deuxième période. À Hermoupolis, les choses ne sont pas aussi évidentes parce que les textes disponibles sont beaucoup moins nombreux et parce que les quatre textes antérieurs à 69 ne permettent pas de longues comparaisons. Cependant, sur 7 prêts provenant de la ville d’Hermoupolis entre 69 et 170 (les documents du nome hermopolite exclus), 5 sont garantis et, comme à Oxyrhynchos, le changement est perceptible dès la période 69-100. Les deux métropoles, Hermoupolis et Oxyrhynchos, connaissent donc une évolution similaire : pendant la deuxième période, les prêts garantis sont largement majoritaires (29/42) si l’on additionne les chiffres des deux métropoles, soit un peu plus de 2/3) et ils apparaissent dès la période 69-100.
54Dans les deux villages du Fayoum, le phénomène existe aussi de manière indéniable mais il est moins prononcé et il commence plus tardivement. On compte 28 prêts non garantis (ne comportant qu’une clause-praxis) et seulement 11 prêts garantis entre 69 et 170. Contrairement à Oxyrhynchos et à Hermoupolis, les prêts garantis ne sont pas attestés pendant la période 69-100 mais uniquement après 100. Restreindre la période d’analyse à la période 100-170 plutôt qu’à la période 69-170 ne change pas significativement les proportions : on compte 22 prêts non garantis et 11 prêts garantis, soit deux tiers de prêts non garantis. On aboutit donc à des chiffres quasi symétriques de ceux obtenus pour Oxyrhynchos et Hermoupolis.
Les différences entre prêts garantis et prêts non garantis : des prêts plus élevés, plus longs et plus souvent contractés par des femmes
55Afin de mesurer tout ce que le nouveau système de garanties apporte au marché du crédit, on peut comparer les 46 prêts garantis aux 42 prêts non garantis pendant la période 69-170. Cette comparaison fait apparaître trois différences majeures.
56Dans les 46 prêts garantis, le montant prêté est conservé dans 35 cas. La moyenne est de 1015 dr., la médiane de 600 dr. Dans les 42 prêts non garantis, le montant prêté est conservé dans 32 cas. La moyenne est de 677 dr., la médiane est de 218 dr.
Tableau 2.6 – Comparaison entre les prêts garantis et les prêts non garantis.
Prêts garantis (G) 46 cas dont 35 avec somme | Prêts non garantis (NG) 42 cas dont 32 avec somme | |
Moyenne | 1015 dr. | 677 dr. |
Médiane | 600 dr. | 218 dr. |
57La garantie permet d’emprunter des sommes nettement plus élevées. Ce résultat n’est pas surprenant, mais il faut rappeler que l’ônê en pistei ne permettait, elle, pas d’emprunter des sommes plus importantes qu’en l’absence de garantie. L’augmentation générale de la moyenne et de la médiane des sommes prêtées entre la première et la deuxième période est donc due à l’apparition massive de garanties autres que l’ônê en pistei.
58Sur l’ensemble des prêts du corpus, on passe d’une moyenne de 237 dr. et d’une médiane de 107 dr. avant 69 à une moyenne de 750 dr. et à une médiane de 360 dr. entre 69 et 170. L’explication de la différence entre les sommes prêtées à Oxyrhynchos38 d’une part, et à Tebtynis et Soknopaiou Nesos39 d’autre part, entre 69 et 170, relève de la même logique. Les garanties étant nettement plus utilisées à Oxyrhynchos que dans les deux villages du Fayoum, il est normal que les sommes prêtées y soient plus élevées.
59La seconde différence entre les prêts garantis et les prêts non garantis concerne les femmes débitrices. Dans les prêts garantis, les femmes représentent 53 % des débiteurs40 tandis qu’elles ne représentent que 20 % des débiteurs dans les prêts non garantis41. Je reviendrai en détail sur ce changement quand je traiterai du sexe des créanciers et des débiteurs. On peut d’ores et déjà simplement constater que les garanties permettent aux femmes d’emprunter plus souvent qu’elles ne le faisaient durant la première période.
60La troisième différence concerne la durée des prêts. Entre 69 et 170, je dispose dans le corpus de 75 durées exploitables42. Parmi celles-ci, 25 prêts non garantis (une simple clause-praxis) dont la durée moyenne est de 7,6 mois, et la durée médiane de 7 mois. Aucun prêt sans garantie n’a une durée strictement supérieure à 12 mois. De leur côté, 19 prêts garantis fournissent une durée. La moyenne est de 19 mois, la médiane de 12 mois et 8 prêts ont des durées strictement supérieures à 12 mois. Il semble donc que les garanties permettent d’emprunter pour des durées supérieures.
Les objets qui servent de garantie : des biens immobiliers pour l’essentiel
61La terre devient la garantie la plus répandue à partir de 69 alors qu’elle était relativement rare auparavant43. Avant 69, les trois affaires où la terre apparaît étaient sans surprise les trois affaires de loin les plus importantes :
P. Mich. V 232 (Tebtynis, 36) : 13200 dr., mesiteia (82 ar. de terre catoecique)
P. Mich. V 333 (Tebtynis, 52) : 760 dr., mesiteia (3,75 ar. de terre catoecique)
P. Ryl. II 119 (=Sel. Pap. II 279) (Hermoupolis, 62-66) : 4800 dr., hypothêkê (83,25 ar. de terre)
62Entre 69 et 170, sur 46 garanties, on compte 21 cas où il s’agit de terre, 12 cas où il s’agit d’une maison44, 3 cas où il s’agit d’un esclave. C’est la terre qui garantit les prêts les plus importants : la moyenne est de 1406 dr. et la médiane de 1300 dr. (13 cas avec somme). Les prêts garantis par tout ou partie d’une maison sont nettement moins importants : la moyenne est de 679 dr., la médiane de 400 dr. (11 cas). Les prêts garantis par un esclave sont trois et ils ne fournissent le montant que dans deux cas : 840 dr. (BGU XI 2043) et 456 dr. (P. Wisc. II 54). On retrouve la différence de valeur entre la terre et les maisons mise en évidence lors de la comparaison entre mesiteia et ônê en pistei avant 69.
63Certes, les maisons qui servent ici de garanties ont une valeur supérieure à celles qu’on trouve dans les ônai en pistei, en grande partie parce qu’elles sont situées à Oxyrhynchos et non pas dans les deux villages du Fayoum. Certaines de ces maisons urbaines qui garantissent des prêts sont importantes et appartiennent à des gens aisés. Ainsi, une des maisons urbaines les mieux connues en Égypte romaine est justement une de ces maisons qui garantissent des prêts. Dans P. Oxy. II 243 (79)45, une maison urbaine à deux cours avec dépendances sert de garantie à un prêt de 1300 dr., soit un des prêts les plus importants parmi ceux que garantit une maison urbaine. Elle est située près du Serapeum à Oxyrhynchos dans le quartier de l’Hermaion et a un porche d’entrée et un puits de pierre, une installation rare. Mais ces maisons de valeur semblent plutôt constituer l’exception que la règle et la différence entre terre et maison demeure. En Égypte romaine, c’est la terre qui est la richesse immobilière essentielle. Les esclaves quant à eux semblent avoir une valeur au moins équivalente à celles des maisons, au moins les maisons villageoises46.
64Si la plupart du temps, les prêts sont garantis par un bien immobilier ou par des esclaves, il existe deux cas originaux dans mon corpus47. Comme ces cas sont originaux, ils font l’objet dans les contrats de précisions supplémentaires qui éclairent par contraste les garanties courantes.
65Dans P. Oxy. III 507 (Oxyrhynchos, 169), un prêt de 260 dr. est garanti par du foin (hypothêkê)48. Le contrat envisage le cas d’un accident (on peut penser à un incendie) pour préciser que cela ne devrait en aucun cas nuire à la position du créancier. Cette clause sur l’accident éventuel n’apparaît pas dans les contrats où il s’agit de garantie immobilière car il est plus dur de faire disparaître un champ ou une maison que du foin. Evidemment, les sûretés réelles ne sont pas toutes aussi fiables. On peut penser que c’est la raison de l’interdiction de prêter sur des liquides, énoncée au paragraphe 103 du Gnomon de l’Idiologue. Les sûretés réelles immobilières ont une valeur importante et elles sont solides.
66Dans P. Genova II 62 (Oxyrhynchos, 98), un prêt de 356 dr. est garanti par 24 art. de nitron hellenikon et 4 talents d’une autre sorte de nitron49 (hypothêkê) stockés dans un lieu dont le contrat précise qu’il a été scellé à la fois par le débiteur et le créancier. En cas de défaut, le contrat ne stipule pas que le créancier deviendra propriétaire des biens hypothéqués (comme cela est mentionné dans tous les contrats d’hypothèque immobilière) mais qu’il pourra les vendre κατὰ τὴν πολιτευομένην τούτου τιμήν, « au prix du marché ». Au cas où le produit de la vente serait inférieur au montant du prêt, le débiteur s’engage contractuellement à rembourser la différence. Le cas inverse, où le produit de la vente serait supérieur, n’est pas envisagé. Il ne semble donc pas que le contrat se soucie ici d’un règlement équitable. Il est plus probable que la valeur de cette garantie ait été jugée trop juste pour être satisfaisante de manière certaine. Le caractère exceptionnel du texte va également dans ce sens. Les clauses de pénalité dans les contrats d’Égypte romaine protègent surtout les intérêts du créancier. Elles ne visent pas à protéger équitablement les deux parties.
Les modes juridiques de garantie50 : hypallagma et hypothêkê
67Tous ces objets (terres, maisons, esclaves, foin ou nitron) sont donnés en garantie par hypothêkê (28 cas certains) ou par hypallagma (11 cas certains). Avant 69, la garantie la plus couramment attestée dans mon corpus était l’ônê en pistei, mais elle disparaît très vite après 69. Juridiquement, l’hypothêkê et l’hypallagma diffèrent fondamentalement de l’ônê en pistei car ils présentent l’avantage de ne pas impliquer le transfert de la propriété de l’objet donné en garantie51. Les nouveaux mécanismes juridiques de garantie constituent donc un progrès considérable du point de vue du débiteur.
68L’hypallagma n’est pas attesté à l’époque ptolémaïque. À ma connaissance, les premières mentions datant de 13 avant J.-C. à Alexandrie (BGU IV 1147 par exemple). Ensuite il est attesté dans le Fayoum et dans l’Hermoupolite, mais pas dans l’Oxyrhynchite. Dans le Fayoum, il n’est pas attesté au-delà du IIIème siècle et il semble attesté pour la dernière fois dans l’Hermopolite (P. Charite 33 et 34) au milieu du IVème siècle. Dans mon corpus, il apparaît pour la première fois dans P. Wisc. II 54 (Ptolemaïs Euergetis, 116). Il semble que cela soit la première attestation du mot dans le cadre d’un prêt. Il existe bien SB XVIII 13087 (Arsinoïte, 4 avant J.-C.) mais les circonstances de l’affaire sont très différentes des prêts du IIème siècle, puisque l’objet donné en hypallagma est un manteau, et non une terre ou une maison. Ensuite au IIème siècle dans les deux villages du Fayoum, l’hypallagma est la forme de garantie par excellence.
69L’hypothêkê est le principal type juridique de garantie attesté dans le corpus, que l’on trouve surtout à Oxyrhynchos et à Hermoupolis. Le mot hypothêkê est beaucoup plus fréquemment attesté, et pendant une période beaucoup plus longue, que le mot hypallagma et ce dernier mot semble avoir une signification constante, ce qui n’est pas le cas du mot hypothêkê. Celui-ci peut avoir le sens précis d’hypothèque, celui qui m’intéresse ici, mais il peut aussi désigner l’ônê en pistei52. Il est également employé couramment pour désigner des garanties hors du cadre d’un prêt, sur les biens d’un liturge par exemple. Le mot est attesté pendant tout le millénaire papyrologique grec, signifiant hypothèque dans le cadre d’un prêt, de l’époque ptolémaïque53 à la fin de l’époque byzantine54.
70Le recours à l’un ou à l’autre semble d’abord dicté par des traditions notariales locales puisqu’on constate que le mot hypallagma ou son équivalent hypallagê et le verbe hypallassô ne sont pas attestés à Oxyrhynchos, alors qu’ils sont en revanche fréquents dans le Fayoum et dans l’Hermopolite, tandis que l’hypothêkê semble avoir joui d’une grande popularité à Oxyrhynchos. En matière de prêt, ce n’est pas le seul cas où le formulaire contractuel du nome oxyrhynchite se distingue de celui des deux autres nomes. On peut en effet également citer l’absence de la chrêsis, et de l’adjectif entokon qui lui est lié, dans le formulaire oxyrhynchite, au moins avant le IIIème siècle55. Quelles que soient les différences juridiques qui peuvent exister entre l’hypothêkê et l’hypallagma, notamment dans les modalités juridiques de la procédure d’exécution, on doit bien constater qu’elles n’ont pas de conséquences économiques visibles dans les transactions financières attestées dans la documentation et plus largement dans le fonctionnement du marché du crédit. Ni l’un ni l’autre ne semblent véritablement plus ou moins favorables au créancier ou au débiteur. Les différences entre les deux sont de toute façon beaucoup moins importantes que celles qui les opposent à l’ônê en pistei. Le recours de plus en plus fréquent à l’hypallagma et à l’hypothêkê a probablement entraîné la disparition de l’ônê en pistei qui s’est vue frappée d’obsolescence juridique, ce qui a constitué un progrès du point de vue du fonctionnement du marché du crédit.
71On aura remarqué qu’il n’a été question jusqu’ici que de sûretés réelles. C’est que les cautions personnelles par un tiers ne sont quasiment pas attestées en Égypte romaine, à la différence de ce que l’on trouve dans les tablettes de Campanie. En Égypte, il arrive dans de rares cas, que des individus se portent garants dans des affaires financières, mais jamais dans un premier temps. Ainsi P. Oxy. III 508 (Oxyrhynchos, 102) où Stephanos se porte garant auprès d’Heraklas pour le remboursement de deux prêts qu’Heraklas a accordés à deux frères, Diocles et Rufus. Ces deux prêts ont pourtant déjà été garantis par une hypothêkê plus de trois ans auparavant. Vu la durée qui s’est écoulée, il est probable que les deux débiteurs n’ont pas remboursé mais que, pour une raison ou une autre, l’exécution de l’hypothêkê n’a pas eu lieu. Heraclas, peut-être en raison de liens avec Diocles et Rufus, se porte garant. Mais cela n’arrive qu’en dernier recours. Le prêt n’a pas été conclu de cette manière.
L’apparition de rares prêts dont la durée est supérieure à deux ans
72Pour la deuxième période, je dispose de 75 références pertinentes et j’obtiens les résultats suivants.
Tableau 2.7 – Durées comparées des prêts entre la première et la deuxième période.
Avant 69 | 69-170 | |
Moyenne | 7,2 mois (n=22) | 10,2 mois (n=75) |
Médiane | 6,5 mois | 8 mois |
73Ces chiffres généraux ne permettent pas vraiment de voir ce qui se passe réellement. On peut certes dire qu’il y a une augmentation de presque 50 % de la moyenne de la durée des prêts pendant la deuxième période, mais en fait, dans 89 % des cas (67/75), les prêts ont la même durée que pendant la première période. En effet, 67 prêts ont une durée inférieure ou égale à 12 mois et si on restreint les calculs à cet ensemble, on trouve une moyenne de 7,5 mois et une médiane de 6 mois, soit quasiment les mêmes chiffres que pendant la première période. En fait, l’augmentation de 50 % de la durée moyenne des prêts est due à seulement huit prêts dont la durée est égale ou supérieure à deux ans. Certes, ces prêts sont peu nombreux, mais avant 69, aucun élément du corpus ne dépassait 12 mois. Tous ces prêts dont la durée est supérieure ou égale à deux ans sont garantis par un bien précis. Il n’existe pas de prêts dont la durée soit comprise entre un et deux ans dans le corpus. Soit la durée des prêts est inférieure ou égale à un an, soit elle dépasse deux ans.
74Ces huit prêts sont tous garantis et la banque intervient dans six transactions sur huit. Cinq d’entre eux viennent d’Hermoupolis (les trois autres viennent d’Oxyrhynchos), ce qui est considérable dans la mesure où les textes d’Hermoupolis représentent seulement 10 % de mon corpus entre 69 et 170 (22/218). Les textes des trois métropoles dans mon corpus ne sont pas équivalents. Les textes « de Ptolemaïs Euergetis » sont souvent des textes qui font intervenir des habitants des villages du nome, notamment Tebtynis et Soknopaiou Nesos. Ils fournissent davantage de renseignements sur les liens entre la métropole et les villages que sur la capitale du nome elle-même. Les textes d’Oxyrhynchos et d’Hermoupolis quant à eux montrent davantage la vie financière de ces deux métropoles. Mais Oxyrhynchos, au moins par sa population, semble moins importante qu’Hermoupolis. Ces cinq prêts d’Hermoupolis ne sont pas nombreux mais on peut faire l’hypothèse qu’ils sont davantage représentatifs de la vie financière des métropoles importantes que les textes d’Oxyrhynchos, qui est une capitale de nome plus modeste. On peut mesurer ici combien la provenance géographique des prêts du corpus influe sur la nature des transactions attestées. Si on disposait de davantage de documents hermopolitains, les transactions financières « d’Égypte romaine » apparaîtraient plus importantes.
75Après avoir passé en revue les différentes caractéristiques techniques des prêts, montants prêtés, taux d’intérêt, garanties et durée, on peut maintenant s’intéresser aux créanciers et des débiteurs, et plus précisément à leur sexe et à leur origine géographique.
Les femmes s’émancipent sur le marché du crédit
76Entre 69 et 170, on compte 126 cas où un homme est débiteur, 52 cas où une femme est débitrice et 9 cas où un mari et sa femme empruntent ensemble (plus 3 cas où une femme emprunte avec son fils). Pour ce qui est des créanciers, on compte 147 cas où un homme est créancier, 45 cas où une femme est créancière et aucun cas où un mari et sa femme prêtent ensemble.
Tableau 2.9 – Sexe des créanciers et des débiteurs entre 69 et 170.
Entre 69 et 170 | Débiteurs | Créanciers | Débiteurs (avant 69) : rappel |
Hommes | 66 % (126/190) | 77 % (147/192) | 71 % (38/54) |
Femmes | 27 % (52/190) | 23 % (45/192) | 9 % (5/54) |
Femmes avec époux (et avec fils) | 6 % (12/190) | 0 % | 20 % (11/54) |
77Par rapport à la première période, on constate un grand changement. Avant 69, les femmes représentaient seulement 9 % du total des débiteurs tandis que les femmes empruntant en compagnie de leur époux représentaient 20 % du total des débiteurs. Entre 69 et 170, la proportion de femmes seules a triplé. Elles représentent 27 % du total des débiteurs, tandis que les femmes empruntant en compagnie de leur époux ne représentent plus que 6 % du total des débiteurs.
78Ce changement est d’autant plus important que les emprunts des femmes sont différents de ceux des hommes. Dans la quasi totalité des cas, il s’agit de prêts d’argent (96 %, 50 cas sur 52). Les hommes empruntent eux aussi presque toujours de l’argent, mais moins exclusivement (85 %, 102 cas sur 120). Dans les emprunts des femmes, les sommes sont plus importantes et leurs emprunts sont plus souvent garantis que ceux des hommes56. La moyenne des prêts accordés aux femmes est de 1044 dr., la médiane de 460 dr. (47 cas avec somme) tandis que la moyenne des emprunts des hommes est de 632 dr. et la médiane de 240 dr. (89 cas avec somme). Si on se restreint aux emprunts en argent, les femmes fournissent des garanties dans 73 % des cas (22 cas sur 3057 pertinents) tandis que ceux des hommes sont garantis dans 41 % des cas (17 cas sur 4158 pertinents).
Tableau 2.10 – Emprunts comparés des femmes et des hommes entre 69 et 170.
Emprunts des femmes (n=47) | Emprunts des hommes (n=89) | |
Moyenne | 1044 dr. | 632 dr. |
Médiane | 460 dr. | 240 dr. |
Proportion de prêts garantis | 73 % (22/30) | 41 % (17/41) |
79Ces deux résultats, sommes plus élevées et garanties plus fréquentes, sont évidemment corrélés mais il semble qu’ils ne le soient qu’en partie. En effet, même à somme égale, les femmes ont davantage recours aux garanties que les hommes. Qu’on prenne les prêts supérieurs ou égaux à 400, 800 ou 1200 dr., le résultat est le même.
Tableau 2.11 – Quelle que soit la somme empruntée, les femmes donnent plus fréquemment des garanties que les hommes (G signifie garantie, NG signifie non garantis [clause-praxis seule]).
Nombre de prêts ≥ | à 400 dr. | à 800 dr. | à 1200 dr. |
Nombre de cas | 74 | 41 | 34 |
Femmes | 26 (17 g, 3 ng) | 20 (14 g, 2 ng) | 16 (11 g, 1 ng) |
Hommes | 36 (9 g, 8 ng) | 15 (3 g, 4 ng) | 13 (3g, 3 ng) |
80On peut donc dire qu’il existe une discrimination envers les femmes sur le marché du crédit. Quelle que soit la somme, elles sont obligées de fournir plus fréquemment des garanties que les hommes. On comprend dès lors à quel point la généralisation des sûretés réelles leur a été utile car elle leur a permis d’accéder plus facilement au marché du crédit. L’absence d’un système de garanties efficace avant 69 les a probablement empêchées d’emprunter aussi souvent que les hommes dans des situations semblables. On peut aussi penser que, du fait de cette discrimination, les femmes qui entrent sur le marché du crédit sont sur-sélectionnées. Il n’y a en effet pas de raison de penser que les femmes soient davantage capables que les hommes d’emprunter des sommes importantes, autrement dit qu’elles soient plus riches que les hommes et qu’elles soient capables de lever plus de fonds qu’eux. Même si le statut juridique dont jouissent certaines femmes en Égypte romaine est relativement favorable par rapport au reste de l’Empire, on peut penser que les femmes restent en moyenne dans une position économique et sociale inférieure aux hommes. Les femmes qui empruntent sur le marché du crédit appartiennent donc vraisemblablement aux élites locales. En revanche, les femmes d’un niveau social inférieur ont certainement de grandes difficultés à entrer sur le marché, des difficultés que les hommes d’un niveau social équivalent ne rencontrent probablement pas.
81Il est possible que cette discrimination dont font l’objet les femmes explique pourquoi elles empruntent davantage aux femmes que ne le font les hommes. En effet, parmi les 126 hommes débiteurs, 102 empruntent à des hommes et 21 à des femmes. Les hommes empruntent donc à des femmes dans seulement 17 % des cas (21/123). En revanche, parmi les 52 femmes débitrices, 26 empruntent à des hommes et 22 à des femmes. Les femmes empruntent donc à des femmes dans 46 % des cas (22/48). Faut-il supposer qu’il est plus facile pour les femmes d’emprunter à des femmes plutôt qu’à des hommes ? Du point de vue des garanties, cela ne semble pas beaucoup changer les choses. Que les femmes empruntent à des femmes ou à des hommes, elles fournissent des garanties dans les mêmes proportions59. Existe-t-il des relations sociales spécifiquement féminines ? Le phénomène présente en tout cas une légère spécificité locale puisque 73 % des femmes créancières viennent du Fayoum (33/45) alors que seulement 58 % des textes de mon corpus en proviennent pour la période 69-170. Plus précisément, ces femmes viennent de Soknopaiou Nesos et de Tebtynis, deux villages à fort caractère égyptien. Il est probable que les femmes égyptiennes, on verra ensuite ce qu’il faut entendre exactement par là, ont davantage de patrimoine propre et davantage de marge de manœuvre économique que les femmes grecques.
82L’autre changement important est la forte diminution de la part des femmes empruntant au côté de leur époux (ou avec leur fils). Avant 69, le phénomène représente 20 % des transactions dont le débiteur est identifié. Entre 69 et 170, il ne représente plus que 6 %. De plus aucun des neuf cas où une femme emprunte au côté de son époux n’est postérieur à 109 (voir p. 72-79).
L’emprunt à plusieurs : un phénomène égyptien
83Il existe un autre phénomène dont il faut souligner la dimension égyptienne. Il s’agit des cas où l’emprunt est contracté par plusieurs débiteurs. Mais à la différence du phénomène précédent, celui où des femmes sont débitrices au côté de leur époux, l’emprunt à plusieurs n’a pas de spécificité chronologique car il est attesté pendant les trois siècles de la période romaine en Égypte. J’ai choisi de le traiter dans ce chapitre parce qu’il présente des similarités avec le phénomène précédent, mais il ne faut pas en conclure que ce phénomène est typique de la deuxième période.
84Sur la totalité du corpus (de 30 avant J.-C. à 275), je compte 67 cas de prêts où plusieurs personnes sont débitrices ensemble, les cas où une femme emprunte au côté de son époux étant exclus. On peut dire que le phénomène de l’emprunt en commun a une dimension égyptienne car 40 de ces 67 cas proviennent de Soknopaiou Nesos et Tebtynis, soit 60 %, alors que ces deux villages représentent 38 % de mon corpus. Ces débiteurs qui empruntent à plusieurs doivent le plus souvent avoir des intérêts communs. C’est particulièrement probable quand des membres d’une même famille empruntent ensemble. Ainsi dans P. Tebt. II 390+P. Lond. Inv 1602b60 (Tebtynis, 167), trois frères, Pakebkis, Onnophris et Sarapammon empruntent ensemble 124 dr. à une certaine Hélène. Les trois frères ont un intérêt commun dans la terre qu’ils donnent en karpeia puisqu’elle est enregistrée au nom des trois. Dans P. Kron. 17 (Tebtynis, 140), deux sœurs, Tephorsais et Taorsenouphis, filles de Kronion, empruntent 372 dr. à une certaine Didyme. En cas de défaut de paiement, la créancière aura un droit de karpeia sur une terre appartenant à Tephorsais seule mais il est possible que Taorsenouphis, en tant que sœur de Tephorsais, ait des droits sur cette terre et que c’est à ce titre qu’elle est co-débitrice.
85Que plusieurs membres d’une même famille égyptienne aient tout ou partie de leurs intérêts économiques en commun est un fait bien connu. Il est donc normal qu’ils empruntent ensemble, soit parce qu’ils ont des intérêts économiques en commun et qu’ils utilisent l’argent ensemble, soit parce qu’ils ont des droits en commun sur l’objet qui garantit le prêt. Il est alors logique que l’on trouve ce phénomène d’emprunt à plusieurs surreprésenté à Soknopaiou Nesos et Tebtynis, les localités les plus égyptiennes du corpus, même si le phénomène existe également dans le nome oxyrhynchite. L’élément égyptien est bien sûr beaucoup moins présent dans les sources oxyrhynchites que dans les sources provenant de Soknopaiou Nesos et de Tebtynis mais il n’en est pas complétement absent. On le voit notamment quand la transaction implique des villageois du nome oxyrhynchite, plus susceptibles d’être égyptiens que les résidents de la métropole. Ainsi dans P. Oxy. III 506 (Oxyrhynchos, 143), deux sœurs, Thatres et Teteorion, et leur mère, Demas, toutes les trois du village de Pela, empruntent 1000 dr. à Sarapion, d’Oxyrhynchos, avec pour garantie, une terre de 1 49/64 ar. appartenant aux deux sœurs seules. Mais on le voit aussi dans la métropole même, par exemple dans P. Oxy. VII 1040 (225), un exemple du IIIème siècle. Un père, Aurelius Pekysis, et son fils, Aurelius Petenouphis, tous les deux d’Oxyrhynchos, empruntent quatre artabes de blé à Aurelius Theon, lui aussi d’Oxyrhynchos.
Le décloisonnement des marchés locaux
86Durant la première période, les différents marchés locaux du crédit sont fondés sur l’interconnaissance personnelle. Ce mode de fonctionnement aboutit à un certain cloisonnement géographique car les réseaux de connaissance ne sont pas infiniment extensibles. Dans le chapitre 1, j’ai montré qu’en règle générale, en Égypte romaine, on n’emprunte ni à la famille, ni à la banque mais entre les deux. Je voudrais maintenant essayer de mieux caractériser cet entre-deux.
87On n’a pas toujours beaucoup de renseignements sur les débiteurs et les créanciers dans les textes et surtout on ne dispose pas toujours des renseignements qu’on voudrait avoir. Deux études réalisées à partir de contrats privés en Égypte romaine ont essayé d’analyser la position socio-économique et juridique des contractants attestés. La première étude est celle de B. Tenger sur l’endettement en Égypte61, la seconde est celle de J. Straus sur l’achat et la vente d’esclaves en Égypte romaine62. Dès le début, les deux auteurs précisent que la tâche est difficile et donne peu de résultats63. Malgré cela, ils consacrent de longs développements à l’analyse de la position sociale, économique et juridique des contractants. Les critères de classement de B. Tenger64 sont moins rigoureux que ceux de J. Straus65 et aucune conclusion générale ne se dégage de l’étude de B. Tenger malgré les 90 pages qu’il consacre à la question. J. Straus arrive quant à lui aux mêmes conclusions qu’Iza Biezunska66. La question du statut socio-économique des contractants n’est envisagée chronologiquement dans aucune des deux études, puisque, dans les deux cas, les analyses portent sur l’ensemble de la période romaine.
88Ces enquêtes sur le statut socio-économique et juridique des personnes présentes dans les papyrus ne donnent donc pas les conclusions qu’on pourrait espérer a priori. La raison principale en est que les contrats de prêts n’indiquent que ce qui est nécessaire juridiquement. Ils mentionnent en général le nom des contractants, souvent celui de leur père, parfois de leur mère, leur âge et leurs signes physiques distinctifs (cicatrice sur une partie du corps) et parfois leur origine géographique67. Ils ne précisent jamais la position sociale, on peut d’ailleurs se demander comment et pourquoi ils le feraient, car elle n’entre pas en ligne de compte d’un point de vue contractuel. Faute d’indices directs, on pourrait espérer qu’une enquête prosopographique donne des informations complémentaires. Mais une enquête prospographique sur les contractants attestés dans les papyrus d’époque romaine ne peut pas donner les mêmes résultats qu’une enquête sur les sénateurs à partir des sources littéraires ou des inscriptions.
89Plutôt que de lancer une étude socio-économique des contractants, j’ai choisi de mener une étude sur un objet moins compliqué et surtout sur un objet qui permette d’aboutir à des conclusions. J’essaie de mesurer la distance géographique entre débiteurs et créanciers, de distinguer les cas où les deux parties contractantes viennent du même endroit, de ceux où elles viennent de deux endroits différents. Pour cela, il faut déterminer la provenance des débiteurs et des créanciers, ce qui n’est pas toujours évident. Malgré tout, cela reste plus faisable que de déterminer la position sociale d’un individu.
D’où viennent les créanciers et les débiteurs ?
90Après avoir passé en revue l’ensemble des textes, j’ai adopté les principes de classement suivants. Pour les exposer, je choisis en priorité des exemples venant de Soknopaiou Nesos, mais cela vaut pour les cinq localités. Quand l’origine des contractants est indiquée, le problème de classement ne se pose pas. Cependant, ce n’est pas la règle. Cette indication semble contextuelle et elle n’est précisée que si elle n’est pas évidente. Ainsi lorsqu’une transaction a lieu à Soknopaiou Nesos et qu’aucune information n’est donnée sur l’origine des contractants, je suppose que les deux contractants viennent de Soknopaiou Nesos (BGU III 713). Quand le contrat est fait à Herakleïa et qu’il mentionne que le débiteur vient de Soknopaiou Nesos sans rien dire sur le créancier, je suppose que le créancier vient d’Herakleïa (BGU I 290). Ceci peut être contesté car d’une manière générale, on dispose de davantage d’informations sur les débiteurs que sur les créanciers. P. Merton II 67 (Ptolemaïs Euergetis, 130) en est un des meilleurs exemples : du créancier on ne connaît que le nom, alors que des débiteurs, on connaît le nom, l’âge, les signes physiques distinctifs, et l’origine. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où le débiteur est plus susceptible de fuir son obligation contractuelle que le créancier. Cependant, je maintiens cette méthode de classement car ces textes font intervenir deux lieux différents.
91Il peut également arriver que l’origine géographique des contractants ne soit pas immédiate. On peut cependant faire de bonnes hypothèses en croisant deux critères : le contexte archéologique et l’onomastique.
92Les informations qu’on peut avoir sur le contexte archéologique des papyrus sont très variables et sont à interpréter avec prudence68. La plupart des textes relatifs à Soknopaiou Nesos viennent d’achats faits à la fin du XIXème siècle et leur contexte archéologique précis est inconnu69. Pour Tebtynis, on a davantage d’informations sur le lieu de trouvaille des documents. Mais un texte retrouvé à Tebtynis n’en est pas nécessairement originaire. W. Clarysse rappelle que de nombreux textes du IIème siècle avant J.-C. trouvés à Tebtynis par B. Grenfell et A. Hunt sont des textes venant d’ailleurs qui ont été ré-utilisés comme cartonnages de momies dans les nécropoles de crocodiles. Ainsi, ont été retrouvés à Tebtynis l’archive de Menches de Kerkeosiris ou les papyrus édités dans les P. Tebt. III, qui viennent souvent de la capitale du nome ou de la zone d’Oxyrhyncha70. Grâce au même processus, on dispose de textes venant de l’Alexandrie d’époque augustéenne retrouvés dans le nome hérakléopolite (BGU IV). Malgré ce phénomène, essentiellement ptolémaïque à Tebtynis, il ne faut pas sombrer dans un pessimisme qui serait excessif. Seul, le contexte archéologique est parfois un argument fragile mais l’onomastique permet souvent de l’étayer.
93Le contexte archéologique du texte est particulièrement précieux quand les documents ont été rédigés par une banque de Ptolemaïs Euergetis et qu’il s’agit de diagraphai dépendantes, c’est-à-dire n’ayant pas valeur de contrat71. Ces documents sont beaucoup plus concis que les documents notariés dans la description des contractants. Ils mentionnent beaucoup plus rarement l’origine géographique des contractants et ils ne précisent pas nécessairement le lieu de rédaction. Dans un texte qui ne dit rien de la provenance géographique des contractants et où le seul indice géographique contenu dans le texte est le nom d’une banque, il est très difficile de dire que ce texte vient d’un village et non pas de la métropole si l’on n’a pas le contexte archéologique.
94Ainsi P. Tebt. Wall 5 (SB XVIII 13786), une copie de diagraphê établie par une banque de Ptolemaïs Euergetis72, est édité par E. W. Wall dans un recueil intitulé New Texts in the Economy of Tebtynis. Wall indique que ce texte provient de Tebtynis et le Sammelbuch l’a suivi à juste titre puisque le texte a été retrouvé dans une maison de Tebtynis (APIS précise à propos de ce texte dans la rubrique « notes on custodial history » : « house at Tebtynis T68 »73). Mais il n’y a rien dans ce texte sur l’origine géographique des contractants. Si le contexte archéologique était inconnu, sa provenance réelle aurait été difficile à déterminer. Dans P. Tebt. Wall 5, on peut imaginer qu’un des contractants est originaire de Tebtynis et qu’il est allé à Ptolemaïs Euergetis pour utiliser les services d’une banque et qu’il a ensuite ramené le document chez lui. D’autres papyrus de Tebtynis présentent les mêmes caractéristiques, ainsi P. Tebt. II 389 (maison T556) ou P. Tebt. II 395 (maison T215). D’autres ont été explicitement rédigés à Ptolemaïs Euergetis mais ont été retrouvés à Tebtynis, ainsi PSI X 113174. Un nombre non négligeable de textes qui documentent des transactions ayant eu lieu à Ptolemaïs Euergetis (et classés comme venant de Ptolemaïs Euergetis dans le champ « Ort » par le HGV) ont en fait été retrouvés dans les villages périphériques du Fayoum. À cette époque, on connaît pour une bonne part la métropole du nome arsinoïte par les rapports que les villageois entretiennent avec elle.
95L’onomastique peut être un indice supplémentaire. Ainsi dans PSI X 1131, les débiteurs sont deux couples, Marenkemis et sa femme Tetosiris, et Psenkebkis et sa femme Tamarres, des noms bien attestés à Tebtynis75. Or, quand on étudie une série de textes venant d’un même endroit, il est frappant de voir à quel point certains anthroponymes reviennent sans cesse, alors qu’ils sont rares ailleurs. Ainsi Stotoetis, Herieus, Pabous sont très fréquents à Soknopaiou Nesos, tandis qu’Orseus ou Petesouchos sont fréquents à Tebtynis. L’onomastique égyptienne, au moins dans les villages égyptiens, paraît très locale et très économe. Pour les anthroponymes théophores, elle est liée aux cultes religieux qui sont propres à chaque village et elle est un élément important pour l’histoire des cultes locaux. L’onomastique est donc une variable importante car elle peut concourir à déterminer la provenance d’un texte76.
96Enfin, pour en terminer avec ces remarques de méthode, il faut manipuler les remboursements de prêts avec prudence. Sur l’intégralité du corpus, je compte 195 contrats de prêts et 80 quittances de remboursement, soit 1 quittance pour 2,4 prêts. Si on restreint le corpus aux documents où la banque intervient, je compte 40 prêts pour 27 quittances, soit 1 quittance pour 1,5 prêt. Les quittances et la banque sont donc particulièrement liées. Il est probable qu’un remboursement à la banque soit plus désirable quand l’échéance est dépassée depuis longtemps. Quand le remboursement a lieu par exemple après la mort d’une des parties contractantes, les héritiers de celle-ci n’habitent pas nécessairement au même endroit. La métropole est un lieu de rencontre pour les populations villageoises de tout le nome77. La banque où se fait le remboursement est située à Ptolemaïs Euergetis mais les textes peuvent faire intervenir des habitants de deux villages du Fayoum. Ainsi dans SB VIII 9923, la fille de la créancière d’un contrat dressé à Berenikis Aigialou dans la meris de Themistes se fait rembourser à Ptolemaïs Euergetis alors qu’elle habite maintenant dans l’Hérakléopolite. Dans PSI XIII 1324, le prêt est remboursé à Ptolemaïs Euergetis, les héritiers du créancier résident à Soknopaiou Nesos et le débiteur est de Karanis. Ptolemaïs Euergetis est un carrefour pour les villages qui sont éloignés l’un de l’autre, ainsi Karanis et Tebtynis. En revanche, Soknopaiou Nesos et Herakleïa ou Tebtynis et Theogonis n’ont pas forcément besoin de Ptolemaïs Euergetis pour entrer en rapport économique.
97L’endroit d’où vient le créancier ou le débiteur est la variable la plus importante à mes yeux. On peut parfois avoir des informations qui interfèrent avec celle-ci. Je pense notamment aux citoyens romains et aux citoyens alexandrins que l’on trouve en faible nombre dans la documentation financière de la chôra. Si l’on considère un citoyen romain de Karanis, l’élément le plus important pour le marché du crédit est, à mes yeux, son origine géographique, pas sa citoyenneté romaine. Il ne s’agit pas d’un habitant de Rome qui vient inspecter ses terres à Karanis. Pour les citoyens alexandrins, la situation est plus complexe. A. Bowman et D. Rathbone rappellent qu’il est difficile, voire impossible, de dire si les citoyens alexandrins qu’on voit dans la chôra avec des domaines importants sont des Alexandrins attirés dans la chôra par leurs terres ou des métropolites locaux qui ont acquis la citoyenneté alexandrine78. Mais on peut supposer qu’au moins une partie d’entre eux sont des Alexandrins qui sont seulement de passage dans la chôra, pour inspecter leurs terres, sans pour autant y résider.
98Enfin, il faut ajouter une dernière remarque. Cette recherche sur la distance entre contractants doit servir à répondre à la question centrale de cette étude : dans un marché du crédit où le prêt est non professionnel, comment le débiteur et le créancier se sont-ils rencontrés et ont-ils fait affaire ? On peut pour cela distinguer deux types de relation de crédit. Dans le premier, elle s’établit informellement et la relation est fondée sur les réseaux de parenté, de voisinage, de travail, de sociabilité. Dans le second, la relation de crédit s’établit formellement. Les contractants se rencontrent par le biais d’une institution sans laquelle ils n’auraient pas pu faire affaire. Les contrats ne disent en tout cas rien d’explicite sur la manière dont les contractants se sont rencontrés. On peut savoir si les contractants sont de la même famille, mais c’est très rarement le cas. En revanche, on ne peut pas savoir s’ils sont voisins ou amis.
99En règle générale, on peut penser que dans les deux villages du Fayoum, si les contractants viennent du même endroit, la probabilité qu’ils se soient rencontrés informellement est forte. En revanche, si les deux contractants ne viennent pas du même endroit, la probabilité qu’ils se soient rencontrés informellement est faible. Ceci vaut surtout pour les prêts entre la métropole Ptolemaïs Euergetis et les deux villages du Fayoum. On verra qu’il faut probablement nuancer cette hypothèse dans le cas des transactions entre ces deux villages et les villages environnants comme Talei pour Tebtynis et Herakleïa pour Soknopiaou Nesos.
100Au sein des métropoles, la situation est sûrement différente. En raison de la taille du marché du crédit, il est difficile de dire, quand les contractants viennent du même endroit, s’ils se sont rencontrés formellement ou non. À partir d’un certain seuil de population, cela n’est plus possible. Par conséquent, dans les cas qui impliquent deux personnes d’une même ville, il n’est pas possible de distinguer les transactions où les contractants se connaissaient avant de celles où cela n’est pas le cas. Mais il faut supposer que les deux types de transaction existent dans les métropoles.
101Toutes ces précautions prises, on compte dans le corpus 89 cas où les deux parties contractantes ne viennent pas de la même localité. À deux exceptions près, ils sont tous postérieurs à 6979 et on compte 57 cas pour la deuxième période. Le phénomène connaît donc une très forte augmentation entre la première et la seconde période puisqu’il représente 26 % (57/218) des transactions entre 69 et 170 contre seulement 3 % (2/72) auparavant.
102Sur les 57 cas de la deuxième période, 43 viennent des deux villages du Fayoum, Tebtynis et Soknopaiou Nesos, soit 75 %, alors que les textes des deux villages ne représentent que 51 % (111/218) des textes de mon corpus entre 69 et 170. Le phénomène concerne donc avant tout Tebtynis et Soknopaiou Nesos, et je vais maintenant l’analyser en me restreignant à ces deux villages.
Tebtynis, Soknopaiou Nesos et leur environnement
103Entre 69 et 170, à Tebtynis et Soknopaiou Nesos, on compte donc 43 transactions ouvertes, c’est-à-dire 43 cas où les deux parties contractantes ne viennent pas de la même localité contre 68 transactions internes, c’est-à-dire 68 cas où les contractants viennent de la même localité. Avant 69, pour les mêmes villages, on compte une transaction ouverte (PSI X 1131) contre 29 transactions internes. Avant 69, l’ouverture vers l’extérieur représente donc 3 % (1/30) des transactions financières dans ces deux villages contre 39 % (43/111) entre 69 et 17080. Le changement est considérable. Avant 69, les deux marchés locaux de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos fonctionnent sans recourir à l’extérieur. Entre 69 et 170, ils s’ouvrent vers l’extérieur.
104S’agissant des 43 transactions ouvertes postérieures à 69, la moyenne des sommes empruntées est de 896 dr., la médiane de 400 dr. (33 cas avec somme) ; la banque intervient 20 fois sur 43. Dans les 68 transactions internes, la moyenne est de 363 dr., la médiane de 200 dr. (48 cas avec somme). La banque n’intervient jamais, au moins explicitement. Les transactions ouvertes portent donc sur des sommes deux fois plus importantes que celles qui sont en jeu dans les transactions internes.
105Dans les 43 transactions ouvertes, la banque intervient 20 fois81. Les sommes en jeu ne sont pas très différentes dans les deux cas de figure82, en tout cas la différence des médianes est nettement moins importante que celle qu’on observe entre les transactions internes et les transactions ouvertes. La vraie différence qui explique l’intervention de la banque est le lieu vers lequel se tournent les habitants de Soknopaiou Nesos et de Tebtynis. Dans les 20 cas où la banque intervient, la transaction implique toujours Ptolemaïs Euergetis. Dans les 23 cas où la banque n’intervient pas, elle implique le plus souvent des villages liés à Soknopaiou Nesos ou à Tebtynis (16 cas sur 23, les 7 autres impliquent très probablement Ptolemaïs Euergetis).
106Ces liens qu’entretiennent, chacun de leur côté, Soknopaiou Nesos et Tebtynis avec les villages qui les entourent sont connus depuis longtemps. Tebtynis est lié principalement à quatre villages : Talei, Theogonis, Kerkesoucha Orous et Kerkeesis83. On retrouve deux de ces villages dans mon corpus. Dans P. Select. 3 (156), une femme de Kerkesoucha Orous emprunte à une femme de Tebtynis ; dans P. Tebt. II 388 (98), un homme de Talei emprunte à un homme de Tebtynis. Dans ces transactions entre Tebtynis et les villages voisins, les habitants de Tebtynis apparaissent comme créanciers. Pour ces villages, peut-être plus petits84, Tebtynis pourrait faire figure de centre local.
107Soknopaiou Nesos a encore plus de liens avec des villages voisins à cause de son territoire presque totalement dépourvu de terres arables. Cette situation a été largement étudiée par D. Hobson. Soknopaiou Nesos est lié principalement lié à deux villages : Herakleïa85 et Apias86, où des prêtres de Soknopaiou Nesos possèdent des terres. Il existe également des liens avec Philopator Theogenous, Boubastos, Niloupolis et même Bakchias87. Pour ce qui est des transactions financières, c’est avec Herakleïa que les relations sont les plus fortes.
108Les liens respectifs de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos avec ces villages apparaissent tellement fréquents qu’il faut relativiser la notion de transaction ouverte pour ces transactions avec les villages voisins habituels88. Il existe des contrats de prêts entre personnes portant des noms typiques de Soknopaiou Nesos dressés au grapheion de ce village mais remboursés au grapheion d’Herakleïa (P. Amh. II 111). De la même manière, deux contractants dont l’origine n’est pas indiquée mais qui sont très probablement de Tebtynis vu leurs noms, peuvent dresser la quittance de remboursement au grapheion de Tebtynis alors que le contrat a été conclu au grapheion de Theogonis (SB XII 11005). Tebtynis et Theogonis, de la même manière que Soknopaiou Nesos et Herakleïa, sont deux lieux différents mais ils entretiennent des liens tellement denses qu’ils semblent ne former qu’une seule communauté humaine, comme un village réparti en plusieurs hameaux. C’est particulièrement vrai pour Soknopaiou Nesos qui est avant tout un lieu sacré dont les bases agraires sont principalement situées de l’autre côté du lac Moeris.
109Pourquoi dès lors faire état de ces transactions avec les villages voisins si ceux-ci ne sont pas aussi étrangers ? Elles sont différentes des transactions internes stricto sensu sur deux points essentiels. Premièrement, les sommes sont plus importantes dans ce type de transactions. Deuxièmement, toutes les transactions avec les villages voisins sont postérieures à 98. Avant cette date, les habitants de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos sortent très rarement de leur village pour aller conclure des transactions dans les environs.
110Les transactions ouvertes qui font intervenir une banque ne posent pas ces problèmes. Dans ces cas, la transaction implique toujours Ptolemaïs Euergetis. Il y a ici un effet de source qu’il faut souligner. C’est bien souvent parce qu’il y a une banque qui intervient dans la transaction qu’on peut dire que la transaction a eu lieu, à un moment ou à un autre, à Ptolemaïs Euergetis, car les banques privées du nome arsinoïte sont probablement presque toutes situées dans la métropole et qu’il n’y a pas de banque privée ni à Tebtynis, ni à Soknopaiou Nesos89.
111Mais il existe aussi parmi les 23 transactions ouvertes qui se font sans intervention de la banque 7 transactions qui impliquent Ptolemaïs Euergetis. Dans ces transactions, les habitants de Soknopaiou Nesos sont toujours débiteurs. Pour Tebtynis, il arrive, rarement, que les habitants de Tebtynis soient en position de créanciers. Ainsi dans P. Fam. Tebt. 22, un contrat dressé à Tebtynis, le débiteur est dit ἐπ’ ἀμφόδου Ταμείων, « originaire du quartier des Trésors », un quartier de Ptolemaïs Euergetis. L’origine de la créancière n’est pas précisée mais on peut penser qu’il s’agit de Tebtynis.
Des marchés qui s’ouvrent : l’intégration financière relative des villes et des campagnes
112Ptolemaïs Euergetis est la métropole du nome arsinoïte et elle est située au centre du nome, à environ 25 km de Tebtynis et à environ 30 km de Soknopaiou Nesos. La distance est donc relativement importante. A priori, il n’y a pas de raison d’aller chercher ailleurs ce que l’on peut trouver chez soi. Il faut une bonne raison pour sortir du marché local du crédit, par exemple emprunter une somme importante. Plus la somme désirée est élevée et plus la probabilité qu’elle ne soit pas immédiatement disponible sur le marché local est grande, surtout dans des villages où les ressources financières sont limitées. Je ne pense pas qu’il faille conclure des chiffres donnés plus haut qu’il soit structurellement impossible d’emprunter 800 dr. à Tebtynis ou Soknopaiou Nesos, mais cela est certainement plus difficile qu’à Oxyrhynchos ou à Ptolemaïs Euergetis. Le raisonnement vaut aussi, à plus petite échelle, pour les liens qu’entretiennent Kerkesoucha Orous ou Talei avec Tebtynis.
113Avant 89, les transactions financières des deux villages du Fayoum sont donc toutes internes, à l’exception de PSI X 1131. Il ne faut probablement pas conclure de cette absence presque totale dans mon corpus qu’il n’y avait aucun contact financier entre la métropole et les deux villages ou entre les deux villages et leurs voisins avant cette date. Mais ces contacts étaient probablement nettement moins fréquents pendant cette période car ils ne sont quasiment pas attestés dans les papyrus qui nous sont parvenus. Pendant la première période de l’histoire du marché du crédit en Égypte, et même un peu après, les marchés du crédit de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos fonctionnent essentiellement en vases clos.
114À la fin du Ier siècle, ils s’ouvrent dans deux directions : vers les villages voisins et surtout vers la métropole du nome, Ptolemaïs Euergetis. Dans les transactions avec la métropole, les habitants des deux villages sont presque toujours débiteurs. Cette évolution dans l’histoire du crédit est un élément important du processus de différenciation économique et sociale de la chôra égyptienne. Dans son analyse du processus d’urbanisation en Égypte romaine au IIème siècle, H. Braunert parle du pouvoir d’attraction (Anziehungskraft) économique des métropoles sur les villageois au IIème siècle90. En reprenant l’expression de J. Bingen, on peut dire qu’au IIème siècle les métropoles jouent pour la première fois à l’époque romaine le rôle de catalyseur des échanges économiques, et particulièrement financiers91, et permettent aux campagnes de dépasser l’horizon du village.
115Du point de vue historiographique, la question du crédit urbain à destination des campagnes n’est pas neutre puisqu’elle a occupé une place importante dans le schéma marxiste de concentration progressive des moyens de production agraires aux mains d’élites urbaines, schéma qui a longtemps joué un rôle important en histoire économique et sociale pour beaucoup de périodes historiques92. Dans cette perspective, les prêts accordés par les citadins aux villageois mènent quasi inéluctablement, à terme, à l’expropriation paysanne. L’histoire économique et sociale de l’Égypte romaine n’a pas échappé à ce type d’interprétation dans les années 1970. Au IIème siècle, des « bourgeois » portant des noms grecs et résidant en ville auraient lancé la première étape du processus d’expropriation des moyens de production en prêtant de l’argent aux paysans « indigènes »93. Sans aller aussi loin, R. Bagnall a soutenu en 1993 que les villes étaient la source du crédit pour les villageois dans l’Égypte du IVème siècle94. L’aspect financier est une des dimensions de la domination économique des villes sur les campagnes95, et plus largement du processus d’intégration verticale (vertical integration) des campagnes par les villes qui caractérisent le IVème siècle en Égypte et qui marque la fin du processus d’intégration de l’Égypte au reste de l’Orient romain96. Qu’en est-il au Ier et au IIème siècle ?
116On peut commencer par distinguer deux périodes, avant et après la fin du Ier siècle. En effet, à la lumière du corpus étudié ici, on voit que les relations financières entre la métropole et les deux villages sont presqu’inexistantes avant la fin du Ier siècle. Je ne pense pas que cela soit dû à un biais dans les sources. PSI X 1131 (41) prouve que ces relations ont pu exister, mais dans des proportions très inférieures à celles qu’on peut observer à partir de la fin du Ier siècle. Le processus de différenciation économique et sociale de la chôra qui sous-tend celui de la municipalisation prend du temps et on peut penser qu’au Ier siècle les différences économiques et sociales entre les métropoles et les villages ne sont pas encore très marquées97. Mais peu à peu, les mesures prises par le pouvoir romain en vue de l’émergence d’élites urbaines pré-civiques portent leurs fruits98. Cette municipalisation s’appuie sur un mouvement d’urbanisation analysé dans la bibliographie surtout d’un point de vue administratif99, mais moins en termes de fonctions économiques100. Les métropoles abritent des infrastructures économiques utilisées par les villageois. Les plus connues sont les marchés mais il faut aussi penser aux banques privées.
117Il y a donc un développement des transactions financières entre la métropole et les villages à la fin du Ier siècle et au IIème siècle. Celles-ci sont importantes parce qu’elles permettent aux villageois d’emprunter des sommes plus élevées que celles auxquelles ils ont accès sur le marché local de leur village. Il peut s’agir d’une chance et non pas nécessairement de la première étape d’une descente aux enfers vers l’expropriation générale des petits et moyens paysans. Outre que celle-ci est très difficile à mettre en évidence, cette vision catastrophiste et téléologique ne rend pas compte de la possibilité offerte aux villageois d’emprunter des sommes plus importantes. Le crédit n’est pas nécessairement synonyme de paupérisation et d’expropriation, même si cela peut ponctuellement arriver car le défaut de paiement existe sur n’importe quel marché du crédit à toute époque. De plus, les villageois engagés dans ces transactions ne peuvent pas être considérés comme de petits paysans car les sommes empruntées sont élevées. Il ne me paraît pas non plus nécessaire de supposer que ces transactions ponctuelles s’inscrivent dans des relations de clientèle durables101, dans la mesure où nous n’avons pas d’éléments à l’appui de cette hypothèse.
118Comme on l’a vu en commentant le tableau 2.12, c’est en grande partie la banque privée qui est le vecteur de l’intégration financière dans le nome arsinoïte au sens où elle permet l’établissement de liens financiers entre la métropole et les deux villages du corpus102. Dans ces deux villages, la banque privée n’intervient jamais dans les transactions internes (0/68) alors qu’elle intervient dans 46 % (20/43) des transactions ouvertes. L’absence de banques privées dans ces deux villages explique que la banque n’intervienne jamais dans les transactions internes qui s’y déroulent. Les banques qui interviennent dans les transactions de ces deux villages sont toutes situées à Ptolemaïs Euergetis, la métropole du nome, située à une trentaine de kilomètres. Dans ces 20 transactions ouvertes où la banque intervient, les villageois empruntent de l’argent à un créancier qui réside dans la métropole du nome.
119Dans ces transactions ouvertes des deux villages, on peut penser que les contractants ne se connaissent pas avant le prêt, car ils viennent de deux localités distantes. Ce phénomène se produit certainement aussi au sein même d’une ville mais il n’est pas possible de le mettre en évidence. Deux habitants d’une même ville ne se connaissent pas forcément alors que deux habitants d’un même village ont une plus grande probabilité de se connaître car la population est moins importante. On peut donc penser que dans les transactions internes urbaines où la banque intervient, elle met en relation des gens qui ne se connaissent pas auparavant et qui n’auraient pas pu entrer en contact autrement. Dans ces transactions internes urbaines, la banque joue le même rôle que dans les transactions ouvertes des villages. L’importance de la banque dans les transactions ouvertes des deux villages ne doit donc pas faire oublier le rôle joué par la banque dans les transactions internes au sein des métropoles.
120Durant la période 69-170, le nombre de transactions ouvertes augmente de manière très importante par rapport à la première période. Pendant cette deuxième période, sur la totalité du corpus, la banque intervient dans 44 % des transactions ouvertes (25/57), tandis qu’elle n’intervient que dans 15 % des transactions internes (24/158). La banque joue donc un rôle trois fois plus important dans les transactions ouvertes que dans les transactions internes. C’est la première spécificité des transactions financières où la banque intervient, jamais comme créancière rappelons-le : le degré d’ouverture de la transaction y est plus important. Deuxièmement quand la banque intervient, les sommes prêtées sont plus importantes : entre 69 et 170, dans les transactions où la somme prêtée est conservée, la banque intervient dans 25 % des cas (40 cas sur 156). Dans ces prêts d’argent, les sommes atteignent en moyenne 1025 dr. (médiane : 512 dr.) tandis que dans les prêts où la banque n’intervient pas, elles n’atteignent en moyenne que 637 dr. (médiane : 260 dr.). Enfin, les prêts où la banque intervient sont en moyenne plus souvent garantis, ce qui est lié au précédent constat car, comme on l’a vu plus haut, les prêts sont d’autant plus garantis que la somme prêtée est élevée. Parmi les prêts où la somme est conservée et où la banque intervient, 33 % sont garantis, tandis que seulement 17 % des prêts où la banque n’intervient pas le sont. Dans ces calculs, je prends en compte tous les types de documents où la banque intervient dans un prêt mais tous les documents n’ont pas vocation à indiquer si le prêt est garanti ou non. Ceci fait probablement baisser le pourcentage de prêts garantis mais cela n’a pas d’incidence sur le raisonnement puisqu’on compare deux chiffres obtenus de la même manière.
121Comment interpréter ces différences entre les prêts où la banque intervient et ceux où elle ne le fait pas ? Parmi les institutions qui organisent les différents marchés du crédit historiques, les plus importantes sont celles qui augmentent l’information sur les capacités financières des créanciers et des débiteurs potentiels en amont de la transaction. Je fais l’hypothèse que la banque privée intervient à ce stade, en remplissant un rôle d’intermédiation financière passive, c’est-à-dire qu’elle facilite la rencontre de l’offre et de la demande sur le marché du crédit en Égypte romaine103. L’intermédiation est passive parce que le banquier se contente de mettre en relation le créancier X et le débiteur Y. Elle serait active si le banquier empruntait de l’argent à l’individu X pour le prêter ensuite à l’individu Y. Dans ces transactions où la banque intervient, le rôle de la banque ne se limite probablement pas à verser de l’argent et à établir un document l’attestant (diagraphê). La banque joue d’abord un rôle d’intermédiaire financier passif en mettant en relation le créancier et le débiteur. Sans intermédiaire, les marchés du crédit locaux sont cloisonnés, les créanciers ne prêtent qu’aux gens qu’ils connaissent au préalable. Ils peuvent évidemment augmenter ce cercle par des rencontres faites par le biais de liens sociaux divers, la famille ou les voisins par exemple, mais ce type d’intermédiation trouve toujours ses limites et il n’est pas forcément accessible à tous. La banque privée est en revanche un intermédiaire financier universel, c’est-à-dire que n’importe qui, pourvu peut-être qu’il y ait déjà un compte ouvert, mais cela n’est même peut-être pas obligatoire, peut aller la trouver pour qu’elle le mette en relation avec un créancier ou un débiteur potentiel. La banque organise la rencontre entre les deux parties mais son rôle se limite à cela, elle ne prête pas elle-même les fonds.
122Grâce au service d’intermédiation financière passive rendu par la banque privée, les différents marchés locaux du crédit peuvent prendre une autre dimension géographique. C’est ainsi que les villageois du Fayoum se rendent dans la métropole du nome pour pouvoir emprunter des sommes supérieures à celles qu’ils trouvent ordinairement dans leurs villages. Ces transactions financières entre la métropole et les villageois sont importantes dans la mesure où elles représentent le segment supérieur du marché du crédit. Mais en même temps, contre l’idée que la ville est la source exclusive du crédit pour les campagnes, il faut souligner que, même entre 69 et 170104, ces transactions avec la métropole ne représentent qu’un quart du nombre total de transactions des habitants de Tebtynis et de Soknopaiou Nesos, (27/111 dont 20 avec intervention d’une banque). On ne peut donc parler d’intégration financière des deux villages à la métropole à partir de la fin du Ier siècle que dans la mesure où les deux villages dépendent de la métropole pour les transactions les plus importantes. Mais tout le crédit ne provient pas des habitants de la métropole, loin de là. Les trois quarts des besoins financiers des habitants des deux villages demeurent satisfaits sur place. Les villageois peuvent emprunter à d’autres villageois et les métropolites ne prêtent pas seulement à des villageois. Les documents d’Oxyrhynchos montrent que les métropolites prêtent essentiellement à d’autres métropolites entre 69 et 170105. Il ne faudrait donc pas caricaturer les choses et présenter des métropolites par nature créanciers et des villageois par nature débiteurs, car cette vision réductrice ne rendrait compte que d’une minorité du total des transactions. Entre 69 et 170, on ne peut pas dire sans plus de précisions que la ville est la source du crédit pour les villages.
Conclusion
123À partir de 69, les marchés du crédit des différentes localités d’Égypte romaine connaissent tous à des degrés divers de profonds changements par rapport à la période précédente. Le montant prêté moyen et médian triple ; les prêts importants (supérieurs ou égaux à 400 dr.) et très importants (supérieurs ou égaux à 800 dr.) ne sont plus rares. Les femmes accèdent plus souvent au marché du crédit et elles empruntent des sommes plus importantes que les hommes. Enfin, les différents marchés du crédit s’ouvrent les uns aux autres. C’est dans le Fayoum que cette ouverture est la plus visible et c’est en direction de la métropole qu’elle est la plus importante. Les habitants de Soknopaiou Nesos et Tebtynis entrent en relation contractuelle avec les élites pré-civiques. Ces transactions ouvertes leur permettent d’emprunter des sommes supérieures à celles qu’ils trouvent sur les marchés locaux de leur village. Dans ce nome, l’intégration des différents marchés locaux du crédit progresse.
124La différence entre Oxyrhynchos d’une part et Tebtynis et Soknopaiou Nesos d’autre part se creuse. Les transactions financières d’Oxyrhynchos portent sur des montants plus importants que celles des deux villages du Fayoum et les changements typiques de la deuxième période se produisent dès 69 à Oxyrhynchos alors qu’il faut attendre le début du IIème siècle dans les deux villages du Fayoum. Cette différence est probablement à mettre au compte du processus de différenciation économique et sociale du territoire et de la société qui sous-tend le processus de municipalisation. En effet, l’écart se creuse entre les villages et les métropoles qui deviennent au IIème siècle des quasi-cités. Ptolemaïs Euergetis, la métropole du Fayoum, devient pour Soknopaiou Nesos et Tebtynis la source des transactions les plus importantes. Ce phénomène essentiel ne doit pas pour autant occulter le fait que trois quarts des transactions continuent à se faire indépendamment de la métropole. Il ne doit pas occulter non plus le fait que l’essentiel des prêts des métropoles se font entre métropolites. Ceux-ci, comme les villageois, empruntent de l’argent, et bien souvent ils empruntent des sommes supérieures à celles empruntées par les villageois.
125L’augmentation des sommes prêtées entre 69 et 170 et l’accès plus important des femmes au marché du crédit sont essentiellement dus à la généralisation des garanties, qui est le changement fondamental que connaît le marché du crédit pendant la deuxième période, celui qui m’a fait retenir la date de 69 comme charnière dans l’histoire du marché du crédit. L’apparition de liens financiers entre la métropole et les villages du Fayoum est peut-être aussi en partie due à cette révolution des garanties et, d’une manière ou d’une autre, aux banques privées puisqu’on constate une forte surreprésentation de l’intervention de celles-ci dans ces transactions. Mais les garanties sont probablement la cause première du changement.
126En effet, avant 69, les différents marchés locaux fonctionnent en recourant très peu aux garanties. Cette situation est due au fait que les transactions financières sont presque exclusivement fondées sur l’interconnaissance personnelle qui implique en général que les sommes prêtées sont relativement peu élevées et que les transactions sont circonscrites géographiquement. Entre 69 et 170, la généralisation des garanties permet de ne plus se reposer seulement sur l’interconnaissance personnelle. Les garanties permettent de prêter des sommes plus importantes et de prêter à des gens auparavant perçus comme insuffisamment fiables, ainsi les femmes.
127Ces changements importants n’entraînent pas pour autant la disparition du crédit non garanti. Dans les villages du Fayoum, il est toujours majoritaire entre 69 et 170. Il faut répéter qu’un marché du crédit fonctionnant sur l’interconnaissance personnelle n’est pas archaïque en soi. Il a même ses avantages pour les prêts peu importants dans une communauté de taille réduite. Cependant, dans ces conditions, il est difficile d’aller au-delà de certaines sommes et il vaut mieux être bien intégré localement pour pouvoir emprunter. Dans les métropoles d’Oxyrhynchos et d’Hermoupolis en revanche, le crédit garanti est majoritaire. Ceci s’explique par deux raisons. Dans des métropoles peuplées de plusieurs dizaines de milliers d’habitants qui voient sans cesse arriver de nouveaux habitants, la population est moins stable et l’interconnaissance personnelle trouve ses limites, même au sein de chacune des couches sociales, même au sein de chacun des quartiers. La seconde raison est à chercher dans l’importance des sommes prêtées dans les métropoles. Plus les prêts sont importants, plus ils sont susceptibles d’être garantis. Mais le crédit garanti ne remplace pas le crédit non garanti, il le complète.
128Une question reste en suspens. Les garanties existent avant 69 mais elles sont très peu répandues. Pourquoi se généralisent-elles à partir de 69 au point de transformer en profondeur le marché du crédit de l’Égypte romaine ?
Notes de bas de page
1 En général, le HGV fournit 2765 textes pour la période 30 avant J.-C.-69 après J.-C. et 9883 pour la période 69-170. Les deux périodes durent toutes les deux un siècle. Plus on avance dans la période 69-170, plus le nombre de textes est important. On dispose de 4022 textes pour la période 69-119 tandis qu’on dispose de 5961 textes pour la période 120-170, soit 1,5 fois plus (HGV juin 2015).
2 Thomas 1983, Lewis 19972, Hagedorn 2007.
3 Bowman et Rathbone 1992.
4 Lerouxel 2016.
5 Straus 2004, p. 133.
6 Straus 2004, p. 296-299 (18 références pour la période comprise entre 69 et 170).
7 Nome oxyrhynchite, 219.
8 Il s’agit de la famille de Sarapion alias Apollonianus, voir chapitre 6 p. 328- 331 et Moioli 1987.
9 Trois en tout et pour tout dans le corpus constitué dans le cadre de cette étude : P. Oxy. I 14, P. Oxy. III 530 et P. Oxy. XLII 3060.
10 Straus 2004, p. 233.
11 Lerouxel 2012b.
12 Sur les raisons historiques possibles de cette différence entre crédit en numéraire et crédit en nature, voir Lerouxel 2015a.
13 Ce qui est tenté dans Foraboschi et Gara 1981.
14 Rien n’est spécifié dans P. Kron. 9, ni dans SB XIV 12023. Dans P. Fam. Tebt. 4, l’éditeur a lu l. 11 entokon avant chrêsin, mais cette lecture est probablement fausse, car, d’une part, il n’y a pas de parallèle dans les prêts en nature à Tebtynis, et, d’autre part, dans les autres localités, on trouve en général le mot entokon après le mot chrêsin, et non avant.
15 P. Kron. 12 et P. Kron. 13.
16 Foraboschi et Gara 1981, p. 336.
17 P. Tebt. II 388, P. Mert. III 110
18 Voir Lerouxel 2012b.
19 La moyenne des sommes d’argent dans les prêts mixtes est de 136 dr. tandis que la médiane est de 150 dr. Elles sont inférieures aux montants des prêts d’argent, comme on va le voir.
20 Ces chiffres sont même supérieurs à ceux, plus généraux, obtenus pour la période 69-170. Cela est dû à un très gros prêt de 6300 dr. Sans lui, la moyenne est de 921 dr., la médiane de 430 dr. (17 cas), ce qui ne modifie pas les conclusions.
21 Mois d’échéance des prêts d’argent uniquement, pour toute la période romaine dans mon corpus (30 avant J.-C.-275) Thoth : 16, Phaophi : 14, Hathyr : 11, Choiak : 9, Tybi : 11, Mecheir : 12, Phamenoth : 10, Pharmouthi : 8, Pachon : 7, Payni : 27, Epeiph : 16, Mesore : 28. La moyenne est de 14 prêts par mois (l’échéance est loin d’être présente dans tous les documents de mon corpus).
22 126 dr. pour le mois de Payni (18 cas avec somme), 375 dr. pour le mois de Mesore (12 cas avec somme). Le faible nombre de données pour les autres mois durant cette période ne permet pas de faire beaucoup d’autres calculs.
23 Wilfong 2002, p. 117-149.
24 Les sommes prêtées dans les O. Medin. HabuCopt. 50-66 peuvent être rapportées au prix du blé (voir O. Medin. HabuCopt., p. 5).
25 Voir O. Medin. HabuCopt. 50-66.
26 9 prêts d’argent : O. Claud. III 432 (12 dr.), O. Claud. III 492 (14 dr.), O. Claud. III 494 (2 dr.), O. Claud. III 494 (5 dr.?), O. Claud. III 540 (5 dr.), O. Claud. III 541 (4 dr.), O. Claud. III 572 (20 dr.), O. Claud. III 623 (40 dr.?), O. Claud. III 626 (4 dr.).
27 5 prêts en nature : O. Claud. III 456 (3 matia de blé), O. Claud. III 458 (6 matia de blé), O. Claud. III 466 (1 art. de blé), O. Claud. III 496 (1/2 art. de blé), O. Claud. III 582 (1 mation (de blé ?)). 10 matia font une artabe.
28 Les ostraca relatifs aux prêts d’argent sont très rares, on peut citer deux cas de Haute-Égypte : O. Brux. 13 (16 dr.) (136-137 ? 157-158 ? 180-181 ?), O. Bodl. II 1982 (20 dr.) (IIème-IIIème s.). Les sommes sont un peu plus élevées que dans les O. Claud. III mais elles restent inférieures aux sommes prêtées dans les papyrus.
29 Il s’agit du titre donné par P. T. Hoffman, G. Postel-Vinay et J.-L. Rosenthal à leur étude sur le crédit à Paris entre 1660 et 1870 (Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001). Sur l’intérêt à Paris sous l’Ancien Régime, voir p. 21 de cet ouvrage.
30 6 % : deux cas entre 69 et 170 : P. Oxy. III 506 (Oxyrhynchos, 143), un prêt de 1000 dr. pour deux ans et 9 mois, garanti par une hypothêkê (terre) ; P. Oxy. XXXVI 2774 (Oxyrhynchos, 129), un prêt de 1 talent et 1500 dr. pour un an.
8 % : un cas entre 69 et 170 : P. Stras. I 52 (Hermoupolis, 151), un prêt de 2000 dr. pour cinq ans, garanti par une hypothêkê (terre).
P. Oxy. VIII 1132 (Oxyrhynchos, ca. 162) pose problème. L’éditeur suivi par Kühnert 1965, p. 41 note 6, parle d’un taux de 24 % car il est question d’un taux de 2 dr. par mois. Je pense plutôt que l’intérêt est de 4 % (24 dr. par an pour un prêt de 600 dr.).
Il s’agit de prêts portant sur des sommes importantes, garantis par des terres, pour des durées longues. Une durée longue conjuguée à l’importance de la somme peut donc permettre au débiteur d’obtenir un taux plus avantageux. Mais ces prêts longs demeurent trop rares pour qu’on puisse dépasser le stade de l’hypothèse. De plus, on trouve également des prêts longs portant sur des sommes importantes comportant un taux de 12 %.
31 Sur entokon, voir Finckh 1962, p. 36.
32 Dans les résumés des prêts contenus dans les registres du grapheion de Tebtynis, on ne trouve aucune indication de taux d’intérêt, là aussi probablement parce que les notaires qui les ont rédigés considéraient cette information comme évidente pour tous.
33 Les rares éléments dont on dispose pour l’Italie sous le Haut-Empire semblent également plaider pour une grande stabilité de long terme, voir Andreau 2001, p. 182-183.
34 Hoffman, Postel-Vinay et Rosenthal 2001.
35 P. Dime 31 (Soknopaiou Nesos, 70) et PSI XIII 1319 (Soknopaiou Nesos, 76). Ce type de garantie disparaît donc très rapidement au début de la deuxième période.
36 BGU II 445 (Ptolemaïs Euergetis, 148/149). Le terme mesiteia n’est pas attesté à Oxyrhynchos. Il apparaît essentiellement dans le nome arsinoïte (et dans les nomes hermopolite, panopolite et hérakléopolite).
37 On ne peut bien sûr pas conclure qu’ils n’ont pas du tout existé avant 69. Mais on peut penser qu’ils étaient à ce point significativement plus rares qu’ils ne sont plus attestés, une fois soumis au processus de « sélection naturelle » de la conservation des papyrus.
38 Oxyrhynchos : moyenne : 1027 dr. ; médiane : 450 dr. (47 cas).
39 Tebtynis et Soknopaiou Nesos : moyenne : 577 dr. ; médiane : 240 dr. (81 cas).
40 21 femmes débitrices, 17 hommes débiteurs, 1 femme avec époux : 21/ (17+21+1).
41 8 femmes débitrices, 29 hommes débiteurs, 2 femmes avec époux : 8/ (8+29+2).
42 Sur les problèmes posés par le calcul de la durée des prêts, voir chapitre 1, p. 52-54.
43 Dans l’ônê en pistei, l’objet donné en garantie est presque toujours une maison.
44 Ma catégorie « maison » regroupe plusieurs choses : depuis une partie de maison, jusqu’à une maison, sa cour et les terrains vacants dépendants. Sur la maison et son vocabulaire dans les papyrus, voir Husson 1983.
45 Je suis ici Husson 1983, p. 307-308.
46 Straus 2004, p. 296-299. Si on calcule la moyenne et la médiane des prix certains d’esclaves donnés par J. Straus pour la période 69-170, on aboutit à une moyenne de 974 dr. et une médiane de 800 dr. (18 références), ce qui est inférieur aux chiffres obtenus pour les prêts garantis par de la terre, mais qui est supérieur aux chiffres généraux obtenus pour 69-170. Il est difficile de mener une véritable comparaison avec le prix des maisons, du moins pour celles qui garantissent des prêts, car il ne s’agit pas toujours de maisons « complètes ». Parfois, il ne s’agit que d’un tiers ou d’un quart de maison.
47 P. Tebt. II 389 est peut-être un troisième cas. Il mentionne selon la traduction de l’éditeur un hypallagma « on rights over a sum of money » (l. 16-18 : ἀκολούθως ᾗ πεποίηται Ταμύσθα κεφαλαίου δικαίου γραφείσῃ ὑπαλλαγῇ διὰ τῆς βιβλιοθήκης, « in accordance with a contract of mortgage which Tamystha has made on her rights over a sum of money, and which was drawn up through the record-office »). Le texte ne dit rien d’un éventuel lieu de conservation de la somme d’argent en question. Le texte pourrait éventuellement s’expliquer s’il s’agissait d’un dépôt bancaire bloqué, que le déposant n’est pas libre de retirer, parce que le dépôt lui assure des avantages, des intérêts par exemple (voir Andreau 1987a, p. 539).
48 P. Oxy. III 507 présente une autre particularité. Il s’agit du seul texte où le débiteur indique ce qu’il va faire avec l’argent qu’il emprunte. Cette anomalie est probablement due au fait que l’objet qu’il achète avec l’argent sert de garantie. Le HGV date ce texte de l’année 146, apparemment par erreur.
49 Du natron.
50 Du point de vue juridique, notamment sur les différences entre hypallagma et hypothêkê, voir Rupprecht 1995 et 1997, Alonso 2008 et 2010. On trouve un résumé commode de ces problèmes par H.-A. Rupprecht dans Keenan, Manning et Yiftach-Firanko éd. 2014, p. 249-265.
51 La mesiteia qui est attestée avant 69 de manière très faible, continue certes à l’être après cette date, mais encore plus faiblement qu’avant (un cas). On peut se demander pourquoi la généralisation des garanties précises ne s’est pas faite par le biais de la mesiteia. À priori, rien ne s’y opposait.
52 Voir chapitre 1.
53 P. Tebt. III 817 (Krokodilopolis, 182 avant J.-C.).
54 SB I 5285 (Panopolite, 607).
55 Le mot chrêsis apparaît pour la première fois dans un contrat de prêt du nome oxyrhynchite en 214 (P. Merton I 25). L’adjectif entokon n’y apparaît pas.
56 J’ai déjà traité de cette question dans Lerouxel 2006. À propos du recours à l’intermédiation passive des banques privées, j’ai écrit p. 52 que les femmes y recouraient davantage que les hommes entre 30 avant J.-C. et 284. Cela reste juste, mais ce n’est pas une très bonne périodisation. Entre 69 et 170, il n’y a pas de différence entre les femmes et les hommes de ce point de vue. Les femmes y ont recours dans 25 % des cas (13/52), les hommes dans 23 % des cas (29/126). La différence est due au fait que la banque intervient peu avant 69 à l’époque où les hommes sont très majoritaires parmi les débiteurs.
57 22 prêts garantis ajoutés aux 8 prêts non garantis et comportant seulement une clause d’exécution (praxis).
58 17 prêts garantis ajoutés aux 24 prêts non garantis et comportant seulement une clause d’exécution (praxis).
59 22 femmes créancières (10 G, 3 NG) ; 26 hommes créanciers (10 G ; 5 NG).
60 BL I, p. 428.
61 Tenger 1993
62 Straus 2004.
63 Tenger 1993, p. 140 et Straus 2004, p. 184.
64 B. Tenger classe les créanciers puis les débiteurs selon les catégories suivantes : l’élite impériale, les Alexandrins, les élites locales, les artisans, les soldats, les vétérans, les prêtres et les villageois. Toutes ces catégories ne se valent pas car on ne peut pas mettre sur le même pied les prêtres et les villageois, d’une part, ou l’élite impériale et les élites locales, d’autre part. Les deux catégories les plus importantes, mais les moins faciles à identifier avec certitude sont les villageois et les élites locales.
65 Les incertitudes sur l’assimilation à faire ou pas entre epikekrimenoi et habitants des métropoles pèsent beaucoup sur les conclusions (Straus 2004, p. 233).
66 « Dans la grande majorité des cas, les propriétaires (d’esclaves) font partie de milieux hellénisés ou romanisés quand il ne s’agit pas tout simplement de Romains ou de descendants des ‘Hellènes’ » (Straus 2004, p. 233).
67 Les contrats privés du nome d’Oxyrhynchos ne mentionnent pas l’âge et les signes physiques distinctifs. En revanche, ceux-ci sont présents dans les documents relatifs aux prêts publics de semences.
68 Pour Tebtynis, voir Gallazzi 1990. Ce groupe de papyrus correspond à un lieu où de nombreux documents, devenus inutiles, ont été jetés. On y trouve par exemple les dossiers de Laches, de Kronion ou de Pakebkis, ainsi que des textes littéraires. C. Gallazzi met en garde contre toutes les interprétations fondées sur la présence concomittante de ces textes (liens éventuels entre ces familles ; niveau culturel des familles). La proximité de ces textes est uniquement due au hasard.
69 Clarysse 2005a, p. 24.
70 Clarysse 2005a, p. 24. Oxyrhyncha est un village du nome arsinoïte, à ne pas confondre avec Oxyrhynchos, la métropole du nome oxyrhynchite.
71 Voir chapitre 3, p. 146-151.
72 Voir Bogaert 1995, p. 143 (numéro 25).
73 Tous les papyrus documentaires édités ne sont pas encore présents dans APIS, à la différence du HGV.
74 PSI X, p. VII.
75 Pour des remarques sur l’onomastique d’Oxyrhynchos et de Tebtynis, voir par exemple Bingen 1967 et Bingen 1969. L. C. Youtie a montré que chaque village mentionné dans les P. Petaus avait son profil onomastique (P. Petaus, p. 46-53). Plus récemment, voir Colin 2001.
76 Lorsqu’on travaille sur l’onomastique des villages du Fayoum, il faut se méfier de la masse représentée par les textes de Soknopaiou Nesos et de Tebtynis. Si un anthroponyme est très souvent attesté à Soknopaiou Nesos et pas à Tebtynis, on peut en conclure qu’il devait être peu fréquent à Tebtynis, mais il serait plus difficile de tirer cette conclusion pour des villages beaucoup moins documentés que Tebtynis.
77 Braunert 1964, p. 233-234.
78 Bowman et Rathbone 1992, p. 127 n. 107.
79 PSI X 1131 (41), entre Ptolemaïs Euergetis et Tebtynis, et P. Oxy. XXVII 2471 (50), entre Alexandrie et Oxyrhynchos.
80 À Oxyrhynchos entre 69 et 170, les transactions ouvertes représentent 10 % du total (7/67).
81 Dans Lerouxel 2008, j’ai fait l’hypothèse que la banque remplissait un rôle d’intermédiation financière passive sur les marchés du crédit égyptiens, c’est-à-dire qu’elle permet la rencontre entre offre et demande sur le marché, sans pour autant prêter elle-même les sommes qui lui ont été confiées en dépôt, ce qui constituerait de l’intermédiation financière active. La banque privée est donc, comme la bibliothèque des acquêts, une des institutions qui concourt au bon fonctionnement du marché du crédit.
82 20 cas où la banque intervient : moyenne de 902 dr., médiane de 524 dr. (15 cas) ; 23 cas où la banque n’intervient pas : moyenne de 891 dr., médiane de 390 dr. (18 cas).
83 Voir Melaerts 2000 et Derda 2006, p. 161-165.
84 Ces villages sont parfois décrits comme périphériques ou satellites de Tebtynis mais la documentation provient essentiellement de Tebtynis.
85 Hobson 1985 et Hobson 1986.
86 Hobson 1983b.
87 Hobson 1984b.
88 Il arrive que des transactions fassent intervenir des villages plus lointains. Ainsi dans P. Ryl. II 173a, le débiteur vient du village de Memphis dans la meris de Polemon ; dans P. Bingen 73, le débiteur est originaire de Thmounechei dans le nome hérakléopolite de l’autre côté du Bahr Yusuf.
89 Malgré Bogaert 1995.
90 Braunert 1964, p. 233.
91 Bingen 1975, p. 370.
92 Voir par exemple Gaulin et Menant 1998 à propos de l’endettement paysan dans l’Italie communale.
93 Ainsi D. Foraboschi écrit à propos des prêts contenus dans l’archive de Kronion à Tebtynis : « Ci troviamo, cioè, di fronte a una fase storica che tende alla concentrazione della proprietà fondiaria, ma, in quanto fase di transizione, la concentrazione non si realizza ancora attraverso l’esproprio completo dei mezzi di produzione (i terreni dei piccoli possidenti), ma attraverso la centralizzazione dei patrimoni monetari. Il prestito e l’usura, tipico parassita del modo di produzione fondato sulla piccola proprietà, centralizzano de facto e quasi occultamente il potere economico senza ancora modificare il modo di produzione storico e senza la sanzione giuridico-formale di questa realtà » (Foraboschi 1971=P. Kron., p. XXXII).
94 Bagnall 1993, p. 74 qui s’appuie notamment sur Keenan 1981.
95 Bagnall 1993 admet que la documentation est biaisée puisque les sources tardives sont essentiellement urbaines, à la différence des sources des deux premiers siècles. On peut se demander si le crédit interne villageois, notamment pour les petites transactions, disparaît complétement au IVème siècle.
96 Bagnall 1993, p. 318.
97 Sur les villes à l’époque ptolémaïque, voir Bingen 1975.
98 Voir aussi Braunert 1964, p. 233.
99 Jouguet 1911, Bowman et Rathbone 1992 et les doutes exprimés dans Jördens 1999.
100 Braunert 1964 contient beaucoup d’éléments utiles et Bingen 1975 fournit un cadre de réflexion global sur l’histoire de la ville en Égypte, principalement pour l’époque ptolémaïque mais également pour l’époque romaine. Voir également Alston 2002.
101 C’est l’hypothèse de Braunert 1964, p. 233.
102 Les banques privées dans les cités grecques (hors Égypte), depuis l’époque classique jusqu’à l’époque romaine, sont maintenant bien connues grâce aux travaux de R. Bogaert, tandis que J. Andreau a pour sa part étudié les métiers bancaires dans l’Occident romain (Bogaert 1966 et 1968, Andreau 1974 et 1987a). En revanche, il n’existe toujours pas à l’heure actuelle d’étude de synthèse comparable sur la banque privée en Égypte à l’époque romaine, ni d’ailleurs à l’époque ptolémaïque ou byzantine. R. Bogaert avait le projet, plus large, d’écrire une synthèse générale, embrassant tous les types de banques attestés dans la documentation papyrologique, mais il n’a pu mener à bien cette entreprise. Néanmoins, il a publié de nombreux articles sur tous les types de banques, publiques et privées principalement, portant sur des points précis (Bogaert 1994), ou rassemblant et classant la documentation papyrologique, période par période, et type de banque par type de banque de telle sorte que ces travaux constituent aujourd’hui le socle de toute étude sur les différents types de banques en Égypte ptolémaïque, romaine et byzantine (six longs articles dont la liste est donnée dans le dernier d’entre eux, Bogaert 2001, p. 279-280. Bogaert donne également dans ce même article, p. 280-288, la table des matières des trois articles les plus longs, parus dans Ancient Society. À cela, il faut ajouter un article sur les banques à Alexandrie (Bogaert 1992), non repris dans Bogaert 1994. Pour mon propos, les plus importants sont « Liste géographique des banques et des banquiers de l’Égypte romaine » (Bogaert 1995), « Les opérations de banque dans l’Égypte romaine » (Bogaert 2000a) et « Les documents bancaires de l’Égypte gréco-romaine et byzantine » (Bogaert 2001a).
103 Voir Lerouxel 2008 où j’ai étudié cette hypothèse.
104 En toute rigueur, il serait meilleur de rapporter le nombre de transactions ouvertes sur le nombre de transactions totales à partir de la date de la première transaction ouverte de la deuxième période, c’est-à-dire en 89, et non à partir de 69. Mais cela ne changerait quasiment rien au chiffre obtenu puisqu’on ne compte en tout et pour tout que quatre transactions dans les deux villages arsinoïtes entre 69 et 89.
105 60 prêts sur 67 entre 69 et 170, soit 90 %.
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