Introduction de la première partie
Texte intégral
Mon cher ami,
Si loin que vous soyez, vous avez le devoir de penser à la Russie. De grands événements s’y préparent. Je ne parle pas de la politique, qui, nulle part, ne compte. Je pense à la guerre entre l’évangile et le siècle, qui ne tardera pas à choisir la Russie pour champ de bataille, vous saurez bientôt pourquoi. De l’issue dépendra l’avenir religieux, et peut-être la destinée entière de bien des nations qui s’amusent des révolutions étrangères, comme si elles n’étaient pas contagieuses.
Joseph Wilbois, Revue catholique des Églises, 19061.
1En 1906, lorsque le jeune intellectuel catholique Joseph Wilbois envoie ses impressions de Russie à une revue française soucieuse des différentes Églises chrétiennes, il fait état d’une transformation politique et religieuse qui rend urgente l’appréhension catholique de la situation. Pourtant, à la veille de la révolution de 1905, la Russie apparaît comme une zone marginale pour le catholicisme. Les diocèses catholiques de rite oriental intégrés par l’Empire russe lors des partages de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle ont tous été supprimés et les fidèles sont – au moins extérieurement – passés à l’orthodoxie. Quant aux catholiques de rite latin, ils restent dans une situation délicate après la révolte polonaise de 1863.
2Cependant le dernier quart du XIXe siècle est marqué par un regain d’intérêt catholique pour ce pays. Si cet intérêt a de profondes racines intellectuelles, il est également le fruit d’une tension proprement religieuse de recherche de l’unité chrétienne par la prière et par le développement de missions. La détente diplomatique avec le gouvernement tsariste, ouverte par le pape Léon XIII et poursuivie par Pie X, constitue le versant romain de cette tension catholique vers la Russie.
3L’attrait pour cet espace a cependant de quoi surprendre, étant donné le manque de perspectives immédiates. En fait, certains « signes », comme les perspectives ouvertes par le philosophe Vladimir Sergeievič Soloviev (1853-1900), font apparaître ce pays comme un nouveau front missionnaire – original parce que déjà chrétien ‑ dans un contexte d’expansion mondiale du catholicisme. Les difficultés d’implantation expliquent le développement d’un imaginaire catholique sur l’« ouverture » de la Russie, qui prend parfois des accents messianiques. Deux cas de figures d’ouverture du pays sont alors évoqués : ou bien un changement religieux sous la forme d’une réunion de l’Église russe à Rome (le catholicisme deviendrait alors un rempart contre la révolution et une force de modernisation respectueuse des traditions, comme l’ébauchait le père Jean Gagarin en 1856 dans La Russie sera-t-elle catholique ?) ou bien un changement politique ouvrant la voie à des évolutions religieuses (dans ce cas, le catholicisme profiterait d’une révolution venant rompre le système autocratique et le principe de religion d’État, comme le pensait le fondateur des assomptionnistes2). Cette attente d’une « révolution russe », passant par des changements politiques et sociaux, contraste avec la culture réactionnaire élaborée à Rome depuis la Révolution française, rejetant absolument toute idée de « révolution », analysée comme une conséquence de la Réforme protestante et des idées modernes d’autonomie de l’individu et de la société par rapport à Dieu et à l’Église.
4Les événements de 1905, en modifiant les conditions d’existence du catholicisme en Russie (tolérance religieuse, conversions massives au catholicisme latin dans les provinces occidentales de l’Empire, prémices d’un catholicisme russe de rite oriental) ont un impact profond. En effet, si, d’une façon générale, la révolution de 1905 a souvent été « éclipsée » par la révolution de 1917 dans l’historiographie3, cette observation vaut aussi pour les études sur les relations entre le Saint-Siège et la Russie qui posent la plupart du temps la révolution de 1917 en point inaugural.
5Il importe donc de s’intéresser à cette période conduisant de 1905 à l’aube des révolutions de 1917. Après avoir présenté un état des lieux du catholicisme en Russie (chapitre premier), nous verrons comment le Saint-Siège tente de résoudre les problèmes des catholiques par la voie diplomatique (chapitre second). Enfin, dans le troisième chapitre, nous essaierons de mieux comprendre les ressorts de l’intérêt catholique pour la Russie et les formes revêtues par le dynamisme missionnaire pour cet espace.
Notes de bas de page
1 J. Wilbois, La mission de l’Église russe : lettres de Moscou, dans Revue catholique des Églises, 10.1906 (III-8), p. 459.
2 K. Rousselet, Le Père Emmanuel d’Alzon et la Russie, dans B. Holzer (éd.), Les Assomptionnistes et la Russie… cit., p. 63-82.
3 W. Berelowitch, Avant-propos, dans CMR, 2007 (48-2/3), p. 169-171.
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