1) Médiévalisme et tourisme nostalgique dans le Tristan le Voyageur de Marchangy
Texte intégral
1Chateaubriand invente une poétique du voyage et de l’écriture de l’histoire en convoquant deux figures majeures d’historiens voyageurs du Moyen Âge, Joinville et Froissart. Avec Chateaubriand, la narration viatique entrelace histoire collective, histoire individuelle et le savoir s’accointe au souvenir. À l’évidence, Chateaubriand a initié un vaste mouvement d’écriture romantique du voyage chez ses contemporains, comme Marchangy, et ses successeurs, Flaubert, Nerval, notamment. Le voyage dans le passé croise à la fois la visite de curiosités et d’antiquités et les retrouvailles de soi à soi. Dans le cas précis de Marchangy, son Tristan le Voyageur relève davantage d’une somme ethnologique sur le Moyen Âge, ses us et coutumes, son personnel romanesque et historique. Ce long récit confine souvent à une recréation fantasmée de siècles lointains, comme une Atlandide que Marchangy voudrait ressusciter. Il s’agit pour Marchangy de réenchanter le présent « vide de ses souvenirs » (formule de Michel Stanesco) et de rendre à la patrie sa mémoire.
2Marchangy (1782-1826) est l’auteur des deux sommes que sont la Gaule Poétique (1813-17) et Tristan le Voyageur (1825-26) ; il a souffert aux XX-XXIe siècles d’un traitement injuste : soit il est purement et simplement passé sous silence, soit il est présenté sous un jour peu amène, comme un esprit passéiste pour qui seule l’aristocratie serait porteuse d’avenir. Et pourtant cet auteur était apprécié au XIXe siècle, en témoigne le succès de librairie de sa Gaule Poétique ou encore le fait que Charles Nodier, en 1817 salue son écriture pittoresque et le rattache à l’école romantique. Seul Michel Stanesco (Stanesco 2007) s’est livré à une réhabilitation des écrits de Marchangy pour souligner comment à partir de sa narration poétique, se fait jour une véritable conscience historique qui lui était jusque-là déniée. Marchangy a joué un rôle clef dans cette redécouverte du Moyen Âge en mettant à la disposition de ses successeurs un réservoir d’images puisées dans toute la littérature médiévale, et plus particulièrement à Froissart dans son Tristan.
3Certes, le conservateur Marchangy ne connaît pas les premiers romantiques allemands et demeure très proche des érudits du siècle qui précède. A cet égard, Marchangy occupe une place transitoire entre l’érudition du XVIIIe siècle et l’éveil à un pré-romantisme. Ce voyage dans une bibliothèque qu’est à bien des égards le récit de voyage de Tristan en ce XIVe siècle délivre aussi une forme d’expérience de lectures, un itinéraire où se croisent Froissart et les sources historiques secondaires, les récits légendaires médiévaux, les travaux de La Curne et de Le Grand d’Aussy, en un récit qui confine souvent à une somme encyclopédique sur le Moyen Âge, ses us, ses coutumes, ses croyances, ses légendes, sa littérature, ses personnages fictifs ou réels.
4Le voyage dans le temps se décline ici sous la forme du voyage dans une bibliothèque, et Marchangy propose une immersion livresque dans un univers médiéval fait de collages, d’insertions, de montages parfois hétérogènes où le récit d’aventures s’entrelace aux digressions savantes sur les coutumes de telle région, les croyances, des traces de récits médiévaux, où les coutures demeurent souvent visibles. En tout cas ce long récit dont l’unité est sans doute plus problématique que celle du Mélyador, roman arthurien de Froissart, témoigne bien de l’intérêt des contemporains pour les Chroniques de Froissart car sa lecture ne peut être opérante que dès lors qu’il y a plaisir de la reconnaissance et des variations introduites. Marchangy nous convie ainsi à une visite guidée dans l’univers froissartien, même s’il s’en tient à quelques épisodes : guerre de succession bretonne, événements autour de Du Guesclin, la figure centrale du Bâtard de Mauléon, la scène du Bal des Ardents et enfin et surtout le voyage en Béarn qui n’occupe plus la place matricielle dans les Chroniques mais vient clore et parachever son travail de réécriture. La narration du Voyage en Béarn et de ses mystères figure comme le point d’orgue du récit, et signe l’achèvement de la construction de la fontaine de sapience, à un niveau double : le savoir recueilli par Tristan d’une part, mais aussi le livre encyclopédique que Marchangy a composé, d’autre part. Enfin, Marchangy invente une rencontre au sommet de son personnage, Tristan, avec Froissart qui interprète une pastourelle de sa jeunesse, accompagné à la guitare par le dernier représentant de poète-musicien qu’est Machaut devant Gaston Phébus ! Cette invention témoigne une fois encore de ce métissage de l’érudition et de la fiction, les deux s’accommodant bien et s’enrichissant pour donner une image, certes improbable, mais encore plus colorée d’un temps ancien et devenu presque légendaire et qui en tant que tel autorise les rencontres pour le moins insolites. Ce passé légendarisé ne va d’ailleurs pas sans évoquer le mélange des temps propre au récit nervalien.
5Par nombre d’aspects ce roman fleuve de Marchangy a ouvert la voie aux romans historiques en fabriquant un genre fait de pièces diverses et peut-être aussi en donnant à voir, par ses multiples longueurs et digressions savantes ou folkloriques, ce qu’un bon romancier de romans historiques doit peut-être éviter de faire. Au fond son Tristan le Voyageur ne doit pas être lu à l’aune des romans historiques de Scott ou Dumas. Il suppose un autre type d’accommodement.
Bibliographie
6Froissart, Chroniques
Froissart, Mélyador
Marchangy, La Gaule
Marchangy, Tristan
Stanesco 2007
Auteur
Université Bretagne Sud
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