Conclusion du livre second
Maintiens et abandons : le peuplement dans la vallée du Turano à l’orée du monde moderne
p. 453-456
Texte intégral
1Fruit d’une évolution pluriséculaire, la géographie de l’habitat dans la vallée du Turano avait acquis à la fin du xve siècle une physionomie qui ne changea plus jusqu’à nos jours. On ne s’étonnera pas de constater ici comme ailleurs l’ampleur des disparitions survenues avant le xvie siècle qui ont touché près de la moitié des sites médiévaux. Sur les quarante villages disséminés le long des deux versants de la vallée entre Carsoli et Rocca Sinibalda, dix-sept d’entre eux ont été rayés de la carte entre le xiie et le xve siècle. A l’exception de l’antique Carsioli, encore occupée au xie siècle, en partie du moins puisqu’un rameau de la famille comtale des Marses avait établi là sa résidence, après quoi seule la présence d’églises y est attestée, et de Mirandella, dont la formation n’est sans doute pas antérieure aux xiie-xiiie siècles, le noyau originel des quinze autres sites désertés avait été fondé entre la fin du xe et celle du xie siècle. Dans la vallée du Turano également, les abandons ont donc éliminé principalement des établissements formés au cours de la première vague de l’« incastellamento ». Il ne faudrait pas conclure pour autant à la fragilité du réseau qui se mit alors en place. Les trois quarts des villages de la vallée furent fondés entre le milieu du xe et celui du xiie siècle et la moitié d’entre eux a survécu aux crises diverses qui se sont succédé dans la région. Pendant cette période, au xiie siècle surtout, une première sélection n’en fit pas moins disparaître trois ou quatre sites sur la trentaine qui s’égrenaient alors dans la vallée. On comptait parmi eux un seul village véritable, ou du moins mentionné comme tel, Acqua Mezza dont la consistance nous échappe cependant en l’absence d’enquête archéologique spécifique ; abandonnés également, Castiglione et le castellum Totonis, Petra Galia peut-être, n’étaient en aucun cas des centres de peuplement mais des châteaux isolés autour desquels leurs propriétaires n’avaient pas voulu, ou pu, regrouper l’habitat dispersé dans leur voisinage. Si la raison principale des disparitions précoces réside sans doute dans l’inachèvement du processus de l’« incastellamento », les facteurs géopolitiques qui modifièrent de manière radicale l’histoire de la vallée au xiie siècle y jouèrent également un rôle qu’on ne saurait mésestimer. Le château de Castiglione, démantelé et incendié à plusieurs reprises avant sa destruction définitive survenue au plus tard dans les années 1150, illustre la violence qui a provoqué parfois la désertion. La conquête normande et l’établissement de la frontière du royaume de Sicile à travers la vallée n’y furent peut-être pas étrangers. Il ne faudrait pas noircir le tableau pour autant. Davantage que l’abandon de quelques sites restés mineurs, les fondations nouvelles et la croissance attendue des villages formés au cours de la période précédente définissent le second « incastellamento » au xiie et au xiiie siècle. Elles témoignent sans doute du maintien jusque là d’un habitat dispersé dans des exploitations isolées que les sources appelaient casali mais que l’enquête archéologique n’a pas reconnu encore sur le terrain. La formation d’habitats concentrés mais ouverts, qui ne représentaient auparavant qu’un phénomène marginal si l’on en juge par les mentions explicites que livrent les sources écrites à ce propos, occupa en revanche une part importante dans ce deuxième mouvement. La moitié des sites qui firent leur apparition à cette époque étaient des villae et le restèrent. D’autres, comme Collalto et Ricetto qui s’implantèrent entre la fin du xie et le xiie siècle, ne devinrent des castra que dans le courant du xiiie siècle. Aussi ne doit-on pas surestimer les conséquences directes de la situation politique créée au milieu du xiie siècle sur la structure de l’habitat, sauf à considérer que la concentration de la population sur des sites de sommité non fortifiés répondait à des nécessités de sécurité. On notera en ce sens que trois villae, Collegiove, San Lorenzo et Nespolo, s’établirent à proximité immédiate de la frontière du royaume de Sicile et ne firent l’objet d’aucune fortification particulière. Elles n’en traversèrent pas moins les difficultés bien réelles des derniers siècles du Moyen Âge qui culminèrent au xve siècle. Autre résultat attendu, c’est alors que survinrent les trois quarts des désertions villageoises. Phénomène complexe que nous n’avons fait qu’effleurer ici, la redistribution du peuplement à la fin du Moyen Âge s’explique par la convergence de divers facteurs. L’absence de sources appropriées interdit d’analyser l’évolution démographique des villages de la vallée et les raisons qui la sous-tendaient. En dépit de leur assise a priori plus faible, les villae ne furent pas les moins résistantes aux difficultés des temps puisque seules deux d’entre elles disparurent, la villa de Sant’Agnese et la villa du Cervia. C’est peut-être que la conjoncture démographique et économique ne suffit pas à rendre compte des désertions villageoises. La situation politique particulière de la vallée n’a pas été sans conséquences sur la redistribution du peuplement qui s’opéra au xive et au xve siècle. Celles-ci se matérialisèrent moins aux moments cruciaux des conflits qui opposèrent les puissances intéressées, papes, Angevins et Hohenstaufen, que de manière indirecte et dans la longue durée : le choix politique opposé des seigneurs de Collalto et de Montagliano lorsque la couronne de Sicile changea de dynastie fut sans doute l’une des causes, sinon la principale, du destin divergent que connurent les deux villages à partir de la seconde moitié du xiiie siècle. A quoi il faut ajouter les effets de la recomposition seigneuriale qui modifia l’organisation territoriale de la vallée au xive et au xve siècle. L’énergie que déployèrent plusieurs lignages baronniaux pour étendre l’aire de leur domination provoqua au bout du compte l’élimination des villages déjà affaiblis et enclavés dont l’étouffement, plutôt que la violence destructrice, paraît avoir été en quelque sorte programmé par les concurrents dès lors qu’ils n’avaient pu s’en emparer. Tel fut enfin le sort d’Offiano et de Montagliano.
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