Chapitre 8
Trouver la bonne distance. Comportements et pratiques des lieux
p. 351-402
Texte intégral
1Le plan régulateur de 1912 s’appuie sur une idéologie de la modernisation spontanée supposant l’affirmation d’une catégorie d’investisseurs et d’entrepreneurs. Les modèles dans lesquels puise Luigi Luiggi sont ceux d’une évolution urbaine européenne et américaine corrélée au triomphe d’une logique capitaliste. Le promoteur immobilier non seulement fournit les capitaux, mais est aussi le vecteur d’un nouveau mode de vie tourné vers la productivité. L’échec de cette première transformation et les évolutions de la société urbaine imposent donc de reconsidérer le lien entre le développement du bâti et les comportements sociaux, ne serait‑ce que parce que les interventions du gouvernorat ont leur logique, qui ne coïncide pas toujours ni avec les divers courants d’opinion de la société civile ni avec les enjeux liés à la propriété et à l’aménagement du territoire.
2L’historiographie s’est cependant dans le cas de Tripoli le plus souvent arrêtée au seuil de l’analyse des rapports entre les transformations du cadre urbain, en partant de l’aspect physique de la ville pour en déduire les évolutions des comportements1. Il s’agit ici d’étudier ceux‑ci dans une perspective avant tout politique, en les considérant comme l’expression de rapports de domination qui s’expriment parfois de façon inconsciente, et en les replaçant dans le problème plus large des modalités du contrôle de l’espace public. Il convient donc de voir comment l’organisation et la perception de l’espace sont sujettes à des rapports de force et à des négociations qui se déroulent à différents niveaux de la société coloniale, au‑delà de la seule action du gouvernorat. La question est d’autant plus complexe qu’elle met aux prises des temporalités et des perceptions hétérogènes, entre le temps heurté des événements et celui, plus long, plus insaisissable et plus confus des sentiments et des perceptions. L’intervention des autorités coloniales dans le champ de l’urbanisme est corollaire d’une progressive imposition d’un gouvernement des corps dans l’espace public, elle‑même commandée par les enjeux politiques de la colonisation.
I. L’acculturation, facteur d’une modernisation spontanée ?
I.1. Les vecteurs d’une nouvelle culture urbaine
I.1.1. La modernisation par l’union des élites
3Le plan de 1912 et ses variantes des années 1910‑1920 opposent moins le colon au colonisé que la modernité à une tradition urbaine dépassée. Ils ne s’opposent pas à la persistance d’une élite indigène, mais au contraire la réclament, sous condition de son acculturation. La répression et la méfiance qui succèdent à la révolte du 23 octobre 1911 n’empêchent pas l’idée d’une modernisation de la ville grâce à l’influence que les élites locales italiennes sont supposées exercer sur les formes de sociabilité et l’hygiène. Un rapport de février 1913, probablement rédigé par l’Office des affaires civiles, relève ainsi à propos des civils italiens que « l’infiltration nationale (sic), en remplaçant la population indigène dans les boutiques et les maisons, a en partie concouru à transformer les habitudes de la ville en matière d’hygiène »2. Il se félicite de la multiplication des manifestations d’une vie mondaine réunissant l’élite indigène la plus européanisée avec les meilleurs représentants de la bourgeoisie italienne. Ainsi, parmi la première :
Il ne manque pas de familles, parmi les principales de la ville, qui ouvrent leur salon avec une hospitalité européenne à nos compatriotes, de même qu’on ne peut manquer de voir des calèches et une population de dames au courant de la mode parisienne. Les diverses fêtes de bienfaisance sont toujours un succès de mondanité : le bal de la presse, cet hiver, la kermesse, la foire de bienfaisance, le concert Bassarini etc. L’intense ferveur de vivre est indubitable, et elle serait toujours plus large, multiforme et expansive, si les conditions, ou pour mieux dire les conditions générales, étaient réunies pour la perpétuer3.
4Cette occidentalisation par le haut a ses lieux, comme les fêtes de charité, les salons ou les réceptions que les gouverneurs offrent aux principaux notables de la ville pour les fêtes religieuses musulmanes ou à l’occasion de la visite d’un hôte de marque, notamment de la famille royale. Hors de ces manifestations, les signes extérieurs de la nouvelle sociabilité consacrent la valorisation d’espaces ouverts, amples, où il est possible de circuler en se montrant. Les calèches, les toilettes élégantes ne peuvent s’exhiber dans la vieille ville aux ruelles tortueuses et populeuses. Le rite de la promenade vespérale se développe le long des artères et les jardins des faubourgs, notamment de la rue Azizia. La famille Nahum, une des plus riches de la communauté juive de Tripoli, possède ainsi sa résidence principale dans la via Azizia, à proximité de la municipalité et de la forteresse. C’est là qu’elle organise les réceptions où elle accueille les notables de la ville, qu’ils soient juifs, musulmans ou italiens.
5L’adhésion à la culture européenne permet ainsi, jusqu’aux lois organiques de 1927 et l’institution d’une barrière juridique infranchissable entre la citoyenneté italienne et le statut de sujet colonial, une certaine perméabilité des appartenances, en fonction du statut social et de la culture affichée. De retour à Tripoli en 1919, un journaliste célèbre la famille Nahum comme étant désormais parfaitement italienne4. Halfalla Nahum, élu président de la Communauté israélite de Tripoli en 1915, peut se proclamer « italien » en 1921 dans les colonnes du journal local La Nuova Italia. La diffusion de la culture européenne s’impose comme une évidence, venant remplacer les rêves orientalisant des débuts, encore exprimés en 1912 par le député ex‑socialiste Podrecca, qui déclarait vouloir « se fondre avec les indigènes et en vivre immédiatement la vie, prenant leurs habitudes, leurs coutumes, pénétrant leurs besoins »5.
6Mais la mode des salons repose aussi sur l’exacerbation des différences culturelles et sociales entre une mince élite locale et le reste de la population, notamment de l’intérieur. Le quotidien Il Messaggero rapporte ainsi à la fois le succès du salon tenu par le directeur des Postes Giacomo Tedesco, où se retrouve aussi bien les Italiens que « la fine fleur de la population indigène, déjà attirée par la flamme nourricière de la civilisation italienne », et la fracture qui sépare cette dernière des couches les plus humbles de la population colonisée. Relatant la visite à Tripoli du député italien Païs Serra, le chroniqueur rapporte les propos de Nefesser Bey [Nâyef el‑Âssîr Bey], membre d’une des plus importantes familles de Tripoli, selon lesquels « les Arabes de l’intérieur sont encore comme des animaux… qui ne vivent qu’entre les ânes et les vaches ! Mais peu à peu nous les persuaderons ! »6. L’acculturation de certains notables locaux contribue sans ainsi doute autant à l’illusion d’une communauté des élites qu’à l’accentuation de différences sociales et culturelles entre les diverses catégories de la société tripolitaine. Or cette différenciation se fait elle‑même au prix parfois de la légitimité traditionnelle de ces notables. Halfalla Nahum, qui parle et écrit parfaitement l’italien et a été éduqué en grande partie à l’européenne, doit maintenir un subtil jeu d’équilibre entre cette culture et le respect le plus strict de la tradition juive tripolitaine, dans lequel il puise son autorité et sa fonction7. L’union des salons doit être redimensionnée par ce qu’implique, en termes d’exclusion symbolique, l’imposition d’une culture sans égard pour celle des élites indigènes. La voyageuse britannique Ethel Braun, qui assiste à un de ces « thés dansants », décrit ainsi la différence d’attitude entre les « sheykhs » et les participants italiens :
Ici les sheykhs étaient devenus les spectateurs curieux, pour la première fois de leur vie, du cérémonial social européen. Il était très amusant d’observer leurs visages alors qu’ils se tenaient en une longue ligne silencieuse et attentive, regardant la piste de danse. Ils goûtaient sans nul doute le spectacle, leurs yeux ne quittaient pas les danseurs, mais, comme de vrais Orientaux, ils ne donnèrent pas le moindre signe d’étonnement ou d’amusement, derrière un sourire de circonstance8.
7Les nouveaux lieux de la sociabilité sont de fait aussi ceux d’un déclassement des anciennes pratiques, qui consacre une autre manière de s’afficher.
8Dans ce jeu de symboles, les notables juifs de Tripoli se trouvent progressivement au centre de la célébration de cette communauté d’esprit idéale, du fait de leur plus grand degré d’acculturation supposé et de la proximité censée exister entre les cultures juive et chrétienne. Cette fonction éducatrice et unificatrice est particulièrement perceptible lors des mariages. C’est le cas le 8 février 1917, lors d’une union entre les familles Nahum et Bessis. La noce est l’occasion d’une grande fête dans le principal théâtre de la ville, le Politeama, sous le patronage du gouverneur Ameglio entouré des principaux officiers et fonctionnaires de la colonie. Le compte‑rendu enflammé qu’en fait le lendemain la Nuova Italia souligne notamment le rassemblement de « toutes les couches de la population de Tripoli, autorités, professions libérales, négociants, commerçants, employés, italiens, indigènes », et s’attarde sur la description des « toilettes très élégantes » alliées aux « très beaux barracans »9. En janvier 1921, à l’occasion du mariage entre Emilio Nahum et Yvette Nunes Vais, le ton du journal est pratiquement identique, mais la fermeture de cette sociabilité à la seule élite semble être achevée : la célébration est l’occasion pour les Nahum de recevoir dans leur maison de la via Azizia uniquement « les plus hauts fonctionnaires, les notabilités les plus considérables de Tripoli, les familles les plus distinguées »10. Il n’y a plus, ici, de place pour les employés ou les classes moyennes.
9Il est possible de suivre dans les années 1920, comme un fil rouge, la permanence de ces réceptions et ces unions. À partir de 1915 cependant, la fusion des élites n’est plus à même de servir au développement de la ville et à l’imposition du pouvoir colonial, non seulement parce que ces formes de sociabilité ne suffisent pas à constituer une base assez solide pour assurer la renaissance économique de la ville, mais aussi parce que la résistance libyenne entraîne une exacerbation des tensions entre Italiens et Libyens.
I.1.2. Haines et tensions. Le débordement du cadre
10C’est au sein de l’administration coloniale que se manifeste en premier, et le plus radicalement, la remise en cause d’une possible collusion d’intérêts entre élites colonisatrices et colonisées. Cette réorientation est d’abord due aux revers militaires et à la crainte de la révolte. Elle est réclamée autant par Rome que par les officiers. Devant l’avancée de la résistance arabe, le ministère des Colonies recommande dès octobre 1914 de se tenir prêt, « si la situation le commande, à proclamer l’état de siège à Tripoli et dans les régions menacées ». Dans ce cas, « à titre de mesure préventive d’ordre général », il sera nécessaire de considérer « tous les chefs (arabes) comme individuellement et collectivement responsables de la conservation de l’ordre »11. La logique de la punition collective ne doit épargner personne : au cours de l’été 1915 se multiplient les exactions contre les civils jusque dans les environs de Tripoli, effaçant toute distinction entre les élites et le reste de la population colonisée12.
11Ce bouleversement témoigne aussi de l’émergence d’une confusion des acteurs de la colonisation et de leur comportement, allant parfois à contre‑courant des options du gouvernorat. Le gouverneur Ameglio réclame ainsi en juillet 1915 « un changement de comportement des cadres civils et militaires de la Tripolitaine », se plaignant de ce que « la grande majorité des compatriotes » adopte « une attitude d’indifférence, d’arrogance et parfois de mépris envers la population indigène, qui ne peut pas ne pas influer négativement sur notre cause, et constitue une véritable contreprestation à l’action politique du gouvernement ». Par ailleurs, il exige que soit puni « quiconque, indigène ou étranger, se rendrait coupable d’offense aux institutions ». Les cas de vols, de viols et d’atteintes à la religion musulmane sont ainsi explicitement dénoncés par le gouverneur, qui s’engage personnellement à faire respecter les traditions religieuses par les soldats musulmans et les ascaris, revêtant de fait la fonction religieuse et morale traditionnelle du pouvoir en pays musulman13. La circulaire laisse entrevoir à quel point ces mesures sont sans effets aux niveaux subalternes et intermédiaires de l’administration italienne. La terreur et les exécutions massives sont d’abord le fait d’officiers qui, sur le terrain, peuvent agir en toute liberté. De même, la conduite des petits fonctionnaires et des rangs inférieurs de la police provoque dans la population « l’exaspération générée par des méthodes policières inopportunes ou incorrectes, au point de provoquer le sentiment de se trouver dans un cercle de suspicion aveugle de la part des Italiens, sans aucune garantie en face d’une accusation ou d’une arrestation, sur un simple doute ou une délation »14.
12Si l’on en croit le gouverneur Garioni, en 1918 encore une grande partie de la répression échappe au contrôle du gouvernement, au point qu’« en ville on parle de liquidations décrétées, avec des exécutions de notables contre lesquels il n’y avait aucune preuve. La suspicion, la méfiance, l’espionnage confié aux ennemis des intéressés avaient complètement isolé le gouvernement de Tripoli même »15. La population italienne n’est pas en reste dans ces débordements : en août 1915, l’Office politico‑militaire signale le développement de « la haine et de la peur de l’Arabe […] spécialement dans la ville de Tripoli et dans le Sahel » et déplore que « le fossé culturel, au lieu d’être comblé, se soit accentué, devenant un instrument de domination ». Aussi réclame‑t‑il l’autorisation de procéder à un « assainissement moral de la population européenne »16. La fusion des élites, et, au‑delà, la constitution d’une bourgeoisie urbaine mixte par le rapprochement des valeurs et des intérêts, ne suffit donc pas à garantir l’action du pouvoir colonial, lui‑même traversé d’oppositions. Ces multiples exactions, se plaint l’Office politico‑militaire, « réduisaient chaque jour à une minorité exiguë ou sans pouvoir le groupe de nos quelques partisans […] mêmes ceux qui s’étaient montrés fidèles, [étaient] délaissés par le gouvernement ou maltraités, parce que mal compris, [et] restaient à l’écart, peinés ou indifférents, ou bien tacitement hostiles »17. L’Office politico‑militaire tente encore le 15 août 1915 de relancer une forme de collaboration entre l’autorité coloniale et certains notables, demandant au ministère des Colonies : « la nomination d’une commission mixte (magistrats italiens et notables indigènes), […] concédant aux chefs les plus fiables, les plus respectés par la tradition et du fait de leur famille, les plus intelligents et les plus influents, une plus grande participation à l’action du gouvernement », observant que « la majorité des populations sédentaires, au moins dans la zone septentrionale, n’a d’autre désir que la paix et la justice et qu’elle a tout à perdre de l’état d’anarchie actuelle, et qu’elle reviendra rapidement vers nous, spécialement quand elle pourra constater les bénéfices issus du changement d’orientation du gouvernement »18.
13Cette idée d’une modification radicale du gouvernement par une association institutionnalisée des élites, enterrée pendant le conflit européen, ne ressurgit que lors des Statuts libyens de 1919. À la fin novembre 1918, le gouverneur Garioni ne peut ainsi que constater l’échec de la « politique des chefs » qui visait à se concilier les principaux notables :
À Tripoli, certains chefs parmi les plus en vue vivaient à l’écart, dans le cauchemar d’une surveillance qui blessait leur amour‑propre et leur prestige. Quelques notables, qui dans le passé avaient rendu d’utiles services, furent privés, par représailles, de tous les honneurs de leur charge et de leur traitement, uniquement parce qu’ils étaient restés liés à quelques chefs demeurés dans l’arrière‑pays […]. En 1912, les Arabes se méfiaient de nous parce qu’ils ne nous connaissaient pas. En 1918, ils se méfient en connaissance de cause19.
14À partir de la fin de la Première Guerre mondiale et du développement du mouvement sioniste, la population juive de Tripoli est également suspectée de ne plus constituer un soutien fiable. La peur de l’insurrection est telle que le régent du gouvernement, le général Baccari, n’hésite pas à envisager en 1921 une alliance des sionistes avec les nationalistes arabes dans le cadre d’un soulèvement de la population de Tripoli20. Cette crainte accentue le fossé entre ceux qui devaient, dans l’optique du gouvernorat, constituer des alliés « naturels » et l’ensemble des Italiens présents dans la colonie.
15L’exacerbation de ces peurs dans les couches intermédiaires de la société coloniale favorise à partir de 1915 la violence et la suspicion. Le phénomène n’est pas nouveau, et coexiste depuis les premiers instants de la colonisation avec l’idéal de la fusion des populations sous la bannière de la culture occidentale. Mais il prend désormais un relief particulier, qui contraint le gouvernorat à intervenir pour en limiter autant que possible les effets les plus dangereux pour la stabilité politique de la colonie. Les premières critiques sur le manque de signes évidents de soumission de la part des colonisés datent en effet de 191121. Cottini, en 1913, dénonce ainsi ce qu’il considère comme une intolérable résistance passive de la population autochtone :
Sur les places, sur les marchés, dans les rues les plus fréquentées de la ville, jamais un geste de respect rendu à l’un de nos compatriotes, même s’il s’agit d’un officier supérieur ou d’un général de l’armée ou de la marine, personne qui ne se déplace au passage de votre cheval, même si vous vous évertuez à crier barra et balech ; certains commentaires que vous ne comprenez pas, mais dont vous devinez facilement le sens à l’expression du visage, des gestes menaçants et insolents, pour avoir refusé de payer au quintuple de sa valeur une broutille quelconque ; et, enfin, quelques tentatives de désobéissance aux représentants mêmes de la loi, comme les carabiniers, les agents de police et les zaptiè, pourtant du même sang qu’eux : voici les nombreux indices de l’habituelle insubordination, de l’absence de retenue de ces gens chez à qui nous sommes venus octroyer le bénéfice de la plus lumineuse des civilisations, mais dont nous pouvons prétendre obtenir la soumission et la dévotion. Ceux qui sont là depuis longtemps mettent cette insolence sur le compte du trop grand humanisme des fonctionnaires italiens22.
16Selon les services de la police politique, les plaintes des indigènes sont essentiellement tournées « contre le comportement pas toujours correct de citoyens italiens » appartenant « aux couches les plus basses »23. La communion des salons laisserait place dans l’espace public aux réactions plus brutales de catégories dont la position sociale reste mal assurée et qui trouvent dans cette violence un moyen de compenser une situation économique et politique précaire, à l’instar de ce que nous avons pu constater pour les logements en 1924. Ces tensions mettent en lumière, plus généralement, la difficulté pour l’autorité de concilier l’idée d’un consensus des élites et le fait que le « prestige de la Mère Patrie » souffre du fait que « beaucoup des nôtres s’avilissent dans les métiers les plus humbles, faisant preuve devant les Arabes d’un manque de dignité déplorable »24.
17À la différence de ce qui se produira en 1924 dans le cas des logements, la montée des antagonismes en 1915 ne parvient pas à être maîtrisée par le pouvoir colonial, dont la légitimité se trouve dès lors menacée. Pour les autorités, la priorité est d’éviter l’insurrection de la population indigène en la rassurant sur l’objectivité de la justice coloniale. Celle‑ci doit réprimer les déviances des Italiens « qui n’ont pas voulu comprendre combien, dans la colonie, il était nécessaire de faire preuve de la correction la plus scrupuleuse dans les rapports avec les indigènes, pour affirmer envers eux la supériorité de notre race »25. L’imposition de règles de comportement à la population italienne doit, par ricochet, renforcer le prestige du gouvernement aux yeux des colonisés.
18L’état de guerre décrété en 1915, avec son cortège de lois d’exception, donne la possibilité de mettre un terme aux abus les plus apparents. La surveillance passe en particulier par la répression des comportements les plus choquants, notamment pour les sentiments religieux des colonisés. Le gouvernement interdit l’attribution de noms musulmans aux chiens, l’entrée des mosquées aux Italiens et l’ouverture de restaurants et de cafés dans les environs immédiats des mosquées26. Ameglio fait fermer le cabaret‑théâtre Politeama, situé dans le Suk el‑Turk au cœur de la médina, et interdit la venue à Tripoli de troupes d’artistes, n’autorisant que les manifestations de bienfaisance27. En l’absence de transformation de la forme de la ville, c’est la valeur des lieux et des gestes qui se trouve progressivement modifiée.
I.2. La genèse des interdits
I.2.1. Cafés, théâtres, plages et lieux de sociabilité
19Revenant en 1923 sur le rapport qu’il avait rédigé dix ans plus tôt, l’ingénieur Coletti souligne combien sa critique des erreurs italiennes de 1913 reste d’actualité. Rappelant que « la politique coloniale est faite, sur place, non seulement par les autorités, mais aussi par tous les compatriotes qui se trouvent dans la colonie », il constate que :
Ceci l’est surtout quand la conquête est très récente, voire inachevée. En Tripolitaine les qualités et les façons de se conduire de nos immigrés servirent aux Arabes, fins observateurs et malicieux comme ils sont, pour nous juger et établir entre eux la meilleure manière de se comporter avec nous. Et de ce fait, j’eus à déplorer, et avec moi de nombreux Italiens, entre autres deux erreurs grossières : l’autorisation de faire venir dans la colonie des personnes sans qualités et de morale équivoque […] ; et l’autorisation concédée à je ne sais quelle entreprise d’ouvrir un café‑concert particulièrement obscène, avec des exhibitions en tout genre, inadaptées à l’élévation du prestige de nos femmes et de la morale de notre pays auprès des Arabes. […] Aux observations que je fis à ce propos à quelques personnes ayant une responsabilité publique, on me fit la réponse suivante : « mais nous avons fait ouvrir le café‑concert surtout pour divertir un peu nos officiers ». Il n’est pas besoin d’avoir les scrupules moraux d’un quaker pour répliquer qu’avec une telle défense la cause ne faisait que s’aggraver28.
20En 1923, ce texte ne peut cependant plus être lu comme en 1913. La première publication contenait l’espoir d’une correction, la seconde témoigne d’un échec. La croissance rapide de la population italienne était vue dans les premières années comme un facteur de pénétration culturelle et pacifique, symétrique, en termes de sociabilité et de comportements, au libre jeu du marché, devant amener les colonisés à embrasser le mode de vie du peuple colonisateur. L’installation de commerces, de cafés, d’hôtels tenus par des Italiens était saluée comme un phénomène positif devant concourir à l’amélioration du cadre urbain, et plus particulièrement à son adaptation aux goûts et aux loisirs des nouveaux venus29. Ces espaces de loisirs et de rencontre européens restent cependant longtemps limités, si bien que la dénonciation de la monotonie de la vie est un cliché des descriptions de Tripoli des années 191030.
21La multiplication des lieux de sociabilité pose le problème de leur contrôle et des conséquences éventuelles sur la population locale. La question se pose d’abord en termes de bonnes mœurs. Coletti s’inquiète dès 1913 de l’augmentation de l’ivresse publique chez les Arabes. Il note ainsi que « les beuveries de lagbi sont fréquentes. Des premiers tests, il s’avère que nos liqueurs ne leur déplaisent pas non plus, malgré l’interdit religieux. Déjà on en voit les effets dans les rues de Tripoli »31. Mais c’est surtout la peur du complot qui conduit l’autorité à accentuer la surveillance sur les cafés, notamment ceux de la vieille ville (cf. chapitre II), tandis que s’exerce une forte censure sur les cafés européens. La fin du régime d’exception militaire, qui justifiait ces interdictions, et la croissance du nombre de nouveaux cafés au cours des années 1920 nécessitent donc de repenser leur place dans la ville. Les cafés restent cependant vus comme des lieux de débauche, notamment de la troupe, à tel point que le gouverneur Mercatelli écrit ainsi en mai 1921 en guise de justification à l’expédition de Bir Ganem [Bîr Ghânem] qu’il s’agissait :
D’entraîner les troupes, de tirer les officiers hors des cafés et des autres lieux de rencontre diurnes et nocturnes et de voir ce qu’ils valent au commandement, et de retirer les troupes des campements, où elles perdent toute vigueur et toute agilité […]. [Les soldats] se promènent en voiture, mangent dans les restaurants où ils dépensent ce qu’ils ont et contractent des dettes pour le reste, remplissent les théâtres et les cinématographes de jour comme le soir. Une inspection à l’improviste faite par le commandant des troupes a dénombré il y a quelques heures 160 soldats hors de leurs quartiers sans permission régulière32.
22C’est toutefois la possibilité qu’ils deviennent des lieux d’agitation politique qui inquiète le plus. À partir du printemps 1922, Volpi fait exercer une pression plus forte sur les cafés, au besoin par l’utilisation de la presse33, avant d’interdire toute propagation « d’informations non conformes à la vérité sur les questions d’ordre public et sur les événements ou les faits d’intérêt public »34.
23Parallèlement à ce contrôle, l’affirmation de différences sociales au sein de la population italienne contribue à la codification d’un mode de vie plus bourgeois, qui cherche à se différencier des divertissements de caserne et des cabarets des premiers temps. Ces normes de sociabilité s’appuient notamment sur la célébration d’une architecture traduisant immédiatement la distinction : le critère d’élégance y prend une place privilégiée35. Le raffinement de l’architecture et de la décoration fait du Cercle de l’aviron (Circolo dei canottieri), installé en août 1923 dans les anciens locaux du tribunal militaire, « le lieu le plus grand et le plus élégant que compte la Tripoli moderne naissante »36. Le gouvernorat, par le contrôle qu’il exerce à partir de Volpi sur l’aspect des bâtiments, contribue de même à l’imposition d’une esthétique de la distinction propre à la colonie. Le théâtre Miramare, dont la construction fait partie d’un projet d’embellissement dirigé par le gouverneur, est ainsi transformé en octobre 1923 en un « grandiose café d’hiver » doté d’un orchestre et de spectacles de variétés. « L’objectif […] est d’en faire un lieu qui plaise aux familles ». L’apparence se conjugue à la modicité de ses prix et à la qualité morale des spectacles qui y sont offerts pour célébrer le bon goût et le refus de l’ostentation tapageuse37. Le comportement tacitement induit par l’aspect des lieux et les activités proposées limitent spontanément la clientèle à ceux qui en maîtrisent suffisamment les normes. L’Avvenire di Tripoli note ainsi en 1929 que le Miramare attire l’enthousiasme « des plus cultivés et des plus fortunés » des indigènes. C’est là cependant le seul indice de la mixité de la clientèle.
24La valeur sociale attribuée à l’esthétique et aux divertissements s’accompagne de la redistribution des lieux de sociabilité. En 1922, le Gran Caffè Italia est encore situé Suk el‑Muscir, dans la médina, à l’instar du Politeama dans le Suk el‑Turk. Par la suite, de tels cafés se trouvent au contraire dans la zone de prestige de la ville nouvelle, à proximité de la forteresse, sur les grands axes ou sur le front de mer. Inversement, la vieille ville subit un processus de marginalisation, concentrant une sociabilité populaire et indigène désormais refoulée ailleurs. En 1919, La Nuova Italia décrit ainsi « les nombreuses tavernes de la Hara Sghira, qui recueillent chaque soir une nombreuse foule d’indigènes du petit peuple, lesquels s’enivrent puis se mettent à crier et à se battre, dérangeant les passants pacifiques et le voisinage tranquille »38. À partir du début des années 1920, les cafés arabes sont régulièrement dénoncés dans la presse locale comme des lieux dangereux ou peu recommandables, notamment en dehors de la vieille ville39.
25Le déplacement des cafés et des lieux de sociabilité va de pair avec le développement de nouveaux loisirs dans la périphérie de la ville, c'est‑à‑dire dans des espaces où la culture du colonisateur peut s’exprimer plus aisément. Le sport prend notamment à partir de 1922‑1923 une dimension nouvelle. Celle‑ci est due d’abord à l’initiative privée, le premier stade étant construit par la société Rodino e Salinos40. À partir de 1923, l’action du gouvernorat entraîne la multiplication des manifestations sportives. Contrairement aux associations sportives tournées vers une pratique populaire ou, du moins, vers les classes moyennes (comme pour l’aviron ou la gymnastique), le sport promu par le pouvoir colonial revêt dans un premier temps une forme d’élitisme. Le bulletin d’information que le gouvernorat adresse au ministère des Colonies en avril 1924 énumère ainsi « les courses hippiques […] qui dénotent le début d’un excellent programme pour l’amélioration de la race équine en Tripolitaine », « le tournoi d’escrime, auquel participent les meilleures lames d’Italie », et « la course automobile, qui, outre la participation de voitures des meilleures marques d’Italie et de France, a l’avantage d’être inaugurée sur le réseau de routes récemment construites » : toutes activités supposant une éducation particulière et des moyens abondants, où le commun de la population est réduit, au mieux, au rôle de spectateur, et qui expriment le pouvoir technique et scientifique de la société colonisatrice41.
26L’exemple le plus achevé de l’évolution de la valeur sociale des différents espaces par les usages qui leur sont associés peut être trouvé dans la pratique des bains de mer, inconnue ou peu prisée par les musulmans avant la colonisation42. La fin de la Première Guerre mondiale marque l’épanouissement de ce loisir, ce qui se traduit par la multiplication des baraques et des tentes de plage. Cabanons et commerces de fortune fleurissent sur le littoral, au point de former ce que La Nuova Italia appelle en juillet 1921, par opposition à la Tripoli du plan régulateur, « la ville libre de Baraccopoli », la cité des baraques.43. La description que fait le journal quelques jours plus tard de « la libre municipalité de cette ville franche de bois et de toile », située entre le fort ouest et le vieux cimetière du littoral occidental, témoigne de la volonté de régulation d’un phénomène qui a déjà profondément modifié à la fois l’aspect et la valeur sociale de la plage.
L’activité privée de la colonie balnéaire a réussi à transformer une plage déserte en une joyeuse cité balnéaire. La municipalité a bien fait quelque chose pour ce qui concerne les routes d’accès, l’éclairage, etc., mais cela ne suffit pas, il est temps de dépasser le provisoire et de faire quelque chose de concret, qui reste, et qui puisse donner une bonne fois pour toute de l’ordre à cette plage abandonnée, et surtout à la gracieuse colline qui la surplombe, où à présent personne n’ose passer, sinon en hâtant le pas, de crainte d’une insolation44.
27Le développement de la pratique au cours des années suivantes suscite l’apparition de nouvelles divisions destinées à maintenir les signes d’une hiérarchie sociale45. Le réinvestissement des bains de mer par les classes supérieures de la société italienne se fait en particulier par le biais des concessions de permis pour l’installation de ces cabanes, instaurées par la capitainerie du port à partir de l’été 1922. Le contrôle des concessions donne lieu à de multiples polémiques, la capitainerie étant accusée de favoriser certaines familles aisées, là où l’absence de règles établies et la débrouillardise pouvaient profiter auparavant à d’autres milieux sociaux46.
28Au‑delà des concessions, la généralisation des bains de mer provoque l’accentuation de distinctions spatiales en fonction du public concerné. Les catégories les plus aisées se retrouvent à part, sur la plage dite « des Dirigeables », située plus au sud, entraînant par contrecoup une forme de déclassement de la Baraccopoli à partir de 1922. Un lecteur de La Nuova Italia se plaint ainsi du « chaos de Baraccopoli […], où se trouvent tous les gens modestes, alors qu’aux Dirigeables il y a toutes les huiles de la soi‑disant élite citadine ». Le propos révèle en réalité moins un reproche envers ces élites que la crainte de la confusion dans un espace désormais aussi investi par les couches les plus pauvres de la population indigène et italienne. Le même lecteur demande ainsi « moins de partialité et moins de privilèges. Et surtout plus de propreté, et ne pas permettre que tous ces gens des quartiers excentriques de la vieille ville viennent porter toute leur crasse à Baraccopoli »47. Le terme même de « quartiers excentriques » pour qualifier la vieille ville illustre l’inversion de la notion de centre, dont l’acception géographique est désormais concurrencée par sa perception sociale négative. Or c’est justement parce que la pratique des bains de mer se propage dans la population libyenne que les usagers européens se sentent tenus de préciser ce qui est tolérable ou non en matière de comportements. Certains lecteurs de La Nuova Italia se plaignent ainsi des « Arabes qui viennent se baigner en tenue d’Adam à la plage des Caramanli, où une trentaine de familles ont implanté […] leurs baraques »48.
29Le contrôle des pouvoirs publics converge ainsi avec le désir de distinction des baigneurs italiens pour aboutir, à la fin de la décennie, à une organisation et un contrôle plus sévère des lieux de baignade. En 1929 la plage du Belvédère, la plus proche du centre‑ville, et donc la plus facilement accessible aux habitants de la médina et des anciens faubourgs ottomans, est fermée à la fréquentation du public sous prétexte de la salubrité publique. La pratique de la baignade s’est par contre étendue à l’est, à proximité des quartiers mixtes de la Dahra et de Zauia ed‑Dahmani, sur la plage des Caramanli. Celle‑ci est toutefois contrôlée par la capitainerie pour empêcher tout accaparement anarchique. La plage, désormais, « aligne plusieurs centaines de baraques sur une certaine longueur, en trois rangées »49.
30Ce contrôle entraîne la hausse de la valeur foncière des terrains littoraux, qui se traduit par une vive spéculation sur les surfaces constructibles proches des plages. La côte occidentale de Tripoli se transforme en quartier pavillonnaire permanent, doublé en été de baraques et baptisé Giorgimpopoli, du nom du propriétaire des lieux50. La pratique des bains de mer, du simple loisir avec son cortège d’installations provisoires au début des années 1920, est devenue en dix ans une activité régulée tant par la surveillance des pouvoirs publics que par la constitution d’un marché immobilier spécifique. Celui‑ci entraîne l’extension de la ville vers Gargaresch, le long du rivage, où les familles aisées peuvent se retrouver dans les pavillons et les bungalows du bord de mer, à l’abri de la cohue des plages. Il n’y a presque plus de place, désormais, pour le petit peuple des quartiers pauvres.
I.2.2. La sexualisation de l’espace urbain
31L’encadrement des relations entre les hommes et les femmes, et, plus spécifiquement, les comportements sexuels entre les Italiens et colonisés constituent un des enjeux majeurs du contrôle des comportements et de la différenciation des espaces. Dès avant le débarquement d’octobre 1911, la perception de Tripoli par les Italiens tient largement du fantasme, sa possession s’apparentant à celle de ses femmes, avec la conviction que la sauvagerie de la ville et de ses habitants autorise ce que la métropole ne saurait tolérer51. Le désir des corps compose avec la volonté de ségrégation, le viol voisine avec le désir de séduire et de plaire. Bevione, si critique qu’il soit envers la population, reste imprégné de l’imagerie d’un Orient langoureux où les sens s’exacerbent. La dissymétrie des rapports se traduit par le cliché de la femme arabe se dévoilant volontairement devant le colon. Dans ce jeu de stéréotypes qui occultent la brutalité de la domination coloniale sous des termes d’apparente galanterie et de badinage, l’Italien, par la fascination qu’il est censé exercer, est supposé modifier les comportements publics, libérant notamment les femmes en leur permettant de s’exhiber52.
32La structure même de la ville est lue en des termes similaires. Le mystère des ruelles et les murs aveugles des maisons arabes servent de support à cette érotisation, tout comme l’exotisme du village bédouin53. Il y a là sans doute plus qu’un simple fantasme de possession et de domination : c’est l’idée même que la présence italienne révèle une beauté enfouie ou cachée par la décadence et la pauvreté qui s’exprime à travers ces descriptions. Le plus souvent cependant, les Italiens ne voient même pas les femmes, entièrement voilées et dont les déplacements dans l’espace public restent limités54. Le dévoilement passe surtout par la photographie, sous couvert de curiosité anthropologique ou d’objectivité scientifique55.
33C’est en réalité, et plus crûment, par des viols et la prostitution que se manifeste l’irruption d’une sexualité coloniale, malgré les ordres du commandement56. La présence de l’armée fait fleurir la prostitution dans l’espace public, quand elle était auparavant cachée57. Elle prend une telle ampleur que le gouvernement militaire tente de la canaliser, ne serait‑ce que pour faire face à « l’impressionnante diffusion des maladies vénériennes, pour défendre la troupe et les civils »58. Les premières mesures visent le regroupement des prostituées dans un seul quartier. Le docteur Salerno, en 1922, signale ainsi que « dans les premiers temps de notre occupation, les maisons de tolérance étaient au nombre de 24, toutes situées, à l’exception de deux, dans les zenghet Bu Ras et Sidi Omran », c’est‑à‑dire au sud de la médina, au contact de la partie la plus pauvre de la vieille ville et des baraquements militaires. La masse des soldats en fait une industrie florissante. Ainsi :
Ces rues étroites étaient continuellement encombrées de soldats impatients de trouver une femme disponible, et celui qui avait l’occasion de passer dans ces rues se rappelle certainement que les familles qui y habitaient se pressèrent d’écrire sur la porte de leur maison, en gros caractères, « Maison honnête », pour ne pas avoir à subir l’invasion de ces gens. Ce qui n’exclut pas que dans certaines de ces « maisons honnêtes », habitées en grande partie par des Juifs, était exercée la prostitution clandestine, et l’enseigne sur la porte ne servait qu’à faire payer plus cher les clients59.
34Le général Bricola ordonne en conséquence le 1er juin 1912 de construire en plus « quatre maisons de tolérance : deux pour les hommes de troupe, une pour les officiers et la quatrième pour les indigènes »60. Dans le même temps, la répression contre la libre circulation des prostituées s’accentue. Celles‑ci ne peuvent circuler le visage découvert, « qu’elles soient à pied ou en voiture ». Le règlement de police, importé de la métropole, impose l’inscription de la prostituée auprès de la préfecture. Elles doivent signaler la maison où elles exercent, et leur patronne s’engager à ne pas permettre « qu’elles puissent s’éloigner, ou que soient admises celles qui ne sont pas présentées à l’administration de la sécurité publique ». L’identification s’accompagne de leur réclusion. Les prostituées ne peuvent stationner sur le seuil de la porte, qui doit rester fermée en permanence, de même que les fenêtres donnant sur la rue. Tout contact avec des mineurs ou avec des personnes infectées de maladies vénériennes est interdit. Elles ne peuvent se rendre dans les spectacles et dans les réunions publiques, dans les cafés, dans les auberges et dans les restaurants. Le déplacement quotidien pour la visite médicale obligatoire doit se faire en empruntant « l’itinéraire le plus court, qui sera désigné par l’autorité de police, jusqu’au service des maladies vénériennes ». Elles ne peuvent sortir après la tombée de la nuit, et les maisons doivent être fermées à 22 heures d’octobre à mars et à 23 heures d’avril à septembre61.
35Parallèlement, la surveillance sanitaire est renforcée, en particulier sur la salubrité des maisons closes, jugées « dangereuses, sales, obscures, puantes »62. À la fin 1913, l’Office technique municipal ordonne ainsi la démolition partielle ou totale de la majorité de ces maisons et leur reconstruction selon des normes d’hygiène plus stricte. Leur nombre se stabilise par la suite autour de 20, « dont une dizaine arabes, les autres étant occupées par des Françaises et des Juives », toujours dans le même quartier63. L’ouverture de nouvelles maisons est en outre limitée par le refus de l’Office sanitaire municipal et de la police d’en augmenter le nombre, « considérant qu’elles suffisaient au besoin de la population »64.
36Derrière les règlements, on perçoit cependant une prostitution bien plus diffuse, exercée chez les privés et dans les cafés, notamment le Kursaal, camouflée par les spectacles de danse et de cabaret65. Une grande partie de l’ouvrage du docteur Salerno sur la prostitution à Tripoli défend ainsi l’idée d’une plus grande tolérance des autorités sur les maisons closes, « pour ne pas laisser place à une prostitution plus dangereuse encore, celle libre, exercée sans aucun contrôle : tous les jours augmente le contingent des femmes qui tiennent boutique de ces plaisirs du vice, évitant toute surveillance par la liberté de leurs manières ». L’accentuation des règlements et l’imposition d’une taxe pour financer la vigilance sanitaire conduiraient en effet de nombreuses filles à la clandestinité66. C’est même parmi elles, qui le plus souvent « ne peuvent s’inscrire dans les maisons de tolérance du fait de leur âge tendre ou des liens du mariage » que se trouvent selon lui les plus belles67.
37Mais s’affirme aussi une plus grande sensibilité envers l’image de la puissance colonisatrice sur la population. Le cliché complaisant de la joyeuse virilité de la soldatesque commence à céder le pas à l’inquiétude provoquée par l’expansion d’un phénomène qui menace le prestige du pouvoir. En juillet 1914, le ministère des Colonies demande ainsi :
S’il est vrai qu’à Tripoli, d’après ce qu’on affirme, il est toléré que les prostituées aillent en voiture découverte, que des femmes et des filles de familles honorables exercent la prostitution en ville, que des filles arabes vivent avec des officiers comme madame, que des enfants, filles et garçons, aillent par les rues et dans les maisons pour offrir leurs faveurs sous prétexte de demander l’aumône ou de vendre quelques menus produits, on ne pourrait donner tort à l’esprit musulman d’un sentiment de mépris qui, au contraire, lui ferait honneur68.
38Le ministère réclame en conséquence une réglementation inspirée du modèle tunisien69. Encore n’est‑elle émise qu’en juin 191670. Un an plus tôt, le notable de Tripoli Ahmed Muzafer, inspecteur des écoles musulmanes, avait pourtant signalé les risques de mécontentement dus à « la diffusion de ce vice à cause de certains Italiens et de certains Juifs, à tel point qu’une grande partie des filles pauvres, orphelines et abandonnées en sont victimes » :
L’autorité, sans se préoccuper de cette grave question, accorde indistinctement l’autorisation à toutes les filles qui veulent se donner à cette vie d’ignominie et de déshonneur, même quand elles ont moins de 15 ans. Nombreuses sont les filles qui, poussées à cette mauvaise vie par des personnes assurées de ne pas être dérangées par l’autorité, perdirent leur virginité sans avoir atteint cet âge, de sorte qu’elles ne pourront plus jamais se marier […]. Le mal est tellement diffus que désormais il touche non seulement les adultes, mais aussi les mineurs de Tripoli. Naturellement, l’opinion publique en est choquée, et commence à se troubler devant la confirmation de ces faits, le plus souvent dus à des Juifs ou d’autres personnes mauvaises71.
39Muzafer propose en conséquence l’institution d’une école « pour les filles pauvres », de façon à ce qu’elles soient « à l’abri de la corruption des mœurs, qu’elles vivent chastement et purement, et qu’elles soient utiles à elles‑mêmes et au gouvernement, au lieu de vivre comme des bêtes, sans honneur, dans le désordre ». Le risque de révolte est à peine voilé, même s’il n’est évoqué que pour « les Bédouins qui habitent le district de Tripoli et dans le désert, et qui ne connaissent encore ni la mollesse ni le monde moderne ».
40Le docteur Salerno, pourtant focalisé uniquement sur les aspects médicaux de la question, reconnaît également le poids déterminant de la pauvreté, notamment parmi les musulmanes72. L’action des pouvoirs publics, au contraire, s’oriente à la fois vers la répression des comportements les plus visibles et vers l’accentuation d’une vigilance exclusivement sanitaire. En mars 1915, le gouvernement de Tripoli, sollicité par le ministère des Colonies, est contraint d’enquêter sur « les actes et les offenses contre les musulmanes sur la voie publique ». Le rapport qu’il envoie au gouvernement central minimise fortement le phénomène, attribuant les « très rares cas isolés […] à la liberté de quelques femmes publiques »73. Il est pourtant obligé d’accentuer la répression des comportements jugés dangereux pour la morale et l’opinion publique au cours des années suivantes. De même que les cabarets et les cafés sont soumis, sous Ameglio, à un strict contrôle moral, il semble que les années de guerre aient été marquées par un accroissement des mesures contre le débordement de la sexualité. Parallèlement s’accroît la surveillance sanitaire. Au début 1919, l’Office politico‑militaire institue une « commission composée d’un médecin major, d’un officier de l’Office politico‑militaire et d’un fonctionnaire de police […] avec pour mission l’étude de la question complexe de la prostitution à Tripoli et la proposition de moyens de défense, en particulier pour lutter contre la diffusion de la prostitution clandestine par sa réglementation ». Mais, comme le rapporte le médecin Salerno :
Dans la pratique cependant le travail de la Commission se limita à la visite des maisons de tolérance récemment constituées ou déjà existantes, et à imposer des mesures dans l’intérêt de l’hygiène et de la décence, assignant aussi le nombre maximal de prostituées dans chaque maison et exprimant son avis sur l’opportunité de l’établissement d’une maison dans tel lieu déterminé74.
41Plus que la surveillance sanitaire, c’est la répression des comportements visibles qui semble frapper les esprits. Il est possible d’en avoir un aperçu à travers le commentaire que fait La Nuova Italia à l’occasion de la sortie de l’ouvrage du docteur Salerno en 1922. Le journal en profite pour s’élever contre la trop grande répression morale des années précédentes. Il prête ainsi au docteur une forme de légitimation de la prostitution, lui faisant dire qu’elle est « un besoin de la nature humaine, aussi vieux que le monde », que « l’ascétisme hypocrite de certains fonctionnaires voulait par tous les moyens contenir dans un étau ». Les quelques « atteintes à l’honneur des femmes honnêtes » seraient dues avant tout « au manque d’hétaïres indigènes »75. Pour le journal, il s’agit en réalité surtout de dénoncer le fait que « l’inquisition [des pouvoirs publics] fut poussée bien souvent jusque dans le sanctuaire domestique, avec le prétexte commode de la tutelle de la morale de l’élément métropolitain dans la colonie, pour notre bonne réputation et notre prestige, suscitant le juste ressentiment de la majorité des citoyens »76.
42Cette réaction est le dernier feu d’une vision moralement libérale de la société coloniale. Si l’imagerie populaire continue d’associer les colonies à un monde sexuellement plus libre et plus débridé, la prostitution cesse, à partir de 1922‑1923, d’apparaître dans les archives et les documents de l’époque comme allant de soi, même si elle continue d’exister, que ce soit sous la forme officielle ou clandestine. Plus largement, les relations sexuelles et l’érotisme, vantés auparavant par toute une littérature coloniale comme un trait de caractère certes vaguement condamnable, mais au final bien sympathique du comportement italien, ne sont dès lors plus acceptés, sous une forme fantasmagorique, que dans certains domaines bien délimités et peu dangereux pour l’ordre public, comme les romans ou la chanson populaire. Inversement, les lieux de rencontres possibles, même hors de la prostitution, sont systématiquement dénoncés par un public italien désormais sensibilisé à la rigueur morale et au thème du prestige de l’occupant. La Nuova Italia critique ainsi « les rendez‑vous érotiques » qu’abriterait le jardin public du Belvédère la nuit et s’élève contre les « rencontres » plus ou moins nocturnes que favoriserait le laisser‑aller des pratiques balnéaires à la plage des Caramanli77. Progressivement, au cours des années 1920, l’accès même des femmes à certains espaces est considéré comme suspect, tant au prétexte de la lutte contre prostitution clandestine que pour la défense du « prestige national ». En octobre 1928, la police verbalise ainsi la tenancière d’un bar de Zauia ed‑Dahmani, « surprise à employer des femmes pour la vente au détail de boissons alcoolisées », et interrompt « un bal » dans un restaurant italien de la Dahra, « car [la propriétaire] permettait que l’on y danse au son d’un gramophone, et parce que, contrairement au nouveau règlement de police, elle employait en qualité de servante une compatriote âgée de 20 ans de moralité douteuse »78.
43Le refuge de la sexualité dans le fantasme, sous le coup de la multiplication des interdits, reporte sur la médina l’expression d’un désir renforcé par sa marginalisation sociale. Le départ progressif de la population italienne hors de la vieille ville et le développement d’une imagerie touristique au cours des années 1920 s’accompagnent de l’exaltation de son caractère exotique et mystérieux, renforcé par ses impasses étroites et ombragées, le labyrinthe des ruelles, la confusion entre l’espace public et l’espace privé, les portes éternellement closes des maisons. La description que fait ainsi un certain Mario Corsi du quartier juif à la fin des années 1920 s’orne de l’apparition de « juives girondes sur le seuil de presque chaque porte, à la peau très blanche, enveloppées dans leurs châles chatoyants, couvertes de métal […], occupées à sourire et à répondre aux œillades des passants »79. Ailleurs, il croit se rendre compte que les maisons arabes « ont un goût de harem et de cloître », où vivent « des femmes enfermées, [qui] ne connaissent pas les dépravations des femmes occidentales […]. Il n’y a pas, dans la société féminine arabe, en Afrique du moins, de ces créatures rebelles ou indépendantes ». Ce qui n’empêche pas aussitôt l’auteur de révéler les secrets des pratiques adultérines, grâce aux informations que lui livre « un jeune homme de Tripoli ayant vécu longtemps en Europe »80. Cette image se retrouve tout au long des années trente, la littérature venant remplacer un contact désormais sévèrement réglementé81.
I.2.3. Critique de la diversité
44L’exemple des comportements sexuels montre le basculement qui s’opère au début des années 1920 dans l’émergence d’une conscience morale définissant toute une série d’interdictions. Il montre aussi comment cette conscience se construit en corrélation avec la définition de lieux particuliers : les cafés, cabarets, lieux de spectacles ou maisons closes forment des espaces bien déterminés, dont il s’agit de garantir l’imperméabilité avec le reste de la ville. Cette sensibilité s’applique plus largement à l’ensemble du corps social, notamment la population italienne. Elle s’en prend à ce qui est perçu désormais comme des signes de confusion et de désordre. Si une partie de la société civile italienne sort de la guerre en exigeant de participer aux décisions politiques de la colonie, le foisonnement des associations et des parcours individuels provoque en retour la crainte de la dissolution de la société coloniale. Les cercles, associations ou regroupements d’intérêts connaissent avec le retour de la paix un épanouissement notable. Le consul britannique en compte 34 en 1922, qui manifestent le 14 mai contre les critiques du journal socialiste L’Avvanti envers la politique de Volpi82. Cette multitude d’associations est toutefois vue comme le reflet de la désunion fondamentale de la population italienne plus que comme un signe de sa vitalité. La Nuova Italia regrette ainsi en janvier 1922 que l’étroitesse de la communauté italienne à Tripoli se conjugue avec un esprit provincial et des luttes fratricides. Pour le journal, cette situation est due à la structure même de la société italienne, dans laquelle manqueraient « les petits bourgeois, cette classe « tampon » de la vie citadine, qui atténuent, par leur présence et leur action – apparemment insensible – les conflits d’intérêts violents, arrondissant les angles trop marqués des phalanges combattantes de la société, que ce soit par intérêt économique ou par ambition personnelle »83. Ce serait donc dans le déséquilibre social provoqué par cette absence qu’il faudrait chercher la cause des dissensions entre Italiens, « jusqu’à atteindre des expressions inattendues […], empoisonnant l’organisme citadin comme une infection dont il sera difficile de se libérer ». L’analyse de classe se mêle à l’idéal d’une communauté idéale, débarrassée des réflexes campanilistes et des oppositions régionalistes84.
45Il faut cependant replacer cette critique dans le contexte politique pour en saisir toutes les dimensions. La montée d’une opposition socialiste et la menace grandissante d’une union des nationalistes libyens constituent les premiers moteurs de la théorisation de l’union de la population italienne « dans une pensée unique, une volonté commune, une seule foi »85, venant remplacer au pied levé les revendications en faveur de la liberté de presse et des libertés personnelles. De même que pour les logements populaires, le tournant est datable des derniers mois de 1921 et du début de 1922, au moment où la multiplication des grèves et des mots d’ordre socialistes est perçue comme un danger pour la survie même de la colonie. La Nuova Italia condamne ainsi en janvier 1922 « la naissance et le pullulement continuel d’un nombre infini d’associations et de partis, trop nombreux en vérité pour le petit nombre que nous sommes ». Contre le risque de désagrégation sociale et politique, le journal s’appuie sur le concept d’« italianité », dont le contenu indéfini permet de mêler dans une même identité « notre dignité nationale, nos justes droits » et la revendication d’un apolitisme salvateur contre « les lamentations stériles et les lourdes hostilités entre nous ».
46Le recours à cette idée d’italianité est d’abord, chronologiquement, un réflexe politique devant opposer à la progression du mouvement socialiste l’union des Italiens derrière « des guides et des chefs autoritaires »86. La réaction de La Nuova Italia, et avec elle de l’ensemble des associations et des partis conservateurs de Tripoli, peut s’appuyer sur la représentation organique de la société coloniale telle que le mouvement hygiéniste et les revendications en matière de logement du début des années 1920 l’avaient définie. La théorie organiciste, qui dans un premier temps avait porté les revendications en faveur d’une participation aux décisions du pouvoir, ne sert plus tant désormais à favoriser le rôle des classes moyennes dans une vision dynamique de la société qu’à défendre l’idée d’un ordre immuable. Chaque élément devenant représentatif de l’ensemble de la communauté auquel il est attaché, la place de chacun et le fait de « tenir son rang » prennent une importance grandissante.
47En témoignent les « portraits de colons » que diffuse la presse à partir de 1923, et dans lesquels s’affrontent les conceptions différentes sur le comportement idéal et les devoirs de l’Italien en Libye. Au‑delà des nuances, ils ont en commun d’établir un lien explicite entre l’identité métropolitaine et la mise en valeur de l’espace, tout en insistant sur le respect du statut social. Le bon colon est celui qui ne prétend pas à une place supérieure, mais adopte la discrétion du travailleur laborieux et humble. Ainsi la Nuova Italia reproduit‑elle en décembre 1923 un article de Orio Vergani, journaliste correspondant de L’Idea Nazionale, de Il Mattino et de Il Resto del Carlino. Celui‑ci décrit les « vrais colonisateurs » comme « humbles et modestes ».
Le colonisateur italien, silencieusement […] accomplit lentement le miracle de ne pas s’adapter au milieu, mais d’adapter celui‑ci à lui‑même : de transformer non son mode de vie, mais la vie même du lieu où il s’est arrêté et a proliféré ; de prendre, en somme, cette chose inviolable et secrète qu’est l’Afrique, et de la faire devenir, comme par un tour de passe‑passe, Italie, province italienne […]. Il y parvient au point – bien que cela puisse sembler un paradoxe – de faire apparaître les indigènes eux‑mêmes comme des invités singuliers, venus dans un pays inconnu, inutilement et obstinément fermés dans leurs barracans couleur cannelle […]. Et l’Italien, au contraire, semble ne s’être jamais éloigné de son pays, déjà ses mains sont calleuses, et du seuil de sa porte, il dit à l’Arabe qui passe l’air renfrogné : « Hé, l’Arabe, elle te plaît la Sicile, pas vrai ? » ; et le Piémontais se promène tranquillement sur son cabriolet, comme s’il allait par un Piémont jamais vu auparavant, un Piémont avec des dattiers, mais sans le Pô. Il faut les laisser faire. Ils ne portent pas le casque et jugent l’uniforme kaki trop cher ; ils ne parlent pas avec une voix autoritaire, ils n’agitent pas nerveusement le kurbach de peau d’hippopotame […]. Ils font les choses tranquillement, à leur manière87.
48On retrouve le même conseil d’humilité, cette fois sous une forme bien plus critique, sous la plume d’Orsini Orsini en janvier 1926. Il ne s’agit plus de « laisser faire », mais de stigmatiser les ambitions démesurées et le comportement ridicule de certains colons. Derrière l’humour, c’est la prétention à l’ascension sociale qui est visée. Il ironise ainsi sur « ceux qui ne sont rien » en métropole et deviennent subitement quelqu’un dans la colonie, se faisant appeler « marquis ou baron » :
Quiconque veut prendre goût au fait de devenir « quelqu’un » n’a qu’à traverser la Méditerranée. Après 36 heures de navigation, le miracle est accompli […]. À l’hôtel il peut tutoyer tout de suite les domestiques, parce que ce sont des nègres et qu’ils y sont habitués, et en descendant il peut s’asseoir au cercle « réservé aux seuls membres », appeler l’ascari de service, se faire apporter des boissons et se faire présenter le secrétaire, qui lui offrira la plus grande hospitalité sans lui demander si par hasard il est sorti de prison depuis plus d’un mois88.
49La charge est caricaturale. Elle entend néanmoins tracer les limites d’une légèreté et d’une prétention désormais jugées inacceptables, car allant contre la place assignée par l’ordre social de la colonie. Le comportement mondain et insouciant, la frivolité avec les colonisés sont aussi autant de conduites condamnables. Il faut désormais codifier plus sévèrement ces attitudes que l’attaché militaire de Grande‑Bretagne juge « difficiles à comprendre pour l’esprit britannique », car « s’étendant largement entre les deux extrêmes de la plus grande sévérité d’une part, et d’une familiarité indue d’autre part ». En mai 1925, il s’étonne ainsi à la fois de la lourdeur de la discipline imposée aux colonisés et de « la familiarité sans réserve qui […] forme le nœud des relations quotidiennes entre les Italiens et les indigènes »89.
50L’attaché militaire note que « les opinions divergent sur la perte de prestige possible due à l’emploi d’Italiens dans les travaux domestiques ». Dans certains cas, comme pour les Siciliens, la proximité est si proche que leur coexistence avec les Arabes n’est pas jugée susceptible de rabaisser la dignité de l’ensemble des Italiens. Mais il observe, également, « l’attitude caractéristique des Italiens envers les femmes, de même que leur inattention envers les lieux sacrés ». Ce témoignage demande à être quelque peu nuancé. D’abord parce qu’il puise l’essentiel de son expérience dans l’observation du milieu militaire, qui possède ses propres codes censés célébrer la camaraderie et la virilité par la franchise des contacts. Ensuite parce que, nouveau venu, l’auteur est pris au dépourvu par une manière de se comporter différente de celle régnant dans les colonies britanniques. Il montre cependant le caractère socialement différencié des attitudes. Si le traitement des officiers envers leurs soldats ou les notables est jugé comme de la désinvolture, mais conserve la marque de la supériorité du colonisateur, dans les classes les plus basses c’est l’absence même de différence immédiatement visible qui choque l’auteur.
51Cette vision, surtout, rend peu compte de la codification progressive des attitudes en public. Celle‑ci, avant qu’elle ne soit reprise comme une prérogative du parti fasciste, prend dans un premier temps une tournure religieuse. L’évêque de Tripoli interpelle une première fois le gouvernement de la Tripolitaine dans une lettre pastorale en février 1917 où, selon l’Office politico‑militaire, « il voudrait faire croire que l’immoralité et la pornographie, bannies dans le royaume, se seraient réfugiées dans la colonie »90. À partir de 1920, c’est de la part de simples particuliers que vient la dénonciation du manque de dignité en matière de religion, et, en particulier, du blasphème91. Si l’affaire peut d’abord paraître anodine, elle donne lieu en 1922 à une campagne « antiblasphème » de la part d’associations d’Italiens, avec le soutien tacite du gouvernorat, la manifestation de piété devenant un signe extérieur « de la dignité nationale » se conjuguant à la campagne de dons pour la construction de la cathédrale92. Il n’est plus admis, à partir de 1922‑1923, que l’Italien soit inférieur aux colonisés dans la démonstration de sa foi93. De nouvelles campagnes pour la correction des comportements publics ont lieu en 1926 et en 1928, lorsque jurons et blasphèmes deviennent passibles d'une amende. L’Avvenire di Tripoli, qui rapporte dans chacun des ses numéros le nom des contrevenants, rappelle que « on ne peut pas à la fois proclamer l’infériorité des indigènes et jurer » et qu’aux colonies le métropolitain ne peut avoir le droit de blasphémer94. La démonstration de la foi religieuse devient même obligatoire pour les fonctionnaires en août 1927, quand le général Graziani, alors régent du gouvernorat, ordonne à tous les fonctionnaires civils d’assister à la messe dominicale. Le rapprochement entre l’Église et l’autorité coloniale est donc bien antérieur aux accords du Latran du 11 février 1929. L’ordre est réitéré en septembre 1929 par le vice‑gouverneur Maurizio Rava, pour qui « dans un pays musulman, le rite religieux de la nation dominatrice a, plus que tout, une importance politique »95. Mais l’obligation semble cependant peu suivie, puisqu’en février 1937 le régent du gouvernement Bruni rappelle de nouveau les fonctionnaires « jusqu’au sixième rang » à la respecter, indiquant qu’ils doivent s’y présenter en uniforme ou, à défaut, en tenue fasciste96.
II. L’ordre fasciste
II.1. La tentation d’un nouvel autoritarisme
52Longtemps, l’étude de la colonisation italienne a cherché à distinguer le « véritable » fascisme colonial, qui prendrait corps dans la conquête et la domination de l’Éthiopie, de sa longue genèse libyenne, où, appesanti par le poids de l’idéologie nationaliste, le régime ne serait parvenu à définir précisément ni sa propre théorie coloniale ni une pratique spécifique de la domination97. Le fascisme en Libye ne se serait ainsi caractérisé que par un usage de la violence plus généralisé et une pompe cérémonielle relativement superficielle. Cette historiographie a longtemps imposé une lecture du fascisme colonial à partir des intentions déclarées du gouvernement et du parti national fasciste, survalorisant une approche institutionnelle et la vulgate transmise par le régime lui‑même. Elle a notamment fait de l’évolution personnelle de la pensée de Mussolini et des contraintes de la politique internationale de l’Italie les facteurs premiers de son analyse. Le fascisme, extrait de son contexte social et politique local, serait dès lors un phénomène analysable à part. Il ne rendrait que très partiellement compte de la réalité des relations sociales, longtemps vues comme nuancées par l’humanisme débonnaire censé caractériser la culture populaire italienne98.
53Ces visions n’ont toutefois cessé de buter en l’absence d’études portant sur les aspects sociaux de la colonisation. D’une certaine façon, l’éclatement de la vision unitaire du fascisme a oblitéré l’étude du rôle du PNF dans l’organisation politique et sociale coloniale. L’exportation des structures du parti fasciste hors des frontières de l’Italie est, plus globalement, un sujet relativement nouveau99. En reconsidérant la place du PNF sous l’angle de l’organisation et du développement de ses organes dans les colonies, N. Labanca a cependant pu montrer comment les taux d’inscriptions aux différentes institutions du parti augmentent jusqu’à faire des colonies des bastions de l’implantation du fascisme100. Les organisations fascistes seraient ainsi devenues des instruments à part entière de l’administration locale, jusqu’à participer à la sélection d’une nouvelle élite indigène à la fin des années 1930. Ces renouvellements de l’histoire du fascisme coloniale se sont développés indépendamment de l’apport de l’histoire urbaine, laquelle a connu une évolution propre, mais aboutissant aux mêmes limites101. Il y a ainsi une contradiction entre l’accent mis par l’histoire urbaine sur la période fasciste, à laquelle est attribué l’essentiel de la transformation des espaces et la timidité de l’histoire sociale sur la même période. L’articulation entre les choix urbanistiques et les facteurs sociaux de la colonisation nécessite ainsi d’adopter une démarche à rebours de l’historiographie existante, en considérant la question de la maîtrise et de la construction de l’espace à partir des tensions et des mécanismes internes à la société coloniale, et non plus comme le produit d’une volonté extérieure importée de la métropole.
54L’historiographie a eu ainsi tendance à séparer nettement les aspects urbanistiques la répression et de la guerre coloniale, favorisant l’idée que le fascisme ne se serait manifesté d’abord que dans ces derniers domaines102. Or la montée à partir de 1919‑1920 de revendications sociales surprend les tendances plus conservatrices de la population italienne, les convainquant de prendre position en faveur de l’autoritarisme. Le Parti populaire local, fondé en juin 1920 autour du journal La Nuova Italia, et dont l’idéologie repose au début sur la reprise du programme du Parti populaire de la métropole (centriste), réoriente ainsi son propos deux mois plus tard, appelant à lutter contre « toute attitude qui ne correspond pas à un principe d’ordre et de discipline sociale et qui tente d’infirmer l’autorité du gouvernement en face d’un peuple qui veut et a besoin d’un gouvernement fort, mais juste », considérant qu’il faut avant tout donner à la population indigène un exemple « d’ordre et de discipline »103. Entre le printemps et l’été 1921, les revendications concernant la municipalité s’effacent derrière le principe d’obéissance au gouverneur. Si en avril 1921, La Nuova Italia s’insurge encore contre « les quatre freluquets de bonne famille et de mauvaise éducation » qui brûlent publiquement des exemplaires du journal au nom du fascisme et critique le fait « d’entonner avec une voix servile des louanges à l’Autorité », elle réclame dès le lendemain de la fondation du Parti populaire de Tripoli la création d’un « parti italien unique » essentiellement patriotique, fondé sur la défense de l'unité nationale104.
55L’influence de l’extrême droite autoritariste, qui s’unifie sous forme d’association d’anciens combattants en juillet 1920, reste néanmoins apparemment faible dans un premier temps, d’autant plus que ses prises de position contre les petits fonctionnaires et les ouvriers limitent son audience à une minorité sociale105. C’est sur la base d’une opposition commune aux revendications des nationalistes libyens, qu’il partage avec le Parti populaire et les organisations italiennes conservatrices, que le Fascio dei Combattenti parvient à s’affirmer et à obtenir un appui effectif du gouvernorat. Il bénéficie en effet à partir d’avril 1921 du soutien que Mercatelli, nommé une seconde fois gouverneur, lui offre dans l’intention de mettre un terme à l’agitation sociale et aux menaces de la résistance libyenne. Prenant prétexte des erreurs de son prédécesseur, Mercatelli agite le spectre de la rébellion arabe pour tenter d’unir les Italiens contre la montée du parti nationaliste libyen. Par ses positions socialement conservatrices et antidémocratiques, ainsi que sa pratique de la terreur et de la violence, le Fascio semble alors le mieux à même à répondre aux vœux du gouverneur106. Celui‑ci entend en effet chercher « l’appui des métropolitains qui, entre‑temps, se sont organisés pour substituer leur action à celle, déficiente, ou absolument manquante, du gouvernement [précédent] », en envisageant la création d’une milice que seul le fascio est à ce moment en mesure d’organiser rapidement. En juin 1921, ce dernier peut en effet déjà faire défiler dans la capitale libyenne trois cents militants armés de bâtons, « suscitant une vive impression sur la population »107. Pour le journal socialiste L’Avanti !, c’est le gouvernement local qui serait ainsi à l’origine de la fondation et de la croissance rapide d’une véritable organisation fasciste, grâce aux subventions en faveur d’un mouvement au départ balbutiant et minoritaire108. Face à cette concurrence, le Parti populaire ne parvient pas à créer de véritable alternative. Un mois avant la Marche sur Rome, La Nuova Italia rejoint le fascisme.
56Parallèlement, la crainte d’un mouvement nationaliste arabe croît au moment où les Statuts libyens semblent définitivement compromis. Quelques jours à peine après le défilé des fascistes dans les rues de Tripoli en juin 1921, les émeutes d’Alexandrie et de Jérusalem font craindre la contagion des revendications nationalistes arabes. C’est à travers la possession de la rue que s’exprime la rivalité entre les nationalistes libyens et les fascistes. Selon les renseignements dont dispose le gouvernement en 1921, la fête du Baîram (qui clôt le ramadan) devrait ainsi être le signal « d’un grand cortège de musulmans, auquel se mêlerait un bataillon d’ascaris libyens, en relation avec les événements d’Égypte et en opposition au cortège des fascistes »109. L’été 1921 est marqué par la peur grandissante de perdre le contrôle sur la ville110. La panique du gouvernement de Tripolitaine est si grande qu’il s’inquiète des « rues où les populations arabes et européennes sont mélangées ». En cas de surprise, avoue‑t‑il, les mesures de répression y seraient forcément « tardives et difficiles ». Le gouverneur ordonne en conséquence, comme à la fin 1911, « des rondes nocturnes dans les quartiers les plus dangereux de la ville et des patrouilles de zaptiè à cheval dans l’oasis », envisageant de « limiter la circulation des Arabes après une certaine heure du soir » et de renforcer la surveillance aux portes de la ville111.
57Si la nomination de Volpi en août 1921 s’accompagne d’une relativisation de la menace de l’insurrection (celle‑ci lui paraissant plus imaginaire que réelle)112, la politique militaire et de prestige accompagne le renforcement du pouvoir colonial, que traduit la visite du prince de Piémont en septembre 1918113. L’organisation et la discipline fasciste prennent dans le déploiement de la mise en scène de la puissance coloniale une utilité immédiate. Lors de la pose de la première pierre du monument aux morts, en janvier 1923, c’est le cérémonial fasciste, non celui de l’armée, qui est adopté114. Malgré le faible nombre de ses membres au début, le fascisme donne l’illusion d’une participation des civils, venant remplacer opportunément, au moment où s’imposent les mouvements conservateurs, la demande de partage du pouvoir auparavant réclamée par une partie des Italiens115. À la fin de 1921, le fascio est parvenu à « assumer la partie directive de la vie publique », tout en renforçant l’union autour de l’administration coloniale, à tel point que celle‑ci s’inquiète même d’une trop visible soumission116.
58Ce pouvoir symbolique accompagne l’utilisation de la violence hors de tout cadre légal. La montée du fascisme doit ainsi être vue non seulement en relation avec les événements de la métropole, mais aussi comme un instrument de la réorientation de l’action du gouvernorat local vers la conquête militaire. Elle est contemporaine de l’abandon des derniers vestiges de la politique libérale inspirée des Statuts libyens. À partir d’octobre 1922, le mouvement acquiert ainsi le rôle encore mal défini d’auxiliaire de la politique de « reconquête », dans une illégalité qui tend à s’institutionnaliser. Lorsque Volpi décide en décembre 1922 de rompre les négociations avec les nationalistes et de se débarrasser de certains intermédiaires jugés dangereux, en particulier de l’avocat Giovanni Martini, c’est le fascio qui se charge de provoquer son départ, par la contrainte et l’intimidation117.
II.2. L’uniformisation des comportements
II.2.1. Violences et expressions de la domination
59C’est donc sur la défense de la supériorité des colonisateurs et sur le refus de toute concession politique aux colonisés que le fascisme parvient dans le contexte libyen à s’imposer progressivement, avant même la marche sur Rome. Il ne peut le faire cependant qu’avec l’apport de courants hétérogènes et en s’opposant à une partie de la population italienne. Sa participation à la répression de la lutte syndicale et des revendications sociales de gauche nécessite l’appui du gouvernorat, envers lequel il se trouve d’emblée dans une position de dépendance. Les fasci, traversés de luttes internes dès novembre 1922, peinent à trouver une unité d’action et de pensée. Cette absence de cohérence idéologique fait du racisme et de la ségrégation raciale les principaux, voire les uniques fondements du mouvement dans une première période. La réalité de l’orientation politique de la colonie restant exclusivement dans les mains des gouverneurs, elle rend tout véritable programme politique des fasci non seulement inutile, mais même non souhaitable118.
60À la base du parti, les divergences portent sur le degré d’intolérance envers les colonisés, favorisant les courants les plus radicaux dans un premier temps. Bien que favorable au nouveau régime, La Nuova Italia voit ses locaux saccagés par des membres du fascio de Tripoli en décembre 1922 parce qu’elle publie une partie de son journal en arabe et en hébreu119. La débauche de violence est cependant surtout utilisée comme moyen de domination de l’espace urbain et de chasse aux opposants potentiels, hors des canaux traditionnels de la police et de la justice. Le cas de Eugenio Nahum en est exemplaire. Ce cousin de Halfalla Nahum, utilisé jusqu’alors comme intermédiaire officieux du gouvernorat avec les nationalistes arabes, est condamné en décembre 1922 pour collusion avec la résistance120. Il semble que, comme dans le cas de l’avocat Martini, l’accusation soit montée de toutes pièces et destinée surtout à se débarrasser d’un intermédiaire devenu gênant. La faiblesse du dossier est du reste confirmée par l’acquittement prononcé en sa faveur en mai 1923 en appel. C’est dès lors la section locale du parti fasciste qui se charge par l’intimidation de provoquer son départ, avec le consentement de Volpi121.
61Socialement, le mouvement fasciste offre ainsi un cadre d’action qui permet de s’en prendre à ceux qui, par leur fortune, leur éducation ou leur emploi, sont perçus comme une menace pour le maintien d’une supériorité politique et symbolique des Italiens122. Eugenio Nahum, par son appartenance à la famille juive la plus importante de Tripoli, cristallise le conflit d’intérêt grandissant entre la majorité de la population européenne pauvre, se sentant économiquement menacée, et une élite indigène qui profite de la croissance urbaine pour accroître sa fortune. Au‑delà de l’accusation de trahison, c’est toute la famille Nahum qui est visée, comme le montre l’agression de Halfalla Nahum par des fascistes en juin 1923123. Ce déchaînement est contemporain de l’augmentation de la pression fiscale et de l’inflation. Il incarne dans l’espace public la manifestation symbolique et compensatoire du rétablissement d’un ordre inversé, sans pour autant modifier profondément les mécanismes sociaux de la colonisation. Ce débordement de violence n’empêche ainsi pas que les investissements de la famille Nahum soient salués et encouragés par le gouvernement local.
62Mais cette action prend aussi une dimension géographique. Elle reflète, à l’échelle de la ville, la reconquête brutale d’un espace considéré comme hostile. En août 1923, des miliciens et des soldats sont impliqués dans une violente rixe dans le quartier juif de la médina, la Hara, qui se termine par la mort de l’un d’entre eux et l’arrestation de 25 Juifs124. L’affaire est prétexte à l’organisation d’une expédition punitive des escouades fascistes dans la Hara pendant trois jours, au cours de laquelle des passants sont bastonnés, d’autres contraints à se prosterner, et des maisons dévastées. La réaction des habitants de la Hara témoigne de l’antagonisme envers les fascistes et montre la force de la solidarité de quartier125. Pour mettre fin aux désordres, le gouvernorat est obligé d’interdire aux soldats et aux chemises noires de se rendre dans la Hara, tandis que la communauté juive fait placarder des appels au calme. Le parti fasciste lui‑même est contraint de renier certains des siens arrêtés par la police126. Si, pour La Nuova Italia, « ce n’est pas la première fois qu’ont lieu de telles échauffourées dans les quartiers juifs », la solidarité même de la population juive est perçue comme un trouble à l’ordre colonial. Il s’agit avant tout pour le journal de rétablir dans le quartier juif « cette autorité et ce prestige qui sont reconnus même dans les plus bas quartiers européens »127.
63En septembre 1923, la venue de légions de la milice, composées de jeunes recrues indisciplinées, marque le point culminant de ces tensions. Les miliciens, venus combattre la rébellion dans l’intérieur, agissent à Tripoli comme dans une ville à conquérir. Avec la participation de nombreux fascistes locaux, ils se livrent à des agressions contre la population, allant jusqu’au saccage d’édifices religieux, à tel point que Volpi est obligé de demander leur éloignement des zones urbaines et décide de dissoudre plusieurs fasci128. Un résumé éloquent de la vision de l’idéologie fasciste du moment se retrouve cependant encore en 1927 sous la plume du général commandant de la milice :
Le squadriste en Libye se sentait chez lui ; dans sa manière rapide et simple de raisonner il avait tout de suite compris que l’Italien devait être le patron, l’Arabe le soumis, l’Italien devait commander, l’Arabe obéir sans discuter. Et si l’obéissance ne venait pas avec les bonnes manières, la sainte matraque l’obtenait […]. La théorie classique du squadrisme, exprimée par le slogan « des coups, des coups et encore des coups, des coups en quantité », peut à l’occasion devenir une très bonne théorie coloniale129.
64L’attitude du gouvernorat envers le mouvement fasciste est donc ambiguë dans les premiers mois du nouveau régime. Officiellement, les deux sont indépendants l’un de l’autre, allant parfois jusqu’à s’opposer. Ainsi la violence contre la famille Nahum ou contre les habitants de la Hara est‑elle en fin de compte réprimée par la police. Mais cette répression vient tard et s’accompagne de signes de soutien évidents. Le soldat tué dans les incidents de la Hara a droit à des funérailles officielles, en présence du gouverneur130. Le fascisme offre de fait à l’autorité coloniale un moyen de mettre un terme aux tensions internes de la communauté italienne, tout en lui donnant le sentiment de participer de façon effective au contrôle du territoire. Les manifestations d’antijudaïsme permettent de circonscrire la violence à quelques symboles du pouvoir économique de certains indigènes, sans prendre le risque de s’attaquer à des notables musulmans, au moins dans les villes où le poids de la population musulmane impose un rapport de force avec lequel le gouvernorat est obligé de compter. Encore visent‑elles souvent moins, hormis quelques cas exemplaires, à persécuter la population juive qu’à donner l’impression que le pouvoir peut, à tout moment, imposer son arbitraire. L’émergence d’un racisme inhérent au fascisme colonial est ainsi bien antérieure au tournant raciste du régime de la fin des années 1930, même s’il est loin d’être généralisé131.
II.2.2. L’encadrement nécessaire
65En s’en prenant à l’ensemble des colonisés, la violence contraint le gouvernorat à une reprise en main du parti fasciste. À partir des événements de 1923, le ministère des Colonies et le gouvernorat interdisent les actions squadristes et interviennent dans la composition des membres du mouvement. Le contrôle se fonde dans un premier temps sur la distinction nette entre l’appareil d’État et celui du Parti. Federzoni, alors ministre des Colonies, interdit aux fonctionnaires d’assumer une responsabilité dans le Parti132. Volpi prévoit en conséquence de placer à la tête du fascio « les meilleurs citoyens non‑fonctionnaires, pour en reconstruire rapidement le prestige de façon à ce que le Directoire ne soit composé que de personnes qui jouissent pleinement d’autorité dans la colonie », ce qui signifie aussi épurer la direction du parti local des éléments des plus basses classes133. La concentration des pouvoirs implique, plus rapidement qu’en métropole, un tel processus, selon la logique résumée par le propagandiste Angelo Piccioli : « il y avait enfin un gouvernement fort ; le Fascisme en Tripolitaine pouvait terminer son cycle initial, empreint de saine violence. Une nouvelle phase commençait : celle de la légalité et de l’organisation »134. La normalisation du Parti n’empêche pas la poursuite de la « reconquête » de l’espace urbain, mais lui donne désormais un cadre légal.
66Il convient d’examiner l’influence de cette régulation dans la politique urbaine et la conception du contrôle de l’espace au cours des années 1920. La nomination, après Volpi, de hiérarques à la tête du gouvernorat pose le problème de la place du parti dans la politique officielle de l’Italie en Libye135. Elle implique, aussi, une redéfinition des enjeux principaux de la colonisation. La politique de Volpi est d’abord guidée par des considérations économiques et reste dans une logique économique libérale, même « corrigée » par l’utilisation de la violence politique et raciale. Inversement, la nomination en août 1925 du général Emilio de Bono, chef de la Milice des Volontaires pour la Sécurité Nationale (M.V.S.N.), le bras armé du Parti fasciste, s’accompagne d’un renforcement considérable du Parti comme instrument principal de la domination, au détriment de la politique urbaine antérieure. La baisse notable des travaux publics sous De Bono doit ainsi être vue non seulement comme un effet de la crise conséquente aux surinvestissements opérés sous Volpi, mais aussi, l’un entraînant l’autre, comme le signe du changement des priorités politiques. Le phénomène est d’autant plus marqué qu’il s’accompagne d’une rivalité personnelle entre Volpi et De Bono. Un rapport du consul britannique sur l’ensemble du mandat de De Bono en juillet 1927 signale ainsi que « tout ce qui a à voir avec Volpi est condamné par De Bono »136. Dès le mois d’avril précédent, le même consul signalait que « pas une seule bonne chose n’avait été faite depuis le départ de Volpi » et que « indubitablement, la colonie a dégénéré sous tous les points de vue dans les derniers 18 mois », jugeant la politique de travaux publics comme n’étant plus « rien d’autre que du discours » et allant jusqu’à évoquer des détournements de fonds au plus haut niveau du gouvernorat137. Dans le même temps, De Bono aurait accentué la répression contre « quiconque aurait offensé un membre de l’entourage du gouverneur ou aurait exprimé trop librement ses opinions sur l’administration de la colonie »138.
67Les rumeurs de corruption et la place prise par certains membres du Parti sont telles que l’arrivée de Badoglio comme gouverneur en janvier 1929 est précédée d’une nouvelle épuration en mars 1928139. Au‑delà, la reprise en main du Parti se traduit aussi par un encadrement sans précédent de tous les inscrits et des Italiens en général. La direction locale du Parti est remplacée par un directoire imposé par Rome, qui entre en campagne contre « l’encadrement spirituel imparfait » dû « à l’atmosphère complètement a‑fasciste (quand elle n’est pas antifasciste) » dans laquelle les Italiens sont accusés d’avoir vécu jusqu’à lors.
68La nomination de Maurizio Rava à la tête de la fédération fasciste locale entraîne ainsi la définition de certains codes comportementaux désormais obligatoires dans l’espace public. L’Avvenire di Tripoli dénonce en janvier 1929, le jour de l’arrivée de Rava, « les signes de débandade » comme l’absence de salut romain et du port de l’insigne du parti, alors que certains membres ont refusé publiquement d’acheter le journal officiel du Parti, c'est‑à‑dire, précisément, L’Avvenire di Tripoli140. L’accusation est réitérée à la fin mars et s’accompagne de l’expulsion des membres jugés les plus tièdes par la cour fédérale du Parti141. En juillet 1929, les nouvelles inscriptions sont closes provisoirement pour distinguer le noyau des premiers partisans de ceux qui rejoindraient le fascisme par pur opportunisme142. Le sous‑secrétaire d’État au ministère la Justice Mattei Gentili peut ainsi se féliciter, en novembre 1929 de ce que « les indigènes rencontrés dans les coins les plus reculés fassent le salut fasciste »143. Les membres des organisations fascistes sont désormais tenus de participer aux rassemblements hebdomadaires organisés sur la Piazza Italia sous peine d’exclusion. Ils doivent également être présents à toutes les manifestations officielles, dont le nombre ne cesse de croître. En juin 1928, les troupes et la milice sont ainsi passées en revue sur la Place de la Forteresse, avant de défiler solennellement sur le front de mer et devant le nouveau palais du gouverneur puis d’assister à un Te Deum dans la cathédrale.
69La multiplication des cérémonies prend comme contre‑modèle implicite la fête des Statuts libyens qui avait en 1919 uni dans un même mouvement Libyens et Italiens. En 1919, les tribus arabes venues de l’intérieur avaient défilé, sous forme de fantasia, rue de la Cavalerie, dans Sciara el‑Makina et dans la rue Azizia144. Le 1er juin 1919, à l’occasion des « immenses festivités » pour la célébration des Statuts « s’étendait à perte de vue une multitude de gens, différents par la race, par la nature, par la culture, par les coutumes opposées, aux accents disparates, mais tous unis sous le drapeau »145. En 1928, si l’union des colonisés et des colons reste au cœur de la rhétorique officielle, les musulmans et les juifs sont cantonnés au rôle de spectateurs, avant que Balbo à partir de 1934 ne tente de développer des organisations fascistes réservées aux colonisés. La fête joyeuse laisse place à la discipline et la hiérarchie sociale en faveur des colonisateurs.
II.2.3. La fascisation des loisirs
70À la suite du mouvement d’épuration, le contrôle du Parti fasciste peut s’étendre à l’ensemble de la vie sociale des Italiens. Le consulat britannique indique en avril 1928 que « les organisations fascistes se sont emparées de toutes les activités sportives » : le consul, lui‑même vice‑président de l’un des clubs de sport, doit abandonner cette charge146. L’extension de la présence du Parti dans nombre d’associations achève l’œuvre d’encadrement. Ainsi le carnaval, auparavant organisé spontanément et fêté par les Italiens aussi bien dans la vieille ville que dans les quartiers nouveaux, est limité en 1926 au front de mer Giuseppe Volpi et au Corso Vittorio Emanuele III. Seuls ceux qui en ont fait la requête peuvent y participer147. L’ordre n’est qu’imparfaitement suivi, mais la description que fait La Nuova Italia des « masques qui ont battu les rues de Tripoli sous les lazzis d’une marmaille composite », surtout dans les quartiers populaires, témoigne de l’intolérance croissante envers une fête qui met à mal l’image des colonisateurs148. La même année, la fondation d’un « cénacle des Romagnols à Tripoli » montre, malgré les déclarations sur l’union des Italiens dans la colonie, la persistance de logiques régionalistes149.
71Le 14 novembre 1928, le gouverneur décide en conséquence de confier au commissaire extraordinaire du gouvernement auprès de la municipalité de Tripoli, Giuseppe Bruni, « la fusion des cercles citadins dans un grand Cercle Social unitaire, sur de nouvelles bases et selon des directives larges, permettant aux meilleurs éléments de la population d’y participer et de trouver ainsi à Tripoli un lieu sûr où trouver la distinction, la culture et une saine camaraderie patriotique et sociale »150. La lettre que Bruni fait parvenir de ce fait aux principales associations italiennes de Tripoli, le 1er décembre 1928, les invite à se fondre en un seul « cercle qui corresponde pleinement aux nouveaux idéaux diffusés dans la vie italienne par le Parti National », et promouvant des activités compatibles avec la dignité du statut de colon151. L’initiative conduit le 2 avril 1929 à la constitution du Cercle Italia, sous la présidence du commissaire de la Commission municipale, donc, indirectement, du gouvernorat, malgré les « lourdes difficultés » entraînées par le refus d’une telle fusion de la part de plusieurs associations152. Toutefois, dès décembre 1928 l’association la plus importante de la ville, le Circolo Unione, avait accepté de s’autodissoudre au profit du nouveau cercle153.
72Le cas du Circolo Unione est exemplaire de l’épuration « douce » et de la main mise des autorités coloniales sur l’ensemble de la vie sociale de Tripoli à partir de 1928. Cette association se définit comme « un groupe composé de ces citoyens respectueux du régime, de ses institutions, dévoué au duce et à S. E. le gouverneur, bien que s’abstenant de toute manifestation politique »154. C’est donc logiquement qu’elle accepte de se placer volontairement sous la direction du gouvernorat, constituant le noyau structurant du nouveau cercle Italia. Cette fusion est cependant aussi l’occasion d’exclusions ou de démissions plus ou moins forcées, qui permettent de se débarrasser des membres jugés inaptes à faire partie des « meilleurs éléments de la colonie ». C’est ainsi que des quelques membres libyens du cercle Unione, aucun, sauf un, ne demande à entrer dans le nouveau cercle. Bien que faisant partie de la plus grande bourgeoisie juive locale, ni Angelo Arbib, ni Halfalla Hassan ne font de demande d’intégration155, tandis que le professeur Giorgio Naama est exclu, « pour des raisons de conduite privée »156. Sur les 146 membres que comptait l’Unione, 31 ne rejoignent ainsi pas le nouveau cercle157. Le seul membre musulman, Abbud Abdiscerif, chef traducteur à l’Office foncier de Tripoli, demande et obtient de faire partie du Cercle Italia. S’il ne s’agit donc pas de ségrégation raciale au sens le plus strict du terme l’appel à l’italianité et l’insistance sur le caractère italien et « national » du cercle réduit la part des colonisés à la seule présence de ce traducteur. Alors que certaines associations, comme le Circolo dei canottieri, s'enorgueillissent d’être ouvertes à tous, Italiens et Libyens mélangés, tous les membres du nouveau cercle Italia qui ne faisaient pas partie auparavant de l’Unione sont italiens158. À cela s’ajoute, visiblement, une forme de ségrégation sociale. La nature même des activités, orientées vers l’exaltation du bon goût et de la « distinction », implique une sélection spontanée qui limite les demandes aux seules catégories se sentant déjà habilitées à représenter cette même distinction (le mot italien de signorilità, employé par le gouvernement dans sa lettre du 14 novembre 1928, met en évidence ce caractère exclusif). Un certain Amleto Mingozzi se plaint ainsi en avril 1929 d’avoir été refusé, bien que membre du cercle l’Unione, et alors qu’il déclare n’avoir jamais « manqué à ses devoirs de citoyen, de père de famille, de travailleur » :
Je sais que je suis une personne modeste, mais cela je ne l’ai jamais oublié dans les contacts que j’ai pu avoir avec des personnes appartenant à d’autres catégories de citoyens ; toujours respectueux de tout et de tous, je peux dire avec certitude que j’ai su mériter la bienveillance et la sympathie de tous ceux que j’ai approchés.
73C’est donc conscient de son « infirmité » sociale qu’il demande son intégration dans le cercle Italia, « qui, comme son nom l’indique, devrait comprendre tous les Italiens qui ne se sont pas rendus indignes de ce nom »159. Or le cercle a pour objectif de « fusionner les esprits des citoyens italiens dans une œuvre commune d’élévation morale et intellectuelle ». Pour y postuler, il faut que la demande soit parrainée par deux membres. Celle‑ci est ensuite envoyée à la présidence du club et soumise à l’avis d’une commission de 21 membres. La demande est acceptée quand elle recueille la majorité absolue, un vote négatif annulant trois votes positifs160.
74À l’autre bout de l’échelle sociale, le caractère ethnique de la sélection est moins prononcé, signe, sans doute, de la difficulté à pénétrer complètement encore la sociabilité populaire, mais aussi de la gradation de la surveillance en fonction de la place dans la hiérarchie sociale. Ainsi le Dopolavoro (l’organisation fasciste des loisirs) de la manufacture des tabacs accueille en 1929 aussi bien le personnel italien qu’arabe et juif161. De même, le championnat de football local est l’un des rares moments où les colonisés peuvent se retrouver côte à côte dans les tribunes, comme le souligne L’Avvenire di Tripoli, avec « les civils [italiens] et les Chemises noires »162. Dans un premier temps, la présence de Libyens dans les concours sportifs populaires est même utilisée pour mettre en relief la supériorité des colonisateurs, sans parvenir cependant toujours au résultat escompté163. La multiplication des marqueurs de différence entre les Italiens et les colonisés n’implique donc pas systématiquement la séparation, notamment dans les couches les plus pauvres de la société, mais elle agit comme un rappel constant de l’ordre colonial dans une ville supposée être de moins en moins indigène et de plus en plus italienne.
II.3. Reconquérir la ville
II.3.1. Nommer les espaces
75La dénomination des rues devient aussi dans la première moitié des années 1920 un enjeu de domination. La signalisation des noms des rues de la médina, en 1912, se fait en reprenant les toponymes locaux164. Les nouvelles rues, ou celles des faubourgs qui ne disposent pas encore de noms, sont souvent désignées par un numéro. En 1919 et en 1921, La Nuova Italia s’oppose aux lecteurs qui veulent italianiser les noms des rues, « parce que la ville est arabe, et parce qu’il ne faut pas que naisse un mélange hybride, dommageable pour tous ». L’italianité, selon le journal, ne doit s’exprimer autrement que par la conquête des cœurs165. En décembre 1921 toutefois, la municipalité décide de changer quelques noms de rues et de places (sans qu’il soit possible de savoir lesquels)166. Mais, là encore, c'est dans les années 1922‑1923 que la sensibilité sur la question se modifie radicalement. En octobre 1923, La Nuova Italia demande « que soit donné un nom italien aux rues les plus importantes de la ville, conservant les noms indigènes dans les rues secondaires qui sont majoritairement habitées par les populations arabes ou israélites. Nous mettrons ainsi fin au paradoxe curieux de voir un nom indigène appliqué à ces rues auparavant impraticables et maintenant transformées par le travail et l’argent italien, et, en partie, par les citoyens italiens eux‑mêmes »167.
76Un an plus tard, la Commission municipale lance un concours pour l’attribution d’un nom italien à la place centrale du quartier de Zenghet Harran168. Mais l’évolution est jugée trop lente par certains fascistes, qui décident d’attribuer de force de nouvelles dénominations symbolisant le changement d’époque et la fin des compromis. Lors du second anniversaire de la Marche sur Rome, des membres de la milice changent la zenghet Riccardo n° 1 en « via Benito Mussolini »169. Parallèlement, les principales places et avenues de la ville nouvelle sont rebaptisées soit du nom de membres de la famille royale, comme la rue Azizia, qui devient le cours Vittorio Emanuele III, soit, plus fréquemment, du nom de provinces ou de villes importantes de la métropole. La rue el‑Garbi devient ainsi le Corso Sicilia. En novembre 1924, à l’occasion de la célébration de l’armistice de 1918, la Place de l’Alfa est rebaptisée Place du 4 Novembre 1918170.
77Progressivement, les rues du quartier de Bel Kher prennent ainsi le nom de villes italiennes, celui de Zenghet Harran de personnages italiens célèbres, tandis que les rues à construire au sud de la rue Sidi Omran ont des noms d’artistes italiens. Les rues convergeant vers la Piazza Italia reçoivent toutes en novembre 1928 des noms de régions italiennes. Il est désormais considéré comme inacceptable que « certaines rues, auparavant à peine tracées, et qui sont devenues de grandes artères citadines après notre occupation, puissent conserver des noms se référant à des circonstances d’aucune importance, comme Suk el‑Htab (marché au bois), Suk el‑Hodra (marché aux légumes) etc., ou qu’elles portent le nom de familles qui n’ont d’autre mérite que d’avoir des propriétés dans cette zone »171.
II.3.2. Savoir se comporter
78En février 1924, un article d’un certain Arnaldo Fratelli à propos du « miracle de Tripoli » décrit les changements conséquents au rapide développement de la ville. L’ancienne Tripoli, celle d’avant Volpi, y est décrite comme une ville « mi‑africaine et mi‑sicilienne », « fusion d’éléments ethniques disparates », où voisinait la « boutique de barracans ou de quincaillerie orientale à côté d’un magasin de vêtements européens ». La venue de Volpi aurait « chassé les Arabes des seuils de porte ensoleillés où ils s’accroupissaient pendant des heures et des heures, comme les chiens en hiver ». Plus précisément, il les aurait chassés de ceux de la ville nouvelle. L’auteur établit ainsi une distinction entre les quartiers nouveaux, pleins de la vigueur et du labeur italiens, et la vieille ville, où il goûte le plaisir de « s’allonger sur la porte d’une boutique du souk, comme les vendeurs de tapis de Misurata, ou, assis dans un café arabe, [de] savourer une pipe de tabac paresseux (sic) et aromatique, attendant les yeux mi‑clos que viennent les idées à coucher sur le papier »172. Le mode de vie européen qu’implique l’agencement spatial de la ville nouvelle n’empêche pas la conservation, dans la médina, d’un comportement supposé être typiquement oriental, fait d’attente résignée. Au contraire, la coexistence des deux semble indispensable pour signaler d’autant mieux la distance qui sépare la nouvelle de l’ancienne Tripoli.
79L’article de Fratelli est toutefois aussi intéressant parce qu’il se situe, chronologiquement, à l’articulation entre deux visions de la ville. Fratelli est encore sensible, bien qu’il en ait une vision quelque peu caricaturale, au charme de la médina. Mais déjà pointe la critique des attitudes de passivité et de paresse, qui le fait se sentir profondément différent des colonisés. En 1919, ces mêmes attitudes avaient été décrites dans La Nuova Italia comme « l’exemple de la fierté et de la frugalité de ce peuple ». L’immobilité des misérables adossés au mur de l’hôpital était signe de la dignité et de la capacité à supporter la faim sans se plaindre173. À partir de 1924, les hauts lieux de la ville italienne ne peuvent plus accueillir des comportements désormais assimilés à des manifestations de misère, de saleté et de laisser‑aller. La fontaine de la Piazza Italia, héritée de la période ottomane, est brusquement accusée en octobre 1924 d’attirer « toute la lie indigène, qui y vient dans l’intention de s’y laver les pieds et de se débarrasser de certains insectes immondes, montrant sa nudité et faisant honte aux passants »174. Désormais les anciens usages, même le fait d’y venir simplement y chercher de l’eau, « détonnent avec les temps nouveaux et avec tout sentiment esthétique sain »175.
80La critique des comportements met au jour les lacunes de la grandeur voulue par Volpi. La promenade du front de mer est dépourvue d’éclairage, si bien que les passants y urinent la nuit contre la balustrade ou contre le mur d’enceinte de l’hôtel municipal en construction176. À partir de la fin 1924, c’est cependant contre la mendicité et la circulation des indigènes pauvres que se concentre la critique de La Nuova Italia. L’aggravation de la situation de l’hinterland, due à la crise économique et aux mauvaises récoltes, précipite à partir de ce moment l’évolution de la perception des comportements. En octobre 1924 un certain « Settimo Severo » se plaint dans les colonnes de La Nuova Italia des « essaims de auled (enfants arabes) qui se livrent au noble métier de cireur de chaussures », et reproche le trop grand laxisme des autorités dans l’attribution des permis de circulation177. En novembre, le journal reconnaît qu’à cause des difficultés agricoles, « la ville est pleine de mendiants en tout genre, d’estropiés, de femmes chargées de nourrissons et de tant d’autres douloureux et répugnants échantillons de la misère humaine ». Or c’est dans les espaces réinvestis par la pompe coloniale que se retrouvent ces miséreux, de même que les faubourgs ottomans avaient fini par servir de refuge, au milieu des années 1910, aux Libyens de l’intérieur fuyant la sécheresse, face à une vieille ville aux réseaux de sociabilité plus étanches :
Le Cours Vittorio Emanuele III est devenu le lieu de rendez‑vous préféré de ces malheureux qui demandent l’aumône avec insistance et effronterie, et parfois aussi avec arrogance, poursuivant et maltraitant les passants qui ne sont pas toujours disposés à le leur donner, parce que les gueux sont trop nombreux, et qu’ils sont désormais habitués à les rencontrer sur leur route. […] Certains pauvres, chassés de leur refuge préféré de zenghet Hammam es‑Sghir, ont échappé au contrôle, et, accompagnés d’adolescents crasseux et infectés, parcourent la ville du matin au soir, quêtant et retirant certainement un profit plus grand que celui qu’ils avaient à tendre la main aux clients du hammam178.
81En mars 1926, la Nuova Italia évoque la disparition des « auled179 et des cireurs de chaussures […] qui avec les mendiants constituaient la grande foule turbulente et parasitaire de la ville », et dont il ne « resterait qu’un petit nombre, désormais assez discipliné et moins effronté ». Sans qu’il soit possible d’en préciser toutes les modalités, il semble donc que la vague d’exode rural dû à la misère de l’arrière‑pays ait entraîné un accroissement des mesures contre la présence et la circulation des pauvres dans la ville. Mais, remarque le journal, « les mendiants survivent avec ténacité », bien qu’« il ne soit pas admissible, ni tolérable, qu’une misère aussi répugnante que celle que montrent les mendiants indigènes s’offre en spectacle au public »180. Sans qu’il soit actuellement possible de déterminer les dates et la nature exactes des interdictions, il est certain que l’augmentation de l’intolérance envers la présence des pauvres se soit accompagnée d’un contrôle croissant sur leurs déplacements. L’Avvenire di Tripoli signale ainsi en octobre 1928 l’arrestation de trois « vagabonds non autorisés », dépourvus du « certificat d’inscription, selon l’article 121 du règlement pour la Libye »181.
82La chasse aux pauvres n’est que l’aspect le plus visible d’une discipline des corps en fonction des lieux et du statut social. La diversité des conduites est en effet garante de l’infériorité des colonisés et de l’image touristique de la ville. Elle n’est donc pas à combattre, mais à policer. T. Curotti, dans la revue Tripolitania, destinée au grand public, se livre ainsi en janvier et en février 1933 à une description de Tripoli qui illustre parfaitement cette diversité nécessaire en même temps que la hiérarchie des espaces. L’Italien y est partout chez lui. L’auteur commence son parcours par la visite des restaurants et des cafés indigènes, « si invitants que les aventuriers européens y sont nombreux, étrangers et italiens », et où « les Européens et les indigènes mangent dans une promiscuité ethnique et sociale ». Le fellah un peu perdu y voisine avec le Tartarin à peine débarqué de la métropole, le Bédouin affamé avec le riche propriétaire du djebel, et « entre une bouchée et l’autre on s’échange les impressions les plus incroyables sur cette Tripoli toujours plus neuve, qui, à chacun de leur voyage, leur réserve de nouvelles surprises ». Dans ce lieu où le mélange favorise l’idée d’une société coloniale pacifiée, le récit que fait un Arabe venu de la campagne de sa visite de la ville nouvelle témoigne de la frontière invisible qui la sépare de la médina :
Je m’étais mis sur une banquette de marbre et je m’étais couché, mais tout de suite un vigile m’a dit que je devais rester assis, comme le font les musulmans de Tripoli. Alors, pour respecter la loi et trouver tout de même mon confort, je me suis accroupi par terre dans un bosquet où il y avait des murets faits de plantes, qui semblent être faits exprès pour former de beaux murs.
83Et il ajoute, à propos de la nouvelle galerie De Bono :
Si, la « galalià » [pour galeria – galerie] est ce grand souk avec cette grande coupole, toute en verre, au‑dessus du troisième étage des balasàt... Eh bien, je l’ai vu de nuit, je te jure que là‑dedans il faisait jour, tu comprends, comme un jour sans soleil, mais c’est comme s’il faisait jour182 !
84On peut y voir le stéréotype d’une vision où l’humour se mêle au mépris, traduisant plus l’effet voulu que l’impression réellement produite sur les colonisés. Mais il montre comment au moment où le gouvernorat élabore une conception ségrégationniste de l’espace urbain, comme il sera vu par la suite, ce ne sont pas la circulation ou la proximité qui sont mises en cause, mais le mode de vie. La circulation reste possible, elle est même utile pour diffuser les règles de la culture dominante et imprimer dans les esprits la hiérarchie sociale.
II.3.3. L’enfermement des pauvres
85Le refoulement des pauvres hors de la ville nouvelle a pour corollaire leur enfermement progressif. La dissolution de l’administration du camp bédouin, apparemment dans les dernières années de la Première Guerre mondiale, et l’absence de véritables hospices pour les pauvres, mendiants ou vieillards sans ressources, conduisent La Nuova Italia à évoquer dès août 1919 la constitution d’un asile « de caractère patriarcal » pour les vieillards et les invalides183. Ce n’est toutefois qu’à partir de 1926 que le gouvernorat envisage la mise en place de structures spécifiques face à la permanence d’une pauvreté endémique alimentée par l’exode rural. Ces structures entrent d’abord dans le cadre de la bienfaisance religieuse et s’adressent avant tout aux Européens les plus démunis. En janvier 1926, l’inauguration de la chapelle de la rue el‑Garbi et des locaux des sœurs franciscaines pour « l’œuvre de charité » en faveur des familles pauvres de Bel Kher et des Case Popolari est l’occasion pour le gouverneur de se prononcer en faveur d’un « refuge pour les vieillards qui passent misérablement la fin de leurs jours, abandonnés de tous » et d’un « asile pour les enfants abandonnés, auquel fera suite un orphelinat pour les garçons »184. La même logique de charité se retrouve dans l’appel de La Nuova Italia aux notables musulmans, à l’instigation du gouvernorat, pour la constitution d’une « institution de bienfaisance » sous la responsabilité des « notables de la population arabe, comme le font les citoyens métropolitains et les israélites à travers leur communauté »185. Le projet de faire reposer la prise en charge des plus pauvres par la population musulmane semble cependant ne donner aucun résultat dans les premiers temps, malgré les pressions du gouvernorat, qui en 1929 encore élabore un projet de « congrégation de charité en faveur des mendiants de Tripoli […] composée des citoyens les plus aisés » dans la « philanthropie et le patriotisme »186.
86Cette tentative se conjugue désormais à l’intervention directe du gouvernorat. L’Avvenire di Tripoli mentionne les préparatifs en vue de la construction d’un « asile » dans les environs de la Bu Meliana, « dans les logements autrefois occupés par la troupe et restaurés pour l’occasion ». Ainsi, « les rues de Tripoli seront bientôt libérées des mendiants » et du « spectacle quotidien de pauvres bédouines en guenilles, défaites, portant sur leur sein, au cou ou à la main leurs créatures […] dans les rues principales de la ville, dans le vent et la pluie ».
87Bien que l’asile en question n’exclue nullement la bienfaisance traditionnelle, il est aussi inspiré de l’expérience des villages bédouins : il s’agit non seulement de distribuer le minimum indispensable à la survie, mais aussi de les « recueillir, d’assister et de discipliner » les plus pauvres. Les femmes seraient contraintes à « laver pour le compte de quelque entreprise ou de quelque personne privée, ou de travailler à la confection de besaces, de tapis, de paniers, etc. », tandis que les « enfants et les vieux aideront de leur mieux »187. Implicitement, il semble que les hommes, hormis les vieillards, ne soient donc pas compris dans la population visée, puisqu’ils étaient censés trouver du travail et subvenir par eux‑mêmes à leurs besoins. En mai, le journal fait de nouveau état de « la nouvelle œuvre de bienfaisance qui surgit à Tripoli et d’une autre action humanitaires de S.E. le gouverneur », annonçant l’ouverture prochaine, « sur initiative de la municipalité », d’un « hospice pour mendiants dans lequel pourront trouver refuge et assistance les indigènes inaptes au travail et dépourvus des moyens de subsistance »188.
88Badoglio entend suivre personnellement la mise en place de cet hospice. « L’action humanitaire » semble toutefois s’avérer plus difficile et moins convaincante que prévu. Le 14 août 1930, le gouverneur écrit directement au podestà de Tripoli, Perugini, pour lui faire part des « vives plaintes sur le fonctionnement de l’hospice de mendicité, notamment pour ce qui concerne la nourriture ». Il exige que « l’hospice de mendicité soit un hospice modèle » tout en évitant au maximum d’en faire reposer le poids financier sur le gouvernorat. Le podestà est chargé de voir « s’il est possible d’interner d’autres pauvres, en faisant payer l’augmentation aux baladiât [municipalités] d’origine », donc en tenant ces dernières pour financièrement responsables de leurs administrés189. La réponse de la municipalité permet d’avoir un aperçu des conditions et de l’organisation de l’hospice. Celui‑ci se trouve provisoirement sur un terrain militaire encore occupé en partie par des miliciens. Il est composé de baraquements, dont un pour le logement des internés et un pour l’infirmerie, et d’un dortoir pour les femmes. Selon le podestà, « la clôture du terrain est incomplète ; et il n’est pas difficile en l’état actuel que certains mendiants puissent s’éloigner de l’hospice, poussés par le désir de liberté et de l’argent qu’ils gagnent en demandant l’aumône lorsqu’ils sont dehors »190.
89Aux évasions s’ajoute le faible succès de l’hospice, puisque ce dernier n’accueille, selon l’aveu même du podestà, que vingt femmes et vingt‑trois hommes, alors qu’il est capable en théorie de contenir quarante hommes et trente femmes. Globalement, les moyens paraissent faibles au regard de l’ambition déclarée de « libérer la ville de ses mendiants ». Seuls trois gardiens assurent le fonctionnement du camp, en plus du directeur, le conseiller municipal indigène Mohammed el‑Sta. Celui‑ci, rapporte le podestà, « à chaque fois que je lui en ai parlé, s’est plaint de ce que les choses n’allaient pas »191.
90L’hospice ne remplace pas les villages bédouins, qui continuent d’exister sous une forme spontanée, ou autogérée, après la dissolution de l’administration qui les avait en charge. Mais il repose sur une conception différente : les mendiants qui sont contraints d’y loger n’ont en théorie pas le droit, au contraire des cas précédents, de circuler librement la journée dans la ville. L’organisation impose la séparation stricte des sexes, dans des baraques qui accueillent non des familles, mais des individus isolés. La situation sociale à laquelle l’hospice est censé faire face est en effet très différente de celle de la Tripoli de 1912. L’exode rural n’est plus tant le fait de mouvements collectifs, par tribus ou familles, que d’individus singuliers192. Comme le fait remarquer le chef de la municipalité, l’absence de ce genre d’hospice dans l’intérieur du pays ne peut enrayer un phénomène qui touche à l’augmentation du besoin d’assistance à la suite de la progression de la pauvreté et du déracinement. Entre les lignes apparaît aussi la discordance entre la volonté du gouvernement de faire de l’hospice « une société autonome, avec un patrimoine et des entrées propres » et la progression d’une pauvreté qui ne touche plus seulement les Libyens, mais aussi désormais bon nombre d’Italiens. Le maire tente ainsi de proposer un élargissement de l’action sociale de l’hospice en évoquant les « legs et des donations de privés en vue du soulagement des conditions de tous les pauvres de la colonie, sans aucune distinction » et avertit qu’« il est à prévoir qu’avec le temps s’impose également l’institution d’un hospice pour les mendiants métropolitains ».
91L’extension de l’enfermement aux Italiens, incompatible avec la théorisation de la dignité nationale des colonisateurs, ne sera pas appliquée. Le cas de l’hospice éclaire à contre‑jour une des fonctions principales de l’imposition d’un code de conduite spécifique aux métropolitains dans l’espace public, pourtant jamais explicitée : celle de dissimuler, derrière l’apparence et la discipline, la misère de nombre d’entre eux. Les demandes adressées pour l’obtention d’un poste de gardien dans l’hospice de mendicité viennent confirmer cette fragilité : ce sont les plus pauvres des colonisateurs qui demandent à surveiller les plus pauvres des colonisés193.
92Face à cela, la réponse du gouvernorat reste essentiellement d’ordre religieux, dans une perspective de charité traditionnelle, mais aussi de suspicion. En novembre 1930, Badoglio institue ainsi un « conseil général de la bienfaisance » visant « la réorganisation et la coordination » de celle‑ci, selon l’idée que « trop de gens ont recours à la bienfaisance ». L’offre des pouvoirs publics est de ce fait des plus limitées. Le gouvernorat se propose seulement de « commencer les travaux pour la construction d’un imposant édifice, qui servira à recueillir les orphelins vagabonds de toutes les races et de toutes les religions » et les vieillards. L’église prévue dans le projet architectural, « de style franciscain », indique, sans le dire explicitement, le souci de s’adresser avant tout aux Italiens194. Seuls les plus jeunes et les plus vieux sont pris toutefois en compte par ce cadre qui vise surtout à enfermer et éduquer. Pour les adultes, la pauvreté semble ne pas exister aux yeux de l’administration, si ce n’est comme une faute.
Notes de bas de page
1 Fuller 2006, p. 147‑162, a toutefois mis en évidence les contradictions entre le discours officiel et les paramètres de la répartition sociale dans le cas des années 1930. L’étude de l’influence de l’espace sur les comportements dans le cadre de la ville coloniale a été prise pour objet par tout un courant de la recherche anglo‑saxonne, notamment autour des travaux de A. D. King, 1976 et 1990, sans pour autant aller au‑delà, le plus souvent, d’une réflexion théorique. Ce courant s’est donc naturellement nourri de l’apport des Subaltern Studies au cours des années 1980‑1990 pour s’étayer, aboutissant cependant en partie aux mêmes conclusions sur l’impossible comparaison entre des systèmes de pensées jugés radicalement étrangers l’un à l’autre. Partant d’un autre point de vue, Myers 2003 s’est servi de M. Foucault pour assimiler la ville coloniale à un système de surveillance et de répression. Unilatérale, cette approche occulte la question du comportement comme enjeu de rapports sociaux.
2 ACS, PCM 1912, 444, 25 février 1913, « Condizioni generali della città ».
3 Ibid. L’idée d’une diffusion spontanée des règles d’hygiène par l’imitation et l’émulation économique est confirmée, sur un autre registre, par le témoignage d’E. Braun en 1914, qui cite le cas d’une famille arabe devenue plus attentive à la propreté de sa maison depuis qu’elle en loue une partie à des Anglais (est‑ce un hasard, sous la plume d’une citoyenne britannique ? Ce faisant, Braun réutilise le discours hygiéniste italien au profit de ses propres compatriotes). La position de Braun, comme celle de l’Office des affaires civiles, présuppose en réalité la saleté antérieure de ces demeures, ce que d’autres témoignages, avant la colonisation, démentent par ailleurs. Braun 1914, p. 27.
4 Chierici 1919, p. 193 : « Mais il y aussi des dames de Tripoli qui sont absolument européennes, grâce à leur haute culture, au raffinement de leurs goûts, à la délicatesse de leurs manières, et aussi parce qu’elles ont depuis de nombreuses années la citoyenneté italienne. Citons par exemple tout le groupe des dames et des demoiselles Nahum, nées à Tripoli, filles et petites‑filles de gens de Tripoli, mais qui sont effectivement européennes sous tous les aspects. Madame Clamo Nahum, épouse de Halfalla, madame Rina Nahum, épouse de Clemente ; madame Camilla Nahum, d’une beauté vraiment royale, qui s’est mariée à Tunis, mesdemoiselles Zarifa et Margherita. Toutes ensembles forment un bouquet de roses parfumées ».
5 Podrecca 1912, p. 76.
6 Il Messaggero, 29 mars 1913, « Calorose dichiarazioni di italianità fatte dagli arabi all’on. Païs ».
7 Halfalla Nahum, « Legge ed opportunità nella Comunità israelitica ? », La Nuova Italia, 29 octobre 1917, critique la tendance moderniste de certains membres de la communauté juive qui invoquent le modèle des Juifs italiens. Voir, pour une étude détaillée de la question : De Felice 1978.
8 Braun 1914, p. 60.
9 La Nuova Italia, 9 février 1917.
10 Ibid., 20 janvier 1921.
11 ASDMAI, Africa II, 122/2, f. 17, télégramme du 21 octobre 1914 n° 521.
12 Cf. supra, ainsi que Del Boca 1994, vol. I, p. 302‑309, et ASDMAI, Africa II, 127/1 et 122/6. L’histoire de cette répression déborderait le cadre de la présente étude. Elle reste cependant en partie à faire, notamment pour ce qui concerne son impact sur la démographie et les aspects économiques et sociaux de la population libyenne.
13 ASDMAI, Africa II, 122/6, f. 54, circulaire d’Ameglio aux cadres civils et militaires de la Tripolitaine, 28 juillet 1915.
14 ASDMAI, Africa II, 122/6, f. 52, rapport de l’Office politico‑militaire au ministère des Colonies, 15 août 1915.
15 ASDMAI, Africa II, 122/21, f. 189, Garioni au ministère des Colonies, 27 novembre 1918.
16 ASDMAI, Africa II, 122/6, f. 52, rapport au ministère des Colonies, 15 août 1915. Voir aussi les rapports de A. Pavoni (Id., Africa II, 122/6, f. 48, déjà cité) et du major Pantano (ibid., f. 55, déjà cité).
17 Ibid.
18 ASDMAI, Africa II, 122/6, f. 52, rapport de l’Office politico‑militaire, 15 août 1915.
19 ASDMAI, Africa II, 122/21, f. 189. Garioni au ministère des Colonies, 27 novembre 1918.
20 ASDMAI, Africa II, 122/26, f. 236. Télégramme de Baccari au ministère des Colonies, 23 juillet 1921 : « Jusqu’à présent l’idée que la population israélite de Tripoli, qui par son nombre et par son importance économique constitue un élément vital de la ville, aurait été, de toute évidence, attachée au gouvernement, ou du moins ne se serait pas unie avec les ennemis de celui‑ci, pour sa propre conservation, constituait presque le fondement de l’action du gouvernement local. Maintenant au contraire, avec le surgissement général de la vague sioniste, est en train de s’affirmer un phénomène non prévu, à savoir le rapprochement des israélites avec le parti nationaliste arabe, du fait que la haine traditionnelle entre les Juifs et les Arabes tend à s’atténuer pour laisser place à une haine commune contre le gouvernement italien en général, et contre l’élément européen en particulier. De cela il découle qu’en cas de soulèvement général de la ville de Tripoli, pour lequel les prédispositions pour les mesures répressives prévoyaient, au minimum, la neutralité de l’élément juif, il faudrait craindre sinon une participation directe au conflit, du moins une aide en sous‑main des Juifs aux rebelles. »
21 Alongi 1914, p. 65. Le questeur de Tripoli déplore ainsi que les Libyens « ne démontrent pas pour nous toute l’obséquiosité et tout le respect que leurs voisins orientaux et occidentaux ont pour les Français et les Anglais ». Pour lui cependant, cette attitude est appelée à se résorber par la démonstration de la supériorité italienne à travers les transformations urbaines.
22 Cottini 1913, p. 42‑43. On trouve une variante de cette vision chez Malvezzi 1913, p. 680. Les archives de l’ancien ministère de l’Afrique italienne contiennent nombre de lettres d’Italiens demandant une plus grande sévérité envers les colonisés, à l’instar d’Eduardo Caretta, directeur du journal l’Eco di Tripoli en juillet 1915 (ASDMAI, Africa II, 122/6, f. 52) et auteur d’un ouvrage de témoignage (Caretta 1914).
23 ASDMAI, Africa II, 133/2, f. 18, Relazione sui servizi di polizia politica pel 1° semestre dell’anno 1916, 12 juillet 1916.
24 Ibid.
25 Ibid. « Dans de tels cas le gouvernement n’a pas manqué d’intervenir, parfois même énergiquement, pour aplanir ces contrastes, dans lesquels, malheureusement, le tort était presque toujours du côté de l’Italien, générant ainsi dans l’élément indigène la conviction que le Gouvernement n’était pas disposé à favoriser les compatriotes aux dépens de la justice ».
26 ASDMAI, Africa II, 122/7, f. 60, Circulaire aux fonctionnaires du gouvernorat, 28 juillet 1915.
27 La Nuova Italia, 11 décembre 1921, « Le industrie di Tripoli ».
28 Coletti 1923, p. 43‑44.
29 Cottini 1913, p. 95‑97.
30 Chierici 1912, II, p. 9. Le journaliste signale début 1912 l’ouverture de l’hôtel Roma, ainsi que celle de l’hôtel Savoia et d’un cabaret, le Kursaal. Le café Suvini e Zerboni s’est par ailleurs installé dans l’ancien Cercle militaire, Place du marché au Pain. Malgré cela, « trois cents personnes se promènent à la recherche d’un restaurant, sans le trouver ». En février, il note l’ouverture d’un café‑concert » : « Il est vrai qu’il ouvre à sept heures et finit à neuf, car à Tripoli à neuf heures le pouls de la vie civile doit cesser de battre par décret, mais c’est toujours mieux que rien. Ce café, situé dans le souk turc [Suk el‑Turk], est un objet très intéressant, non pour les spectateurs, mais pour les chercheurs et les observateurs. Dans un angle de la salle se dresse une estrade faite de planches grossières, et le public s’installe en face ou sur les côtés. Le décor du fond est composé de publicités artistiques pour des vermouths et des bières » (ibid., p. 64).
31 Coletti 1923, p. 133. Le lagbi (ou laghbî) est un alcool de palme artisanal. Voir aussi : Alfredo Nunes Vais, « Alcoolismo in Tripoli », La Nuova Tripoli, 15 juillet 1917. La référence à la brusque croissance de l’alcoolisme chez les Arabes se retrouve dans la correspondance du consul de France à Tripoli (ANOM, 1 Affpol, 1428, rapport du consul Guy du 24/05/1920, « Le syndicalisme en Tripolitaine »).
32 ASDMAI, Africa II, 122/25, f. 229, Mercatelli à Rossi, n° 289, 28 mai 1921.
33 Le journal arabophone El‑‘Adl, contrôlé par le gouvernorat, publie ainsi le 27 avril 1922 un article contre « la bande de l’Agence des fausses nouvelles », « d’où proviennent tous les bobards diffusés ces jours‑ci dans les cafés et dans les lieux où l’on boit le thé. La bande est composée d’un petit nombre de personnes gâtées par l’alcool et le manque d’éducation. Que le public se tienne sur ses gardes et n’écoute pas leurs mensonges ». ASDMAI, Africa II, 122/28, f. 254.
34 L’epoca, 15 juin 1922, « Un decreto del governatore Volpi contro i popalatori di notizie false ». Cf. aussi NA, FO 371.7662, f. 154, 25 mai 1922. Le décret prévoit jusqu’à six mois de prison et 3 000 lires d’amende en cas d’infraction.
35 Sur le Gran Caffè Italia, construit par l’architecte O. Frugoni : La Nuova Italia, 10 août 1922. Construit dans le suk el‑Muscir, il a une salle de concert, une salle de billard et une véranda d’environ 100 m2. Le Caffè Nazionale, situé Piazza Italia, se dote lui aussi de billards en novembre 1923 (ibid., 10 novembre 1923) Le même éloge architectural vaut pour l’hôtel Moderno (La Nuova Italia, 6 septembre 1923), le café jardin Miramare (ibid., 10 juin 1923) et pour le Bristol (ibid., 28 février 1926), dont « l’originalité et l’élégance du style » est louée. Le Caffè Commercio, refait à neuf en juin 1929, est ainsi perçu comme un élément essentiel de la mise en valeur de l’espace alentour, là où « des boutiques misérables se succédaient dans les locaux désormais indignes de la Tripoli fasciste » (L’Avvenire di Tripoli, 16 juin 1929). Il est situé à l’angle du cours Vittorio Emanuele III et de la rue Piave. L’architecture de ces locaux est essentiellement mauresque. Ainsi le café restaurant Miramare est de « style arabe avec quelques réminiscences byzantines de type vénitien », architecture « qui plaît à tous, y compris aux indigènes » (ibid., 4 avril 1929).
36 La Nuova Italia, 24 août 1923.
37 Ibid., 12 octobre 1923, « Una geniale trasformazione ». Le café est transformé en « décor de berceau japonais ».
38 Ibid., 19 juillet 1919. La Hara Sghira est la partie la plus pauvre du quartier juif, la Hara.
39 Ibid., 20 octobre 1921 à propos d’un café de Kusciet es‑Safar, et ibid., 31 juillet 1924 pour la rue el‑Garbi. Braun 1914, p. 116, décrivait ces cafés dix ans plus tôt comme les lieux « d’un mélange de divertissements primitifs et modernes », mentionnant les phonographes diffusant de la musique arabe populaire.
40 La Nuova Italia, 26 août 1922, signale aussi l’existence d’un stade de football dès le 21 décembre 1920, appartenant au Cercle de l’aviron (Circolo dei Canottieri).
41 ASDMAI, Africa II, 122/30, f. 277, notiziario n° 73 du 1er au 10 avril 1923.
42 Cottini 1913, p. 95.
43 La Nuova Italia, 31 juillet 1921.
44 Ibid., 7 août 1921, « Un lembo di Tripoli trascurato »
45 Ibid., 19 juillet 1922, « Mareggiate e igiene a Baraccopoli », par le docteur Mazzolani. En 1922 on compterait « peut‑être » le double des 150 baraques comptabilisées en 1921. La plage serait fréquentée en moyenne par 2 000 personnes par jour.
46 Voir tous les numéros du mois de juillet 1922 de La Nuova Italia, courrier des lecteurs.
47 Ibid., 18 juillet 1922, « Il caos di Baraccopoli »
48 Ibid., 31 juillet 1924. La “plage des Caramanli” désigne très probablement la partie du littoral où se trouvent les vestiges des tombeaux des Caramanli.
49 L’Avvenire di Tripoli, 18 juin 1929. Le même jour, la municipalité annonce l’ouverture des nouvelles concessions des plages de Barracopoli et des Dirigeables.
50 Castigliola 1931, p. 1 et p. 48.
51 Ainsi le député Podrecca, tout en critiquant l’enfermement des femmes indigènes, s’extasie sur le corps d’une petite Bédouine de 10 ans à peine, qu’il décrit complaisamment. Le sentiment d’altérité l’y autorise. Podrecca 1912, p. 94.
52 Bevione 1912, p. 10. « Les femmes turques laissent derrière elles un sillage de mystère et d’inquiétude bien plus profond [que les arabes] ». Il conseille ainsi d’aller au‑delà du Grand Marché pour les voir, là où demeurent les officiers, et ne cache pas sa sensibilité « à la fascination de ces visages invisibles ». Ailleurs si engoncé dans sa posture de pionner de la colonisation, l’auteur se laisse aller dans ces descriptions au désir de faire tomber les voiles. Sur la plage, où il rencontre trois femmes, l’une d’entre elles aurait découvert son visage spontanément.
53 Cottini 1913, p. 77 sqq,
54 Braun 1914, p. 118.
55 Pour le Maghreb : Taraud 2003, notamment p. 292‑297. Coletti pourtant si critique sur le laisser‑aller des cabarets de Tripoli, cède aussi à la tentation de la photographie érotisante sous couvert de curiosité anthropologique (Coletti 1923, p. 228). Voir aussi entre autres, Chierici 1921, p. 197.
56 Valabrega 1984, p. 442, cite une lettre anonyme d’un soldat au général Caneva en octobre 1911, dont il vaut la peine de rapporter un extrait : « Si vous voulez que nos soldats obéissent à l’ordre de respecter les femmes de la Tripolitaine, vous n’avez qu’à y faire venir autant de putains qu’il faut pour satisfaire l’armée dans ses besoins naturels. Une femme pourrait servir à 500 soldats à tour de rôle – 20 par jour et 5 jours environ de repos, avec la possibilité pour le soldat de renoncer à son tour (sic) ».
57 Chierici 1912, p. 35. « De jour et de soir comme de nuit, souvent un être mystérieux s’approche de vous, un petit homme coiffé d’un fez, souriant et rampant, qui connaît toutes les filles de joie de la ville et des faubourgs. “Quelle couleur préfères‑tu ? Blanche ou noire ?” ».
58 Maltese 1968, p. 251, Malgeri 1970, p. 294.
59 Salerno 1922, p. 45‑46.
60 Maltese 1968, p. 251
61 Salerno 1922, p. 43‑45. Il s’agit du règlement général sur la prostitution du 27 octobre 1891 n° 605.
62 Ibid., p. 46.
63 Alongi 1914, p. 50‑51 et La Nuova Italia, 8 août 1921 et 22 novembre 1923. L’urbanisation du côté sud de la rue, projetée par l’Office technique de Tripoli, qui devait servir de moteur à la construction d’un nouveau quartier d’habitations pour Italiens au sud de la vieille ville, se résume au début des années 1920 à quelques maisons closes.
64 Salerno 1922., p. 47.
65 Les demandes de passeports pour la Libye contiennent ainsi de nombreuses requêtes de prostituées, le plus souvent françaises, pour venir en qualité d’artistes. ASD, serie politica P (1891‑1916).
66 Salerno 1922., p. 48‑49.
67 Ibid., p. 51.
68 ASDMAI, Africa II, 122/3, f. 22. Lettre du ministère des Colonies au gouvernement de Tripoli, 31 juillet 1914, réservé. Les madames désignent les concubines indigènes des colons et soldats italiens en Somalie.
69 Ibid.
70 ASDMAI, Africa II, 113/1. Décret du gouvernorat du 15 juin 1916.
71 « Sunto del rapporto presentato in data del 12 giugno a S.E. Il Ministro delle Colonie dal notabile tripolino M. Muzafer », cité in L. Tuccari, 1994, vol. II, p. 155‑156, doc. 83.
72 Salerno 1922., p. 51‑53.
73 ASDMAI, Africa II, 122/4, f. 34, Garioni au ministère des Colonies, 4 mars 1915.
74 Salerno 1922., p. 46.
75 La Nuova Italia, 15 juin 1922, « La polizia dei costumi a Tripoli » : Il justifie par ailleurs ce genre de comportements par le fait que « si les Arabes et les Juifs n’aiment pas voir leurs femmes travailler chez les métropolitains, ils ne se privent pas de ne pas laisser en paix nos femmes ».
76 Ibid.
77 Ibid., 12 mai 1922 et 2 juillet 1926.
78 L’Avvenire di Tripoli, respectivement des 6 et 2 octobre 1928.
79 Corsi 1927, p. 57.
80 Ibid., p. 59 et 72‑74.
81 Cf. L’opera dell’Italia nei suoi territori africani, anonyme, s.d., s.l., mais écrit à la fin des années 1930, p. 41, dans ASDMAI, Africa IV, 66.
82 NA, FO 371.7662, doc. 149, lettre du consul Monahan au Foreign Office, 18 mai 1922. « Ces clubs et ces sociétés, dont la grande majorité des membres sont des citoyens italiens, incluent des associations de magistrats, d’avocats, d’ingénieurs, de constructeurs, de maçons, de commerçants, et sont aussi politiques, littéraires, musicaux, sportifs ou sociaux, bien que la population italienne locale ne dépasse pas les deux ou trois mille personnes ». Il remarque par ailleurs qu’« aucun Arabe ne prit pas à ces protestations », que « les Italiens ne peuvent compter sur aucun ami parmi les chefs arabes ».
83 La Nuova Italia, 11 janvier 1922, « La conquista della Tripolitania ad opera degli italiani ».
84 Ibid.
85 Ibid., 17 janvier 1922, « Partiti e associazioni in colonia ».
86 Ibid. Les citations qui précèdent sont issues de ce texte.
87 La Nuova Italia, 1er décembre 1923. Ce portrait reprend en creux les critiques adressées aux colonisations britanniques, françaises ou belges, avec l’intention de légitimer la colonisation italienne comme plus humaine.
88 Ibid., 24 janvier 1926, « Dove si diventa qualcuno ».
89 NA, FO 371/10914, contenu dans J 2248/158/66. Rapport du colonel W.F. Blacker et du lieutenant‑colonel R. Evans au Foreign Office, 2 mai 1925 : « La “couleur” ne semble pas être un obstacle à l’intimité, et bien que les autorités du gouvernement soient intervenues lorsque certains Italiens commencèrent à se faire cireurs de chaussures dans les rues de Tripoli, il n’est pas rare de voir les ouvriers italiens travailler côte à côte avec des coolies arabes. Par contre, les officiers italiens traitent les sheykhs avec ce que l’opinion britannique jugerait être une amitié et une égalité excessives […]. Les effets de tout cela sur le prestige des Européens sont difficiles à déterminer ». Le rapport dit du général Graziani qu’il « tire les moustaches de l’un, pince les joues de l’autre. Ces familiarités sont reçues en apparence avec gratitude, mais il est probable que celle‑ci soit inspirée plus par respect pour ses exploits passés que par une affection personnelle envers lui ». Le rapport du consul britannique Monahan du 30 novembre 1923 mentionnait aussi « un certain comportement italien indigne en matière sexuelle » (NA, FO 371/8989, doc. 366).
90 ASDMAI, Africa II, 121/1, f. 3, le gouvernorat de Tripolitaine au ministère des Colonies, 27 février 1917. Sur les relations entre l’Église et l’État italien en Libye : Ianari 1995 et Marongiu Buonaiuti 1982.
91 La Nuova Italia, 24 et 26 octobre 1920.
92 Il Corriere d’Italia, « Lettere della Tripolitania », 14 mars 1922, par F. M. Rossi.
93 La Nuova Italia, « Attraverso Tripoli sconosciuta. L’indovino arabo », 26 mars 1924, qui reprend un texte de Guido Gozzano tiré de Verso la cuna del mondo.
94 L’Avvenire di Tripoli, « Basta », 15 mars 1928.
95 DM, ‘Askarî 6, f. 2. Circulaire du gouvernorat de Tripolitaine, 19 septembre 1929. Selon le consul de Grande‑Bretagne Patron, Badoglio aurait « constaté avec déplaisir l’absence des fonctionnaires à la messe officielle dominicale », ordonnant que « le service religieux y soit suivi avec attention, pour des raisons politiques » (NA, FO 371/13883, J 2910, doc. 92, rapport du 15 novembre 1929).
96 DM, ‘Askarî 6, f. 2. Circulaire n° 2555 du 3 février 1937 du gouvernorat de Libye. Une seconde circulaire du 12 juillet 1938, n° 1260 d’I. Balbo affirme que « la messe constitue une manifestation publique de la différence de race, qui doit s’exprimer principalement sur un niveau de spiritualité supérieure, c'est‑à‑dire dans la différence de religion ».
97 Il n’est pas tenu compte ici des publications du Comitato per la documentazione dell’opera degli italiani in Africa, créé sous l’égide du Ministère des Affaires étrangères italien dans les années 1950, dont les cinquante volumes de la série l’Italia in Africa sont reconnus désormais comme historiographiquement inacceptables (Del Boca 1989, p. 33‑45, les avait qualifiés de « plus grand et dispendieux effort de mystification », donnant « un bilan truqué, parfois grossièrement et impudemment, avec pour seul objectif de mettre en évidence les mérites de la colonisation italienne ainsi que sa "diversité" et "son caractère exceptionnel" par rapport aux colonialismes contemporains »). Voir aussi les critiques de la première historiographie par Rochat 1978 ; Rochat et al. 1981, Rainero 1986 ; Del Boca 1989 et 1992. Plus généralement, l’idée que le régime n’aurait fait que poursuivre la politique antérieure et aurait réduit son apport à un « changement de style » (selon Del Boca 1994, vol. II, p. 5‑13) se retrouve fréquemment, avec des nuances importantes toutefois. Miège 1973, a permis de dépasser la seule étude idéologique pour s’intéresser aux pratiques mêmes de la colonisation fasciste, mettant en relief le recours à la violence et la concentration progressive de l’administration coloniale sous la seule responsabilité du gouverneur. Il en va de même, pour les dernières années de la colonisation italienne en Libye, de Segrè 1974. Pour une synthèse sur la question : Dumasy 2008.
98 Sur ces aspects, Dumasy 2008.
99 Goglia 1988, a le premier étudié la politique d’embrigadement envers les colonisés.
100 Labanca 2003, p. 85‑100.
101 Le front avancé de l’histoire urbaine sur ce sujet doit beaucoup à la recherche américaine, notamment les travaux Von Henneberg. 1994 et Fuller 2006.
102 Pour une mise au point sur ces aspects : Labanca 2002 et 2005.
103 La Nuova Italia, 3 et 4 août 1920. Quelques jours après sa fondation, le P.P.I. revendique 250 adhérents.
104 Ibid., 4 août 1920 et 26 avril 1921. Le directeur de la Nuova Italia, Vincenzo Serio, juge ainsi que la colonie « ne semble pas adaptée à de semblables spéculations politiques et qu’il ne devrait y avoir autre chose qu’un parti italien unique, entendu comme la fusion la plus haute et la plus harmonieuse de toutes les âmes, dans le but noble et patriotique de tenir éveillé dans nos cœurs le culte de notre Italie, et dans le devoir sacré de défendre le nom et le drapeau de ce symbole du travail et de la civilisation. »
105 Ibid., 26 avril et 23 novembre 1921. Les premières mentions de groupements remontent à 1921 autour du journal Rinnovamento, publié à Tripoli. Ce journal reste toutefois introuvable, de même que celui du parti socialiste, l’Unione. C’est donc uniquement par La Nuova Italia qu’il est possible d’avoir un aperçu de la situation du temps. En mars apparaît un fascio di combattimento, rattaché à la fédération italienne fasciste.
106 Quatre jours après la lettre de Mercatelli, le journal socialiste L’Avanti ! se plaint des exactions du fascio. Cf. aussi Chronique 1922, vol. I, p. XIV, sur les manifestations contre la France.
107 ASDMAI, Africa II, 122/25, f. 230, le gouvernorat de Tripolitaine au ministère des Colonies, 7 juin 1921.
108 L’Avanti !, 26 mai 1921.
109 ASDMAI, Africa II, 122/25, f. 230, Mercatelli au ministère des Colonies, 12 juin 1921. Mercatelli est convaincu que le mouvement nationaliste compterait sur la chute du gouvernement italien et la prise du pouvoir par les socialistes. Il réclame l’abrogation des Statuts libyens, faisant remarquer que « nous sommes désarmés, même à Tripoli, par la Loi Fondamentale, que personne n’observe, mais que tous invoquent contre nous ».
110 Ibid., Notiziario du 15 juin 1921, mentionnant aussi les réunions politiques tenues aux domiciles de Lamin Maria, Lamin Gargani [Amin bey Qerqanî], du sheykh Nedem Ben Musa et de Ahmed Gurgi sous la présidence de Otman el‑Ghizani, Sadiq ben Hag, le sheykh Mohamed el‑Misrati. Cf. aussi ibid., Volpi au ministère des Colonies, 11 août 1921, f. 237.
111 Ibid., f. 230, Mercatelli au ministère des Colonies, 17 juin 1921. Il y est fait mention de « réunions nocturnes d’Arabes dans les mosquées et dans l’oasis ». L’une d’entre elles aurait même « réuni à deux ou trois reprises jusqu’à deux ou trois cents personnes ».
112 De Felice 1978, p. 115.
113 La Nuova Italia, 13, 14 et 18 septembre 1921. La venue du prince du Piémont en septembre 1921 est l’occasion d’une visite de la vieille ville par toutes les autorités de la colonie, reprise de possession d’un espace encore craint peu de temps auparavant.
114 El‑Raqib el‑Atid ,13 janvier 1923, conservé dans ASDMAI, Africa II, 122/29, f. 263.
115 Le 31 octobre 1922, « le cortège des fascistes » décrit par la Nuova Italia du lendemain rassemble la Société Dante Alighieri, l’Associazione dei Combattenti, les « représentants du corps enseignant », les scouts (giovani esploratori), et « une foule nombreuse de citadins ». Le cortège est précédé par la clique militaire, montrant la mise à la disposition des moyens de l’État au service du fascisme.
116 ASDMAI, Africa II, 122/27, f. 248, Volpi au ministère des Colonies, 7 avril 1922, écrit que « ce Fascio a une attitude parfois trop enflammée, sans correspondance avec le nombre restreint de ses membres ; le fait aussi qu’il n’y a ici ni socialistes, ni communistes, fait que l’action du Fascio est peu comprise par la majorité. En outre ces attitudes ne sont pas comprises de la majorité des métropolitains, même si elles sont parfois utiles au gouvernement, envers lequel le Fascio est même presque trop déférent pour ne pas faire penser que l’action du gouvernement soit soutenue et inspirée par lui. » Ce télégramme confirme la répression du mouvement socialiste. Il est écrit six mois avant la nomination de Mussolini à la présidence du Conseil.
117 Non sans une certaine crainte de Volpi pour les débordements. ASDMAI, Africa II, 122/28, f. 261, Volpi à Federzoni, 8 décembre 1922 n. 4287, et ibid., 122/29, f. 263, Volpi à Federzoni, 8 janvier 1923, qui montre l’absence d’accusation précise. Dans une lettre à Volpi du 6 mars 1922, Martini lui reproche d’avoir été « dégagé » par le gouverneur après que celui‑ci l’a utilisé comme intermédiaire officieux avec la résistance libyenne (ASDMAI, Africa II, Fondo Volpi, 3/5). Le journal arabophone Al‑‘Adl du 21 décembre 1922 rapporte que ce sont les fascistes qui ont contraint Martini, connu pour être en faveur des Statuts libyens, à quitter Tripoli.
118 Labanca 2003, p. 87.
119 La Nuova Italia, 10 décembre 1922
120 Al‑‘Adl du 21 décembre 1922. E. Nahum est condamné, en même temps que le notable proche des nationalistes Yussuf Gurgi, à cinq ans de prison et à la confiscation de tous ses biens.
121 ASDMAI, Africa II, 150/27. Le rapport des carabiniers du 1er juin 1923 illustre le rôle d’auxiliaire du fascio. La responsabilité des faits y est entièrement reportée sur « les juifs qui représentent ici, plus qu’une religion, un parti, et menacent l’ordre public avec des conséquences dommageables évidentes pour la colonie ».
122 La Nuova Italia, 39 août 1923, « Fascio in Tripolitania ». Le fascisme à Tripoli se lance dans une campagne contre la présence de Libyens (et de femmes) parmi les fonctionnaires, opposant les « chômeurs italiens, les vrais Italiens décorés et mutilés » à ceux accusés d’accaparer les emplois.
123 NA, FO 371/8989, doc. 307‑310. Rapport du consul Monahan du 26 juin 1923. On trouve un cas assez semblable de répression contre un membre influent de la bourgeoisie juive à Benghazi en 1925, Mosè Agiman, sous le gouvernorat de Graziani (Dumasy 2008).
124 ASDMAI, Africa II, 122/29, f. 266. La première rixe a lieu le 18 août 1923, l’expédition punitive des fascistes dure du 20 au 22 août. Le 20, un soldat italien est poignardé au cours de ces bagarres. Les incidents se poursuivent le 23. Voir aussi Del Boca 1994, vol. II, p. 26, et De Felice 1978, p. 191. La Nuova Italia du 8 septembre 1923 informe que des 25 Juifs arrêtés, 13 sont bouchers, 4 vendeurs ambulants, 1 cireur de chaussures, 5 « industrieux », 1 pâtissier et 1 coiffeur. Il n’est pas impossible de voir, dans l’affaire de la Hara, une réaction sociale en quelque sorte inversée par rapport à celle de l’affaire Nahum, opposant le petit peuple de la Hara à des Italiens dominateurs.
125 La Nuova Italia, 22 août 1923, « Il fattaccio della Hara ».
126 Ibid., 14 août 1923. « Comunicato del Fascio ».
127 Ibid., 22 août 1923 La Hara est ainsi définie comme « une place forte terrible et sûre, où il semble qu’un mot d’ordre mystérieux et puissant lie les maisons et les âmes entre elles. Que l’un s’insurge, et dix, cent, mille le rejoignent. […] Que les Juifs de la Hara se mettent bien en tête que plus que les menottes, plus que la matraque, c’est la seule présence du carabinier qui doit suffire à imposer l’ordre et le respect, comme cela est le cas pour les Arabes et pour nous‑mêmes. »
128 Del Boca 1994, vol. II, p. 29, ainsi que ACS, PCM 1923, 17/1 et ASDMAI, Africa II, 122/29, f. 266 et 267. Volpi décide le 2 octobre de dissoudre les fasci de Homs et Azizia et de placer celui de Tripoli sous surveillance (ibid., f. 267).
129 Vernè 1927, p. 27.
130 ASDMAI, Africa II, 122/29, f. 266, le ministre des Colonies Federzoni à Volpi, 28 août 1923, n° 5616, et La Nuova Italia du même jour. Les funérailles ont lieu le 18 septembre 1923. Y participent les « gardes civiques », les ballila, et les avant‑gardistes, mais aussi l’armée, la Guarda di Finanza, la musique militaire, etc.
131 Il Giornale di Roma, 27 juillet 1923, dénonce les « intolérables usuriers juifs » de Tripoli. Geraci, cité dans Chroniques 1922, vol. II, p. 133, écrit qu’« il manque à Tripoli une association d’Italiens capitalistes disposés à engager une lutte anti‑juive et à faire de Tripoli une artère gonflée du bon sang italo‑arabe ». De Felice a pu voir comme causes de cet antijudaïsme l’expression d’un « esprit colonial étroit » et la conséquence d’une « jalousie économique », qu’il n’analyse malheureusement pas plus avant. Bien qu’il signale la mise en place de mesures officielles de ségrégation dès 1923, De Felice se fonde sur la position officielle de Volpi et de Rome pour considérer que « pour ce qui est de l'attitude du gouvernement et du gouvernorat, la venue au fascisme ne conduit pas à des changements importants » envers les juifs. Les manifestations d’antisémitisme seraient dans cette optique dues à la volonté « de la partie la plus turbulente et extrémiste du fascisme de se superposer et de s’imposer à l’autorité du gouverneur, considérée comme insuffisamment en ligne avec les temps nouveaux » (De Felice 1978, p. 188‑194).
132 ASDMAI, Africa II, 122/29‑267, Federzoni aux gouvernorats de Tripoli et de Benghazi n° 6467, 6 octobre 1923. Le 2 octobre, Volpi avait par ailleurs demandé l’envoi d’un « commissaire extraordinaire [du Parti] pour éliminer une fois pour toutes » les risques d’incidents, définissant le rôle du fascisme colonial comme un « élément de saine propagande et de collaboration fidèle » (ibid.)
133 ASDMAI, Africa II, 122/29‑267, télégramme de Volpi à Federzoni, n° 2945 PS du 9 octobre 1923. La reprise en main est aussi l’occasion d’éradiquer la tendance du parti fasciste local à critiquer la politique du gouvernorat. En janvier 1924, la nomination d’un « directoire » imposé par Rome met ainsi fin, dans le Parti, à toute velléité d’expression autonome de la population italienne, rétablissant pleinement l’hégémonie du gouvernorat. La Nuova Italia, 31 janvier 1924.
134 Piccioli 1933, p. 1358. Sur la M.V.S.N. en Libye, voir aussi Boggia 1926 et Teruzzi 1932.
135 Labanca 2003, p. 87.
136 NA, FO 371.12396.
137 Ibid., rapport du consul Dodds du 29 avril 1927, J 1300/634/66.
138 Ibid., Rapport de Dodds, 21 juillet 1927, J. 2196/634/66. « Pendant quelques semaines a régné la terreur, le couperet tombait ça et là. Durant les dernières semaines Tripoli a perdu nombre de citoyens respectables qui, sous des prétextes absurdes, ont été forcés de retourner en Italie […]. Les antifascistes sont bien sûr dans une catégorie à part. Ils n’ont aucune chance. Ils se retrouvent chargés des tâches les plus triviales ou renvoyés en Italie ». La différence avec la période Volpi est visible dans le rapport qu’adresse par ailleurs un envoyé du gouvernement britannique au Foreign Office, G. Herbert, le 21 juin 1927, selon lequel « le fascisme dans la colonie, qui sous son prédécesseur avait reçu un soutien tiède, a été grandement favorisé par le gouverneur actuel, et l’identification entre le Parti et l’État a été porté à Tripoli jusqu’à son achèvement » (ibid., J 1698/634/66).
139 L’Avvenire di Tripoli, 9 mars et 29 décembre 1928. La citation suivante est aussi tirée de ce texte.
140 L’Avvenire di Tripoli, « Serrare le file », 15 janvier 1929.
141 L’Avvenire di Tripoli, 31 mars 1929, ainsi que ceux du 18 avril et du 20 juillet 1929.
142 L’Avvenire di Tripoli, 23 juillet 1919.
143 Ibid., 28 novembre 1929.
144 La Nuova Italia, 3 juin 1919.
145 Il Piemonte, 21 novembre 1923.
146 NA, FO 371. 13153, J 1348/34/66. Rapport du consul Dodds, 23 avril 1924. Il informe par ailleurs que la réorganisation du parti local, avec son lot d’expulsions, a provoqué un « refroidissement net de l’ardeur des fascistes dans la colonie ».
147 La Nuova Italia, « Festeggiamenti cittadini per Carnevale », 7 février 1926.
148 Ibid., « Miserie di un carnevale », 18 février 1926.
149 Ibid., « Il cenacolo dei Romagnoli », 3 août 1926. Voir aussi MJ, dossier « Circolo cittadino », le livret de l’association Famiglia Romagnola di Tripoli d’Africa, Carta famigliare, Stabilimenti nuovi arti grafiche, Tripoli, sd.
150 MJ, dossier « Circolo cittadino », Le régent du gouvernorat de Tripolitaine à Bruni n° 3384, 14 novembre 1928.
151 Ibid., Bruni aux principales associations de la ville, 1er décembre 1928. À la lecture de revues et de livres se conjugueraient ainsi « des jeux honnêtes, des bals, des manifestations insouciantes, mais saines », inspirées « par le plus haut sens de l’italianité »
152 Ibid., Bruni au gouvernorat de Tripolitaine, 2 avril 1929. « Certaines des institutions existantes, à savoir le Circolo dei canottieri, la Famiglia Romagnola, la Società dei Cacciatori, le Cercle Ars Electa, pour des raisons variées qui peuvent se résumer dans les fins particulières et singulières que chacune d’entre elles s’était fixées, et dans l’hétérogénéité de la composition de chacune de ces sociétés, ont répondu ne pouvoir se fondre dans la nouvelle institution, bien que laissant leurs membres libres d’y adhérer ».
153 Ibid. Voir aussi MJ, id., « Circolo Unione, Tripoli. Verbale dell’assemblea straordinaria in data 12 dicembre 1928 a VII E.F. »
154 Ibid.
155 Ibid., dossier « Circolo cittadino ». Circolo Unione, « Elenco dei soci effetivi », 31 mars 1929.
156 Ibid., la Fédération fasciste de la Tripolitaine au président du Circolo Italia, 25 janvier 1930. Le professeur G. Naama est originaire de Syrie et est de père musulman.
157 Ibid., « Elenco dei soci effetivi », 31 mars 1929.
158 Ibid., Circolo Italia, « Elenco dei nuovi soci non compresi nell’elenco del Circolo Unione ».
159 Ibid., Amleto Mingozzi au commissaire Bruni, président du Circolo Italia, 8 avril 1929.
160 Ibid., Circolo Italia, Statuto, 28 février 1929.
161 L’Avvenire di Tripoli, « Lo spettacolo dopolavorista alla manifattura dei Tabacchi », 24 avril 1929.
162 Ibid., « Il campionato di calcio », 16 mai 1929.
163 À l’issue d’une course cycliste dans l’oasis de Tripoli, remportée par deux Arabes, le fasciste Pietrino Costa, arrivé troisième, est « sévèrement puni » par ses supérieurs pour avoir « montré peu de combativité en se faisant facilement dépasser par des concurrents notoirement inférieurs à lui ». Cette « juste punition » doit servir « d’avertissement et d’exemple à tous nos jeunes sportifs, surtout quand ils se trouvent en compétition avec des éléments d’une race différente » (L’Avvenire di Tripoli, 23 septembre 1928).
164 Alongi 1914, p. 86, Braun 1914, p. 26 et 33.
165 La Nuova Italia, 8 juillet 1919 et 8 août 1921.
166 Ibid., 15 décembre 1921.
167 Ibid., 25 octobre 1923.
168 Ibid., 28 octobre 1924.
169 Ibid., 29 et 30 octobre 1924
170 Ibid., 6 novembre1924.
171 L’Avvenire di Tripoli, 1er novembre 1928. Voir aussi ibid., 1er février 1929.
172 La Nuova Italia, 23 février 1924.
173 Ibid., 27 août 1919.
174 Ibid., 23 octobre 1924.
175 Ibid., 7 novembre 1924.
176 Ibid., 30 avril 1924.
177 Ibid., 8 octobre 1924.
178 Ibid., 15 novembre 1924.
179 Âwlâd, c’est‑à‑dire « enfants ».
180 Ibid., 6 mars 1926.
181 L’Avvenire di Tripoli, 18 octobre 1928. Ce règlement de police ne nous est pas connu.
182 Curotti 1933.
183 La Nuova Italia, 27 août 1919. La disparition du camp bédouin est confirmée par La Nuova Italia du 8 janvier 1922 et du 15 juin 1922, sans qu’il soit possible d’en déterminer la date exacte.
184 Ibid., 16 janvier 1926.
185 Ibid., 6 mars 1926.
186 L’Avvenire di Tripoli, 31 janvier 1929.
187 Ibid.
188 Ibid., 10 mai 1929.
189 MJ, Municipio di Tripoli, documenti riservati, Badoglio à Perugini n° 1792, 14 août 1930.
190 Ibid., rapport du podestà Domenico Perugini, 27 août 1930.
191 Ibid.
192 Ibid.
193 MJ, dossier « Ospizio di mendicità ».
194 L’Avvenire di Tripoli, « La beneficienza a Tripoli », 13 novembre 1930.
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