Genèse et jeunesse d'une institution universitaire. L'École française de Rome en son jardin (1873-1895)
Texte intégral
1Pourquoi faire de l'historiographie ? Il y a une quarantaine d'années, quand l'école historique française connaissait une vigueur scientifique et médiatique remarquable, paraissait un célèbre ouvrage collectif intitulé sobrement et avec assurance Faire de l'histoire1. Aujourd'hui, alors que l'histoire affronte, comme d'autres sciences au reste, des interrogations existentielles nées de la dilatation de son objet et de l'épuisement des grands paradigmes explicatifs, les constats et propositions de méthode pourraient paraître moins triomphants. L'historiographie semble offrir dès lors un terrain de repli commode, une sorte d'îlot où attendre le reflux des vagues et prendre un peu de hauteur pendant le mauvais temps. Une entreprise récente vient d'offrir un panorama du « remembrement du champ historique contemporain »2. Résolument tournée vers les acquis des trente dernières années, elle ménage une place fort réduite à la question des institutions d'enseignement et de recherche en tant que moteurs et théâtres de la geste historienne3, alors même que tous les auteurs dudit ouvrage professent et/ou cherchent au sein d'institutions ad hoc. Il est vrai qu'une partie du travail avait déjà été accompli voilà une dizaine d'années par une autre publication collective, presque exclusivement orientée cette fois vers une approche très organique et institutionnelle de l'écriture de l'histoire4. Pour autant, cette faible pesée des contours, de l'apport et des éventuels travers des organes – publics pour l'essentiel en France – qui concourent au premier plan à la vie scientifique peut à bon droit susciter l'étonnement.
2Le présent volume souhaite apporter une contribution, certes partielle, à une histoire qui serait faite dans le cadre d'institutions pensées pour et par des historiens. On le verra, le reproche latent d'une histoire cantonnée aux « historiens de métier » tient ici d'autant moins que, quoique fonctionnaires de la République française, les acteurs dont il sera question dans les pages qui suivent traçaient des frontières moins étanches qu'on ne les dresse aujourd'hui entre une écriture historienne autorisée et une autre qui le serait moins : plus d'un exemple avancé dans ce volume démontrera le contraire. Le paradoxe peut sans doute surprendre dans un contexte où se construit et triomphe l'histoire dite méthodique : y succomber serait toutefois confondre abusivement méthode et position institutionnelle.
3Le langage des journalistes a fait pénétrer dans les foyers les expressions de « retour sur expérience », de « débriefing », locutions qui appartiennent au domaine de la guerre ou du contre-espionnage. Pourquoi ne pas essayer de « débriefer » – le terme figure dans le dictionnaire Le Robert depuis au moins 1993 – une institution toujours vivace, comme l'École française de Rome, dont le temps long aurait ainsi assuré un terrain d'observation suffisant ? Telle est aussi, d'une certain point de vue, l'ambition du présent recueil. On pourra à bon droit soutenir que les premiers concernés sont bien trop juges et parties à la fois pour disposer de cette objectivité que les gouvernants d'aujourd'hui réclament à des agences de notation, des cabinets d'audit ou, sans doute mieux, à la Cour des comptes. La plupart des auteurs des textes que l'on va lire ont été bénéficiaires à plus d'un titre de ladite institution : chacun des enseignants-chercheurs qui ont proposé des contributions en réponse à l'invitation faite par les promoteurs de l'ouvrage a cependant fourni l'effort attendu de se tenir à bonne distance de l'anachronisme qui guette l'historien, plus spécialement lorsqu'il s'agit d'une histoire relativement récente (aux yeux d'un antiquisant par exemple), et encore plus volontiers lorsqu'il s'attaque à un objet qu'il croit connaître intimement parce qu'il en est d'une certaine manière une composante.
L'histoire d'une École
4L'historiographie d'une institution procède souvent de commémorations. Ce sont les anniversaires qui ont d’abord donné l’occasion à l’École française de Rome de revenir sur son histoire. La rhétorique des célébrations joue, certes, à plein, notamment lors d'un cinquantenaire décalé et fêté à Rome dans le contexte difficile de l’Italie des années 305. De ce point de vue le centenaire fut plus serein mais n’échappa pas, lui non plus, aux lois du genre. Il permit toutefois de créer dans la foulée des outils de recherche qui devaient se révéler précieux par la suite (Annuaire des membres, table analytique des Mélanges) et de produire une somme de travaux sur le Palais Farnèse6, le siège historique de l’École. Il faut rattacher à ce moment commémoratif le colloque de 1973 sur Mgr Duchesne qui participait de cet effort en faveur d'un regard historiographique7. Depuis lors, deux autres volumes ont témoigné de cet intérêt pour Duchesne et pour sa correspondance8 ; et une biographie dans les règles lui fut consacrée9. Nul doute que l’histoire de l’École fut d’abord longtemps confondue avec l’histoire de ce long (1895-1922) directorat. Un colloque plus récent consacré à Émile Mâle10 (directeur de 1923 à 1937) a rompu le privilège exclusif qui était longtemps resté celui de Duchesne. Présenter une analyse historique de la personnalité et de l’œuvre d’un directeur parmi les plus éminents consentait de se démarquer des Souvenirs que Jérôme Carcopino avait donnés de son propre directorat (1937-1940)11. Écrits dont la relecture est encore utile aujourd’hui, mais dont on ne saurait oublier le contexte dans lequel et pour lequel ils furent composés.
5En contrepoint et en complément d'une histoire de l’institution perçue à travers un directeur, se développa ensuite une ligne dont on dirait aujourd’hui qu’elle est bottom up, partant des membres. Une histoire du parcours individuel d’un ancien membre n’a de sens que dans le cadre d’un regard global sur une vie, une carrière, une œuvre. Chaque membre toutefois – même ceux qui ne sont passés que brièvement dans l’institution –, est porteur d’une parcelle de l’histoire de l’École. Il n’y eût longtemps que de tristes nécrologies dans les Mélanges, sous la plume des directeurs, Auguste Geffroy (directeur de 1875 à 1882, puis de 1888 à 1895) surtout, évoquant souvent des destins brisés. C’est à l’initiative individuelle d’un juriste qui ne fut jamais membre, Olivier Motte, que l’on doit le premier travail historiographique de cet ordre : il portait sur les années de formation de Camille Jullian (1859-1933)12. En arrière-plan se profilait la double référence à la France mais aussi à l’Allemagne de Mommsen, qui fait partie intégrante des débuts de l’École. Plus récemment, Jean Bérard (1908-1957), Émile Bertaux (1869-1917), Léon Cadier (1862-1889), Georges Goyau (1869-1939) et Jean Guiraud (1866-1953)13 ont été l’objet de travaux, éclairant aussi l’institution et ses ouvertures intellectuelles à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930. Un effort de synthèse était souhaitable mais il demandait de passer par l’intermédiaire de la connaissance des grands textes écrits sur l’École, tout au long d’une histoire déjà longue, et souvent oubliés. Une anthologie commentée a donc paru en 201014, tandis qu’une thèse de doctorat était consacré à la place des études antiques dans l’institution avant 194015.
6Forte de ces contributions, l'institution pouvait s'aventurer dans une troisième dimension historiographique, celle qui consiste à se servir de son histoire comme d'un levier pour penser le présent et surtout l'avenir. Connaître ses origines, les conditions de sa construction, l'élaboration parfois tortueuse de sa personnalité scientifique n'est pas qu'une aimable promenade dans des temps héroïques. Il s'agit bien de s'interroger sur les fondements d'un champ disciplinaire de l'Université, l'histoire, dont les principes et les choix alors définis pèsent encore d'un poids remarquable plus d'un siècle après, en dépit de toutes les transformations subies entre-temps par cette science. Ce projet fut ainsi l’occasion, pour la première fois, de rassembler les directeurs et les membres, ou du moins certains d’entre eux. Si nous espérons faire émerger en pleine lumière les grandes personnalités que furent Albert Dumont (directeur de 1873 à 1875) et Auguste Geffroy, si nous souhaitons aussi contribuer à réhabiliter au moins partiellement un Edmond Le Blant (directeur de 1882 à 1888) en général fort maltraité, nous voulions donner des éclairages sur des membres de ces promotions lointaines, moins connus pour certains d’entre eux dans la mesure où, dans ces deux premières décennies, le passage par l’École ne conduisait pas forcément à une carrière classique : ainsi Léopold Mabilleau (membre de 1876 à 1878) est à lui seul symbole d’un éclectisme intelligent. Tandis qu’un regard sur ces années ne pouvait laisser dans l’ombre l’ouverture, à travers l’engagement de Stéphane Gsell (membre de 1886 à 1890) et de Jules Toutain (membre de 1890 à 1892), sur une Afrique du Nord, aujourd’hui Maghreb, avec lequel l’École, par-delà les évolutions politiques, a su construire une relation durable16.
7Rien d‘exhaustif dans ces domaines. Bien d’autres ont travaillé en Afrique, à commencer par René de La Blanchère (membre de 1878 à 1881), le premier à gagner la rive sud, directeur des antiquités de Tunisie de 1885 à 1890. Bien d’autres ont déployé une activité innovante : que l’on pense à Élie Berger (membre de 1876 à 1880) et à son entrée aux Archives vaticanes en 1877. Sans parler de Romain Rolland (membre de 1889 à 1891)17 et des autres gloires, comme l’historien de la Rome antique Gustave Bloch (membre de 1873 à 1874) et le byzantiniste Charles Diehl (membre de 1881 à 1883), sur lesquels il faudra encore revenir. Beaucoup de données ont été rassemblées sur les membres de ces vingt années, qui pourront être utilisées plus tard. Parmi les autres, Emmanuel Fernique (membre de 1876 à 1878), le premier archéologue de l’École, représente tous ceux qui ont disparu prématurément au seuil d’une grande carrière, victime notamment des fièvres. Tandis que des archives détectées à Sens ont permis de donner d’un grand médiéviste Maurice Prou (membre de 1884 à 1885), futur directeur de l’École des chartes, une image insolite et éclairante. Enfin si on n’a pas voulu revenir ici sur le Palais Farnèse qui a fait récemment, dans le cadre de l’exposition de 2011, l’objet de plusieurs travaux18, il a paru utile de donner pour la première fois un éclairage sur le site qui a abrité l’École archéologique de Rome au cours de l’année 1874-1875, avant son entrée au Farnèse. L’analyse précieuse sur la Villa Mérode, ancienne Villa Strozzi, permet de tirer de l’oubli un site qui fut détruit dans le contexte de l’urbanisation de Rome capitale et qui fut remplacé par l’actuel Opéra de Rome. La collaboration de nos collègues italiens fut sur ce point indispensable et appréciée. Qu’ils en soient remerciés.
Une École dans son siècle
8Les années 1873-1895 furent décisives pour la croissance de la jeune Italie qu’avait voulu Cavour et il n’est pas certain que la plupart des membres de l’École aient eu conscience de l’importance du moment qu’ils vivaient. Ils arrivaient dans une Rome qui venait de connaître la « brèche » de Porta Pia du 20 septembre 1870 et la grande inondation du Tibre de fin décembre de la même année. Mazzini venait de mourir (10 mars 1872) ; Garibaldi disparut dix ans plus tard (2 juin 1882). L’un et l’autre emportaient avec eux un passé de luttes et d’espoirs. La ville de Rome passa entre 1870 et 1895 de 200 000 à 400 000 habitants19 : « Roma capitale » se substituait à la Rome « papalina ». Au Vatican régnait une atmosphère de fin de règne pour Pie IX qui mourut en 1878 et fut remplacé par Léon XIII, qui fit pénétrer quelque peu la modernité au-delà du Tibre. La même année 1878, Umberto Ier prenait au Palais du Quirinal la place laissée vacante par la mort de son père Victor Emmanuel II, le « roi soldat » qui était venu de Turin. Tirant les leçons d'un quart de siècle de changements politiques et religieux, Zola exalta en 1894 la nouvelle Rome de via Nazionale et des Prati et flétrit les vieux palais romains, y compris le Palais Farnèse. Rome vivait, à sa manière, une révolution20.
9Toutes ces années ne furent pas faciles du point de vue des rapports franco-italiens et l’ambassadeur Billot les nomma les « années troubles »21. Déceptions, malentendus, regrets caractérisèrent les relations entre deux pays dont l’histoire était entrelacée depuis l’aide apportée par Napoléon III à Cavour qui avait en échange cédé la Savoie et Nice. Dans ce contexte, Auguste Geffroy prit sa part avec sa prudence et son tact pour éviter tout éclat ; Duchesne mit ensuite ses pas dans les siens. Mais tous les bouillonnements n’étaient pas vains. Pietro Rosa (1810-1891) qui, depuis 1861, avait fouillé un Palatin alors propriété de la France avec l’appui de Napoléon III mais aussi de Léon Renier22, était devenu le 8 novembre 1870 surintendant d’une Rome que l’allemand Ferdinand Gregorovius, romain d’adoption, arpentait inlassablement depuis 1852. Le 24 mars 1872, une Commissione archeologica municipale était instituée dont le jeune secrétaire de 27 ans se nommait Rodolfo Lanciani23. Le 28 mars 1875, le ministre Ruggiero Bonghi mettait en place une Direzione centrale degli scavi e dei musei del Regno, la confiait à Giuseppe Fiorelli et supprimait la surintendance de Rosa. Une nouvelle phase s’ouvrait pour la protection du patrimoine archéologique et monumental italien et romain24. Quel merveilleux contexte pour de jeunes archéologues venant d’un pays sans législation archéologique… mais non sans débats sur la question patrimoniale25. L’ouverture de l’Italie et de Rome se manifestait aussi dans l’Université avec l’arrivée de Giulio Beloch26 en 1877. Il publia son grand volume sur la Campanie en 187927. L’Italie, comme la France, se mettait à l’école de l’Allemagne. Camille Jullian était à Berlin en 1882-1883, à sa sortie du Farnèse, avec l’accord de Geffroy, pour suivre les cours de Mommsen28.
10Dans une Italie qui découvrait le méridionalisme avec les Lettere meridionali de Pasquale Villari en 1875 et où François Lenormant faisait en Apulie et en Lucanie – comme l’Allemand Julius Schubring (1839-1914) en Sicile - la transition entre l’époque des voyageurs du grand Tour et l’archéologie moderne29, avant sa disparition prématurée en 1883, l’École et ses membres, groupés autour d'Albert Dumont dans le petit jardin d’une Villa Strozzi devenue Mérode puis dans les locaux humides et sombres du Farnèse, semblent des pionniers inquiets, s’appuyant sur des institutions plus solides, l’Académie de France à Rome (que l’on appelait encore parfois l’École de Rome) bien installée depuis 1803 dans la Villa Médicis, et l’École française d’Athènes, où Dumont avait été membre, et où le nouveau directeur Émile Burnouf se croyait promis à une « super-direction ». À Paris, l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui avait soutenu et partiellement inspiré, avec Léon Renier puis Félix Ravaisson, la démarche de Dumont, était le recours suprême. Les liens avec les ambassadeurs du premier étage variaient au gré des années, les solidarités sincères au temps de Noailles étant remplacées parfois par des querelles misérables autour de l’éclairage du grand escalier. Mais le quotidien, difficile pour tous, expliquait souvent des tensions éphémères.
11Les membres étaient alors intégrés dans de multiples réseaux le plus souvent fondées sur les liens personnels de leurs familles Les beaux-frères fleurissaient : déjà Dumont avait donné l’exemple avec son beau-frère, Jules Chaplain, graveur à la Villa Médicis ; André Pératé a épousé Marguerite Fabre, la sœur de Paul Fabre, membre comme lui en 1884-1885, alors que Fabre devint le gendre de Fustel de Coulanges en 1892… Auguste Audollent et Jean Guiraud, membres en 1889-1890, sont, eux, beaux-frères, ayant épousé deux filles de Petit de Julleville, professeur en Sorbonne. Jules Martha (membres de 1875 à 1876) était le fils d’un membre de l’Académie des sciences morales, tandis que Georges Lafaye (membre de 1878 à 1880) devint le gendre de Saglio en 1883. André Berthelot (membre de 1884 à 1885) avait comme père le grand chimiste, par ailleurs ministre. André Baudrillart (membre de 1889 à 1891) appartenait à une famille liée au ministre Jules Simon. Un milieu parisien est bien représenté sans que pour autant on puisse mettre en doute la qualité des individus. Les héritiers sont là.
12Il y aussi les réseaux institutionnels30 qui conditionnent les recrutements et parfois des clivages ultérieurs : autour de l’École normale supérieure, l’École pratique des hautes études, l’École des chartes31. Entre 1873 et 1895, Rome accueille 65 membres, dont 35 normaliens, 20 chartistes et seulement 4 élèves de l’École pratique des hautes études, les autres ayant des doubles appartenances. C’est donc le temps fort de la rue d’Ulm, chère à Dumont et à Geffroy, que Duchesne, issu de l’École pratique, tentera de contenir après 1895 : dans les cinq premières années de sa direction entrèrent 9 normaliens mais 8 chartistes et 6 élèves de l’École pratique des hautes études sans compter les doubles appartenances. Et dans la décennie 1900-1910, les chartistes l’emporteront de peu sur les normaliens. Un rééquilibrage en somme.
13Ainsi, les années antérieures à 1895 comptent – et comment ! – dans l’histoire de l’École. Que l’on juge. Les décrets successifs de 1873, 1874 et 1875 mettent en place, et pour longtemps, le cadre institutionnel que l’on doit essentiellement à Dumont. Ce n’est que Georges Vallet qui prit la relève en 1974, un siècle plus tard. C’est encore Dumont qui décide de l’installation au Farnèse au terme de ses négociations avec Noailles. C’est Geffroy qui installe l’École dans la vie romaine, mondaine mais aussi scientifique : on le voit à l’œuvre à Vulci mais aussi à Rome et on est loin de l’image surannée de « l’aimable Geffroy », un peu ridicule avec ses favoris et ses robes de chambre. Ses textes sont d’une modernité qui frappe, et ses démonstrations sont d’une logique impitoyable et d’une grande finesse. On ne connaît pas de tels textes sous la plume de Duchesne qui a d’autres qualités, notamment scientifiques, mais qui continua et amplifia à sa manière inimitable l’esprit « salon » de son prédécesseur. Si l’on considère que Geffroy fut le maître de Dumont à l’École normale supérieure, et si l'on ne peut passer sous silence le fait qu’il eût une influence forte pendant trois mandats (en comptant son poids à Paris pendant la direction Le Blant), soit pendant vingt ans, on voit que, même sur la durée, on peut comparer son action à celle d’une direction Duchesne au final moins efficace qu’il pourrait y paraître si l’on prend en compte les terribles années de guerre 1914-1918 et ensuite l’âge qui a pesé de plus en plus sur un directeur fatigué voire exténué. Enfin, Geffroy a pensé l’École en Afrique, lui qui termine son premier mandat en 1882, un an après une entrée des Français à Tunis qui fit vibrer les membres tels Camille Jullian rêvant d’une École française de Carthage…
14Ce volume, on l'aura compris, n'est pas destiné uniquement à orner les bibliothèques de quelques Farnésiens pensifs et soucieux de raviver leurs années romaines par l'évocation d'un destin qui est aussi le leur. Il poursuit l'objectif de fournir à l'ensemble des historiens du XXIe siècle des clés d'explication sur une institution emblématique de l'enseignement supérieur français. Une institution, surtout naissante, doit beaucoup (tout ?) à ses acteurs, davantage sans doute qu'aux textes qui la fondent. Les études que l'on va lire visent aussi à retrouver à travers ce que fut la pâte humaine de ces années de genèse et de jeunesse les convictions, les enthousiasmes, les contraintes matérielles de cette génération particulière, où directeurs et membres cherchaient déjà à s'apprivoiser autour d'objectifs scientifiques et professionnels parfois contradictoires sans y parvenir toujours. C'est, avec tout l'esprit critique auquel habituent les études historiques, essayer de ne pas oublier aujourd'hui que, quels que soient les mérites de leurs successeurs, ils ne sont peut-être jamais que des nains juchés sur les épaules de géants.
Notes de bas de page
1 F. Furet et J. Le Goff (dir.), Faire de l'histoire, Paris, 1974 (Bibliothèque des histoires).
2 C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, N. Offenstadt (dir.), Historiographies. Concepts et débats, 2 vol., Paris, 2010 (Folio Histoire, 179-180).
3 E. Picard, Enseignement supérieur et recherche, ibid., p. 140-152.
4 C. Amalvi (dir.), Les lieux de l'histoire, Paris, 2005. Indice de ce champ « refoulé », cet ouvrage n'est pas, sauf erreur, cité dans Historiographies. Concepts et débats..., cit.
5 L’histoire et l’œuvre de l'École française de Rome, Paris, 1931.
6 Le Palais Farnèse, 3 vol., Rome, 1980-1981.
7 Monseigneur Duchesne et son temps, actes du colloque de Rome (23-25 mai 1973), Rome, 1975 (Coll. EFR, 23).
8 P. Saint-Roch (éd.), Correspondance de Giovanni Battista De Rossi et de Louis Duchesne, Rome, 1995 (Coll. EFR, 205) ; F. Callu (éd.), Louis Duchesne. Correspondance avec Madame Bulteau (1902-1922), Rome, 2009 (Coll. EFR, 427).
9 B. Waché, Monseigneur Louis Duchesne (1843-1922), historien de l'Église et directeur de l'École française de Rome, Rome, 1992 (Coll. EFR, 167).
10 Émile Mâle (1862-1954). La construction de l'œuvre : Rome et l'Italie, Rome, 2006 (Coll. EFR, 345).
11 J. Carcopino, Souvenirs de sept ans 1937-1944, Paris, 1953.
12 O. Motte, Camille Jullian. Les années de formation, Rome, 1990 (Coll. EFR, 124).
13 J.-P. Brun et M. Gras (éd.), Avec Jean Bérard, 1908-1957 : la colonisation grecque et l'Italie sous le fascisme, Rome, 2010 (Coll. EFR, 440) ; V. Papa Malatesta, Émile Bertaux tra storia dell'arte e meridionalismo. La genesi de « L'art dans l'Italie méridionale », Rome, 2007 (Coll. EFR, 380) ; S. Morelli (éd.), Le carte di Léon Cadier alla Bibliothèque nationale de France : contributo alla ricostruzione della Cancelleria angioina, Rome, 2005 (Sources et documents d'histoire du Moyen Âge, 9) ; J. Grondeux, Un intellectuel catholique sous la IIIe République : Georges Goyau (1869-1939), Rome, 2007 (Coll. EFR, 381) ; Jean Guiraud (1866-1953), polémiste chrétien, éd. Jacques-Olivier Boudon (Coll. EFR), sous presse.
14 M. Gras (éd), « À l'école de toute l'Italie » : pour une histoire de l'École française de Rome, Rome, 2010 (Coll. EFR, 431).
15 S. Rey, Écrire l'histoire ancienne à l'École française de Rome (1873-1940), Rome, 2012 (Coll. EFR, 462).
16 C. Gutron, Jeux d’influences sur le terrain archéologique tunisien (XIXe-XXe siècles) : l’École française de Rome à l’épreuve de l’histoire, dans C. Bonnet, V. Krings et C. Valenti (dir.), Connaître l’Antiquité. Individus, réseaux et stratégies du XVIIIe au XXIe siècle, Rennes, 2010, p. 171-182.
17 Voir les lettres de Romain Rolland à sa mère pendant ses deux années romaines : Printemps romain, Paris, 1954, et Retour au Palais Farnèse, Paris, 1956.
18 Palais Farnèse (catalogue de l’exposition de Rome), Florence, 2010 ; Le Palais Farnèse, dans MEFRIM, 122-2, 2010, p. 237-298.
19 I. Insolera, Roma moderna, da Napoleone I al XXI secolo, Turin, 2011, p. 76.
20 Sur ces années romaines, D. Bocquet, Rome ville technique (1870-1925) : une modernisation conflictuelle de l'espace urbain, Rome, 2007 (BEFAR, 334).
21 A. Billot, La France et l’Italie. Histoire des années troubles (1881-1899), Paris, 1905.
22 M. A. Tomei, Scavi francesi sul Palatino. Le indagini di Pietro Rosa par Napoleone III (1861-1870), Rome, 1999 (Roma antica, 5).
23 D. Palombi, Rodolfo Lanciani. L’archeologia a Roma tra Ottocento e Novecento, Rome, 2006, p. 55.
24 En dernier lieu, F. Delpino, R. Dubbini, Pietro Rosa e la tutela delle antichità a Roma tra il 1870 e il 1875, dans Annali della Fondazione per il Museo « Claudio Faina » 18, 2011, p. 397-407. Sur archéologie et construction nationale, voir le numéro spécial Antiquités, archéologie et construction nationale au XIXe siècle, dans MEFRIM, 113-2, 2001.
25 R. Recht (dir.), Victor Hugo et le débat patrimonial, Paris, 2003.
26 Récemment, L. Polverini, Giulio Beloch nella storia della storiografia, dans K. Julius Beloch da Sorrento nell’antichità alla Campania, a cura di F. Senatore, Rome, 2011, p. 1-20.
27 K. J. Beloch, Campanien : Topographie, Geschichte und Leben der Umgebung Neapels in Althertum, Berlin, 1879.
28 O. Motte, Camille Jullian, élève de Mommsen à l’Université de Berlin, Francfort, 1980.
29 F. Lenormant (1837-1883), La Grande Grèce, Paris, 1881, et id., À travers l’Apulie et la Lucanie, Paris, 1883.
30 Ainsi S. Rey, Le réseau « École française de Rome » : naissance, formes et portée, dans C. Bonnet, V. Krings et C. Valenti (dir.), Connaître l’Antiquité..., cit., p. 183-198.
31 R. Müller, Les chemins qui mènent à Rome : entrer à l’École française de Rome entre 1876 et 1914, dans MEFRIM, 120-1, 2008, p. 259-279.
Auteurs
Ancien Directeur de l'École française de Rome - michel.gras@mae.u-paris10.fr
Professeur à l'École nationale des chartes - Olivier.Poncet@enc.sorbonne.fr
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