La querelle des origines. Émile Burnouf, Albert Dumont et la création de l’École française de Rome (1872-1875)
Texte intégral
Enfin voilà une grande chose fondée et fondée par vous qui avez décidé l’affaire quand tout était désespéré. Le succès sera complet. Nous ferons ensuite la publication et il me semble qu’on vous devra quelque reconnaissance.
(Albert Dumont à Émile Burnouf, 18 avril 1873)
1Le 19 août 1884, de sa retraite nancéienne Émile Burnouf, ancien directeur de l'École française d'Athènes, adressait à Jules Simon, ancien ministre de l'Instruction publique, une lettre à l'occasion des discours prononcés à Paris aux funérailles d'Albert Dumont, le premier directeur de l'École de Rome :
Personne n’a le droit de dire qu’un autre que moi ait conçu le projet [de la création de l'École de Rome] et en ait, avec votre aide, décidé l’exécution. (…) C’est un système adopté par une coterie qui m’est bien connue, de dénigrer tout ce que j’ai fait ou d’attribuer à d’autres ce que j’ai fait de bon. Cela m’est indifférent, car j’ai un mépris profond pour cette manière d’employer sa vie. Mais cela n’est pas indifférent à la vérité et à la justice.1
2La question des mérites initiaux, de l'antériorité d'une création ou d'une découverte ne se pose pas uniquement en termes commerciaux à travers l'épineuse question des brevets d'invention2. Elle traverse, fortifie ou pollue régulièrement le débat scientifique, qu'il s'agisse de découvertes géographiques, physiques ou biologiques. Les sciences humaines n'échappent pas à ce qu'il faut bien considérer comme un domaine piégé, en particulier chez les historiens dont le rapport au temps est consubstantiel de leur champ disciplinaire. Marc Bloch, dénonçant « l'idole des origines », avait ainsi beau jeu de moquer « cette obsession embryogénique » qui obscurcit le sens critique3. Et cette tendance est ancienne si l'on en croit Ernest Renan cité par Bloch : « Dans toutes les choses humaines, les origines sont avant tout dignes d'étude ». Le phénomène touche parfois certains savants, qui découvrent – ou croient découvrir – les premiers une source (site archéologique, objet, texte ou simple identification) ou qui démontrent l'antériorité du phénomène qu'ils étudient. Cette « performance » les amène à souligner par extension naturelle la supériorité de l'intérêt de leur recherche sur celle de leurs collègues, quand elle ne leur vaut pas tout simplement une carrière tour à tour accélérée, brillante, voire les deux. Il convient enfin d'y joindre plus prosaïquement les sentiments des acteurs que sont les savants eux-mêmes et qui n'échappent pas – pourquoi y échapperaient-ils ? – aux effets de l’orgueil, de la jalousie, de l'amertume ou de la haine recuite.
3Les origines de l'École française de Rome s'inscrivent dans des temporalités variables selon le point de vue auquel on se place. Elles doivent d’abord être lues comme la conclusion d'un effort et d'une pensée qui parcourent les deux premiers tiers du XIXe siècle et aboutissent aux conclusions de Léon Renier (1809-1885) plaidant vers 1860 pour « une sorte d'institut épigraphique et archéologique »4. Elles peuvent à l'inverse n'être lisibles que dans le développement original, et inaccessible à ses concepteurs, d'une institution strictement née de textes réglementaires (décrets des 25 mars 1873 et 20 novembre 1875) qui ne trouve son plein épanouissement que durant la direction de Louis Duchesne (1895-1922). Les esprits analytiques pourraient même n'y voir qu'une refondation permanente, rythmée par des projets singuliers et des personnalités fortes, de la Libera Accademia Romana di archeologia du baron de Gérando (1810)5 et de l'Institut de correspondance archéologique du duc de Luynes (1829) jusqu'à l'insertion dans le monde universitaire français issu des réformes de 1968 en passant par l'École d'Auguste Geffroy, de Jérôme Carcopino ou d'Albert Grenier, pour ne pas citer tous les directeurs qui chacun à leur manière ont imprimé une marque plus ou moins profonde à l'institution.
4Se pencher malgré tout sur les origines les plus fréquemment invoquées et les plus immédiatement évidentes, celles qui consacrent tout à la fois l'autonomie institutionnelle et budgétaire et les réalisations scientifiques propres avec des membres dédiés, n'est pas, ce faisant, sacrifier à une forme de célébration ordinaire. Il s'agit bien au contraire de saisir l'esprit du contexte de la création administrative, d'autant plus que celle-ci a fait, dès 1884, l'objet d'une contestation en paternité. Refaire le chemin qui a conduit à la signature du décret de 1873 et, au-delà, à la mémoire de ses négociations chez les savants qui en furent les acteurs entraîne inévitablement à s'interroger sur leurs conceptions personnelles d'un établissement scientifique en Méditerranée et sur leurs liens avec la vie politique et avec la vie académique françaises, qui ne furent sans doute jamais plus étroitement liées qu'au cours de cette décennie fameuse des années 1870.
Émile Burnouf à Athènes : un directeur actif
5Émile Burnouf, né à Valognes (Manche) le 25 août 1821, entra à l'École normale en 18416. Il appartenait à la première promotion de sept membres de l'École d'Athènes (« les Argonautes ») arrivés en 1847 et profita pleinement de son séjour pour y effectuer des excursions et des recherches alors saluées7. Il soutint en 1850 sa thèse de doctorat qui lui ouvrait les portes des Facultés de Toulouse, puis de Nancy où il occupa la chaire des études orientales, ce qui le fait souvent confondre avec son cousin germain le chartiste et orientaliste Eugène Burnouf (1801-1852), beau-père de Léopold Delisle (1826-1910), le grand administrateur de la Bibliothèque nationale. Le 20 mai 1867, à la faveur du décès d'Amédée Daveluy qui avait dirigé l'École d'Athènes depuis sa fondation et dans le contexte d'un Second Empire qui a amorcé décidément un tournant plus libéral, Burnouf était nommé directeur de l'École d'Athènes. Il s’agissait là d’une personnalité savante à la fois rassurante et déroutante. Paré de tous les sacrements académiques nécessaires, il était (et pour cause) le premier d’une lignée jusqu’à nos jours ininterrompue d’Athéniens placés à la tête de leur institution de formation. En même temps, le choix du ministre se portait sur un professeur de lettres qui ne dédaignait pas, comme il le rappelait dans une note autobiographique, le domaine des sciences8. Bachelier ès sciences, ayant d'abord enseigné la philosophie avant de partir à Athènes en janvier 1847, il partagea son activité de jeune membre entre des études sur le Parthénon et les Propylées et la rédaction d'un mémoire sur le régime des eaux du lac Copaïs. Revenu en France, il n'avait cessé jusqu'à sa nomination en 1867 de mener parallèlement à ses recherches nouvelles sur le sanskrit et à une synthèse sur l'histoire de la littérature grecque, des expériences de physique9. Il était ainsi parfaitement à même de faire vivre l'École dessinée par le décret du 9 février 1859, avec ses trois classes (lettres, sciences, arts). Il y joignait une conception universaliste de la destinée de la France dont l'École d'Athènes devait être le fer de lance exclusif10, sans renoncer toutefois à poursuivre « des études dont le caractère classique et scientifique demeurera la sauvegarde de notre établissement ». Peu après en 1869, il reprenait son credo civilisateur, qu'il jugeait essentiel mais auquel il assignait cependant la dernière place après l'exposé des autres vocations de l'École :
L'École d'Athènes peut être considérée :
1° comme un complément de l'École normale ;
2° comme une école destinée à former de jeunes savants ;
3° comme un centre de recherches où s'étudient sur place des questions non résolues par la science et relatives soit à l'Antiquité soit aux temps modernes. Une liste de ces questions est fournie par l'Académie des inscriptions et belles-lettres ;
4° comme une commission d'examen décernant les grades universitaires en Orient ;
5° enfin comme un établissement destiné à accroître en Orient le prestige et l'influence légitime de la France (à cet égard, la position occupée par l'École est considérable).11
6Les changements politiques intervenus avec la chute de l'Empire ne changèrent pas fondamentalement sa vision des choses, les récents événements ne soulignant que davantage encore, selon lui, la stabilité offerte par son établissement :
En fait l'École d'Athènes, par sa position dans le pays, par ses travaux scientifiques, par les idées qu'elle répand et par les services qu'elle rend, est un des liens les plus puissants et les plus légitimes qui attachent à la France une population chrétienne à laquelle un grand avenir appartient. N'ayant aucun caractère politique officiel et restant la même à travers les guerres et les révolutions, elle a l'avantage de représenter parmi les Hellènes un élément constant et durable de la civilisation française. Elle jouit ainsi dans le pays, non seulement d'une haute considération, mais d'une influence morale reconnue et acceptée. Tandis que l'action politique des diplomaties s'exerce au jour le jour et change avec les gouvernements, l'École est pour la France un point d'appui invariable ; c'est un centre de rayonnement qui ne fait point défaut.12
7En dépit d'un contexte politique défavorable, le bilan de sa direction est loin d'être négligeable. Fait inédit depuis 1859, il obtint en 1869 la nomination de quatre nouveaux membres, entre autres pour faire vivre pour la première et unique fois la section des sciences avec le géologue Henri Gorceix (1842-1919). Il lança deux nouveaux chantiers de fouille propres à l'École (Santorin en 187013, Délos en 1873), en encouragea un troisième à Milet avec l'aide de Gustave et Edmond de Rothschild14. Il mit en œuvre la publication, certes modeste car le ministre Duruy lui comptait les crédits, d'un Bulletin de l'École française d'Athènes qu'il faisait imprimer sur place. Il fut encore le premier à dégager en 1872-1873 un poste de dépenses spécifique intitulé « fouilles et moulages »15. Enfin, Burnouf parvint à amener le gouvernement français à ses vues pour faire construire à partir de 1872 des bâtiments propres sur un terrain que le gouvernement grec donna à la France16. Il avait pour cela mis en avant ce qui devait constituer le moteur de son action après la défaite de 1871 : la rivalité avec l'Allemagne de Guillaume Ier et de Bismarck. Elle est directement à l'origine de son idée de construire un édifice pour l'École17. Il pouvait compter sur de puissants relais en la personne des nouveaux hommes forts du gouvernement dont il était proche comme Jules Barthélemy-Saint-Hilaire (1805-1895), secrétaire du président du Conseil Adolphe Thiers, ou Jules Simon (1814-1896), le nouveau ministre de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts. À Athènes il profita fort opportunément de la présence d'un ministre plénipotentiaire acquis aux idéaux de la nouvelle République, en la personne du futur président du Conseil Jules Ferry.
8Cette direction de huit ans (1867-1875) fut cependant dénoncée avec une certaine brutalité comme une période de décadence et de quasi ruine où l'École d'Athènes faillit bien disparaître : elle ne valait nul intérêt, coincée entre les temps héroïques des années 1840-1850 et l'inexorable montée en puissance de la direction Dumont (1875-1878) jusqu'à la faste période de la Grande Fouille de Delphes. Il n'est que de lire l'ouvrage de Georges Radet qui fixa en 1901 pour des décennies la lecture officielle de la geste française à Athènes. Le jugement que Radet porte sur l'action de Burnouf est des plus sévères et rien ou presque ne réchappe de l’œuvre de ce dernier, systématiquement dénigrée et évaluée négativement. Il déclare ainsi que « la période de sept ans qui fait l'objet de ce chapitre est la plus triste de notre histoire. (…) Dans l'ensemble, sauf le coup de foudre sanglant de 1870, l'atmosphère est grise, terne, embrouillée. Sous la calotte de plomb qui l'accable, l'École va d'avatars en avortements. »18 Radet n'a toutefois pas tous les torts – et il s'en excuse presque auprès de Burnouf dans sa préface19 –, car l'orthodoxie de ce discours avait été décrétée dès 1884 par Georges Perrot, précisément dans le discours qui mit Burnouf en rage et dont Ernest Lavisse reprit à son compte les conclusions :
Par suite de diverses circonstances, l'aînée de Rome, l'École d'Athènes périclitait, le recrutement y devenait difficile, l'avenir en paraissait compromis. Le ministre demanda à M. Dumont d'aller sauver et relever cette École.20
9D'où venait que Perrot, pourtant en bons termes avec Burnouf en 187321, avait ainsi établi cette vulgate selon laquelle la direction d'Albert Dumont aurait seule sorti l'École d'Athènes du néant où Burnouf l'y aurait mise ? Les historiens les plus récents, dont l'un des lointains successeurs de Burnouf et Dumont, ont en effet appelé à plus de nuances et d'objectivité22. Il s'agit en réalité d'une réécriture partielle de l'histoire de la réforme de l'enseignement supérieur depuis l'avènement de la République, une réforme où Burnouf faisait figure de vaincu et, plus grave, de mauvais perdant aux yeux des vainqueurs. La querelle sur les origines de l'École française de Rome y est tout entière inscrite.
Burnouf, Dumont et la genèse du décret du 25 mars 1873
10L'étude des origines de l'École de Rome doit nécessairement s'enrouler autour de deux axes, scientifique et politique : restituer à chacun sa part dans la marche vers sa création et son autonomie revient à mieux discerner les luttes de pouvoir et les mutations académiques à l’œuvre durant ces années décisives pour la présence scientifique française en Méditerranée. L'œuvre de Radet, écrite un quart de siècle après les événements et alors que certains des acteurs sont encore en vie – Burnouf ne décéda qu'en 1907 –, exprime en réalité le point de vue de ses camarades athéniens et du monde académique de son temps. Tandis qu’il aurait dû paraître triompher tant sur le plan institutionnel (décret de refondation de l'École d'Athènes du 26 novembre 1874) qu'immobilier (« l'immeuble Burnouf », selon les termes de Radet, fut inauguré en 1874), Émile Burnouf avait en réalité perdu la bataille de l'opinion savante, et ce dès 1870. La damnatio memoriae dont sa personne et son œuvre furent les victimes – on chercherait vainement, semble-t-il, la moindre notice nécrologique le concernant dans une revue savante, fait rarissime pour un normalien, Athénien et ancien directeur – était tout à la fois le résultat d'une défaite scientifique sur le terrain de l'identité de l'institution athénienne et d'une lutte politique perdue.
L'idée d'une station romaine (1871-1872)
11Émile Burnouf incarnait une vision originale, relativement isolée et décalée pour son temps de la vocation de l'École d'Athènes. Elle privilégiait une conception scientifique très pluridisciplinaire et une action résolument tournée vers le pays et la zone d’accueil, avant que d'être un établissement de recherche pure. Ce sont ces ordres de priorité plutôt que les éléments le composant qui tracèrent une ligne nette entre son action et celle d'Albert Dumont. Burnouf avait le sentiment de devoir relayer au mieux l’action diplomatique française en Grèce. Diriger l’École était dès lors assimilable à de la grande politique, au-delà même d’une action culturelle parfois reconnue aux établissements universitaires à l’étranger23 : acquérir les élites grecques et orientales à l’option démocratique et républicaine de la France revenait selon lui à assurer sur le long terme la puissance de son pays face aux ambitions allemandes. Il n'hésitait pas ce faisant à allumer des contre-feux de publiciste pour contrer les écrits célèbres de certains anciens membres de l'École comme Edmond About24. La possession d’un bâtiment propre achevait de faire de l’École un organe stable participe de ce programme d’affirmation et de concurrence avec la représentation diplomatique française. C’était là, sans aucun doute, infléchir notablement le cours de l’institution dont il avait la charge. C’était surtout heurter de front l’offensive académique engagée dès la chute de l’Empire pour faire de l’École exclusivement un lieu de recherches savantes.
12L'offensive eut lieu en 1872 et elle fut portée par Joseph-Daniel Guigniaut (1794-1876), surnommé « le Père de l'École d'Athènes ». Celui qui était alors (depuis 1860) le secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres tenait là une revanche sur ceux qui avaient oublié le « concordat de 1850 » qui faisait de l'École un instrument dans les mains de l'Académie. Profitant d'une consultation du ministre Jules Simon soucieux de réorganiser l'ensemble du corps d'enseignement supérieur, l'Académie par la voix de Guigniaut affirmait la vocation exclusive de recherche de l'École d'Athènes. Les exigences intellectuelles nées de la défaite contre la Prusse invitaient à contrer la science allemande avec ses propres armes, celle d'une érudition de premier ordre. Il rejetait tout à la fois le recrutement automatique du premier agrégé (décret de 1859), l'existence de trois sections et la prétention à régenter l'enseignement français en Orient25. C'était une attaque en règle contre ce qui tenait le plus à cœur à Burnouf qui répliqua avec feu par une lettre du 23 mai 1872 où il en appelait à l’universalisme des idéaux français26.
13Parallèlement furent engagées des négociations pour structurer le passage des jeunes savants français à Rome. La Ville n'était qu'un court passage (trois mois) vers Athènes. Si l'on en croit son propre témoignage postérieur de quatre ans aux événements qu'il relate, c'est à Félix Ravaisson (1813-1900) qu'il faut faire crédit d'avoir imaginé après la défaite de 1871 de prolonger cette station pendant une année entière. Le philosophe Ravaisson avait réorienté sa carrière professionnelle, après avoir été écarté de l'Université par Victor Cousin, vers les institutions de conservation et d'administration : inspection des bibliothèques, inspection générale de l'enseignement supérieur et enfin (1870) conservation de la sculpture moderne au Musée du Louvre. Chargé entre autres d'accueillir la collection Campana (dont Léon Renier avait négocié l'acquisition dix ans plus tôt), il joignit rapidement à ce goût pour la statuaire antique des préoccupations morales impérieuses après la défaite contre l'Allemagne. La transformation, le 2 mars 1871, de l'Institut archéologique de Rome en un établissement allemand, l'aurait ainsi déterminé à agir :
Nous nous trouvions ainsi à peu près exclus d'un terrain jusqu'alors neutre, où la science française avait pourtant toujours figuré avec honneur et rendu des services incontestés.
Dans ces circonstances, et l'office public dont j'étais chargé comme conservateur de notre Musée des antiques me faisant un devoir, il me le semblait du moins, de me préoccuper de nos intérêts archéologiques, j'eus la pensée qu'il conviendrait à ces intérêts que le gouvernement de la France, qui avait fondé notre école d'Athènes (ministère de M. Salvandy), fondât pareillement à Rome, où d'ailleurs florissait depuis deux siècles l'Académie de France, une École française pour l'archéologie. Je communiquai cette pensée au ministre de l'Instruction publique d'alors, M. Jules Simon. Il l'approuva et chercha aussitôt les moyens de la mettre à exécution.
Je désignais en même temps comme très propre, par son caractère comme par son savoir, à diriger avec succès le nouvel établissement un érudit récemment récompensé par l'Académie des inscriptions et belles-lettres pour un remarquable travail archéologique et alors en mission à Athènes, M. Albert Dumont.
Informé de mes propositions par M. Albert Dumont, à qui j'en avais fait part (mai 1872), M. Émile Burnouf, alors directeur de l'École d'Athènes, les appuya aussitôt auprès du ministre.27
Les propositions de Dumont et Burnouf (juillet-août 1872)
14Albert Dumont (1842-1884), entré en 1861 à l'École normale supérieure, en était sorti en 1864 premier agrégé de l'agrégation d'histoire récemment rétablie. Ce rang lui valut, en vertu du décret de 1859, d'être envoyé à l'École d'Athènes où il y resta jusqu'en 1868, assurant même en tant que doyen des membres l'intérim de la direction entre le décès de Daveluy et l'arrivée de Burnouf (21 avril-mi novembre 1867). À la veille de la guerre franco-allemande, il projetait une mission en Grèce avec le sculpteur Jules Chaplain ; mais il s'engagea comme ambulancier durant le conflit. Dès le retour de la paix, il effectua la mission projetée avec Chaplain en Grèce, Albanie et Dalmatie dont il présenta les résultats à l'Académie des inscriptions et belles-lettres le 10 mai 1872, le jour même où celle-ci recevait la lettre de Jules Simon l'appelant à donner son avis sur les réformes à apporter à Athènes.
15À la demande Ravaisson et dès le mois de juillet 1872, Albert Dumont adressa donc au ministre de l'Instruction publique une note assez complète sur le projet qu'il nourrissait pour Rome28. Dumont avançait prudemment, en particulier sur le plan budgétaire où l'effort devait être limité au maximum. La structure proposée s'articulait autour de deux axes : recréer une version française, à tout le moins favorable à la France, de l'Institut archéologique d'avant 1871 ; instituer une « école préparatoire d'archéologie et d'histoire de l'art » composée de trois membres – auxquels se joindraient les membres de première année de l'École d'Athènes pour 12 ou 15 mois – qui recevraient un cours d'archéologie car, disait Dumont, « nous n'avons pas en France un seul élève qui soit quelque peu préparé à l'archéologie ».
16Le 7 juillet, quelques jours avant la rédaction de cette note de synthèse, Dumont en avait écrit à Burnouf lui en exposant les grandes lignes, en particulier ce qui avait trait aux liens avec Athènes. Burnouf, alors en Grèce, lui répondit-il – en ce cas ce dut être un télégramme – avant qu'il transmît sa note au ministère ? Quoiqu'il en fut, Dumont y évoquait l'accord plein et entier du directeur d'Athènes quant à la participation (encore seulement hypothétique à la date du 7 juillet) des futurs Athéniens au cours d'archéologie de Rome. La vraie réponse de Burnouf, c'est au ministre qu'il l'adressa sous forme d'un mémoire détaillé29.
17Par ce long document, à visée idéologique autant que pratique et administrative, Burnouf s'attachait à résoudre toutes les questions posées par la présence scientifique française en Méditerranée depuis la chute de l'Empire. Il ressaisissait tous les projets suscités par les uns (Académie des inscriptions et belles-lettres) et les autres (Ravaisson et Dumont), les rapportait à des idées qu'il formulait depuis longtemps et n'avait pas pu complètement mettre en pratique, et présentait pour cela des solutions unifiées sous la houlette du directeur d'Athènes. Burnouf refusait de renoncer à sa conception pluridisciplinaire et d'établir un examen d'entrée spécifique pour la sélection des futurs membres. Les deux conceptions étaient à l’évidence irréconciliables et l’une des deux devaient nécessairement céder la place.
18Burnouf, soucieux de diviser le front Académie-ministère, ménageait cependant plusieurs ouvertures qui prolongeaient la note de Dumont tout en l'infléchissant significativement. La première répondait à la disparition de l'Institut archéologique de Rome : il fournissait une formule institutionnelle au projet de Dumont de recréer un Institut à connotation française par la création d'une classe de membres associés et de correspondants afin d'établir « un vaste centre d'érudition ». La deuxième était l'annonce d'une collection de publications pour accueillir les mémoires des membres d'Athènes : il y avait là rupture avec le projet éditorial de Dumont qui l'envisageait avant tout comme le bras armé de l'Institut archéologique refondé. Quant à l'École à venir, qu'il était le premier à qualifier de succursale, il en donnait sa lecture très utilitariste et à finalité exclusivement athénienne :
L'Italie et la Grèce sont indispensables l'une à l'autre. Mais l'Italie possède pour l'étude un nombre infini de monuments et des ressources de toute nature que la Grèce ne possède pas. Il est très difficile aux membres arrivant à Athènes de se mettre au courant de la science ; souvent leur première année n'y suffit pas ; on n'a pas ménagé la transition entre l'École normale et celle d'Athènes. C'est à Rome seulement que peuvent se former nos jeunes érudits : si nous avions dans cette ville une sorte de succursale comme les Allemands en ont créé une à Athènes notre condition serait meilleure que la leur, parce que la préparation se fait facilement à Rome et difficilement en Grèce, tandis que c'est en Grèce et en Asie que doivent s'exécuter les recherches spéciales.
19Il concluait sa note par un projet de décret qui reprenait sous une forme administrative les propositions scientifiques évoquées plus haut. Pour la première fois, l'établissement romain était clairement subordonné à l'autorité du directeur d'Athènes et placé sous la responsabilité d'un sous-directeur – quand Dumont s'en tenait initialement à un « secrétaire » – qui devait être, selon Burnouf, Dumont lui-même.
La marche au décret (septembre 1872-mars 1873)
20Rapidement Dumont prit conscience que le projet de refondation athénienne de Burnouf, touffu et qui soulevait beaucoup de questions, risquait de mettre en péril le strict projet romain : « Si vous deviez tarder quelque temps », écrivait-il le 29 septembre 1872 à Burnouf, « il faudrait peut-être écrire personnellement au ministre, en ramenant nos projets à l'essentiel. »30 Dumont comptait beaucoup en effet sur les liens privilégiés de Burnouf avec Jules Simon31, et plus encore avec Barthélemy-Saint-Hilaire, Armand Du Mesnil (1819-1903), directeur de l'Enseignement supérieur (1871-1879), et le chef du deuxième bureau de la direction de l'Enseignement supérieur, Léon Lescoeur (1821-1907), que Burnouf connaissait depuis l'époque de l'École normale où il était entré avec lui en 1841. Le 10 janvier 1873, Dumont pouvait adresser un bulletin de victoire à Burnouf :
Je vais au ministère deux fois par semaine. C'est le seul moyen. Je vois d'ordinaire M. Lescoeur qui porte le plus grand intérêt à la création. La nomination de M. Lenepveu [à l'Académie de France à Rome] est faite, tout peut donc marcher. Le ministre a écrit sur le dossier qu'il s'était entendu avec lui, qu'il fallait en finir. Le premier décret a été modifié de manière à ne donner aucune prise aux critiques de l'Académie des Beaux-Arts. Le tout est un décret de fondation. Après quoi, nous ferons ce que nous voudrons.32
21Un mois plus tard, le 14 février 1873, les espoirs étaient douchés par la froide réception du dossier auprès du Président de la République qui repoussait provisoirement le décret proposé :
Le décret est revenu le 11 de Versailles. M. Thiers ne l'a pas signé. Il fait des objections et demande des explications. Il soupçonne que cette fondation est faite pour me faire plaisir, tandis que l'idée n'est pas de moi. De plus il ne me connaît pas. M. Du Mesnil a rédigé des explications qui sont très précises et les expédie aujourd'hui même au ministre. Je soupçonne que M. Thiers a été prévenu par le directeur de Rome [ = Académie de France] qui a protesté auprès de M. J. Simon et de M. Beulé. Je les ai vus et ces protestations ont été ramenées à leur juste valeur. Auprès de M. Thiers, tout doit être fait par le ministre et surtout rien ne peut venir de moi, puisque je suis en cause. (…) Je ne sais si vous connaissez quelqu'un qui puisse dire en deux mots au président 1° que la fondation est indispensable 2° qu'elle n'est pas faite du tout pour me faire plaisir, mais parce qu'on m'y appelle parce qu'on me croit capable d'y servir ?33
22Deux semaines après, le 27 février 1873, Dumont se faisait plus pressant auprès de Burnouf en qui il voyait la seule personne capable de renverser le cours mal engagé du futur établissement romain :
Le décret est revenu de Versailles le 11 février avec ces mots de la main de M. Thiers : « Ceci demande explication. Le projet ne cache-t-il pas la pensée de placer quelqu'un ? Rome avant Athènes, c'est la charrue avant les bœufs. Nous ne sommes pas riches. » Immédiatement, les bureaux y ont fait une réponse très nette et à mon sens décisive. J'ai cru cette réponse partie pour Versailles, M. Simon m'a dit samedi qu'il ne l'avait pas envoyée, qu'il ne voyait rien à faire pour le moment. Cette note l'avait vivement frappé. Je lui ai alors demandé l'autorisation d'agir, ce qu'il m'a permis. (…) M. Du Mesnil m'a même dit que le ministre désirait que je fisse des démarches. J'ai écrit tout de suite à M. Barthélemy-Saint-Hilaire qui connaît, je crois, mes travaux ; il m'a reçu le lendemain fort longuement, je lui ai fait lire le décret et une réponse aux questions de M. Thiers si le projet revenait à sa signature. J'ai immédiatement prévenu M. Simon.
Maintenant toute la question est de savoir si M. Simon oubliant l'impression pénible qu'il a éprouvée renverra le décret à la signature. C'est ici que l'amitié qu'il vous porte vous autorise à lui dire dans une lettre personnelle qu'il faut reprendre une affaire qui n'a pas été terminée, mais sur laquelle M. Thiers demande naturellement qu'on s'explique. (…)
P.S. Dans tout mon entretien avec M. Saint-Hilaire, j'ai toujours dit que ce décret était vivement demandé par vous et j'ai fait valoir les raisons que vous avez exposées. Jugerez-vous utile d'écrire à M. Saint-Hilaire pour bien établir que j'ai agi en votre nom ?34
23Burnouf fit ce que l'on attendait de lui et présenta à Thiers et à Barthélemy-Saint-Hilaire son point de vue qui fut suffisamment convainquant pour que le président de la République écrivît le 23 mars 1873 à son secrétaire :
Mon Cher Ami,
Répondez à M. Burnouf que je suis tout à fait converti à l’idée d’une année à Rome avant d’aller en Grèce. Il est plus naturel de descendre un fleuve que de le remonter quand on veut bien étudier son cours. On le voit naître, grandir et finir. Mais on peut aussi le remonter de son embouchure à sa source et on finit aussi par le connaître en le prenant à rebours. Ici d’ailleurs nous n’avons pas le choix, puisqu’à Rome on a tous les moyens d’étude et qu’à Athènes on n’a rien. Je vais par conséquent donner les ordres nécessaires. Mais il reste pour moi une question. Laissera-t-on ces jeunes gens créer dans Rome et ne serait-il pas bon de les comprendre dans les élèves de l’École de Rome et soumis à la même discipline ? C’est un détail du reste et j’admets avant le départ pour la Grèce le préalable d’une année passée à Rome. Voir Paestum en passant serait une étude utile et bien instructive.
Écrivez à M. Burnouf et dites-lui que la question sera résolue dans le sens de sa lettre.
Tout à vous,
Signé A. Thiers.35
24Le décret fut signé le 25 mars 1873. L'engagement de l'État et la structure institutionnelle y étaient à vrai dire réduits au minimum : aucune institution n'était créée pour ce séjour d'une année des futurs membres d'Athènes logés à la Villa Médicis, dont le directeur avait autorité administrative sur eux et pour qui était organisé un cours d'archéologie dont Albert Dumont fut officiellement chargé par arrêté du 1er avril 1873. La présence de membres propres à l'établissement romain, les seuls auxquels Dumont songeait encore en juillet 1872, était abandonnée. Pouvait-on encore parler d'une création, d'une institution nouvelle ?
L'institution romaine : la vision des vainqueurs (1873-1884)
Bâtir un cours d'archéologie à Rome (1873)
25Le titre de sous-directeur, voulu aussi bien par Burnouf (dès son mémoire du 7 août 1872) que par Dumont (trop à l'étroit dans son titre de professeur du cours d'archéologie), constituait un enjeu institutionnel et symbolique des plus essentiels. Dumont le résumait ainsi :
Vous avez dû recevoir le décret et l'arrêté. Je crois qu'ils répondent à vos intentions. Il dépendra du reste de vous de le modifier dans la pratique. L'arrêté ne porte pas le titre de sous-directeur. Cela est sous-entendu. Le ministre n'a pas dit non ; M. Lescoeur m'a assuré que cela se ferait. J'y ai insisté longuement en votre nom et voici pourquoi :
1° ce titre nous rattache à Athènes et met en garde contre une déviation romaine des études, contre laquelle je lutterai, il y aura à faire.
2° il établit bien le lien qui me réunit, qui me subordonne à vous et me permet d'en référer au directeur pour tout ce qu'on me demanderait qui serait contraire à nos intentions communes
3° il montre clairement que la nouvelle création est l'œuvre du directeur d'Athènes et cela est bon à mettre dans les esprits.
Je suis persuadé que vous me ferez donner ce titre : ajoutez qu'il corrige ce qu'a d'exclusif et d'étroit le titre de professeur d'archéologie.36
26La grave crise politique du 18 mai 1873 qui vit le départ de Thiers et l'instauration du gouvernement d'ordre moral fut ressentie diversement par les deux acteurs. Burnouf perdait ses soutiens les plus fermes en même temps qu'un gouvernement dont il se sentait proche politiquement. Dumont, qui forçait les choses par l'emploi d'un papier à lettres ad hoc non encore autorisé, expliquait pourtant à Burnouf qu'il voulait n'y voir qu'un épisode de nature à retarder l'arrivée à bon port de l'ensemble du projet car il comptait sur leur volonté commune pour emporter la décision :
Les changements ministériels ont arrêté court nos affaires. Il y a une force d'inertie qui s'explique du reste et contre laquelle on ne peut rien. Vous savez qu'elle est ma patience et que j'arriverai à réaliser ce qui est convenu entre nous. Je n'y épargnerai rien et ma suppression seule empêcherait notre volonté d'être réalisée. Ce que nous voulons, nous le voulons bien parce que nous savons pourquoi nous le voulons et pour quel but. (…) Cette question du titre de sous-directeur n'est pas résolue. Avec M. J. Simon, il n'y avait aucune difficulté, il était décidé, on a eu grand tort d'attendre. (…) Je donne dans toutes mes lettres le titre de succursale de l'École d'Athènes à notre École, je voudrais avoir du papier officiel portant les mots « École d'Athènes ». Où prenez-vous le vôtre ? Et m'approuvez-vous ?37
27Finalement, le 24 juin le titre de sous-directeur était enfin concédé par arrêté à Dumont. Ce dernier se préoccupa dès lors de préparer le cours d'archéologie qui était a priori placé sous la tutelle scientifique de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Celle-ci avait délibéré sur ce sujet dès le 4 avril 187338. Alfred Maury (1817-1892) proposait de former une commission spéciale réunissant ceux des membres de l'Académie « qui peuvent apporter de la lumière dans les questions d'archéologie ». Adrien de Longpérier (1816-1882), de son côté, s'inquiétait d'un cours exclusivement limité aux monuments grecs et qui ne prît pas en compte les richesses d'Italie et d'Étrurie. Pour Jules Quicherat (1814-1882), enfin, ce cours d'archéologie était tout bonnement trop limitatif pour l'activité future des Athéniens : « [Il] se demande si l'École d'Athènes est exclusivement une école d'archéologie. Il ne lui paraît pas qu'il y ait un rapport assez étroit entre ce commencement marqué aux études de l'École et la fin à laquelle elles doivent aboutir. » Le président, Barthélemy Hauréau, interrompt des débats qui rouvraient le fond de l'affaire et appelle chacun à s'en tenir à la lettre du décret. Léon Renier, qui avait de multiples titres à intervenir, fit toutefois encore « observer qu'il ne s'agit pas seulement d'archéologie, mais de philologie. Les membres de l'École d'Athènes ne peuvent séjourner un an à Rome et y rester étrangers aux manuscrits que renferme la bibliothèque du Vatican. » Enfin, Longpérier plaida vigoureusement la cause de l'épigraphie, disant « qu'en parlant d'archéologie, il n'a pas entendu en séparer l'épigraphie ». La commission de l'École d'Athènes se vit finalement adjoindre quatre membres (Ravaisson, Longpérier, Renier et Maury) et rendit son rapport le 18 avril suivant39.
28Dumont dut en tenir compte pour composer son cours durant l'été et dont il fournissait le programme détaillé à Burnouf le 6 novembre 187340. L'analyse révèle que son propos est bien de former par dessus tout de futurs membres de l'École d'Athènes : « L'archéologie grecque sera la base de nos travaux », disait-il dans l'allocution du cours qu'il publia peu de temps après41. Les réalités italiennes étaient réduites à la portion congrue. Il avait toutefois, suivant probablement en cela les conseils de l'Académie, réservé, à côté des objets et des monuments, une place remarquable à l'épigraphie, « une des grandes révolutions survenues au cours du XIXe siècle dans l'histoire »42. Pour l'occasion, il avait dû élargir ses propres connaissances : « Je me mets au courant de l'épigraphie latine. Tout cela n'est mystérieux que de loin. »43 Quant à la philologie réclamée par Renier, elle n'entrait tout bonnement pas dans le programme. Burnouf avait tout lieu d'être satisfait car Dumont s'efforçait réellement de faire de son institution une étape préparatoire vers Athènes, y compris à titre personnel.
Albert Dumont vers Athènes (1874-1875) : l'histoire méthodique au pouvoir
29 Dès le mois de mai 1874, alors que le ministère venait de lui proposer une chaire d'archéologie qui serait nouvellement créée en Sorbonne, Dumont refusa et expliqua à Burnouf qu'il avait également songé à se réserver pour le jour où Burnouf viendrait à quitter la direction d'Athènes44. Il est vrai que ce dernier devait désormais composer avec un ministre, Arthur de Cumont, dont il ne partageait pas les idées et une Académie qui n'avait rien abandonné de ses prétentions. Le décret du 20 novembre 1874 marque en partie la défaite de Burnouf : retour au patronage scientifique de l'Académie, instauration d'un examen d'entrée, fin des trois sections pour ne conserver que celle des lettres. Burnouf, qui s'efforçait pourtant de caresser l'Institut dans le sens souhaité45, n'avait été suivi que sur les projets qui tendaient à conférer un caractère de centre de recherche érudite à Athènes : création d'une classe de correspondants, six membres nommés pour trois ans chacun à la faveur de la station romaine installée concrètement par l'article 9. Celle-ci, qui n'existait jusqu'alors que par la personne de Dumont, devenait École archéologique de Rome. Dumont qui conservait son titre de sous-directeur de l'École d'Athènes, prenait celui de directeur de l'École archéologique de Rome.
30Quelques mois plus tard, en janvier 1875, Dumont plaidait auprès de Burnouf la nécessité d'avoir des membres propres à Rome qui ne seraient pas destinés à Athènes : « Comme il y aurait des membres spéciaux à Rome, ils feraient les travaux romains et il n'y aurait plus de ces retours d'Athènes en Italie qui sont si dangereux comme vous me le dites. »46 Pour autant, il tentait de rassurer Burnouf sur la nouvelle concurrence que cela ne manquerait pas d'ouvrir : « Nous sommes dans une telle situation que nous pouvons très bien faire que les deux écoles n'en forment qu'une. »47
31Lorsque Burnouf sollicita son renouvellement en juillet 1875, l'Académie et le ministère s'accordèrent pour proposer le nom d'Albert Dumont à la direction d'Athènes. Ce choix n'était que l'aboutissement d'une lutte engagée autour d'une conception de la présence scientifique française en Méditerranée, incarnée par un savant, Dumont, qui n'avait jamais cessé d'avoir le regard tourné vers Athènes, y compris durant ses années romaines. À Rome, en effet, le jeune directeur semble ronger son frein en attendant mieux, en expérimentant des idées, des pratiques, des formations conçues probablement dès son séjour à Athènes où il projetait de les appliquer mais qu'il avait su faire évoluer au plus près des tendances nouvelles de l'université après 1871. Dès la période de son intérim en 1867, il s'en était ouvert à Auguste Geffroy, qui avait été son maître à l'École normale supérieure et qui était alors suppléant de la chaire d'histoire ancienne à la Sorbonne :
[L'École doit être] moins une école qu'une Académie et un Institut. [Parmi les réformes à entreprendre :] Création d'une revue de l'École d'Athènes ; admission de droit à l'École des premiers agrégés de grammaire pour fortifier les études philologiques ; création de trois places aux appointements de six ou sept mille francs et qui pourraient être occupées par des hommes d'âge et d'expérience, travaillant comme à l'Institut archéologique de Rome et formant leurs successeurs ; réduction des membres à trois, destinés à remplacer les trois savant dont j'ai parlé plus haut. De la sorte, on ferait des études grecques sérieuses.
[Ajout en post-scriptum :] Création de cours publics faits par les membres de l'École en français ; création de lycées français à Smyrne, Constantinople et Corfou avec la Faculté française d'Athènes au centre.48
32On le voit, ses idées au départ n'étaient guère éloignées de celle de Burnouf. L'avantage de Dumont naquit, outre de sa jeunesse, de sa capacité à évoluer plus vite que le directeur d'Athènes et, pourrait-on dire, de son faire-savoir autant que de son savoir-faire. De l'œuvre de Burnouf, « que nous continuons » disait-il lors de la séance d'ouverture de l'Institut de correspondance hellénique le 3 avril 1876, il retenait, dans le domaine de l'influence française en Orient, un soutien à apporter aux savants grecs pour mettre en valeur leurs propres travaux en recentrant spécifiquement l'École d'Athènes sur cette stricte action de recherche49. Ensuite, le soutien des normaliens de sa génération, ces « jeunes loups »50 promis à de brillantes carrières (Gaston Monod et Ernest Lavisse, ses condisciples à l'École normale supérieure), joua sans doute moins que ses propres positions patriotiques très agressives à l'égard de l'Allemagne51 et que ses orientations scientifiques qui étaient beaucoup plus en accord avec les canons défendus par l'Académie. Entre sa thèse sur la chronologie des archontes athéniens soutenue en 1870 et sa conception des études archéologiques, la différence n'est que de mûrissement et d'ampleur. Son travail de thèse, selon les termes de Charles-Olivier Carbonell, était en effet une « sèche nomenclature des archontes athéniens, patient travail d'épigraphiste indifférent à l'art d'écrire, chronologie illisible à force de technicité »52. De cette manière d'écrire l'histoire, Dumont fit une méthode qui coïncidait avec le défi lancé par la science allemande que souhaitait relever le gouvernement français. Dans sa note de juillet 1872, il affirmait :
Il n'y a pas aujourd'hui de travail possible sur l'Antiquité si on néglige l'archéologie. De plus ces études corrigent ce que l'éducation exclusivement littéraire a souvent de vague et d'oratoire ; leur méthode toute scientifique est celle des sciences exactes ; elles demandent de la patience, du bon sens, de la pratique ; elles habituent l'esprit au sérieux et par là elles ont une influence générale dont l'Allemagne a raison de faire grand cas. »53
Et il poursuivait sur la même voie méthodique à l'automne 1873 en s'adressant aux nouveaux membres d'Athènes en séjour à Rome :
L'archéologie est une science d'observation ; elle doit avoir pour base des catalogues bien faits. Quand un monument est découvert, il faut tout d'abord se rappeler les œuvres du même genre qui sont déjà publiées, voir en quoi il leur ressemble, le détail original qu'il présente. Ce détail est la nouveauté qui constitue le progrès scientifique. Vous prenez une question au point où l'ont laissée vos prédécesseurs, vous la portez en avant. L'état de la question, l'évidence du progrès accompli, tels sont les deux termes de la démonstration. (…)
Expliquer un monument c'est marquer la place qui lui convient dans la série à laquelle il se rattache ; chaque classe d'objets a eu un développement régulier ; le bon archéologue est celui qui peut suivre ces transformations etqui, dans une série, ne laisse aucun vide. (…)
La méthode que nous suivons pour les objets de chaque classe, nous l'appliquons aussi à l'étude comparée des séries entre elles. Nous les rapprochons, nous en remarquons la succession, nous précisons les rapports qui les unissent, et ainsi nous constituons la science des antiquités, science qui consiste à connaître l'origine et la technique des monuments, à en fixer le sens, à expliquer sous quelles influences ils ont été créés. Il n'y a pas d'archéologie en dehors de cette méthode.54
33Ces positions érudites, que Dumont appliquait volontiers à l'analyse des populations contemporaines des Balkans55, étaient défendues au sein de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Elles devinrent bientôt le credo du gouvernement de la République lorsque le ministère de l'Instruction publique fut confiée à deux de ses membres, William Henry Waddington, membre de l'Académie en 1865 et ministre à deux reprises (18 mai-25 mai 1873 et 9 mars 1876-17 mai 1877), et surtout Henri Wallon, membre en 1850 et secrétaire perpétuel le 24 janvier 1873, ministre à une époque décisive pour Dumont et Burnouf (10 mars 1875-9 mars 1876).
La défaite savante, politique et mémorielle d'Émile Burnouf (1875-1884)
34Avec Wallon, l'opposition érudite se doublait d'une opposition politique certaine avec Émile Burnouf qui coûta beaucoup à la mémoire de ce dernier. Tandis que Henri Wallon était un catholique convaincu – il était membre de la Conférence Saint-Vincent-de-Paul –, Burnouf était résolument opposé à l'influence de l'Église dans la vie scolaire et universitaire. Dès la chute du gouvernement Thiers, il dénonçait « cette bande néfaste » qui menaçait en outre de rétablir la monarchie en France56. Ses sentiments républicains et laïcs étaient on ne peut plus nets et il lui arrivait de les exprimer avec un certain radicalisme :
Et il n’y a aucun doute que l’instruction et surtout l’instruction laïque marche avec l’esprit républicain et que le grand obstacle à l’unité de la France sous une bonne république, c’est le cléricalisme, c’est-à-dire surtout les congrégations de toute nature, hommes et femmes, et l’ultramontanisme du clergé séculier. C’est avec Rome qu’il faudrait s’entendre pour mettre un frein à cet esprit de lutte contre la société moderne, de séduction des âmes et de perversion des esprits. Et par Rome, j’entends le gouvernement italien, les députés libéraux d’Italie. Car si dans ce pays on prenait le taureau par les cornes, on pourrait en France le lier par les pieds et il ne tarderait pas à être renversé à terre.57
35C'est autour de cette double opposition que se construit progressivement la marginalisation de Burnouf au sein de l'enseignement supérieur français. Dans un premier temps, Émile Burnouf sembla accepter avec assez de fair-play la nomination de Dumont à la tête d'Athènes le 19 août 1875, quoiqu'il fustigeait l'attitude de celui « qui, en [le] supplantant, trahit le plus saints des devoirs »58. Mais très vite les griefs personnels vinrent troubler ses rapports avec Wallon. Ulcéré de ne pas se voir proposer autre chose que de réintégrer une chaire de littérature ancienne à Bordeaux, accompagnée du décanat comme « récompense de ses services », Burnouf refusa sèchement, en se contentant d'invoquer dans un premier temps des excuses de santé. Ce fut sans doute sa réaction officielle dans un journal bordelais contre la politique universitaire de Wallon – spécialement la loi du 12 juillet 1875 qui mettait fin au monopole d'État sur l'enseignement supérieur, contre l'avis de Jules Ferry59 – qui le mit durablement au ban de la vie académique française60. À force d'aigreur, l'action de Henri Wallon, secondé par son secrétaire général Charles-Marie Jourdain (1817-1886) – déjà chef de cabinet du comte Falloux en 1850 – se résumait pour Burnouf à des concessions interminables en faveur de l'Église :
Depuis que je suis en âge de voir et de juger, je n’ai connu aucun ministre qui ait fait autant de mal à l’Université, à l’enseignement public, à la France, que Wallon aidé de son autre lui-même Jourdain : avec ce fleuve et cette vallée, on pouvait se croire en Terre Sainte et au temps des prophètes. On a vu toutes les fonctions, devenues ou rendues vacantes, livrées à des amis de l’Église ou des congrégations. L’Université était décapitée et blessée dans toutes les parties de son corps. Ce serait une histoire curieuse et instructive que celle de cette pieuse administration : si l’on faisait le relevé des lois proposées par elle, de ses règlements et circulaires et des changements qu’elle a introduits dans le personnel, on serait épouvanté.61
36À la détestation politique s'ajoutait la fulgurante carrière de son second de 1873, Albert Dumont. En effet, publiquement fâché avec un ministre également secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres jusqu'à son décès en 1904, Burnouf s'était également de facto durablement aliéné l'esprit du vainqueur de la compétition de 1875 auquel il n'était plus question de faire la moindre ombre.
37Sur le moment même, Burnouf et son action ne furent pas médiocrement estimés. Perrot lui-même, tant honni en 1884, n'hésitait pas dès le mois de mai 1873 à souligner son action déterminante dans la création romaine : « Nous devons aussi des remerciements à M. Émile Burnouf, directeur de l'École d'Athènes ; en provoquant la fondation de cette succursale italienne, il a rendu un service signalé à l'École d'Athènes et, on peut le dire, à la science française »62. Quelques mois plus tard, après le départ de Burnouf d'Athènes, Léon Heuzey pouvait encore écrire en 1875 dans son rapport sur les Écoles d'Athènes et de Rome que Burnouf, « arrivé à la fin de son mandat, laisse l'École d'Athènes entourée d'estime et de sympathie ». La description que donnait Heuzey de l'action conjointe de Burnouf et Dumont dans la création de l'établissement romain était relativement conforme à la vérité :
Parmi les faits qui ont signalé son [ = Burnouf] administration, nous rappellerons (…) enfin le concours empressé que le directeur de l'École d'Athènes a prêté à la fondation de l'École de Rome. Pour cette École, elle a trouvé dans M. Albert Dumont l'organisateur actif et intelligent, qui devait, en moins de deux années, la consacrer par le succès et lui assurer une place honorable au milieu du concert des savants italiens ou étrangers, qui fait de Rome un des grands centres de l'érudition en Europe. Ici tout était à créer, non seulement la première installation, les ressources, le personnel, les moyens de travail, les relations scientifiques, mais encore la règle et l'esprit même de la nouvelle institution. C'est l'œuvre difficile et compliquée que M. Dumont a su accomplir, avec le concours bienveillant de l'Administration supérieure, grâce à une vue élevée du but qu'il fallait atteindre et à la ferme volonté d'y parvenir.63
38Les lauriers que tressait Heuzey à Dumont annonçaient toutefois une tendance qui ne fit que s'accentuer dans les années suivantes, d'autant que le nouveau jeune directeur d'Athènes ne devait pas s'en tenir là. En effet Albert Dumont revint rapidement d'Athènes pour gravir les échelons de l'administration de l'Instruction publique, passant par les postes de recteur des Académies de Grenoble (août 1878) puis de Montpellier (décembre 1878) avant d'être nommé par Jules Ferry, le 22 juillet 1879, au poste prestigieux et stratégique entre tous de directeur de l'Enseignement supérieur qu'il conserva jusqu'à son décès intervenu en 188464. À cette date, il allait de soi que si quelqu'un devait recevoir les honneurs de la création de l'École de Rome, à l'heure où cette dernière s'était résolument imposée dans le paysage universitaire, ce ne pouvait être Burnouf. Celui-ci avait tenté sans succès de briguer un poste de député pour la gauche républicaine65 et il avait eu de surcroît le mauvais goût de consacrer une partie de ses loisirs forcés à travailler avec l'Allemand Schliemann sur ses fouilles de Troie66. Les relations de Burnouf avec le gouvernement s'étaient probablement un peu apaisées avec la fin des années 1870 : son ami Jules Simon était devenu président du Conseil (12 décembre 1876-16 mai 1877), il reçut l'honorariat de la direction d'Athènes le 23 mars 187867 et l'arrivée de Jules Ferry au ministère de l'Instruction publique le 4 février 1879 ne pouvait que le contenter. Mais par son intransigeance politique, il s'était lui-même mis hors de la fonction publique en se retirant. Son temps, à l'évidence, était passé.
39Lorsque le décès de Dumont intervint, en pleine gloire et puissance administratives, la célébration de son œuvre avait été confiée à la plume de certains de ses excellents camarades occupant désormais des places en vue, comme Ernest Lavisse, professeur adjoint en Sorbonne depuis 1883, ou Georges Perrot, premier titulaire en 1875 de cette chaire d'archéologie en Sorbonne refusée en 1874 par Dumont. Il n'était pas question d'abandonner la moindre miette de l'action de ce héraut de la République universitaire à un autre personnage, aux contours parfois si abrupts. Le mouvement politique qu'incarnait et que servait Dumont n'était pas encore assez affermi pour que l'on pût se permettre de faire place à la nuance et au partage : la République avait besoin de héros savants. La notice de Lavisse, publiée dans la militante Revue de l'enseignement international, est des plus éloquentes et le panégyrique parfois outrancier. Dumont lui-même, qui plaidait pour un « prosélytisme patient et persuasif » incarnait cette primauté des hommes sur les textes, où « la persuasion l'emporte de beaucoup sur toutes les mesures prises par décret »68. Il l'avait d'ailleurs dit clairement à Burnouf lors de la négociation de 1872-1873 : « Le tout est un décret de fondation. Après quoi, nous ferons ce que nous voudrons ».
Pièces justificatives
Dossier I - pièces 1 à 19. Lettres d’Émile Burnouf à Jules Simon (1872-1884).
Dossier II - Lettre d'Albert Dumont à Émile Burnouf (1872).
Dossier III - Mémoire d'Émile Burnouf (1872).
Dossier I - Lettres d’Émile Burnouf à Jules Simon
1. Émile Burnouf à Jules Simon – 1872, 23 mai - Athènes
Original autographe signé, papier à en-tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., F17 4105, dossier 6, 4 pages.
[Annotation, probablement de la main de J. Simon, portée en tête de la page 1] À lire. M. Du Mesnil. Me parler de ceci et du plan de l'Académie. »
Mon Cher Maître,
Une lettre d'ami me fait savoir qu'il est question d'un remaniement complet de l'École d'Athènes. Permettez-moi, après une expérience de cinq ans, de vous dire là-dessus mon avis, que du reste vous m'auriez probablement demandé.
L'Académie propose de prendre pour modèle l'Institut archéologique de Rome. Vous connaissez cet établissement et vous savez qu'il était d'abord une association libre d'érudits de toute nation. Par un décret daté de Versailles et contresigné Bismarck, Guillaume se l'est annexé et en a fait une école prussienne qu'il a placée sous la direction de l'Académie de Berlin et sous l'autorité administrative du ministre de l'Instruction publique de ce royaume. Son organisation actuelle est le modèle qui vous est proposé, purement et simplement.
Par là l'École cesse absolument d'être universitaire et devient un simple centre d'épigraphie et de recherches archéologiques.
J'avoue que ce n'est pas précisément là l'avenir que j'avais rêvé pour notre École. Elle avait été fondée pour être une réunion de jeunes lettrés, d'artistes et de professeurs de sciences. Par le rapprochement de ces trois ordres d'idées, devait sortir d'ici une génération toujours renouvelée d'esprits étendus, ouverts à tout et auxquels un commerce de tous les jours avec la réalité présente, avec les choses de l'Antiquité classique et avec les plus beaux modèles de l'art devait fournir les faits sur lesquels s'appuie la véritable science. Par un décret récent, vous avez fait décider que les architectes de Rome viendraient ici durant leur dernière année : c'est un excellent décret. De mon côté, j'avais réussi à obtenir, comme essai, la nomination d'un géologue, parmi les membres de l'École ; l'essai dure depuis deux ans et plus, et je puis affirmer qu'il a dépassé mes espérances. Quand M. Gorceix69 aura publié les faits qu'il a laborieusement rassemblés, on pourra juger.
J'avais pensé également que par le triple caractère de notre École (lettres, arts et sciences), nous pouvions exercer sur les populations de l'Orient une assez grande influence. Cette influence s'exerce en effet ; notre géologue a rendu dans ce peu de temps de nombreux et grands services au pays, services que de purs érudits dans le genre allemand ne pourront jamais lui rendre.
L'École a, dans la pensée de son fondateur, une bien autre portée que celle à laquelle on pourrait vouloir la réduire. J'affirme qu'elle l'a en réalité et qu'elle est le vrai et le seul point d'appui solide et avouable de notre action en Orient, et qu'à ce point de vue, réduite à l'état d'institut archéologique elle déchoira. Car elle n'aura plus d'action que sur quelques érudits grecs, qui, formés eux aussi sur le modèle allemand sont comptés pour rien dans le pays.
Je vois avec la plus grande tristesse cette transformation projetée de l'École d'Athènes. Le caractère de notre génie national lui avait été fortement imprimée et c'est par là que nous exercions sur les populations helléniques une véritable action civilisatrice ; c'est par là qu'on nous aime et qu'on nous imite ; c'est pour cela que l'on vient nous consulter sur toutes choses. Nous allons nous mettre à la remorque de l'Allemagne, il vaut mieux pourtant remorquer les autres qu'être remorqué soi-même. Quand une nation n'est plus elle-même et qu'elle se fait imitatrice de son vainqueur, que pensez-vous d'elle, Mon Cher Maître ?
Je crois qu'il y a des réformes à faire ici et que le recrutement comme les travaux de l'École peuvent être améliorés. Plusieurs fois je vous ai dit que mon intention était de vous en entretenir lors de mon prochain voyage. Perfectionnons ce que nous avons : mais ne bouleversons pas en vue d'une imitation germanique. Surtout ne brusquons rien. Logeons d'abord l'École : nous verrons après.
Je vous parle selon ma persuasion intime et comme à un ami. Au-dessus de l'érudition et de l'épigraphie, je vous en prie, placez un autre idéal ; voyez l'École comme un centre lumineux fondé au milieu d'un peuple intelligent, pratique et libéral, auquel l'avenir appartient et qui se guide sur la France comme sur une étoile. L'érudition peut s'y développer sans qu'elle perde ce haut caractère politique que le gouvernement français lui donna en la créant, une quinzaine d'années seulement après la guerre de l'Indépendance hellénique. Développez, agrandissez et fortifiez, mais ne détruisez pas !
Faites, je vous prie, entendre cela à M. Thiers et aux hommes politiques qui vous entourent. Ma position ici a ce double caractère : elle est celle d'un chef de mission savante, elle est aussi celle d'un représentant de la France, au moins dans ce que l'action française a de plus élevé et de plus noble. De grâce, ne nous amoindrissez pas. Enfin consultez vous et faites pour le mieux.
À vous bien sincèrement,
Ém. Burnouf.
2. Émile Burnouf à Jules Simon – 1872, 27 juin - Athènes
Original autographe signé, papier à en-tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., 87 AP 1, 1 page.
Monsieur le Ministre,
Je suis heureux de vous faire part d’une excellente nouvelle. Les messieurs Rothschild, de Paris, ont donné à M. Rayet, membre de l’École, une somme de vingt-quatre mille francs pour exécuter des fouilles en Asie mineure70. Ils y ont ajouté une somme de cinq mille francs pour ses dépenses personnelles. Avec son traitement de 3 420 F., M. Rayet aura donc entre les mains pour cette année un total de 32 420 F., avec lequel il peut obtenir de très bons résultats.
C’est à Milet, ville jusqu’à présent presque inexplorée, que M. Rayet doit exécuter des fouilles et il n’est pas douteux qu’instruit et intelligent comme il l’est il ne réussisse dans son entreprise. Cette ville a été la principale colonie d’Athènes et est devenue à son tour un centre puissant de colonisation ; les arts et le commerce y ont été très florissants. Elle n’est plus aujourd’hui qu’un désert et doit receler sous ses décombres un grand nombre d’objets intéressants pour la science du passé.
M. Rayet est en ce moment à Constantinople où il s’occupe d’obtenir le firman dont il a besoin. Aussitôt après, il partira pour Smyrne et pour Milet.
Il est bon, Monsieur le Ministre, que cette excellente nouvelle ne soit divulguée que dans une certaine mesure, si l’on veut éviter que des difficultés soient faites sur les lieux mêmes à notre jeune savant. Nous avons à Constantinople des rivaux qui ne manqueraient pas de les susciter.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Le directeur, Ém. Burnouf.
3. Émile Burnouf à Jules Simon – 1872, 18 juillet - [Athènes]
Original autographe signé, papier à en-tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., 87 AP 1, 1 page.
Monsieur le Ministre,
J’ai le plaisir de vous annoncer ce qu’une dépêche de M. Jules Ferry vous a peut-être déjà fait savoir, que l’affaire des terrains de l’École est complètement terminée. Le vote de la Chambre (5 lectures) a eu lieu mardi.
La construction commencera aussitôt que vous nous aurez donné l’autorisation d’y procéder et que le crédit sera ouvert à la Banque hellénique.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Le directeur, Ém. Burnouf.
4. Émile Burnouf à Jules Simon –1872, 21 novembre - Athènes
Original autographe signé, papier à en-tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., F17 4105, dossier 6, 2 pages.
[Annotation, probablement de la main de J. Simon, portée en tête de la page 1 :] M. Du Mesnil. La chose étant faite, il faudrait lui expliquer.
Mon Cher Maître,
La dernière phrase de votre lettre m'a fait de la peine ; vous dites « Si nous nous en allons après cela et sans avoir désorganisé l'enseignement, il n'y aura que demi-mal. » C'est là une mauvaise parole. Vous ne devez pas avoir en vue cette perspective parce qu'elle vous ôterait le courage dont vous avez besoin dans un prochain avenir. Du reste, à votre place, je m'y prendrais de façon que la fameuse loi qu'on attend ne fût pas discutée par cette assemblée, dont vous n'avez rien de bon à attendre et dont les jours sont comptés. Celle qui lui succédera sera avec vus, soyez-en sûr. Votre réforme de l'enseignement secondaire, qui soulève une vive polémique, vous sera tenue au bout du compte pour un bon point, même dans la vieille Université et presque toute la jeune y applaudit.
Ces questions sont mûres, vous pouvez aller de l'avant : élaguer et sabrer sont deux opérations fort distinctes. En même temps, améliorez et fondez. Ne tardez pas trop pour notre succursale de Rome. C'est une des meilleures choses qui auront été faites pour notre enseignement supérieur ; et pourquoi ne vous en donneriez-vous pas l'honneur, puisque, d'après mon projet, vous n'avez pas à demander un centime en plus à l'État ? L'École d'Athènes a été créée par ordonnance royale ; la succursale peut donc l'être par décret et je suis persuadé que M. Thiers se fera honneur, ainsi que vous, en la créant. Vous savez que tout est prêt, la formule de décret, l'arrêté, les choses et les hommes. M. Du Mesnil71, qui a examiné la chose de près, est entièrement avec nous et voit très bien l'importance de cette amélioration, qui du reste ne surprendra personne. Mais ne perdez pas de temps : vous allez être occupé de luttes stériles qui ne vous laisseront pas de loisir, et pendant ce temps, l'Allemagne nous envahit. Ils ont choisi, paraît-il, un terrain derrière le jardin du roi ; c'est un lieu bas et fiévreux ; ils ne tarderont pas, à ce que l'on dit, à commencer leur maison.
M. Ferry me fait savoir aussi qu'ils s'occupent à former une société pour fouiller tout le Péloponnèse. C'est une vanterie un peu ridicule ; mais ils feront certainement quelque chose avec notre argent.
Croyez-moi votre tout dévoué Ém. Burnouf.
5. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 3 mars - Athènes
Original autographe signé, papier à en-tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., 87 AP 1, 1 page.
Monsieur le Ministre,
Permettez-moi de vous remercier de la confiance que vous avez bien voulu me montrer en prolongeant mes fonctions à Athènes jusqu’au 20 mai 1874. Il m’est possible maintenant de les remplir en toute sécurité jusqu’à cette époque. Au mois de mai 1874, la construction de l’École ne sera pas encore terminée, quoique je compte pouvoir l’habiter dès le mois de décembre prochain. Mais il sera alors temps de prendre quelque nouvelle mesure que suggéreront les circonstances.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Le directeur, Ém. Burnouf.
6. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 7 avril - Athènes
Original autographe signé, papier à en tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., 87 AP 1, 3 pages.
Monsieur le Ministre,
M. le Président de la République a bien voulu me faire envoyer la copie d’une lettre où il chargeait M. Barth.-St-Hilaire72 de me faire connaître son approbation de la mesure que vous lui aviez proposée relativement à la succursale de Rome73. J’ai cru devoir adresser à M. le Président une lettre de remerciement dont j’ai l’honneur de vous envoyer copie74, avec la certitude que vous approuverez ma démarche.
La création de la succursale de Rome est la seconde étape du chemin que nous avons à parcourir ; la première était la construction de l’École. La troisième, comme je le fais pressentir à Monsieur Thiers, sera la création d’un recueil régulier de mémoires et d’autres écrits formant un corps d’Annales propre à l’École française et qui puisse être opposé aux publications analogues de l’Allemagne.
Si, l’École étant construite, l’Assemblée se décide à ne pas diminuer notre budget et qu’elle y laisse figurer l’ancien chiffre, nous aurons, conformément au projet que j’ai eu l’honneur de vous transmettre l’été dernier, les moyens de réaliser ce troisième vœu, l’État n’aura été entraîné à aucune dépense nouvelle et l’École aura une existence complète. J’avais élaboré ce projet avec le plus grand soin et de manière à produire avec une somme donnée les plus grands résultats possibles ; toutes les parties sont solidaires l’une de l’autre. La réalisation de la succursale de Rome entraînera nécessairement celle du reste soit par la voie que j’ai eu l’honneur de vous proposer, soit par une voie analogue.
Je crois, Monsieur le Ministre, que la seconde étape étant parcourue, nous devons aussitôt nous préoccuper de parcourir la troisième, qui du reste n’en est pas la plus difficile.
Nos études et nos travaux vont acquérir une valeur nouvelle, sans aucun doute ; quand ils pourront voir le jour régulièrement et se présenter pour ainsi dire en bloc au public savant, ils seront opposables aux publications analogues de l’Allemagne, feront taire les critiques injustes ou intéressées et donneront à l’École d’Athènes le corps qui lui a manqué jusqu’à présent.
Ces trois améliorations auront été une des œuvres, et non pas des plus mauvaises, de la République française. Ce sera la réponse pleine de dignité que nous aurons faite à l’acte par lequel l’empereur allemand s’est annexé l’Institut archéologique de Rome, fondé par le duc de Luynes75 mais depuis longtemps envahi.
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, à mon respectueux dévouement.
Le directeur, Ém. Burnouf.
7. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 7 avril - Athènes
Original autographe signé, papier à en tête « Université de France. École française d’Athènes ». Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Maître,
Je crois avoir reçu exactement vos lettres et y avoir exactement répondu. Vous avez dû recevoir par l’avant-dernier courrier la copie d’un mot de remerciement que j’ai adressé par M. B.-Saint-Hilaire au président. Il ne nous restera plus, en fait de gros œuvre, qu’à organiser la publication régulière pour l’avenir et le passé des travaux de l’École. Pour la dépense, reportez-vous, je vous prie, au projet de budget que je vous ai remis l’été dernier. Vous verrez que cela peut se faire sans nouvelles dépenses.
J’ai écrit un mot à M. Beulé76 de qui je venais de recevoir une lettre. Je lui ai fait savoir que nous avons la presque certitude de ne pas dépasser dans notre construction les fonds accordés, mais qu’il ne faut pourtant pas comprendre dans ce chiffre les clôtures, les aménagements extérieurs et le jardin. Ce serait trop exiger raisonnablement ; ce que nous aurons fait sera déjà une espèce de miracle. Pour l’extérieur, j’ai compté qu’il faudra bien une dixaine (sic) de mille francs et j’en avertis Beulé : celui-ci m’avait devancé et m’avait dit que s’il fallait un peu plus de 150 000 fr., la commission était disposée à accorder ce surplus. Notre gros œuvre sera terminé dans deux mois ; dans le courant de juillet, la maison sera couverte. Il faudrait que les clôtures, etc. pussent se faire dès l’hiver prochain, c’est-à-dire sur le budget de 1874. C’est ce dont j’avertis Beulé. Vous pouvez de vôtre côté aller de l’avant.
Nous avons reçu la dépêche annonçant la nomination de M. Barodet à Paris77. Voici comment nous l’interprétons : la ville de Paris n’a voulu réagir ni contre M. Thiers ni contre M. de Rémusat, l’un et l’autre tout aussi aimés qu’estimés ; cela ne peut faire aucun doute. Mais la loi sur Lyon, rapprochée de la situation administrative de Paris, a fait craindre que la droit n’acquît trop d’empire et n’exerçât trop d’action sur la marche des affaires intérieures. Donc l’élection de Paris est dirigée contre M. de Goulard tout seul et paraît demander son éloignement. Faut-il céder à ce désir avant le départ de la chambre ou opérer de sorte que celle-ci s’en aille une heure plus tôt ? C’est à vous d’en décider.
Ici, même tension. La prorogation de la chambre grecque avant sa formation a paru un acte inconstitutionnel. Si, à son tour, elle est dissoute avant d’exister, cela pourra bien amener une révolution. C’est ce que j’entends dire de tous côtés. Ce petit roi est vraiment bien pauvre en capacité gouvernementale.
J’ai lu avec un charme infini votre discours aux sociétés savantes. Vous êtes dans le vrai et l’opinion est avec vous. Allez donc de l’avant mais si vous pouvez retarder la loi de l’instruction obligatoire jusqu’à la nouvelle assemblée, vous ferez bien, car celle-ci, permettez-moi ce mot, la sabrerait.
Ne vous occuperez-vous pas aussi de l’enseignement des langues orientales anciennes ? Vous savez que tout l’avenir des sciences philologiques est là. Quand vous en serez à ce travail, je vous prie de m’avertir, car j’ai là-dessus beaucoup de choses à vous soumettre.
Croyez-moi votre bien affectionné, Ém. Burnouf.
8. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 29 mai - Athènes
Original autographe signé, papie. Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Maître,
Je reçois à l’instant votre bonne lettre du 17. Je vois que M. Thiers a montré de la faiblesse et la droite en a profité pour le forcer à se retirer. Je crois cependant que si des élections générales avaient lieu demain, notre ex-président serait nommé député, non par 26 départements, mais par 60, et que l’esprit des élections lui rendrait la vertu qui a un peu faibli en lui au dernier moment. On dit ici que M. Thiers aurait dû dissoudre l’assemblée, mais c’est un coup d’État qu’il faut éviter si nous voulons faire notre éducation républicaine. Ma première lettre, celle d’hier, que vous recevrez en même temps que celle, vous dira le reste de ma pensée.
Vous regrettez l’université ; soyez sûr qu’elle vous regrette aussi. Votre discours de la Sorbonne avait touché juste et fait sentir les vrais besoins. On espérait beaucoup de vous et l’on vous savait homme à réaliser vos promesses. Mais tout n’est pas fini. Vous n’êtes point usé puisque vous commenciez à peine à pouvoir agir. Le règne actuel sera de quelques jours et nous ferons en sorte que vous reveniez à un poste qui est le vôtre.. Vous avez l’avantage d’avoir passé par tous les degrés, de connaître très bien l’enseignement et de n’y avoir pas assez vieilli pour vous être accoutumé à ses défauts et ne plus les sentir. Ni Waddington ni Batbie n’ont cet immense avantage78.
Votre successeur ne terminera rien d’important de ce que vous avez commencé parce que la lutte ne lui en laissera pas le temps. Profitez de ce peu de jours pour achever de rédiger vos projets qui arriveront en leur temps. Dans ce que vous allez écrire, ayez soin de ne pas mettre un seul mot qui sente l’apologie. Vous n’en avez pas besoin et cela ferait le plus mauvais effet. Écrivez comme un homme qui veut aller devant soi, purement et simplement.
Pour l’enseignement de l’orientalisme ancien, il se compose en grande partie de celui du sanscrit pris comme centre, il faudrait y rattacher le zend, la Perse ayant été un des grands centres de la civilisation du monde. Comme la littérature sanscrite est immense, il y a trois périodes qui devraient être représentées, savoir : celles des hymnes du Vêda et de leurs commentaires, celle du sanscrit proprement dit, qui est la littérature classique, et enfin la période bouddhique. L’enseignement devrait comprendre deux choses, la langue et l’histoire des idées, et cela pour chacune des trois périodes. Où cet enseignement serait-il donné ? Dans toute l’instruction supérieure, c’est-à-dire au Collège de France, à la Sorbonne, dans un certain nombre de facultés (au moins cinq), enfin à l’École normale. Mais ici on ne saurait avoir la prétention de former des orientalistes par une sorte de culture hâtive et anticipée. Il faudrait que tous les élèves de la section des lettres (tous sans exception) sortissent ayant des notions précises de langue sanscrite et une somme d’idées sur les religions et les doctrines de l’Orient. C’est l’existence de chaires au nombre de huit ou dix qui ferait naître au milieu d’eux les futurs orientalistes. Mais tous devraient en savoir assez pour que leur enseignement ultérieur, soit au lycée, soit à la Faculté, ne fût plus rempli de ces bévues grammaticales, historiques, philosophiques même, qui le distinguent. Enfin l’Orient indo-perse, surtout l’Orient indien, tient la moitié de la place dans le mouvement général du monde ; il n’est pas avouable que nos professeurs, au moins neuf sur dix, n’en connaissent pas le premier mot. Quand le moment sera venu de définir les divers enseignements orientaux, vous nommerez une commission qui sera chargée de cela.
À côté des chaires, il faudra créer partout des bibliothèques spéciales, aussi complète que possible et bien outillée. L’outil (puisque c’est le mot usité) manque presque partout ; l’outil c’est le livre. Les livres orientaux, tels qu’on les a publiés, sont très chers ; il faudra susciter, par voie d’encouragement ou d’entreprise, la publication du texte à bon marché. Nous avions créé une imprimerie sanscrite à Nancy et nous avons acquis la preuve que ces textes peuvent revenir au même prix que les textes grecs. Celui qui aura créé une bibliothèque économique de textes orientaux aura fait une des meilleures actions que l’on puisse faire.
Avec les textes, il faudra susciter la production de traductions exactes. La plupart de celles que nous avons sont des produits d’imagination. Ainsi, je me suis traduit à moi-même les 191 premiers hymnes du Vêda et j’ai acquis la preuve que la traduction de Langlois renferme presque autant de contresens que de mots.
Il faudra aussi que l’on donne des traductions ou des analyses développées et positives d’un certain nombre d’ouvrages allemands pour éviter le fatras qui les remplit et posséder cependant ce qu’ils ont de bon, d’une manière qui nous fasse regagner le temps perdu79. Cela est de première nécessité.
Tous ces travaux seront l’œuvre des professeurs auxquels leur chaire suffira comme moyen de vivre, eux et leur famille, et que la nature même de leur enseignement portera à faire quelque chose. Mais d’ici à ce que la connaissance de l’Orient soit assez répandue pour qu’on achète les livres dans le public, il faudra que l’État fasse une partie notable de frais. Ce sera une mise de fonds utile car je suis persuadé qu’avec la clarté et la mesure de l’esprit français, nous aurons en peu de temps rattrapé et dépassé les Allemands.
Je n’ai rien dit de l’Angleterre. Elle a produit des publications d’une importance majeure mais très chères. Il faudra les mettre à profit et en reprendre la substance pour la donner sous une forme plus accessible à nos bourses. Cela rentre donc dans l’article relatif à l’outillage et aux publications.
Enfin, Mon Cher Maître, (mais ceci est entre nous) un ministre intelligent devra se mettre personnellement en relation avec les savants français et faire en sorte qu’ils ne se dénigrent pas trop les uns les autres. Les Allemands ont l’art de se vanter entre eux et leurs plus médiocres productions sont bien accueillies parce qu’il y a toujours quelque chose à y prendre, si peu que ce soit. Il faudrait que cet esprit de corps fût encouragé chez nous et que les médisants n’obtinssent aucun égard. Les cotteries (sic) nous tuent et donnent barre sur nous à des étrangers qui souvent ne nous valent pas. Une bonne influence d’en haut peut rendre en cela de grands services.
Je suis toujours à votre disposition, comme un ami sérieux et fidèle. Communauté d’idées et sympathie personnelle.
Ém. Burnouf
[Post scriptum :] Je vous ai écrit cela à la hâte au moment de partir pour Délos.
9. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 30 mai - Athènes
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Maître,
Vous ne vous figurez pas ce que c’est que d’être à l’étranger et de recevoir coup sur coup des télégrammes qui vous frappent comme des massues. La démission de M. Grévy a donné le signal ; votre départ a été le second acte ; le troisième est la démission de M. Thiers. Nous ne savons rien encore de ce qui se dit ni de ce qui se fait dans ce malheureux pays de France, livré aux bêtes. Il ne reste plus qu’un moyen honnête de salut, mais chanceux : c’est que toute la moitié libérale de l’assemblée se retire en bloc et force l’autre à faire de même. Les petits remèdes ne peuvent plus être de saison car le mal est grand. À nos yeux, nous sommes dans la crise finale : si la gauche, l’extrême gauche et le centre gauche ne se lient étroitement pour une action commune et énergique, et cela sans tarder, c’est fait de nous. La France deviendra une petite monarchie au lieu d’être une grande république. Faites donc un jour, vous qui avez l’art de la parole et qui pouvez la prendre quand vous voulez, faites ressortir à tous les yeux que les empires d’Allemagne et de Russie sont déjà et seront de plus en plus de grandes monarchies, à côté desquelles la monarchie française sera au troisième ou au quatrième rang ; tandis que sous une forme républicaine, avec tous les progrès que cette forme entraîne avec elle, la France à elle seule tiendra en Europe plus de place que ces vastes empires plus ou moins absolus. Comment se fait-il que personne ne voie cela ou plutôt ne le dise ?
La crise où nous sommes peut finir violemment et je crains qu’au reçu de cette lettre vous n’ayez déjà donné et reçu des coups de fusil. Il faudrait éviter cette extrémité à tout prix et il faut à tout prix sauver la République qui est la France et l’avenir. Sans doute, il a été impossible à vous, M. Thiers, et aux autres de gouverner en présence d’une pareille majorité. Mais à présent que vous êtes retirés d’un pouvoir qui ne pouvait plus être assez utile entre vos mains, vous devez faire en sorte que de Broglie, Batbie et toute cette bande néfaste ne puisse gouverner.
Je sais qu’elle se perdra par ses fureurs mêmes ; mais qui subira leurs coups ? La France. Et combien de temps ? Qui sait ? Et s’ils ont le temps, ces gens de combat, de préparer et d’employer tous les moyens que le pouvoir met entre leurs mains, qui peut répondre de l’avenir ?
Tout cela est bien triste et bien effrayant, si vous ne prenez tous ensemble une décision, et une décision rapide. Voyez-vous autre chose de possible que le départ en bloc de toute la moitié de la gauche ? Si l’on faisait cela, il y aurait des élections si nombreuses et si caractérisées que ces monarchistes n’y tiendraient plus et seraient dispersés du coup. Mais ne pousseraient-ils pas l’audace jusqu’à refuse les élections ? Je crois les royalistes capables de tout, parce qu’ils se sentent à leur dernier enjeu.
Ferry a bien fait de donner sa démission. Il ne pouvait mieux faire. Quand vous le verrez, rappelez-moi, je vous prie, à son souvenir et faites-lui pour cela mes compliments. Ainsi devraient faire tous les hommes politiques libéraux et honnêtes.
Je ne vous donne pas de nouvelles d’ici. Nous avançons dans notre construction. À Délos, nous avons retrouvé le sanctuaire primitif d’Apollon, avec son toit, son autel, la base et les pieds de la statue ; le dieu s’avançait comme l’Apollon du Belvédère. Nous savons maintenant le sens de ce dernier : c’est le dieu soleil sortant du fond de la caverne, avec son arc et ses flèches, et marchant d’Orient en Occident. Notre découverte comptera parmi les plus belles de ce temps-ci. C’est bien autre chose que le fameux escalier de la décadence romaine qui a conduit Beulé à l’Institut, à l’Assemblée et finalement au Ministère où nous allons le voir à l’œuvre quelques jours80. Ah !, si notre pauvre pays se tranquillisait enfin et pouvait employer quelque peu d’argent à des travaux de science et d’art, quel champ de découvertes nous avons autour de nous !
Mais je vous fait perdre votre temps. Je vous dis seulement en finissant : agissez et puis revenez.
Nos bonnes amitiés à Madame Simon.
À vous de cœur, Ém. Burnouf.
10. Émile Burnouf à Jules Simon – 1873, 16 septembre - Athènes
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 2 pages.
Mon Cher Maître,
Cette lettre vous sera remise par M. Chrysanthos qui se rend à Paris pour étudier l’art de la déclamation. Je vous l’ai adressé parce que vous êtes mon ami, que vous aimez la Grèce et que vous pouvez beaucoup pour notre jeune Hellène.
Il a subi l’examen d’une commission dont j’ai fait partie et il en est sorti premier. On l’envoie à Paris pour étudier les bonnes méthodes de l’art théâtral, la rapporter à Athènes et y former des acteurs. L’institution athénienne honore à la fois les Grecs et nous, secondons-là.
Je voudrais, Mon Cher Maître, que vous prissiez la peine de le recommander au directeur du Conservatoire afin qu’il puisse y suivre les cours de déclamation. Il faudrait aussi qu’il pût assister aux représentations et particulièrement aux répétitions des bonnes pièces de la Comédie française.
Vous savez mieux que moi du reste ce qu’il faut et ce qu’il est possible de faire pour atteindre un résultat utile. On peut donc s’en rapporter entièrement à vous. Avant peu, je l’espère, vous aurez repris au Ministère la place que vous seul pouvez y remplir avantageusement. Quand vous y serez, faites-moi la grâce de ne pas oublier le jeune Chrysanthe. Qu’il soit votre protégé et que par vous l’art grec, que la France possède seule aujourd’hui, retourne aux lieux d’où il nous est venu. C’est pour nous une dette de reconnaissance.
Croyez-moi, mon cher maître, votre bien dévoué et affectueux,
Ém. Burnouf.
[Post scriptum :] Notre maison est presque finir ; elle est splendide et nous ne dépasserons pas le chiffre noté. C’est la première fois que cela se sera vu. É. B.
11. Émile Burnouf à Jules Simon – 1875, 3 avril - Athènes
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 3 pages.
Mon Cher Maître,
Il se passe ici des faits politiques dont l’importance locale est très grande puisqu’ils aboutissent fatalement à l’expulsion ou à la démission du roi et dont l’influence sur les affaires de l’Orient est considérable. Je ne vois rien là-dessus dans le journal dont vous avez la direction politique. Comment cela se fait-il ? Il n’y a, à ma connaissance, que la République française et, depuis peu, l’opinion nationale qui se tiennent au courant des affaires du Levant. Les journaux allemands sont infiniment mieux informés que les nôtres. Vous ne pouvez vous figurer l’action qu’exerce sur la marche des choses dans le monde hellénique un article d’un journal européen sérieux et bien renseigné. Nous avons ici un Français connaissant mieux que qui que ce soit les affaires de Grèce et qui envoie de temps à autre des renseignements à la République française. Songez-vous pas à l’utiliser comme correspondant ? N’oubliez pas, n’oubliez jamais que nos mortels ennemis s’implantent de plus en plus dans l’Orient de la Méditerranée et préparent avec une activité dévorante les moyens de s’y substituer à l’influence séculaire de la France. J’appelle de temps en temps l’attention des ministres sur ce point ; mais je ne sais pas si, au milieu de leurs affaires quotidiennes, ils ont le temps de lire ou de comprendre mes lettres. Au moins je ne vois pas que l’on en tire grand parti. Non seulement la France se fait représenter en Orient par les hommes les moins aptes à remplir leur rôle ; mais nous ne paraissons pas même vouloir nous tenir, nous et le public français au courant des questions et des événements.
Songez-y donc, Mon Cher Maître, pendant que vous n’êtes pas au Ministère, pendant que vous êtes en vacances et faites, en attendant, prendre à votre journal un rôle qui devrait appartenir à toute la presse française. Utilisez les hommes qui peuvent vous rendre service dans le Levant et que la feuille libérale que vous dirigez et dont on vous sait le directeur, occupe ici la place que les Allemands s’efforcent constamment d’envahir.
Je profite de cette occasion pour vous serrer cordialement la main en attendant le plaisir que j’aurai à vous voir cet été en personne. Nous présentons également notre bon souvenir à Madame Simon.
À vous de cœur, Ém. Burnouf.
12. Émile Burnouf à Jules Simon – 1875, 16 août - Nancy
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 3 pages.
Mon Cher Maître,
Voici un n° du Messager d’Athènes où vous trouverez assez clairement exposée l’affaire de mon rappel, médité par M. Wallon.
La Prusse la première y a mis la main. M. de Gabriac81, notre plénipotentiaire, affidé des Révérends Pères, a saisi l’occasion aux cheveux et poussé clandestinement le gouvernement Decazes-Wallon82 en ce sens. J’ai employé plusieurs semaines dans Paris à tirer cette affaire au clair et à découvrir les fils de l’intrigue. Wallon a cédé avec une facilité déplorable à la pression intelligente des Affaires étrangères et, un moment, tout a semblé perdu.
En ce moment il se produit une phase nouvelle. Averti à temps, le Ministère grec indigné contre de Gabriac a adressé à M. Decazes un rapport qui doit être maintenant à Paris, rapport où il demande mon maintien et présente mon rappel comme un malheur83 pour la Grèce. Il paraît que le roi Georges84 lui-même agit dans ce85 sens et demande mon maintien. Vous verrez dans le n° du Messager l’opinion de tous les principaux journaux d’Athènes ; ils sont unanimes et il n’y a en aura pas un seul qui parle autrement.
Il me semble que le moment est arrivé où Le Siècle doit dire son avis sur cette affaire car il n’y a plus la moindre obscurité.
Ce n’est pas un service personnel que je demande, puisqu’en somme j’aimerais autant être en France que dans cette espèce d’exil qu’on nomme Athènes. C’est une double lutte où les Allemands d’une part et les jésuites de l’autre ont porté les premiers coups, même sans déclaration de guerre. Les gens honnêtes, libéraux et bons patriotes ne doivent pas y rester indifférents.
Wallon n’a peut-être pas été fâché de trouver là occasion de réaliser une idée déjà ancienne. Il a tort, son désir se réalisera de lui-même un jour et je serai le premier à le satisfaire. Mais en ce moment, surtout au point où sont les affaires en Orient, c’est une faute insigne86 que de rappeler le seul fonctionnaire qui soit au courant des questions et qui puisse être utile à notre pays en connaissance de cause.
Je compte sur vous comme sur un homme avisé et profondément ami de son pays pour faire ce qu’il y a de mieux.
À vous bien cordialement et nos hommages à Madame Simon.
Ém. Burnouf.
13. Émile Burnouf à Jules Simon – 1875, 22 août - Nancy
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Maître,
L’affaire de la direction de l’École d’Athènes a pris la tournure la plus déplorable, grâce à l’obstination et au peu de clairvoyance de M. Wallon et de son entourage.
Je prévoyais bien et je lui avais laissé entrevoir que les journaux s’en empareraient et ne manqueraient pas de s’élever contre lui. C’est ce qu’ils ont fait : ils l’ont fait, je puis le dire, avec infiniment de modération et de convenance, en général. Ma conduite en tout cela ayant été parfaitement correcte et désintéressée, en somme ma réputation y a gagné et mon nom est devenu presque populaire.
Les journaux grecs, à peu près sans exception, ont accentué surtout la note des regrets et massivement demandé mon maintien. Le premier ministre, M. Tricoupis87, homme d’une honnêteté reconnue et fort intelligent a fait à M. Decazes un rapport où il a démonté le dire du marquis de Gabriac, a demandé mon maintien et présenté mon rappel comme un malheur pour la Grèce88.
M. Wallon n’a tenu aucun compte de tout cela. C’est une faute politique insigne et je dirai même exquise, étant donné la situation où j’ai mis en Grèce notre savante école. Mais enfin jusque-là on peut soutenir que M. Wallon usait de son droit strict de changer le directeur de l’École.
Mais voici que l’odieux commence à se mêler à cette affaire. Vous n’ignorez pas que le directeur de l’École a, à peu près, le rang de recteur et que M. Daveluy89 en avait même le titre. Il semble donc qu’un directeur sortant devient naturellement recteur ou inspecteur général. D’un autre côté, M. Wallon doit savoir qu’il y a déjà 16 ans, j’ai refusé le décanat de Strasbourg qui m’était offert réitérément par M. Rouland alors ministre90, dans des lettres que je conserve. Il doit savoir aussi que, soit avant d’aller à Athènes, soit pendant ma mission en Grèce, j’ai fait plusieurs travaux qui ont obtenu une certaine notoriété et qui ont été bien accueilli soit dans le public soit dans le monde savant.
Eh bien ! M. Wallon ne tient compte d’aucun de ces titres. Il ne tient aucun compte des sacrifices que j’ai faits pour l’École ; il n’attend pas même que les sommes votées par l’assemblée et avancées par moi m’aient été remboursées. Après m’avoir rappelé inopinément, sans avertissement et lorsque j’étais déjà à Paris, après avoir nommé à ma place ce jeune homme que, sur ma demande, vous avez nommé à la chaire d’archéologie de Rome créée par vous et par M. Thiers, et qui, en me supplantant, trahit le plus saints des devoirs ; après tout cela, M. Wallon m’envoie où ? professeur de littérature ancienne à la faculté de Bordeaux, à la chaire que j’occupais il y a huit ans. Il bouleverse ainsi tous les degrés de la hiérarchie universitaire ; il fait des capitaines avec des généraux et remet les amiraux au grade de lieutenant de vaisseau. Est-ce tolérable, Mon Cher Maître, et n’avez-vous rien à dire en cette affaire ? Que devient la sécurité des hommes qui se sont, comme moi, dévoués à leur devoir ? Et M. Wallon, après avoir livré les droits de l’État et trahi ses devoirs de grand maître, va-t-il encore décapiter l’université ? Comment, nous n’avons qu’une seule École savante à l’étranger, un homme se dévoue, lui, sa peine, presque sa vie et sa fortune pour la mettre au rang qui lui appartient, il l’y met. On le rappelle ; et à son retour, il est traité de la sorte ? Ne direz-vous rien ? Ne ferez-vous rien ?
Pour moi, je ne puis que refuser de voir les fonctions de directeur ainsi avilies. J’ai donc refusé d’aller à Bordeaux, et pour ménager encore M. Wallon, je ne lui ai donné que des raisons tirées de l’état de ma santé, raisons d’ailleurs très sérieuses. D’autres personnes ne peuvent-ils faire valoir les raisons tirées de la hiérarchie et laisseront-elles deux hommes user ainsi d’un pouvoir que l’État ne leur a certes pas donné pour en abuser de la sorte ?
Voyez, Mon Cher M. Simon, s’il n’y a rien à faire. Pour moi, je me tiens absolument sur la négative, décidé à résister jusqu’au bout à cet arbitraire digne d’un autre temps mais décidé aussi à employer toutes les formes de la politesse la plus irréprochable.
À vous bien cordialement, Ém. Burnouf.
14. Émile Burnouf à Jules Simon – 1875, 16 septembre - Nancy
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Monsieur Simon,
L’affaire qui me concerne n’aboutit que très péniblement. Vous savez comment MM. Wallon et Jourdain91 ont procédé pour me donner un successeur à Athènes. Vous ai-je dit dans ma dernière lettre que toute la presse athénienne et (ce qui est beaucoup plus aux yeux d’un gouvernement intelligent) le premier ministre, M. Tricoupis, avait demandé mon maintien à Athènes de la manière la plus pressante ? On s’est hâté de donner une solution pour n’avoir pas à faire droit à cette demande officielle et l’on a ainsi donné une sorte de soufflet au gouvernement hellénique, cela me paraît d’une diplomatie douteuse.
Quant à moi, je ne sais pas encore ce que je deviendrai. Mais je suis parfaitement décidé à n’accepter aucune fonction qui soit une déchéance. L’Université entière se sent engagée dans cette affaire et je ne la trahirai pas. Le directeur de l’École d’Athènes étant sur le même degré que celui de l’École normale et moi-même ayant signé sur le registre des recteurs, accepter de redevenir professeur de faculté, c’est en revenir au même point où j’étais il y a 21 ans. Quant au décanat que M. Wallon me donnait comme « récompense de mes services », j’avais refusé celui de Strasbourg, il y a 18 ans !
J’ai lu dans un journal qu’un comité républicain, à Bordeaux, a mis mon nom en avant pour les prochaines élections. D’un autre côté, un grand nombre de personnes à Nancy, me pressent d’accepter la candidature dans [la] Meurthe-et-Moselle et m’assurent que, surtout après le traitement qui vient de m’être fait, j’obtiendrais une très grande majorité. Il y aura plusieurs vacances aux prochaines élections : M. Viox est mort92 ; M. La Flize se retire93 ; M. Varroy sera probablement et à peu près sûrement nommé sénateur94. M. Brice ne se représentera pas95. Il est même possible, d’après ce que l’on dit, que M. Berlet se retire également96. Dans tous les cas, il y aura quatre vacances et au moins trois (dans le cas où M. Viox ne serait pas remplacé). Je suis très disposé à poser ma candidature, puisqu’on le désire. Quel est votre avis là-dessus ? Serez-vous disposé vous-même à me donner un coup de main ? L’Événement, La République et plusieurs autres journaux me sont acquis depuis longtemps, ainsi que la presse libérale de Lorraine et celle de plusieurs départements. Mes opinions sont connues et appréciées ; on sait qu’elles n’ont point changé et que je ne suis pas d’un caractère à simuler pour arriver au succès, comme d’autres l’ont fait ici-même.
Vous me direz que le moment est mal choisi et que mon poste est là où l’Université a besoin d’être défendue. Avouez que je n’ai pas trop lieu d’être plein de courage, après le procédé dont on vient d’user à mon égard. D’ailleurs, je n’ai plus rien à faire dans l’Université. Irai-je encore redire à Bordeaux ce que j’ai dit pendant douze ans dans ma chaire de Nancy ? Et puis, quelle est cette manière de faire la guerre ? On donne le champ libre à l’ennemi et l’on garrotte ses propres soldats après avoir décapité leurs chefs. Le poste de recteur n’est pas enviable aujourd’hui. De plus à la veille d’élections où les candidatures officielles vont refleurir ; croyez-vous que M. Wallon donnerait une fonction de ce genre à un libéral ? Vous voyez donc que je n’ai rien à faire dans l’Université et que si j’ai pour devoir de combattre pour elle, c’est ailleurs qu’est mon poste : il est dans la presse et à la Chambre. Il suffit seulement que la presse me vienne en aide, car l’opinion est déjà pour moi.
Faut-il laisser faire les Bordelais et accepter deux candidatures à la fois, celle de Bordeaux et celle de Nancy ? Qu’en pensez-vous ?
Écrivez-moi promptement à ce sujet votre avis sera toujours pour moi d’un grand prix ?
Croyez, Cher maître, à ma sincère affection,
Ém. Burnouf.
15. Émile Burnouf à Jules Simon – 1876, 2 mars - Paris, « 128, boul du Mont Parnasse »
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 3 pages.
Mon Cher Maître,
Après la question que j’avais cru devoir vous adresser et la réponse que vous aviez bien voulu y faire, je dois vous expliquer pourquoi vous n’avez point vu paraître mon nom parmi les candidats de l’une et de l’autre Chambre. Les premières avances me furent faites à Nancy où un très grand nombre de personnes, surtout parmi le peuple ouvrier, me pressait de me présenter pour la députation. Arrivé à Paris, j’en écrivis aux rédacteurs en chef des journaux républicains ; ces deux messieurs me répondirent que les choix étaient faits depuis longtemps ; je fus quelque peu surpris de ce choix qui anticipait sur le vote des électeurs et leur était en quelque sorte dicté ; mais je n’insistait pas davantage, quoique les candidats choisis, qui ont déjà fait partie de l’assemblée, y aient montré beaucoup d’insuffisance. L’important était de ne pas diviser les votes.
Dans le même temps, comme je vous en écrivis, on me faisait des avances du côté de Bordeaux pour le Sénat. M. Magnier de L’Événement me communiqua une lettre qui devait faire naître d’assez grandes espérances. J’en écrivis à M. Ténot, de la Gironde97. M. Ténot me répondit que ce département était livré au bonapartisme, que si la ville de Bordeaux votait seule j’aurais de grandes chances d’y être nommé, mais que les campagnes choisiraient des gens du pays ayant des vignes au soleil et qui seraient des bonapartistes. Le bonapartisme a en effet triomphé dans la Gironde.
J’avais renoncé entièrement à toute idée de politique lorsque je reçus de Valognes (Manche) des lettres fort pressantes où l’on me demandait de me porter candidat dans cet arrondissement où je suis né. Il était vraiment trop tard, les électeurs de ce pays n’avaient pas su s’entendre ; ils n’avaient point organisé de comités ; il n’y avait là aucun journal républicain, aucun journal où l’ont pût insérer quoi que ce fût. C’est un pays abandonné de Dieu et des hommes : il est un des premiers pour l’instruction, mais l’instruction est donnée par des prêtres, des frères ignorantins et des couvents ; il est un des derniers pour la politique.
Je sondai cependant le terrain ; et je me convainquis que le candidat bonapartiste, un pauvre sire nommé Lemarrois, y obtiendrait une très grande majorité. C’est ce qui est arrivé98.
C’est sur les pays de cette sorte, Mon Cher Maître, que vous aurez, vous représentants, à porter tous vos efforts pour les élections à venir. J’ai dressé les cartes des élections déjà faites et je les ai mises en regard de celles qu’avait dressées M. Duruy pour l’instruction populaire ; j’ai également dressé les listes qui s’y rapportent. Et il n’y a aucun doute que l’instruction et surtout l’instruction laïque marche avec l’esprit républicain et que le grand obstacle à l’unité de la France sous une bonne république, c’est le cléricalisme, c’est-à-dire surtout les congrégations de toute nature, hommes et femmes, et l’ultramontanisme du clergé séculier. C’est avec Rome qu’il faudrait s’entendre pour mettre un frein à cet esprit de lutte contre la société moderne, de séduction des âmes et de perversion des esprits. Et par Rome, j’entends le gouvernement italien, les députés libéraux d’Italie. Car si dans ce pays on prenait le taureau par les cornes, on pourrait en France le lier par les pieds et il ne tarderait pas à être renversé à terre. Aurons-nous dans nos deux chambres une unité de vue assez forte pour comprendre que le danger et le remède sont là et non ailleurs ?
Il est bien urgent que l’on agisse aussi sur notre pauvre Université. Elle est bien molle et bien faible. Fourtou, Cumont99 et surtout Wallon lui ont fait un mal dont on aura de la peine à la guérir : ils ont mis à terre tout ce qu’ils ont pu de républicains et ils ont mis aux postes principaux leurs créatures cléricales. Si cela dure quelque temps encore, il ne restera plus qu’un remède, ce sera de créer des universités libres, laïques et d’un esprit très libéral pour les opposer aux universités catholiques et à notre enseignement officiel, devenu ce qu’on veut qu’il soit. Mais il vaudrait mieux que la Chambre forçât M. Mac Mahon à prendre un ministre qui comprît sa tâche vis-à-vis de l’esprit moderne et qui, sachant utiliser les hommes et les choses, infusât dans notre corps anémique un sang plus riche et plus généreux. Est-ce vous qui ferez cette œuvre ? Je le souhaite, mon cher maître. Mais je crains la cour100 présidentielle.
Mes compliments bien affectueux,
Ém. Burnouf.
[Post scriptum] J’espère qu’après les élections, vous aurez assez de loisir pour qu’on puisse aller vous voir de temps en temps.
16. Émile Burnouf à Jules Simon – 1876, 23 mars - Paris
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 4 pages.
Mon Cher Maître,
Vous me demandez ce que je fais. Le voici. Dès mon arrivée à Paris, je me suis mis à rédiger un volume sur « La ville et l’acropole d’Athènes aux diverses époques », avec 22 plans et dessins historiques. Ce livre me fera quelques ennemis et quelques amis de plus ; car il détruit de fond en comble les prétendues découvertes de ce pauvre esprit qu’on nomma Beulé et qui se hissa jusqu’au ministère par un escalier dérobé. Le volume est entre les mains de Dentu.
Cela fait, j’ai préparé activement un voyage en Troade où M. Schliemann doit reprendre d’ici à peu de jours ses grands déblaiements. J’avais, l’année dernière, demandé au ministre d’employer à cette expédition scientifique une somme d’argent qui restait disponible de mon administration à l’École d’Athènes : Wallon profita de mon rappel pour refuser et me proposa en même temps une mission régulière que j’acceptai. Mais cet homme politique fit si bien que dans l’espace de six mois il ne réunit point le comité des missions. M. Waddington fera-t-il mieux ? Les fouilles vont commencer dans quelques jours ; M. Schliemann me presse de le rejoindre. Ce travail en commun et où ma présence est absolument nécessaire va-t-il encore manquer par la faute de notre administration ? Et sera-t-il dit que l’ancien directeur de l’École d’Athènes n’aura pu obtenir en temps utile une mission comme on en accorde souvent à de petits jeunes gens qui n’ont vraiment que peu de chose à démêler avec la science ? Si M. Waddington ne prend pas bientôt une décision, je ferai un arrangement avec Schliemann et le voyage se fera tout de même : mais quelle honte pour le gouvernement !
Quant à ma situation personnelle, je suis bien dégoûté de l’Université, je vous l’avoue. M. Waddington fera-t-il mieux que Wallon ? On le dit et on l’espère ; mais le centre gauche est bien timide. Depuis que je suis en âge de voir et de juger, je n’ai connu aucun ministre qui ait fait autant de mal à l’Université, à l’enseignement public, à la France, que Wallon aidé de son autre lui-même Jourdain : avec ce fleuve et cette vallée, on pouvait se croire en Terre Sainte et au temps des prophètes. On a vu toutes les fonctions, devenues ou rendues vacantes, livrées à des amis de l’Église ou des congrégations. L’Université était décapitée et blessée dans toutes les parties de son corps. Ce serait une histoire curieuse et instructive que celle de cette pieuse administration : si l’on faisait le relevé des lois proposées par elle, de ses règlements et circulaires et des changements qu’elle a introduits dans le personnel, on serait épouvanté. Le successeur aura fort à faire s’il se fait rendre compte de ce qui a eu lieu durant cette dernière année et s’il prend à cœur de réparer les maux qui nous ont été faits.
M. Wallon m’a replacé dans la situation où j’étais avant de partir pour Athènes ; il n’a tenu compte que de sa passion antilibérale. Donc après les services et les sacrifices de toute nature que j’ai faits, je suis à Paris où je vis de mes rentes.
La mort de Garsonnet rendait vacante une place d’inspecteur général : je l’ai demandée à M. Wallon qui s’est empressé d’y nommer un clérical, Deltour101 ! Je savais très bien que ma demande ne serait pas entendue : mais j’avais une bonne raison pour la faire. Il reste les rectorats et la direction de l’École normale (si Bersot venait à la quitter)102. Mais je crois bien que le centre gauche ne me donnera ni l’un ni l’autre. Je perpétuerai mon congé jusqu’au jour où l’âge de ma retraite aura sonné. Le lendemain, j’en demanderai la liquidation. Quel charme y a-t-il à servir au-delà de ses forces et de son devoir un corps où les meilleurs serviteurs sont récompensés comme je l’ai été ?
Voilà, Mon Cher Maître, puisque vous avez voulu les connaître, mes occupations et ma situation d’esprit. La République naissante m’a été moins douce que la royauté et l’empire. Et je crois que beaucoup de gens libéraux sont présentement dans le même cas.
Croyez moi, je vous prie, votre dévoué et affectueux Ém. Burnouf.
17. Émile Burnouf à Jules Simon – 1877, 27 janvier - Paris, « 93 rue du Bac »
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 2 pages.
Mon Cher Maître,
Recevez, je vous prie, de ma part, le nouvel ouvrage que voici. C’est un dernier souvenir de mon séjour à Athènes, brutalement interrompu par les fauteurs du cléricalisme.
Depuis mon retour en France, je n’ai cessé ainsi que les miens d’être malade. Je ne sais pas si M. Waddington réparera le mal qui a été fait dans ma personne par MM. Wallon et Jourdain ; je le désire pour lui comme pour moi, et vous pouvez d’un mot faire donner cette satisfaction à l’opinion libérale. La véritable réparation serait de me remettre à Athènes où je rendais des services dont la nation grecque est reconnaissante et dont j’ai moi-même parfaitement conscience. Mon ambitieux successeur m’a déclaré n’y pas vouloir rester plus de deux ans, c’est-à-dire jusqu’à l’été prochain. Mais M. Waddington ferait-il cela ?
D’un autre côté, je suis si fatigué par la maladie et par l’ingratitude que je me prépare sérieusement à demander ma retraite, si aucune mesure n’est prise avant peu pour m’en éloigner.
Ma femme, qui vient d’avoir la petite vérole et n’a pu sortir, vous prie, ainsi que moi, de nous rappeler au bon souvenir de Madame Simon.
Croyez-moi, mon cher maître, votre bien affectionné Émile Burnouf.
18. Émile Burnouf à Jules Simon – 1882, 7 octobre - Paris, « 34 rue d’Alésia »
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 2 pages.
Mon Cher Maître,
Merci des démarches que vous avez bien voulu faire en faveur de mon gendre, M. de Fos, en vue du vice-consulat du Pirée. Nous avons suivi exactement les instructions contenues dans votre lettre et nous poursuivons dans le même sens.
Avec les appuis qui nous sont assurés, je crois, d’après ce que nous dit mon ancien élève et ami, M. Mollard, que nous pouvons espérer le succès. Il faut toutefois que le poste du Pirée soit rendu vacant en réalité103. M. Watbled, que vous avez dû connaître bibliothécaire au Sénat, l’occupe en ce moment. Il ne s’y plaît pas et il demande instamment d’être envoyé en pays arabe, par exemple à Mogador, à Casabianca ou ailleurs. Il n’est que vice-consul et n’a pas encore les trois ans de service exigés pour un consulat. Mais rien n’est plus facile, paraît-il, pour le satisfaire, que de lui confier la gérance d’un consulat, moyen transitoire qui lui permettrait d’attendre le titre.
M. Watbled, qui écrit souvent à mon gendre pour le presser d’agir en ce sens, est appuyé par un certain nombre de personnes, notamment par MM. Anatole de La Forge, Henri Martin, général Pélissier, général Chanzy et M. de Moüy, ministre de France à Athènes.
Je vous donne ces renseignements pour que vous en fassiez l’usage que vous croirez le meilleur. Je n’ai pas besoin de vous dire que nous comptons absolument sur votre bonne amitié pour moi.
Croyez moi votre affectionné, Ém. Burnouf.
19. Émile Burnouf à Jules Simon – 1884, 19 août - Paris, « 34 rue d’Alésia »
Original autographe signé, papier. Arch. nat., 87 AP 1, 3 pages.
Mon Cher Maître,
Avez-vous lu les discours prononcés sur la tombe de M. Dumont en présence de J. Ferry et de M. Fallières ? Avez-vous lu notamment celui de M. Georges Perrot ? Et si vous l’avez lu, n’avez-vous rien senti se soulever dans votre personne ?
Vous étiez ministre en 1873. Je vous ai soumis et j’ai discuté avec vous, avec Du Mesnil et Lescoeur104, mon projet, alors déjà ancien, d’établir une succursale de l’École d’Athènes. Je vous ai envoyé d’Athènes, où j’étais seul, la rédaction d’un décret qui a été à peine modifiée. Vous avez présenté ce décret au président de la République, M. Thiers. Celui-ci vous l’a retourné avec des objections écrites de sa main. J’ai envoyé au ministère M. Albert Dumont à qui vous avez fait savoir qu’il n’y avait plus rien à faire, à moins qu’on n’agisse directement sur M. Thiers.
Alors j’écrivis au Président une lettre qui lui fut remise par notre ami Barthélemy-St-Hilaire et où les objections étaient résolues. M. Thiers me répondit par la même voie qu’il se rendait à mes raisons et qu’il allait signer le décret. J’ai la lettre de M. Thiers. Cela se passait le 22 et le 23 mars, le décret parut cinq jours après. Sur ma demande, M. Dumont fut mis à la tête de l’École de Rome avec le titre de sous-directeur et le devoir de faire un cours d’archéologie.
J’ai toute la correspondance sous les yeux. Personne n’a le droit de dire qu’un autre que moi ait conçu le projet et en ait, avec votre aide, décidé l’exécution. Vous en êtes témoin et Barth.-St-Hilaire peut l’attester également.
Eh bien, mon cher maître, il faut que vous le déclariez formellement dans Le Matin et que votre déclaration soit reproduite dans tous les journaux. Car M. Perrot et les autres ont fait l’honneur de cette création de l’École de Rome à M. Dumont qui était encore élève sortant d’Athènes, inconnu de M. Thiers, de Barth.-Saint-Hilaire et presque inconnu de vous. C’est un système adopté par une coterie qui m’est bien connue, de dénigrer tout ce que j’ai fait ou d’attribuer à d’autres ce que j’ai fait de bon. Cela m’est indifférent, car j’ai un mépris profond pour cette manière d’employer sa vie. Mais cela n’est pas indifférent à la vérité et à la justice.
Du reste, pour édifier le public, je vais publier en brochure une foule de pièces authentiques et de lettres qui donneront l’histoire de l’École d’Athènes pendant ma direction. Il y a plus d’un individu qui s’en mordra les doigts mais ce sera juste105.
Croyez, Mon Cher Maître, à ma sincère amitié.
Émile Burnouf.
[P. S.] Je vous autorise à publier ou vous voudrez la présente lettre, Ém. Bf.
Dossier II
Lettre d'Albert Dumont à Émile Burnouf – [1872], 7 juillet - Troyes
Orig. signé. Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, non paginé, papier, 4 pages.
[En haut à gauche de la première page, au crayon, de la main de Burnouf :] Lettre reçue à Athènes avant mon voyage.
[En haut à droite de la première page, au crayon, de la main de Burnouf :] Cette lettre est l’exposé d’un ensemble d’idées dont j’avais fait part verbalement à M. Dumont et que je l’avais prié de mûrir et d’exposer. Je l’avais aussi prié de sonder le terrain en Italie.
Monsieur et Cher Directeur,
J’ai été un peu en peine de vous écrire ne sachant pas si vous n’auriez pas quitté Athènes. Les lettres que vous avez bien voulu me renvoyer et que je trouve en arrivant ici, me prouvent que vous étiez encore en Grèce il y a huit jours. Vous y serez peut-être quand ce mot vous arrivera, bien que je ne le souhaite ni pour vous ni pour Madame Burnouf ni pour les intérêts de l’École.
Rien de nouveau pour le projet dont je vous ai parlé. J’ai vu en Italie les gens qui nous seraient indispensables, je vais au premier jour aller à Paris et en causer sérieusement. Vous serez au courant de tout. Voici ce que je propose :
1° Institut de correspondance à Rome ;
2° École d’archéologie et d’érudition, ayant entre autre pour objet une manière de préparation à l’École d’Athènes.
Mon projet ne demande presque pas de crédit nouveau, mais il comporte un certain nombre de mesures qui seules pourront assurer un succès complet. Sans le complet succès probable, je n’accepte rien. Ce n’est pas la peine d’essayer timidement et d’échouer. Ce serait pire que de ne rien avoir.
Institut de correspondance. C’est l’ancienne organisation de la section française de l’Institut de France. Il comporte un bulletin mensuel qui devra être rempli en partie par l’École d’Athènes 2°106 des Annales paraissant au 1er janvier et qui publieront les grands monuments.
Les frais de ces deux publications peuvent rentrer dans les sections du budget déjà établies.
Il est indispensable que les savants italiens partagent leurs communications entre nous et la Prusse. C’est une campagne à entreprendre. On en sortira vainqueur. Il nous faut tous les noms importants de l’Italie. J’ai vu nombre de savants et examiné les chances bien que nous ne parlons que d’une façon très générale. Il faut inviter que les savants français se mettent en peine pour les deux premiers volumes d’Annales. Ils doivent le faire à tout prix, de manière à ce que la publication soit vraiment belle. Je me chargerai pour mon compte de combler tous les vides avec nos cartons de cette année. Mais ce serait mauvais, il faudrait que nous assignions dans notre recueil tous les noms marquants de France et d’Italie. J’ajoute « de Grèce » et j’irais même jusqu’à donner cinq feuilles au grec moderne.
École. Trois élèves suffiraient à 2 000 francs (traitement de l’École de Rome) ; ils vivraient à l’Académie. Seulement pour les deux premières années, je demanderai à les choisir. Il faut des gens dévoués, passionnés et sûrs. Ils sont sûrs qu’administrativement notre situation entraînera pour eux les plus grands avantages. Vous verrez s’il ne serait pas bon de nous donner un an les nouveaux membres de l’École d’Athènes. Cela dépend de votre manière de voir.
Les élèves logeraient à la Villa Médicis, le secrétaire au dehors parce qu’il n’y a nul logement possible à la Villa pour lui.
Cette fondation aurait pour première issue de publier tout de suite tout ce que ferait l’École d’Athènes.
Tout cela est encore vague… et il faut que j’en cause. Je vous serai reconnaissant de me dire votre opinion.
Logothete a-t-il envoyé les deux malles ? Pas de nouvelles. Je me rappellerai à ses bons offices.
Mille remerciements bien affectueux pour votre bonne hospitalité à laquelle nous avons été si sensibles. Je présente à Madame Burnouf et à ses demandes tous mes respects, à ses musiciens mes amitiés.
Quand vous viendrez en France, je serai heureux de le savoir pour vous joindre où vous serez.
Votre dévoué Albert Dumont.
Dossier III
Mémoire d'Émile Burnouf – 1872, 7 août - Paris
Original autographe signé. Arch. nat., F17 4105, dossier 6, 7 pages.
Projet de modifications à apporter au régime de l'École d'Athènes
L'École d'Athènes, par son acte de fondation, par la nature de ses travaux et par le personnel dont elle se recrute, est un établissement universitaire et ne peut relever qu'indirectement d'une Académie ou de tout autre corps libre.
Elle a constitué, depuis son origine, une des principales forces de l'Université, fourni d'excellents professeurs à l'enseignement supérieur et ne saurait, sans dommage pour celui-ci et sans provoquer des conflits ultérieurs, être soustraite à sa hiérarchie naturelle.
Les éléments essentiels de sa constitution sont bons : car la Prusse, en s'annexant l'Institut archéologique de Rome, vient d'en faire une école universitaire allemande modelée sur l'École française d'Athènes, dépendant comme celle-ci du ministre de l'Instruction publique et n'ayant avec l'Académie de Berlin que des rapports de patronage scientifique.
Dans son état actuel, l'École d'Athènes se recrute des 1ers agrégés des lettres, ordinairement élèves de l'École normale. Les travaux qu'elle fait, loin d'être inférieurs à ceux qu'elle faisait à son origine, leur sont au contraire le plus souvent supérieurs en érudition, en précision et généralement en valeur scientifique.
Il n'y a donc pas lieu de rien changer à sa constitution actuelle. Mais elle peut recevoir des améliorations, que la transformation de l'Institut archéologique allemand rend nécessaires et que je propose au ministre de réaliser sans retard.
À ces considérations spéciales il faut ajouter que l'École d'Athènes par ses travaux et par son personnel, exerce une action puissante en Orient, où elle est regardée comme un centre important de civilisation, c'est ce que me disait récemment encore le ministre de l'Intérieur de Grèce en m'entretenant de l'offre qui nous était faite d'un terrain pour la construction de l'École. Il faut conserver intacte la position, pour ainsi dire officielle, que l'École a prise, l'améliorer et non la changer.
Conditions d'admission, personnel.
Les titres d'agrégés ou de docteur doivent être maintenus comme condition absolue de l'entrée à l'École d'Athènes ; il n'y a pas de plus solide garantie pour les candidats. Il est bon de maintenir à titre d'encouragement le droit d'y entrer sans examen accordé aux premiers agrégés. Mais ce droit devrait être étendu au 1er agrégé de grammaire. Il y a en effet des études importantes à faire sur les dialectes grecs, sur les termes professionnels, sur les langues des pays limitrophes dont la grammaire et le dictionnaire sont presque inconnus. Feu M. Deville107 est le seul membre de l'École qui ait jusqu'à présent effleuré ces matières.
Consolider la section des sciences, fondée depuis longtemps et essayée avec succès dans la personne de M. Gorceix, est un besoin de plus en plus urgent de l'École. Une foule de questions relatives à l'Antiquité (produits naturels, industries, mines, métaux, monnaies, peintures, pierres à bâtir, terres des vases, etc., etc.) ne peuvent être traitées qu'avec le secours d'un homme de sciences. En second lieu si l'École a pu, ainsi que d'autres érudits, visiter et décrire les différentes parties de la Grèce, c'est grâce à la carte dressée par les officiers de l'état-major français et aux cartes anglaises des îles. Mais cette carte ne s'étend qu'à six ou huit kilomètres au-delà de la frontière du royaume grec. La nouvelle carte de Kiepert108 (Épire et Thessalie, 1871 Berlin) montre de vastes espaces géographiquement inconnus et laissés en blanc. Nos lettrés ne feront sur ces pages des travaux positifs que s'ils sont aidés d'un savant qui dresse la carte par les procédés exacts de la géodésie. En ce moment M. Gorceix demande à exécuter ce travail pour la Thessalie et l'Épire.
Un jour peut venir où ces cartes nous seront d'une utilité supérieur.
Enfin un professeur de sciences peut nous être nécessaire pour les levers de plans et les dessins géométraux. C'est cette union des sciences et des lettres qui a fait la valeur des travaux des expéditions d'Égypte et de Morée, et celle des derniers travaux exécutés en Grèce par MM. Curtius109 et Starck110.
Quant aux arts, le beau travail de MM. Dumont et Chaplain111 vient de montrer ce que les lettres gagnent à s'unir à eux. Cette démonstration suffit.
Durée et emploi de la mission.
L'Allemagne, en s'annexant l'Institut de Rome, n'a pas manqué d'y joindre une succursale à Athènes. L'Italie et la Grèce sont indispensables l'une à l'autre. Mais l'Italie possède pour l'étude un nombre infini de monuments et des ressources de toute nature que la Grèce ne possède pas. Il est très difficile aux membres arrivant à Athènes de se mettre au courant de la science ; souvent leur première année n'y suffit pas ; on n'a pas ménagé la transition entre l'École normale et celle d'Athènes. C'est à Rome seulement que peuvent se former nos jeunes érudits : si nous avions dans cette ville une sorte de succursale comme les Allemands en ont créé une à Athènes notre condition serait meilleure que la leur, parce que la préparation se fait facilement à Rome et difficilement en Grèce, tandis que c'est en Grèce et en Asie que doivent s'exécuter les recherches spéciales.
En résumé, il faudrait que le nombre des membres de l'École fût porté à six, que la durée de la mission fût de trois ans, et que la première année toute entière se passât à Rome, comme au centre de l'Italie. Là des cours leur seraient faits par le chef de la succursale, qui serait un ancien membre de l'École et aurait le titre de sous-directeur. Ces leçons ajoutées aux cours publics qui se font à Rome, auraient pour but de mettre les nouveaux arrivants au courant de toutes les questions pendantes et de leur faire connaître les moyens de recherche et les méthodes. Elles seraient reproduites dans des cahiers autographiés, qui resteraient la propriété de la succursale et de l'École d'Athènes.
Il y aurait donc toujours à Rome les deux membres nouveaux et à Athènes les quatre anciens qui n'y traiteraient que des questions spéciales.
Publications
Ce qui a fait la force de l'Institut archéologique devenu allemand, c'est l'étendue et la régularité de ses publications comprises sous les noms de Bulletin et d'Annales.
Quand je provoquais la création du Bulletin de l'École d'Athènes, je fus obligé de n'y admettre que des écrits des membres de l'École (règle qui ne peut s'appliquer entièrement) et d'en exclure tout mémoire de quelque étendue. Il en résulte que ce Bulletin, qui aurait dû donner une vie nouvelle à l'École, put à peine paraître à de longs intervalles, faute de matières.
Quant aux mémoires, transmis exactement et sans retard à l'Académie par les bureaux du ministère, ils ont été souvent de la part de celui-ci négligés et délaissés, quoique contenant des documents du plus haut intérêt scientifique. Ainsi le mémoire sur Santorin de MM. Gorceix et Mamet112, mémoire développé, précis et accompagné de belles photographies, n'a reçu aucune publicité, quoique les découvertes qu'il contient aient la plus grande importance.
Il est urgent que tous les mémoires de l'École, sans exception, soient publiés intégralement, régulièrement et sans ces longs délais qui découragent leurs auteurs.
Il faut en outre qu'ils forment une publication spéciale et annuelle sous le titre de Mémoires ou d'Annales de l'École française d'Athènes.
Enfin le directeur de l'École doit être chargé de cette publication.
Correspondants ou associés.
Le Bulletin archéologique de Rome n'est pas alimenté seulement par les cinq ou six jeunes professeurs composant aujourd'hui l'École allemande, mais par un grand nombre de correspondants et d'associés qui, de toutes les parties du monde, peuvent envoyer des notes et coopérer à la rédaction.
L'École d'Athènes, améliorée, pourra devenir un vaste centre d'érudition, s'il lui est annexé une classe nombreuse de correspondants français et étrangers.
Pour donner de la valeur à ce titre et le rendre enviable, il devrait être décerné par le ministre sur la proposition de l'Académie ou du directeur de l'École. Le ministre et les membres de l'Académie seraient, de droit, associés honoraires. Ce titre donnerait le droit de recevoir gratuitement le Bulletin, à la rédaction duquel les associés seraient invités à participer par des communications écrites.
Par cette création, l'École rayonnerait au loin, et un assez grand nombre de savants délaisseraient l'Institut allemand pour venir à elle.
Budget.
Les améliorations que je propose au régime de l'École d'Athènes ont l'avantage de n'accroître en rien le budget de l'État. On peut les réaliser par de simples modifications dans les titres des alinéas du chapitre XVII (École d'Athènes).
Le budget actuel de l'École est de 64 500 fr.
Sur cette somme le loyer compte pour 12 500.
Mais la construction d'un local à nous (outre qu'elle constitue une propriété foncière pour la France) représente un intérêt de 7 500 fr. et réalise une économie annuelle de 5 000 fr.
Je demande que ces 5 000 fr. soient maintenus à la dépense et répartis comme il suit :
1° 3 600 pour le traitement du 6e membre,
2° 400 ajoutés à l'entretien du mobilier
3° 1 000 comme partie du traitement du sous-directeur.
Total : 5 000.
Ce dernier traitement, qui serait de 7 000 fr., serait complété au moyen de fonds pris sur le chapitre des missions (ch. XXV). Si le sous-directeur était logé à la Villa Médicis, son traitement serait de 6 000 fr.
Pour rendre possibles les autres améliorations proposées, il suffira de réunir à l'abonnement pour entretien du mobilier l'article dépenses diverses, médecin, etc., sur lequel il y a chaque année un reliquat. Avec les 400 fr. ci-dessus, cet abonnement serait porté à 7 400 fr., sur lesquels le directeur aurait à prendre la somme nécessaire aux publications.
Enfin, comme les voyages des membres de l'École deviennent de plus en plus lointains à mesure que les recherches sur le sol grec s'épuisent, on maintiendrait l'article de 4 000 fr. consacré aux indemnités d'aller et retour, mais il aurait pour titre, indemnités de voyages et le ministre pourrait chaque année disposer d'une petite somme (800 fr.) qui serait consacrée aux voyages scientifiques les plus coûteux.
Budgets comparés | |||||
Budget actuel | Budget proposé | ||||
Personnel | Directeur | 12 000 | Personnel | Directeur | 12000 |
5 membres | 18 000 | Sous directeur (à Rome) | 7 000 | ||
Domestiques | 4 100 | 6 membres | 21 600 | ||
Domestiques | 4 100 | ||||
Matériel | Loyer | 12 500 | Matériel | Frais de voyages | 4 000 |
Frais d'aller et retour | 4 000 | Entretien du mobilier et publications | 7 400 | ||
Entretien du mobilier | 5 000 | Entretien du mobilier et publication | 7 400 | ||
Frais de représentation | 6 000 | Frais de représentation | 6 000 | ||
Dépenses diverses | 2 000 | ||||
Banquier | 900 | ||||
Total | 64 500 | Total | 63 000 |
Mais sur ces 63 000 fr., six mille sont prélevés sur le chapitre XXV, ce qui réduit le budget réel à 57 000 fr.
Projet de décret concernant de l'École française d'Athènes.
Vu etc.
Article 1er. Le nombre des membres de l'École d'Athènes (section des lettres) est fixé à six ; ils se renouvellent annuellement deux par deux, de sorte que la durée totale de leur mission est de trois ans.
Art. 2. Les deux membres nouveaux passent leur première année à Rome, où ils habitent la Villa Médicis.
Art. 3. Ces deux membres sont placés sous l'autorité immédiate d'un sous-directeur nommé par le ministre de l'Instruction publique et qui correspond avec le directeur résidant à Athènes. Son traitement est fixé à 7 000 fr.
Art. 4. Le sous-directeur, ancien membre de l'École, fait aux membres résidant à Rome des cours d'archéologie destinés à les mettre au courant de la science avant leur départ pour la Grèce. Ces cours doivent être rédigés par eux et les rédactions demeurent propriété de l'École. Tous les six mois le sous-directeur adresse au directeur de l'École un rapport sur le travail de chaque membre nouveau ; ce rapport est transmis par le directeur au ministre.
Art. 5. Chacun des membres résidant à Athènes rédige chaque année un mémoire sur un point spécial d'archéologie, de géographie ou d'histoire. Ces mémoires sont publiés par les soins du directeur de l'École sous le titre de Mémoires de l'École française d'Athènes.
Les mémoires envoyés par d'anciens membres de l'École pourront être réimprimés dans cette collection.
Art. 6. Il est créé une classe d'associés correspondants de l'École française d'Athènes. Leur nombre est illimité ; ils peuvent appartenir à la nation française ou à toute autre nation.
Art. 7. Le titre d'associé correspondant est décerné par le ministre de l'Instruction publique sur la proposition de l'Académie des inscriptions et belles-lettres ou du directeur de l'École.
Le ministre, tout membre de l'Académie et tout ancien membre de l'École sont de droit associés correspondants.
Art. 8. Les associés correspondants et les membres de l'École rédigent en commun le Bulletin de l'École d'Athènes, lequel est publié par les soins du directeur et délivré gratuitement à chacun d'eux.
Art. 9. Le présent décret annule toute disposition antérieure qui lui serait contraire.
Fait à etc.
Projet d'arrêté ministériel
Vu le décret du président de la République en date du... etc.
Le ministre de l'Instruction publique etc.
arrête :
Art. 1er. M. Albert Dumont, ancien membre de l'École d'Athènes, est nommé sous-directeur de ladite École, résidant à Rome.
Art. 2. Le traitement de M. Dumont est imputé sur le chapitre XXV du budget de l'Instruction publique (Voyages et Missions).
Paris, le...
Paris, le 7 août 1872. Signé Ém. Burnouf.
Notes de bas de page
1 Émile Burnouf à Jules Simon, Paris, 19 août 1884, Pièce justificative n° I-19.
2 G. Galvez-Behar, La République des inventeurs : propriété et organisation de l'innovation en France (1791-1922), Rennes, 2008 (Collection Carnot). Pour un exemple fameux où l'antériorité de la science cède le pas à l'innovation commerciale, voir C. Gauthier, Comment les frères Lumière devinrent les pères du cinéma. La querelle des inventeurs, dans Bibliothèque de l'École des chartes, t. 167, 2009, p. 155-178
3 M. Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, texte de 1942, Paris, 1949 (Cahier des Annales, 3), réimpr. dans Id., L'histoire, la guerre, la résistance, Paris, 2006 (Quarto), p. 843-985, aux p. 868-873.
4 L'expression, sans autre référence à un écrit précis de Renier, est de la plume de Théophile Homolle qui est, semble-t-il, le premier à évoquer cette contribution de Renier (M. Dumont, dans Bulletin de correspondance hellénique, 1884, p. I-XXIV, à la p. X). Henri Wallon, quelques années plus tard, se contente pareillement de rapporter des propos sans en fournir la source exacte (Notice sur la vie et les travaux de M. Charles-Albert-Auguste-Eugène Dumont, membre ordinaire de l'Académie, dans CRAI, 1893, p. 442-469, à la p. 458) : « Léon Renier (je n'ai jamais perdu l'impression de ses paroles) insistait sur cette considération : « Nous envoyons nos jeunes agrégés ou docteurs à Athènes. Ils y verront les ruines des plus beaux monuments de l'art grec. Mais quel guide auront-ils pour que leur admiration ne reste pas stérile ? Quelles ressources pour s'initier à la science des antiquités ? Les hommes, les ivres mêmes leur feront défaut. S'ils s'arrêtaient un an à Rome, ils y trouveraient, avec des monuments d'un ordre inférieur, sans doute, de riches bibliothèques et des savants capables de les former à leur métier d'archéologue. » » Il semble bien à s'en tenir à ce dernier témoignage que Renier n'a pas envisagé autre chose que le séjour romain des élèves de l'École d'Athènes prévu par l'article 5 du décret du 9 février 1859, qui le fixait toutefois à trois mois (Georges Radet, L'histoire et l'œuvre de l'École française d'Athènes, Paris, 1901, p. 432-434).
5 Y.-M. Bercé, Aux origines de l'École des chartes : le baron de Gérando, dans L'École nationale des chartes. Histoire de l'École depuis 1821, Thionville, 1997, p. 20-25, à la p. 23.
6 J. Lalouette, Burnouf Émile, dans F. Laplanche dir., Les sciences religieuses, Paris, 1996 (Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 9), p. 120-121.
7 C. Peltre, Excursions d’un Athénien au XIXe siècle. Les carnets inédits d’Émile Burnouf, dans Le Pays lorrain, 1988, p. 237-242 ; G. Radet, L'histoire..., p. 104 et 115.
8 Arch. nat., F17 4105, dossier 6, Émile Burnouf à Victor Duruy, Paris, 21 mai 1867.
9 Ibid. : « Étant à Toulouse, j'ai construit pour l'enseignement un appareil cosmographique très simple, reproduisant aux yeux tous les mouvements du soleil, de la terre et de la lune, même la précession des équinoxes. Cet instrument figure à l'Exposition universelle. En même temps, j'ai entrepris, avec M. Guillemin, professeur à l'École de Saint-Cyr, des recherches sur l'électricité. Ces études faites au moyen des lignes télégraphiques du Midi, et quelque temps interrompues par ma nomination à la Faculté de Nancy, ont été reprises par nous sur les grandes lignes de l'Est et ont abouti à la démonstration expérimentale de la loi de propagation, théoriquement indiquée par Ohm. M. Guillemin a été nommé membre du conseil de perfectionnement à la suite de nos travaux. »
10 G. Radet, L'histoire..., p. 154 : le passage cité est extrait de cette même lettre Arch. nat., F17 4105, dossier 6, Émile Burnouf à Victor Duruy, Paris, 21 mai 1867.
11 Arch. nat., F17 4105, dossier 6, Émile Burnouf à Victor Duruy, Paris, 22 août 1869.
12 Arch. nat., F17 4105, dossier 6, note d'Émile Burnouf à Jules Simon, [Athènes], s. d. [1871].
13 R. Treuil, L'École française d'Athènes et la préhistoire/protohistoire du monde égéen, dans Bulletin de correspondance hellénique, t. 120-1, 1996, p. 407-439, à la p. 409.
14 Émile Burnouf à Jules Simon, Athènes, 27 juin 1872, Pièce justificative n° I-2.
15 C. Valenti, L'École française d'Athènes, Paris, 2006 (L'histoire de l'éducation), p. 67.
16 M. Schmid, Les bâtiments de l'École française d'Athènes et leur évolution, dans Bulletin de correspondance hellénique, t. 120-1, 1996, p. 127-151, aux p. 129 et suiv.
17 Arch. Nat., F17 4105, Émile Burnouf à Léon Lescoeur, Athènes, 31 août 1871 : Vous apprendrez aujourd'hui que l'École allemande d'Athènes est bien positivement fondée et qu'on lui a donné pour directeur M. Ernst Curtius, archéologue plein d'ardeur, plus encore que de savoir et d'idées fausses. Ces messieurs vont arriver avec leur part de l'indemnité de guerre et ces nouveaux venus se trouveront dans des conditions probablement plus favorables que nous pour la recherche qu'on peut faire ici. Nous aurons des mesures à prendre pour améliorer notre situation et le moment viendra d'en parler sérieusement. Pour le moment, la grande question est celle du logement de l'École, et je pense que vous trouvez suffisamment démontré que l'unique solution possible est d'en bâtir un. »
18 G. Radet, L'histoire..., p. 154-155.
19 G. Radet, L'histoire..., p. X : « Lui [= Burnouf] aussi, je l'ai interrogé, dans la retraite paisible où il vit en bénédictin, au seuil de la tempête parisienne, l'âme détachée de bien des vanités, l'oreille close à la rumeur des ambitions, gardant intacte, malgré d'assombrissantes épreuves, sa foi dans la vertu de l'étude et la puissance de la raison. Ce modeste et laborieux philosophe, dont les actes eurent toujours pour mobile l'amour obstiné du bien, ne s'offensera pas des critiques que ma conscience d'historien m'oblige à présenter. »
20 Albert Dumont. Discours prononcés à ses obsèques, dans Revue internationale de l'enseignement, t. 8, 1884, p. 235-246, Discours de M. Georges Perrot, aux p. 237-244, part. p. 241-242. E. Lavisse, Albert Dumont, dans Revue internationale de l'enseignement, t. 9, 1885, p. 97-112, aux p. 105, 107-108 : « Quant l'École d'Athènes a semblé péricliter, c'est à lui qu'on a pensé tout de suite pour la relever » (p. 105).
21 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 22, Georges Perrot à Émile Burnouf, Paris, 4 mai 1873.
22 R. Étienne, L'École française d'Athènes, 1846-1996, dans Bulletin de correspondance hellénique, vol. 120-1, 1996, p. 3-22, à la p. 3: « L'œuvre de ce dernier [= Radet] a été conçue selon les critères historiques de son temps, où la politique était la clé de l'histoire. Il a donc passé au crible la politique des directeurs avec sagacité, humour et parti-pris : si chacun est prêt à exalter la personnalité d'Albert Dumont, il faudrait sans doute porter un regard moins sévère sur l'œuvre d'Émile Burnouf. ». Catherine Valenti, tout en reconnaissant le primat incontesté de Dumont dans l'orientation purement scientifique donnée à l'École (L'École..., p. 65), souligne à la fois que son « triennat » s'inscrit dans un schéma de continuité en ce qui concerne son utilisation comme instrument de la présence française en Méditerranée (ibid., p. 66) et qu'en matière budgétaire il ne constitue en aucun cas une période-charnière (ibid., p. 67). Au reste Radet lui-même montre qu'il fallut attendre 1878 pour que le budget de l'École dépassât la moyenne des années 1866-1873.
23 G. Ferragu, L'École française de Rome, une annexe de l'ambassade ?, dans Mélanges de l'École française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 114, 2002, p. 75-87.
24 E. Karagianis, Les membres de l'École française d'Athènes et le domaine néo-hellénique, dans Bulletin de correspondance hellénique, t. 120-1, 1996, p. 465-475, à la p. 467.
25 G. Radet, L'histoire..., p. 169.
26 Émile Burnouf à Jules Simon, Paris, 18 juillet 1872, Pièce justificative n° I-3.
27 Lettre au directeur de la « Revue archéologique », dans Revue archéologique, 1876-2, p. 353-357, repr. dans M. Gras dir., « À l'école de toute l'Italie »..., p. 72-76, aux. p. 73-74.
28 M. Gras dir., « À l'école de toute l'Italie »..., p. 9-16.
29 Mémoire d'Émile Burnouf, Paris, 7 août 1872, Pièce justificative n° III.
30 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 29 septembre 1872.
31 Arch. nat., F17 4105, dossier 6, Émile Burnouf à Jules Simon, Athènes, 21 novembre 1872 : « Ne tardez pas trop pour notre succursale de Rome. C'est une des meilleures choses qui auront été faites pour notre enseignement supérieur et pourquoi ne vous en donneriez-vous pas l'honneur, puisque, d'après mon projet, vous n'avez pas à demander un centime en plus à l'État ? L'École d'Athènes a été créée par ordonnance royale ; la succursale peut donc l'être par décret, et je suis persuadé que M. Thiers se fera honneur, ainsi que vous en la créant. »
32 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 10 janvier 1873.
33 Ibid., Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 14 février 1873.
34 Ibid., Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 27 février 1873.
35 Arch. nat., 87 AP 1, Thiers à Barthélemy-Saint-Hilaire, Versailles, 23 mars 1873 (copie).
36 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 12 avril 1873.
37 Ibid., Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 28 mai 1873.
38 CRAI, 1873, p. 107-108.
39 Ibid., p. 109.
40 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, Albert Dumont à Émile Burnouf, Rome, 6 novembre 1873 : Il y aura trois conférences par semaine, l'une d'archéologie, l'autre d'épigraphie, la troisième d'exercices pratiques. (…) J'ai divisé le programme d'archéologie en trente leçons :
1° méthode
2° rapports de l'Orient et de la Grèce, premiers vestiges de l'industrie humaine (3 leçons)
3° grandes périodes de l'art grec et de l'art romain (5 leçons)
4° de l'architecture ; géographie des monuments qui sont parvenus jusqu'à nous. Principaux voyages accomplis. Voyages à entreprendre (4 leçons)
5° de la sculpture (2 leçons)
6° peinture, l'art grec et l'art byzantin (2 leçons)
7° principes de l'archéologie figurée (3 leçons)
8° vases peints (4 leçons)
9° bronze (2 leçons)
10° muséographie (1 leçon)
11° L'Étrurie, Rome et la Grèce.
Ce cadre sera modifié selon vos indications ; Je vous serai reconnaissant de m'en dire votre opinion. Pour l'épigraphie, il y aura aussi trente leçons. »
41 Albert Dumont. 1873. Succursale de l'École française d'Athènes, à Rome. Ouverture du cours d'archéologie, dans M. Gras dir., « À l'école de toute l'Italie »..., p. 17-27.
42 John Scheid, Albert Dumont. 1873. Succursale de l'École française d'Athènes, à Rome. Ouverture du cours d'archéologie, dans M. Gras (dir.), « À l'École de toute l'Italie »..., p. 17-27, à la p. 24, note 10.
43 Université de Nancy-II, Service commun de documentation, Burnouf 17, dossier Albert Dumont, Albert Dumont à Émile Burnouf, Paris, 15 août 1873.
44 Ibid., Albert Dumont à Émile Burnouf, Rome, mai 1874 : « Le ministère m'a offert la chaire d'archéologie. J'ai répondu que je ne pouvais quitter l'École, que je ne me voyais pas de successeur possible, que j'étais attaché à cette œuvre. Cela m'a un peu coûté, mais il n'y avait pas d'autre réponse possible. J'ai ajouté que, si vous vouliez un jour quitter Athènes, votre désir était de me voir nommé et qu'alors je serais un candidat résolu. Ceci entre nous. Ce m'a été une occasion de rappeler les liens d'amitié et de reconnaissance qui m'attachent à vous. »
45 Il se montrait inhabituellement actif sur le plan de l'archéologie proprement dite, en étant soucieux dès août 1873 d'investir les pages de la Revue archéologique – où Dumont publiait régulièrement depuis 1870 –, alors qu'il n'y avait jamais publié et n'y publierait plus après le second semestre 1874 : Émile Burnouf, « Fouilles à Délos (mai-juin 1873) », dans Revue archéologique, vol. 26, 1873-2, p. 105-113 ; en 1874, il publia trois contributions dans cette même revue : « Un vase de la collection Schliemann », « Fusaïole troyenne », « Inscriptions trouvées à l'Acropole d'Athènes ».
46 Ibid., Albert Dumont à Émile Burnouf, Rome, 21 janvier 1875.
47 Ibid., le même au même, Rome, 8 février 1875.
48 Albert Dumont à Auguste Geffroy, Athènes, 18 avril 1867, cité par G. Radet, L'histoire et l'œuvre..., p. 151
49 A. Dumont, École française d'Athènes. Institut de correspondance hellénique. Séance du 3 arvil 1876, dans Revue archéologique, vol. 27, 1876-1, p. 420-427.
50 C.-O. Carbonell, Histoire et historiens. Une mutation idéologique des historiens français, 1865-1885, Toulouse, 1976, p. 269 ; l'expression est employée à propos de l'année 1875.
51 C.-O. Carbonnel (Histoire et historiens..., p. 577-578) en fait même le fer de lance et presque l'unique exemple officiel de ce conflit historiographique.
52 Ibid., p. 265.
53 Albert Dumont, note de juillet 1872, dans M. Gras dir., « À l'école de toute l'Italie »..., p. 11.
54 Albert Dumont. Succursale..., p. 20-21.
55 P. Amandry, Albert Dumont, directeur des Écoles de Rome et d'Athènes, dans Bulletin de correspondance hellénique, t. 100-1, 1996, p. 1-5, à la p. 5 : « J'ai décrit l'état moral et politique de chacune [de ces populations, Grecs, Turcs, Bulgares, Slaves du Sud, Albanais] ; j'ai voulu voir ensuite si, dans ce mélange de facultés si variées, il n'en est pas un certain nombre qu'il soit possible de définir, de classer, de subordonner les unes aux autres pour les expliquer ; comment les faiblesses et les imperfections de ces races sont dans un rapport étroit avec leurs qualités. »
56 Émile Burnouf à Jules Simon, Athènes, 30 mai 1873, Pièce justificative n° I-9.
57 Émile Burnouf à Jules Simon, Paris, 2 mars 1876, Pièce justificative n° I-15.
58 Émile Burnouf à Jules Simon, Nancy, 22 août 1875, Pièce justificative n° I-13.
59 B. Neveu, Les facultés de théologie catholique de l'Université de France (1808-1885), Paris, 1998 (Mélanges de la Bibliothèque de la Sorbonne, 27), p. 428 et suiv.
60 Journal des Débats, 11 décembre 1875, première page, 2e colonne : « Le Journal officiel contient ce matin un arrêté du ministre de l'Instruction publique nommant M. Roux, professeur de littérature française à la Faculté de Bordeaux, doyen de cette Faculté, en remplacement de M. Émile Burnouf. L'arrêté ne dit pas si M. Émile Burnouf a donné sa démission ; il est donc permis de supposer que le ministre a pris une mesure disciplinaire à laquelle il serait injuste de ne pas applaudir. Nous n'avions pas voulu entretenir nos lecteurs d'une lettre inconvenante que M. Émile Burnouf a adressée récemment à un journal de Bordeaux, parce qu'il est toujours pénible de signaler les défaillances d'un homme de talent ; mais les amis de M. Émile Burnouf n'ayant pas eu la même précaution et s'étant efforcés de faire de sa lettre une sorte de Manifeste universitaire, M. Wallon avait le devoir de protester au nom de l'Université, qui ne peut se laisser compromettre par les fautes d'un de ses membres. Il paraît que M. Émile Burnouf ne se console pas d'avoir perdu la direction de l'École d'Athènes et qu'il considère comme dérisoire la compensation qui lui a été donnée à Bordeaux. Mais ce mécontentement personnel n'excuse en rien les attaques passionnées qu'il vient d'adresser au clergé, aux universités libres, au conseil supérieur de l'Instruction publique, aux conseils académiques et à l'Assemblée nationale. Cette protestation violente et injuste contre les lois du pays est d'un très fâcheux exemple. M. Émile Burnouf nous paraît d'ailleurs se faire une idée très fausse de l'organisation universitaire lorsqu'il demande l'expulsion des évêques du conseil supérieur de l'Instruction publique et des conseils départementaux. « Est-ce là leur place ? Dit-il. N'ont-ils pas leurs Facultés, où ils peuvent commander ? Qu'ont-ils à faire chez nous ? » Où donc M. Émile Burnouf a-t-il vu que l'Université fût à lui ? L'Université est à tous les contribuables, puisque tous lui fournissent les ressources dont elle vit ; et les catholiques, qui la paient aussi bien que leurs adversaires, ont, comme eux, le droit d'être représentés dans ses conseils. Il est vrai que plusieurs journaux, en tête desquels s'est signalé Le Temps, ont soutenu récemment la thèse de M. Émile Burnouf ; mais il est triste de voir des libéraux éclairés défendre une doctrine aussi tyrannique. (…) La lettre de M. Émile Burnouf contenait, d'un bout à l'autre, des principes faux et des excitations dangereuses ; c'est comme doyen qu'il l'avait écrite ; il exprimait en outre un vif regret de n'avoir pas eu l'occasion d'exposer en public, à la rentrée des Facultés, les théories illégales qu'elle renfermait. Il est donc facile de s'expliquer la révocation prononcée par le ministre, et, nous le disons à regret, il est impossible de ne pas l'approuver. »
61 Émile Burnouf à Jules Simon, Paris, 23 mars 1876, Pièce justificative n° I-16.
62 Revue archéologique, vol. 25, 1873-1, p. 351.
63 L. Heuzey, Rapport de la commission des Écoles françaises d'Athènes et de Rome sur les travaux de ces deux écoles pendant l'année 1875, dans CRAI, 1875, p. 452-465, à la p. 454.
64 J.-M. Mayeur, Albert Dumont et les transformations de l'enseignement supérieur au début de la Troisième République, dans Bulletin de correspondance hellénique, t. 100-1, 1976, p. 7-10.
65 Émile Burnouf à Jules Simon, Nancy, 14 septembre 1875, Pièce justificative n° I-14 ; le même au même, Paris, 2 mars 1876, Pièce justificative n° I-15.
66 Émile Burnouf à Jules Simon, Paris, 23 mars 1876, Pièce justificative n° I-16. Les papiers Burnouf à Nancy contiennent de très nombreuses lettres de Schliemann ainsi que des documents liés aux fouilles conduites de concert, en particulier en 1873-1879. Voir aussi, sur le soutien officiel du ministère français, le dossier de mission Arch. nat., F17 2943C. Voir encore O. Masson, Henry Schliemann à Paris et ses amis français, dans Les dossiers de l'archéologie, n° 206, 1995, p. 28-39.
67 G. Radet, L'histoire..., p. 451, note 2.
68 J.-M. Mayeur, Albert Dumont..., p. 9.
69 Henri Gorceix (1842-1919), minéralogiste, membre de l'École française d'Athènes (1869-1873).
70 Olivier Rayet (1848-1887), archéologue, membre de l'École française d'Athènes (1869-1873), effectua des fouilles, en particulier à Milet et à Didymes, en 1873 grâce au financement de Gustave (1829-1911) et Edmond (1845-1934) de Rothschild.
71 Armand Du Mesnil (1819-1903), directeur de l'enseignement supérieur (1870-1879).
72 Jules Barthélemy-Saint-Hilaire (1805-1895), professeur au collège de France en 1838, membre de l'Académie des sciences morales et politiques en 1839, secrétaire d'Adolphe Thiers en 1871, sénateur à vie en 1875, ministre des Affaires étrangères (1880-1881).
73 Arch. nat., 87 AP 1, A. Thiers à J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Versailles, 23 mars 1873, copie : « Mon Cher Ami, répondez à M. Burnouf que je suis tout à fait converti à l’idée d’une année à Rome avant d’aller en Grèce. Il est plus naturel de descendre un fleuve que de le remonter quand on veut bien étudier son cours. On le voit naître, grandir et finir. Mais on peut aussi le remonter de son embouchure à sa source et on finit aussi par le connaître en le prenant à rebours. Ici d’ailleurs nous n’avons pas le choix, puisqu’à Rome on a tous les moyens d’étude et qu’à Athènes on n’a rien. Je vais par conséquent donner les ordres nécessaires. Mais il reste pour moi une question. Laissera-t-on ces jeunes gens créer dans Rome et ne serait-il pas bon de les comprendre dans les élèves de l’École de Rome et soumis à la même discipline ? C’est un détail du reste et j’admets avant le départ pour la Grèce le préalable d’une année passée à Rome. Voir Paestum en passant serait une étude utile et bien instructive. Écrivez à M. Burnouf et dites-lui que la question sera résolue dans le sens de sa lettre. Tout à vous, signé ‘A. Thiers’ ».
74 Arch. nat., 87 AP 1, É. Burnouf à A. Thiers, s. l., 7 avril 1873, copie : « Monsieur le Président, M. Barthélemy-Saint-Hilaire m’a communiqué selon votre désir la lettre que vous lui avez écrite à l’occasion de notre cours d’archéologie à Rome. Je vous prie d’agréer tous mes remerciements et ceux de l’École pour le service que vous venez de lui rendre. L’Empire avait peu fait pour nous ; la République a déjà fait deux choses excellentes : elle nous a fourni des fonds pour construire une maison sur un terrain que la Grèce nous a donné et vous venez de placer notre existence dans des conditions normales. Pour prendre enfin la place à laquelle nous avons droit et que les Allemands nous ont ôtée en s’emparant de l’Institut de Rome fondé jadis par le duc de Luynes, il nous restera à nous créer un organe permanent de publicité où tous nos travaux seront insérés et où nous réunirons aussi les mémoires dispersés des anciens de l’École. Si ces Annales existaient, elles formeraient déjà un ensemble de travaux que nous pourrions opposer à n’importe quelle publication allemande. J’espère avec l’aide de mon maître et ami, M. Jules Simon, sans demander rien de plus au budget, atteindre un jour ce résultat. Notre établissement à Rome nous sera pour cela d’un grand secours. En outre, il nous mettra en relation immédiate avec une foule de savants italiens dont les Allemands s’efforcent depuis longtemps de s’emparer et qui rentreront ainsi dans la sphère d’activité de la France. Vous voyez, M. le Président, la portée de la réforme que nous vous demandions et à laquelle vous avez bien voulu consentir. Elle ouvre devant nous un avenir nouveau et répond aux critiques, quelquefois justes, quelquefois hostiles, qui nous étaient de temps en temps adressées. Veuillez etc. Le directeur, signé Ém. Burnouf ».
75 Honoré d'Albert de Luynes (1802-1867), numismate et archéologue.
76 Charles-Ernest Beulé (1826-1874), archéologue et homme politique, membre de l'École française d'Athènes en 1849, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1867, député en 1870, ministre de l'Intérieur (25 mai-26 novembre 1873).
77 Désiré Barodet (1823-1906) avait été élu maire de Lyon le 23 avril 1872. Le gouvernement d'ordre moral supprima la fonction et renvoya Barodet en avril 1873. Celui-ci mena la campagne législative à Paris contre Charles de Rémusat (1797-1875) et contre Eugène de Goulard, ministre de l'Intérieur (7 décembre 1872-18 mai 1873) ; il fut élu le 7 avril 1873.
78 William Henri Waddington (1826-1894), archéologue et homme politique, venait d'être ministre de l'Instruction publique (18 mai-25 mai 1873) et le juriste gersois Anselme Batbie (1828-1887) lui succéda à ce poste du 25 mai au 26 novembre 1873.
79 regagner (…) perdu souligné.
80 C. E. Beulé croyait avoir découvert en 1852 l'escalier d'entrée de l'Acropole ; on s'avisa plus tard qu'il s'agissait en réalité d'une porte byzantine.
81 Joseph de Cadoine, marquis de Gabriac (1830-1903) fut ministre plénipotentiaire à Athènes de 1873 à 1876.
82 Louis Decazes (1819-1886) fut ministre des Affaires étrangères du 29 novembre 1873 et 23 novembre 1877. Henri Wallon (1812-1904), historien, fut ministre de l'Instruction publique du 10 mars 1875 au 9 mars 1876.
83 Malheur souligné.
84 Georges Ier de Grèce (1845-1913), roi des Hellènes (1863-1913).
85 le même biffé.
86 une faute insigne souligné.
87 Charilaos Trikoupis (1832-1896), diplômé de droit de Paris, premier ministre grec à plusieurs reprises, dont la première fois le 8 mai 1875.
88 malheur (…) Grèce souligné.
89 Amédée Daveluy (1798-1867) fut le premier directeur de l'École française d'Athènes (1846-1867)
90 Gustave Rouland (1806-1878) fut ministre de l'Instruction publique et des Cultes en 1856-1857 et 1860-1863.
91 Charles-Marie Jourdain (1817-1886), inspecteur général (1868-1879), fut chef de cabinet du comte Falloux en 1850 et secrétaire général de l'Instruction publique durant le ministère d'Henri Wallon en 1875-1876.
92 Antoine Viox (1803-1874), député de la Meurthe (1848-1849) et de la Meurthe-et-Moselle (1871-1874).
93 Georges La Flize (1798-1880), député de la Meurthe (1848-1849) et de la Meurthe-et-Moselle (1871-1876).
94 Henri Varroy (1828-1883), député de la Meurthe-et-Moselle (1871-1876), sénateur de la Meurthe-et-Moselle (1876-1883).
95 Marc Brice (1805-1877), député de la Meurthe-et-Moselle (1871-1876).
96 Edmond Berlet (1837-1886), député de la Meurthe-et-Moselle (1871-1883).
97 Eugène Ténot (1839-1890), fut député des Hautes-Pyrénées (1881-1885).
98 Jean Polydore Le Marois (1839-1889), député de la Manche (1876-1881).
99 Les deux prédécesseurs de H. Wallon au ministère de l'Instruction publique furent Oscar Bardi de Fortou (1836-1897), du 26 novembre 1873 au 22 mai 1874, et Arthur de Cumont (1818-1902), du 22 mai 1874 au 10 mars 1875.
100 la cour souligné.
101 Hilaire Garsonnet (1814-1876), normalien, maître de conférences en langue et littérature française à l'École normale supérieure (1861-1865), fut inspecteur général de l'enseignement secondaire (1874-1876) ; Nicolas Félix Deltour (1822-1904), normalien, chef de cabinet d'Henri Wallon à l'Instruction publique, lui succéda de 1876 à 1890.
102 Ernest Bersot (1816-1880) fut directeur de l'École normale supérieure (1871-1880) et Numa-Denys Fustel de Coulanges lui succéda à ce poste.
103 en réalité souligné.
104 Léon Lescoeur (1821-1907), inspecteur général de l'enseignement primaire, chef du 2e bureau de la direction de l'Enseignement supérieur au ministère de l'Instruction publique.
105 Cette brochure n’est apparemment jamais parue.
106 Le texte de ce paragraphe ne comporte pas « 1° ».
107 Gustave Deville (1836-1867), nommé membre de l'École française d'Athènes en 1859, était décédé au retour d'une mission à Samothrace.
108 Il s'agit sans doute du géographe et cartographe allemand Heinrich Kiepert (1818-1899) ; plutôt que de son fils le cartographe Richard Kiepert (1846-1914).
109 Ernst Curtius (1814-1896), archéologue allemand, qui joua un rôle décisif dans la création de l'Institut d'Athènes pour son pays.
110 Karl Bernhard Starck (1824-1879), professeur d'archéologie à Heidelberg depuis 1855.
111 Jules Chaplain (1839-1909), graveur médailleur français, pensionnaire de la Villa Médicis de 1864 à 1867.
112 Henri Mamet (1845-1891), nommé membre de l'École d'Athènes en 1868.
Auteur
Professeur à l'École nationale des chartes - Olivier.Poncet@enc.sorbonne.fr
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