Codicologie et langage de la norme dans les villes du Midi de la France
p. 73-100
Résumés
Dans la perspective de mener une étude comparée de la production statutaire médiévale qui intègre l’espace du Midi de la France (Languedoc et Provence) et celui de l’Italie des communes, l’article expose les bénéfices d’un retour aux manuscrits, combinée à une approche archéologique et critique des catégories du droit en usage. Il propose ensuite une étude des formes documentaires du droit local qui vise à rapporter le caractère composite et irrégulier des documents produits à l’hétéronomie même du droit médiéval. Dans un dernier temps, la variété et la transformation des formes documentaires du ius proprium, produites dans des cadres communautaires emboités, sont interrogées comme un effet de la vie politique et sociale des communautés médiévales.
In order to carry out a comparative study of medieval statutory production integrating the spaces of the South of France (Languedoc and Provence) and of the Italian communes, the article outlines the benefits of a return to the manuscripts, combined with an archaeological and critical approach to the usual categories of legal history. Thus, it offers a study of the documentary forms of local law which aims to relate the composite and irregular nature of the produced documents to the heteronomy of the medieval law. Lastly, the variety and transformation of the documentary forms of the ius proprium, which are produced in different communities, are questioned as an effect of the political and social life of medieval communities.
Entrées d’index
Mots-clés : statuts, Midi de la France, Italie, pratiques du droit, étude des manuscrits
Keywords : statutes, South of France, Italy, legal practices, manuscripts studies
Texte intégral
Introduction : revenir aux manuscrits
1Dans un article publié en 19671, Pierre Legendre développait une critique du récit traditionnel des étapes de l’histoire de la renaissance du droit qui fait d’Accurse le producteur d’une interprétation définitive des lois romaines. Il proposait de mener sur le corpus des glossateurs un travail critique appuyé sur l’analyse des manuscrits. Dans un passage de son article, il justifie la perspective méthodologique et scientifique qu’il appelle de ses vœux de la manière suivante :
Aucun dépassement de notre horizon ne peut se concevoir hors d’une étude poussée des manuscrits. Voici la vraie priorité de l’étude du droit médiéval : l’analyse des manuscrits ; sans ces travaux obscurs et pénibles il est vrai, il n’existe aucune chance de découvrir de solides liaisons, en dehors de tout verbalisme, avec d’autres disciplines.
2Afin de réintroduire une analyse de la circulation des textes et de leurs usages, Pierre Legendre proposait de privilégier l’étude des scripteurs et des utilisateurs de manuscrits juridiques et, partant de ces éléments, des mécanismes de leur sédimentation dans le temps long qui font succéder temps d’accumulation et moments de rationalisation – Pierre Legendre parle de simplification. Il s’agit de l’un des caractères des systèmes juridiques formés dans le mouvement de la Réforme de l’Église au XIIe siècle et que l’on retrouve dans les villes : par la gestion matérielle des corpus et par l’interprétation continue des lois et des statuts, ils intègrent la dynamique historique de leur développement. Pierre Legendre attirait effectivement l’attention sur l’importance qu’il convient de réserver au travail d’interprétation des textes qui constitue un élément de la force propre au droit2, l’innovation juridique et la technicité herméneutique résultant, dans une large mesure, de nécessités pratiques : apaisement de la conflictualité sociale, sécurisation des transactions et des contrats, mais également fonctionnement procédural du système judiciaire communautaire. À partir du XIIe siècle, la redécouverte des textes du droit romain3 a fécondé la pensée juridique4 et a favorisé, dans le Midi comme ailleurs, un mouvement de rédaction des coutumes5. Comme André Gouron l’a montré, dans un article désormais classique6, elle a accompagné un mouvement conjoint de structuration politique des communautés qui acquièrent un pouvoir législatif et statutaire façonnant « une conscience légale urbaine commune » (common urban legal consciousness)7, et transformant en profondeur la place que tient le droit dans l’organisation et l’exercice du pouvoir8. Citra vim habitas : c’est ainsi que Jean de Viterbe, au seuil de son Liber de regimine civitatum écrit à la mi-XIIIe siècle, caractérise la ville dans un célèbre jeu acronymique fondé sur le terme de civitas9. Ces mutations du droit s’accompagnent d’une invention terminologique remarquable qui a été l’objet de relevés ponctuels pour le Midi. Ils montrent en particulier des phénomènes de transfert de notions qui permettent de circonscrire, au plus près des nouvelles modalités d’exercice du pouvoir seigneurial, une sphère « publique » qui est peu à peu réglée par des normes particulières, objectivées dans des textes10.
3Si Pierre Legendre évoque avec le travail des glossateurs un domaine du droit éloigné des statuts, les propositions méthodologiques qu’il formule paraissent pertinentes pour aborder les textes du ius proprium. Elles invitent à envisager la matérialité des manuscrits comme un indice des modes d’insertion du droit dans le monde social et ménagent ainsi une voie d’accès concrète à la question anthropologique des rapports du droit et du social qui constitue l’un des enjeux majeurs d’une recherche consacrée aux statuts urbains de part et d’autre des Alpes11.
4Dans cette première étape de l’enquête, statuts et matière statutaire seront par conséquent saisis comme une question documentaire, celle de la construction par les « orfèvres du droit »12, au premier rang desquels figurent les notaires, d’un ordre des textes par lequel le ius proprium se constitue à la faveur de la mobilisation d’éléments disparates – coutumes, ordonnances, délibérations, privilèges…13 –, tout en ne demeurant que l’un des éléments d’un droit médiéval fondamentalement multiple et contradictoire14. Il apparaît ainsi possible d’interroger le degré d’autonomie du droit à partir de la forme des écrits juridiques et des mots qui les qualifient. Dans le rapport dialectique qui se noue entre normes et pratiques, règles et faits, l’écrit juridique objective l’usage, le sépare du contexte de sa formation15, et ouvre à un double travail d’exégèse et de fiction nécessaire à son efficience sociale16. Le détour par la matérialité des sources et par le langage de la norme doit permettre de comparer les processus pratiques de formalisation du droit au sein des communautés médiévales et de saisir la place occupée par ces massifs juridiques dans la morphogenèse documentaire des communautés médiévales17. L’enjeu n’est autre que de dégager, en-deçà de la dissymétrie des interprétations construites par des traditions diplomatiques et juridiques nationales consolidées depuis le XIXe siècle, un espace possible de déploiement d’un comparatisme franco-italien.
5L’enquête sur l’espace méridional – Languedoc et Provence – menée ici comporte trois étapes. Un premier volet, lexicographique, cherchera à préciser les mots par lesquels, dans le Midi, les contemporains puis la tradition historiographique désignent les textes de la « matière statutaire ». Je m’attacherai en particulier à voir si la catégorie « statutum / estatut » désigne un type de texte particulier. Un second volet traitera des questions de « codicologie » des statuts, c’est-à-dire des formes matérielles dans lesquelles le ius proprium s’incarne et se transmet au sein des communautés urbaines. Enfin, un dernier volet abordera la question du contenu de ces textes, des usages qui sont faits d’une matière textuelle urbaine juridiquement organisée, et des rapports que ces éléments touchant à la pragmatique des textes entretiennent avec l’organisation matérielle et sémantique des corpus du ius proprium.
Le statut et la coutume : histoire d’une distinction
6Dans la bibliographie sur le Midi, la fréquence de l’usage de la notion de statuts pour désigner les textes producteurs du ius proprium n’est pas spatialement homogène. À l’ouest, dans l’espace languedocien, cette notion sert généralement aux historiens et historiens du droit à désigner les textes qui régissent des métiers ou des communautés particulières, subordonnées18. Au niveau municipal, qu’il s’agisse d’organismes urbains ou ruraux, domine le terme de « coutume ». Dans l’inventaire de 1979 produit par Jean-Marie Carbasse, significativement intitulé « Bibliographie des coutumes méridionales », il faut ainsi se reporter à l’introduction pour constater que les statuts font partie du travail de recensement :
coutumes, privilèges et franchises [il faudrait ajouter pour compléter la liste les termes d’usages, de libertés, de privilèges et d’établissements] et même l’expression statuts municipaux sont imprécis et souvent équivalents, du point de vue du fond du droit : en effet ces textes, quelle que soit leur origine, peuvent tous contenir des dispositions de droit privé, municipal, et pénal ainsi que des règlements économiques ou de police19.
Une fluidité terminologique
7Chez les historiens du droit travaillant ou ayant travaillé sur le Languedoc, le choix du terme de « coutume » est justifié par l’indétermination du vocabulaire des médiévaux pour désigner ce type de textes. L’argument, qui n’explique pas notons-le la prévalence du terme de coutume, n’est en rien démenti par un retour aux manuscrits. La démonstration pourrait être faite à partir de mille exemples, mais c’est certainement dans l’exercice de traduction des « textes statutaires » du latin vers l’occitan, initié à la mi-XIIIe siècle, que l’on trouve les cas les plus frappants de cette fluidité terminologique. Un texte montpelliérain de 1336 est ainsi qualifié de statutum dans le texte latin, alors que la rubrique en occitan qui le coiffe emploie celui d’« establimens »20. Il s’agit pourtant de deux catégories de textes différentes dans l’organisation des corpus urbains de la ville à cette période21. Le terme d’« estatut » est toutefois courant en occitan dès le XIIIe siècle. Il est utilisé, en 1249, dans la traduction en vernaculaire d’un statut consulaire narbonnais : hoc statutum y est rendu par « et aquest estatut »22. Un second exemple, qui date de 1340, concerne l’analyse inscrite dans un inventaire des archives urbaines de l’acte de 1205 par lequel le ius statuendi a été concédé par le roi Pierre d’Aragon aux consuls de Montpellier23. Cette concession qui était énoncée dans la charte originale par la formule24 : habeatis plenam postestatem statuendi […] ea omnia que visa vobis fuerint pertinere ad utilitatem communitatis Montispessulani est rendue, en occitan dans l’inventaire par : « cossols puescon far et declarar […] franquezas, privilegis et establimens segon que lur sera vist ».
8Lorsqu’il rapporte l’existence d’un droit positif local au ius statuendi détenu par les rectores de la communauté, le rédacteur confond dans une même énumération franchises, privilèges et établissements.
9Faut-il pour autant conjecturer une complète fluidité des termes désignant les textes constitutifs du ius proprium ? C’est l’hypothèse que défend Jean Hilaire dans un article daté de 1990. Il dresse le constat d’un emploi conjoint des termes consuetudo, usatica, franchisia, libertas, statutum, privilegium, stabilimen (surtout sous la forme occitane d’« establimens ») dans les textes du Midi et en conclut :
[Cela] témoigne d’une bonne appréciation de l’origine diverse des éléments qui composent les textes coutumiers, mais on constate, en même temps, que tous ces termes sont parfaitement synonymes et utilisés les uns pour les autres. Ce qui nous conduit à penser que l’essentiel dans la représentation que les Méridionaux se font de la coutume est le sentiment de la liberté et la conscience d’une identité. Les privilèges chèrement acquis valent tout autant que les usages venus des anciens pour fonder un corps de droit dans lequel chacun peut se reconnaître ; la coutume comme signe et marque d’identité 25.
Usages différenciés des dénominations
10Il paraît pourtant souhaitable de contextualiser davantage l’emploi de ces différentes dénominations. Dans certains cas, l’indétermination terminologique permet aux acteurs d’évoquer, sans distinction, l’ensemble des textes formant le ius proprium, fondement de l’identité de la communauté urbaine. Mais il est des cas où les scripteurs font au contraire fonctionner une opposition des termes, soit dans les textes, soit dans les pratiques de classement des textes. Deux exemples peuvent être évoqués. Le premier concerne Toulouse. En 1206 est rédigé en deux exemplaires un « cartulaire » rassemblant les titres et libertés de la ville26. Ce dédoublement codicologique est lié à l’existence à Toulouse de deux consulats : l’un du bourg et l’autre de la cité. Soixante-douze actes sont transcrits sans que le notaire Guilhem Bernard, rédacteur des codices, n’opère de classement, sans doute parce qu’il ne voyait pas la nécessité de procéder à des distinctions typologiques. En revanche, à la fin du XIIIe siècle, dans un contexte de réorganisation des écritures communales27 et de formalisation juridique – la coutume de la ville est rédigée en 128628 –, une main a procédé à des annotations en marge des textes rassemblés dans le cartulaire, en distinguant :
instrumenta statuti
instrumenta ordinationis [règlements particuliers]
instrumenta redemptionis [rachat de droits féodaux]
instrumenta cognitionis [jugements]
instrumenta usatici [éléments coutumiers]
instrumenta venditionis [contrats]
instrumenta quitationis [accord avec les seigneurs ou les communes]29.
11Ces annotations témoignent incontestablement d’un plus grand formalisme juridique, certainement lié au travail préparatoire à la rédaction coutumière. Mais la distinction terminologique semble également être imputable à la gestion des problèmes rencontrés par les notaires dans les procédures d’enregistrement des textes formant le ius proprium. Un statut toulousain de 1227, inséré dans le cartulaire du bourg, insiste sur la difficulté d’enregistrer les stabilimenta, terme qui désigne les textes normatifs promulgués chaque année par les consuls :
Cum stabilimenta singulis annis a consulibus Tolosanis facta seu posita, propter incuriam aut negligentiam consulum et notariorum eorumdem, penes eosdem notarios inscripta remanerent neque in libris publicis scriberentur, immo oblivionis nebula tegerentur, ut si aliquis vel aliqui civium vel burgensium Tolosanorum ipsis stabilimentis indigeret, super eisdem stabilimentis nullum consilium reperiret ; propterea, cum thesauro stabilimentorum in civitate Tolosana et suburbio nichil preciosus habeatur, ne gemma stabilimentorum negligentie et oblivionis pedibus conculcetur, sed semper indigentibus irradiet et appareat fructuosa…30
12Transcrits dans des minutiers notariaux dont la conservation n’est pas centralisée, les stabilimenta échappent, jusqu’à 1227 et même au-delà, à l’enregistrement dans les livres publics. La catégorie ici distinguée recoupe dans les faits celle des statuta repérée dans les notes marginales du cartulaire. Le choix du terme de stabilimenta semble répondre à deux exigences : distinguer d’une part les textes issus d’une promulgation consulaire de ceux qui émanent d’une autre source ; garantir d’autre part, en choisissant un terme englobant, que les textes dénommés ordonnances de police par les historiens du droit suivent la même procédure d’enregistrement dans les livres publics.
13Deux remarques peuvent donc être formulées. On constate une grande fluidité dans l’usage du vocabulaire désignant les textes du ius proprium. Le terme de statutum ne désigne pas une catégorie de textes particuliers qui serait juridiquement ou typologiquement distincte et à propos de laquelle on pourrait proposer une définition stable. Mais cette fluidité du vocabulaire n’empêche pas des usages contrastés des termes dans certains contextes. Les distinctions terminologiques produites poursuivent alors un effet pratique qui peut dans certains cas reprendre des catégorisations savantes présentes dans des traités contemporains31. Même lorsque le terme de statut sert à distinguer certains textes d’autres écrits normatifs, il apparaît impossible d’en donner une définition constante. Son usage permettait en revanche de construire des oppositions au sein des textes ius proprium, en distinguant en particulier des normes qui découlent moins du consentement communautaire32 et de la diuturnitas33 que de la capacité législative des institutions qui les édictent, au premier rang desquelles figurent les autorités municipales. Il est alors employé en opposition à consuetudo, à usus voire à mos34, avec pour équivalent le terme de lex. Citons un exemple. Dans l’acte de 1258, par lequel Jacques Ier d’Aragon confirme article par article les coutumes de Montpellier de 1204-1205, ainsi que les statuts promulgués entre 1212 et 1244, on lit : dictas consuetudines [coutumes de 1204-1205] et leges municipales [statuts de 1212-1244] et ville libertates et bonos usos, auctoritate regia confirmamus35. La traduction en occitan réalisée très peu de temps après la rédaction du texte reprend très exactement les termes latins : « las dichas costumas, e leys municipals e libertastz e bon uzes de la dicha villa »36.
14L’usage du terme statut semble également notifier une portée circonscrite de la norme, par rapport à d’autres textes plus généraux. Cette nuance explique sans doute que le terme soit quasi exclusivement employé pour désigner les normes appliquées à des groupes particuliers au sein de la ville : métiers, confréries, institutions para-consulaires, etc. Il est alors souvent concurrencé par le terme d’établissement, en particulier sous sa forme occitane.
15Enfin, si les termes libertas, franchisia et privilegium sont choisis lorsque le scripteur entend désigner le droit de la communauté de manière générale, il semble que le terme statut ne soit jamais employé dans ce sens inclusif. Ainsi, lorsque les consuls de Millau du début du XIVe siècle, lors de leur entrée en charge, s’engagent par serment à respecter les textes constitutifs de l’identité juridique et politique de la ville, le terme de statut est absent de l’énumération :
Ayso los capitols que juro los senhors cossols el tems que son elegits dins la gleia mage de Nostra Dona de l’Espinassa de Melhau : « Et permieiramen vos gardares, defendres, et mantenres aitant cant poires de vostre bon poder los priviletges et las costetucio [qui sont, en 1339, qualifiées de “constitucios, ordounansas et stabillimens”] et costumas et totas altras libertats et franquesas d’esta viala et del cossolat et del comunal »37.
16Plus à l’est, dans la basse vallée du Rhône et en Provence, le terme de statut est plus fréquent, sans qu’il soit possible, en l’état des travaux, de cartographier avec précision ces usages lexicaux. Philippe Bernardi et Didier Boisseuil ont dressé un constat convergent au début de l’article qu’ils ont consacré aux Statuts de Méthamis38 rédigés en 138039. Statutum est le terme usuel habituel pour désigner les textes constitutifs du ius proprium, en milieu urbain comme rural, et ce quel que soit le niveau d’organisation du monde social local auquel les normes se rapportent. On pourrait multiplier à l’envi les citations concernant des communes de taille diverses comme Bagnols-sur-Cèze40, Avignon41, Arles42, ou bien encore Marseille43. Au seuil des textes, généralement dans un préambule liant droit et bon gouvernement de la communauté44, apparaît la qualification de statuts pour désigner les textes qui suivent. On rencontre parfois, comme dans le cas de Bagnols, une locution dans laquelle statut est complété d’autres mots – ici celui d’ordinatio – sans que la distinction ne produise d’effet sur l’ordre de successions des items.
17La désignation par le terme statutum des textes portant les règles qui encadrent l’exercice des métiers semble présenter, dans le Midi, une situation contrastée. Si à Toulouse, les textes rassemblés sont nommés statutum/a dans les rubriques des registres rédigées par les notaires45, ils prennent à Montpellier, où ils sont conversés par une simple inscription dans les minutiers des notaires du consulat46, la forme d’ordonnances consulaires ou de conventions passées47 entre les autorités municipales et les représentants des caritats professionnelles48. Dans cette ville, les métiers sont, il est vrai très étroitement contrôlés par les pouvoirs municipaux49. À Marseille, considérés comme des statuta, ils sont mêlés à la matière statutaire municipale50. On rencontre également des cas dans lesquels les choix lexicaux sont plus complexes et ne peuvent être compris que par une analyse minutieuse de la production et de la circulation des textes. Les statuts des fustiers d’Avignon étudiés par Philippe Bernardi et Nicolas Leroy offrent de ce point de vue un exemple frappant. Trois articles réglementant le métier ont été insérés dans les statuts municipaux d’Avignon rédigés c. 1247. Une deuxième version de ces règles, intitulée « consuetudines » a été conservée sous la forme d’une rédaction plus ample, datée du 15 juillet 1247, comprenant neuf articles. Une dernière version augmentée de deux articles a été rédigée en mai 126551. Les deux dernières formes que prend la réglementation du métier et que les rédacteurs placent sous le vocable de coutume « s’inscrivent pour partie dans le prolongement des articles communaux qu’ils développent »52 qui sont quant à eux dénommés statuta. La coutume professionnelle fixée à partir de la mi-XIIIe siècle constitue donc une norme qui s’articule avec les statuts généraux. Au-delà d’une interprétation étroitement juridique des usages lexicaux, la structuration documentaire et les modes de dénomination des textes, dans le cas avignonnais, renvoient aux enjeux politiques liés à la place qu’occupent les métiers dans l’organisation du pouvoir communal.
18La partie orientale du Midi présente également de beaux exemples d’interaction documentaire entre statuts communaux et statuts provinciaux, comme Valérie Theis a pu le montrer pour le Comtat Venaissin. Les normes circulent très largement entre les différents niveaux de l’espace du pouvoir. Dans cette dynamique, l’affirmation des pouvoirs supérieurs s’accompagne du maintien d’« une très grande sensibilité […] aux spécificités de la vie politique locale ». Cette circulation verticale des normes produit également une convergence des pratiques d’écriture du droit dont témoignent l’attrait du lexique romanisant, comme l’usage commun du terme de statutum pour désigner les textes du ius proprium.
Le roi, le juriste et le statut au XVIe siècle : les origines d’une tradition historiographique
19Au-delà des traditions lexicales des médiévaux, on constate également une certaine réticence, dans la tradition juridique française construite à partir du XVIe siècle, à user du terme de statut pour désigner le droit des communautés rurales et urbaines. Elle paraît principalement découler de la contrainte que fait peser la notion de coutume sur l’étude du ius proprium des communautés. Cette contrainte est liée à la prépondérance de l’État monarchique dans l’histoire du droit français et au mouvement d’unification juridique que son affirmation engendre. L’opposition de la loi à la coutume résulte du rejeu, dans le domaine du droit, d’un Grand partage dont le l’origine date du XVIIIe siècle. Mais dès la période de rédaction des coutumes en France, ouverte par l’ordonnance de Charles VII de Montils-lès-Tours en 1454 qui poursuivait le dessein d’ôter « toutes manières de variations et de contrariétés » dans les coutumes du royaume, apparaît chez certains juristes, au premier rang desquels figure Guy Coquille († 1603), une distinction essentielle entre la coutume, expression du droit civil français, et les statuts italiens. Il en allait de la cohérence de l’ordre juridique monarchique français comme en témoigne l’extrait suivant :
Le peuple de chacune province a droit d’établir loi sur soi : qui sont les coûtumes & droit non écrit. Car nos prédecesseurs plus adonnez à faire & bien faire, qu’à écrire et dire, n’ont fait de leurs loix par écrit ; mais par long usage les ont admises & reçûes, pour régler toutes leurs actions. Le roi Charles VII, voyant que la preuve qui en étoit à faire par turbes, apportoit beaucoup de perplexitez, incommoditez & frais, ordonna que par l’avis des États de chacune Province de son royaume, les coûtumes fussent arrêtées & rédigées par écrit. Ce qui a été executé en la plupart des Provinces coûtumieres […] C’est le peuple qui fait la loi […] car faire la loi est droit de souveraineté […] Chaque province a ses mœurs & humeurs diverses et partant les loix, comme elles ne sont semblables, aussi doivent-elles être faites selon le goût & sens de chacun peuple. Aussi la suprême souveraineté du roi y est reconnuë, en ce que les États sont assemblez par l’autorité du roi, et les commissaires députez par lui y président. Doncques nos coûtumes sont nôtre vrai droit civil ; selon que les docteurs italiens ont voulu regler leurs statuts, qu’ils ont dit être de droit étroit & y ont fait une infinité de regles, distinctions & décisions, qui sont vrais alembics à cerveaux sans resolution certaines. Et d’aucuns Docteurs françois, par la trop grande facilité qui est en plusieurs de nous, d’amirer ce qui est étranger, ont tenu pour choses semblables les statuts & nos coûtumes53.
20On trouve dans ce texte plusieurs éléments remarquables. Un usage, tout d’abord, de la notion de coutume qui qualifie un droit adapté à la diversité des provinces et des pratiques locales. Un maniement ensuite de cette même notion qui permet une naturalisation du droit et la légitimation ab ovo d’un ordre monarchique féodo-national fondé sur le consensus. La coutume est présentée en effet comme une « sécrétion naturelle » populaire, selon le schéma ubi societas ibi ius, ce qui laisse tout de même dubitatif lorsque l’on regarde de près les usages du terme consuetudo / consuetudines au XIe siècle54. De même, un examen attentif du travail de rédaction des coutumes montre le rôle prépondérant joué par les élites – seigneurs, élites urbaines, puis officiers royaux au XVIe siècle – dans ce processus complexe55. La coutume est également utilisée par Guy Coquille comme source de différenciation des sociétés humaines, dont la postérité passe par Friedrich Carl von Savigny et Henri Klimrath56 et se poursuit plus tard dans les travaux de François Olivier-Martin57. Elle façonne encore profondément le célèbre article qu’Emmanuel Le Roy Ladurie a consacré, en 1972, au système de la coutume58. Enfin, et cela importe davantage, Guy Coquille fait un usage de la notion de coutume pour suturer l’ordre juridique ancien à celui mis en place par le pouvoir monarchique. Son discours charrie tout à la fois la disparition historiographique des statuts côté français et leur relégation comme un droit de seconde zone dans la tradition romaniste italienne. Dans les deux cas, l’appréciation des formes juridiques médiévales alimentent un discours finalisé sur l’État moderne européen.
21On peut tenter de remonter plus avant dans l’histoire française de l’usage de la notion de coutume. Dans son commentaire des coutumes de Toulouse, rédigé en 1296, le juriste Arnaud Arpadelle rappelle les critères de diuturnitas et de consensus au fondement de la coutume : consuetudo est usus longissimo tempore assiduis actibus hominum approbatus59.
22Puis, par « révérence au texte romain », il reprend la notion de ius non scriptum, ce qui le conduit à se demander comment classer les coutumes de Toulouse. Il conviendrait, selon lui, de les appeler statuta ou lex civitatis. Mais, précise-t-il, comme le roi les nomme coutumes et qu’il fait la loi dans le royaume, il faut préférer ce terme60, ce qui n’empêche nullement son propre texte de contenir, en plusieurs passages, l’expression consuetudo seu statutum.
23Dans le cadre monarchique français, le terme coutume ne renvoie donc pas simplement à l’enregistrement d’un ordre juridique déjà-là mais à une hiérarchie des normes qui se met en place après la Croisade albigeoise. Il semble que du côté provençal, l’évolution soit sensiblement différente et que l’affirmation du pouvoir angevin ne débouche pas sur la raréfaction de l’usage du terme de statutum. L’enquête terminologique mérite d’être poursuivie. La divergence est sans doute imputable au rattachement tardif (1481) de la Provence à la France. Il conviendrait dès lors de décrire les voies par lesquelles l’usage du terme statutum demeure prépondérant, côté provençal.
Les formes documentaires du ius proprium
Production documentaire et élaboration du ius proprium
24Le Midi de la France est dépourvu, à de rares exceptions près, de libri statutorum, c’est-à-dire de livres qui rassemblent des textes qualifiés de statuts61. Ce constat n’est pas vraiment étonnant si l’on tient compte de la fluidité terminologique de la désignation des différents textes formant le ius proprium ; elle ruine par avance toute idée de rassemblement typologiquement homogène. Si quelques libri statutorum sont confectionnés en Provence62, ce qui témoigne comme pour les pratiques lexicales d’une proximité avec l’Italie plus forte que pour la partie occidentale du Midi, les sources du ius proprium demeurent, au XIIIe siècle, très diverses et le droit se construit très largement par une sédimentation pragmatique de textes produits et hérités.
25Parmi les quelques exceptions notables figurent une série de onze registres toulousains contenant les statuts des corps de métiers, couvrant la période allant de 1270 à la Révolution française. Le premier a été rédigé en 132563. Il reprend une bonne partie des textes promulgués par les capitouls depuis 1270 qui régissent l’exercice de dix-neuf métiers urbains. Ces vingt-sept statuts au total ne constituent pas l’intégralité de la matière promulguée, comme le prouve la conservation de certains, absents du registre64. Ils étaient normalement enregistrés par le notaire rédacteur qui ensuite grossoyait l’acte pour l’expédier au bayle et au consul du métier. Mais à Toulouse la volonté de centralisation documentaire conduit à la copie des statuts de métiers dans un livre public gardé à l’hôtel de ville.
26Si l’écriture et la conservation de statuts lato sensu suit le même processus de Verschriftlichung que celui mis en évidence par les travaux de l’équipe de Hagen Keller à propos de l’Italie centro-septentrionale65, elles ne semblent pas emprunter des voies identiques, même si la culture notariale d’une part, et le poids de l’héritage tardo-antique d’autre part, qui ont promu le corpus et le codex en formes d’organisation intellectuelle et matérielle du savoir et du droit, sont largement partagés dans l’ensemble de l’espace méditerranéen66.
27Les formes matérielles d’enregistrement des normes possèdent certains éléments communs. Le premier est leur variété diplomatique, codicologique et archivistique. Cette variété formelle reflète dans une large mesure les mécanismes eux-mêmes divers de formation du ius proprium, dans des contextes institutionnels communaux variés, tant en ce qui concerne l’organisation constitutionnelle du gouvernement que son rapport avec les pouvoirs supérieurs : seigneuriaux, comtaux, royaux et impériaux. Ces évolutions globales sont scandées par les grandes phases de l’histoire politique. 1183 pour l’Italie67, 1251-1252 pour la Provence68, 1249 pour le comté de Toulouse, 1258 et 1349 pour la seigneurie de Montpellier69 sont des moments de bascule importants, de quête ou de réduction de l’autonomie dont les communautés jouissent de jure ou de facto, ce qui entraîne des changements dans les modalités de formation, de désignation et de conservation du ius proprium. Mais, dans ce cadre général, vient se loger la multitude des situations locales, que seule une mise en contexte spécifique rend compréhensible.
L’exemple du rotulus de Thézan
28Ainsi, en 1267 à Thézan, castrum de l’Hérault situé à une dizaine de kilomètres au Nord-Ouest de Béziers70, le contrôle de la seigneurie passe des mains des seigneurs éponymes à celles de la famille Lévis de Mirepoix. En 1300, elle est vendue au seigneur de Saint-Giniès71 et, en 1301, les habitants de Thézan rachètent pour 220 livres les droits seigneuriaux, avant qu’ils ne reviennent à Philippe le Bel par prélation. En 1363, dans le contexte de la guerre, Jean II le Bon cède pour quatre années la seigneurie à Henri de Trastamare. Un représentant du comte, Gomes Garcia, est amené à jurer sur les « franchises et libertés » de Thézan :
Gomes Garcia, nomine quo supra et in personam domini sui predicti, ad instantem et supplicationem et requestam consulum et aliorum singulorum predictorum loci et ville supradicte, juravit, tenendo continue manus suas super sancta dei quatuor Evangelia, quod ipse ex potestate sibi per dictum comitem atributa, concedet et confirmabit et etiam observabit, idemque de presenti concessit et confirmavit ac observari faciet omnia privilegia et libertates in quodam papiri rotulo in pleno contentas et expressatas, cujus quidem rotuli tenor talis est : « Aysso son las franquesas et libertats que an accostumat eser las gens de Theza, en lo tems de Mirapeys et après en lo tems que an estat dejost lo rey, de lasqualas non es memoria encontra… »72.
29Suivent vingt-deux articles qui concernent à la fois l’organisation institutionnelle du consulat, les champs de compétence gouvernementaux des consuls – en particulier le domaine des nominations –, et les privilèges économiques et fiscaux de l’universitas.
30Les normes rassemblées résultent à la fois de décisions édictées par les consuls, d’usages sanctionnés par le temps et d’accords passés avec le seigneur. Chacune a sans doute donné lieu à une forme d’enregistrement spécifique, que nous ignorons, faute d’archives conservées. C’est l’événement de 1363 qui conduit à une mise en corpus de ces normes sur un rouleau (rotulus), ainsi qu’à leur légitimation par la concession comtale que le serment de Gomes Garcia confirme. Mais, la situation de 1363 conduit également à l’assimilation de l’ensemble normatif rassemblé à des coutumes, comme en témoigne l’anaphore qui ouvre les articles : « Item an accostumat que ». Le rouleau support du serment promissoire vient recouvrir l’histoire antérieure de la formation de chacune des normes évoquées73.
31Au cours du XIIIe siècle, on assiste donc, dans l’ensemble de l’espace méridional, à un rassemblement progressif des textes que les historiens de Münster ont qualifié de Textbestand74. La vigueur du mouvement de mise en corpus des normes semble être déterminée par trois variables principales : le degré d’urbanisation – il faut entendre par-là le degré de maturation des cultures juridique et notariale –, l’autonomie des communautés, et leur degré de reconnaissance en tant que communautés de droit. La constitution de recueils ou de corpus de part et d’autre des Alpes se traduit à la fois par la formation de textes constitués d’articles (capitula) mis en série75 et par leur rassemblement au sein de codices, qui sont, dans le Midi, très majoritairement composites : ils ne rassemblent pas que des statuts stricto sensu.
Hétéronomie juridique et livres composites
32Les livres rassemblant les textes du ius proprium ont dans le Midi une qualité remarquable : il n’existe pas de dissociation matérielle entre libri iurium et libri statutorum. Cet état des choses résulte à la fois d’une autonomie politique moindre des communautés et d’un processus de bureaucratisation plus tardif qui se produit dans une large mesure sous l’égide royale – en tout cas pour le Languedoc – et laisse par conséquent peu de place à une assimilation du ius proprium à un ensemble de normes émanant de l’exercice autonome du pouvoir de la communauté, comme l’emploi du terme de statut au sens strict le notifie.
33On constate par conséquent la production de codices qui rassemblent les textes du ius proprium, parmi d’autres, sans que les distinctions opérées au sein de ces ensembles entre les différents types de textes – privilèges, coutumes, statuts, établissements, ordonnances, etc. – ne s’avèrent opératoires et ne relèvent, lorsqu’elles existent pour partie, d’un strict formalisme juridique. On pourrait multiplier les études de cas qui étayent ce constat de portée générale. Le Livre blanc de Toulouse76, les thalami de Narbonne77 et de Montpellier, le cartulaire de la ville de Manosque78, les cartulaires-registres de Perpignan79, le Livre enchaîné de Nice80 etc. ont en commun cette hétérogénéité.
34Mais le travail sur les éditions disponibles induit souvent des erreurs d’interprétation. Les éditeurs, comme le fit Régine Pernoud pour Marseille81 ou plus récemment Michel Maréchal et Jacques Poumarède pour Saint-Sever82, ont souvent fait le choix de toiletter le contenu des éditions, pour retirer les actes qui venaient en contradiction avec l’uniformité typologique et juridique du volume. Suppression d’actes diplomatiques émanant des autorités pour Marseille qui sont pourtant présents avec les statuts, suppression des établissements pour Saint-Sever qui font suite à la version de la coutume datée du XIVe siècle. Un second écueil peut être mentionné. Il résulte de l’application partielle des règles de la philologie bédiériste suivies par les éditeurs83. Ces derniers choisissent un manuscrit de référence, considéré comme le meilleur, et se préoccupent peu de la richesse et de la complexité de la tradition manuscrite des textes édités. Si ces entreprises d’éditions ont contribué de manière décisive à la disponibilité des textes du ius proprium, elles ont également souvent renforcé l’absence de prise en compte de leur évolution et de la présence simultanée, dans un même espace, de plusieurs versions d’un même texte normatif, présence démultipliée nécessaire à l’efficacité pratique du droit.
35Comme nous avons pu le voir, la taxonomie utilisée par les rédacteurs pour désigner ces textes ne relève pas d’un strict formalisme juridique et l’organisation du corpus des normes à Montpellier est de ce point de vue très instructif. Lors des premières étapes du rassemblement des textes en latin dans des livres rédigés vers 1240, les statuts promulgués de 1212 à 1244 par les autorités consulaires font suite aux coutumes de 1204-1205, sans véritable solution de continuité. Avec nouvel équilibre politique établi entre le roi et la ville en 125884, les textes sont traduits en occitan et le corpus normatif réorganisé en trois groupes. Deux groupes canonisés – la coutume et les statuts – et un groupe ouvert, mouvant, mis à jour – les establimens. Mais ni dans le processus de formation de la norme, ni dans le domaine de compétence couvert, les establimens ne différent des statuts de la période précédente. D’ailleurs, lorsque la version latine promulguée demeure accessible, on constate que les notaires continuent d’employer couramment le terme statutum pour qualifier ces textes. C’est donc bien la confirmation royale qui produit une canonisation d’une partie du corpus, sur laquelle viennent se greffer des distinctions terminologiques.
Formes documentaires du ius proprium et vie juridique des communautés
Le livre, le droit et l’office
36Des enjeux communs à la rédaction de ces textes dans les espaces situés de part et d’autre des Alpes peuvent être identifiés. Le premier est celui de la définition et du fonctionnement de l’officium des rectores de la communauté85. Il s’agit de la part constitutionnelle du ius proprium qui règle les rapports entre communauté politique et gouvernants et dessine l’architecture institutionnelle de la cité. La question du rapport entre ius proprium et serment / breve est de ce point de vue fondamentale86, à l’image des usages génois et pisans de l’engagement juré qui permettait de solenniser et de fixer les relations de pouvoir au sein de la commune. Ces textes constituaient le support d’une relation réciproque, les consuls et les magistrats s’engageant, par serment, à servir les intérêts de l’universitas, tandis que les gouvernés eux-mêmes, dans le cadre de leur métier ou de l’exercice de leurs droits civiques, prêtaient serment aux consuls. Ce lien est plus ou moins explicitement évoqué dans des textes juridiques, proches des praticiens, circulant dans le Midi. Au XIIIe siècle, les Excerpta de verbis quibusdam legalibus définissent ainsi au 64e paragraphe la notion d’officium de la manière suivante : officium est actus congruus uniuscuiusque personae secundum mores et instituta civitatis87.
37Il est par conséquent nécessaire de disposer de recueils qui récapitulent la teneur institutionnelle de l’engagement, formée de décisions prises ponctuellement – les Einzelsatzungen de l’historiographie allemande – et dont l’éparpillement affaiblit la force du lien juridique qui relie le rector avec la communauté88. Bien que l’expérience du podestat soit limitée à la Provence du côté français des Alpes89, on observe une chronologie sensiblement convergente dans l’espace du Midi de la France. Les recueils apparaissent dès la décennie 1230 et ils manifestent une première autonomisation d’une sphère administrative dans des villes désormais soumises à un système de pouvoir fondé sur l’utilitas communis, dont l’objectif rend nécessaire l’adoption et le rassemblement de nouvelles règles.
38Ce travail de mise en corpus s’accompagne à la fois d’un effacement du contexte de promulgation des normes – ce qui couramment conduit les médiévistes à déplorer l’absence de datation des prescriptions insérées dans ces corpus – et d’un renforcement du découpage de la matière textuelle en liste d’articles qui ouvre la voie non seulement aux examens articulatim des normes, mais également aux processus de reclassement de la matière statutaire et à sa circulation spatiale sous forme d’articles ou de séries d’articles associables et dissociables. Il en est ainsi de la circulation des normes entre les « coutumes » de Narbonne, de Carcassonne et de Montpellier : elle met à profit ce découpage en articles qui permet reprise, délaissement et adaptation90.
39Le processus d’effacement de l’origine de la norme et son démembrement en articles sont généralement difficiles à saisir, par manque de documents. Un exemple montpelliérain éclaire toutefois ce mécanisme. Les archives de la ville conservent en effet la copie de la promulgation, le 6 janvier 1236 (n. st.), d’un statut dont les articles ont ensuite été dissociés et la date de promulgation effacée91. Dans sa forme latine originale92, le texte est en effet doté d’un apparat diplomatique succinct – dispositif et eschatocole – qui précise les conditions de sa promulgation. Mais l’insertion de la teneur du texte dans le corpus des établissements de la ville, dans les années 1260-1270, conduit à la dissociation des trois dispositions qui concernent il est vrai des questions fort différentes93. L’unité des trois statuts lors de la promulgation initiale apparaît alors comme un trait contingent, lié à leur origine commune, au fait qu’ils procédaient tous trois d’une décision arrêtée au cours d’une même séance du conseil de la ville. Elle a été effacée devant les exigences nées du travail d’assemblage du corpus normatif urbain. Outre leur traduction en occitan, les textes ont été dotés de titres et les notaires les ont reclassés thématiquement, à côté d’autres dispositions du ius proprium concernant des questions proches. Après 1270, ils sont connus sous les dénominations suivantes :
Establimen que femena menor de .xxv. ans per maridar se puesca far divizion de sos bens […]
Establiment d’omes joves menres de .xxv. ans […]
Que hom non sia citastz en cauza criminal o civil foras de Montpeylier.
40On retrouve donc, en Italie comme dans le Midi, une convergence des pratiques utilisées pour produire des corpus à partir de textes isolés. Mais on ne repère que rarement dans le Midi94 la mise en place d’une procédure de révision des textes sous une forme aussi institutionnellement définie qu’en Italie, où le codex devient le support matériel d’un travail d’adaptation de la norme par alluvionnement puis, à échéances régulières, par réécriture. L’instabilité de la norme locale, que Boncompagno da Signa avait soulignée dans sa Rhetorica novissima95, conduit à une organisation des corpus – lorsqu’ils existent – qui demeure beaucoup plus dépendante de la diversité des pratiques concrètes. On ne peut qu’être frappé, en particulier, par le nombre de textes promulgués qui, conservés sous forme de minutes ou d’actes grossoyés, n’entrent jamais dans les corpus livresques.
Le livre, la communauté de droit et le serment
41Un second point concernant la forme même des livres méridionaux paraît remarquable. Il s’agit du maintien d’un lien étroit avec le serment. Il existe dans le Midi des livres que l’historiographie qualifie de juratoires et qui ont bénéficié encore récemment d’une attention particulière96. Si la catégorie paraît difficilement acceptable en l’état, elle a cependant l’avantage d’indiquer que ces codices étaient utilisés comme support et objet du serment des officiers lors de leur entrée en charge. La chose est connue par de nombreux témoignages iconographiques, savants, narratifs, et diplomatiques. Leur caractère juratoire est confirmé par l’usure de la première page sur laquelle on posait la main ainsi que par la présence, sur les premiers feuillets, d’extraits des évangiles ou du Te igitur qui ouvrait le canon de la messe. Henri Gilles a rassemblé un premier corpus qu’il a présenté dans un article daté de 199697. Il comprenait :
1) le livre juratoire des consuls d’Agen98
2) le livre juratoire de Beaumont-de-Lomagne99
3) celui de Castelnaudary100
4) celui de Limoux101
5) le Te igitur de Cahors102
6) le livre des serments de Montauban103
7-10) certains thalami de Narbonne104
11) le Libre ferrat de Cordes105
12) et le Livre de la charte de Moissac106.
42Que contiennent ces livres ? Henri Gilles écrit à ce sujet :
Le livre juratoire comporte en général une copie des coutumes de la cité. Tout simplement parce que ce document est l’acte fondateur des libertés reconnues aux citoyens. […] Le livre juratoire renferme également des textes aussi fondateurs pour la ville que les lettres royales octroyant des privilèges ou les confirmant. […] Trois autres catégories de documents ont trouvé place dans ces livres juratoires : des documents fiscaux (Narbonne a un leudaire, Montauban une « forme du lever des tailles » et Moissac « la levée des quêtes annuelles ») ; des statuts consulaires qui témoignent de l’activité réglementaire des consuls et des sentences judiciaires ou arbitrales, considérées comme fondant le droit municipal sur un point déterminé107.
43S’il existe bien dans les villes du Midi, à partir de 1230-1240, une tendance à rassembler les corpus normatifs dans des livres, l’analyse matérielle de ces derniers montre que les statuts stricto sensu ne jouissent pas d’un traitement spécifique. Ils sont regroupés avec les autres textes producteurs du ius proprium dans des volumes assez composites. Cette forme codicologique traduit de manière documentaire la diversité des mécanismes de production du droit108 dans un contexte de libertés urbaines relatives. Ce constat a conduit Michel Hébert, dans l’article récent qu’il a consacré à Tarascon, à souligner le travail de l’ombre accompli par les scripteurs locaux, qui en compilant des documents hétérogènes dans une visée d’efficience administrative, contribuent indirectement à la fixation du ius proprium109. Et lorsque des distinctions terminologiques plus précises servent à désigner les classements des textes, elles ne relèvent pas d’un strict formalisme juridique. Le maintien du lien pratique avec le serment rappelle d’ailleurs que le contenu des livres règle le rapport des gouvernants avec la communauté et donne un contenu précis aux notions de commun profit ou d’utilitas communis sans cesse évoquées. La communauté faisant corps est définie par des rapports de droit et symbolisée par ces livres.
Domaines du droit, organisation des corpus
44Lorsque Henri Gilles parle des « libertés des citoyens », il évoque un terme couramment utilisé pour désigner l’ensemble des droits exercés par ou au nom de la communauté parmi lesquels figure le pouvoir normatif. Nicolas Leroy a remarqué que dès 1206, à Avignon, la confirmation du consulat par Guilhem II de Forcalquier se traduit par la reconnaissance de la iurisdictio et de la libertas que possèdent les consuls110. Les deux termes sont de nouveau repris dans les statuts de 1247-1248. Dans un article récent, il souligne le déséquilibre de la réflexion consacrée par les juristes aux deux termes ici accolés111. Si la iurisdictio nous conduit112, via la production savante des canonistes, vers l’administratio et finalement vers la question des conditions d’exercice approprié du pouvoir gouvernemental113, le terme de libertas, pourtant omniprésent depuis l’époque grégorienne, a été l’objet d’un travail moins systématique. En s’appuyant sur un passage du Cedrus de Boncompagno da Signa114, Nicolas Leroy montre qu’il peut signifier, comme le terme de iurisdictio, la capacité législative d’une communauté et, de ce fait, son autonomie au moins relative. Mais libertas désigne aussi, dans un sens plus étroit, le privilège de nature fiscale.
45Or, dans l’organisation documentaire des textes normatifs, des éléments que nous distinguerions volontiers avec nos yeux de modernes demeurent largement enchevêtrés. Il s’agit des privilèges économiques et fiscaux qui procèdent d’une régulation des relations avec les seigneurs et le pouvoir monarchique, des normes concernant le droit privé, ainsi que des prescriptions constitutionnelles et règles institutionnelles qui déterminent le fonctionnement du gouvernement des communautés. L’histoire du terme de consuetudo nous conduit sur la même voie. Aux XIe-XIIe siècles, il sert à désigner les prélèvements opérés dans le rapport de domination féodale, puis les accords trouvés pour le faire sortir de l’arbitraire115.
46Aussi n’est-il pas étonnant que les privilèges concédés et négociés, mais aussi les leudaires, tarifs des boucheries et du pain et autres documents liés au prélèvement direct – en particulier le comu116 – soient présents dans les livres urbains avec les textes normatifs et parfois même au milieu d’eux. La fiscalité directe ne joue-t-elle pas un rôle central dans la définition du lien politique de citoyenneté comme dans la recherche souvent conflictuelle d’un équilibre des contributions garantissant le « commun profit » ?
47Les « statuts » d’Agen de 1248, rédigés suite à des troubles de nature fiscale dans la ville, font ainsi succéder à des articles concernant la répartition de la contribution, des articles de nature nettement constitutionnelle117. Tous sont replacés, dans le préambule du texte, dans une unique perspective : la préservation de la paix et du bien commun. À Millau, le livre qui regroupait les textes normatifs est dénommé Livre de l’épervier118, et une grande partie de ses feuillets est occupée par la question des droits de péages perçus au XIVe siècle au vieux pont de la ville. On lit dans un passage de ce document :
Item volhem, transhigem et amigablamen accordam […] que le noble et tres hault senhor et rey de totz los aussels de trastota cassa, so es assaber mossor lo sparvier, que el, comma rey et noble que ez, et per la granda et tres sancta noblessa et senhoria que ez en el, et que el sia et heser el deja quiti de totes los sobres digs pezatges.
48L’épervier est donc symbole de privilège et de liberté. Il ne verse pas de droit de péage au pont de Millau et les établissements et coutumes qui sont copiés dans le livre se trouvent de fait rangés sous ce symbole de liberté fiscale. Mais dans le formulaire du serment des consuls en usage au XIVe siècle, copié dans le volume, il est stipulé :
Et permieiremen vos garderes, defendres et mantenres aitant cant poires de vostre bon poder los priviletges et las costetucios et costumas et totas altras libertats et franquesas d’esta viala et del cossolat et del comunal119.
49On retrouve ici, les différentes parts entrant dans la formation de ces corpus : la part constitutionnelle, la part formée par le droit privé et celle liée aux questions économiques – commerciales et fiscales –, auxquelles s’ajoute la réglementation des usages de l’espace commun. Il est d’ailleurs notable que le troisième article du serment concerne l’exigence de défense des communs entendus comme le patrimoine de l’universitas :
Et garderes et deffendres los patus et la mayo comunial, et l’aiga de Vezobias an lurs pertenentias, et las caritatz que so gardadoiras als cossolz, coma so Sanct Marc, l’Asencio…
50La profusion de la matière statutaire explique la grande difficulté rencontrée par les médiévistes qui ont travaillé sur ces questions, particulièrement lorsqu’il s’est agi de repérer les textes. C’est le constat dressé en dernier lieu par Philippe Bernardi120, lorsqu’il présente le premier bilan du travail qu’il a initié avec des collègues des Archives départementales, concernant les statuts du Vaucluse. Les inventaires Gouron-Terrin et Carbasse ne recensent que les textes publiés, souvent au XIXe siècle. Les sondages effectués par Philippe Bernardi, Henri Michon et Catherine Poirson pour une partie de la Provence, et ceux réalisés dans le cadre du programme toulousain dirigé par Maurice Berthe et Mireille Mousnier, pour la partie plus occidentale du Midi, laissent songeurs quant à la représentativité des textes édités auxquels renvoient les inventaires121. Quelques 700 documents ont été repérés pour le seul Vaucluse et les résultats partiels disponibles pour le Toulousain donne le tournis : alors que l’inventaire de Jean-Marie Carbasse, sur l’ensemble du Midi, dénombrait un peu plus de 800 textes, les investigations complémentaires réalisées sur l’arrondissement de Millau, puis sur le Tarn-et-Garonne, le Lot et le Tarn ont permis de dresser le catalogue de 1105 textes répondant à une définition liminaire il est vrai très large. Rien que pour la ville de Cahors, 143 textes couvrant la période 1203-1574 ont été retrouvés, 30 pour le XIIIe, 72 pour le XIVe et 24 pour le XVe siècle. Maurice Berthe notait d’ailleurs que les entreprises visant l’exhaustivité avaient été des échecs avant que le programme qu’il avait lui-même initié ne succombe à la malédiction, à cause de l’absence d’évidence codicologique et de la fluidité terminologique qui conduisent irrémédiablement à la perte de toute perspective comparatiste si l’on entend la mener suivant de strictes catégories juridiques.
Conclusion : matérialité des textes et espace du comparatisme
51Au terme de ce tour d’horizon, certains caractères propres au ius proprium dans le Midi de la France, à son histoire documentaire et textuelle, ainsi qu’à sa réception progressive au sein d’une tradition juridique gallicane peuvent être dégagés. Le vocabulaire employé pour désigner les textes constitutifs du droit liés à l’organisation politique, sociale et économique des communautés se caractérise, tout d’abord, par sa très grande fluidité. Cependant, elle ne signifie pas une stricte synonymie des termes en usage qui se sont chargés, au moins depuis le XIIe siècle, d’une valeur sémantique mouvante construite au sein de la tradition savante. La valeur particulière attribuable à chaque mot affleure dans certains contextes d’usage, construisant des oppositions qui visent davantage à l’appréciation de situations concrètes qu’à une catégorisation juridique générale. Parmi ces termes, celui de coutume tient, dans la partie occidentale du Midi, une place prépondérante pour des raisons qui paraissent étroitement liées à la mise en place progressive de l’ordre juridique monarchique français. Il semble que les XIIIe et XVIe siècles constituent de ce point de vue les seuils importants d’une évolution qui mériterait une enquête approfondie. Elle permettrait sans doute d’expliquer la dissymétrie terminologique que l’on constate de part et d’autre des Alpes, voire de part et d’autre du Rhône. L’évolution matérielle des textes formant le ius proprium peut être décrite, à partir du XIIIe siècle dans le Midi comme en Italie, sous la forme d’un progressif Textbestand qui ne débouche toutefois pas nécessairement sur la rédaction de libri statutorum. Le faciès documentaire des « livres du droit urbain », improprement appelés cartulaires par la tradition, est le plus souvent hybride. Ces livres témoignent à la fois du caractère hétéronome du champ du droit dans les sociétés tardomédiévales et de la pluralité des sources du ius proprium que les notaires, souvent mus par des motifs administratifs, rassemblent dans des codices. Cette variété textuelle, qui inquiète les frontières d’une typologie documentaire forgée dans la double tradition du droit et de la diplomatique, s’accorde en revanche à la diversité des domaines d’application de la norme – civil, pénal, constitutionnel, fiscal, réglementaire, etc. – et de la vie de la communauté en tant que corps constitué. Dans la mesure où il conduit à une historicisation des formes d’efficience et de catégorisation du droit, le retour aux manuscrits, appelé de ses vœux par Pierre Legendre à propos des commentaires pré-accursiens, conduit, dans le domaine de l’étude du ius proprium, à un possible comparatisme. Ce dernier repose sur une salutaire réévaluation du lien qui relie les normes aux pratiques sociales et scripturaires.
Notes de bas de page
1 Legendre 1967.
2 Sbriccoli 1969.
3 Sur l’histoire des manuscrits fautivement datés par Paul Krüger et Theodor Mommsen, voir en dernier lieu Radding – Ciaralli 2007. Pour le Midi, dans une bibliographie fleuve, on privilégiera les travaux d’André Gouron : Gouron 1984a, Gouron 1984b ; Gouron 1987 et Gouron 2000. Voir également la synthèse proposée Cortese 1995.
4 Sur cette question, voir la synthèse récente proposée par Winroth 2012 qui suit sur cette question Radding 1988.
5 Voir Gouron 1983.
6 Gouron 1963.
7 L’expression est de Harold J. Berman : Berman 1983, p. 362.
8 Voir par exemple Zorzi 2003.
9 CI[tra]VI[m][habi]TAS ; Jean de Viterbe 1901, p. 218 : Et est sincopatum hoc nomen civitas et sic supradicta interpretatio fit a tribus sillabis, quas in se continet civitas, scilicet ci et vi et tas ; ci idest citra, vi pro vim, tas idest habitas.
10 De ce point de vue, les villes apparaissent comme un laboratoire privilégié d’émergence des formes de pouvoir non-dynastiques.
11 Voir Assier-Andrieu 1996.
12 L’expression est de Jean Gaudemet : Gaudemet 1999, p. 233-366.
13 Voir par exemple pour l’espace marchesan, Jansen 2001.
14 Voir par exemple, les remarques stimulantes dans la mise au point de d’Emanuele Conte : Conte 2002.
15 Il s’agit d’un des effets de l’écrit analysé par Jack Goody dans ses travaux ; voir, en particulier, Goody 1978.
16 Voir Thomas 2011.
17 Voir Bourdieu 1986.
18 Voir par exemple le codex intitulé Statuts des corps de métiers (1270-1322) Arch. mun. de Toulouse, HH 65, http://basededonnees.archives.toulouse.fr/4DCGI/Web_RegistreArtHH65/ILUMP27333, édité par Mulholland, 1941. Sur ce corpus, voir en dernier lieu Garnier 2017a.
19 Carbasse 1979. Des projets de recensement et publication plus anciens ont existé, sans être pleinement réalisés : voir Brissaud 1900, ou plus récemment, pour la partie occidentale du Midi, Berthe 2001. Voir également l’inventaire dressé par André Gouron, Odile Terrin : Gouron – Terrin 1975 qui, comme le recensement de Jean-Marie Carbasse, ne repère que les textes édités.
20 Arch. mun. de Montpellier, AA9, fol. 62 v et s. : il s’agit d’un statut pris contre les citoyens qui se soustraient au paiement de la taille : « Establimens fachs per los senhors consols contra aquels que non volon contribuir en las talhas et que plaideion contra la communitat et los diz consols ». Le dispositif du texte est ouvert par la formule suivante : Statuimus per imperpetuum valitura statuta omnia infrascripta…
21 Sur cette question, voir Chastang 2013, p. 185-227.
22 Il s’agit d’un statut municipal daté du 2 juillet 1249 concernant la prescription des créances. Textes latin et occitan édités par Germain Mouynès : Mouynès 1877, n° 32, p. 46-47 : statutum fuit a tribus curiis dominorum Narbone / « fon fait estatut de las tres cortz dels senhors de Narbona ».
23 Eventari dels prevelegis e de las cartas de las franquezas de la vila de Monpeslier, Arch. mun. de Montpellier, II 1, p. 5-6, texte édité par Achile Montel : Montel 1872, n° 29, p. 19.
24 Cet acte daté du 1er mars 1205 (n. st.) est édité dans Claude Devic et Joseph Vaissete : Histoire générale de Languedoc 1879, col. 523-525, d’après l’original qui était alors au Trésor des chartes (sac 11, n° 11).
25 Hilaire 1990, p. 244.
26 Arch. mun. de Toulouse, AA 1 et AA 2.
27 Sont alors ouvertes les séries de Livres des matricules des notaires (à partir de 1266), de Livres d’estimes (à partir de 1270) et de Livres de comptes des communaliers (à partir de 1270).
28 Gilles 1969.
29 Voir Roschach, 1891.
30 Statut du 13 mai 1227 ; Arch. mun. de Montpellier, AA 1, fol. 92-93, no 73, passage édité dans Roschach, 1891. Il est intéressant de constater que le texte lui-même se présente comme statut : dicti consules…statuerunt quod….
31 Voir Ascheri 1996 ; Grévin 2020.
32 Sur la l’enjeu de la compréhension du lien entre coutume et pratique/jurisprudence dans la description de l’histoire du système juridique occidental, voir Ascheri 2000b.
33 Ce que Giorgio Chittolini appelle « un diritto […] trovato dal giudice » : Chittolini 1991, p. 10.
34 Leroy N. 2008, p. 338 et s.
35 Charte datée du 10 décembre 1258, Arch. mun. de Montpellier, Grand chartrier, Arm. A, cassette 4, Louvet no 117, texte édité dans Germain II 1851, p. 331-345, ici p. 336
36 Arch. mun. de Montpellier, AA 9, fol. 59.
37 Constans 1882, p. 163.
38 Village situé au nord-est d’Avignon, en bordure de la Nesque, sur les premiers contreforts des monts de Vaucluse. Les statuts ont été transmis par une copie datée de 1382. Après la date, le texte commence par la formule Noverint universi statuta subscripta lecturi quod…
39 Voir par exemple Bernardi – Boisseuil 2006 et Bernardi – Michon – Poirson 1999.
40 Statuts de 1358 : congregato consilio ville Balneolarum [suit une longue liste des présents] pro evidenti utilitate et comodo dicte ville et jurium municipalium ejusdem ac rei publice, concorditer statuerunt et ordinaverunt et statuta et ordinationes infrascriptas observari penitus voluerunt in dicta villa et in ejus territorio, Bondurand 1889.
41 Statuts de c. 1247 : fuerunt electi statutores et emendatores statutorum in consilio generali secundum formam statuti, statuta facienda et ad emendenda, pro anno futuro, ad honorem Dei et gloriose virginis Marie et ad omnem utilitatem civitatis Avinionis, Maulde 1879, p. 115.
42 Statuts du XIIIe siècle (c. 1240) : statuta et leges municipales Arelatis in scriptis redigi volumus ut ab omnibus facilius intelligi possint et debeant, quatenus omnes Arelatenses aut regimini et districtui Arelatis subditi, eorum tenorem manifestius cognocentes, prohibita declinent et permissa sectentur, Giraud 1846, p. 185.
43 Les statuts marseillais du XIIIe siècle ne sont pas coiffés d’un préambule ; mais dès le texte liminaire, serment du recteur qui devient, après 1257, celui du viguier comtal, le terme de statut sert à désigner le texte : Ad honorem Dei et omnium sanctorum ordinamus presenti statuto servandum deinceps quod quicumque fuerit rector / vicarius civitatis Massilie », Pernoud 1949, p. 1. Sur la rédaction des statuts marseillais, voir en dernier lieu Chastang – Otchakovsky-Laurent 2017.
44 Il ne s’agit en rien d’une spécificité de l’espace rhodanien et oriental du Midi, comme en témoigne le préambule du Statut de 1310 de la ville de Rodez qui relie explicitement, dans un texte tissé de références à la Bible et au corpus justinien, droit, regimen et justice : In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen. Quoniam summum bonum in vita est iusticiam colere, ad quam tenentur precipue qui ad regimen, curam et solicitudinem urbium et locorum insignium sunt assumpti, quibus Dominus hore sapientis imperat, dicens : Diligite iusticiam qui iudicatis terram (Sag. 1, 1), que justicia in recto et justo regimine consistere noscitur ut quis alterium non redat, jus suum cuique tribuat, et ut juste vivat. Que precepta non solum justicie quantum ad Deum ymo quantum ad proximum observari mandantur. Et ut talis teneatur justicia, hoc profecto providere cui regimen et super intendere in aliquibus subditis est comissum ne de negligencia valeat reprehendi » ; sur ce texte, voir, Petrowiste 2018.
45 Dans le corps des textes, le verbe statuere domine et les rubriques du premier volume de la série sont construites sous la forme statutum + dénomination des praticiens du métier au génitif pluriel ; par exemple Statutum cultellariorum (Mulholand 1941, p. 22) ou Statutum macellariorum (Mulholand 1941, p. 64). On trouve quelques occurrences du terme officium comme substitut de statutum ; par exemple : Officium peleganteriorum (Mulholand 1941, p. 25).
46 Le corpus des statuts de métiers a été en partie rassemblé par Germain III 1851, p. 455-489.
47 Par exemple, le statut de vanneurs et blutiers de 1323, « Conoguda persona sia al presens e als esdevenidors, aquesta presens ordonansa esgardadors, que li proshomes mondadors e baruteladors… », Germain III 1851, p. 474.
48 Sur la question des confréries de métiers dans le Midi, voir Coulet 1991.
49 Voir Chastang 2013, p. 355-389.
50 Voir par exemple Pernoud 1949, nos 33-41, p. 106-114 (De macellariis ; De calefatis… ; De medecis, physici et surgicis ; De apothecariis ; De pictoribus… ; De sartoribus ; De draperiis).
51 Voir Bernardi – Leroy 2018, p. 98-99.
52 Voir Bernardi – Leroy 2018, p. 106.
53 Coquille 1703, p. 125-126.
54 Voir infra n. 115.
55 Voir Lett 2017b.
56 Voir Klimrath 1837 ; Hilaire 2001.
57 Olivier-Martin 1951.
58 Le Roy Ladurie 1972.
59 Gilles 1969.
60 Voir Gilles 2008.
61 Voir, sur cette question, la mise au point d’Étienne Anheim, Philippe Bernardi, Maëlle Ramage et Valérie Theis : Anheim et al. 2014.
62 Voir le cas marseillais, supra n. 43
63 Voir supra n. 18.
64 Il s’agit du statut des parcheminiers daté de février 1329 et conservé sous la forme d’un acte grossoyé : Douais 1896.
65 Voir Busch – Keller 1991, Keller 1998 ainsi que Busch 1991.
66 Voir Petrucci 1973 et Petrucci 1986a.
67 Sur l’importance documentaire de la Paix de Constance (1183), voir Cammarosano 1998.
68 Voir Boyer 2003. Sur les répercussions de la rupture politique sur l’organisation du droit urbain marseillais, voir Chastang – Otchakovsky-Laurens 2017. Trois traités de paix ont été successivement conclus entre la ville et Charles d’Anjou : le premier en juillet 1252, le second en juin 1257 et le troisième en novembre 1262. Les textes, qui sont édités dans Bourrilly 1926, p. 407-427, 449-474 et 475- 483, ont été insérés dans certains manuscrits du liber statutorum de la ville.
69 Voir en dernier lieu, Chastang 2015.
70 Sur l’évolution de l’organisation du pouvoir dans les castra bas-languedociens durant cette période, voir Bourin 1987, p. 285-330.
71 Saint-Giniès-de-Fontedit, com. du cant. de Cazouls-lès-Béziers, dép. de l’Hérault.
72 Anonyme 1841, p. 123.
73 Sur cette pratique, voir Esmein 1888, p. 248-277 et 311-352.
74 Voir en particulier, Busch 1991.
75 Ce travail de « capitulation » des textes initiaux, lors de leur rassemblement dans des livres a été méticuleusement décrit par Michel Hébert : Hébert 2008 p. 50-54. On le retrouve aussi dans le Livre de nostre ordinances de Fribourg étudié par Chantal Ammann-Doubliez (Ammann-Doubliez 2001) qui note l’absence de balises dans le codex qui conduiraient au maintien de l’unité des originaux. Les titres insérés ne respectent pas l’unité de l’ordonnance.
76 Arch. mun. de Toulouse, AA 3.
77 Regestes du contenu des douze manuscrits (Arch. mun. de Narbonne, AA 99, 101, et 103 à 112) dans Mouynès 1877, p. 17-186.
78 Arch. mun. de Manosque, AA 8 ; sur ce manuscrit, voir Hébert 2008.
79 Voir El llibre verd 2010 et le Registre de la ville de Perpignan (Paris, BnF, ms lat. 9995) qui contient à la fois les coutumes de la ville éditées par Jacques Massot-Reynier (Les coutumes de Perpignan 1848), des documents diplomatiques et un leudaire. Sur le corpus coutumier perpignanais, voir Carbasse 1988.
80 Livre enchaîné, Arch. mun. de Nice, AA 4.
81 Pernoud 1949.
82 Maréchal – Poumarède 1988.
83 Sur les enjeux des choix méthodologiques dans le domaine de l’établissement des textes, voir Poirel 2016.
84 L’accord-amnistie du 10 décembre 1258 a été négocié par Gui Foucois, éminent juriste et futur pape sous le nom de Clément IV, et Raimond Gaucelm, seigneur de Lunel. Il est édité par Germain II 1851, p. 331-345.
85 Sur la question de la dimension constitutionnelle de certaines dispositions statutaires qui correspondent à des « parties dures » des statuts, voir Lett 2019b.
86 Voir Keller 1998. À Trévise en 1207, les statuts contiennent des séries de serments qui correspondent aux différentes fonctions communales ; voir Gli statuti del comune di Treviso 1951.
87 Voir De verbis quibusdam legalibus, Patetta 1891, p. 15 B. Sur la source isidorienne de cette définition et sa reprise par Guillaume Durand, voir Agamben 2013, p. 11.
88 L’écho de cette exigence est attesté dans de très nombreux textes qui ressortissent du genre des arts de gouverner ; ainsi Brunetto Latini rappelle par exemple, dans le chapitre intitulé « Ce que li sires doit faire quant il a fit son sairement », que « s’en doit li sires aler à l’ostel, et ovrir les Livres des Establissemens et des capitles de la vile », dans Brunetto Latini 1951, p. 840-841.
89 Voir Balossino 2015.
90 Ainsi, les 83 premiers articles de la coutume de Carcassonne – 75e mis à part –, sont repris de celle de Montpellier. Les 17 premiers articles du corpus narbonnais résultent quant à eux d’une adaptation de la norme ; voir Lesné-Ferret 2017.
91 Je reprends ici une analyse développée dans Chastang 2013, p. 155 et s.
92 Statuta consulum Montispessulani de bonis puellarum dividendis, de matrimonio minorum de civibus Montispessulani ad alias curias non trahendis, texte édité dans Teulet 1866, n° 2430, p. 310 A-B : le texte commence par le dispositif suivant : Nos, consules Montispessulani, utilitate reipublice suadente, statuimus, potestate qua fungimur statuendi, quod… et se termine par l’eschatocole suivant : Predicta statuta publicata fuerunt per consules Montispessulani, scilicet per Guillelmum Princer, Simonem Ricardi, Ugonem Rotberti, Stephanum de Candianicis, Bernardum Delechos, Stephanum de Congeniis, Bernardum de Ribalta, Bernardum Guillelmi, et Johannem Dortols, in publico parlamento, in ecclesia Beate Marie de Tabulis, anno Dominice Incarnationis MCCXXXV, in die Epiphanie Domini, in presentia et testimonio Bernardi Capdebovis Montispessulani bajuli, Johannis de Latis, Bernardi de Regordana jurisperitorum et mei Raymundi Dosca publici Montispessulani notarii, ac etiam dominorum consulum, qui predicta tria statuta, mandato dictorum dominorum consulum scripsi.
93 Le premier statut stipule que les filles de moins de vingt-cinq ans, non mariées, qui ont des biens en commun avec des majeurs peuvent pour se marier en demander la division (divisio). Le deuxième concerne une extension du statut Sed puella que nunquam habuit virum aux mineurs masculins. La troisième regarde la citation des habitants de Montpellier devant une juridiction extérieure à la ville.
94 Comme c’est le cas par exemple à Marseille ; voir Chastang – Otchakovsky-Laurens 2017, p. 38-39.
95 Boncompagno da Signa 1892, p. 253 : Leges municipales atque plebiscita sicut umbra lunatica evanescunt, quoniam ad similitudinem lune crescunt iugiter et decrescunt, secundum arbitrium conditorum.
96 Voir par exemple pour le livre juratoire d’Agen, Akehurst 2010. Le cartulaire du consulat de Limoges (Arch. mun. de Limoges, AA 1, édité par Chabaneau 1895) a quant à lui été l’objet d’une thèse des chartes récente, proposant une nouvelle édition du texte par Aubin Leroy, thèse résumée dans Positions des thèses de l’École des Chartes, 2005 (http://theses.enc.sorbonne.fr/2005/leroy).
97 Voir Gilles 1996.
98 Présentation du manuscrit par Philippe Lauzun : Le livre juratoire de Beaumont-de-Lomagne 1888. Voir également supra n. 96.
99 Babinet de Rencogne 1888.
100 Arch. mun. de Castelnaudary, AA 1.
101 Arch. mun. de Limoux, AA 2 ; voir Sabarthès 1930.
102 Le Te Igitur 1874.
103 Arch. mun. de Montauban, AA 2.
104 Voir supra n. 77.
105 Arch. mun. de Cordes, AA 1.
106 Arch. mun. de Moissac, AA 1.
107 Gilles 1996, p. 351-352.
108 Voir Anheim et al. 2014.
109 Voir Hébert 2019a.
110 Leroy N. 2008.
111 Leroy N. 2009.
112 Voir Fransen 1970, Fransen 1971 et Avril 1997.
113 Voir Costa 1969.
114 Boncompagno da Signa 1863, p. 122.
115 Sur la question des mauvaises coutumes, voir Mazel 2010.
116 Sur l’histoire juridique du terme comu/comun, voir Gouron 2001 [repris Gouron 2006, n° XXI].
117 Voir Mateu 1977.
118 Constans 1882.
119 Constans 1882, p. 163.
120 Bernardi – Michon – Poirson 1999.
121 L’ensemble des références figurent supra n. 19 et 39.
Auteur
Université Paris-Saclay, UVSQ, Laboratoire DYPAC - chastangpierre@gmail.com
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