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Chapitre 4. La villa de Sant’Agnese

p. 75-95


Texte intégral

1Item [relinquo] hominibus ville Sancte Agnetis de Monte Aliano L solidos provisinorum pro emendatione dampni eis facti per homines dicti Montis Aliani, dictait Giangaetano Orsini dans son testament le 13 avril 12321. La villa de Sant’Agnese, dont le testament de Giangaetano Orsini atteste les liens qui l’unissaient à Montagliano dans le premier tiers du xiiie siècle, a fait l’objet pour cette raison de la campagne de l’été 1993 après qu’une reconnaissance effectuée l’année précédente eut permis de localiser et d’identifier le site2.

2De la même manière que dans les deux chapitres précédents, nous présenterons dans les pages qui vont suivre les résultats principaux de l’enquête menée sur le site en 1993, en modifiant et en corrigeant là où c’est nécessaire leur publication préliminaire dans un article paru en 19953.

I – LOCALISATION ET DESCRIPTION DU SITE

3S’il mentionne l’appartenance de la villa de Sant’Agnese au finage de Montagliano au début du xiiie siècle, le testament de Giangaetano Orsini ne permet pas d’en établir la localisation, que précisent toutefois d’autres documents. Ce fut en effet dans l’église Sant’Agnese de la villa homonyme que, le 7 avril 1364, l’abbé Sisto de Farfa concéda en fief aux seigneurs de Collalto, Nicola et Giacomo di Oddone, le castrum d’Offiano. Les confins qui délimitaient alors le territoire d’Offiano – les finages des villages de Pietraforte, de Montorio, de Petescia, de Montagliano et de la villa du Cervia –, comptaient également le tenimentum de la villa de Sant’Agnese4.

4Deux siècles plus tard, renouvelant le 22 mai 1578 une concession de 1505, le cardinal Alexandre Farnèse, abbé commendataire de Farfa, cédait en emphytéose à la communauté de Montorio le territoire de la villa de Sant’Agnese contre le paiement d’un cens annuel de deux livres de cire. Un terrier des biens de l’abbaye de Farfa confirma cette concession en 1645. L’acte de 1578 localise avec précision la villa dans un lieu-dit appelé Malamorte et en délimite le territoire par les finages respectifs de Montorio, de Pozzaglia, de Vivaro, de Portica et de Petescia, par les biens de l’église Santa Maria del Piano de Pozzaglia, par un castrum Sinibaldi désormais abandonné et enfin par le rio di San Martino5. Ces lieux sont connus, qu’ils soient toujours habités comme Pietraforte, Montorio, Pozzaglia, Vivaro ou Petescia (aujourd’hui Turania ; pl. XLVI-XLVIII, LIIa), que leur notoriété dispense de la nécessité de les localiser comme l’église Santa Maria del Piano de Pozzaglia6 (pl. XLIIb-XLIVa) ou enfin que l’enquête archéologique ait permis de les repérer comme Montagliano, Portica (pl. LIb), le castrum Sinibaldi et, au moins de façon approximative, la villa de Cervia7.

5A l’intérieur du périmètre ainsi délimité, la carte topographique de l’Istituto geografico militare situe dans le carré de coordonnées UG 3366 un toponyme : « S. Agnese » limité au nord-est par un « fosso della Villa », au sud par le lieu-dit « le Pezze » et un autre ravin sans nom sur la carte topographique et enfin, au nord-ouest, par le rio di Petescia appelé rivum Sancti Martini dans l’acte de 15788 (carte 5, p. 7). Une autre carte, levée par le géomètre Alessandro Ricci en 1814-1815 à l’occasion des travaux d’établissement du cadastre de l’État Pontifical connu sous le nom de cadastre grégorien, montre le site de l’église Sant’Agnese désormais en ruine à proximité d’une source encore en activité aujourd’hui9 (pl. XXVa).

6L’existence de l’église est attestée depuis le début du xie siècle quand sont également mentionnés un castellum édifié par les deux fils d’Odelricus, Guelto et Guinisius, et plusieurs casalia appartenant à l’abbaye de Farfa10. A partir de 1198, les confirmations des biens de l’abbaye sabine citent désormais l’ecclesia Sancte Agnetis cum villa sua. Le dossier documentaire, relativement fourni au moment où ce territoire est entré dans le patrimoine de l’abbaye de Farfa au cours de la première moitié du xie siècle, met en évidence ses trois composantes essentielles : l’église, un château et un habitat, dispersé en casaux au début du xie siècle et groupé en villa à la fin du xiie siècle11.

7Couvrant plus d’une centaine d’hectares d’une zone montagneuse s’étageant entre 600 et 1 000 mètres, le site est composé de trois promontoires regardant vers le nord-ouest à l’altitude de 600-700 mètres, d’un replat sur la cote des 700-750 mètres et d’un versant plus raide jusqu’au sommet (pl. XXVb). Venant de Turania, un sentier permet d’arriver à une source appelée « fonte di Sant’Agnese » (UG 341665, point coté 756) tandis qu’une autre source était également attestée au Moyen Âge, la fons Guinisii, encore en activité au début du xixe siècle et aujourd’hui tarie. A 200 mètres de la source de Sant’Agnese, sur le premier promontoire, un amoncellement important de pierres, des fragments de tuiles en assez grand nombre, des pierres équarries de belle facture et quelques tessons indiquent la présence d’une construction dont les murs arasés affleuraient à peine avant la fouille (UG 338667, site 1) : on verra qu’il s’agit de l’emplacement de l’église Sant’Agnese, qui était située non loin de la source homonyme, et où la tradition veut qu’une tombe de guerrier ait été mise au jour dans les années 193012. Un deuxième promontoire ne conserve aucune trace archéologique apparente. Plus au sud, un troisième promontoire présentait avant la fouille les vestiges d’une construction (UG 334664, point coté 753, site 2) : il s’agit d’un bâtiment quadrangulaire de 8 mètres de côté à l’extérieur et 5 mètres à l’intérieur dont les murs imposants, visibles avant fouille sur une hauteur d’un mètre environ, atteignaient par endroits 1,5 m voire 2 m de large. Aménagée dans l’angle nord, une entrée est précédée d’un couloir, qui semble s’ouvrir sur un deuxième espace, dont les côtés sont constitués par une butte. Dans ses parties visibles avant la fouille, la maçonnerie homogène est caractérisée par de gros moellons de calcaire disposés sans assises ni segments : on aurait ainsi affaire à une maçonnerie de type « polygonal » qu’on observe généralement dans les constructions castrales les plus anciennes de la région considérée13. Il pourrait s’agir du castellum édifié par Guelto et Guinisius et mentionné au début du xie siècle.

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Fig. 12 – La villa de Sant’Agnese : les trois sites.

8A 150 mètres environ vers le sud-ouest et légèrement en contre-bas, un troisième site couvre une étendue d’environ 1 500 m2, de plan grossièrement circulaire, limitée par endroits par un léger dénivelé ; à l’intérieur, au nombre d’une quinzaine, des amoncellements de pierres et de tuiles évoquent à l’évidence les vestiges d’un habitat, village ou hameau (UG 333663, site 3).

9La céramique très fragmentaire et peu abondante que la prospection effectuée au mois de juillet 1992 avait permis de recueillir sur les trois sites composant la villa, couvre un arc chronologique qui s’étend de la céramique à « vetrina sparsa » des xie-xiie siècles jusqu’à une céramique glaçurée des xive-xve siècles, à l’intérieur duquel on trouve notamment quelques fragments de « vetrina laziale » de la seconde moitié du xiiie siècle.

II – LES RÉSULTATS PRINCIPAUX DE L’ENQUÊTE ARCHÉOLOGIQUE

10L’intervention archéologique effectuée au mois de juillet 1993 avait pour buts principaux de reconnaître l’église et ses phases principales, d’étudier la structure fortifiée du site 2 et d’analyser les stades successifs de son développement, de mettre en évidence l’existence éventuelle d’une fortification autour du village et d’obtenir des éléments pour la datation de sa fondation et des étapes principales de son histoire. Plusieurs sondages furent par conséquent ouverts dans les différents secteurs du site pour tenter de répondre à ces questions.

11Comme dans les deux chapitres précédents, nous nous contenterons de présenter ici les résultats principaux de la fouille de chacun des secteurs qui contribuent à l’élaboration de l’histoire du site.

A) L’église

12Un premier sondage a été ouvert dans le secteur identifié comme le site de l’église Sant’Agnese, contre un mur orienté est-ouest visible avant le début des travaux (M2). La fouille de ce sondage a mis en évidence une stratigraphie et plusieurs interventions de construction qui s’organisent en cinq phases principales.

13La première occupation du secteur fouillé est caractérisée par plusieurs sépultures creusées dans la roche et orientées est-ouest dont seule la partie située dans le sondage a été mise au jour (UU.SS. 1037, 1040, 1043, 1045). L’une d’entre elles (U.S. 1043) a certainement été réutilisée dans un second temps comme ossuaire tandis qu’une autre (U.S. 1040) avait été recoupée par la construction du mur M2. Si ces sépultures n’ont pas fourni de matériel datant, elles sont cependant recouvertes immédiatement par les niveaux des xiie et xiiie siècles. Elles fourniraient ainsi une preuve archéologique de l’existence d’une aire cultuelle dès l’époque où est attestée l’église Sant’Agnese au xie siècle. Les sépultures et la roche dans laquelle elles avaient été aménagées furent ensuite recouvertes par plusieurs niveaux de terre plus ou moins battue attestant l’occupation continue du secteur et les transformations qui l’affectèrent ensuite.

14Dans un deuxième temps, le secteur étudié fut en effet l’objet de profonds remaniements. Au nord du sondage, un mur orienté est-ouest (M3, épaisseur 80 cm) a été mis au jour sous une fine couche d’humus (pl. XXVIa). L’état de ce mur, dont il subsiste à peine la première assise posée directement sur la roche, est le résultat de la récupération systématique des matériaux après l’abandon du site ainsi que d’une importante érosion du terrain. L’extension du secteur de fouille a mis en évidence les éléments d’un édifice dont il n’a pas été possible toutefois de reconnaître le plan général. Le mur M3 se termine à l’est par un seuil dont les deux grandes dalles qui le composent présentent notamment les cavités dans lesquelles étaient encastrés les gonds d’une porte. Un massif maçonné (murs M4 et M6) encadre ensuite un petit escalier (M5) qui mettait en communication la hauteur différente des niveaux séparés par les murs M4 et M6. Au nord du mur M3, un sol ne conservait que le vestige négatif de la trace des dalles récupérées par la suite. Il correspondait certainement à l’intérieur d’un édifice délimité au sud par les murs M3, M4 et M6 où l’on accédait de l’extérieur par le grand seuil du mur M3 et le petit escalier M5. L’ensemble de ces éléments indique la présence d’un complexe architectural où l’on peut reconnaître avec certitude l’église Sant’Agnese et ses annexes. D’autres résultats obtenus au cours de la fouille confirment cette identification. L’éboulis du mur M3 (mis en évidence dans l’U.S. 1023 du sondage) présente notamment un pan tombé entier, construit en moellons calcaires dégrossis, et quelques éléments architectoniques (pierres d’angle qui devaient composer les cornières de la structure, éléments de corniche et de console, gros blocs équarris) dans un type de calcaire coquillier qui se prête tout particulièrement à un travail plus raffiné de ses surfaces. L’utilisation d’un matériau différent et plus facile à travailler, mais absent du site, pour les encadrements des ouvertures, pour les cornières ou pour d’autres éléments spécifiques permet de supposer le recours à des tailleurs de pierre spécialisés. A cet égard, la comparaison entre les éléments provenant du mur M3 de Sant’Agnese et la Chiesa Nuova de l’abbaye de Farfa, à qui l’église Sant’Agnese appartenait depuis le début du xie siècle pour le moins, est intéressante14. On observe dans la Chiesa Nuova l’utilisation de moellons parfaitement équarris d’un même calcaire coquillier pour le revêtement des pilastres de l’arc triomphal et les encadrements des portes et des fenêtres : ces aménagements trouvent leur place dans la reprise des travaux attribuée à l’abbé Adinolfo vers le milieu du xiie siècle15. Dans l’ensemble de la maçonnerie, le calcaire coquillier se distingue tant par sa couleur que par la qualité de la taille, procurant de la sorte un effet ornemental. Le matériau plus léger, plus facile à travailler et présentant une couleur plus soutenue que le calcaire compact utilisé dans l’ensemble de la construction permet de souligner les éléments architectoniques importants. L’analogie entre Sant’Agnese et la Chiesa Nuova réside ainsi dans la mise en œuvre de matériaux différents dans un but uniquement décoratif. L’utilisation de techniques et de matériaux identiques dans les deux édifices permet peut-être de proposer une datation pour le mur M3 dont la fouille archéologique n’a pas permis de déterminer la chronologie. Dans cette hypothèse, la reconstruction de l’église pourrait dater de la deuxième moitié du xiie siècle.

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Fig. 13 – La villa de Sant’Agnese : relevé schématique des vestiges de l’église.

15A l’extérieur et au sud de l’église, les sépultures étaient recouvertes par une série de couches de terre plus ou moins battue qui avaient pour fonction vraisemblable de niveler le terrain là où la roche présentait un net pendage vers le sud (UU.SS. 1042, 1031, 1029, 1028, 1017). Des niveaux d’occupation en terre battue étaient alors aménagés (UU.SS. 1015 et 1012). Au centre du sondage, une structure circulaire faite de pierres mises de champ et liées entre elles avec du mortier servait d’emplacement à un poteau (U.S. 1011 ; diamètre extérieur d’environ 70 cm, diamètre de l’emplacement du poteau d’environ 30 cm). Plutôt qu’un élément aménagé pour l’échafaudage de la construction de l’église qui aurait vraisemblablement disparu au terme du chantier, il peut s’agir de l’emplacement d’un pilier en bois destiné à soutenir la couverture de la charpente d’un auvent ou d’un portique. Le contexte stratigraphique des UU.SS. 1042-1012, homogène pour son mobilier céramique à « vetrina sparsa » des types A et B, et un denier provinois du sénat romain, trouvé dans l’U.S. 1015, permettent de dater cette phase entre la fin du xiie siècle et le milieu du xiiie siècle16.

16Dans un troisième temps, de nouveaux travaux de construction ont affecté le secteur fouillé. A 2,50 m au sud du mur M3 de l’église fut creusée jusqu’à la roche la tranchée de fondation (U.S. 1020) du mur M2, qui fut remblayée après la construction par les UU.SS. 1014, 1018, 1021 et 1041. Le pilier qui était encore en place fut enlevé et sa base recouverte (U.S. 1008) tandis qu’un dallage était aménagé sur l’ensemble du secteur (UU.SS. 1005, 1007, 1009). On ignore si le nouvel espace délimité par les murs M2 et M3 était alors couvert. La présence de tessons de céramique non glaçurée appartenant à une forme ouverte (casserole) dans les remblais de la tranchée de fondation du mur M2 permet d’attribuer cette phase de travaux au xive siècle17.

17Une occupation tardive était ensuite caractérisée par un sol d’argile mis au jour partiellement dans l’angle sud-est du sondage et par le creusement d’une fosse dépotoir (U.S. 1003) qui endommagea le pavement du sol précédent. Cette dernière occupation que le mobilier céramique date des xve et xvie siècles est antérieure à l’effondrement du mur M3 et à l’abandon définitif du secteur dans le courant du xvie siècle.

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18Le sondage I témoigne donc de l’organisation et de l’occupation du complexe ecclésiastique de Sant’Agnese à partir du xiie siècle. La présence de sépultures antérieures permet d’affirmer que le secteur était déjà occupé précédemment par une église dont les vestiges n’ont pas été retrouvés dans la mesure où elle fut sans doute entièrement reconstruite à l’époque de la plus grande expansion de la villa de Sant’Agnese. Plusieurs périodes de construction et d’occupation se succédèrent ensuite jusqu’à l’effondrement de l’édifice au xvie siècle.

B) Le château

19La fouille des vestiges reconnus durant la prospection comme les ruines probables du castellum de Guelto et Guinisio, mentionné au début du xie siècle, a été concentrée sur la moitié de l’édifice principal. Pour des raisons de temps imparti à la campagne, nous nous sommes contentés de mettre en évidence la crête des autres murs qui affleuraient sous l’humus pour pouvoir dresser un plan au moins schématique de l’ensemble du complexe. Le sondage a été implanté dans l’espoir de réunir le plus de données possibles sur l’édifice originel auquel appartient le mur M21 visible avant la fouille et attribué à cette période pour son parement « polygonal » (pl. XXVIb). Les attentes initiales ont toutefois été déçues. Les travaux successifs d’agrandissement et de restauration du château ont effacé en effet la stratigraphie précédente jusqu’au niveau géologique. Aussi l’observation des murs et l’analyse de leur plan sont-elles plus utiles à la reconstitution des phases principales du château.

20Les murs M21, M24 et M28 appartiennent à la première phase et constituent les trois côtés d’un espace rectangulaire dont le quatrième côté, peut-être écroulé, doit être cherché au sud, là où le monticule présente une pente plus accentuée (fig. 16, p. 87). L’épaisseur considérable des murs, 1,5 m environ et 3 m pour le mur M28 qui a été doublé, et la maçonnerie « polygonale » permettent sans doute de les attribuer à l’édifice du xie siècle dont la largeur aurait été d’environ 4,5 m et la longueur d’au moins 6 m pour l’espace intérieur : il s’agirait vraisemblablement du castellum de Guelto et de Guinisio. On n’a pas trouvé de trace d’une utilisation précédente du secteur sous la forme de trous de poteau ni par la présence de céramique résiduelle. L’unique vestige de la stratigraphie plus ancienne, enlevée jusqu’au niveau géologique pour l’aménagement du sol lors de la grande restauration postérieure, est formé par une couche de terre très compacte, située entre la roche et la première assise de pierres du mur M21 (U.S. 220). Cette couche, qui n’a livré aucun mobilier, semble être ce qui reste du remplissage de la tranchée de fondation du mur M21. Quand un nouveau sol fut aménagé plus tard, le niveau géologique fut atteint au préalable dans la totalité de l’édifice détruisant ainsi toute la stratigraphie précédente, mais on laissa subsister une bande de terre de quelques centimètres à l’aplomb du parement du mur M21 qui aurait pu subir autrement des problèmes statiques. Cette observation n’ajoute cependant rien à la chronologie de l’édifice dans la mesure où ce qui a été fouillé de ce niveau antérieur ou contemporain de la construction la plus ancienne s’est révélé totalement stérile.

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21L’édifice fut réduit dans un deuxième temps par la construction du mur M23, posé directement sur la roche sans fondation et adossé aux murs M21 et M28 (pl. XXVII). Sa maçonnerie est caractérisée notamment par la présence d’au moins deux assises assez régulières de moellons équarris de calcaire coquillier plus facile à travailler mais absent de la zone (pl. XXVIIIa). L’espace ainsi réduit mesurait désormais 4,5 m sur 5 m environ. On ignore tout de l’ouverture de l’édifice avant l’aménagement tardif du couloir d’entrée.

22Au-dessus de la roche dont les anfractuosités et les irrégularités avaient été comblées de terre et par des fragments de tuiles et de mortier, on trouvait plusieurs couches (UU.SS. 206, 207, 211, 213) de remblai aménagé pour la préparation du sol de la phase successive

23(U.S. 203). La présence dans ces niveaux de moellons calcaires liés de mortier et couverts d’enduit (US 206), de moellons et d’éclats du calcaire coquillier qui caractérise le mur M23 (UU.SS. 211 et 213 dans le couloir notamment) et d’un grand nombre de fragments de tuiles démontre l’existence d’une destruction au moins partielle de l’édifice, postérieure à la construction du mur M23 et précédant la restauration générale qu’elle a nécessitée.

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Fig. 16 – La villa de Sant’Agnese : phase originelle du château.

24Après une période d’abandon, le site fut occupé à nouveau. De cette époque datent plusieurs innovations importantes : le mur M21, en partie détruit, fut restauré (M20/M33 ; fig. 19, p. 91 et pl. XXIXa) ; furent alors construits les murs M22 et M25, dont les pierres d’angle sont équarries (fig. 20, p. 92 et pl. XXXIa) ; un escalier, accessible d’une porte qui s’ouvrait à l’est du mur M25, conduisait à l’étage supérieur (pl. XXXIb) ; dans le couloir aménagé à cette époque, une porte dont le seuil est placé à 40 cm au-dessus du sol (US 203) conduisait au réduit situé sous l’escalier et limité à l’ouest par le mur M24 de l’édifice originel ; trois crapaudines permettaient à deux portes successives, dont l’une à double battant, de fermer le couloir avant l’accès au réduit situé sous l’escalier (pl. XXVIIIb-XXXb). Ce-lui-ci fut aménagé pour une bonne part dans l’épaisseur de l’ancien mur M24 dont seul le parement intérieur fut conservé. Ces travaux d’agrandissement et de restauration furent également l’occasion de la réfection du sol (US 203), constitué par un niveau de mortier lissé contenant des inclusions de tuiles et de gravillons. Au centre de l’édifice et le long du mur M26, la surface de ce niveau était constituée par une couche argileuse et noirâtre (204). Contre le mur M24 fut construit un peu plus tard un muret (M26) dont la surface concave et recouverte de mortier lissé devait servir à l’emplacement de tonneaux ou de jarres. Cette structure modeste datable entre le xive et le xve siècle est le dernier aménagement construit dans l’édifice avant sa destruction et son abandon définitif. La position de l’espace fouillé au fond d’un couloir fermé de deux portes, l’irrégularité du sol de mortier et surtout l’absence de matériel sur sa surface, la structure M26 forment autant d’éléments pour lui attribuer la fonction de réserve ou de cellier. La présence de fragments d’amphores dans les couches 201, 203 et 208 confirmerait cette attribution. A l’étage supérieur aurait été située la partie domestique proprement dite accessible par l’escalier extérieur.

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Fig. 17 – La villa de Sant’Agnese : le château au xive siècle.

25On ne peut rien dire enfin de la pièce délimitée par les murs qui affleurent à l’est et dont seule la crête a été mise en évidence. Un bâtiment (3,5 × 7 m) apparaît à droite du complexe fouillé et s’ouvrait sur la petite cour sur laquelle donnait également l’escalier du château.

Pl. XXV

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a) La villa de Sant’Agnese dans le plan d’Alessandro Ricci, 1814 (ASRoma, Congregazione del Buon Governo, II, b. 3470 ; EFR SA 572).

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b) La plaine de S. Maria del Piano (à droite) et le mont Croce (pertinentia de Malamorte), site de la villa de Sant’Agnese (EFR SA 494).

Pl. XXVI

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a) La villa de Sant’Agnese : vestiges de l’église, xiie siècle (EFR SA 626).

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b) La villa de Sant’Agnese : mur M21 du château de l’an mil (EFR SA 654).

Pl. XXVII

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a) La villa de Sant’Agnese : réaménagement du château au xiie siècle (EFR SA 652).

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b) La villa de Sant’Agnese : parement interne du mur M23 (EFR SA 650).

Pl. XXVIII

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a) La villa de Sant’Agnese : parement interne du mur M23 (EFR SA 519).

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b) La villa de Sant’Agnese : réaménagement du château au xive siècle (EFR SA 641).

Pl. XXIX

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a) La villa de Sant’Agnese : restauration M20 (à droite) du mur M21, xive siècle (EFR SA 657).

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b) La villa de Sant’Agnese : entrée du château, xive siècle (EFR SA 647).

Pl. XXX

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a) La villa de Sant’Agnese : entrée du château, xive siècle (EFR SA 649).

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b) La villa de Sant’Agnese : couloir d’entrée du château (EFR SA 642).

Pl. XXXI

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a) La villa de Sant’Agnese : aménagement du château, avant-corps, xive siècle (EFR SA 643).

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b) La villa de Sant’Agnese : escalier extérieur du château, xive siècle (EFR SA 693).

Pl. XXXII

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a) La villa de Sant’Agnese : vestiges du village (EFR SA 490).

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b) La villa de Sant’Agnese : mur d’une maison du hameau, xiie-xiiie siècle (EFR SA 672).

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Fig. 18 – La villa de Sant’Agnese : stratigraphie du château.

26L’éboulis du château présentait notamment, au nord, une niche avec des traces d’enduit, une barre à mine ainsi qu’une monnaie frappée après le retour momentané à Rome d’Urbain V, entre 1367 et 137018.

27La fouille a mis ainsi en évidence la succession des étapes principales de la vie du château de Sant’Agnese. Aucun vestige d’une occupation de ce secteur avant la construction du premier édifice maçonné n’a été observé. Celui-ci était caractérisé par un bâtiment quadrangulaire de petites dimensions (4,5 × 6 m environ) dont les murs très épais présentaient une maçonnerie de gros blocs calcaires non travaillés où l’usage du mortier était parcimonieux. Si la stratigraphie n’a pu dater cette construction, il est sans doute possible de l’attribuer par analogie au castellum bâti vers l’an mil par les deux fils du réatin Odelricus. Dans un second temps, l’édifice fut réduit, ou divisé, par la construction du mur M23 que la comparaison avec d’autres structures similaires permet de dater au courant du xiie siècle ou au début du xiiie siècle. Une destruction et un abandon temporaire suivirent avant une restauration générale du château vers le milieu du xive siècle. Le château de Sant’Agnese devait ensuite être abandonné dès le début du xve siècle.

C) Le village

28Sur une superficie d’environ 1 500 m2, de plan grossièrement circulaire et limitée par endroits par un léger talus, le site de l’habitat présente une quinzaine d’amoncellements de pierres et de tuiles, seuls vestiges des maisons paysannes visibles avant la fouille (pl. XXXIIa). Dans ce secteur, l’enquête devait fournir les principaux éléments de datation de l’établissement et mettre en évidence l’existence éventuelle d’une fortification de terre, de bois ou de pierre autour de ce hameau.

29L’agglomération de maisons est délimitée par une légère dénivellation à peu près continue qui laissait supposer avant la fouille la présence d’un fossé ou d’un talus. Deux sondages ont été ouverts à la périphérie pour s’en assurer, qui ont montré au contraire l’absence de toute forme de fortification (fossé, talus, palissade, mur d’enceinte) autour du hameau. Dans un cas (s. 3010 ; 1 × 3 m), le banc d’argile vierge affleurait directement sous l’humus. Dans l’autre (s. 3000 ; 1,5 × 4 m) où la dénivellation du sud vers le nord dépassait 2 m de hauteur, un niveau d’éboulis de pierres de moyennes dimensions, de quelques fragments de tuiles recouvrait dans l’angle sud-est du sondage les premières assises du mur presque totalement démoli d’une maison. Celui-ci avait été construit sur le banc d’argile dont la superficie était salie par une fréquentation sans doute de courte durée (pl. XXXIIb).

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Fig. 19 – La villa de Sant’Agnese : relevé du mur M21 du château et de la restauration M20.

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Fig. 20 – La villa de Sant’Agnese : relevé du mur M22 du château.

30Un troisième sondage (s. III, 2 × 6 m) a été fouillé à l’intérieur de l’habitat. Une première occupation du site était ainsi mise au jour, caractérisée par un trou de poteau creusé dans la roche (U.S. 317), dont le remplissage (U.S. 318) livrait quelques tessons de céramique de table achrome et un tesson céramique à « vetrina sparsa B », et par une fosse (U.S. 314) dont seule l’extrémité était visible dans le sondage. Celle-ci avait été creusée dans le sol géologique composé, dans cette partie du sondage, d’argile dont la superficie était maculée de charbons de bois, de petits fragments de tuile et de mortier (U.S. 316). Elle était remplie de terre argileuse noire (U.S. 313), riche en ossements animaux, en céramique à feu (12 tessons sur 67), en céramique de table achrome (45 tessons) et à « vetrina sparsa B » (10 tessons). Au-dessus, un niveau très compact de terre argileuse formait le sol d’une deuxième occupation (U.S. 307309). Il livrait plus de la moitié du mobilier céramique trouvé dans le sondage (137 tessons sur un total de 256) dont 10 % environ étaient constitués de céramique à « vetrina sparsa » de type A (plus rare) et B. Deux fragments de céramique à « vetrina laziale » traduisaient la prolongation de cette occupation, de façon réduite cependant, jusqu’au cœur du xiiie siècle voire jusqu’au début du xive siècle. Cette occupation était recouverte par un niveau d’incendie (U.S. 303-304) contenant cendres, charbons de bois, pierres de dimensions moyennes calcinées et très friables et quelques petits fragments de tuiles. La céramique qu’il livrait (29 tessons sur un total de 256 soit 11,3 %) ne contient plus de fragments décorés à « vetrina sparsa » mais seulement de majolique archaïque qui permettent de dater cette destruction au milieu du xive siècle environ. Les couches supérieures ne livraient plus que du matériel de démolition et témoignaient de l’abandon définitif de ce secteur.

CONCLUSION : LES PHASES PRINCIPALES DE L’HISTOIRE DE LA VILLA DE SANT’AGNESE

31L’enquête archéologique conduite sur le site de la villa de Sant’Agnese a mis en évidence quelques éléments qui permettent de proposer la périodisation suivante. La poursuite des recherches sur le terrain, très limitées à l’heure actuelle, fournirait naturellement de nouvelles données susceptibles de modifier éventuellement et dans tous les cas d’enrichir nos résultats :

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Fig. 21 – La villa de Sant’Agnese : stratigraphie du village.

32Phase 1 : Absence de vestiges en place ou résiduels d’une occupation du haut Moyen Âge.

33Phase 2 : Les murs périmétraux du château présentent une maçonnerie de type « polygonal » qui peut dater des xe-xie siècles. Des sépultures mises au jour dans le secteur de l’église sont antérieures au xiie siècle et pourraient être contemporaines du premier état du château. Aucune trace de l’habitat n’a été mise au jour pour cette période.

34Phase 3 : Des travaux importants ont lieu dans le secteur de l’église peut-être intégralement reconstruite dans la seconde moitié du xiie siècle. Le château est également l’objet d’aménagements mais le trait marquant est constitué par les premiers vestiges d’une occupation dans le secteur du village, caractérisée dans le sondage fouillé en particulier par un niveau de fréquentation, un trou de poteau et par une fosse, comblée dans la première moitié du xiiie siècle.

35Phase 4 : Le château est l’objet d’une destruction partielle entre le milieu du xiiie siècle et le début du siècle suivant sans que l’on puisse proposer une datation plus précise. Dans le hameau, la construction en bois, dont des vestiges négatifs ont été mis au jour dans le sondage III, est démontée vers le début du xiiie siècle et la nouvelle occupation, contemporaine des maisons en pierre, se poursuit sans grande intensité toutefois jusqu’au milieu du xive siècle.

36Phase 5 : Dans la deuxième moitié du xive siècle, des travaux importants ont lieu tant dans l’église que dans le château, lequel fait l’objet d’une restauration complète. Dans le village, un incendie précède l’abandon définitif du secteur.

37Phase 6 : Le château est en partie détruit et abandonné de manière définitive au début du xve siècle tandis que le secteur de l’église est encore occupé.

38Phase 7 : L’église est abandonnée au xvie siècle.

Notes de bas de page

1 Éd. M. Thumser, Zwei Testamente aus den Anfängen der Stadtrömischen Familie Orsini, p. 99.

2 Voir E. Bonasera, E. De Minicis et E. Hubert, Fouilles de la section Moyen Âge : Prospection dans la haute vallée du Turano.

3 Cf. E. De Minicis et E. Hubert (dir.), Enquête archéologique en Sabine. III : La villa de Sant’Agnese.

4 Videlicet totum et integrum castrum Offiani cum suo tenimento positum in Montanis iuxta tenimentum Petre Fortis et tenimenta castrorum Montorii, Petescie, Montis Aliani et villarum Sancte Agnetis et Cervie..., éd. E. Hubert, Le « locus qui dicitur Ophiano » et le « castellum de Ophiano », p. 228-230.

5 Tenimentum, terras, res et bona ac iurisdictionem villarum Sancte Agnetis in Putealia, Sabinensis diocesis, ubi dicitur Malamorte iuxta ab uno latere tenimentum Montis Orei, ab alio tenimentum Pozzaglia, ab alio res ecclesie Sancte Marie in Putealia, a capite tenimentum et pertinentias castri Vivarii, ab alio latere tenimentum Portice, ab alio latere tenimentum Petesie, a pede rivum Sancti Martini et castrum dirutum Sinibaldi, en ASRoma, Congregazione del Buon Governo, II, b. 3470, ap. IX : « Petescia e Montorio in Valle : vertenza territoriale » ; concession dont le terrier des biens de l’abbaye en 1645 attestait la perennité : ASRoma, Benedettini di S. Maria di Farfa, b. 1, n° 3, f. 121r.

6 Voir principalement Monasticon Italiae. I : Roma e Lazio, p. 154 ; La Sabina medievale, p. 218-219 et fig. 271-275 et E. Parlato et S. Romano, Roma e il Lazio, p. 376-379.

7 Pour Montagliano, voir le chapitre 2 ; sur les autres sites, cf. E. Bonasera, E. De Minicis et E. Hubert, Fouilles de la section Moyen Âge : Prospection dans la haute vallée du Turano, p. 894-897 ; voir aussi, pour la localisation de la villa du Cervia, A. R. Staffa, L’assetto territoriale della Valle del Turano nell’alto Medioevo, p. 259 ; E. Bonanni et A. Zacchia, La pietra scritta e l’alta Valle del Turano, p. 45.

8 IGM, F° 145 de la Carte d’Italie, 1 :25000, III N.O. Collalto Sabino.

9 ASRoma, Congregazione del Buon Governo, II, b. 3470.

10 Voir principalement RF IV, n° 633, 635 (1012). On ne peut suivre I. Schuster, Il monastero del Salvatore e gli antichi possedimenti farfensi nella massa Tora-na, p. 22 ni A. R. Staffa, L’incastellamento nella valle del Turano, p. 189-190 qui identifient ce château au castellum de Pozzaglia attesté en 1026 (RF III, n° 555).

11 Pour la présentation et l’analyse du dossier documentaire, voir la deuxième partie de ce volume.

12 M. Iori, Petescia Sabina oggi Turania, p. 212 : « Negli anni trenta il terreno del beneficio era lavorato da contadini di Petescia : fu appunto durante un lavoro di scasso in località S. Agnese a pochi metri della sorgente, nel campo detto ancora oggi « Orto dei Frati » che fu rinvenuta una tomba con una salma perfettamente conservata. Non si trattava di un tizio qualunque, perchè al suo fianco aveva una spada ; con molte probabilità sara stato un feudatario che volle essere sepolto nel cimitero del convento. Quella di S. Agnese non era una piccola chiesa di campagna, era parte integrante di un convento, forse molto piccolo ».

13 Voir E. De Minicis, E. Hubert et G. Noyé, Strutture murarie della Sabina medievale, p. 67-78 ; E. De Minicis, Les structures maçonnées, p. 140-141 et sa contribution au fascicule suivant de la série.

14 Sur la Chiesa Nuova de Farfa, voir en particulier F. Bougard, E. Hubert et G. Noyé, Les techniques de construction en Sabine. Pour l’appartenance de Sant’Agnese à Farfa, voir la deuxième partie.

15 Sur la reprise éphémère des travaux de la nouvelle église abbatiale sur le monte S. Martino en 1142 dans le contexte plus général de tentative d’introduction à Farfa de la réforme cistercienne par l’abbé Adinolfo, cf. T. Leggio, Momenti della riforma cistercense, p. 21-29 et en particulier p. 26-27.

16 Voir le catalogue des monnaies (n° 3) établi par Alessia Rovelli dans le volume suivant de la série.

17 Cf. N. Lécuyer, Le mobilier céramique : étude chronologique et typologique, p. 131 ; Ead., Régime alimentaire et pratique culinaire, p. 86-87 et 89 ; voir également sa contribution au volume suivant de la série.

18 Cf. A. Rovelli, Catalogue des monnaies (n° 8), dans le volume suivant de la série.

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